LAÏCITE, SERVICE PUBLIC ET PETITE ENFANCE. Quelles sont les
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LAÏCITE, SERVICE PUBLIC ET PETITE ENFANCE. Quelles sont les
LAÏCITE, SERVICE PUBLIC ET PETITE ENFANCE. Jean Claude BOUAL Secrétaire général adjoint EGALE Les deux concepts de laïcité et de service public ont été forgés à la même époque, la fin du 19ème siècle et le début du 20ème. Par la suite ils ont connus des évolutions chacun pour son compte, si bien qu’aujourd’hui encore il existe peu de littérature sur leur rapport. Pourtant ils sont tous les deux réinterrogés aussi bien dans le cadre national que dans le cadre européen. Le sujet qui nous réuni aujourd’hui, la petite enfance et l’affaire Baby-loup en est une bonne illustration. La loi oblige les agents des services publics (fonctionnaires et agents contractuels) à la neutralité vis-àvis des usagers. De même, les signes religieux sont interdits sur les monuments publics. Est-ce à dire que les locaux privés et les personnels des entreprises privés échappent nécessairement à ces lois comme le prétend la HALDE dans son premier avis sur l’affaire Baby-loup ? Celle-ci a en effet estimé que l’activité de la crèche étant « de nature privée [….] ni la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, qui ne s’impose qu’aux élèves des écoles, collèges et lycées de l’enseignement public, ni le principe de neutralité du service public ne s’applique à l’association Baby-loup et à ses salariés. ». Une crèche n’étant ni une école, ni un lycée et ne faisant pas partie juridiquement du système éducatif, les seuls angles légaux possibles pour y appliquer les principes de laïcité en tant qu’entreprise sont soit la notion de service public à condition que les crèches soient considérées comme un service public ce qui à ce jour n’est pas clair dans la règlementation française, soit le règlement intérieur de l’entreprise. Quelles sont les règles dans les services publics. La laïcité implique la neutralité de l’Etat républicain vis-à-vis de toutes les religions ainsi que l’égalité devant le service public. Cette égalité n’est à géométrie variable ni en fonction des populations concernées, ni en fonction des services considérés même si elle peut prendre des formes d’expression différentes. Elle concerne tous les services publics, aussi bien l’école qui historiquement en a été et demeure le lieu d’application et d’affrontement privilégié, que tous les autres services publics, de l’état civil à la police, les armées, les prisons, la poste, l’électricité, l’eau potable, les transports publics, le logement, le secteur hospitalier ou tous les services sociaux ou tout autre service public. L’égalité de traitement des utilisateurs-usagers des services publics, ainsi que la neutralité dans son apparence et son comportement des agents du service public font partie intégrante des principes fondateurs du service public. L’article premier de la Constitution de la République française dispose que : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les 1 citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il consacre les principes de laïcité et de liberté de religion. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 affirme : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Plusieurs lois et textes règlementaires depuis les lois de 1881, du 28 mars 1882 et du 30 octobre 1886 instituant l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, ont construit, précisé ou modifié les modalités d’application du principe de laïcité. Citons sur les évolutions de ses modalités en particulier la loi du 14 novembre 1881 laïcisant les cimetières, la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Eglises et de l’Etat, la loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques, la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’ Etat et les établissements d’enseignement privés, le décret du 1 er octobre 1997 relatif à la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort, la loi du 15 mars 2004 encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l’ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété publique ou la circulaire du 27 août 2007 relative aux modifications apportées relative aux libertés et responsabilités locales en matière de financement par les communes des écoles privés sous contrat. La jurisprudence des tribunaux administratifs et du Conseil d’Etat, mais aussi de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) en application de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe a aussi grandement contribué à préciser le droit lié au principe de laïcité notamment sur le port des signes religieux ou sur les facilités qui peuvent être accordées aux fonctionnaires pour pratiquer leur religion. Le texte de la Constitution de la République française dit peut sur le service public, le seul article qui évoque les services publics est l’article 11 qui donne la possibilité au président de la République de soumettre au référendum sur proposition du gouvernement ou des deux assemblées conjointes tout projet de loi sur des réformes relatives entre autres aux services publics. Cependant nous trouvons des fondements de la notion de service public dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 explicitement visés dans le Préambule de la Constitution actuellement en vigueur. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précise que : « La loi est l’expression de la volonté générale. ….Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ». L’article 12 indique que : « La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée. » ; l’article 13 précise : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » ; et l’article 15 soutient : « La société a la droit de demander compte à tout agent public de son administration. ». Le Préambule de la Constitution de 1946 indique en particulier : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » ; « La nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. » ; « Elle (la nation) garantie à tous, notamment à l’enfant, à la mère et au vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matériel, le repos et les loisirs. » ; « La nation garantie l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat. ». Une lecture attentive et un rapprochement de ces textes nous montrent à la fois, la profonde continuité historique et philosophique des concepts de service public et de laïcité dans la culture politique et sociale française ainsi que leur fondement philosophique commun. Ce qui en fait un ensemble indissociable. La charte de la laïcité dans les services publics. Peut-être à cause de cette proximité philosophique, la laïcité hors l’éducation, n’avait pas fait l’objet de réflexion approfondie et de textes spécifiques dans les services publics en général. Les principes de neutralité et d’égalité de traitement des usagés, se confondant dans les faits avec les principes de la laïcité. Ce n’est que récemment que des questions nouvelles se sont posées dans nombres de services publics, les hôpitaux et services de soins, les cantines scolaires, les prisons et lieux de rétention, l’école notamment. La loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (le statut de la fonction public) garantie la liberté d’opinion aux fonctionnaires et agents de la fonction publique. Dans une décision du 18 septembre 1986 le Conseil constitutionnel déduit du principe d’égalité, de valeur constitutionnel, le principe de neutralité du service public qui interdit que le service soit assuré de façon différenciée en tenant compte des convictions politiques ou religieuses, tant pour le personnel de l’administration que pour les usagers. Ce n’est que le 13 avril 2007 que le Premier ministre, après plusieurs rapports, dans une lettre aux ministres diffuse un texte de « Charte de la laïcité dans les services publics », leur demandant d’en assurer une large diffusion dans leurs services et qu’elle « soit exposée, de manière visible et accessible, dans les lieux qui accueillent du public ». S’il est possible de trouver cette charte après quelques recherches sur les sites intranet des ministères, elle est très peu affichée dans des lieux visibles au public comme aux agents. A noter que cette Charte est un texte qui n’a aucune valeur réglementaire ou légale. Il s’agit d’une simple lettre qui ne concerne que les services de l’Etat, la lettre n’est transmise qu’aux ministres et seuls les services des ministres y sont mentionnés. Elle n’intéresse ni les collectivités locales, sauf délibération des Conseils municipaux, généraux ou régionaux, ni les services publics de réseaux (transports, énergie, poste, télécommunications, eau, déchets etc…). Toutefois par sa forme comme par son contenu elle est utilisable dans tous les services publics. Dans les faits c’est la jurisprudence du Conseil D’Etat antérieure à la charte qui définit les conditions d’application du devoir de stricte neutralité qui s’applique à l’ensemble des services publics, sans qu’il soit nécessaire de distinguer selon la nature du service. Que dit cette charte : « Charte de la laïcité dans les services publics La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine de race ou de religion. Elle garantit des droits égaux aux hommes et aux femmes et respecte toutes les croyances. 3 Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, notamment religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. La liberté de religion ou de conviction ne peut recevoir d’autres limitations que celles qui sont nécessaires au respect du pluralisme religieux, à la protection des droits et libertés d’autrui, aux impératifs de l’ordre public et au maintien de la paix civile. La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes dans les conditions fixées par la loi du 9 décembre 1905. LES USAGERS DU SERVICE PUBLIC Tous les usagers sont égaux devant le service public. Les usagers des services publics ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralité du service public, de son bon fonctionnement et des impératifs d’ordre public, de sécurité, de santé et d’hygiène. Les usagers des services publics doivent s’abstenir de toute forme de prosélytisme. Les usagers des services publics ne peuvent récuser un agent public ou d’autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d’un équipement public. Cependant, le service s’efforce de prendre en considération les convictions des usagers dans le respect des règles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. Lorsque la vérification de l’identité est nécessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en découlent. Les usagers accueillis à temps complet dans un service public, notamment au sein d’établissement médico-sociaux, hospitaliers ou pénitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et peuvent participer à l’exercice de leur culte, sous réserve des contraintes découlant des nécessités du bon fonctionnement du service. LES AGENTS DU SERVICE PUBLIC Tout agent public a un devoir de stricte neutralité. Il doit traiter également toutes les personnes et respecter leur liberté de conscience. Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l’exercice de ses fonctions constitue un manquement à ses obligations. Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l’application du principe de laïcité dans l’enceinte de ces services. La liberté de conscience est garantie aux agents publics. Ils bénéficient d’autorisations d’absence pour participer à une fête religieuse dés lors qu’elles sont compatibles avec les nécessités du fonctionnement normal du service. » En conformité avec la jurisprudence la charte différencie le régime applicable aux usagers des services de celui des agents dont le comportement doit impérativement refléter la neutralité sous peine de sanctions. Les usagers sous certaines conditions qui touchent en général au prosélytisme et à l’ordre public peuvent manifester dans la plupart des services publics, à l’exception des écoles, collèges et lycées publics (loi du 15 mars 2004) leurs convictions religieuses par des signes distinctifs par exemple. Dans les faits cette charte est très peu connue des agents de la fonction publique et des autres services publics. Elle ne fait l’objet que de très peu de diffusion ou d’affichage contrairement aux directives du Premier ministre. Nous pouvons nous interroger si une telle charte ne devrait pas avoir un caractère réglementaire, être applicable dans tous les services publics quelque soit la nature du service et le statut juridique de l’organisme ou de l’entreprise chargée de fournir ce service, être intégrer dans les cursus de formations professionnels des agents et faire l’objet d’une large publicité et commentaires auprès des usagers. Le cas des crèches. Les crèches sont toutes, quel que soit leur statut, public ou privé, soumises à autorisation avant ouverture pour exercer leur activité. Elles doivent respecter des règles se sécurité et sanitaires biens spécifiques. Par ailleurs nous savons que des services publics peuvent être fournis sous la responsabilité et contrôle de la puissance publique par des entreprises ou des organismes privés. Ce n’est pas le caractère public ou privé de l’entreprise qui définit si telle ou telle activité est un service public mais la définition des missions de service public par la puissance publique responsable qui délègue à l’entreprise. Les exemples de services publics fournis par des entreprises privées ou mixtes sont nombreux dans notre pays, eau, déchets, équarrissage, transports publics, services sociaux. En France, la petite enfance activité fortement réglementé n’est pas qualifiée explicitement de service public. C’est normalement au gouvernement de le faire, mais toute autorité publique peut le faire dans le cadre de ses responsabilités sous le contrôle du juge. Le gouvernement et le parlement en avaient l’occasion cet automne avec la transposition de la directive services en excluant la petite enfance du champ d’application de la directive pour des raisons d’intérêt général comme l’ont fait la plupart des Etats membres de l’ UE. Ils s’y sont refusés, suivie par la majorité du Parlement. Qualifier la petite enfance de service public permettrait d’appliquer aux crèches quel que soit leur statut les principes du service public. Il est incompréhensible, quand l’on connait l’importance de cette période pour le développement harmonieux des enfants que les gouvernements ne l’aient pas fait. C’est donc toujours une bataille d’actualité. La HALDE comme toute autorité publique au lieu de s’attacher uniquement à la « nature privé » de la crèche si elle avait eu un raisonnement moins libertaire et plus tourné vers l’intérêt général dans le cas d’espèce aurait également pu s’appuyer sur les missions de la crèche pour raisonner service public plutôt que privé/public. Paris- Sénat le 10 décembre 2010 5