POGNEAUX Nathalie Psy 2A1 « En quoi haine et amour sont

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POGNEAUX Nathalie Psy 2A1 « En quoi haine et amour sont
POGNEAUX
Nathalie
Psy 2A1
« En quoi haine et amour sont-ils indissociables,
notamment dans les stades prégénitaux ».
Introduction
A la naissance, le Moi de l'enfant n'est pas formé et ce n'est que progressivement, et
notamment au contact de sa mère d'abord, puis de l'entourage, que va se
développer une ébauche du Moi. Depuis son plus jeune âge, le nourrisson est
penché sur ses propres désirs, condition nécessaire à sa survie. Les pulsions d'autoconservation construisent par étayage les pulsions sexuelles (non génitales), comme
la tétée ; l'enfant à faim, il tête le sein de sa mère par pulsion et réduit sa tension, ce
qui introduit une notion de plaisir, devenant l'embryon d'un plaisir auto-érotique.
Selon M. Klein, il existerait dés la naissance un moi capable d’éprouver de
l’angoisse, d’employer des mécanismes de défense et d’établir des relations
primitives d’objets. Selon elle, le bébé dès le début de la vie lutte entre la pulsion de
vie et la pulsion de mort. Cette coexistence va forcer le Moi faible du bébé à gérer
l’angoisse suscitée par le conflit.
M. Klein nomme « position schizo-paranoïde » la période qui concerne le premier
semestre de vie. Au cours de cette période, l'enfant éprouve des peurs, des
sentiments de persécution et de frustration, mais il éprouve également des désirs, de
la satisfaction et des sentiments de bien-être. Ainsi, selon les situations, l'enfant
passe quasi insensiblement de la haine à l'amour et de l'amour à la haine, comme si
ces deux sentiments étaient intimement liés. Dans les paragraphes ci-dessous, je
vais tâcher d'expliquer en quoi amour et haine sont indissociables et notamment
avant la période d'issue du complexe d'Œdipe.
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I – Un Moi précoce déjà très sensible
1) La mise en place de mécanismes de défense
Dès les premiers mois de vie, l'angoisse qui prédomine chez le nourrisson c'est que
le persécuteur ne détruise à la fois le Moi et l'objet idéalisé. En effet, M. Klein décrit
une grande avidité de la part de l’enfant. Il aurait envie de prendre à l’intérieur, du
ventre maternel, ce qu’il considère comme la source de tout ce qu’il y a de bon. Ce
qui créé en retour l’angoisse qu’on lui fasse subir la même chose (par des punitions
maternelles d’attaques, des morsures et des morcellements, dans le but de
reprendre ce qui lui a été volé). C’est ce que l’on peut appeler l’angoisse de
persécution. En réalité, l’enfant a peur d’être dévoré pour avoir lui-même voulu
dévorer le sein maternel. Il se sent persécuté, et interprète tout malaise intérieur ou
frustration comme venant de la mère.
L'enfant va alors chercher à se protéger par la maîtrise de ces fantasmes, grâce à
des mécanismes de défenses archaïques :
a) Le clivage :
C'est un processus par lequel le Moi peut se scinder pour faire face à une réalité
dangereuse, ici il tend à séparer les bonnes et les mauvaises parties de l’objet. De
plus le clivage permettra à l’enfant de canaliser son agressivité en la projetant sur le
mauvais sein (projection), et de tenir ainsi éloigné les objets destructeurs. Le clivage
est un système très protecteur, car la bonne mère permet de le protéger de tous les
mouvements d’agressivité. Et la mauvaise mère est le support de son agressivité. A
la représentation clivée de la mère répond une représentation de lui-même scindé en
deux : le bon bébé, qui est plein d’amour, de gratitude envers sa mère, et le mauvais
bébé, qui est plein d’agressivité et d’envie.
b) L’introjection :
C'est l'opération psychique qui permet au sujet de localiser à l'intérieur de lui ce qui
se situe en fait à l'extérieur. La tendance naturelle est d'introjecter les bons objets à
l'intérieur de soi pour fortifier son Moi.
Le clivage permet à l’enfant de conserver un bon sein qui le rassure et grâce a
l’introjection, il aura tendance à le mettre à l’intérieur de lui pour conserver le bon
sein. L’introjection, est un mécanisme très important car il protège le moi contre le
besoin de l'objet, puis contre la dépendance et vise à restaurer son équilibre interne,
puis son autonomie.
c) La projection :
C'est une opération psychique qui permet au sujet de localiser à l'extérieur ce qui se
situe en fait à l'intérieur de lui. Il attribue donc à une autre personne les affects dont il
ne peut se protéger et qu'il refuse de reconnaître en lui-même. Par l'identification
projective, l'enfant se projette fantasmatiquement à l'intérieur de la mère pour y
exercer sa toute-puissance (elle aussi fantasmée) : possession, voire destruction du
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corps de la mère, contrôle des objets précédemment projetés dans la mère (pénis du
père, autres enfants...).
2) Le Moi et les relations d'objet
Les premières expériences du nourrisson avec sa mère constituent pour lui sa
première relation d’objet. Il s’agit d’une relation à un objet partiel qui correspond à
une partie de la personne ou à un symbole de celle-ci, car les pulsions orales du
bébé sont dirigées uniquement vers le sein de la mère. De part le clivage, le sein est
senti comme bon ou mauvais en fonction des expériences de gratification ou de
frustration.
Le sein est vu comme « nourricier » parce qu’il représente pour le nourrisson
quelque choses qui possède tout ce qu’il désire ; il est source inépuisable de lait et
d’amour (…) Ainsi il est le premier objet à être envié par l’enfant.
A l’opposé, le sein qui le « prive » est ressenti comme mauvais, comme s’il gardait
pour son propre compte le lait, l’amour et les soins qui se trouvent associés au bon
sein. L’enfant se met à haïr et à envier ce sein avare. Finalement, l’enfant tourne vers
le corps de sa mère tout ses désirs libidinaux, mais à cause de sa frustration, de
l’envie et de la haine, il dirige aussi toutes ces pulsions destructrices.
Si les bonnes expériences sont plus fréquentes que les mauvaises cela permet à
l’enfant, par le biais de l’objet idéalisé, de se concevoir comme une unité. Dans le
cas contraire, par le biais de l’objet persécuteur, l’enfant va être enclin à des
angoisses d’anéantissements et de morcellement. C’est pourquoi, le non
dépassement de cette position peut aboutir à une non unification du moi et plus tard,
à des psychoses graves.
Vers le 6éme mois, l’enfant passera par la position dépressive, se rendant compte de
l’ambivalence de l’objet il va développer une culpabilité envers ses attaques
agressives, il voudra donc réparer l’objet. C’est dans cette position que l’enfant prend
un peu plus conscience de la réalité. M. Klein ayant évolué dans sa pensée, on
considère aujourd’hui ces positions comme renvoyant davantage à des états
momentanés d'organisation du moi, subissant des fluctuations incessantes.
La succion indépendante des nécessités alimentaires devient aussi un plaisir, c'est le
type de plaisir du narcissisme primaire. C'est l'entrée de l'enfant dans le stade autoérotique (jusqu'au complexe d'Œdipe) : se sucer le pouce, téter le sein, agripper ses
pieds, etc. Si l'occasion lui est donnée de satisfaire ce plaisir, l'enfant va s'attacher à
l'objet de plaisir ; le sein, le biberon avec lesquels il aime tant jouer même quand il
n'y a plus de lait. L'enfant aime ce qu'on lui met à la bouche et par extension la
présence de sa mère, nécessairement liée au plaisir de la tétée et à tous les
moments de sensation voluptueuse comme le bain, la toilette, le bercement. Au
cours des premiers mois, le nourrisson ne différencie pas son propre corps de celui
de l'objet et du monde extérieur. Il pense que sa mère, le sein, le lait, tout, fait partie
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de lui-même. Peu à peu l'enfant s'identifie à sa mère, c'est l'identification primaire.
Cette identification se fait à ce stade, sous un mode oral, c'est-à-dire que l'enfant
incorpore sa mère et par là-même ses qualités et sa toute puissance : le Moi. Ce
fantasme, vécu comme une réalité par l'enfant serait à l'origine de la formation du
Moi Idéal, formation narcissique et inconsciente. La distinction entre son corps et son
environnement se fera au fur et à mesure que son contrôle sur les choses lui
semblera limité.
II - L'ambivalence des sentiments
1) Le rôle des pulsions
Dans l'introduction, j'ai abordé l’opposition entre pulsion de vie et pulsion de mort.
« L’amour concentré sur l’objet offre lui-même une autre polarité de ce genre : amour
proprement dit (tendresse) et haine (agression) ». Freud soulève ainsi tout le
problème de l’ambivalence des sentiments, dont la complexité a éveillé l’intérêt de
plus d’un auteur mais dont on retiendra essentiellement les travaux de Mélanie Klein.
L’apport de cet auteur est sans conteste le plus abouti et le plus révélateur
concernant
la
notion
d’ambivalence.
Mais d'après la phrase de Freud citée ci-dessus, c’est la notion de sadisme qui
introduit l’ambivalence des sentiments. En effet, au cours de la phase orale, l’amour
se confond avec la possession amoureuse qui deviendra un amour possessif, et il
est concomitant avec le désir de destruction de ce même objet si convoité : c’est le
stade sadique-oral, décrit par K.Abraham et précisé par M.Klein. Se confondent
durant cette période, à la fois le plaisir oral lié à l’activité buccale et à la sensation de
fusion avec la mère, le fantasme d’être absorbé par l’objet/sein et celui d’incorporer
ce même objet/sein en le dévorant. Le bébé est alors sous l’emprise de pulsions de
type agressif, pulsions de destruction qui se traduisent par des crises de larmes
coléreuses, avec parfois des suffocations. On constate ainsi la complexité des
sentiments qu’inspire l’objet au nourrisson, objet à la fois désiré, et ressenti comme
dangereux.
Pour Freud, l’ambivalence va poursuivre son chemin et évoluer avec l’individu, et
quand celui-ci atteint la phase génitale, la tendance sadique se sera détachée et
mènera
en
quelque
sorte
sa
«
propre
vie
».
Par le mécanisme du déplacement, toutes les tendances amicales, tendres,
amoureuses, éveillent aussi des sentiments de vengeance, de cruauté, de haine.
Pour Freud, la haine s’attache aussi à la pulsion de conservation. Il s’agit alors d’une
haine instinctive, nécessaire à la survie. Il est le premier à reconnaître le déplaisir
que l’on éprouve à considérer cette notion comme vraie : « nous nous serions
attendus à ce que le grand amour eut depuis longtemps vaincu la haine ou eut été
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dévorée par celle-ci. Et c’est bien cela que la conscience humaine a du mal à
admettre, parce que nous désirons, depuis que notre surmoi a appris à s’exprimer,
aimer parce que c’est bien, et ne plus haïr parce que c’est mal. Il en va tout
autrement dans le monde de l’inconscient. Dans l’inconscient, il n’est ni de bien ni de
mal, et c’est précisément parce que ce conflit entre l’amour et la haine est
inconscient qu’il est possible ». Tout objet aimé est haï, il est en quelque sorte haï ne
serait-ce que parce qu’il est aimé : l’objet aimé (et l’on en tient pour preuve le tout
premier objet d’amour connu) fait souffrir parce qu’il est incontestablement frustrant.
Nul objet n’est à la hauteur de ce que le Ça désire, nul objet n’a le pouvoir de
satisfaire entièrement les attentes inconscientes de l’être humain, parce que celui-ci
souhaite parfait ce qui ne peut l’être par définition (l’autre) et dont il n’a pu avoir la
notion d’existence que durant la vie intra-utérine.
Ainsi le « savoir-aimer » ne s’acquiert qu’au prix de la frustration, mais une fois
acquis, il lui en coûte tout de même un résidu de haine refoulé, au mieux, sublimé.
C’est en cela aussi que l’homme puise sa volonté d’avancer : c’est dans la
satisfaction relative (non totale) que l’individu recherche et donne l’amour. Il lui faut
simplement savoir user de ses sentiments hostiles à bon escient par le processus de
la sublimation.
2) Agressivité et haine : quelle différence ?
Contrairement à Freud, Lacan distingue haine et agressivité. Le premier considère
agressivité et haine comme pulsions issues toutes deux de Thanatos, l’autre pose
une différence entre ce qu’il considère comme la destruction exprimée par
l’agressivité et la méchanceté qu’exprime la haine. C’est ainsi que Lacan crée le
néologisme
« hainamoration ». La haine/méchanceté s’exprime pour
Lacan dans ce que l’autre refuse de nous, dans le désir de faire du bien et qui par-là
même aboutit au mal. C’est en quelque sorte un jeu de miroir interactif aboutissant à
la haine, car dit-il, « la vraie amour débouche sur la haine ». Si la nuance entre haine
et agressivité dans la « vision lacanienne » des choses n’est finalement que d’une
moindre importance (puisqu’il s’agit de prendre tous signes d’hostilité comme
représentatifs de la haine et inhérents à l’amour), le lien entre l’amour et la haine est
à
nouveau
mis
en
évidence.
Si la pulsion agressive, (la haine), est rangée du côté de Tanathos, il faut cependant
établir une nuance quant à cette « classification », permettre une compréhension
plus ajustée de la pulsion agressive : elle est indissociable de la pulsion de vie, car
sans elle, l’être humain est condamné à la platitude, à l’apathie et à l’inhibition. Il faut
une certaine dose d’agressivité pour oser s’opposer à l’autre, pour parler à l’inconnu,
pour affronter la vie de tous les jours. La haine n’est par ailleurs pas toujours dirigée
vers les autres, elle est parfois totalement intériorisée, il arrive que la pulsion
agressive se retourne contre le Moi : le Surmoi veille à ce que les pulsions hostiles
n’atteignent jamais la conscience. Parce que haïr est culpabilisant, d’autant plus
lorsqu’il s’agit de personnes que l’on aime, ou pire, que l’on se doit d’aimer.
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Certaines personnes se sentent si coupables des puissantes pulsions hostiles
ressenties dans la petite enfance (jalousie d’un frère, d’une sœur, puissant désir
érotique pour l’un des deux parents et intolérance à la frustration…), qu’elles
deviennent des adultes insatiables d’amour, à qui l’on ne dit jamais assez souvent, ni
assez fréquemment qu’on les aime, parce qu’elles ont besoin d’être rassurées sur
leur propre compte. Elles ont besoin d’entendre qu’elles sont dignes d’être aimées, et
ont besoin qu'on le leur prouve, parce qu’elles se sentent elles-mêmes incapables
d’aimer
dans
la
mesure
où
elles
ont
haï.
III – Amour et Haine selon Melanie Klein
Melanie Klein s’est particulièrement attardée sur les notions contraires et pourtant
indissociables d’amour et de haine, et ses travaux ont apporté une dimension plus
« humaine » à la théorie psychanalytique ; une approche plus sensible que celle de
la théorie freudienne. Karl Abraham et Melanie Klein se sont plus attachés à la
compréhension de l’amour que l’on porte à l’objet qu’à la fonction d’objet d’amour en
tant que procurateur de plaisir. Il s’agit donc d’une vision plus en harmonie avec la
conception élargie et commune de l’amour, c’est à dire dégagée de son aspect
«
intéressé ». Klein établit un équilibre entre les deux concepts, en intégrant la haine
de façon explicite dans son propos, mais en induisant la notion de désir de «
réparation » quant à cette haine. Il ne s’agit pas là d’un simple compromis permettant
de concilier la réalité d’un amour à la base intéressé et la volonté d’un amour
désintéressé, mais des résultats d’une expérience clinique : en quelque sorte, c’est
grâce à l’amour que l’on porte aux autres que l’on répare la haine éprouvée à l’égard
de ceux que l’on a aimé, par-là même, on se dégage d’un fort sentiment de
culpabilité. En outre, l’amour vient réparer la haine qui trouve son origine dans la
période orale, période concomitante selon Klein à un Œdipe précoce. C’est une
période dite dépressive, générée par la perte de l’objet partiel au bénéfice de l’objet
total : l’ambivalence des sentiments causée par cette insatisfaction engendre
culpabilité et demande de réparation.
Pour Melanie Klein, il existe un amour au-delà de l’amour intéressé, même s’il est lié
à la satisfaction : le plaisir obtenu engendre un sentiment de gratitude envers l’objet
qui dispense ce plaisir. Le plaisir induit donc à la fois gratitude et désir, désir de
retrouver la satisfaction de plaisir, et l’amour dépend de l’harmonie entre les deux :
l’envie seule au détriment de la gratitude n’est plus de l’amour. Pour que puissent
cohabiter les deux, le nourrisson use d’un compromis : le clivage entre l’amour et la
haine. L’objet d’amour est à la fois envié et haï lorsqu’il est absent et donc non
satisfaisant (frustrant), et il est aimé comme objet idéal lorsqu’il est présent, et donc
satisfaisant. Cette défense est déstabilisante pour l’enfant qui voit ses sentiments
s’inverser d’un instant à l’autre, mais nécessaire à la construction psychique qui lui
permettra peu à peu, en intégrant l’ambivalence au détriment du clivage d’aimer
l’objet dans sa totalité : aimer au sens où amour et haine cohabitent, sans se
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détruire,
et
où
la
dominante
reste
généralement
l’amour.
1) Le « bon » et le « mauvais » sein
Les recherches de Melanie Klein, centrées sur les conflits précoces survenant dans
la relation mère / enfant, l'amènent à distinguer deux moments dans la première
année de la vie, caractérisés chacun par une « relation d'objet » particulière, c'est-àdire une façon d'appréhender l' « objet » et de se situer par rapport à lui.
Le premier de ces moments, dit « position schizo-paranoïde », couvre les trois ou
quatre premiers mois de la vie. À cette période, le nourrisson établit des relations
avec un « objet partiel », principalement le sein de la mère, sur lequel sont projetées
les pulsions libidinales (instinct de vie) et les pulsions agressives, « sadiques
orales », alors particulièrement violentes. De ce fait, le sein maternel est partagé en
« bon » et « mauvais » objet. Lorsqu'il procure du plaisir, il est le « bon sein aimé » et
oriente la pulsion de vie à l'extérieur ; lorsqu'il ne donne pas ces satisfactions et qu'il
est frustrant, il devient le « mauvais sein haï et persécuteur », support de la pulsion
agressive. Corrélativement au clivage de l'objet, il se produit un clivage du moi (un
« bon moi » et un « mauvais moi »), en sorte que les aspects « bon » et « mauvais »
restent séparés et que le « bon objet » ne puisse être détruit.
A la suite de cette période, vers le quatrième mois et jusqu'à la fin de la première
année, une meilleure organisation des perceptions permet au bébé de mieux se
situer. Sa mère est appréhendée dans sa totalité, en tant que personne distincte de
lui et qui, tantôt présente, tantôt absente, établit des relations avec d'autres individus.
C'est alors que s'instaure la position dépressive dont le point culminant est atteint
vers le sixième mois. À l'« objet total » se rapportent, désormais, les pulsions
libidinales et les pulsions destructrices. C'est le même « objet », la mère, qui est à la
fois aimé et haï. L'enfant fait l'expérience de l'ambivalence, génératrice de culpabilité.
De là, naissent des formations réactionnelles telles que le désir de réparer les
dommages qu'il lui cause dans ses fantasmes ; les mécanismes de projection
s'atténuent tandis que ceux de l'introjection s'intensifient. Conjointement, le Moi,
cessant de se fragmenter en composantes « bonnes » et « mauvaises », tend vers
une meilleure intégration. La position dépressive est surmontée lorsque le « bon
objet » est introjecté d'une manière stable et durable.
2) L'Angoisse dépressive
Mélanie Klein situe l’angoisse dépressive comme point critique au milieu de la
première année. À ce moment, l’angoisse persécutive a diminué, bien qu’elle joue
encore un rôle important. L’angoisse dépressive se rapporte à des dangers ressentis
comme menaçant l’objet aimé, essentiellement à travers l’agressivité du sujet. Ces
angoisses surgissent de l’ambivalence du nourrisson : tout se passe comme s’il avait
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peur que sa haine et ses pulsions destructrices n’anéantissent l’objet dont il dépend
entièrement et qu’il aime.
Cette angoisse proviendrait des processus de synthèse dans le Moi de l’amour et de
la haine, par suite de l’intégration croissante des bons et des mauvais objets. Ces
bons et mauvais objets se rapprochent dans l’esprit de l’enfant, permettant une
certaine intégration, ce qui représente une précondition pour l’introjection de la mère
en tant que personne complète. Si le nourrisson est mieux intégré, il peut se souvenir
de l’amour pour le bon objet et le conserver, même lorsqu’il le hait. Comme le dit
Mélanie Klein dans
« Contribution à la psychogenèse des états maniacodépressifs » (1935) : « En franchissant cette étape, le moi atteint une nouvelle
position, qui donne assise à la situation que l’on appelle perte de l’objet. »
La perte de l’objet ne peut pas être ressentie comme une perte totale avant que
celui-ci ne soit aimé comme un objet total. Dans cette situation, le nourrisson
éprouve différents sentiments, de nostalgie, de perte, de tristesse, mais aussi un
sentiment de culpabilité, qui menace l’objet interne comme s’il était dû aux propres
pulsions et fantasmes du nourrisson. Celui-ci se trouve alors exposé au « désespoir
dépressif ». Il y a fluctuation constante entre l’angoisse de persécution, lorsque la
haine est la plus forte et l’angoisse dépressive, lorsque l’amour l’emporte sur la
haine.
Un apport important de Mélanie Klein est que le sentiment de culpabilité est lié à
cette angoisse dépressive. Il se rapporte au mal qui aurait pu être fait, sous-tendu
par les désirs cannibaliques et sadiques. Rappelons que la position dépressive
commence à la phase orale de développement, au cours de laquelle aimer c’est
dévorer. Cette culpabilité suscite alors le besoin pressant de réparer l’objet aimé, de
le préserver ou le ranimer. Ce besoin approfondit les sentiments d’amour et promeut
les relations d’objet. Au moment du sevrage, le nourrisson sent qu’il a perdu le
premier objet aimé, le sein de la mère, à la fois comme objet externe et comme objet
introjecté. Il peut attribuer cette perte à sa haine, à son avidité et à son agressivité.
Le sevrage accentue les sentiments dépressifs et équivaut à un état de deuil. Ces
deux formes d’angoisse, persécutive et dépressive, comprennent toutes les
situations d’angoisse que traverse l’enfant et sont souvent mêlées. Les peurs d’être
dévoré, empoisonné, châtré, attaqué à l’intérieur du corps, se rangent dans la
rubrique de l’angoisse persécutive. Toutes les angoisses se rapportant à l’objet aimé
sont dépressives.
Conclusion
Aucun des grands courants psychanalytiques n’a réfuté le lien entre l’amour et la
haine, ce sont les approches qui diffèrent. L’un et l’autre sont à ce point couplés que
souvent, celui autrefois tant aimé peut devenir objet de haine, que tout ce qui avait
été séduisant et chéri dans l’autre peut soudainement ou progressivement être
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transformé en haine, dégoût, mépris, aussitôt que l’objet n’est plus satisfaisant et
qu’il est alors, comme par le passé (infantile), frustrant. J.Mac Dougall, a écrit : « le
contraire de l’amour n’est pas la haine - elle en est bien trop proche - mais
l’indifférence ».
Si l’on considère la pensée kleinienne par rapport à la pensée freudienne, on se rend
compte que l’aspect purement théorique freudien et l’approche plus sensible
kleinienne ne sont pas antinomiques : à savoir que d’une part, pour l’un comme pour
l’autre, c’est de la haine qu’exprime le premier affect du bébé envers l’objet ; l’amour
y est postérieur, et d’autre part, si l’amour est issu de la recherche d’une baisse de la
tension pulsionnelle, (éviter le déplaisir), il naît de cette satisfaction un sentiment
d’attachement affectif envers l’objet qui fait du bien, une gratitude que l’on peut
considérer à tort ou à raison comme désintéressée. Car bien que l’objet soit aimé en
son temps parce qu’il a été gratifiant, si l’objet cesse de donner satisfaction, à partir
du moment où l’enfant est en mesure de reconnaître physiquement l’objet en tant
que personne, il restera une part d’amour vouée à cet objet, et ce, même s’il est haï
pour cet abandon. L’amour porte en lui une sorte de nostalgie du plaisir d’aimer, et le
souvenir sensuel du plaisir que nous procurait cet objet resté actif pendant
longtemps. C’est pourquoi, il est si difficile d’oublier un être aimé qui disparaît, même
si celui-ci a choisi de disparaître et donc de nous faire du mal.
Dans un premier temps, la haine peut servir de défense, mais une fois cette haine
disparue de la conscience, reste la mémoire de l’amour porté à l’objet. Si le deuil
s’est correctement établi, on ne parlera sans doute plus d'un amour vivant, mais
plutôt d'un amour qui se situe dans le souvenir, dans le passé, et dont la trace
mnésique permet de pouvoir faire appel à la remémoration de cet état pour ressentir
à nouveau ce qu’est l’amour, d’avoir en mémoire quelque chose qui était ressenti
comme bon. L’amour étant alors porté à l’objet que l’on a connu, il me semble alors
plus approprié de parler d’une forme de nostalgie, qui n’en inclut pas moins la notion
d’amour.
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