Le discours de Barbara Hendricks

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Le discours de Barbara Hendricks
PRIX JEAN PIERRE-BLOCH
INTERVENTION MADAME BARBARA HENDRICKS
Palais de l’Elysée le 8 décembre 2015
Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
Monsieur Jakubowicz,
Madame Benayoun,
Militants de la Licra
Mes Amis
C’est un immense honneur de recevoir le Prix Jean-Pierre Bloch, ici,
à l’Élysée, aujourd’hui. Cela me rend très humble. Parce que je
n’aurais jamais eu le courage, ni la conviction de devenir la
citoyenne que je suis aujourd’hui sans l’engagement de tous ceux
et celles qui, comme Jean- Pierre Bloch, ont milité avant moi, et
sans tous ceux qui sont en train de le faire en ce moment, partout
dans le monde. Le 10 décembre 1948, la Déclaration universelle
des droits de l’homme fut ratifiée par l’Assemblée générale des
Nations Unies à San Francisco. J’avais vingt jours. Mes parents
n’avaient pas entendu parler de cette déclaration mais ils
connaissaient très bien les lois de la ségrégation, les lois Jim Crow.
Je suis née comme une réfugiée dans mon propre pays ; je ne
bénéficiais ni de la même protection devant la loi, ni des mêmes
droits inaliénables que n’importe quel enfant blanc né le même
jour, au même endroit. Enfant, j’ai été témoin de la lutte pour les
droits civiques menée par Martin Luther King. Le 4 juillet 1964, je suis
devenue une citoyenne à part entière, avec tous mes droits. Mais
plus important encore, j’ai reçu les devoirs et les responsabilités
d’une citoyenne. C’était pour moi la vraie liberté. J’ai ainsi décidé
de faire tout mon possible pour promouvoir et défendre les droits
humains pour tous, partout et toujours.
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Il y a une malédiction qui dit « Puissiez-vous vivre à une époque de
désordre et trouble ». On ne peut le nier, l’époque où nous vivons
est pleine de dangers et d’incertitudes. Nous devons faire face à
de multiples crises : (i) Une crise économique mondiale due aux
erreurs impunies de la mauvaise gestion des banques et des
institutions financières, avec des conséquences désastreuses qui
ont fait dérailler l’économie globale: la hausse du chômage, un
niveau obscène des inégalités, des mesures d’austérité qui
frappent injustement les plus faibles de nos concitoyens. (ii) Une
crise écologique urgente : la onzième heure a sonné, il nous reste
si peu de temps pour sauvegarder le seul habitat vivable pour
l’homme, mais nous continuons à consommer inutilement et à
empoisonner l’air, l’eau et la terre. (iii) Une crise humanitaire : des
conflits qui forcent des millions de familles à fuir pour sauver leurs
vies. Il y a aujourd’hui presque 60 millions de réfugiés dans le
monde. Et il y a la menace du terrorisme, un fléau frappant des
civils innocents partout dans le monde, une haine nourrie, en
partie, par des guerres illégales et immorales faites en notre nom.
Encore plus grave, nous traversons une crise morale. Nous n’avons
pas de vision capable de nous inspirer pour l’avenir, de nous
inciter à nous engager et à donner un espoir aux générations
futures. Nous avons laissé depuis trop longtemps les marchands de
la peur, de la haine et de l’exclusion sur le devant de la scène. Ils
sont aidés par les medias en quête de sensationnalisme et de
profits, ils encouragent des phrases chocs qui meurtrissent.
Les solutions qu’ils proposent aux maux de notre société sont le
repli sur soi, ils nous incitent à fermer les yeux, à fermer les frontières
et nos portes, à fermer nos cœurs à tout et à tous ceux qui sont
différents. Ici, en Europe, nous connaissons trop bien cette
musique des années 1939-1945 qui nous a menés dans les
moments les plus sombres de notre Histoire. Pourtant, j’ai la
conviction que les crises de cette « époque de désordre et
trouble » nous proposent des opportunités, des ouvertures, des
occasions de voir les choses différemment et d’agir différemment.
Si nous sommes vivants aujourd’hui, c’est parce nous devons faire
face aux défis qui nous échoient et que nous avons en nous la
force de le faire. Il faut saisir ce moment avec courage et
audace. Comment trouver notre vision? Pas en regardant ailleurs.
Il faut chercher au fond de nous-mêmes, en renouant avec nos
valeurs. Les valeurs d’un pays comme la France et les valeurs de
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cette union qu’est l’Europe. A la fin de cette longue nuit que fut la
seconde Guerre mondiale, l’Europe, comme le Phénix, renaquit
de ses cendres et une nouvelle union vit le jour. Elle fut créée pour
apporter la paix, la stabilité et la prospérité, favoriser des droits
humains, la solidarité sociale, le partage équitable des fruits de la
croissance, le droit à un environnement protégé, et le respect de
la diversité culturelle, linguistique et religieuse. C’est une union
fondée sur les valeurs de la dignité humaine, de la liberté, de la
démocratie et de l’égalité de tous. Voilà une vision, telles sont les
valeurs avec lesquelles nous devons vivre chaque jour, à chaque
instant, avec toutes personnes et avec tous ceux qui nous
entourent. Pendant mes concerts, il y a souvent un moment, une
milli–seconde pendant laquelle j’ai l’impression que nous
entendons la musique d’une seule oreille, que nous vibrons sur une
même corde. Et je crois que cette corde est la même que celle
dont est issue la Déclaration universelle des Droits humains. En ce
moment, nous nous souvenons que chacun de nous fait partie de
la famille de l’humanité. Cette vision peut nous mener sur un
chemin illuminé par la lumière de nos âmes et chauffé par la
compassion de nos cœurs. La liberté n’est pas donnée, elle est
gagnée et exige constance et vigilance. Il faut oser regarder celui
qu’on appelle « l’autre », différent voire menaçant, en l’appelant
mon frère, ma sœur, mon enfant. On ne riposte pas à la haine
avec davantage de haine. Il ne faut pas prendre le risque de
perdre notre humanité en tentant de sauver l’humanité. La
lumière vaincra toujours l’obscurité et l’amour est la seule arme
contre la haine. Les enjeux n’ont jamais été si importants. Nous
n’avons pas le droit d’échouer ; pour nos enfants et nos petitsenfants. Un échec serait tout simplement inacceptable. « Tous les
êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils
sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns
envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Paris le 8 décembre 2015 à l’Elysée. Prix Jean Pierre-Bloch
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