FORMATION SUR LE FILM Frankenstein de James Whale

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FORMATION SUR LE FILM Frankenstein de James Whale
FORMATION SUR LE FILM
Frankenstein
de James Whale
Le mercredi 16 octobre 2013, l’association Collège au Cinéma 37 recevait Stéphan Krezinski, réalisateur,
scénariste et enseignant, pour parler du film Frankenstein de James Whale programmé pour les élèves de
4ème/3ème.
I - Le livre de Mary Shelley
Stéphan Krezinski trouve intéressant de mettre en place une lecture en parallèle à la projection pour montrer
les différences. Dans le livre, la créature sait parler, son corps est normal avec des problèmes alors que dans
le film, le monstre est fait de plusieurs parties du corps humain et ne parle pas. L'éclairage est différent. Ce
livre n'est pas dans l'expressionnisme mais dans le romantisme avec quelque chose d'un peu brumeux et
surtout, une douceur dans l'écriture. Mary Shelley a une manière très douce, psychologique et humaine
d'appréhender les personnages. En 1816, Mary Shelley alors âgée de 19 ans et son mari, Percy Bysshe,
passent leurs vacances en Suisse avec Lord Byron, sa sœur Claire et John Polidori pendant des intempéries.
Chacun décide alors d'écrire une histoire et seule Mary Shelley finit son livre : Frankenstein ou le Prométhée
moderne. La référence au mythe Grec, Prométhée, n'est pas anodine car il est censé avoir créé l'être humain
avec de la terre et avoir apporté le feu. Concrètement chez les Grecs, il avait donné le feu aux Hommes car
c'était le seul animal nu. Vu qu'Il se réchauffait, l'Homme n'était pas tributaire de son environnement et Il s'est
mis à penser, vouloir conquérir le Monde.
Le caractère sombre du roman semble refléter les tourments de Mary Shelley, profondément marquée par le
décès de sa mère, le suicide de sa demi-sœur, la mort prématurée de tous ses enfants, à l'exception de son
seul fils et par la noyade en 1822 de Percy Shelley (dossier pédagogique CNC, ndlr).
Visionnement du prologue de la suite du film Frankenstein, La fiancée de Frankenstein.
Il intègre les écrivains présents dans cette même maison où Mary Shelley a écrit Frankenstein. Cette manière
est très habile pour intégrer la suite du livre.
Dans le film, Elizabeth et Victor sont au service de la narration.
Le Golem et Metropolis sont des films fondamentaux pour la genèse de Frankenstein. Ce film s'est nourri
thématiquement par Le Golem et formellement par Metropolis.
II – Distribution
1/ James Whale :
Cet Anglais a une formation de peintre et d'écrivain dramaturge.
A 25 ans, il est engagé dans la première Guerre Mondiale et est fait prisonnier par l'armée allemande. Il se
prend alors d'affection pour le théâtre et l'écriture. A 40 ans, il commence sa carrière de réalisateur avec
l'expérience de la guerre 14-18 et le camp de prisonnier. La première Guerre Mondiale a donné deux choses
en Allemagne : la peinture folle d'après-guerre faite par des artistes comme Bergman ayant vécu la guerre et
donnant ainsi lieu à de la peinture du surréalisme (rejet de la réalité en la mettant en carré) et le cinéma
surréaliste comme Le Chien andalou ou Frankenstein.
Il a collaboré au film d'Howard Hughes, Hell's Angels.
Il a réalisé The Old Dark House après Frankenstein puis The Invisible Man.
Avec le début du Code Hays, By Candlelight a été censuré en raison de sa violence et du traitement du sujet
de l'adultère et The Road Back, véritable pamphlet contre la guerre et le nazisme en 1937.
2/ Boris Karloff :
Sa création dans le film est tellement puissante qu'il y a une confusion entre le monstre et Frankenstein. Cette
confusion est très intéressante au niveau symbolique car ils sont ainsi intimement liés comme si c'était un
même personnage coupé en deux.
Il a tourné dans des rôles secondaires mais importants pour Howard Hugues, John Ford...
III - Scénario
Le dossier explique que le film est en deux parties :
 la montée de la tension de la création du monstre que le spectateur ne voit pas mais qu'il découvre
petit à petit.
 basculement vers l'action et la violence avec l'affrontement final entre le créateur et la créature.
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Il y a un usage de l'ironie dramatique remarquable : le docteur Frankenstein envoie Fritz chercher un cerveau
et ce dernier fait tomber le bon cerveau et prend celui d'un criminel. D'emblée, le spectateur sait que
l'expérience ne va pas réussir et le docteur Frankenstein l'apprend par le professeur Waldman.
IV - Thème
Le thème principal du film est la création illicite : l'interdiction morale mais d'ordre sociale est franchie qui
aboutie à une violence de l'ordre naturel voire divin. Dans le film, il y a un exergue devant un rideau qui nous
annonce que le film traite des mystères de la Vie et de la Mort ; cela permet de mettre en valeur le film.
Extrait de Frankenstein : 1ère séquence dans le cimetière
Le docteur Frankenstein déterre un corps en faisant un pied de nez à la Mort en envoyant de la terre sur la
statue représentant la faucheuse. Ce geste annonce la problématique du film, le docteur Frankenstein va
défier la Mort littéralement. Dans la première séquence analysée dans le livret pédagogique, le professeur
Waldman lui dit qu'il ramène les morts à la vie et le docteur Frankenstein le contredit car pour lui, il recréé la
vie elle-même en prenant plusieurs morceaux de corps.
Le pays décrit dans le film est improbable, imaginaire qui mélange l'Autrice, la Transylvanie et qui navigue
entre le Moyen Âge et les années 30.
Frankenstein est un orgueilleux qui veut sans doute atteindre lui-même l'immortalité et qui veut montrer son
expérience à son professeur, sa fiancée et son meilleur ami.
Le code Hays était en vigueur à la sortie du film en 1931 et James Whale avait proposé une fin alternative :
 le film se termine avec la survie du professeur
 le film se termine avec la mort des deux protagonistes.
Dans le système puritain américain, le professeur Frankenstein devait être puni et les Américains avaient
choisi la mort des deux protagonistes.
V – Personnages
Le savant fou, docteur Frankenstein, a des antécédents dans l'impressionnisme (Docteur Caligari du film
Metropolis et Dr Jekyll). A partir de la guerre et les implications de la science dans la guerre, le savant devient
le manipulateur, l'apprenti sorcier qui créé le mal alors qu'auparavant, le savant était vu comme un rêveur, le
fou, le poète. On retrouve une thématique de James Whale liée à la première Guerre Mondiale. Cette
conception du savant change au fil du film et devient de plus en plus noir : il créé le Mal. Le monstre n'a pas de
nom mais adopte celui de son créateur.
Fritz fait les bas œuvres de son maître, le docteur Frankenstein qui le rabaisse mais lorsque Fritz se trouve
avec le monstre, il lui fait subir les pires sévices. Il a même un comportement sadique qui lui vaut d'être pendu
par la créature.
La créature est « le plus célèbre personnage de l'histoire du cinéma sans état civil a souvent reçu le nom de
son créateur. La confusion entre le savant et son monstre est telle que beaucoup croient encore que
Frankenstein est le nom de la créature. La complexité de ce personnage est due en grande partie à sa création
in abstracto qui le place à la frontière de l'être humain et du zombie. Une nature diffuse signalée dans le texte
original par l'utilisation du pronom « it », relatif aux choses et aux objets dans la langue anglais, pour désigner
la créature. Physiquement, le monstre porte les stigmates de ses origines morbides, symbolisées par les
cicatrices de son assemblage expérimental. Le comportement de la créature est celui d'un être qui s'éveille à
la vie, à la fois apeuré et curieux de ce qu'il découvre. Ne sachant parler, il s'exprime par grognements,
soulignant un peu plus son côté bestial. Mais son humanité surgit également par le son, après la noyade de la
petite fille, lorsque ses grognements se transforment en cris. En tuant la seule personne n'ayant aucun préjugé
à son égard, la créature court à sa perte tout en devenant la vraie victime des expériences de Frankenstein,
mélange de maladresse et de force, de faiblesse et de violence, rejetée en raison de son apparence
repoussante. » (dossier pédagogique du CNC)
Frankenstein est à la lisière du fantastique (outrepasse la loi de la nature et de la physique connues) et de la
science-fiction. Le rêve de Frankenstein pourrait peut-être devenir réalité.
VI – Expressionnisme : mettre à l'extérieur des éléments de ce qu'il se passe à l'intérieur des personnages.
Les enseignants peuvent introduire le film en parlant aux élèves de Tim Burton avec les films comme
Frankenweenie ou Edward aux mains d'argent. Il est intéressant de comparer Frankenstein avec ceux de Tim
Burton car ce dernier montre les « presque-morts » et les morts sont plus marrants que les vivants (Noces
Funèbres). Tim Burton parle d'une thématique actuelle pour les jeunes car ils connaissent son œuvre.
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VII - Mise en scène
Nous sommes dans l'héritage du cinéma expressionniste.
Étude de la séquence du livret (de 22 minutes 04 secondes à 24 minutes 16 secondes)
le docteur Frankenstein est filmé en contre plongée dominant le professeur Waldman, sceptique sur ces
expériences. La conversation permet de cerner la thématique du film, le professeur lui reproche de ramener un
mort à la vie. Frankenstein le réfute, il n'est pas un savant inconscient, il est un démiurge, il a créé de toute
pièce un nouvel homme à qui il va insuffler la vie.
Les coups de tonnerre sont les vecteurs de l'action. Frankenstein veut utiliser la prodigieuse énergie des
éclaires pour son expérience mais le tonnerre sert aussi à dramatiser la scène en rendant plus
expressionnisme et excessif des acteurs dont il ponctue la montée en puissance. Un violent travelling en avant
accentue les propose de Frankenstein tandis que le tonnerre semble être un avertissement divin. Chez les
Grecs, Zeus commandait le tonnerre. Mary Shelley s'inspirant de la légende du Golem a sous-titré son
Frankenstein « Le Prométhée moderne ». Prométhée façonna le premier homme avec de l'argile et comme
l'homme était nu, Prométhée lui procure le feu du ciel que Frankenstein créé un nouvel homme mais comme
Prométhée, il sera puni pour son acte. Dans le contrechamp qui suit, la tension se situe entre le groupe compte
et Frankenstein qui les défie et c'est Fritz qui attire l'attention par l'intensité de son regard. Le coup de tonnerre
fait reculer le trio. Fritz reste immobile, Frankenstein comprend : l'orage est son point culminant et il faut agir.
Fritz enthousiaste paraît encore plus fou que Frankenstein. Les bulbes métalliques, qui surplombent les
personnages, sont comme une épée de Damoclès au dessus d'eux. Frankenstein et Fritz dévoilent le corps
inerte mais le professeur laisse le visage masqué, préservant le suspens sur l'identité du cobaye. Tout au long
de la séquence, c'est sa main inerte qui est mise en avant. Le trio s'est assis sagement comme pour assister
au spectacle et reste passif devant la scène. Le brancard métallique monte vers le toit comme pour toucher le
ciel. Son ascension est suivie par un mouvement de balancier de la caméra qui effectue un travelling vers le
bas combiné à un panoramique vers le haut qui dynamise l'espace et accentue les angles du décor.
Frankenstein, dans une sorte d'acte manqué, a chargé Fritz d'aller chercher seul le cerveau de sa créature
mais Fritz a brisé le bocal du cerveau normal et prit le cerveau du malade mental. Frankenstein ignore ce détail
mais le spectateur le sait et peut pressentir que l'expérience du professeur va mal tourner. Cela illustre la
théorie gnostique qui justifie l'existence du Mal sur Terre par le fait que ce n'est pas le vrai Dieu qui a créé
notre monde mais un démiurge, un sous Dieu qui a raté la création.
Le brancard est toujours vu d'en bas, du point de vue de l'ensemble des personnages, le réalisateur décide de
ne pas nous montrer ce qui se passe à hauteur du cobaye jouant sur le hors champ, le mystère. Ensuite, la
mise en scène est axée sur les instruments de Frankenstein pour condenser l'énergie électrique et la
transmettre à son cobaye humain. Décors et instruments ont une connotation expressionniste renforcée par
l'utilisation de l'éclairage qui fait danser les ombres et la lumière.
Frankenstein et ses avatars ouvrent une période néo-expressionniste à Hollywood. Le cinéma Allemand des
années 1920 eut une telle influence sur le cinéma Américain qu'Hollywood de Lubitsch à Murnau en passant
par Lang débaucha la plupart des grands cinéastes Allemand.
Fritz apparaît ensuite comme l'inconscient du professeur. Tout deux sont illuminés mais opposés : le
professeur est froid, arrogant, intelligent, Fritz est physiquement débile et à moitié idiot. Il est en quelque sorte
l'incarnation du corps de Frankenstein qui se conçoit lui-même comme un esprit presque désincarné. Fritz
annonce le corps monstrueux de la créature. Frankenstein exulte en disant qui sait à présent ce que sait d'être
Dieu. Il sera puni comme le rabbin du Golem car il a voulu comme le rabbin joué à être Dieu et à blasphémer
comme le créateur. La fin de la séquence ne révèle toujours pas le visage de la créature. On voit seulement la
main qui, en s'animant, fait croire à Frankenstein qu'il a réussi. D'ailleurs, il a réussi mais le cerveau déficient
ramené par Fritz rendra la créature incontrôlable. L'expérience n'est qu'une parodie de la création.
Extrait du réveil du Golem dans le film du même nom de Paul Wegener (1919) http://www.youtube.com/watch?
v=uZO_Kd3kkwE (à 41 minutes). Paul Wegener joue le rôle de la créature.
Extrait d'une séquence de Metropolis (1926) : Création de la fausse Maria par les scientifiques.
Dans ces deux films-là, la lumière joue un rôle important. L'expressionniste donne l'idée que le monstre n'est
pas vivant mais pas non plus mort.
Extrait de Frankenstein avec la petite fille (45 minutes 45 secondes)
L'imagerie d’Épinal de ce père qui scie du bois devant sa ferme avant d'aller relever ses pièges et d'amener sa
petite fille à la fête au village relève du conte pour enfants. Il doit laisser sa fille seule et lui dit d'être sage alors
que nous savons déjà la proximité du danger pour elle. Dès que le père quitte le champ de la caméra, celle-ci
fonce sur la petite fille comme un oiseau de proie. Ce travelling avant rapide qui la suit vers le lac semble être
le point de vue subjectif du monstre mais un recadrage vers la gauche nous le montre surgissant des buissons
dans l'axe opposé ce qui créé un vrai malaise spatial. Ce plan est la matrice de la scène. On le retrouve à
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plusieurs reprises face au lac s'avançant lentement mais inexorablement vers l'eau et vers la Mort de la petite
fille.
L'échange de regard entre la petite fille et le monstre se déroule dans le silence : il n'y a d'ailleurs aucune
musique durant la scène ce qui serait impensable aujourd'hui dans un film hollywoodien. Quand le monstre
s'avance vers elle, on s'attend à une réaction de frayeur de sa part mais elle nous surprend. Au lieu de fuir, elle
s'avance résolument vers le monstre et se présente à lui en souriant. Le gros plan du visage blême du monstre
dit assez sa surprise : il ne s'attendait pas à une telle réaction, lui que tout le monde fuit ou chasse en hurlant.
Maria qui voulait jouer avec son père, profite de l'aubaine et entraîne le monstre vers l'eau. Ils sont suivis par la
caméra. Maria, le regard franc, n'a aucun préjugé envers l'étranger, elle représente l'innocence dans toute sa
bonté. Elle achève de conquérir le monstre en lui offrant une fleur. Pour la seule fois du film, il sourit en
reniflant la fleur. Son doux parfum semble porter en lui toute la gentillesse de Maria. L'émotion que ressent le
monstre est discrètement indiqué par le vent léger qui fait trembler les pétales et fait doucement bouger les
branches. Pour ne pas juger le monstre, il faut être aveugle ou innocent, être comme lui en marge de la
Société.
Toute cette séquence s'inspire directement d'une scène du Golem. Dans ce film, le Golem, fasciné et adouci
par une petite fille, se laisse arraché le message magique qui lui donne vie. Foudroyé, il tombe comme une
pierre.
Dans Frankenstein, le monstre est entré dans le jeu de la petite fille. C'est la première fois que quelqu'un
désire partager une activité avec lui. Il est trop heureux de se sociabiliser. Son innocence répond à celle de la
petite fille. Et c'est pour lui faire plaisir, pour jouer encore plus avec elle, qui la jette à l'eau. Juste après le
recadrage sur Maria tombant dans l'eau, on revient sur le plan matrice face au lac. Le dos du monstre permet
de masquer la noyade de la petite fille. On ne distingue que les éclaboussures dans l'eau du lac. Sentant qu'il
a commis une bêtise, le monstre s'enfuit comme au début de l'extrait, cet affolement est représenté par les
branches des arbres que le vent fouette et qui viennent frapper le monstre tourmenté tandis que deux troncs
d'arbres le retiennent un instant comme pour l'arrêter. Par ce procédé typique de l'expressionnisme, les
éléments extérieurs expriment ce qui se passent à l'intérieur du monstre.
L’association Collège au Cinéma 37 remercie Stéphan Krezinski de sa venue pour parler du film Frankenstein.
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