Remplacement d`un membre du directoire de la BCE : violation du

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Remplacement d`un membre du directoire de la BCE : violation du
Remplacement d'un membre du directoire de la BCE, aucune femme sélectionnée ? Un
enjeu de société
1. Rappel de la procédure1
Pour mémoire, c'est une décision du Conseil européen qui désigne les membres du directoire
de la Banque centrale européenne. La BCE (conseil des gouverneurs) se limite à donner un
avis sur la recommandation du candidat désigné par le Conseil des ministres.
2. Rappel de la situation : zéro femme sur six ?
Depuis le départ de Mme Tumpel-Gugerell du directoire de la BCE, le 31 mai 2011, celui-ci
ne comporte plus aucune femme.
Si un candidat de sexe masculin était désigné cette fois-ci, et sauf démission ou décès, le
directoire de la BCE ne comporterait pas de femme jusqu'au 31 mai 2018, date de fin du
mandat de Victor Constancio, actuel vice-Président de la BCE.
Notons qu’à l'heure actuelle, le Conseil des Gouverneurs2 ne comporte aucune femme.
3. Les enjeux
Au nombre de 3 au moins :
- Le respect des traités qui affirment l’égalité hommes / femmes (voir TUE articles 2, 3,
8 ainsi que la Charte des droits fondamentaux) ;
- La représentativité de la BCE qui ne reflète pas la société ;
- L’incohérence qui consiste à demander aux sociétés privées d’avoir des quotas de
femmes dans les postes à responsabilités, notamment les conseils d'administration
sans le pratiquer dans les institutions publiques.
.
La désignation d’un sixième membre masculin, sans avoir même présélectionné aucune
femme ôterait toute crédibilité aux appels lancés par la BCE, la Commission, le Conseil
européen à la modernisation de nos économies, l’accroissement de leur compétitivité, les
« réformes structurelles » (dont une participation accrue des femmes au marché du travail).
Ce serait étrange au moment où Mme Reding, Commissaire européenne, demande
"Davantage de femmes dans les conseils d'administration » car elle y voit « une
promesse pour l'Europe" et déclare avoir l’intention de déposer une proposition
législative.
1
Article 283 - TFUE
(...)
2.
Le directoire se compose du président, du vice président et de quatre autres membres.
Le président, le vice président et les autres membres du directoire sont nommés par le Conseil européen, statuant
à la majorité qualifiée, sur recommandation du Conseil et après consultation du Parlement européen et du conseil
des gouverneurs de la Banque centrale européenne, parmi des personnes dont l'autorité et l'expérience
professionnelle dans le domaine monétaire ou bancaire sont reconnues.
Leur mandat a une durée de huit ans et n'est pas renouvelable.
2
Le Conseil des gouverneurs est le principal organe de décision de la BCE. Il se compose des six membres du
directoire, et des gouverneurs des banques centrales nationales des dix-sept pays de la zone euro.
4. Le travail en amont du Parlement européen
Le Parlement européen, qui a développé peu à peu une procédure aussi sérieuse que possible
d'évaluation du candidat officiel du Conseil des Ministres (et une procédure informelle des
candidats déclarés), a demandé de pouvoir choisir entre des candidats aux profils différents.
Il a été raisonnable jusqu’à présent. Lors des désignations de Peter Praet, Mario Draghi,
Jorg Asmussen et Benoît Coeuré, le PE a fait passer la compétence intrinsèque des candidats
avant toute considération.
S’agissant du dernier membre du directoire désigné avant des années, les députés ont pensé à
sensibiliser les ministres des finances de la zone euro en amont, bien avant la désignation
du candidat officiel :
-
Lors des dernières auditions (Praet, Draghi, Asmussen, Coeuré), plusieurs
parlementaires ont officiellement alerté sur le risque de déséquilibre au sein du
directoire ou évoqué la question du "genre" des candidats (notamment Olle Schmidt,
député ADLE ou Astrid Lulling PPE pour Mario Draghi).
-
Le 31 janvier 2012, Sylvie Goulard, Sharon Bowles et Olle Schmidt ont adressé une
lettre à l'ensemble des ministres des finances de l'Union afin de les sensibiliser à ce
risque. Seuls 4 (sur 27) ont répondu officiellement.
-
La question a été évoquée publiquement ; voir par exemple Sylvie Goulard, "Le + du
nouvel Obs", le 8 mars 2012, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/374083-legalite-hommes-femmes-dans-l-ue-est-aussi-importante-que-l-equilibrebudgetaire.html ;ainsi qu’à Rome, lors de la remise du prix "Women in Diplomacy",
en présence du Président du Conseil italien.
-
En mai 2012, la Présidente de la Commission ECON, habilitée par les coordinateurs, a
adressé une lettre officielle au Président de l'Eurogroupe afin de le sensibiliser au
sujet.
-
Informellement, une liste de candidates a été constituée afin de prouver qu’un vivier
de femmes qualifiées existe, dans les différents Etats membres.
5. La provocation du Conseil des ministres
Le 10 juillet, le Conseil ECOFIN n’a recommandé qu’un candidat, l'actuel gouverneur de la
banque centrale du Luxembourg, refusant de présenter une pluralité de candidats, comme le
Parlement le demandait.
La qualité de la personne retenue n’est pas en cause. C’est une question de principe.
Au moment où le Conseil européen a fait de la question de la légitimation démocratique de
l’Union européenne, l’un des quatre axes de la réflexion en cours confiée à Herman Van
Rompuy, le mépris affiché à l’égard du Parlement européen et des valeurs contenues dans la
Charte des droits fondamentaux et les traités, est navrant.
Initialement prévue le 10 septembre, l'audition d'Yves Mersch a finalement été reportée par
l’ensemble des coordinateurs de la Commission ECON. Audition qui a été remplacée par un
débat public pendant lequel les membres de la Commission ECON se sont accordés sur le
maintien du report de l'audition et ont chargé la Présidente de la Commission ECON d'entrer
en contact avec M. Juncker.
6. Les étapes suivant la décision de l'ECOFIN.
Sylvie Goulard a écrit une lettre ouverte à M. Juncker (publiée sur Lemonde.fr) ; pas de
réponse. Le Président du PE, Martin Schulz, a écrit à M. Van Rompuy : sa réponse est
presque insultante. Il n'a pas fait de propositions. Le PE a décidé de nouveau de reporter
l'audition (26 septembre). Dans la commission ECON, il y avait toujours une majorité sur
cette question, bien que le groupe PPE ait changé de position.
7. Vote en ECON et la session plénière d'octobre
Le 22 octobre la commission ECON a voté en faveur d'un avis appelant à rejeter la
nomination d'Yves Mersch, basé sur la procédure et non sur la qualité du candidat, refusant un
directoire exclusivement masculin jusqu'au au moins 2018.
L'avis a été voté en session plénière le jeudi 25 octobre et soutenu par une majorité de députés
européens (325 voix contre la candidature de Monsieur Mersch, 300 pour et 43 abstentions).
L'article 109 du règlement du PE indique que si le Parlement rend un avis négatif, le Président
du PE demande au Conseil de retirer sa proposition et d'en présenter une nouvelle au
Parlement.
8. Les dernières étapes
Le vendredi 2 novembre, alors que le Parlement européen était fermé en raison de la fête de la
Toussaint, le Président du Conseil européen a initié une procédure écrite afin de confirmer la
désignation du candidat du Conseil des Ministres pour le poste de membre du directoire de la
BCE.
Les États membres avaient jusqu'à lundi pour se prononcer sur cette procédure - généralement
utilisée pour les procédures consensuelles ou purement administratives - et sur la confirmation
du candidat.
Le 5 novembre, l'Espagne a décidé de s'y opposer et refusé la confirmation du candidat du
Conseil.
Cependant, le dossier n'est pas clos pour autant : les revendications pour un directoire de la
BCE n'étant pas exclusivement composé d'hommes se poursuivent. Le Conseil européen
devra débattre de la question lors d'un de ses prochains sommets.
"Le + du Nouvel Obs"
L'égalité hommes-femmes dans l'UE est aussi importante que l'équilibre
budgétaire
6 membres, 6 hommes, 0 femme. Le directoire de la Banque Centrale Européenne
(BCE) est, à ce jour, exclusivement masculin. 23 membres, 23 hommes. 0 femme. Le
Conseil des gouverneurs de la BCE (directoire et gouverneurs des banques centrales
nationales de la zone euro) est, à ce jour, exclusivement masculin.
Ce sont les gouvernements qui en désignent les membres. Le Parlement européen
auditionne les candidats au directoire et émet un avis. A plusieurs occasions, des
députés européens ont prôné le respect de l’égalité hommes / femmes dans ces
instances qui jouent un rôle majeur pour l’avenir de 330 millions de citoyens
européens. Ils l’ont fait avec discernement et patience.
La crise, une excuse facile
Lors du remplacement de M. Papademos, arrivé au terme de son mandat, des députés
de la Commission économique et monétaire (ECON) ont ainsi fait observer que les
gouvernements devraient songer à présenter des femmes. Mais M. Costâncio,
gouverneur de la banque du Portugal était incontestablement compétent. C’était la
crise. Le Parlement n’a pas insisté. Il faut être raisonnable.
Lors du remplacement de Gertrude Tumpel-Gugerell, une femme a été "nominée"
mais les députés de la Commission ECON ont marqué sans hésitation leur préférence
pour un homme, fort barbu en l’occurrence, Peter Praet, car il était incontestablement
le plus compétent. C’était la crise. Le Parlement n’a pas insisté. Il faut être
raisonnable.
Lors du remplacement du président Jean-Claude Trichet, des députés de la
Commission ECON ont fait observer que les gouvernements devraient présenter des
femmes. Mais Mario Draghi était incontestablement le plus compétent et faisait
l’unanimité des gouvernements. C’était la crise. Le Parlement n’a pas insisté. Il faut
être raisonnable.
Lors du remplacement de M. Stark, démissionnaire pour des raisons personnelles
ayant sans doute quelque chose à voir avec les réticences allemandes devant tout
assouplissement de la politique monétaire, des députés de la Commission ECON ont
fait observer que les gouvernements devraient présenter des femmes. Mais Jörg
Asmussen était incontestablement compétent. C’était la crise. Et il fallait bien que
l’un des membres du directoire soit à même de rassurer l’opinion allemande. Le
Parlement n’a pas insisté. Il faut être raisonnable.
Lors du remplacement de M. Bini-Smaghi, démissionnaire sous l’amicale pression de
Nicolas Sarkozy, des députés de la Commission ECON ont fait observer que les
gouvernements devraient présenter des femmes. Mais Benoit Coeuré était
incontestablement compétent. Et puis si "l’Allemagne" avait "eu" le poste précédent
dans une BCE "indépendante", "la France" ne pouvait être en reste. C’était la crise.
Le Parlement n’a pas insisté. Il faut être raisonnable.
Lors du remplacement de Jose Manuel Gonzalez- Paramo… Nous disons : cela suffit
! Avec deux collègues de la Commission ECON [1], nous avons adressé une lettre à
tous les ministres de finances européens et à M.Draghi pour dénoncer cette situation.
Un sacré culot
Cette fermeture aux femmes n’est justement pas raisonnable. Elle est dépassée, macho
et durablement inacceptable. Rien ne la justifie. Dans le monde feutré des banquiers
centraux, ce ne sont pas des choses à dire mais le Parlement est dans son rôle quand il
signale les dérapages.
A dire vrai, nos ministres des finances ont un sacré culot et un petit problème avec la
réalité : dans la crise, ils ne cessent de demander aux Européens, y compris les plus
modestes, de terribles efforts. Ils prêchent le changement, les "réformes structurelles".
Ils exhortent à la discipline. Sans doute pourraient-ils participer à l’effort collectif en
remettant en cause leurs propres routines et en respectant enfin un principe du droit
européen, l’égalité hommes / femmes qui, pour l’avenir de nos sociétés, n’est peutêtre pas moins important que l’équilibre budgétaire.
Disons le avec leurs mots. Dans son dernier discours à la Banque d’Italie en mai
2011, Mario Draghi soulignait :
"La faible participation féminine au marché du travail est un facteur crucial de
faiblesse du système (…). Aujourd’hui 60 % des diplômés sont des femmes : elles
finissent leur cursus plus vite que les garçons, avec un résultat moyen supérieur, dans
des matières qui ne se bornent plus aux sciences humaines". Il relevait aussi "la
croissance d’une économie ne dépend pas seulement de facteurs économiques. Elle
dépend des institutions, de la confiance que les citoyens mettent en celles-ci, du
partage de valeurs et d’une espérance [2]."
[1] Sharon Bowles, Présidente (ALDE, RU) et Olle Schmidt (ALDE, SU)
[2] Banca d’Italia, Considerazioni finali, 31.05.2011