Risques liés à l`utilisation des lentilles : cas clinique et étude

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Risques liés à l`utilisation des lentilles : cas clinique et étude
Risques liés à l’utilisation des
lentilles : cas clinique et étude
BIBLIOGRAPHIE
1. Étude française sur les complications infectieuses liées au port de lentilles de contact
coordonnée depuis 2008 par le Pr Bourcier et le Dr Sauer du CHU de Strasbourg
Risk factors for contact lens-related microbial keratitis: a case-control multicenter study
Sauer A, Bourcier T, MEYER N; French Study Group for Contact Lenses Related Microbial Keratitis.
Ophtalmology, 2013 March.
Microbial keratitis as a foreseeable complication of cosmetic contact lenses: a prospective study.
Sauer A, Bourcier T; French Study Group for Contact Lenses Related Microbial Keratitis.
Acta Ophtalmology. 2011 Aug;89(5):e439-42.
Study and prevention of contact lens-related microbial keratitis with a standardized questionnaire.
Sauer A, Abry F, Berrod JP, Bron A, Burillon C, Chiquet C, Colin J, Creuzot-Garcher C, Delbosc B,
Hoffart L, Kodjikian L, Labetoulle M, Malet F, Merle H, Robert PY, Vabres B, Beynat J, Brisard M,
Combey de Lambert A, Donnio A, Gendron G, Pagot R, Saleh M, Gaucher D, Speeg-Schatz C, Bourcier
T.
Journal of French Ophtalmology. 2010 Dec;33(10):701-9.
2. Cas Clinique
Bilateral infectious keratitis in a patient wearing cosmetic soft contact lenses
Colin J, Aitali F, Malet F, Touboul D, Feki J
Journal of French Ophtalmology. 2006; 29, 6: 665-667
CAS CLINIQUE
J Fr. Ophtalmol., 2006; 29, 6, 665-667
© Masson, Paris, 2006.
Kératite infectieuse bilatérale chez une patiente
porteuse de lentilles souples cosmétiques
J. Colin (1), F. Aitali (1), F. Malet (1), D. Touboul (1), J. Feki (2)
(1) Service d’ophtalmologie, CHU Pellegrin, Bordeaux, France.
(2) Service d’ophtalmologie, CHU de Sfax, Tunisie.
Correspondance : J. Colin, Service d’Ophtalmologie, CHU Pellegrin, place Amélie Raba Léon, 33076 Bordeaux CEDEX. E-mail : [email protected]
Reçu le 17 février 2005. Accepté le 27 avril 2006.
Bilateral infectious keratitis in a patient wearing cosmetic soft contact lenses
J. Colin, F. Aitali, F. Malet, D. Touboul, J. Feki
J. Fr. Ophtalmol., 2006; 29, 6: 665-667
We report a case of an immunocompetent 20-year-old woman, wearing planocosmetic
contact lenses to change the color of her eyes, with no contact lens hygiene regimen. She
developed a bilateral infectious keratitis. Acanthamoeba and Fusarium solani were isolated in
both eyes. Bilateral penetrating keratoplasty was needed because of bilateral corneal perforation. Three months later, bilateral simultaneous phacoemulsification was performed because
of a dense cataract and a severe decrease in her vision. Six months after surgery, her best
corrected visual acuity was 0.7 in the right eye, and 0.6 in the left eye. Cosmetic contact lenses
expose the wearers to the same potential ocular complications as other contact lenses. Wearers
must be informed of such complications, which may be sight-threatening. Based on this case,
we strongly recommend that all cosmetic contact lens wearers be examined and followed as
if they were standard contact lens wearers.
Key-words: Corneal perforation, infectious keratitis, contact lenses, cosmetic contact lenses,
amebic keratitis, mycotic keratitis.
Kératite infectieuse bilatérale chez une patiente porteuse de lentilles souples
cosmétiques
Nous présentons le cas d’une patiente immunocompétente âgée de 20 ans, portant des lentilles souples cosmétiques pour changer la couleur de ses yeux, n’ayant aucune règle d’hygiène
pour l’entretien des lentilles et ayant développé une kératite infectieuse bilatérale. Acanthamoeba et Fusarium Solani ont été isolés dans les deux yeux. Une kératoplastie transfixiante
bilatérale a été réalisée en raison d’une perforation cornéenne. Trois mois plus tard, une
phakoémulsification bilatérale a été réalisée du fait d’une cataracte dense et d’une acuité
visuelle basse. Six mois après la chirurgie, la meilleure acuité visuelle corrigée était de 7/10e à
droite et de 6/10e à gauche. Les porteurs de lentilles de contact cosmétiques sont exposés aux
mêmes risques de complications que ceux portant les autres types de lentilles de contact souples, et doivent être soigneusement informés des complications possibles. Les règles d’hygiène
et d’entretien doivent être respectées.
Mots-clés : Abcès de cornée, kératites infectieuses, lentilles de contact, lentilles cosmétiques,
kératites amibiennes, kératites mycotiques.
INTRODUCTION
L’utilisation des lentilles de contact
colorées cosmétiques s’est largement
développée au cours des dernières
années. Elles sont parfois prescrites
et/ou distribuées en dehors des réseaux
habituels, souvent chez des adultes
jeunes emmétropes, non porteurs habituellement de lentilles de contact. Il
est tout à fait évident qu’elles exposent, comme toutes lentilles, à certains
risques, en particulier la possibilité
de survenue de complications infectieuse [1-6].
Nous rapportons le cas d’une kératite infectieuse bilatérale particulièrement sévère ayant nécessité une
kératoplastie transfixiante bilatérale.
OBSERVATION
Une femme immunocompétente, âgée
de 20 ans, sans antécédents médicaux, nous fut adressée pour la prise
en charge d’une kératite infectieuse
bilatérale sévère. Elle ne présentait
pas d’amétropie. Cette patiente avait
porté des lentilles souples cosmétiques pour changer la couleur de
ses yeux pendant un mois avant de
développer des ulcères cornéens bilatéraux. La marque des lentilles et
le matériau n’ont pu être obtenus.
Aucune règle d’hygiène ne lui avait
été recommandée semble-t-il par l’opticien qui lui avait délivré les lentilles.
La patiente entretenait ses lentilles
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J. Colin et coll.
J. Fr. Ophtalmol.
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1
2a 2b
3
Figure 1 : Aspect initial de kératite infectieuse bilatérale sévère, chez une porteuse de lentilles cosmétiques : kératite stromale dense bilatérale à
Acanthamoeba et Fusarium solani.
Figure 2 : Aspect des deux cornées à l’entrée dans le service.
Figure 3 : Aspect des deux yeux, 3 mois après les greffes de la cornée. Les greffons sont parfaitement transparents ; une cataracte bilatérale dense
est observée. La plupart des sutures ont été enlevées.
de contact simplement avec du sérum physiologique le
soir.
Avant d’être adressée dans notre service quinze jours
après l’apparition des abcès cornéens, un prélèvement
cornéen avait mis en évidence la présence d’Acanthamoeba et de Fusarium Solani au niveau deux yeux. La
patiente était traitée localement par Kétoconazole®,
Hexamidine® et Néomycine® horaire, et par voie générale par Ofloxacine® et Fosfomycine®. À l’examen clinique initial, il existait une kératite stromale centrale
dense associée à un amincissement prononcé (fig. 1 et
2). L’acuité visuelle était limitée à la perception des
mouvements de la main au niveau des deux yeux. Le
traitement local fut remplacé par des collyres renforcés :
Vancomycine® 50 mg/ml, Gentamicine® 14 mg/ml,
Ticarcilline® 6 mg/ml, PHMB® 0,02 % et Amphotéricine B® 5 % horaire. Malgré ce traitement, une perforation cornéenne droite survint 6 jours après son admission,
nécessitant une kératoplastie en urgence. La même
complication touchant l’œil gauche trois jours plus tard,
une greffe perforante fut également réalisée au niveau
de cet œil. Dans les deux cas, un greffon conservé
Vol. 29, n° 6, 2006
Kératite infectieuse bilatérale chez une patiente porteuse de lentilles souples cosmétiques
avec une densité cellulaire endothéliale validée fut utilisé. Le diamètre de la trépanation était de 8,0 mm et
celui du donneur de 8,25 mm ; les greffons furent suturés par 16 points séparés de monofilament de nylon
10/0. Un traitement postopératoire local fut institué ; il
comportait un collyre associant de la tobramycine et de
la dexaméthasone, instillé 6 fois par jour pendant un
mois, puis diminution de la posologie à 5 fois, puis
4 fois par jour au 3e mois postopératoire. Les collyres
antibiotiques fortifiés furent utilisés pendant 8 jours. Le
traitement par PHMB à la posologie de 6 instillations
par jour fut poursuivi pendant un mois. La patiente
quitta le service 8 jours plus tard.
Un mois plus tard, les deux yeux ne présentaient plus
de signes d’inflammation, et l’acuité visuelle corrigée
était chiffrée à 2/10e aux deux yeux. Trois mois plus tard,
lors du retour en France de la patiente, une phakoémulsification bilatérale réalisée à trois jours d’intervalle sous
anesthésie topique avec implantation d’un cristallin artificiel de chambre postérieure fut effectuée en raison
d’une cataracte dense et d’une limitation importante de
son acuité visuelle (fig. 3). Une semaine après l’intervention, la meilleure acuité visuelle corrigée était chiffrée à
7/10e à droite et à 6/10e à gauche. Les sutures cornéennes
relâchées ont été retirées.
À six mois postopératoires, les deux yeux étaient parfaitement calmes, les greffons transparents et l’acuité
visuelle inchangée malgré un début de fibrose des deux
capsules postérieures du cristallin.
États-Unis, environ 3 millions de personnes portent des
lentilles cosmétiques dont au moins 30 % sont emmétropes [8-10]. Selon les recommandations de la FDA et
à la suite du décret du sénat américain du 26 octobre
2005 assimilant les lentilles de contact cosmétiques à
des dispositifs médicaux, la distribution de ce type de
lentilles ne se fait plus que via la prescription d’un professionnel de santé certifié.
Cette observation montre que les complications infectieuses des lentilles colorées planes peuvent être
extrêmement graves, exposant à un risque de perte
de la meilleure acuité visuelle corrigée, voire à une
perte fonctionnelle de l’œil. Steinemann et al. [8] ont
rapporté récemment six cas de complications du port
de lentilles de contact cosmétiques chez des adolescents ou adultes jeunes qui n’avaient jamais porté
auparavant de correction par lentilles ou par lunettes.
Dans un cas, un abcès à Pseudomonas aeruginosa a
nécessité une kératoplastie perforante pour permettre la
réhabilitation visuelle. Déjà en 1991, Snyder et al.
[10] avaient rapporté cinq cas de kératites microbiennes
graves associées au port de lentilles cosmétiques :
trois cas étaient dus au Pseudomonas et deux cas à
Acanthamoeba.
Les lentilles de contact souples cosmétiques sont un
moyen simple et séduisant de changer la couleur de l’iris.
Cependant, elles exposent aux mêmes risques de complications oculaires parfois graves que les autres lentilles de
contact. Les porteurs doivent en conséquence en être informés et une éducation sur la mise en place des lentilles,
leur retrait, et leur entretien s’impose.
DISCUSSION
Les complications infectieuses ont été fréquemment
rapportées chez les patients porteurs de lentilles de
contact [1-6]. L’utilisation de lentilles de contact est
ainsi la principale cause de kératites infectieuses [4]. Les
lentilles de contact cosmétiques posent un problème de
santé publique en raison de leur diffusion possible dans
les circuits de distribution grand public. En France, 1 %
des porteurs de lentilles portent des lentilles de couleur
[7]. Le marché annuel des lentilles colorées a été de
1 700 000 unités en 2004, en augmentation de 5 ?5 %
par rapport à 2002. Il s’agit en majorité de jeunes femmes : l’âge des porteurs de ce type de lentille se situe
essentiellement dans la tranche des 15-24 ans. Le risque de complications infectieuses est encore augmenté
par les éventuels échanges de lentilles entre adolescents. Les lentilles de déguisement (Wild eyes, Demoniac lenses…) représentent 1 % de ce marché ! Les
lentilles de couleur ne sont pas considérées actuellement en France comme dispositifs médicaux, et il n’y a
donc pas d’obligation de notification de leurs complications. Cependant, elles doivent être adaptées de la
même façon que les autres lentilles de contact, les règles
d’hygiène et d’entretien doivent être les mêmes, et la
fréquence de renouvellement doit être respectée. Aux
RÉFÉRENCES
1. Schein OD, Glynn RJ, Poggio EC. Microbial keratitis study group.
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and extended-wear soft contact lenses. A case-control study. N
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3. Liesegang TJ. Contact lens-related microbial keratitis. Part I: Epidemiology. Cornea 1997;16:125-31.
4. Bourcier T, Thomas F, Borderie V, Chaumeil C, Laroche L. Bacterial
keratitis: predisposing factors, clinical and microbiological review
of 300 cases. Br J Ophthalmol 2003;87:834-8.
5. Morgan PB, Efron N, Hill EA. Incidence of keratitis of varying severity among contact lens wearers. Br J Ophthalmol 2005;89:430-6.
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