RUE 89 07 . 07 . 15
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Live Magazine, le journal qui se raconte et ne laisse aucune trace - Rue89 - L'Obs http://rue89.nouvelobs.com/2015/07/07/journal-raconte-laisse-aucune-trace-260154 07/07/2015 à 15h50 THÉORIE JETABLE Live Magazine, le journal qui se raconte et ne laisse aucune trace Xavier de La Porte | Rédacteur en chef Lundi soir se déroulait à Paris, au Théâtre de l’Atelier, la troisième édition du Live Magazine. L’idée des cofondateurs – Florence Martin-Kessler, Thomas Baumgartner et Sébastien Deurdilly – est simplissime : fabriquer un magazine qui se raconte et qui ne laisse aucune trace, ni texte, ni enregistrement sonore, ni photo. Les papiers sans papier Pendant deux heures se succèdent sur scène une quinzaine d’intervenants – souvent journalistes, mais aussi photographe, documentariste, auteur – qui viennent raconter des histoires qu’on pourrait lire dans un bon magazine. Dominique Simonnot, journaliste judiciaire à Libération puis au Canard enchaîné, raconte deux procès de fous, car ça la rend « dingue » qu’on juge les fous ; Jordan Pouille, un reportage en Chine sur un homme qui pêche au pied d’un barrage les corps de suicidés qu’il revend à leur famille ; Marcelo Wesfreid, du service politique de L’Express, le petit théâtre parfois burlesque des déjeuners de groupe des journalistes politiques avec les ministres ; Aurélie Charon et Caroline Gillet, de Radio France, la vie de Sanjida Sultana, qui fuit un mariage dans la campagne du Bangladesh pour étudier seule à Paris. Parfois, ce sont des histoires plus personnelles. John G. Morris, 98 ans, photographe qui dirigea l’agence Magnum, raconte ses souvenirs de la Seconde Guerre mondiale avec Robert Capa ; l’artiste Ramuntcho Matta l’histoire d’un copain à lui, noir américain, dont il apprend par un concours de circonstances qu’il est payé par la CIA pour fournir de l’héroïne aux musiciens noirs. Bien sûr, de tout cela, il y a des traces dans les articles, émissions, travaux de tous ces gens, mais ce qui s’est passé ce lundi dans la grande salle de l’Atelier, qui était parfois très drôle, parfois très émouvant, on ne pourra que se le remémorer, et le raconter. Pied-de-nez stimulant à une époque où tout s’archive, où tout se photographie ou se filme. Un micro (Ethan Hickerson/Flickr/CC) Les carnets de recettes des prisonniers Et c’est d’ailleurs une histoire de mémoire et d’archive qui a été un des moments les plus émouvants de ce magazine vivant. Anne Georget, documentariste, est venue sur scène raconter comment, de fil en aiguille, elle a recueilli des carnets de recettes de cuisine tenus par des prisonniers dans des circonstances aussi tragiques que variées : par des résistants et des juifs en camp de travail ou de concentration, par un soldat américain dans les geôles japonaises, etc. (voir son film « Les Recettes de Mina, Terezin 1944 »). Des textes qu’elle a montrés au public et dont la matérialité – des pièces de tissu cousues ensemble à des feuilles de mauvais papier recouvertes d’une plaque d’acier – contrastait évidemment avec la stricte oralité de la soirée. Et Anne Georget a posé la question : pourquoi ces gens – des hommes aussi bien que des femmes – ont-ils consacré autant d’énergie et de temps à inscrire des recettes de cuisine, dans des circonstances où se maintenir en vie était un but presque inaccessible ? Ses hypothèses sont multiples et reposent sur divers témoignages. Parce que, quand on est privé de nourriture, passer du temps à se remémorer des plats, des aliments, des goûts, est une manière de compenser par l’imaginaire ce que la réalité interdit (il arrive que certains carnets aient été collectifs, comme un repas entre amis). Parce que dans des mondes où parler des proches est impossible – trop triste, trop insupportable –, parler de plats, et donc de moments et de gens qui leur sont associés, est une manière d’évoquer indirectement familles et amis. Parce que quand, à l’instar des juifs en camp de concentration, on sait qu’au-delà des individus, c’est une culture qu’on veut détruire, inscrire des recettes traditionnelles est une manière de préserver cette culture. Toutes ces raisons, on pouvait les supposer. La mécanique rassurante Mais Anne Georget en a évoqué une autre. Dans un monde aussi chaotique et incertain que le camp, explique-t-elle, la recette est une mécanique rassurante. Elle devient un petit espace de certitude, où les enchaînements sont prévisibles (si je mélange tel aliment avec tel autre, et que je fais cuire tant de temps, cela donne cela). Ecrire des recettes, c’est donc se donner, l’espace de quelque temps (celui de l’écriture), un pouvoir sur les choses. En écoutant Anne Georget, je pensais à cette analogie qui est souvent faite aujourd’hui. Les informaticiens, pour expliquer ce qu’est un algorithme, disent qu’ils sont comme des recettes de cuisine (variante : les recettes de cuisine sont les premiers algorithmes) : une suite d’ordres qui, s’ils sont exécutés correctement, donnent le résultat attendu. Bien sûr, dans le détail, c’est un peu plus compliqué, mais l’analogie est évocatrice. 1 sur 3 31/07/2015 16:23 Live Magazine, le journal qui se raconte et ne laisse aucune trace - Rue89 - L'Obs http://rue89.nouvelobs.com/2015/07/07/journal-raconte-laisse-aucune-trace-260154 Et je me disais qu’Anne Georget, sans le savoir parce qu’elle parlait d’un monde qui n’a rien à voir avec le nôtre, livrait peut-être une clé de notre rapport aux algorithmes. Je me demandais si la tendance contemporaine à une croyance que les algorithmes allaient tout expliquer et tout résoudre n’était pas une manière de nous rassurer dans ce monde que nous avons largement participé à rendre toujours plus confus : des algorithmes pour dénicher les terroristes, des algorithmes pour prédire les crimes, pour prévenir les épidémies, pour établir des diagnostics. Est-ce que nous aussi, nous ne sommes pas, à certains moments, en train de nous réfugier dans l’écriture de petites constructions qui sont des refuges utiles ? INFOS PRATIQUES Live Magazine Prochaines dates (la liste des participants est à chaque fois surprise) : le 10 octobre à Blois, le 12 novembre à Marseille, le 17 décembre 2015 à Bruxelles, et en janvier 2016 à Paris. Plus d'infos sur LiveMagazine.fr. 4041 VISITES | 14 RÉACTIONS PARTAGER Tweeter 3 276 RECEVOIR LA NEWSLETTER !"# TAGS J’aime OK Votre adresse e-mail ALGORITHME • SHOAH • CUISINE • JOURNALISTES • RUE89 CULTURE • PATRIMOINE Contenus recommandés par Outbrain AILLEURS SUR LE WEB BE.COM LOVE QUIZZ MA PEAU, MON ÂGE ET MOI Dans la peau d'une trendseteuse le temps d'une… Test : Etes-vous un vrai en géographie ? 4 astuces pour avoir une peau éclatante du matin au soir LOVE QUIZZ MA VIE EN COULEURS PARAMOUNT Test : Etes-vous incollable sur les Chats ? Soin maison anti-poches et anticernes Tom Cruise prend tous les risques pour Mission:… SUR LES SITES DU GROUPE ET AILLEURS Il jette de l'eau chaude sur sa voiture, le résultat est surprenant ! VIDEO. Ce calmar filmé par des marins russes est-il géant ou colossal… (Sciences et Avenir) (Oekais) 5 étapes à respecter pour avoir une jolie peau (Be.com) Test : Quelle coupe de cheveux est faite pour vous ? 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