Migros Magazine N° 05 / 28 JANVIER 2008 (française)

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Migros Magazine N° 05 / 28 JANVIER 2008 (française)
74 Evasion
Migros Magazine 5, 28 janvier 2008
Chypre: l’autre
île de Beauté
Pour «Migros Magazine», Bernard Pichon a visité la partie grecque
d’un Etat toujours divisé, et dont l’Europe espère la réunification.
Evasion
«Arrêtez-vous au
bout de l’aéroport
pour admirer les
centaines de flamants roses postés
sur le lac salé, et
n’oubliez pas qu’ici,
on roule à gauche!»
précise le loueur de
Larnaka, en affichant d’emblée l’un
de ces sourires qui
signent l’hospitalité
La chronique
de Bernard Pichon
chypriote. J’apprécie de m’engager
sur une autoroute si peu encombrée qu’elle
n’occasionnera pas le moindre stress jusqu’à
Pafos, l’antique capitale et sanctuaire d’Aphrodite. Je m’y promènerai seul près du mythique
rocher qui vit naître de la mer la déesse de
l’amour et de la beauté.
Le même sentiment privatif me saisit dès
mon arrivée dans l’un des fleurons de l’hôtellerie locale: vastes espaces cosy apparemment
épargnés par le tourisme de masse. Alentour,
de nombreuses terrasses donnent une impression de surcapacité, sans doute saisonnière.
Mais sont-ils vraiment plus nombreux à venir
se déshydrater ici entre début juin et fin août,
lorsque le thermomètre flirte avec les 40° C?
Un expatrié m’explique qu’à moins de
quatre heures de vol de chez nous, la troisième
plus grande île méditerranéenne pâtit injustement de l’instabilité moyen-orientale (plus de
95 000 Suisses en 1997, moins de la moitié dix
ans plus tard).
Chypre souffre aussi de sa réputation de
cherté et d’un certain déficit d’image: alors
que la propagande d’autres destinations médi-
terranéennes s’appuie sur moult monuments
et sites emblématiques, bien malin qui pourrait
dégager un cliché vraiment rassembleur sur
l’autoproclamée «Autre île de Beauté». Ce
territoire 4,5 fois plus petit que l’Helvétie
usurperait-il son slogan?
Trésors cachés
A l’évidence, ce carrefour des civilisations
hellénistique, romaine, byzantine, vénitienne,
ottomane et… britannique (la tutelle s’est
achevée en 1960) ne manque pas d’arguments
pour retenir l’attention. L’Unesco ne s’y est
pas trompée, qui a inscrit au Patrimoine mondial deux de ses zones archéologiques et une
dizaine de ses églises. Mais on y chercherait
vainement la grande émotion du Parthénon ou
la magie d’un soleil couchant sur les coupoles
dorées du Bosphore.
Chypre ne révèle pas ses atouts au voyageur pressé. Encore moins, évidemment, aux
blondeurs bataves ou germaniques préférant
calciner leur épiderme au bord des piscines, en
plein midi. Une excursion au nord-ouest (péninsule de l’Akamas) les gratifierait pourtant
d’une nature intacte: orchidées sauvages, arbousiers et autres myrtes guidant leurs pas à
travers un maquis de cistes et genévriers.
Luxe et volupté constituaient déjà l’apanage de Pafos dans l’Antiquité, comme en
témoigne la magnificence des mosaïques mises au jour à proximité du port. Ces scènes de
la mythologie grecque tapissaient d’opulentes
demeures, considérées comme les plus précieuses de la Méditerranée orientale.
Autres beautés – religieuses, celles-là –,
dans les couvents et églises des Troodos (les
rafraîchissantes montagnes du centre, où l’on
skie en hiver). Des itinéraires escarpés serpen-
L’adorable village viticole d’Omodos est connu pour ses
vieilles dentellières.
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Chypre séduit par
une nature intacte et
la richesse de son
patrimoine.
Construit dans le style chypriote, le lobby du Columbia Beach Resort de
Pissouri offre une vue imprenable sur la mer Méditerranée.
C’est dans le somptueux monastère de Kykko que Mgr Makarios, le Père de l’Indépendance,
a été formé.
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tent entre vignobles et pinèdes jusqu’aux sanctuaires jaloux de leur héritage: inestimables
icônes et autres objets de culte, ramenant au
temps où l’islam confinait les hommes de Dieu
dans ces retraites montagnardes.
Sous le Mont Olympe
Au cœur du massif, à 1500 mètres d’altitude,
le monastère de Kykko recèle les plus beaux
trésors. «C’est dans ce séminaire qu’a été
formé Mgr Makarios», précise Zoe. Manifestement, elle porte en son cœur le Père de l’Indépendance qui repose non loin de là, depuis
1977. Comme la plupart de ses compatriotes
nantis, cette spécialiste de l’art byzantin a
peaufiné ses études à l’étranger.
Elle désigne de splendides fresques, hélas
vandalisées par les iconoclastes ottomans:
«Regardez avec quelle rage ils ont gratté les
yeux des saints et même de notre Panayia
(Vierge)! Récemment encore, l’occupant (turc,
ndlr) a aussi déprécié bon nombre de représentations pieuses, au nord du pays.»
Le moment me semble propice pour évoquer le souvenir de Makarios, ses vaines tentatives d’éviter la partition du territoire, déchiré par une «Ligne verte» (appelée aussi
«Ligne Attila») et cet autre «Mur de la honte»
séparant Nicosie.
Mais mon interlocutrice n’entend pas remuer le couteau dans la plaie. Elle préfère
l’utiliser pour trancher l’un de ces curieux
soutzoukos, spécialité locale à l’allure de
boyaux confits. Cette friandise de pâte d’amandes enrobée de jus de raisin cuit et recuit jusqu’à solidification a de quoi requinquer le
voyageur.
On poursuivra vers Omodos, adorable village viticole connu pour ses dentellières, et où
une certaine Maro Aristou perpétue la tradition
iconologique.
Chypre pratique
Y aller: Cyprus Airways relie Zurich à Larnaka
sans escale (www.cyprusairways.com).
Séjourner: la monnaie nationale est la livre
cypriote (1 CYP = env. CHF 2.75).
– hôtel à Pafos: Elysium Beach Hotel.
Tél. 00357 26 844 444, www.elysium.com.cy.
– hôtel à Pissouri: Columbia Beach Resort.
Tél. 00357 25 833 000, columbia-hotels.com.
Se renseigner: office du tourisme de Chypre,
– pour la partie sud de l’île.
Tél. 044 262 33 03 (www.visitcyprus.com)
– pour la partie nord: www.northcyprus.cc
(nouveau site anglophone).
Offres last minute: www.travel.ch
Voyager malin: www.pichonvoyageur.ch
A Lemba, Stass Paraskos accueille les artistes du monde entier dans sa résidence.
Aussi affable que plantureuse, la dame a disposé palette, pinceaux et indispensables
feuilles d’or dans son minuscule atelier jouxtant l’église Timiou Stavrou, dont elle est
aussi gardienne. Cette proximité lui permet de
pointer un œil sur les lieux, tout en exerçant sa
fonction de créatrice d’icônes… «Je préfère
dire hagiographe, corrige-t-elle en exécutant
la commande d’un amateur de passage. Je ne
fais que des reproductions, mais dans le plus
pur respect des techniques. Une fois achevée,
chacune de mes copies peut constituer soit un
ex-voto, soit un objet décoratif. Mais je m’en
sépare toujours dans la douleur, comme d’un
bébé!»
D’autres artistes locaux prendraient-ils
plus de distance par rapport à l’orthodoxie esthétique?
Réponse à Pissouri, dont la chapelle de
Tous-les-Saints décline mille et une nuances
de bleu sur des fresques contemporaines signées John Carbidge. Ce Britannique d’origine y a perpétué le concept des surfaces entièrement colorées, plafond compris, mais en
inféodant librement les stéréotypes à son propre imaginaire.
Plus étonnant encore est le domaine de
Stass Paraskos (plus connu sous son seul prénom), et que les habitants de Lemba appellent
«Ecole d’art».
A première vue, ne s’agirait-il pas plutôt
d’une résidence de Gaudi ou du facteur Cheval, avec cette imposante muraille constituée
d’éléments disparates: récupération de matériau de construction, débris de poteries et
autres fantaisies cimentées?
Stass est aussi prolixe que prolifique:
«J’accueille des élèves du monde entier,
achevant leurs études artistiques, et désireux
d’effectuer ici une sorte de retraite créatrice.
Je ne leur dispense aucun enseignement, mais
ils peuvent échanger leurs points de vue d’un
atelier à l’autre, tout en complétant au passage cette œuvre d’art brut collective (le fameux rempart) en perpétuel devenir, comme
un récif de corail anarchique. Je voudrais que
cette fantaisie me survive, autant que mes
propres toiles.»
Avec des références à Gauguin et Picasso,
ces dernières évoquent souvent le récent passé
chypriote: violations des droits de l’homme,
emprise de la religion, commerce du sexe, tourisme envahissant.
Le créateur m’offre le catalogue d’une de
ses dernières expositions. Je l’emporte comme
une collection d’images dont les couleurs réchaufferont mon hiver. Bien mieux que des
cartes postales, elles raviveront chez moi le
soleil de son île.
Texte et photos
Bernard Pichon

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