Philippines. Une parodie de justice pour le massacre de Maguindanao

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Philippines. Une parodie de justice pour le massacre de Maguindanao
AMNESTY INTERNATIONAL
DÉCLARATION PUBLIQUE
AILRC-FR
Index AI : ASA 35/009/2012
23 novembre 2009
Philippines. Une parodie de justice pour le massacre de Maguindanao ?
Amnesty International est extrêmement préoccupée par le fait que, alors que trois années se sont
écoulées depuis le massacre de Maguindanao, les Philippines n'ont pas fait en sorte que justice soit
rendue de manière rapide et équitable. Depuis le 23 novembre 2009, presque la moitié des
197 suspects ayant fait l'objet d'un mandat d'arrêt sont toujours en liberté, aucune poursuite judiciaire
n'a été menée à son terme, aucun des auteurs du massacre n'a été condamné et au moins six témoins
ont été tués ainsi que des proches de ces témoins.
Alijol Ampatuan, qui, selon les procureurs, voulait identifier les auteurs de ces crimes, a été tué par
balle en février. Esmail Amil Enog, qui avait déclaré au tribunal avoir servi de chauffeur pour des
hommes armés ayant participé au massacre, a été retrouvé découpé en plusieurs morceaux avec une
tronçonneuse, après sa disparition au mois de mai. Le même mois, un témoin potentiel du ministère
public, le policier Hernanie Decipulo, est mort alors qu'il était détenu par la police. Il s'agirait d'un
suicide. Un autre témoin potentiel du ministère public, Suwaib Upham, a été tué en 2010. En juin, la
police a signalé que trois proches de témoins avaient également été tués. Myrna Reblando, veuve d'un
journaliste assassiné, a dû quitter le pays car elle avait reçu en 2001 des menaces crédibles et
craignait pour sa sécurité.
En octobre 2012, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a estimé que le gouvernement
philippin devrait veiller à ce que les témoins soient totalement protégés en améliorant l'efficacité du
programme de protection des témoins, et que les autorités devraient mener des enquêtes exhaustives
sur les affaires de meurtre et d'intimidation présumée de témoins pour mettre fin au climat de peur qui
nuit considérablement aux enquêtes et aux poursuites en justice. Amnesty International soutient
totalement cette déclaration et exhorte les autorités philippines à étendre cette protection aux proches
des victimes du massacre qui risquent de subir des menaces et des manœuvres d'intimidation et d'être
soudoyées. Cette protection devrait comprendre une surveillance régulière et des contacts réguliers
avec toutes les familles et tous les témoins. Les autorités devraient par ailleurs fournir à ceux qui ont
reçu des menaces crédibles ou qui sont autrement en danger une escorte ou d'autres moyens
permettant d'assurer leur sécurité.
Des procès au civil et au pénal sont en cours devant le tribunal régional de première instance de
Quezon City. Toutefois, les procédures ont subi des retards et des revers, et la plupart des audiences
ont porté sur des demandes de remise en liberté sous caution. Trois années se sont écoulées depuis le
massacre et les questions de fond ont à peine été abordées devant la justice. Point plus positif, la Cour
suprême a introduit l'utilisation des déclarations sous serment dans la procédure au civil, ce qui
permet à la plupart des plaignants de témoigner par ce moyen. Amnesty International exhorte le
président de la Cour suprême à mettre en place d'autres mesures juridiques permettant d'accélérer la
procédure pour les affaires civiles et pénales.
Dans l'intervalle, le ministère de l'Intérieur et de l'administration locale doit encore mener à leur terme
les procédures administratives engagées contre les 62 policiers impliqués dans les homicides. Amnesty
International appelle le président Aquino à utiliser le pouvoir exécutif dont il est investi pour favoriser
l'aboutissement de toutes les procédures administratives engagées contre tous les fonctionnaires
impliqués dans le massacre.
Trois jours après le massacre de Maguindanao, lié aux élections, Benigno Aquino, qui était alors
candidat à l'élection présidentielle, s'est engagé à abroger le décret 546, qui autorise la police et ses
auxiliaires à agir comme « multiplicateurs de force ». Après son élection, Benigno Aquino est revenu
sur sa promesse en novembre 2010.
Des élections générales vont avoir lieu aux Philippines en 2013, y compris à Mindanao. Selon la police
nationale des Philippines, au moins 60 groupes armés privés qui n'ont pas été démantelés risquent de
recourir à la violence pour influencer le résultat des élections. Des groupes armés soutenus par l'État,
parmi lesquels figurent des auxiliaires de la police, les Organisations de volontaires civils et les Unités
territoriales de la force armée des citoyens, continuent d'opérer. Amnesty International réitère l'appel
qu'elle a lancé au président Aquino pour qu'il abroge immédiatement le décret 546 afin d'empêcher
que des violations des droits humains ne soient de nouveau commises à l'approche des élections de
mai 2013.
Le massacre de Maguindanao, perpétré il y a trois ans, est devenu un symbole d'impunité pour les
homicides illégaux commis aux Philippines. Les familles de ceux qui ont été tués continuent de se
battre pour obtenir justice, en dépit de ressources de plus en plus limitées et des menaces qui pèsent
sur leur vie. Il est grand temps que les autorités philippines respectent pleinement leurs obligations
aux termes du droit international relatif aux droits humains et veillent à ce que les victimes et familles
de victimes du massacre de Maguindanao disposent de recours utiles.
Contexte
Les conséquences du soutien apporté par le gouvernement aux groupes armés privés de personnalités
politiques locales sont brutalement apparues dans toute leur ampleur le 23 novembre 2009, quand
57 personnes, parmi lesquelles 32 journalistes, qui participaient à une caravane politique, ont été
massacrées. Des médias ont indiqué à plusieurs reprises qu'il s'agissait de « la plus grande attaque
isolée jamais lancée à l'échelle mondiale contre des journalistes ». Les corps des victimes ont été jetés
dans une fosse commune sur une colline surplombant la ville d'Ampatuan, dans la province
méridionale de Maguindanao.
Les personnes qui ont été tuées allaient assister au dépôt de la candidature à une élection d'un
homme politique local quand le convoi a été stoppé par une centaine d'hommes armés. Des chefs du
puissant clan Ampatuan, dont plusieurs ont été élus à des postes de représentants gouvernementaux,
ont été mis en accusation dans cette affaire, mais aucune poursuite n'a abouti. Le groupe armé privé
de ce clan ainsi que des membres de la police locale et de l'armée sont également impliqués dans ces
homicides.
Fin/