Note d`orientation sur la primaquine en dose unique comme

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Note d`orientation sur la primaquine en dose unique comme
Note d’orientation sur la primaquine en dose unique
comme gamétocytocide dans le paludisme à Plasmodium falciparum
Janvier 2015
Table des matières
Cadre général ........................................................................................................................................ 1
Recommandation de l’OMS .................................................................................................................. 2
Considérations relatives à la mise en œuvre de la nouvelle recommandation .................................... 2
Bénéfices escomptés............................................................................................................................. 4
Annexe 1. Données probantes à l’appui de la nouvelle recommandation de l’OMS ........................... 5
Références ..........................................................................................................................................10
Cadre général
La primaquine est utilisée depuis le début des années 1950 et c’est l’antipaludique de la classe des
8-aminoquinolines qui est le plus répandu. On l’utilise à grande échelle pour le traitement radical du
paludisme à Plasmodium vivax et à P. ovale ainsi que comme gamétocytocide en dose unique contre le
paludisme à falciparum. La principale restriction à son utilisation tient à sa toxicité associée à son action
hémolytique: les antipaludiques de la classe des 8-aminoquinoléines provoquent une anémie hémolytique
aiguë (AHA) liée à la dose chez les sujets carencés en glucose-6-phosphate-déshydrogénase (G6PD), une
maladie génétique héréditaire liée au chromosome X. La prévalence du déficit en G6PD varie de 5 à 32,5 %
dans les zones d’endémie palustre de l’Afrique et de l’Asie, et son aire de répartition géographique recouvre
celle du paludisme.
L’utilisation de la primaquine comme gamétocytocide offre de grandes possibilités pour réduire la
transmission du paludisme à falciparum dans les zones à faible transmission et peut donc ainsi prévenir la
transmission des formes résistantes à l’artémisinine. Dans la deuxième édition des Directives pour le
traitement du paludisme, l’OMS recommandait d’ajouter de la primaquine à la dose de 0,75 mg de base par
kg (soit une dose maximum de 45 mg de primaquine base pour un adulte) au traitement antipaludique dans
les programmes afin de réduire la transmission de P. falciparum, « pour autant que le risque d’hémolyse
chez les patients carencés en G6PD soit pris en considération ». La population ne peut bénéficier d’une
réduction de la transmission par un antipaludique gamétocytocide que si ce type de médicament est
administré à une très forte proportion de sujets impaludés. Etant donné l’incertitude quant à la prévalence
et à la gravité de la carence en G6PD et du fait que le dépistage ne soit pas toujours disponible sur les lieux
de soins, la crainte d’une AHA provoquée par la primaquine demeure un frein à l’application de cette
recommandation. L’administration de primaquine en dose unique comme gamétocytocide contre
P. falciparum n’est pas uniformément adoptée par les pays et on note aussi certaines variations dans les
doses recommandées et le moment de leur administration par rapport à celle de la combinaison
thérapeutique à base d’artémisinine (CTA).
WHO/HTM/GMP/2015.1
L’OMS a réuni le Groupe d’examen des données probantes en août 2012 afin de passer en revue la politique
de l’Organisation relative à l’utilisation d’une dose unique de primaquine comme gamétocytocide dans le
traitement du paludisme à P. falciparum. Cette réunion avait les objectifs suivants : examiner les données
probantes tirées de publications ou d’études inédites au sujet de l’efficacité et de l’innocuité de la
primaquine administrée en dose unique comme gamétocytocide contre P. falciparum ; préparer un projet de
réponse sur un certain nombre de points soulevés par le Secrétariat de l’OMS et le Comité consultatif pour
les politiques relatives au paludisme (MPAC) à propos de l’utilisation de la primaquine ; formuler des
recommandations en vue d’une déclaration de politique sur l’emploi de ce composé en dose unique comme
gamétocytocide conjointement avec la CTA ; voir quelles sont les lacunes qui subsistent dans les
connaissances et établir les priorités de la recherche1.
En septembre 2012, le MPAC a souscrit aux observations formulées lors de cet examen et le groupe
d’experts techniques pour la chimiothérapie du paludisme en a adapté les recommandations afin qu’elles
soient incluses dans la troisième édition des Directives de l’OMS pour le traitement du paludisme, comme
indiqué dans la section suivante.
Recommandation de l’OMS
L’examen des données probantes relatives à l’innocuité et à l’efficacité de la primaquine comme
gamétocytocide contre le paludisme à P. falciparum révèle qu’une dose unique de primaquine égale à
0,25 mg de base par kg bloque la transmission et n’a vraisemblablement pas d’effets toxiques chez les sujets
carencés en G6PD, quels que soient les variants génotypiques en cause. Dans ces conditions, l’OMS formule
la recommandation suivante :
Dans les zones à faible transmission, administrer une dose unique de 0,25 mg de
primaquine base par kg en même temps que la CTA aux patients souffrant d’un
paludisme à P. falciparum (à l’exception des femmes enceintes, des nourrissons de moins
de 6 mois et des femmes qui allaitent des enfants de moins de 6 mois) afin de réduire la
transmission. Un dépistage de la carence en G6PD n’est pas nécessaire.
La population ne bénéficiera d’une réduction de la transmission par un antipaludique gamétocytocide qu’à
la condition que ce type de médicament soit administré à une très forte proportion de sujets impaludés et
qu’il n’y ait pas un vaste réservoir de porteurs asymptomatiques du parasite. Cette stratégie ne sera donc
vraisemblablement efficace que dans les zones où l’intensité de la transmission est faible.
Considérations relatives à la mise en œuvre de la nouvelle recommandation
Administration

Une dose unique de primaquine égale à 0,25 mg de base par kg doit être administrée à tous les
patients atteints d’un paludisme à P. falciparum confirmé par examen parasitologique, à
l’exception des femmes enceintes, des femmes qui en sont à leurs six premiers mois
d’allaitement et aux enfants de moins de 6 mois, vu l’insuffisance des données relatives à
l’innocuité de cet antipaludique chez ces groupes de populations.
1. Le rapport du Groupe d’examen des données probantes au sujet de l’efficacité et de l’innocuité d’une dose unique de
primaquine comme gamétocytocide contre P. falciparum est disponible in extenso sur le site Internet du Programme
mondial de lutte antipaludique :
http://www.who.int/malaria/mpac/sep2012/primaquine_single-dose_pf_erg_meeting_report_aug2012.pdf
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
Une dose unique de primaquine sera ajoutée le premier jour de l’administration de la CTA2. On
n’a aucune donnée concernant le moment optimal, mais en fonction de considérations qui
tiennent à la santé publique et pour des raisons de commodité, il est préférable que
l’administration de la primaquine ait lieu sous observation directe le premier jour de
l’administration de la CTA afin d’assurer un blocage de la transmission le plus tôt possible au
cours de l’infection ainsi que l’observance du traitement monodose.

La primaquine est mieux tolérée si elle est prise avec de la nourriture.

Il faudra s’enquérir d’éventuels antécédents d’hémolyse et conseiller aux sujets concernés
d’être attentifs à tout signe d’anémie hémolytique aiguë – comme la présence d’urines foncées
(par exemple, en s’aidant d’une échelle de couleur) – et de consulter un professionnel de santé
si le cas se présente.
Risque d’anémie hémolytique aiguë (AHA) lié à la prise d’une dose unique de primaquine

Les sujets dont la G6PD est normale n’ont qu’un risque très faible d’effets indésirables graves.
La primaquine est bien tolérée à des doses allant jusqu’à 45 mg à condition de la prendre avec
de la nourriture.

Chez les sujets qui présentent un déficit en G6PD, le risque de faire une AHA en cas de prise de
45 mg de primaquine est égal à 100 %, encore que l’AHA soit de gravité variable et que
l’hémolyse reste subclinique dans la majorité des cas. La gravité de l’AHA dépend de la dose de
primaquine et du variant génotypique du déficit en G6PD ; c’est chez les hétérozygotes de sexe
féminin que les variations sont les plus marquées car chez ces sujets la proportion d’hématies
déficitaires en G6PD est variable. Comme le schéma thérapeutique à 15 mg par jour pendant
14 jours est utilisé à grande échelle pour le traitement radical et le traitement médicamenteux
de masse sans dépistage de la carence en G6PD, on peut s’attendre qu’une dose unique pour
adulte de 15 mg de primaquine (soit 0,25 mg de base par kg) ne causera pas d’hémolyse
importante sur le plan clinique chez les sujets carencés en G6PD.
Nécessité ou pas de dépister le déficit en G6PD avant l’administration d’une faible dose unique de
primaquine

L’administration d’une dose unique de 15 mg de primaquine (soit 0,25 mg de base par kg) ne
devrait pas provoquer d’hémolyse importante sur le plan clinique chez les sujets adultes qui ne
présentent aucune anomalie de la G6PD ou même chez ceux qui présentent un déficit de cette
enzyme. Il n’est donc pas nécessaire de procéder à un dépistage systématique de la carence en
G6PD avant d’administrer une dose unique de 0,25 mg de primaquine base par kg de poids
corporel.
Recherche sur le terrain d’une hémolyse provoquée par la primaquine chez les patients dont on ignore la
situation vis-à-vis de la G6PD

Il faut informer les patients et leurs aidants du risque d’AHA, les inviter à surveiller la couleur de
leur urine et leur indiquer qu’ils doivent consulter un professionnel de santé en cas d’urine
foncée. Les jeunes enfants doivent être surveillés de près.

Les agents de santé doivent être formés, en s’appuyant sur des outils de travail appropriés, à
reconnaître les symptômes et à déterminer à quel moment ils doivent adresser les patients à
l’échelon supérieur pour un examen plus approfondi. Les symptômes à vérifier sont les suivants :
douleurs lombaires, urines foncées, ictère, fièvre, vertiges et dyspnée.
2. Voir l’annexe 1 pour les données relatives à la relation dose-réponse des 8-aminoquinoléines relativement à la
transmission du paludisme à falciparum.
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Prise en charge des effets secondaires

Cesser d’administrer la primaquine (si l’on en administre plusieurs doses).

Hydrater le patient par voie orale.

Faire hospitaliser le patient.

Procéder à un bilan clinique.

Vérifier le taux d’hémoglobine ou l’hématocrite.

Si possible, vérifier la créatinine ou l’urée plasmatique ou sérique (azote uréique sanguin).

Le cas échéant, procéder à une transfusion sanguine dans les cas suivants :
o
o
o
hémoglobine < 7 g/dl : transfuser ;
hémoglobine < 9 g/dl en présence d’hémolyse : transfuser ;
hémoglobine comprise entre 7 et 9 g/dl ou > 9 g/dl sans signe d’hémolyse concomitante :
prise en charge liquidienne minutieuse avec surveillance de la coloration des urines.
Bénéfices escomptés

La primaquine, lorsqu’elle est prise en dose unique de 0,25 mg de base par kg le premier jour de
l’administration d’une CTA à des patients souffrant d’un paludisme à falciparum confirmé, fait
efficacement obstacle à l’infectiosité des gamétocytes de P. falciparum pour les vecteurs du
paludisme. C’est notamment les secteurs menacés par une résistance à l’artémisinine et ceux
où des programmes d’élimination sont en cours qui pourront tirer un bénéfice de cette nouvelle
recommandation.

Dans la plupart des zones d’endémicité palustre, on ne dispose pas de moyens permettant un
dépistage de la carence en G6PD et l’ignorance de la situation des sujets en la matière limite
l’utilisation de la primaquine comme gamétocytocide pour le traitement du paludisme
à falciparum. Cette nouvelle recommandation, à savoir l’administration d’une dose unique et
faible de primaquine, qui ne devrait vraisemblablement pas provoquer d’hémolyse importante
sur le plan clinique, devra être mise en œuvre à grande échelle pour réduire la transmission du
paludisme à falciparum, y compris la propagation des souches résistantes.
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Annexe 1. Données probantes à l’appui de la nouvelle recommandation de
l’OMS
Blocage de la transmission par la primaquine. Parmi les médicaments actuellement disponibles, seuls les
8-aminoquinolines et le bleu de méthylène ont fait la preuve de leur capacité à réduire la transmissibilité des
gamétocytes matures de P. falciparum. On a utilisé la réduction de la gamétocytémie pour mesurer les effets
des antipaludiques sur la transmission, mais la relation entre la densité des gamétocytes et la transmissibilité
n’est pas linéaire, elle est complexe et dépend de plusieurs covariables. Par ailleurs, cette relation varie
grandement d’un sujet à l’autre, certains patients ayant une forte densité de gamétocytes juvéniles du stade
V qui ne sont pas infectieux. La réduction de la transmissibilité, déterminée d’après le nombre et la
morphologie des oocystes, et le nombre de sporozoïtes résultants précède de façon significative l’effet sur la
densité des gamétocytes. De ce fait, les changements dans la densité gamétocytaire donnent lieu à des sousestimations et se révèlent être un indicateur médiocre du blocage de la transmission par les antipaludiques
appartenant à la classe des 8-aminoquinoléines (1). Une évaluation précise de cet effet nécessite donc la
détermination directe de l’infectiosité pour le moustique.
Les premières études sur l’effet des antipaludiques dérivés des 8-aminoquinoléines sur l’infectiosité de
P. falciparum pour les anophèles remontent à 1929. On dispose, grâce aux études qui ont été publiées,
d’informations détaillées sur 159 sujets observés en différents lieux, avec divers vecteurs et diverses
modalités d’exposition à des 8-aminoquinoléines. Les données examinées émanent prinicpalement d’une
étude effectuée en Chine (aimablement communiquée par le professeur Gao Qi) et portant sur 21 sujets
ayant reçu différentes doses de primaquine et d’études portant sur 31 autres qui avaient reçu de la
plasmoquine1 (avant 1950) et 50 qui avaient reçu de la primaquine (2-8). Dans ces études (analysées par
White et al. (9), l’infectiosité pour le moustique a été évaluée par numération des oocystes et détermination
du taux de sporozoïtes chez des vecteurs nourris sur des patients qui avaient pris de la primaquine à
différentes doses et dans différentes associations. Dans certaines études, on s’est également attaché à
déterminer dans quelle mesure des moustiques bien nourris pouvaient engendrer une infection secondaire
chez des volontaires en bonne santé (infectiosité). Selon ces études, des doses de 15 mg de primaquine
seule ou de 7,5 mg avec une CTA constituent un schéma thérapeutique efficace pour bloquer la transmission.
Comme l’administration de 15 mg de primaquine ne s’est pas révélée d’une efficacité totale sans
l’adjonction d’un dérivé de l’artémisinine, il faut de toute urgence recueillir davantage de données dans les
zones où une résistance à l’artémisinine fait son apparition.
Relation dose-réponse entre l’administration de primaquine et la transmission. Pour déterminer la dose
optimale, il est nécessaire de caractériser la relation dose-réponse c’est-à-dire de tracer la courbe de l’effet
en fonction de la concentration. Les données tirées des études relatives au blocage de la transmission par la
plasmoquine indiquent que de faibles doses (10-20 mg) ont une forte action de blocage sur la transmission2.
Les relations dose-réponse obtenues montrent que les dérivés de l’artémisinine potentialisent le blocage de
la transmission par la primaquine et qu’à des doses ne dépassant pas 0,125 mg de base par kg (dose pour
adulte, 7,5 mg) ce composé, lorsqu’il est administré avec un dérivé de l’artémisinine, a encore une action de
blocage sur la transmission quasi maximale (voir les Figures 1 et 2). Ces données justifient la prise d’une dose
unique de 0,25 mg de base par kg comme gamétocytocide, administré en association avec une CTA.
1. La plasmoquine est le prédécesseur de la primaquine. Elle a été la première 8-aminoquinoléine mise au point au milieu des
années 1920 pour le traitement du paludisme et avait une action gamétocytocide efficace même à faible dose.
2. En rassemblant les données publiées sur la primaquine et les résultats des études inédites effectuées en Chine
(aimablement communiqués par le professeur Gao Qi) on a pu obtenir des séries de données portant sur 128 sujets, dont
78 avaient reçu des doses de primaquine comprises entre 3,7 et 15 mg de base.
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Figure 1. Relation dose-réponse de la capacité de la primaquine à réduire l’infectiosité de sujets infectés
par P. falciparum pour les anophèles.
Positifs pour les oocystes (%)
Détermination ≤24 h après
la prise de primaquine
Dose de primaquine (mg de base/kg)
Positifs pour les oocystes (%)
Détermination ≤48 h après
la prise de primaquine
Dose de primaquine (mg de base/kg)
Tiré de la référence (9)
En ordonnée, on a fait figurer la proportion d’anophèles nourris qui étaient infectés. Ensemble des données de toutes les
études (1,10). Figure A : formation d’oocystes (proportion de patients qui étaient encore infectieux pour les moustiques) à
partir du sang prélevé 24 heures après la prise de primaquine. Figure B : formation d’oocystes à partir du sang prélevé 48
heures après la prise de primaquine. Les groupes ayant reçu de la primaquine avec un dérivé de l’artémisinine sont
indiqués en vert, et ceux n’ayant reçu ni dérivé de l’artémisinine, ni antipaludique le sont en rouge. Lors de ces études, 29
patients n’ont pas reçu de primaquine. La taille du cercle est proportionnelle au nombre de sujets dans chaque groupe
(chiffre à l’intérieur du cercle).
Figure 2. Relation dose-réponse de la capacité de la primaquine à réduire l’infectiosité pour les anophèles,
comme sur la Figure 1, avec évaluation de la formation de sporozoïtes
Positifs pour les sporozoïtes (%) Détermination ≤24 h après
la prise de primaquine
Dose de primaquine (mg de base/kg)
Positifs pour les sporozoïtes (%) Détermination ≤48 h après
la prise de primaquine
Dose de primaquine (mg de base/kg)
Tiré de la référence (9).
Figure A : formation de sporozoïtes évaluée à partir du sang prélevé 24 heures après l’administration de la primaquine.
Figure B : formation de sporozoïtes évaluée à partir du sang prélevé 48 heures après l’administration de primaquine. Les
chiffres ne sont pas identiques à ceux de la figure 1 car la proportion de positifs pour les sporozoïtes n’a pas été
déterminée dans toutes les études.
Déficit en G6PD et risque d’AHA. Le principal sujet de préoccupation concernant l’innocuité de
l’administration de primaquine tient au risque d’AHA chez les sujets carencés en G6PD ( revue par Beutler &
Duparc (11)). Ces personnes sont particulièrement vulnérables au stress oxydatif du fait que leurs
érythrocytes n’ont pas d’autres voies pour la production de NAPDH3 dépendant de la G6PD, le NAPDH étant
3. Le NAPDH est la forme réduite du nicotinamide-adénine-dinucléotide phosphate.
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essentiel pour maintenir leurs deux principales défenses contre les oxydants : le glutathion réduit et la
catalase. La gravité de l’AHA est liée à de nombreux facteurs, notamment la dose de primaquine, la présence
de pathologies préexistantes ou coexistantes, notamment la fièvre et une anémie déjà présente, l’âge (une
AHA sévère engage davantage le pronostic vital chez l’enfant) et le variant génotypique en cause. Les
variants génotypiques de la carence en G6PD sont dus à diverses mutations au niveau du gène de la G6PD
qui affectent la stabilité de l’enzyme présente dans les érythrocytes. Comme la dégradation intraérythrocytaire est plus rapide pour les enzymes mutantes que pour l’enzyme normale, les érythrocytes âgés
sont plus vulnérables à l’hémolyse due à des agents oxydants, mais certains variants des enzymes mutantes
subissent une dégradation intra-érythrocytaire plus rapide que les autres, ce qui fait que le déficit
enzymatique est plus extrême pour quelques-uns. Chez certains variants, la G6PD est très instable et seule
une faible proportion des érythrocytes juvéniles maintiennent une activité enzymatique résiduelle. Chez
d’autres variants, la dégradation intra-érythrocytaire est plus lente et les érythrocytes nouvellement
produits conservent une plus grande activité enzymatique et résistent donc mieux au stress oxydant. Il
s’ensuit que l’anémie hémolytique aiguë est spontanément résolutive en cas d’administration quotidienne
réitérée de primaquine ou face à une autre attaque oxydante. Ces considérations sont valables pour
l’administration de primaquine en doses quotidiennes pendant 2 semaines pour éviter les rechutes mais ne
peuvent être prises en compte dans le cas de l’administration d’une dose unique de primaquine comme
gamétocytocide contre P. falciparum.
Caractérisation des différentes phases de l’hémolyse. En 1962, Alving et al. (12) ont observé des cas
d’hémolyse chez des afro-américains en bonne santé (probablement des variants A- du déficit en G6PD) qui
avaient reçu de la primaquine à la dose de 30 mg par jour pendant une longue période. Comme le montre la
Figure 3, l’hématocrite a généralement commencé à chuter le deuxième jour. On peut distinguer trois
phases dans l’hémolyse :

Phase 1. Hémolyse aiguë : cette phase aiguë dure de 7 à 12 jours pendant lesquels l’hématocrite
tombe au plus bas avec une destruction de la masse érythrocytaire d’environ 30 %. Les urines sont
foncées, parfois même noires et le taux de bilirubine monte à 3-5 ml/dl (55-105 µmol/l). Si l’on
arrête d’administrer la primaquine pendant la phase aiguë, la destruction des érythrocytes cesse en
48 à 96 heures.

Phase 2. Rétablissement : même si l’on poursuit l’administration de primaquine, la phase de
rétablissement se produit entre le 10e et le 40e jour, période au cours de laquelle la réticulocytose
passe par un maximum de 8 à 12 % et l’hématocrite revient lentement à la normale au bout de la
quatrième ou de la cinquième semaine.

Phase 3. Équilibre : c’est une phase au cours de laquelle l’hémolyse est compensée par une
production accrue d’érythrocytes, qui se poursuit aussi longtemps que la primaquine est
administrée.
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Figure 3. Caractérisation des différentes phases de l’hémolyse chez des adultes en bonne santé « sensibles
à la primaquine » (probablement des variants G6PD A-) traités par de la primaquine à la dose de 30 mg de
base par jour pendant une longue période
HÉMATOCRITE (%)
ÉVOLUTION CLINIQUE DE L’HÉMOLYSE DUE À LA PRIMAQUINE ILLUSTRÉE PAR LES RÉSULTATS COMPOSITES DE TROIS SUJETS
SENSIBLES DE SEXE MASCULIN AVEC UNE FORTE EXPRESSION DU DÉFAUT GÉNÉTIQUE
HÉMOLYSE
AIGUË
RÉTABLISSEMENT
RÉSISTANCE OU
ÉQUILIBRE
VARIANT AFRICAIN A
% D’ÉRYTHROCYTES MARQUÉS
AU Cr51 RESTANTS
HÉMOGLOBINURIE
médicament
Dose quotidienne de 30 mg
JOURS
Adapté des références (12-15)
Sévérité de l’hémolyse et de l’anémie provoquées par la primaquine. Des études prospectives détaillées
sur l’hémolyse provoquée par la primaquine ont été effectuées aux États-Unis et en Italie au cours des
années 1950 et 1960. En Italie, le génotype le plus courant de la carence en G6PD est appelé
G6PD méditerranéen, alors qu’en Afrique et chez les afro-américains, c’est le variant A-, moins grave, (avec
une activité moyenne de la G6PD égale à environ 13 % de la normale) qui prédomine. L’université de
Chicago et le Service de recherche des armées ont mené au Pénitentiaire de l’État de l’Ilinois à Stateville
(États-Unis) une série d’études sur des volontaires afro-américains en bonne santé, hémizygotes et de sexe
masculin, qui leur ont permis d’établir une classification de la sévérité de l’anémie hémolytique au cours
d’un traitement de 2 semaines avec différentes doses quotidiennes de primaquine (Tableau 1).
Tableau 1. La sévérité de l’hémolyse et de l’anémie chez des afro-américains de sexe masculin sensibles à
la primaquine dépend de la dose quotidienne de primaquine
Dose quotidienne de primaquine
Hémolyse
Anémie
Demi-vie des érythrocytes
marqués au chrome-51
(en jours)*
45 mg
Anémie
hémolytique
dangereuse
Anémie
hémolytique
dangereuse
0-10
30 mg
15 mg
<15 mg
Sévère
Modérée
Faible
Aiguë
Faible
Pas d’anémie
5-10
10-20
20-25
Tiré de la référence (16).
*En l’absence de primaquine, la demi-vie est >25 jours.
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Recherche d’une carence en G6PD. Le meilleur moyen de déterminer si un sujet présente ou non ce déficit
enzymatique consiste à faire un dosage spectrophotométrique de la G6PD érythrocytaire. Ce dosage ne peut
toutefois être fait qu’en laboratoire. Un certain nombre de tests de dépistage ont été utilisés sur le terrain
(17,18), mais celui auquel on a le plus largement recours est un test basé sur la formation de taches
fluorescentes qui a été utilisé par Beutler dans les années 19604. Ce test permet de détecter directement la
production, à partir de NADP+5, de NADPH qui est fluorescent ; il faut donc disposer d’une lampe à
ultraviolets. En règle générale, ce test classe les sujets qui ont une activité de la G6PD <30 % comme
carencés, ce qui permet d’identifier ceux qui courent un risque d’hémolyse importante sur le plan clinique.
Pour le dépistage du déficit en G6PD chez le nouveau-né, on utilise souvent une variante de ce test qui
consiste à faire sécher des échantillons de sang sur du papier filtre. Son utilisation nécessite un contrôle de
qualité des résultats obtenus sur le terrain et une chaîne de froid pour le transport, et la conservation des
échantillons. De nouveaux tests utilisables sur le lieu de soins pour le dépistage du déficit en G6PD sont à un
stade avancé de développement et le rôle qu’ils pourraient jouer fera bientôt l’objet d’une évaluation par
l’OMS.
4. Guide pour la recherche d’un déficit en G6PD au moyen du test sur taches fluorescentes :
http://sites.path.org/dx/files/2012/04/FST-Guidebook.pdf
5. NADP+ : nicotinamide-adénine-dinucléotide-phosphate.
Note d’orientation de l’OMS sur la primaquine en dose unique comme gamétocytocide dans le paludisme à Plasmodium falciparum 2015 | 9
Références
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quinine. J Am Med Assoc 1970;213:2041–5.
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