LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits
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LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits
LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits des acquéreurs directive C. E. du 26 octobre 1994 Collection « Logiques juridiques » dirigée par Gérard MARCOU professeur agrégé de Droit public Du même auteur : - Estudios Universales (ouvrage collectif), Universidad de Concepti6n (Chili) ; "Derecho y Bicentenario" (2-1991). - Éditions L'Harmattan, collection Logiques juridiques ; "Histoire de la banqueroute et faillite contemporaine" (1993). © L'Harmattan, 1995 ISBN : 2-7384-3313-8 Daniel DESURVIRE LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits des acquéreurs directive C. E. du 26 octobre 1994 Éditions L'Harmattan 5-7, rue de L'École-Polytechnique 75005 Paris Collection «Logiques Juridiques» dirigée par Gérard MARCOU Déjà parus : - ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES, Les Droits de l'Homme : universalité et renouveau, 1789-1989, 1990. - BOUTET D., Vers l'Etat de Droit, 1991. - SIMON J. P., L'Esprit des règles: réseaux et règlementation aux Etats-Unis, 1991. - ROBERT P. (sous la direction de), Les Politiques de prévention de la délinquance à l'aune de la recherche, 1991. - ROBERT P. (sous la direction de), Entre l'ordre et la liberté, la détention provisoire, deux siècles de débats, 1992. - LASCOMBE M., Droit constitutionnel de la Vème République, 1992. - HAMON F., ROUSSEAU D., (sous la direction de), Les institutions en question, 1992. - LOMBARD F., Les jurés. Justice représentative et représentations de la justice, 1993. - BROVELLI G , NOGUES H., La tutelle au majeur protégé, La loi de 68 et sa mise en oeuvre, 1994. - NIORT J.-F, VANNIER G. (sous la direction de), Michel Villey et le droit naturel en question, 1994. - COUTURIER I., La diversification en agriculture, 1994. - BOUDAHRAIN A., Eléments de droit public marocain, 1994. - RAYNAL M., Justice traditionnelle - Justice moderne. Le juge, le devin, le sorcier, 1994. DUBOURG-LAVROFF S., PANTELIS A., Les décisions essentielles du Conseil institutionnel, 1994. VOLMERANGE X., Le fédéralisme allemand et l'intégration européenne, 1994. BONGRAIN M., L'assistant de service social et l'enfant maltraité, 1994. PROUDHON P.-J., Théorie de l'impôt. Texte commenté et présenté par Thierry Lambert, 1995. Desurvire L'auteur remercie les personnes qui, par leur précieuse collaboration, ont apporté leur savoir dans la recherche documentaire et technique du présent ouvrage. Nous pensons en particulier à Messieurs Joël PIEL et Yves GAUGUET, successivement Fondateur et Président du syndicat des Professionnels du Temps Partagé ; Monsieur ,Claude BLANC, directeur général de R.C.I.-France ; Monsieur Gérard EZAVIN, directeur commercial d'Interval International France ; MaîtreMichel LECHAU, avocat à la Cour (P.D.G.B.-Paris) ; Monsieur Patrick VICERIAT, rédacteur à BIPE Conseil ; Maître Philippe BOISSARD, avocat et notaire à Monthey (Suisse) ; Docteur Vassilios DOUVLIS, avocat au Barreau d'Athènes ; Madame Dominique MORAT, commercialiste à Security Time Share SA (Lausanne) ; Monsieur Jacques BERNARD, conseil immobilier (Les Sables-d'Olonne) ; Madame Laurence PENEY, attaché de presse ; et Monsieur Philippe BUCHY, promoteur immobilier. Quelques fragments des données de l'auteur utilisés dans ce livre ont été publiés par le Journal "Les Petites Affiches - La Loi" : n° 70 du 11 juin 1993, n° 90 du 29 juillet 1994 et n° 9 du 20 janvier 1995. Nous remercions la rédaction de ce journal pour son aimable autorisation. INTRODUCTION I - Priorité pour un honnête discernement : séparer le bon grain de l'ivraie La multipropriété semble connaître ces dernières années un regain d'intérêt soulevant çà et là de virulentes polémiques qui défraient la chronique, notamment dans les milieux de la presse populaire ou de l'audiovisuel'. Mais entre les promesses mirifiques des diffuseurs de cette jeune industrie en pleine expansion, et les manipulations médiatiques autour de quelques scandales isolés ; in medio star virtus (l'information est au milieu, donc éloignée des extrêmes). Exploités comme cible au centre duquel on y colle cependant l'institution tout entière, bon nombre d'escrocs surent profiter en territoire étranger de l'absence de lois spécifiques locales. En France, les sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé sont jetées en pâture dans un amalgame délirant d'accusations malheureuses souvent proférées dans l'ignorance des réalités, mais aussi plus rarement, pour affaiblir une institution qui à tort, inquiète la concurrence hôtelière sur un marché où la compétition est un maître mot. Tandis que certaines figures médiatiques -dans un verbiage de sermonneur sans doute destiné à faire monter l'audimat- semblent furieusement animés par le désir de défendre la veuve et l'orphelin, de sérieux auteurs (cités in fine) ont mené avec calme et lucidité leur enquête autour de cette forme achevée de société, qui conduisit même quelques-uns d'entre eux à étudier le phénomène social de sa mondialisation 2 . 1 Pour ne citer que l'émission de M.-D. Montel (Sus aux arnaqueurs ! [FR3] le 8 octobre 1993), nous ne saurions mieux indiquer aux diffuseurs de messages consuméristes et « grands prêtres de l'ceuvre de justice » cette sage exposition d' Aristote : "Dire de ce qui est qu'il est ou de ce qui n'est pas qu'il n'est pas, c'est dire vrai. Dire de ce qui n'est pas qu'il est ou de ce qui est qu'il n'est pas, c'est dire faux". 2 Constat qui ressort des réflexions méthodologiques exposées par François Maurice, président de l'association internationale des docteurs en économie du tourisme (AIDET) ; de l'analyse économétrique tirée des études de Patrick Viceriat (BIPE Conseil) ; du rapport annuel sur la World-Wide Resort Timesharing Industry (1992) élaboré par "Ragatz Associates" (U.S.A.). Rendons également hommage aux travaux de Maître Jean-Louis Falcoz (notaire) ; de Maître Jean-Claude Goldsmith (avocat), de Maître Michel Lechau (avocat) et bien d'autres éminents 8 Introduction II - De la multipropriété au timesharing : le point après trente ans de mise à l'épreuve du droit de jouissance à temps partagé De prime abord, de nombreuses questions peuvent se poser autour du timesharing, en particulier pour le lecteur non averti. Les personnes plus avisées reconnaîtront probablement dans ce concept, un succédané de la multipropriété aujourd'hui disparue dans sa version initiale. Mais la confusion subsistant toujours, nous évacuons volontairement cette association étroite, qui pourrait nuire à l'appréhension de cette institution d'envergure internationale. Aujourd'hui gagnée par un nouvel essor européen grâce à l'introduction récente d'une directive communautaire sui generis, "l'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé" s'avère un moyen de villégiature économiquement préférable à la sacro-sainte orthodoxie romano-germanique de la pleine propriété. Mieux profilée au droit des sociétés et au droit de la consommation en vigueur sur le territoire de l'hexagone, le timesharing se situe désormais à la croisée des chemins qui mène depuis l'expérience de ses échecs, à l'épreuve de la réussite. Notre but ici n'étant pas de défendre aveuglément un concept et encore moins d'excuser certaines pratiques commerciales éhontées 3 , nous nous bornerons à exposer les problèmes soulevés par les consommateurs et les imperfections de fond inhérentes au timeshare. Ce faisant, nous n'écarterons pas la critique ni les repoussoirs contrastants qui jalonnèrent le parcours de la jouissance à temps partagé. On ne saurait sérieusement présenter un produit en occultant une partie d'un raisonnement, ou en faisant l'impasse sur les aspects négatifs du problème de peur d'y trouver l'Arlésienne. Cependant, nous tenterons d'évacuer certains tabous intellectuels éculés, entretenus par le cercle vertueux de partisans farouchement déterminés 4 . spécialistes qui concoururent au développement d'une information de qualité, ponctuée de réflexions comparatives en droit international privé. Il est notoirement admis que certains égarements cupides concourent à la désinformation et au discrédit de toute une corporation, comme le préjugé affaiblit la perception. Mais entre le diktat des magnats de l'hôtellerie et les assauts répétés d'un virus médiatique tenace, la sagesse commande une plus grande vigilance dans les rangs des concepteurs. 4 V. "Au nom des lois" n° 1, mai 1993, page 29 : Une information ouverte contre les faux marchands de rêves. Une réponse publiée le mois suivant en page 2 de ce journal, dénonce comment un fonctionnaire de la Direction départementale de la consommation et de la répression des Introduction 9 De fait, le rejet dogmatique qu'opposent les lobbies les plus conservateurs, freine la construction de nouveaux modèles économiques à partir de cette idée neuve. Nous en voulons pour exemple la notion de propriété privée -jalousement collée à son épithètes- lorsqu'elle s'enferme à double tour derrière une porte, et laisse ainsi se perdre l'énergie et les richesses de ses agrégats 6 dont elle est potentiellement porteuse. C'est ainsi qu'un auteur suisse (M. A. Meier-Hayoz, voir bibliographie) accuse la copropriété spatiotemporelle, de porter atteinte au principe numerus clausus des droits réels. Hormis la propriété ut singuli, ce dernier ne reconnaît de manière implicite que deux types de propriétés collectives : la copropriété et l'indivision, rejetant catégoriquement toute forme de propriété relative fondée sur un droit d'occupation temporaire et non constitutif d'un droit réel. III - Une thérapie de groupe pour les inconditionnels du voyage : des vacances renouvelables à vie qui jamais ne se ressemblent Le timeshare qui fut à l'origine une création de la pratiquez, se pose trente ans après son avènement parmi les plus astucieux montages juridiques dressés autour de la propriété, à l'instar du trust anglo-saxon fraudes, suspecte délibérément et sans preuve une bourse d'échanges pourtant étrangère à la transaction incriminée. Pour le seul motif que ladite bourse est d'origine anglo-saxonne (sic), cet inconditionnel détracteur jette l'opprobre dans un amalgame partial, sans même discerner dans ses âpres assertions qui est l'escroc de la victime ! 5 Si l'on excepte la propriété de l'État ou d'une personne morale de droit public, il est certes vrai que la propriété se comprend d'ordinaire comme la possession absolue, personnelle et indissociable d'une personne physique ou d'une personne morale de droit privé. 6 Les attributs constitutifs de la propriété sont la conséquence de son démembrement, dès lors que le propriétaire établit en faveur d'un tiers, des servitudes personnelles (usufruit, usage). Ces droits sont principaux (jouissance) ou accessoires lorsqu'ils servent seulement de garantie (hypothèque, antichrèse), mais ils sont néanmoins réels : jura in re aliena. 7 L'économie oeuvra à sa création et la pratique l'a façonné, mais avec une tendance à se transformer en fonction des exigences toujours nouvelles du marché mondial du tourisme. Le foisonnement des formes qu'engendre le T.S., provoque un arc-en-ciel de situations toujours nouvelles que le langage qualifie par des terminologies parfois déroutantes, mais qui traduisent les plus excentriques interprétations d'un continent à l'autre. 10 Introduction dont le resort 8 spatio-temporel interfère comme l'une de ses multiples applications. Par le jeu d'une "propriété-vacances" mobile, extensible et adaptable, le timeshare illustre aussi la démocratisation de l'immobilier du tourisme, puisqu'il conduit à ne faire payer au consommateur que la partie du produit qui lui est nécessaire. Pourquoi acheter in perpetuum, devoir entretenir toit et pelouse d'une résidence secondaire 9 pour n'en profiter que trois semaines par ans ? Pour répondre à ce choix, nous nous sommes hasardés à développer quelques aspects épistémologiques autour des valeurs sensibles de la propriété (première partie, chapitre I), puis à mettre en exergue les trésors de possibilités qu'elle recèle. Il sera notamment question d'examiner les qualités fissiles de ce matériau juridique translatif et aliénable, c'est dire le pluralisme centrifuge des propriétés distinctes qu'enferme le droit réel immobilier. Pour conduire le lecteur à une réflexion introspective, comparative et finalement l'amener au timesharing, nous avons transposé les multiples applications de la propriété démembrée, diluée sur une série d'exemples concrets (usufruit, fiducie, emphytéose, etc.). Cette réflexion est menée dans l'esprit de l'histoire avec ses repères et ses enseignements, mais aussi à dessein de répondre à la modernité des besoins nouveaux qui s'expriment à notre époque. Or, si notre siècle est stigmatisé par l'injuste répartition des richesses en ce monde, d'autres valeurs compensent l'inégalité des fortunes à la faveur des différents modes de vie, et pourquoi pas, grâce au timesharing ; dénominateur commun de tous les vacanciers, riches ou moins riches. Afin de comprendre, voire maîtriser ce phénomène catalyseur de l'industrie du tourisme, il nous fallut d'abord dresser sans indulgence ni contrefaçon, un inventaire aussi exhaustif que possible sur la construction juridique et technique du timeshare. 8 En anglais, le mot resort désigne le "lieu de vacances" ou la "station touristique". Mais avec l'évolution des concepts d'aménagement touristique, ce mot s'est chargé de sens, sans que sa définition soit aujourd'hui figée. Chez les Anglo-saxons, il est utilisé le plus souvent en référence à une activité de loisir (le ski resort, le golf resort ou le Disney resort...). En France, il désigne un nouveau concept d'aménagement, développé en général à partir des hébergements (et de l'immobilier de loisir en particulier), qui prend des formes multiples (in, Les cahiers de l'Espace, p. 8, n° 27 - juin 1992). 9 Encore attachée à la persistance d'un sentiment sécurisant ou de signe extérieur de réussite sociale, la "maison de campagne" irradie son propriétaire d'une charge émotionnelle que matérialise un droit direct de propriété sur la chose. Introduction 11 Le droit comparé offre une importante palette de produits à première vue similaires, et pourtant fort souvent dissemblables. Il était donc utile de dresser cette panoplie de constructions à l'attention de l'acquéreur potentiel, tout en le mettant en garde des pièges éventuels qui le guettent, tant il est vrai que la pénétration des campagnes commerciales sur le marché nord-américain comme sur la péninsule ibérique, généra un incontestable succès. Ensuite, dans une approche mercantile qu'il était nécessaire d'appréhender, nous avons voulu connaître la situation professionnelle des partenaires commerciaux et les perspectives économiques du timeshare dans le marché du tourisme, en particulier sur celui de l'immobilier/vacances. Pour les uns, il s'agira d'adopter un nouveau style de vacances futures, ou, si l'achat est déjà réalisé, d'en approfondir la connaissance voire élargir ses modes d'utilisation. Pour d'autres, promoteurs et investisseurs en quête d'une nouvelle forme d'exploitation originale dans l'immobilier/vacances, ce choix inattendu présente toutes les caractéristiques d'une opportunité à saisir. IV - AVERTISSEMENT « Être lu est un hommage, se faire comprendre est une politesse » Soucieux de ne pas exaspérer le lecteur par un chapelet de développements académiques redondants, et de servir chacun pour les besoins de connaissance qui l'intéressent, nous avons choisi de construire notre analyse en quatre parties autonomes 10. Abordés séparément, les trois premiers volets de cet ouvrage ont été conçus pour offrir des réponses individuelles et ciblées pour des questions les plus variées venant de tout public, y compris en direction de personnes nonjuristes. Il n'existe d'ailleurs pas d'interdit au savoir sinon des livres mal faits. 10 Après l' introduction de quelques pages d' histoire indispensables à l'édification doctrinale du sujet et sa perception philosophique, la partie juridique se destine à répondre aux questions techniques de droit français. La seconde partie économique et commerciale, est conçue pour servir l'intérêt des multipropriétaires, surtout l'acquéreur potentiel durant la période de rétractation précédant l'établissement de l'acte définitif de cession. Mais ce volet intéressera également le promoteur, le vendeur ou l'exploitant de T.S. La troisième partie met en exergue l'éventail des droits nationaux autour du concept en Europe. Enfin la dernière partie permettra d'élargir les investigations grâce à une large bibliographie ; des textes officiels choisis dans l'essentiel des actes législatifs et réglementaires codifiés ; un index pratique pour aller droit au but et que complète en cela un sommaire détaillé. 12 Introduction La partie documentaire finale reproduit les principales pièces juridiques (droits français et communautaire) choisies autour du sujet. Elle sera employée à toutes fins utiles pour servir à étayer une enquête, un différend, ou plus simplement faire l'économie d'un fastidieux relevé des codes. En outre, un index alphabétique de mots clés auxquels succèdent un ou plusieurs thèmes de renvoi (reprenant aussi la doctrine et les textes officiels), est destiné à faciliter les recherches plus pointues. Complété d'une table analytique, ce manuel pratique a pour objet d'offrir à l'utilisateur un instrument de fouille, propre à le guider dans l'investigation comme dans la réflexion. Cet ouvrage n'est donc pas destiné à être lu d'une seule pièce. Le scénario ici exposé ne procède pas d'une histoire avec un début et une fin, mais d'une étude qu'il est nécessaire de découvrir en piochant dans la table analytique. En l'occurrence, la première partie destinée à traduire l'essentiel de la législation française dans le domaine de la multipropriété (loi du 6 janvier 1986), propose d'emblée un aperçu historique du démembrement de la propriété. Cette introduction fut élaborée dans le but d'éclairer le lecteur et de le préparer à mieux accepter l'idée du concept timeshare. Des exemples concrets sont exposés pour rappeler qu'il existe déjà depuis fort longtemps dans la vie courante, de nombreux moyens d'atomiser le droit de propriété. De sorte, la lecture de cette partie pourra se limiter à cette parenthèse, et aller se poursuivre plus loin vers d'autres investigations moins techniques, notamment sur les pages s'ouvrant aux méthodes commerciales, les critères de choix d'une telle acquisition, la géographie mondiale de ce phénomène de vacances, etc. Mais le lecteur reviendra probablement plus tard aux commentaires de la législation française et/ou européenne qui viennent à la suite, pour y trouver un idée précise, défendre un point de vue ou démêler un litige. À l'appui de la table thématique, une recherche de mots à l'index analogique viendra étayer l'enquête, en apportant un thème au mot clé choisi, à l'aide du renvoi aux textes et aux notes de lecture. De nombreux appels dans le texte permettrons à l'initié comme au néophyte de poursuivre une lecture toujours plus enrichissante sans perdre le fil, et pouvoir se forger ses convictions à l'appui des textes officiels reproduits in fine qui lui serviront de repère. En effet, l'ouvrage se propose de restituer avec méthode et circonspection, tout ce qui se dit, éclaire ou instrumente le concept dans un esprit contradictoire, donc d'impartialité. Enfin, les résultats d'enquêtes, graphiques et productions chiffrées trouvent leur sources en bas de page. Le public ici concerné doit espérer trouver une réponse à chacune de ses interrogations, laquelle n'a pas pour ambition de le détourner de ses opinions, mais de balayer devant lui certains préjugés tronqués par quelque information facile et qui plus est arbitraire. PREMIÈRE PARTIE LE TIMESHARE EN DROIT POSITIF FRANÇAIS Chapitre I Une redéfinition de la multipropriété A - Au tréfonds de la propriété Au début de sa carrière politique, Léon Blum proclama haut et fort qu'il ne connaissait qu'un socialisme : "[...] un mouvement d'idée et d'action qui mène à une transformation totale du régime de la propriété" 11 . Après cette déclaration forte d'une volition doctrinale, l'orateur de Tours vivra trois décennies sans qu'il ait pu finalement rien y changer. De fait, il est toujours malaisé de bousculer certaines valeurs sensibles du droit fondamental profondément enracinées dans l'esprit de nos traditions latines. Il en va ainsi de la propriété, de son caractère perpétuel et quasi absolu 12 Les sources sont lointaines, parfois obscures, mais toutes semblent converger sur le principe que la propriété naît de la rupture du droit naturel au profit des lois sociales. De sorte, Montesquieu opéra une distinction entre les choses qui dépendent du droit civil 13, de celles qui résultent de la communauté politique. Si les hommes, selon lui, ont . 11 Nous verrons tout au long de cette étude que la multipropriété -invention née du capitalisme occidental,- n'apparaît pas comme un concept fondamentalement antinomique aux théories sociales jadis élaborées par Karl Marx ; lequel fonda son mouvement notamment contre la rente propriétaire (V. Travail salarié et capital). De sorte, la jouissance spatio-temporelle s'avère un instrument économique contre le gaspillage (volets clos en campagne et sur les littoraux) et l'accumulation des biens particuliers. En valorisant le bien immeuble redistribué en partage de temps, la multipropriété se fait championne de la répartition des richesses, tout en générant à la fois des emplois de service, ainsi que du travail dans l'industrie du bâtiment et le commerce. Enfin, elle apporte une solution sociale contre le syndrome malthusien, en transformant le bien foncier en bien de consommation, nonobstant le rejet dogmatique de Marx pour qui "la distribution est la puissance en action de la propriété privée". Cette figure atypique de la propriété qui redistribue le capital sous forme de rentes-vacances valait bien ce clin d'oeil ! 1 'h L'art. 544 du C. civ. dispose : "La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois et les règlements". 13 De l'esprit des lois ; liv. XXXVI/XV. Il semble que la loi civile soit comprise ici comme un droit naturel. Par ailleurs, l'indépendance naturelle citée plus loin, évoque une société égalitaire dite primitive ou sans État, c'est dire privée d'institutions juridico-politiques. 16 Une redéfinition de la multipropriété renoncé à leur indépendance naturelle, c'est pour vivre sous des lois civiles 14. Cette théorie oppose d'une part, la liberté de jouir des biens terrestres suivant le principe de l'universalité indivisible du sol et des fruits de la nature ; et d'autre part, la propriété qui exerce un partage desdits biens selon des critères de légitimité ou de préférence 15 . Tant aux biens publics, ils sont supposés être protégés par "les lois de la liberté". Mais la propriété privée ne doit céder à la propriété publique que dans des cas extrêmes, où le devoir suprême de la cité le justifie dans l'intérêt collectif des citoyens 16. Selon Montesquieu, Il n'y a donc pas paralogisme lorsque l'on affirme que le droit civil est le palladium de la propriété privée et le garant des biens publics. Cicéron soutenait pourtant que les lois agraires étaient funestes, parce que la cité n'était établie que pour que chacun conservât ses biens. La Bible n'ignora pas l'enjeu de ce qui préfigure aujourd'hui comme un aspect juridique du droit canonique de la propriété. Ainsi, le désir intime des fils des humains n'était-il pas de faire durer leurs maisons jusqu'à des temps infinis ; leurs tabernacles de génération en génération. Ils appelèrent même leur propriété foncière par leur nom 17. Saint Thomas 18 dans le sillage d'Aristote 19, trancha pour l'utile institution de la propriété afin que chaque particulier puisse alors disposer de biens terrestres et qu'il en soit maître de sa gestion. Si Rome par la loi des XII Tables, consacra à la propriété un sens profond notamment eu regard au droit des obligations 20, les Gaulois 14 Cette thèse part d'un présupposé ; lequel met en relief l'homme (sujet de droit) qui dispose, et la nature existentielle mais privée de personnalité juridique. Partant de ce postulat, la propriété confère un corps et une âme à la chose matériellement détenue, quelle que soit le caractère de la possession, pourvu que le détenteur en soit le maître (possession précaire ou véritable : animus domini, animus possidendi). 15 Là encore, la loi civile doit être comprise comme un droit naturel si l'on veut bien admettre que dans cette opposition, la propriété n'est pas la privation d'une liberté pour le voisinage, sinon qu'elle ne trouverait pas sa place dans une communauté primitive dépourvue de lois politiques. 16 Ce principe fut retenu comme l'un des fondements de la Constitution (V. infra, note 28). 17 Les Saintes Écritures, Psaumes 49 : 1l. Gloire de Sion. Vanité des richesses. 18 IIa IIae qu. 66 art. 2. 19 Bien que fidèle disciple de Platon, Aristote ne partageait pas les utopies "communistes" de son maître notamment exprimées dans le République. 20 On retiendra essentiellement parmi les sûretés réelles, la fiducia cum creditor (aliénation fiduciaire) et le gage (pignus) résultant de la possession du bien à titre de garantie. Une redéfinition de la multipropriété 17 comme les Germains plutôt chasseurs ou éleveurs que cultivateurs, cédèrent à la propriété collective, les notions de propriétés individuelles du sol qui leur étaient inconnues. La propriété foncière retrouva ses lettres de noblesse avec le droit franc sur les biens ancestraux (alodia), droit rattaché au patrimoine familial par voie d'héritage. Ce faisant, l'application des concepts juridiques romains conduisit progressivement la société féodale à ne plus voir dans la plupart des possesseurs de biens, que des propriétaires d'un droit. La multiplicité des inféodations et la quasi-disparition de l'alleu21 avaient pour conséquence qu'il était rare qu'une personne fut propriétaire d'une terre ou d'un domaine. Le sort des tenures dépendait des conditions souvent aléatoires des concessions que se transmettaient les nobles entre eux, du bénéfice qu'ils en tiraient et des alliances qui se créaient autant de fois qu'elles éclataient. Reprenant pour sienne cette déformation romaniste du concept de propriété, l'École des glossateurs, en particulier sous l'influence de Placentin22, examina la preuve de la propriété spécialement en matière mobilière, sous l'angle de la possession 23. Cette présomption devait conduire chaque possesseur à revendiquer ce droit (animus domini) dès lors qu'il n'était pas possible au demandeur de fournir la preuve contraire : "Tout possesseur de bonne foi fait les fruits siens" 24. Animus et corpus deviennent ensemble une preuve de propriété véritable, et non plus seulement virtuelle par usucapion 25, ou précaire au sens d'une détention qui implique la reconnaissance du droit d'autrui. Cette interprétation -quoique combattue par la glose dominante26,- sera reprise par l'École d'Orléans, et plus tard à l'article 21 Les francs-alleux ou aleugeries suivant une Charte de 1290, se comprenaient comme des fiefs héréditaires exempts de vassalité. Ce droit d'entière et indivisible propriété était opposable au fermage dont le seigneur en retirait une suzeraine allégeance. 22 Placentin de Plaisance, qui enseigna à l'Université de Bologne de 1160 à 1192, fut un grand artisan de la renaissance scientifique du droit romain. 23 Qui possidet dominus esse prœsuitur. 24 Fructus augent hereditatem. 25 Ou prescription acquisitive Cette revendication possessoire qui fonde la propriété par prescription doit être animée par une réelle intention de posséder (animus possidendi). 26 Les glossateurs condisciples d'Irnerius ont, à partir de l'idée que toute revendication est basée sur un pouvoir, fondés l'action du tenancier sur un dominium original. Cette propriété secondaire, inférieure à celle de la propriété de la chose elle-même ; le jus in re, pouvait tout aussi bien se confondre à un droit sur la chose d'autrui, d'où une propriété utile ou encore l'usus comme une résurgence du droit romain. 18 Une redéfinition de la multipropriété 2279 de notre code civil qui dispose : "En fait de meuble, la possession vaut titre" 27 La période révolutionnaire instaura de nouvelles assises constitutionnelles au droit de la propriété 28. Le code Napoléon confirmera le 5 mars 1803 le caractère absolu 29 et perpétuel du droit de propriété dans les termes inchangés de l'actuel article 544 du code civil. De plus, une loi de 1807 instituant le cadastre, en renforça le cadre juridique. Jamais le culte de la propriété ne fut érigé avec autant de force en doctrine comme en droit. Robert Joseph Pothier dont on connaît l'influence scolastique qu'il exerça sur les rédacteurs du code civil notamment par son Traité des obligations, aura même été jusqu'à admettre qu'il existe effectivement une propriété dans la servitude 30, comme dans une succession et même pour une créance. Reprenant le culte romain (dominium) des choses incorporelles, le jurisconsulte affirmera qu'une chose incorporelle peut être revendiquée et usucapée de la même manière qu'une chose corporelle. D'après John Locke dans un tout autre domaine, l'origine naturelle de la propriété procède d'un droit subjectif acquis par le travail. Mais elle peut aussi être revendiquée par le droit du premier occupant. Toutes ces assertions capitalistes seront évidemment rejetées en leur temps par Babeuf, Fourier, Engel, Marx et ses émules collectivistes. Leur vision sociale intégrait d'autres substances philosophiques certes moins libérales que la mécanique valeur-travail prônée par Ricardo, qui sacrifiaient volontiers la propriété -ambassadrice du Grand capital- sur l'autel des libertés individuelles. . 27 Cf. François Testu ; "Les glossateurs", Rev. trim. de dr. civ. n° 2, avril/juin 1993. 28 Art. 17 de la Constitution du 3 septembre 1791 : "La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. 29 La jurisprudence limite le caractère absolu du droit de propriété lorsqu'il apparaît un abus de droit ou un trouble de voisinage. Enfin l'art. 545 du C. civ. dispose : "Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité". 30 V. les pandectes de Justinien mises dans un nouvel ordre ou traité du droit de domaine de propriété. Dans le cas où un fonds unique fait l'objet d'un démembrement de la propriété (en l'espèce, droit d'usage ou droit d'habitation), la servitude qui grève l'immeuble est un fonds servant, ou une servitude passive. Ce droit accessoire de la propriété du fonds auquel elle profite est un fonds dominant, ou une servitude active (C. civ., art. 637). Une redéfinition de la multipropriété 19 Néanmoins, la conjugaison de ces différents courants amena progressivement un consensualisme autour de la notion de propriété ; celle-ci devenant moins cette chose jalousement détenue ou enfermée sur elle-même, mais davantage une faculté pour un individu d'user, de jouir ou de disposer de celle-ci. Cette émergence du droit romain et du concept pluraliste de la propriété (Fructus est tuus, mancipium illius) 31 permtdésoaince,'lboruatvisnpedl possession au terme d'un droit subjectif élaboré. De nos jours, les personnes physiques ont la capacité de scinder leurs biens personnels de leurs capitaux productifs, en s'isolant derrière l'écran protecteur d'un patrimoine d'affectation que suggère le contrat de société32 . L'affectio societatis consacré à l'article 1842 du code civil33, protégera encore davantage les propriétaires sous l'anonymat d'une personne morale par eux instituée, en limitant dans certains cas la responsabilité des associés 34. La recomposition interactive de la propriété dans les secteurs commerciaux et industriels, ne cesse de se réinventer au rythme du progrès technique des sciences financières. Morcellement, dispersion, conversion des fonds monétaires et des biens matériels, sont autant d'opérations porteuses de richesses ou propres à dissimuler la propriété pour mieux la protéger. De nombreux prédateurs croisent le destin des fortunes happées par la dévaluation, l'inflation, la fiscalisation, la crise économique ou la spoliation des biens sous l'empire des révolutions, des guerres d'indépendance ou de la terreur. La propriété quelle qu'en soit sa nature, gagne aujourd'hui à se faire discrète et revêtir l'anonymat des personnes morales, en sacrifiant ce qui jadis faisait l'orgueil des grandes familles. Se souvient-on encore des splendides enseignes en fer émaillé flanquées du syntagme Père & fils qui ornaient l'entrée des fabriques, lesquelles arboraient sans détour le blason de l'opulence et le culte de l'avoir ? À cet endroit, l'encyclique du Pape Paul VI a signalé la différence entre I'« avoir » et l' « être ». Avoir des biens ne perfectionne pas en soi le sujet humain si cela ne contribue pas à la maturation et à l'enrichissement de son être. Mais la qualité qui découle de la possession et la mise à disposition du bien relève d'une autre morale. , 31 Le revenu est à toi, la propriété est à lui (Cicéron). 32 II résulte de l'art. 1832 du C. civ., une séparation des patrimoines dans le but d'écarter les risques de confusion entre les biens personnels et les apports en industrie que génère inéluctablement l'entreprise personnelle. " Qui se distingue de l'indivision née du droit romain. 34 Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales. 20 B - Une redéfinition de la multipropriété Aperçu historique du démembrement de la propriété Le droit de possession a domino 35 est protégé par l'article 17 de la Constitution du 3 septembre 1791 36. Mais l'article 544 du code civil en définit la nature d'une façon quelque peu lapidaire 37. Même si le droit de propriété a subi de notables extensions, il préserve dans le fond une indéniable uniformité conceptuelle, puisqu'on l'entend généralement "pleine et entière" dans la forme la plus achevée du droit réel. Par ailleurs, il n'existe pas en droit français d'autres modèles juridiques traduisant la propriété transposée ou éclatée, sinon celui désigné sous la curieuse expression des contrats aléatoires ; tels le viager 38 la multipropriété en droit positif39 ou la fiducie en voie de constitution40. Ces exemples atypiques nous interrogent sur le fond de la doctrine, à savoir ; quelles sont les prérogatives du propriétaire entre l'abusus qui dispose, et celles que confère la jouissance, Possessionem usus fructus, non etiam dominium adipisci 41 , . 35 Lorsque l'ayant-cause dispose d'un juste titre, il est alors réputé "verus dominus" (le véritable propriétaire). 36 Au caractère inviolable et sacré de la propriété consacré au préambule de la Constitution, s'ajoute une protection judiciaire possessoire et perpétuelle qui ne saurait s'éteindre par le non-usage (Cass. civ. 3e, 22 juin 1983). Par analogie, il est intéressant d'observer la nuance qui s'installait en droit romain entre l'usufruit et l'usage. Ainsi l'usage (usage nu) qui était considéré comme un droit moins étendu que l'usufruit, se constituait et finissait aussi par les mêmes moyens que l'usufruit. Ce droit d'un rang inférieur, pouvait donc s'éteindre de lui-même par le nonusage. Mais l'usufruit (outre la mort de l'usufruitier) devait finir aussi dans les même circonstances après un certain temps et conformément aux règles établies à sa constitution. Ces cas d'extinction cependant fort rares, permettaient que ce droit d'usufruit (ou de jouir salva rerum substantia) ne dure autant que son objet, c'est dire pour un temps illimité en particulier s'il changeait de destination ou se transmettait entre vifs, au point que la nue-propriété s'en serait trouvée séparée à perpétuité, devenant de la sorte complètement inutile (Institutes, liv. II, tit. IV, § I). 37 Définition proche de celle de Cicéron selon laquelle il détermine que la propriété est ce dont on jouit et dispose ; Id est cujusque proprium quo fruitur algue utitur. 5uisque 8 "Du contrat de rente viagère", art. 1968 et suiv. du C. civ. 39 Loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé, objet de cet ouvrage. 40 Projet de loi n° 2583 enregistré le 20 février 1992 à l'Assemblée Nationale, non réinscrit à l'ordre du jour des travaux parlementaires lors de la dernière cession de 1993. 41 Acquérir l'usufruit, mais non la propriété (Digeste).