LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits

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LE TIMESHARE ou la multipropriété échangée Les nouveaux droits
LE TIMESHARE
ou la multipropriété échangée
Les nouveaux droits des acquéreurs
directive C. E. du 26 octobre 1994
Collection « Logiques juridiques »
dirigée par Gérard MARCOU
professeur agrégé de Droit public
Du même auteur :
- Estudios Universales (ouvrage collectif), Universidad de Concepti6n
(Chili) ; "Derecho y Bicentenario" (2-1991).
- Éditions L'Harmattan, collection Logiques juridiques ; "Histoire de la
banqueroute et faillite contemporaine" (1993).
© L'Harmattan, 1995
ISBN : 2-7384-3313-8
Daniel DESURVIRE
LE TIMESHARE
ou la multipropriété échangée
Les nouveaux droits des acquéreurs
directive C. E. du 26 octobre 1994
Éditions L'Harmattan
5-7, rue de L'École-Polytechnique
75005 Paris
Collection «Logiques Juridiques»
dirigée par Gérard MARCOU
Déjà parus :
- ASSOCIATION INTERNATIONALE DES JURISTES DEMOCRATES, Les Droits de l'Homme : universalité et renouveau,
1789-1989, 1990.
- BOUTET D., Vers l'Etat de Droit, 1991.
- SIMON J. P., L'Esprit des règles: réseaux et règlementation aux
Etats-Unis, 1991.
- ROBERT P. (sous la direction de), Les Politiques de prévention
de la délinquance à l'aune de la recherche, 1991.
- ROBERT P. (sous la direction de), Entre l'ordre et la liberté, la
détention provisoire, deux siècles de débats, 1992.
- LASCOMBE M., Droit constitutionnel de la Vème République,
1992.
- HAMON F., ROUSSEAU D., (sous la direction de), Les institutions en question, 1992.
- LOMBARD F., Les jurés. Justice représentative et représentations de la justice, 1993.
- BROVELLI G , NOGUES H., La tutelle au majeur protégé, La
loi de 68 et sa mise en oeuvre, 1994.
- NIORT J.-F, VANNIER G. (sous la direction de), Michel Villey
et le droit naturel en question, 1994.
- COUTURIER I., La diversification en agriculture, 1994.
- BOUDAHRAIN A., Eléments de droit public marocain, 1994.
- RAYNAL M., Justice traditionnelle - Justice moderne. Le juge,
le devin, le sorcier, 1994.
DUBOURG-LAVROFF S., PANTELIS A., Les décisions essentielles du Conseil institutionnel, 1994.
VOLMERANGE X., Le fédéralisme allemand et l'intégration
européenne, 1994.
BONGRAIN M., L'assistant de service social et l'enfant maltraité,
1994.
PROUDHON P.-J., Théorie de l'impôt. Texte commenté et présenté par Thierry Lambert, 1995.
Desurvire
L'auteur remercie les personnes qui, par leur précieuse
collaboration, ont apporté leur savoir dans la recherche documentaire et
technique du présent ouvrage. Nous pensons en particulier à Messieurs
Joël PIEL et Yves GAUGUET, successivement Fondateur et Président du
syndicat des Professionnels du Temps Partagé ; Monsieur ,Claude
BLANC, directeur général de R.C.I.-France ; Monsieur Gérard EZAVIN,
directeur commercial d'Interval International France ; MaîtreMichel
LECHAU, avocat à la Cour (P.D.G.B.-Paris) ; Monsieur Patrick
VICERIAT, rédacteur à BIPE Conseil ; Maître Philippe BOISSARD,
avocat et notaire à Monthey (Suisse) ; Docteur Vassilios DOUVLIS,
avocat au Barreau d'Athènes ; Madame Dominique MORAT,
commercialiste à Security Time Share SA (Lausanne) ; Monsieur Jacques
BERNARD, conseil immobilier (Les Sables-d'Olonne) ; Madame
Laurence PENEY, attaché de presse ; et Monsieur Philippe BUCHY,
promoteur immobilier.
Quelques fragments des données de l'auteur utilisés dans ce livre
ont été publiés par le Journal "Les Petites Affiches - La Loi" : n° 70 du
11 juin 1993, n° 90 du 29 juillet 1994 et n° 9 du 20 janvier 1995. Nous
remercions la rédaction de ce journal pour son aimable autorisation.
INTRODUCTION
I - Priorité pour un honnête discernement : séparer le bon
grain de l'ivraie
La multipropriété semble connaître ces dernières années un regain
d'intérêt soulevant çà et là de virulentes polémiques qui défraient la
chronique, notamment dans les milieux de la presse populaire ou de
l'audiovisuel'. Mais entre les promesses mirifiques des diffuseurs de
cette jeune industrie en pleine expansion, et les manipulations
médiatiques autour de quelques scandales isolés ; in medio star virtus
(l'information est au milieu, donc éloignée des extrêmes).
Exploités comme cible au centre duquel on y colle cependant
l'institution tout entière, bon nombre d'escrocs surent profiter en
territoire étranger de l'absence de lois spécifiques locales. En France,
les sociétés d'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé
sont jetées en pâture dans un amalgame délirant d'accusations
malheureuses souvent proférées dans l'ignorance des réalités, mais
aussi plus rarement, pour affaiblir une institution qui à tort, inquiète la
concurrence hôtelière sur un marché où la compétition est un maître
mot.
Tandis que certaines figures médiatiques -dans un verbiage de
sermonneur sans doute destiné à faire monter l'audimat- semblent
furieusement animés par le désir de défendre la veuve et l'orphelin, de
sérieux auteurs (cités in fine) ont mené avec calme et lucidité leur
enquête autour de cette forme achevée de société, qui conduisit même
quelques-uns d'entre eux à étudier le phénomène social de sa
mondialisation 2
.
1 Pour ne citer que l'émission de M.-D. Montel (Sus aux arnaqueurs !
[FR3] le 8 octobre 1993), nous ne saurions mieux indiquer aux
diffuseurs de messages consuméristes et « grands prêtres de l'ceuvre de
justice » cette sage exposition d' Aristote : "Dire de ce qui est qu'il est
ou de ce qui n'est pas qu'il n'est pas, c'est dire vrai. Dire de ce qui n'est
pas qu'il est ou de ce qui est qu'il n'est pas, c'est dire faux".
2 Constat qui ressort des réflexions méthodologiques exposées par
François Maurice, président de l'association internationale des docteurs
en économie du tourisme (AIDET) ; de l'analyse économétrique tirée des
études de Patrick Viceriat (BIPE Conseil) ; du rapport annuel sur la
World-Wide Resort Timesharing Industry (1992) élaboré par "Ragatz
Associates" (U.S.A.). Rendons également hommage aux travaux de
Maître Jean-Louis Falcoz (notaire) ; de Maître Jean-Claude Goldsmith
(avocat), de Maître Michel Lechau (avocat) et bien d'autres éminents
8
Introduction
II - De la multipropriété au timesharing : le point après
trente ans de mise à l'épreuve du droit de jouissance à
temps partagé
De prime abord, de nombreuses questions peuvent se poser
autour du timesharing, en particulier pour le lecteur non averti. Les
personnes plus avisées reconnaîtront probablement dans ce concept, un
succédané de la multipropriété aujourd'hui disparue dans sa version
initiale. Mais la confusion subsistant toujours, nous évacuons
volontairement cette association étroite, qui pourrait nuire à
l'appréhension de cette institution d'envergure internationale.
Aujourd'hui gagnée par un nouvel essor européen grâce à
l'introduction récente d'une directive communautaire sui generis,
"l'attribution d'immeubles en jouissance à temps partagé" s'avère un
moyen de villégiature économiquement préférable à la sacro-sainte
orthodoxie romano-germanique de la pleine propriété. Mieux profilée
au droit des sociétés et au droit de la consommation en vigueur sur le
territoire de l'hexagone, le timesharing se situe désormais à la croisée
des chemins qui mène depuis l'expérience de ses échecs, à l'épreuve de
la réussite.
Notre but ici n'étant pas de défendre aveuglément un concept et
encore moins d'excuser certaines pratiques commerciales éhontées 3 ,
nous nous bornerons à exposer les problèmes soulevés par les
consommateurs et les imperfections de fond inhérentes au timeshare.
Ce faisant, nous n'écarterons pas la critique ni les repoussoirs
contrastants qui jalonnèrent le parcours de la jouissance à temps
partagé. On ne saurait sérieusement présenter un produit en occultant
une partie d'un raisonnement, ou en faisant l'impasse sur les aspects
négatifs du problème de peur d'y trouver l'Arlésienne. Cependant,
nous tenterons d'évacuer certains tabous intellectuels éculés, entretenus
par le cercle vertueux de partisans farouchement déterminés 4
.
spécialistes qui concoururent au développement d'une information de
qualité, ponctuée de réflexions comparatives en droit international privé.
Il est notoirement admis que certains égarements cupides concourent à
la désinformation et au discrédit de toute une corporation, comme le
préjugé affaiblit la perception. Mais entre le diktat des magnats de
l'hôtellerie et les assauts répétés d'un virus médiatique tenace, la sagesse
commande une plus grande vigilance dans les rangs des concepteurs.
4 V. "Au nom des lois" n° 1, mai 1993, page 29 : Une information
ouverte contre les faux marchands de rêves. Une réponse publiée le mois
suivant en page 2 de ce journal, dénonce comment un fonctionnaire de la
Direction départementale de la consommation et de la répression des
Introduction
9
De fait, le rejet dogmatique qu'opposent les lobbies les plus
conservateurs, freine la construction de nouveaux modèles
économiques à partir de cette idée neuve. Nous en voulons pour
exemple la notion de propriété privée -jalousement collée à son
épithètes- lorsqu'elle s'enferme à double tour derrière une porte, et
laisse ainsi se perdre l'énergie et les richesses de ses agrégats 6 dont elle
est potentiellement porteuse. C'est ainsi qu'un auteur suisse (M. A.
Meier-Hayoz, voir bibliographie) accuse la copropriété spatiotemporelle, de porter atteinte au principe numerus clausus des droits
réels. Hormis la propriété ut singuli, ce dernier ne reconnaît de manière
implicite que deux types de propriétés collectives : la copropriété et
l'indivision, rejetant catégoriquement toute forme de propriété relative
fondée sur un droit d'occupation temporaire et non constitutif d'un
droit réel.
III - Une thérapie de groupe pour les inconditionnels du
voyage : des vacances renouvelables à vie qui jamais ne se
ressemblent
Le timeshare qui fut à l'origine une création de la pratiquez, se
pose trente ans après son avènement parmi les plus astucieux montages
juridiques dressés autour de la propriété, à l'instar du trust anglo-saxon
fraudes, suspecte délibérément et sans preuve une bourse d'échanges
pourtant étrangère à la transaction incriminée. Pour le seul motif que
ladite bourse est d'origine anglo-saxonne (sic), cet inconditionnel
détracteur jette l'opprobre dans un amalgame partial, sans même
discerner dans ses âpres assertions qui est l'escroc de la victime !
5 Si l'on excepte la propriété de l'État ou d'une personne morale de droit
public, il est certes vrai que la propriété se comprend d'ordinaire comme
la possession absolue, personnelle et indissociable d'une personne
physique ou d'une personne morale de droit privé.
6 Les attributs constitutifs de la propriété sont la conséquence de son
démembrement, dès lors que le propriétaire établit en faveur d'un tiers,
des servitudes personnelles (usufruit, usage). Ces droits sont principaux
(jouissance) ou accessoires lorsqu'ils servent seulement de garantie
(hypothèque, antichrèse), mais ils sont néanmoins réels : jura in re
aliena.
7 L'économie oeuvra à sa création et la pratique l'a façonné, mais avec
une tendance à se transformer en fonction des exigences toujours
nouvelles du marché mondial du tourisme. Le foisonnement des formes
qu'engendre le T.S., provoque un arc-en-ciel de situations toujours
nouvelles que le langage qualifie par des terminologies parfois
déroutantes, mais qui traduisent les plus excentriques interprétations d'un
continent à l'autre.
10
Introduction
dont le resort 8 spatio-temporel interfère comme l'une de ses multiples
applications. Par le jeu d'une "propriété-vacances" mobile, extensible et
adaptable, le timeshare illustre aussi la démocratisation de l'immobilier
du tourisme, puisqu'il conduit à ne faire payer au consommateur que la
partie du produit qui lui est nécessaire. Pourquoi acheter in perpetuum,
devoir entretenir toit et pelouse d'une résidence secondaire 9 pour n'en
profiter que trois semaines par ans ?
Pour répondre à ce choix, nous nous sommes hasardés à
développer quelques aspects épistémologiques autour des valeurs
sensibles de la propriété (première partie, chapitre I), puis à mettre en
exergue les trésors de possibilités qu'elle recèle. Il sera notamment
question d'examiner les qualités fissiles de ce matériau juridique
translatif et aliénable, c'est dire le pluralisme centrifuge des propriétés
distinctes qu'enferme le droit réel immobilier. Pour conduire le lecteur à
une réflexion introspective, comparative et finalement l'amener au
timesharing, nous avons transposé les multiples applications de la
propriété démembrée, diluée sur une série d'exemples concrets
(usufruit, fiducie, emphytéose, etc.).
Cette réflexion est menée dans l'esprit de l'histoire avec ses
repères et ses enseignements, mais aussi à dessein de répondre à la
modernité des besoins nouveaux qui s'expriment à notre époque. Or, si
notre siècle est stigmatisé par l'injuste répartition des richesses en ce
monde, d'autres valeurs compensent l'inégalité des fortunes à la faveur
des différents modes de vie, et pourquoi pas, grâce au timesharing ;
dénominateur commun de tous les vacanciers, riches ou moins riches.
Afin de comprendre, voire maîtriser ce phénomène catalyseur de
l'industrie du tourisme, il nous fallut d'abord dresser sans indulgence
ni contrefaçon, un inventaire aussi exhaustif que possible sur la
construction juridique et technique du timeshare.
8 En anglais, le mot resort désigne le "lieu de vacances" ou la "station
touristique". Mais avec l'évolution des concepts d'aménagement
touristique, ce mot s'est chargé de sens, sans que sa définition soit
aujourd'hui figée. Chez les Anglo-saxons, il est utilisé le plus souvent en
référence à une activité de loisir (le ski resort, le golf resort ou le Disney
resort...). En France, il désigne un nouveau concept d'aménagement,
développé en général à partir des hébergements (et de l'immobilier de
loisir en particulier), qui prend des formes multiples (in, Les cahiers de
l'Espace, p. 8, n° 27 - juin 1992).
9 Encore attachée à la persistance d'un sentiment sécurisant ou de signe
extérieur de réussite sociale, la "maison de campagne" irradie son
propriétaire d'une charge émotionnelle que matérialise un droit direct de
propriété sur la chose.
Introduction
11
Le droit comparé offre une importante palette de produits à
première vue similaires, et pourtant fort souvent dissemblables. Il était
donc utile de dresser cette panoplie de constructions à l'attention de
l'acquéreur potentiel, tout en le mettant en garde des pièges éventuels
qui le guettent, tant il est vrai que la pénétration des campagnes
commerciales sur le marché nord-américain comme sur la péninsule
ibérique, généra un incontestable succès. Ensuite, dans une approche
mercantile qu'il était nécessaire d'appréhender, nous avons voulu
connaître la situation professionnelle des partenaires commerciaux et les
perspectives économiques du timeshare dans le marché du tourisme, en
particulier sur celui de l'immobilier/vacances.
Pour les uns, il s'agira d'adopter un nouveau style de vacances
futures, ou, si l'achat est déjà réalisé, d'en approfondir la connaissance
voire élargir ses modes d'utilisation. Pour d'autres, promoteurs et
investisseurs en quête d'une nouvelle forme d'exploitation originale
dans l'immobilier/vacances, ce choix inattendu présente toutes les
caractéristiques d'une opportunité à saisir.
IV - AVERTISSEMENT
« Être lu est un hommage, se faire comprendre est une politesse »
Soucieux de ne pas exaspérer le lecteur par un chapelet de
développements académiques redondants, et de servir chacun pour les
besoins de connaissance qui l'intéressent, nous avons choisi de
construire notre analyse en quatre parties autonomes 10. Abordés
séparément, les trois premiers volets de cet ouvrage ont été conçus pour
offrir des réponses individuelles et ciblées pour des questions les plus
variées venant de tout public, y compris en direction de personnes nonjuristes. Il n'existe d'ailleurs pas d'interdit au savoir sinon des livres
mal faits.
10 Après l' introduction de quelques pages d' histoire indispensables à
l'édification doctrinale du sujet et sa perception philosophique, la partie
juridique se destine à répondre aux questions techniques de droit
français. La seconde partie économique et commerciale, est conçue pour
servir l'intérêt des multipropriétaires, surtout l'acquéreur potentiel durant
la période de rétractation précédant l'établissement de l'acte définitif de
cession. Mais ce volet intéressera également le promoteur, le vendeur ou
l'exploitant de T.S. La troisième partie met en exergue l'éventail des
droits nationaux autour du concept en Europe. Enfin la dernière partie
permettra d'élargir les investigations grâce à une large bibliographie ; des
textes officiels choisis dans l'essentiel des actes législatifs et
réglementaires codifiés ; un index pratique pour aller droit au but et que
complète en cela un sommaire détaillé.
12
Introduction
La partie documentaire finale reproduit les principales pièces
juridiques (droits français et communautaire) choisies autour du sujet.
Elle sera employée à toutes fins utiles pour servir à étayer une enquête,
un différend, ou plus simplement faire l'économie d'un fastidieux
relevé des codes. En outre, un index alphabétique de mots clés
auxquels succèdent un ou plusieurs thèmes de renvoi (reprenant aussi
la doctrine et les textes officiels), est destiné à faciliter les recherches
plus pointues. Complété d'une table analytique, ce manuel pratique a
pour objet d'offrir à l'utilisateur un instrument de fouille, propre à le
guider dans l'investigation comme dans la réflexion.
Cet ouvrage n'est donc pas destiné à être lu d'une seule pièce. Le
scénario ici exposé ne procède pas d'une histoire avec un début et une
fin, mais d'une étude qu'il est nécessaire de découvrir en piochant dans
la table analytique. En l'occurrence, la première partie destinée à
traduire l'essentiel de la législation française dans le domaine de la
multipropriété (loi du 6 janvier 1986), propose d'emblée un aperçu
historique du démembrement de la propriété. Cette introduction fut
élaborée dans le but d'éclairer le lecteur et de le préparer à mieux
accepter l'idée du concept timeshare. Des exemples concrets sont
exposés pour rappeler qu'il existe déjà depuis fort longtemps dans la
vie courante, de nombreux moyens d'atomiser le droit de propriété. De
sorte, la lecture de cette partie pourra se limiter à cette parenthèse, et
aller se poursuivre plus loin vers d'autres investigations moins
techniques, notamment sur les pages s'ouvrant aux méthodes
commerciales, les critères de choix d'une telle acquisition, la
géographie mondiale de ce phénomène de vacances, etc.
Mais le lecteur reviendra probablement plus tard aux
commentaires de la législation française et/ou européenne qui viennent à
la suite, pour y trouver un idée précise, défendre un point de vue ou
démêler un litige. À l'appui de la table thématique, une recherche de
mots à l'index analogique viendra étayer l'enquête, en apportant un
thème au mot clé choisi, à l'aide du renvoi aux textes et aux notes de
lecture. De nombreux appels dans le texte permettrons à l'initié comme
au néophyte de poursuivre une lecture toujours plus enrichissante sans
perdre le fil, et pouvoir se forger ses convictions à l'appui des textes
officiels reproduits in fine qui lui serviront de repère. En effet,
l'ouvrage se propose de restituer avec méthode et circonspection, tout
ce qui se dit, éclaire ou instrumente le concept dans un esprit
contradictoire, donc d'impartialité. Enfin, les résultats d'enquêtes,
graphiques et productions chiffrées trouvent leur sources en bas de
page. Le public ici concerné doit espérer trouver une réponse à chacune
de ses interrogations, laquelle n'a pas pour ambition de le détourner de
ses opinions, mais de balayer devant lui certains préjugés tronqués par
quelque information facile et qui plus est arbitraire.
PREMIÈRE PARTIE
LE TIMESHARE EN DROIT POSITIF
FRANÇAIS
Chapitre I
Une redéfinition de la multipropriété
A - Au tréfonds de la propriété
Au début de sa carrière politique, Léon Blum proclama haut et
fort qu'il ne connaissait qu'un socialisme : "[...] un mouvement d'idée
et d'action qui mène à une transformation totale du régime de la
propriété" 11 . Après cette déclaration forte d'une volition doctrinale,
l'orateur de Tours vivra trois décennies sans qu'il ait pu finalement rien
y changer. De fait, il est toujours malaisé de bousculer certaines valeurs
sensibles du droit fondamental profondément enracinées dans l'esprit
de nos traditions latines. Il en va ainsi de la propriété, de son caractère
perpétuel et quasi absolu 12
Les sources sont lointaines, parfois obscures, mais toutes
semblent converger sur le principe que la propriété naît de la rupture du
droit naturel au profit des lois sociales. De sorte, Montesquieu opéra
une distinction entre les choses qui dépendent du droit civil 13, de celles
qui résultent de la communauté politique. Si les hommes, selon lui, ont
.
11 Nous verrons tout au long de cette étude que la multipropriété
-invention née du capitalisme occidental,- n'apparaît pas comme un
concept fondamentalement antinomique aux théories sociales jadis
élaborées par Karl Marx ; lequel fonda son mouvement notamment
contre la rente propriétaire (V. Travail salarié et capital). De sorte, la
jouissance spatio-temporelle s'avère un instrument économique contre le
gaspillage (volets clos en campagne et sur les littoraux) et l'accumulation
des biens particuliers. En valorisant le bien immeuble redistribué en
partage de temps, la multipropriété se fait championne de la répartition
des richesses, tout en générant à la fois des emplois de service, ainsi que
du travail dans l'industrie du bâtiment et le commerce. Enfin, elle apporte
une solution sociale contre le syndrome malthusien, en transformant le
bien foncier en bien de consommation, nonobstant le rejet dogmatique
de Marx pour qui "la distribution est la puissance en action de la
propriété privée". Cette figure atypique de la propriété qui redistribue le
capital sous forme de rentes-vacances valait bien ce clin d'oeil !
1 'h L'art. 544 du C. civ. dispose : "La propriété est le droit de jouir et
disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse
pas un usage prohibé par les lois et les règlements".
13 De l'esprit des lois ; liv. XXXVI/XV. Il semble que la loi civile soit
comprise ici comme un droit naturel. Par ailleurs, l'indépendance
naturelle citée plus loin, évoque une société égalitaire dite primitive ou
sans État, c'est dire privée d'institutions juridico-politiques.
16
Une redéfinition de la multipropriété
renoncé à leur indépendance naturelle, c'est pour vivre sous des lois
civiles 14. Cette théorie oppose d'une part, la liberté de jouir des biens
terrestres suivant le principe de l'universalité indivisible du sol et des
fruits de la nature ; et d'autre part, la propriété qui exerce un partage
desdits biens selon des critères de légitimité ou de préférence 15 .
Tant aux biens publics, ils sont supposés être protégés par "les
lois de la liberté". Mais la propriété privée ne doit céder à la propriété
publique que dans des cas extrêmes, où le devoir suprême de la cité le
justifie dans l'intérêt collectif des citoyens 16. Selon Montesquieu, Il n'y
a donc pas paralogisme lorsque l'on affirme que le droit civil est le
palladium de la propriété privée et le garant des biens publics. Cicéron
soutenait pourtant que les lois agraires étaient funestes, parce que la cité
n'était établie que pour que chacun conservât ses biens.
La Bible n'ignora pas l'enjeu de ce qui préfigure aujourd'hui
comme un aspect juridique du droit canonique de la propriété. Ainsi, le
désir intime des fils des humains n'était-il pas de faire durer leurs
maisons jusqu'à des temps infinis ; leurs tabernacles de génération en
génération. Ils appelèrent même leur propriété foncière par leur nom 17.
Saint Thomas 18 dans le sillage d'Aristote 19, trancha pour l'utile
institution de la propriété afin que chaque particulier puisse alors
disposer de biens terrestres et qu'il en soit maître de sa gestion.
Si Rome par la loi des XII Tables, consacra à la propriété un sens
profond notamment eu regard au droit des obligations 20, les Gaulois
14 Cette thèse part d'un présupposé ; lequel met en relief l'homme (sujet
de droit) qui dispose, et la nature existentielle mais privée de personnalité
juridique. Partant de ce postulat, la propriété confère un corps et une âme
à la chose matériellement détenue, quelle que soit le caractère de la
possession, pourvu que le détenteur en soit le maître (possession précaire
ou véritable : animus domini, animus possidendi).
15 Là encore, la loi civile doit être comprise comme un droit naturel si
l'on veut bien admettre que dans cette opposition, la propriété n'est pas la
privation d'une liberté pour le voisinage, sinon qu'elle ne trouverait pas sa
place dans une communauté primitive dépourvue de lois politiques.
16 Ce principe fut retenu comme l'un des fondements de la Constitution
(V. infra, note 28).
17 Les Saintes Écritures, Psaumes 49 : 1l. Gloire de Sion. Vanité des
richesses.
18 IIa IIae qu. 66 art. 2.
19 Bien que fidèle disciple de Platon, Aristote ne partageait pas les
utopies "communistes" de son maître notamment exprimées dans le
République.
20 On retiendra essentiellement parmi les sûretés réelles, la fiducia cum
creditor (aliénation fiduciaire) et le gage (pignus) résultant de la
possession du bien à titre de garantie.
Une redéfinition de la multipropriété
17
comme les Germains plutôt chasseurs ou éleveurs que cultivateurs,
cédèrent à la propriété collective, les notions de propriétés individuelles
du sol qui leur étaient inconnues. La propriété foncière retrouva ses
lettres de noblesse avec le droit franc sur les biens ancestraux (alodia),
droit rattaché au patrimoine familial par voie d'héritage.
Ce faisant, l'application des concepts juridiques romains
conduisit progressivement la société féodale à ne plus voir dans la
plupart des possesseurs de biens, que des propriétaires d'un droit. La
multiplicité des inféodations et la quasi-disparition de l'alleu21 avaient
pour conséquence qu'il était rare qu'une personne fut propriétaire d'une
terre ou d'un domaine. Le sort des tenures dépendait des conditions
souvent aléatoires des concessions que se transmettaient les nobles
entre eux, du bénéfice qu'ils en tiraient et des alliances qui se créaient
autant de fois qu'elles éclataient.
Reprenant pour sienne cette déformation romaniste du concept de
propriété, l'École des glossateurs, en particulier sous l'influence de
Placentin22, examina la preuve de la propriété spécialement en matière
mobilière, sous l'angle de la possession 23. Cette présomption devait
conduire chaque possesseur à revendiquer ce droit (animus domini) dès
lors qu'il n'était pas possible au demandeur de fournir la preuve
contraire : "Tout possesseur de bonne foi fait les fruits siens" 24.
Animus et corpus deviennent ensemble une preuve de propriété
véritable, et non plus seulement virtuelle par usucapion 25, ou précaire
au sens d'une détention qui implique la reconnaissance du droit
d'autrui. Cette interprétation -quoique combattue par la glose
dominante26,- sera reprise par l'École d'Orléans, et plus tard à l'article
21 Les francs-alleux ou aleugeries suivant une Charte de 1290, se
comprenaient comme des fiefs héréditaires exempts de vassalité. Ce droit
d'entière et indivisible propriété était opposable au fermage dont le
seigneur en retirait une suzeraine allégeance.
22 Placentin de Plaisance, qui enseigna à l'Université de Bologne de 1160
à 1192, fut un grand artisan de la renaissance scientifique du droit
romain.
23 Qui possidet dominus esse prœsuitur.
24 Fructus augent hereditatem.
25 Ou prescription acquisitive Cette revendication possessoire qui fonde
la propriété par prescription doit être animée par une réelle intention de
posséder (animus possidendi).
26 Les glossateurs condisciples d'Irnerius ont, à partir de l'idée que toute
revendication est basée sur un pouvoir, fondés l'action du tenancier sur
un dominium original. Cette propriété secondaire, inférieure à celle de la
propriété de la chose elle-même ; le jus in re, pouvait tout aussi bien se
confondre à un droit sur la chose d'autrui, d'où une propriété utile ou
encore l'usus comme une résurgence du droit romain.
18
Une redéfinition de la multipropriété
2279 de notre code civil qui dispose : "En fait de meuble, la possession
vaut titre" 27
La période révolutionnaire instaura de nouvelles assises
constitutionnelles au droit de la propriété 28. Le code Napoléon
confirmera le 5 mars 1803 le caractère absolu 29 et perpétuel du droit de
propriété dans les termes inchangés de l'actuel article 544 du code civil.
De plus, une loi de 1807 instituant le cadastre, en renforça le cadre
juridique. Jamais le culte de la propriété ne fut érigé avec autant de
force en doctrine comme en droit. Robert Joseph Pothier dont on
connaît l'influence scolastique qu'il exerça sur les rédacteurs du code
civil notamment par son Traité des obligations, aura même été jusqu'à
admettre qu'il existe effectivement une propriété dans la servitude 30,
comme dans une succession et même pour une créance. Reprenant le
culte romain (dominium) des choses incorporelles, le jurisconsulte
affirmera qu'une chose incorporelle peut être revendiquée et usucapée
de la même manière qu'une chose corporelle.
D'après John Locke dans un tout autre domaine, l'origine
naturelle de la propriété procède d'un droit subjectif acquis par le
travail. Mais elle peut aussi être revendiquée par le droit du premier
occupant. Toutes ces assertions capitalistes seront évidemment rejetées
en leur temps par Babeuf, Fourier, Engel, Marx et ses émules
collectivistes. Leur vision sociale intégrait d'autres substances
philosophiques certes moins libérales que la mécanique valeur-travail
prônée par Ricardo, qui sacrifiaient volontiers la propriété
-ambassadrice du Grand capital- sur l'autel des libertés individuelles.
.
27 Cf. François Testu ; "Les glossateurs", Rev. trim. de dr. civ. n° 2,
avril/juin 1993.
28 Art. 17 de la Constitution du 3 septembre 1791 : "La propriété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la
nécessité publique légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité.
29 La jurisprudence limite le caractère absolu du droit de propriété
lorsqu'il apparaît un abus de droit ou un trouble de voisinage. Enfin l'art.
545 du C. civ. dispose : "Nul ne peut être contraint de céder sa propriété,
si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et
préalable indemnité".
30 V. les pandectes de Justinien mises dans un nouvel ordre ou traité du
droit de domaine de propriété. Dans le cas où un fonds unique fait l'objet
d'un démembrement de la propriété (en l'espèce, droit d'usage ou droit
d'habitation), la servitude qui grève l'immeuble est un fonds servant, ou
une servitude passive. Ce droit accessoire de la propriété du fonds auquel
elle profite est un fonds dominant, ou une servitude active (C. civ., art.
637).
Une redéfinition de la multipropriété
19
Néanmoins, la conjugaison de ces différents courants amena
progressivement un consensualisme autour de la notion de propriété ;
celle-ci devenant moins cette chose jalousement détenue ou enfermée
sur elle-même, mais davantage une faculté pour un individu d'user, de
jouir ou de disposer de celle-ci. Cette émergence du droit romain et du
concept pluraliste de la propriété (Fructus est tuus, mancipium illius) 31
permtdésoaince,'lboruatvisnpedl
possession au terme d'un droit subjectif élaboré.
De nos jours, les personnes physiques ont la capacité de scinder
leurs biens personnels de leurs capitaux productifs, en s'isolant derrière
l'écran protecteur d'un patrimoine d'affectation que suggère le contrat
de société32 . L'affectio societatis consacré à l'article 1842 du code
civil33, protégera encore davantage les propriétaires sous l'anonymat
d'une personne morale par eux instituée, en limitant dans certains cas la
responsabilité des associés 34. La recomposition interactive de la
propriété dans les secteurs commerciaux et industriels, ne cesse de se
réinventer au rythme du progrès technique des sciences financières.
Morcellement, dispersion, conversion des fonds monétaires et
des biens matériels, sont autant d'opérations porteuses de richesses ou
propres à dissimuler la propriété pour mieux la protéger. De nombreux
prédateurs croisent le destin des fortunes happées par la dévaluation,
l'inflation, la fiscalisation, la crise économique ou la spoliation des
biens sous l'empire des révolutions, des guerres d'indépendance ou de
la terreur.
La propriété quelle qu'en soit sa nature, gagne aujourd'hui à se
faire discrète et revêtir l'anonymat des personnes morales, en sacrifiant
ce qui jadis faisait l'orgueil des grandes familles. Se souvient-on encore
des splendides enseignes en fer émaillé flanquées du syntagme Père &
fils qui ornaient l'entrée des fabriques, lesquelles arboraient sans détour
le blason de l'opulence et le culte de l'avoir ?
À cet endroit, l'encyclique du Pape Paul VI a signalé la différence
entre I'« avoir » et l' « être ». Avoir des biens ne perfectionne pas en
soi le sujet humain si cela ne contribue pas à la maturation et à
l'enrichissement de son être. Mais la qualité qui découle de la
possession et la mise à disposition du bien relève d'une autre morale.
,
31 Le revenu est à toi, la propriété est à lui (Cicéron).
32 II résulte de l'art. 1832 du C. civ., une séparation des patrimoines dans
le but d'écarter les risques de confusion entre les biens personnels et les
apports en industrie que génère inéluctablement l'entreprise personnelle.
" Qui se distingue de l'indivision née du droit romain.
34 Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales.
20
B
-
Une redéfinition de la multipropriété
Aperçu historique du démembrement de la propriété
Le droit de possession a domino 35 est protégé par l'article 17 de
la Constitution du 3 septembre 1791 36. Mais l'article 544 du code civil
en définit la nature d'une façon quelque peu lapidaire 37. Même si le
droit de propriété a subi de notables extensions, il préserve dans le fond
une indéniable uniformité conceptuelle, puisqu'on l'entend
généralement "pleine et entière" dans la forme la plus achevée du droit
réel. Par ailleurs, il n'existe pas en droit français d'autres modèles
juridiques traduisant la propriété transposée ou éclatée, sinon celui
désigné sous la curieuse expression des contrats aléatoires ; tels le
viager 38 la multipropriété en droit positif39 ou la fiducie en voie de
constitution40. Ces exemples atypiques nous interrogent sur le fond de
la doctrine, à savoir ; quelles sont les prérogatives du propriétaire entre
l'abusus qui dispose, et celles que confère la jouissance, Possessionem
usus fructus, non etiam dominium adipisci 41
,
.
35 Lorsque l'ayant-cause dispose d'un juste titre, il est alors réputé "verus
dominus" (le véritable propriétaire).
36 Au caractère inviolable et sacré de la propriété consacré au préambule
de la Constitution, s'ajoute une protection judiciaire possessoire et
perpétuelle qui ne saurait s'éteindre par le non-usage (Cass. civ. 3e, 22
juin 1983). Par analogie, il est intéressant d'observer la nuance qui
s'installait en droit romain entre l'usufruit et l'usage. Ainsi l'usage (usage
nu) qui était considéré comme un droit moins étendu que l'usufruit, se
constituait et finissait aussi par les mêmes moyens que l'usufruit. Ce droit
d'un rang inférieur, pouvait donc s'éteindre de lui-même par le nonusage. Mais l'usufruit (outre la mort de l'usufruitier) devait finir aussi
dans les même circonstances après un certain temps et conformément
aux règles établies à sa constitution. Ces cas d'extinction cependant fort
rares, permettaient que ce droit d'usufruit (ou de jouir salva rerum
substantia) ne dure autant que son objet, c'est dire pour un temps illimité
en particulier s'il changeait de destination ou se transmettait entre vifs, au
point que la nue-propriété s'en serait trouvée séparée à perpétuité,
devenant de la sorte complètement inutile (Institutes, liv. II, tit. IV, § I).
37 Définition proche de celle de Cicéron selon laquelle il détermine que
la propriété est ce dont on jouit et dispose ; Id est cujusque proprium quo
fruitur algue utitur.
5uisque
8 "Du contrat de rente viagère", art. 1968 et suiv. du C. civ.
39 Loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d'attribution
d'immeubles en jouissance à temps partagé, objet de cet ouvrage.
40 Projet de loi n° 2583 enregistré le 20 février 1992 à l'Assemblée
Nationale, non réinscrit à l'ordre du jour des travaux parlementaires lors
de la dernière cession de 1993.
41 Acquérir l'usufruit, mais non la propriété (Digeste).