La multipropriété disparaît à petit feu et dans la

Transcription

La multipropriété disparaît à petit feu et dans la
LE DAUPHINÉ LIBÉRÉ | MARDI 25 AOÛT 2015 | 3
IQUEYRASI
IBRIANÇONI
Pêche interdite sur le Guil
Série télévisée “Alex Hugo” :
diffusion le 2 septembre
» C’est confirmé. La pêche sur le Guil et le torrent du Bouchet est interdite jusqu’à la fin de
la saison. Une mesure de précaution prise vendredi par le préfet des Hautes­Alpes, qui avait
été sollicité par les associations L’ardillon haut­alpin et La truite du Guil et par la fédération
départementale de pêche (notre édition du 19 août). Les pêcheurs avaient signalé la mort
d’une centaine de poissons sur ces deux cours d’eau du Queyras depuis fin juillet, entre
Abriès et Aiguilles.
L’origine de cet épisode de pollution, qui avait connu un précédent en 2014, est encore
inconnue. Pour en savoir plus, des prélèvements faits par les services de l’État vont être
analysés. La pêche reste possible sur les autres affluents du Guil.
» En octobre, Briançon accueillait l’équipe de production
de la série télévisée “Alex Hugo” pour le tournage de
l’épisode “Comme un oiseau sans ailes”. La diffusion de
cet épisode est programmée le mercredi 2 septembre
à 20 h 55 sur France 2. Pour ceux qui auraient manqué
le premier épisode, Alex Hugo (incarné à l’écran par
l’acteur Samuel Le Bihan) est un ancien grand flic
marseillais qui a choisi de s’isoler dans les montagnes.
VOTRE RÉGION
LE DÉVOLUY | Les propriétaires d’un séjour dans la tranche 1 du bâtiment Le Bois d’Aurouze s’inquiètent de la fin annoncée d’un système devenu déficitaire
La multipropriété disparaît à petit feu
et dans la douleur à Superdévoluy
« Sans préparation, ça ne
peut être que conflictuel »
«M
oi, j’ai acheté cet
appartement du
15 au 30. Si tout le
monde dépasse d’une demi­
journée, qu’est­ce qui se pas­
se ? Moi, l’année prochaine, je
skie au mois de juillet ! » La ré­
plique de Gérard Jugnot, alias
Bernard Morin, en 1979 dans
“Les bronzés font du ski”, ré­
sume mieux que de longs dis­
cours le principe de la multi­
propriété, qui s’achemine, à
Superdévoluy comme ailleurs
(voir ci­contre), vers une mort
certaine.
Sans doute Jean­Pierre Co­
pin a­t­il déjà ri de bon cœur
devant la scène jouée par
l’irascible M. Morin –
« J’aurais très bien pu arriver
ici à 0 h 10 ! » – mais, aujour­
d’hui, les petites contraintes
de la multipropriété ne le font
plus guère sourire. Cet été est
le dernier qu’il passe au 604 S
du bâtiment Le Bois d’Aurou­
ze,danslestudiode23m²dont
il partage le temps d’occupa­
tion avec une douzaine
d’autres multipropriétaires.
«Ç
a ne pouvait pas mar­
cher, juge Claude
Pascal, à la tête de la
section Hautes­Alpes de la
Fédérationnationaledel’im­
mobilier (Fnaim 05). Du
moins pas sur le long terme,
tempère­t­il. Celui qui l’a eu
a eu une idée géniale, mais il
ne s’est pas projeté sur son
évolution à 30 ou 50 ans. »
Pour le spécialiste de l’im­
mobilier dans un départe­
mentoùlamultipropriété,de
son expertise, n’a pas telle­
ment pris, le système corres­
pond à son époque. « C’était
l’état d’esprit des années 70,
celle du développement du
ski en stations et de l’accès à
la propriété. Ça avait le côté
idéaliste de son temps. »
Des périodes creuses à venir
À l’époque, donc, la multi­
propriété avait toute sa perti­
nence, d’autant que, Claude
Pascall’observe,elles’estac­
compagnée d’un solide pro­
jet immobilier. « Les bâti­
ments apparus dans ces an­
nées 60, 70 ont été bien
construits, ils sont restés en
Vers une liquidation
de la SRBA1
« Pendant nos dernières va­
cances – j’ai deux mois de sé­
jour en juillet et août – nous
avons entendu plein de bruits
courir, comme quoi la multi­
propriété allait disparaître et
que nous ne pourrions plus ac­
céder à nos appartements.
Certains “multis” ne le peu­
vent déjà plus. » Les bruits
étaient fondés.
Le 17 décembre, ils ont été
confirmés par l’ordre du jour
de l’assemblée extraordinaire
delaSociétérésidenceduBois
d’Aurouze tranche 1 (SRBA1).
Celle­ci est le plein propriétai­
re de 210 studios dans un im­
meuble divisé en cinq tran­
ches où les multipropriétaires
ne disposent que de la jouis­
sance d’un temps de séjour
pour une durée de 99 ans.
Présent à cette assemblée
parisienne, l’ancien cadre de
Depuis la terrasse de son studio qu’il détient en multipropriété, Jean-Pierre Copin, ici au côté de Christiane Ducreux, une de ses “voisines”,
sait qu’il ne pourra bientôt plus jouir de sa vue sur les pistes, mais il n’entend pas sortir du système sans une juste compensation. Photo Le DL/V.D.
Vallourec à la retraite a été
confronté, comme chaque ac­
tionnaire de la SRBA1, à plu­
sieurs choix. Pour tenter de
sauver une société déficitaire,
plombée par un système de
multipropriété mal pensé et
qui a vécu (voir ci­contre), le
premier consistait à voter le
départ des actionnaires qui
souhaitaient se désengager,
ce que, jusque­là, les statuts
ne permettaient pas, et le
maintien des autres.
Le quorum des 2/3 non at­
teint, la résolution a été reje­
tée, ainsi que les deux suivan­
tes, qui, elles, auraient acté,
selon des modalités différen­
tes,lamortdelaSRBA1.Votée
àlamajoritésimple,laquatriè­
me résolution, soit le renvoi du
conseil d’administration, a été
la seule conséquence – mais
décisive – de cette réunion.
L’espoir d’obtenir au moins
250 euros par action
Jean­Pierre Copin en est reve­
nu sans illusions sur l’avenir
de la multipropriété au Bois
d’Aurouze. Encore moins de­
puis que, le 10 juillet, le tribu­
nal de commerce de Paris a
nommé un administrateur ju­
diciaire. L’une de ses mis­
sions : convoquer une assem­
blée générale extraordinaire
“en vue de décider la dissolu­
tion anticipée et la liquidation
de la société”. Rideau.
En 1995, Jean­Pierre Copin
et son épouse, qui habitent
aujourd’hui Pont­Sainte­
Maxence, dans l’Oise, “ache­
taient” deux mois de studio au
pied des pistes de Superdévo­
luy pour l’équivalent de
1 200 euros et 1 000 autres de
charges annuelles. Cela leur
donnait droit à 40 actions de la
SRBA1 sur les 70 980 réparties
entre 4 405 séjours d’une se­
maine à plusieurs mois.
« C’est fini, on le sait mainte­
nant, mais on ne veut pas tout
perdre, indique le “multi”. On
n’enfaitpasunequestiond’ar­
gent, on a aimé passer 20 ans
ici, mais, si on doit rendre l’ap­
partement, que ce soit à des
conditions favorables. » Re­
partir sur une copropriété ? Le
jeune retraité de 65 ans y pen­
se, mais cela est encore loin.
Alors que la procédure judi­
ciaire risque de ne pas solder
les comptes avant longtemps,
Jean­Pierre Copin espère tirer
250 euros de chacune de ses
actions. La résolution 1 de l’as­
semblée de décembre dernier
en proposait 10 à ceux qui
voulaient quitter le système…
Vincent DANET
bon état. C’était une période
oùl’onconstruisaitdelaqua­
lité. » Un demi­siècle après,
ils auront donc survécu au
système qui les a fait naître.
La suite, soit le bascule­
ment de la “multi” vers la co­
propriété, le président de la
Fnaim 05 l’envisage dans la
difficulté. « Sans prépara­
tion, ça ne peut être que con­
flictuel. Ça va disparaître, ça
ne correspond plus à rien, il
faut donc définir un cadre ju­
ridique précis. Mais on vient
juste de découvrir l’ampleur
du problème, en Savoie,
dans les Pyrénées, etc. »
Pour Claude Pascal, la fin
de la multipropriété aura des
répercussions. « En “multi”,
la vie de l’immeuble est
constante. La rotation des sé­
jours fait qu’il y a toujours de
la vie, faisant marcher l’éco­
nomie. La copropriété va
changer le quotidien des sta­
tions, il y aura davantage de
périodes creuses. » Et d’as­
surer que « les multis ne se­
ront pas les seuls enquiqui­
nés » par cette disparition.
V.D.
Les causes du déficit
L
e 17 décembre 2014, lors de l’assemblée extraordinaire de
la SRBA1, son conseil d’administration a énuméré les cau­
ses du déficit à ses actionnaires :
­ Vacances d’été raccourcies, vacances de Pâques dépla­
cées, mettant certaines zones hors période d’ouverture des
remontées mécaniques.
­ Les commerces étaient au départ gérés par le promoteur.
Lorsqu’ils ont été vendus à des particuliers, ceux­ci ont fait
coïncider les ouvertures avec les périodes de forte affluence
dans la station. Les détenteurs de séjours peu fréquentés,
déçus, ont pu faire jouer leur clause de départ en tel cas, leurs
charges retombant sur les autres multipropriétaires.
­ L’engouement pour ce type de vacances s’est émoussé, il
ne correspond plus aux aspirations d’aujourd’hui.
­ Du fait de l’impossibilité à sortir du système, sauf à trouver
un remplaçant, de nombreux “multis”, mécontents, ne
payent plus leurs charges.
Les commerçants attendent la fin de la “multi” dans la circonspection
D
Jean-Michel Seignier gère deux commerces au rez-de-chaussée
du bâtiment Le Bois d’Aurouze. Photo Le DL/V.D.
epuis la construction du
Bois d’Aurouze, les multi­
propriétaires disposent de
tous les services nécessaires à
la vie quotidienne au rez­de­
chaussée et dans les sous­sols
du bâtiment. Si ceux qui les
délivrent ne savent pas encore
jusqu’à quel point, la fin pro­
grammée de la “multi” risque
de rejaillir sur leur activité. Et
certains souffriront probable­
ment plus que d’autres.
Au second sous­sol de l’im­
meuble récemment classé
“patrimoine du XXe siècle”,
Stéphanie Iozzia tient les rê­
nes d’“Aqua Spa” depuis
quatre ans. Avec la disparition
de la multipropriété, « je vais
perdre mes amis et mes
clients », se désole­t­elle. Le
service qu’elle propose est tel
que sa clientèle est effective­
ment composée d’habitués,
dont l’absence se fait d’ores et
déjà ressentir.
Carnet de réservation à l’ap­
pui, Stéphanie Iozzia explique
connaître une baisse de fré­
quentation de l’ordre de 20 %
par rapport à 2014. « On est en
train de souffrir, assure­t­elle.
Il y a des têtes que l’on ne voit
plus. Ce mois, déjà, certains
n’ont plus eu accès à leur ap­
partement. » Et de s’inquiéter
pour l’avenir : « Je sais ce
qu’on a, mais je ne sais pas ce
qu’on va récupérer. Ça va finir
en bâtiment dortoir. »
Selon le type de service déli­
vré, les commerçants du Bois
d’Aurouze et, plus générale­
ment, de Superdévoluy, n’en­
visagentpaslefuturdemaniè­
re aussi noire. Croisés dans la
galerie marchande, Jérôme
Salmon et Jean­Michel Sei­
gnier devisent sur les réper­
cussions que pourrait avoir la
fin de la “multi”. Pour le pre­
mier, gérant depuis 18 ans du
tabac­presse“LeTrucvert”,la
question ne semble guère être
un problème. « Je draine
99,9 % des résidents de la sta­
tion.QuecesoitPierre,Paulou
Jacques, je m’en fiche. »
« Ça favorisera la vente
de souvenirs »
À son côté, Jean­Michel Sei­
gnier, qui tient deux commer­
cesdanslagalerie,l’undepro­
duits régionaux et une bou­
cherie­fromagerie, se montre
moins définitif. « La nouvelle
clientèle devra se refidéliser,
présage­t­il. Les “multi” valo­
risaient nos commerces par
leur présence tout au long de
l’année. »
Installé au Bois d’Aurouze
depuis quatre ans, Jean­Mi­
chel Seignier demeure opti­
miste sur au moins un point.
« Le turnover que cette évolu­
tion va entraîner favorisera en
tout cas la vente de souvenirs.
Mais encore faut­il que les co­
propriétés soient louées… »,
tempère­t­il tout de suite.
V.D.
Au sous-sol du Bois d’Aurouze, “Aqua Spa” est depuis quatre ans dirigé
par Stéphanie Iozzia. Photo Le DL/V.D.