(cqué réforme cour d`assises UPM 090224)

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(cqué réforme cour d`assises UPM 090224)
COMMUNIQUE RELATIF A LA REFORME DE LA COUR D’ASSISES
L’Union professionnelle de la magistrature a pris connaissance des diverses initiatives tendant
à une réforme de la procédure applicable aux crimes non correctionnalisés, à la lumière
notamment des enseignements de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 13
janvier 2009 condamnant la Belgique en raison du défaut de motivation de la décision du jury
d’assises statuant sur la culpabilité.
Ces initiatives, antérieures ou postérieures à l’arrêt de la Cour européenne des droits de
l’homme, sont le rapport définitif de la commission de réforme de la Cour d’assises du 23
décembre 2005, la proposition de loi relative à la réforme de la cour d’assises déposée par M.
Philippe MAHOUX, qui s’inspire largement de ce rapport, la proposition de loi organisant un
recours contre les arrêts de la Cour d’assises déposée par M. Philippe MONFILS, et l’avis du
Conseil supérieur de la Justice du 28 janvier 2009 sur la proposition de loi réformant la cour
d’assises déposé par M. Philippe MAHOUX.
L’UPM tient tout d’abord à rappeler que :
•
La commission pour la réforme de la cour d’assises s’est majoritairement prononcée
en faveur de la suppression de la cour d’assises et son remplacement par une
juridiction nouvelle conçue sur le principe de l’échevinage (V. rapport p. 13). Le
développement ultérieur d’une proposition fondée sur l’hypothèse du maintien de la
Cour d’assises est consécutif à une décision de madame la ministre de la justice L.
ONKELINX. Cette option politique est antérieure à l’arrêt de la cour européenne des
droits de l’homme.
•
Le Conseil supérieur de la Justice, dans son avis, a considéré que les arguments en
faveur de la suppression de la cour d’assises sous sa forme actuelle pèsent plus lourd
que les arguments qui plaident en faveur de son maintien. Les autres propositions
contenues dans l’avis sont formulées à titre subsidiaire.
•
Sauf à dénoncer la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales et ne plus reconnaître la juridiction de la Cour européenne des
droits de l’homme, ce qui ne peut vraisemblablement s’imaginer, le législateur ne
dispose pas d’un large pouvoir d’appréciation sur le plan politique. Les dispositions de
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la convention et la jurisprudence de la Cour s’imposent au législateur, sous peine
d’encourir de nouvelles condamnations extrêmement préjudiciables à la crédibilité du
pays sur le plan international, et susceptibles d’engendrer sur le plan interne le chaos
dans la répression des faits par hypothèse les plus graves.
•
L’argument politique avancé par d’aucuns, selon lequel le jury populaire est une
institution indissociable de la démocratie est selon toute apparence contraire à
l’appréciation juridique qu’en fait la Cour européenne des droits de l’homme ellemême. Ce qui est en revanche indissociable de la démocratie, c’est le principe de la
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont la Cour
européenne est précisément gardienne. Par ailleurs, plusieurs de nos pays voisins, tels
les Pays-Bas et le grand-duché de Luxembourg ne connaissent pas ou plus l’institution
de la cour d’assises sans que leur caractère démocratique ne puisse pour autant être
mis en cause.
Devant ces considérations, l’UPM s’étonne de ce que, sur le plan politique, la réflexion
semble se figer sur le choix à priori du maintien de la cour d’assises, sans examiner
sérieusement si l’évolution de la jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme
rend ce maintien juridiquement possible, et si oui à quelles conditions.
Par ailleurs, Une réforme de la cour d’assises ne peut en aucun cas faire l’économie d’une
réflexion en termes d’efficacité et d’économie de moyens, la situation d’engorgement actuelle
nécessitant à elle seule une réforme à bref délai. A cet égard, le nombre de sessions de cour
d’assises fixées a manifestement induit certains en erreur. Ce chiffre révèle la faiblesse des
moyens disponibles, et ne rend pas compte du délai de fixation croissant, et du nombre de
dossiers en attente d’être fixés devant une cour d’assises.
Dans la réflexion ouverte sur la réforme de la cour d’assises, tenant compte des impératifs
juridiques posés notamment par la jurisprudence de la cour européenne, mais aussi des
impératifs liés à la nécessaire efficience et efficacité de la juridiction chargée de juger les faits
les plus graves, l’UPM souhaite exprimer clairement les principaux points soumis
actuellement au débat sur lesquels elle ne peut en aucun cas marquer son accord.
1. pas de motivation de pure forme
Si certains se sont avancés en imaginant, pour satisfaire aux exigences de la Cour européenne
des droits de l’homme, une motivation succincte, rédigée à posteriori ou par des nonprofessionnels, intégrée dans le fonctionnement actuel de la cour d’assises, l’UPM ne
considère pas que cette solution soit acceptable, sous peine d’encourir de nouvelles censures
de la Cour européenne.
Dans son arrêt du 13 janvier 2009, la Cour indique notamment :
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« Dans sa jurisprudence, la Cour ne cesse d'affirmer que la motivation des décisions de justice est
étroitement liée aux préoccupations du procès équitable car elle permet de préserver les droits de la
défense. La motivation est indispensable à la qualité même de la justice et constitue un rempart contre
l'arbitraire (n°43).
…
La Cour considère que si l'on peut admettre qu'une juridiction supérieure motive ses décisions de
manière succincte, en se bornant à faire sienne la motivation retenue par le premier juge, il n'en va
pas forcément de même pour une juridiction de première instance, statuant au plus au pénal.(n° 44) »
La Cour motive enfin spécifiquement la condamnation de l’Etat belge de la manière suivante :
« Dans ces conditions, la Cour de cassation n'a pas été en mesure d'exercer efficacement son contrôle
et de déceler, par exemple, une insuffisance ou une contradiction des motifs (n°49) ».
Si la nature exacte de l’étendue de la motivation exigée par la Cour peut certes prêter à discussion, il
semble en tout cas se dégager de la lecture de l’arrêt que le contrôle de la cour de cassation doit
s’exercer notamment sur une éventuelle insuffisance ou contrariété de motifs. Ce contrôle est en soi
relativement étendu et ne se limite pas au seul constat de l’existence d’une motivation formelle. Il
n’est pas imaginable que cette motivation soit rédigée par des non-professionnels.
Par ailleurs, le législateur belge a lui-même pris certaines initiatives concernant l’appréciation de la
preuve. Ainsi, par exemple, a-t-il décidé d’accorder une force probante limitée aux témoignages
anonymes (article 86 quinquies du code d’instruction criminelle) et aux témoignages recueillis par
voie téléphonique (article 112 bis §6 du code d’instruction criminelle) . Est-il d’ores et déjà admissible
que le prévenu jugé par un tribunal correctionnel dispose d’un contrôle étendu sur le respect de ces
dispositions, tandis que l’accusé jugé en cour d’assises ne dispose d’aucun moyen pour vérifier que,
dans leur intime conviction, un ou plusieurs jurés n’ont pas donné à un témoignage une force que la
loi prohibe ?
2. Pas de maintien de la délibération du jury seul sur la culpabilité.
L’institution de la cour d’assises est un ensemble complexe dont chaque élément participe à
l’équilibre, en sorte qu’une modification d’un de ses éléments peut déséquilibrer l’ensemble et
conduire à de sérieux dysfonctionnements.
C’est ainsi que, notamment, le principe du jury populaire qui délibère seul est indissociable du
principe du scrutin secret, car c’est le caractère secret du vote qui garantit l’indépendance de
chaque juré, et sa liberté de vote quelles que soient les personnalités qui composent le jury ;
les jurés plus faibles, plus timides ou vulnérables s’en trouvent protégés, et avec eux
l’expression réelle de douze voix distinctes et non des seules opinions d’éventuels meneurs.
Or le principe du scrutin secret n’est pas compatible avec une motivation cohérente de la
décision. Pour exprimer les motifs qui ont été retenus pour emporter une décision, encore
faut-il que s’expriment ceux qui se sont prononcés dans le sens de la décision rendue. Va-t-on
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en effet demander à un juré qui a voté (ou va voter) en faveur de l’acquittement d’exprimer
les motifs de la condamnation à laquelle il n’a pris (ou ne prendra) aucune part ? la
proposition formulée par le Conseil supérieur de la justice à cet égard ne peut être retenue.
Il faut donc convenir que le principe de motivation de la décision, tel qu’imposé par la Cour
européenne, impose la disparition du scrutin secret, au profit d’une délibération ainsi qu’elle
se pratique entre magistrats professionnels, permettant de dégager tant une majorité qu’une
motivation emportant l’adhésion de cette majorité. Cette délibération ne peut avoir lieu qu’en
présence de magistrats professionnels, pour deux motifs : le caractère nécessairement
technique et juridique de la motivation à élaborer, et la nécessaire garantie, en remplacement
de la garantie d’un scrutin secret, que la délibération se déroule de manière sereine, sérieuse et
respectueuse de l’opinion de chacun.
3. Pas de recours de pleine juridiction devant un second jury populaire (appel
circulaire)
Le caractère souverain du jury populaire, principe d’origine révolutionnaire auquel d’aucuns
sont attachés, prend un bien singulier aspect lorsqu’il s’agit de constater qu’un jury déterminé
serait, sur base de critères aléatoires, finalement plus souverain qu’un autre.
S’agissant de juridictions qui sont, par hypothèse, amenées à prononcer les peines les plus
fortes, un nombre de recours élevé est à prévoir, notamment dans les affaires où la réclusion à
perpétuité a été prononcée en première instance. En quoi la décision du second jury devraitelle être préférable à la première ?
Si la France connaît certes un tel système, encore faut-il constater qu’il y est sérieusement
critiqué, et que la tradition et la procédure de la Cour d’assises y sont sensiblement
différentes.
Par ailleurs, il faut insister de manière appuyée sur le chaos qui serait immédiatement créé par
une telle modification en l’état actuel des choses.
En raison d’une procédure d’assises devenue inadaptée, notre pays a pris la voie de la
multiplication des procès-fleuves dont il est à craindre que le législateur ne prenne pas la
pleine mesure de l’importance. La multiplication de ces seuls procès-fleuves par deux est
radicalement impensable en termes de moyens matériels, humains et financiers ; Sur le seul
plan des bâtiments elle serait impensable. Sur le plan humain également. Quel avocat pourrait
assumer deux fois le procès DUTROUX sur la même année ?
Les développements de la proposition de loi déposée par M. Philippe MONFILS ne peuvent
en aucune manière recueillir l’adhésion. S’il ne faut pas focaliser son attention sur les affaires
particulièrement médiatisées, encore faut-il se rendre compte de ce que l’image de la justice,
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et le regard des citoyens, sont grandement influencés par les plus grandes affaires, et que c’est
également sur la réunion des bonnes conditions de leur déroulement que la responsabilité
politique d’un gouvernement peut se trouver engagée. Si ces affaires-là ne peuvent être jugées
de manière satisfaisante, il faut impérativement convenir que le système n’est pas viable, ou
est particulièrement injuste.
4. Pas de redéfinition des compétences de la cour d’assises sans une étude d’impact
et des critères objectifs.
La réduction du nombre d’affaires devant être soumises à la cour d’assises est également
mise en avant.
Cette échappatoire, si elle ne peut que susciter de l’intérêt dans une situation d’engorgement
telle que nous la connaissons, ne peut être utilisée dans le cadre d’une large réforme pour
compenser le maintien d’une procédure inadaptée. Si la procédure n’est pas adaptée, il faut
changer la procédure, et non viser la réduction du nombre de procès.
Par ailleurs, il faudrait encore s’entendre sur la voie préférable pour envisager cette réduction.
La voie du choix arbitraire de la chambre des mises en accusation, qui peut, sur base de
critères non définis, opter pour le renvoi devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises,
paraît difficilement justifiable à la lumière des principes fondamentaux de notre droit. La
révision des qualifications incorrectionnalisables est une autre piste, mais qui suscite d’autres
difficultés. Pour envisager une réduction significative du nombre de procès d’assises, la
correctionnalisation de la tentative d’assassinat est, à titre d’exemple, souvent avancée
comme solution. Sur le plan de la justice distributive, il est toutefois, en certaines hypothèses,
difficile de distinguer en quoi le criminel qui a échoué dans son projet par l’effet de
circonstances imprévues serait moins dangereux ou moins coupable que celui qui a réussi.
En toute hypothèse, une analyse statistique des qualifications retenues dans les arrêts de
renvoi récents, afin de mesurer l’impact éventuel d’une modification, s’impose avant de
s’engager dans cette voie.
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