Les Tableaux de Bord Stratégiques : Analyse comparative d
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Les Tableaux de Bord Stratégiques : Analyse comparative d
99.11 Les Tableaux de Bord Stratégiques : Analyse comparative d’un modèle nord-américain et d’un modèle suédois Grégory Wegmann Doctorant à l’IAE de Paris Résumé : Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche en contrôle de gestion. Sa problématique générale, dans un contexte de « perte de pertinence » des outils de contrôle de gestion, est de se demander comment combiner la mesure des performances d’une entreprise (analyse rétrospective) et l’aide à la décision à long terme (pilotage stratégique). Le présent article a pour objet l’étude d’un nouvel outil, élaboré en partie pour répondre à cette problématique : le Tableau de Bord Stratégique. Cette étude consiste en une comparaison de deux types de tableaux de bord stratégiques nettement différenciés, l’un américain, le Tableau de Bord Equilibré de Robert Kaplan et David Norton, l’autre suédois, le Navigateur de Skandia AFS. Il s’agit ici de dévoiler les hypothèses sous-jacentes à la conception de chacun des deux modèles, leurs spécificités et leurs insuffisances. Mots clés : Tableau de bord stratégique, Contrôle de gestion stratégique, Analyse de la chaîne de valeur, Approche par les ressources, Capital intellectuel. Abstract: This article comes within the scope of a research in management accounting. Its problematics, in a context of relevance lost of management accounting tools, is to wonder how we can combine performances measurement of a firm and help taking long term decisions. The present article analyses a new tool, conceived partly in response to this problematics: the Balanced Scorecard. This study consists in comparing two types of balanced scorecards quite discriminated, one american, The Balanced Scorecard of Robert Kaplan and David Norton, and another swedish, the Navigator of Skandia AFS. Its goal is to reveal the underlying hypothesis to their construction, their specificities and their insufficiencies. Key Words: Balanced scorecard, Strategic cost management, Value chain analysis, Ressources approach, Intellectual capital. 1 Introduction Cet article a pour ambition de proposer des éléments d’analyse et d’action sur la mise en concordance de deux objectifs du contrôle de gestion au sein d’un instrument, le tableau de bord stratégique de la direction. Ces deux objectifs sont : - la mesure des performances et de la performance globale, - le pilotage stratégique de l’entreprise. De cette problématique, nous avons extrait deux objectifs principaux : - analyser et comparer deux modèles normatifs de tableaux de bord stratégiques, en déduire leurs hypothèses sous-jacentes et leurs limites dans la capacité à résoudre la problématique évoquée. Cet objectif constitue la trame de cet article. - proposer des pistes d’amélioration aux modèles analysés dans le cadre d’une double réflexion : • une réflexion typologique sur les tableaux de bord stratégiques. Nous envisagerons l’élaboration d’un questionnaire quantitatif destiné à mettre en adéquation des types de tableaux de bord stratégiques avec des types d’entreprises. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 2 • une réflexion sur la mesure de la performance globale dans les tableaux de bord stratégiques. Il s’agit ici de réfléchir sur la mise en adéquation de cet instrument avec un indice (ou système d’indices) synthétique de mesure de la performance globale. Toutes ces questions constituent la trame d’une recherche en cours. La performance globale en contrôle de gestion consiste à mettre à la disposition de la direction de l’entreprise une ou quelques mesures synthétiques permettant de décrire, a posteriori, la situation de santé d’ensemble de l’entreprise. En ce sens, la difficulté émane du fait que cette performance globale ne peut pas être assimilée à la performance financière (vision atrophiée de l’entreprise), ni à une juxtaposition de performances élémentaires ou intermédiaires (absence de vision synthétique). - Concept flou et polysémique (Bourguignon, 1995, [4]), la performance en Sciences de Gestion prend son sens lorsqu’envisagée de façon instrumentale. C’est ainsi que pour Philippe Lorino (1997, [19]), « ...Est performance dans l’entreprise tout ce qui, et seulement ce qui, contribue à atteindre les objectifs stratégiques... » et « ...Est donc performance dans l’entreprise tout ce qui, et seulement ce qui, contribue à améliorer le couple valeur-coût. ». - La performance est donc intimement liée à la notion de pilotage stratégique qui consiste, en pratique, à mettre à la disposition de la direction de l’entreprise un nombre limité d’indicateurs variés, financiers et non financiers, à court terme et à long terme, regroupés souvent sous la forme d’un tableau de bord, de façon à aider les dirigeants dans leurs prises de décisions stratégiques. L’actualité et la pertinence de la problématique soulevée se fondent en particulier sur les travaux d’Henri Johnson et Robert Kaplan (1987, [15]). Ils nous montrent que les critères de performance financière ne sont pas pertinents à eux seuls pour répondre aux missions assignées au contrôle de gestion. C’est pourquoi ils estiment que la toute puissance qu’ont acquis les critères financiers au cours du XXe siècle au sein des systèmes de contrôle de gestion, a dramatiquement nui à la crédibilité de ces derniers dans l’accomplissement de leurs missions. - Ces systèmes, alors entièrement dédiés à l’élaboration des coûts, des stocks de clôture en valeur, et au final à une évaluation du ROI (return on investment, retour sur investissement), perdirent de vue leurs objectifs originels de mesure des performances et d’aide au pilotage et à la prise de décision. D’où la pertinence et l’actualité d’une réflexion sur la possibilité de bâtir des systèmes de contrôle de gestion pouvant satisfaire à ce double objectif. Notre travail se situe donc dans une approche intégrative et orientée objectifs du contrôle de gestion, et non plus dans un paradigme fonctionnaliste qui a dominé tout ce siècle. - Afin d’aborder notre problématique, nous allons analyser deux types de tableaux de bord stratégiques, c’est-à-dire deux types de tableaux de bord de la direction générale qui ambitionnent de fournir des informations, conjointement pour la mesure de la performance globale et pour le pilotage à long terme de l’entreprise. Les deux modèles étudiés sont : • le balanced scorecard (tableau de bord équilibré) de Robert Kaplan et David Norton. • et le navigator (navigateur) de Skandia AFS développé par Leif Edvinsson (Edvinsson et Malone, 1997, [9]). Jusqu’à présent, des chercheurs avaient comparé les tableaux de bord français aux tableaux de bord stratégiques (Epstein, 1997, [10] et Mendoza, 1998, [21]). Ici, il s’agit de comparer deux approches particulières des tableaux de bord stratégiques. 2 Le Tableau de Bord Equilibré de Robert Kaplan et David Norton : un tableau de bord stratégique valorisant l’actionnaire et le client Pour aborder la problématique exposée, nous allons en toute logique commencer par étudier un instrument conçu justement par l’un de ceux à l’origine de ladite problématique, à savoir Robert Kaplan Professeur à la Harvard Business School. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 3 Après avoir présenté les origines du tableau de bord équilibré, nous proposerons une grille de lecture qui permettra de décoder quelques principes qui ont régi la conception de l’outil de gestion en question. L’étude se poursuivra alors par une approche critique et comparative de l’instrument. 2-1 Les origines du tableau de bord équilibré Sur la base d’une approche historique, Robert Kaplan et Henri Johnson nous expliquent (1987, [15]) que les systèmes de contrôle de gestion avaient rempli leur mission jusqu’au jour où les critères financiers étaient devenus hégémoniques. Jusqu’au début de ce siècle en effet, ces systèmes, dans les firmes américaines, reposaient sur un calcul des coûts proche du terrain, orienté vers la préparation de la décision. La performance se mesurait alors à l’aune de critères de rendement des processus d’usinage, qui à eux seuls suffisaient à piloter l’entreprise et à évaluer sa profitabilité globale (structures simples dans lesquelles ni les modes de financement, ni l’environnement n’avaient d’influence). C’est avec l’avènement des firmes intégrées verticalement (The Dupont Powder Company to 1914, chapitre 4 de leur ouvrage), puis des firmes multidivisionnelles (GM in the 1920s, chapitre 5), que le contrôle de gestion a fondé son objet sur la mesure du retour sur investissement. Le ROI, invention américaine inaugurée chez Dupont de Nemours, est en fait un critère de rentabilité des capitaux propres. Et pour Robert Kaplan et Henri Johnson, cette approche, encore prépondérante à la date de parution de leur ouvrage (1987), ne permet pas de répondre aux objectifs du contrôle de gestion évoqués en introduction, constat qui se renforce dans un contexte économique de plus en plus imprévisible. Pour eux, l’objectif originel de la comptabilité managériale a donc été détourné. Ils considèrent alors qu’il faut effectuer un retour aux sources de la comptabilité de gestion en réintroduisant des mesures basées sur les opérations. Mais ils s’empressent d’ajouter que cela n’est pas suffisant. En raison notamment de la croissance de la complexité des produits, des processus technologiques et de l’imprévisibilité de l’environnement, les mesures des performances opérationnelles ne permettent plus de reconstituer la performance globale de l’entreprise, ni de la piloter (chapitre XI, page 259). Le contrôle de gestion a donc aujourd’hui pour mission de fournir aux dirigeants des instruments qui permettent de relier ces performances élémentaires à la stratégie de la firme. Une telle analyse fonde ainsi toute la pertinence de notre problématique et porte en germe la démarche normative de Robert Kaplan et David Norton (1998, [17]). C’est en effet au début des années 1990 que Robert Kaplan, en adoptant une démarche inductive, construisit un tableau de bord d’un genre nouveau, destiné à intégrer les deux dimensions du contrôle de gestion évoquées. A l’issu d’expérimentations dans une douzaine d’entreprises, il propose le tableau de bord équilibré (1992, [16]). C’est aussi en 1997, que Arie de Geus, dans un article devenu célèbre (1997, [7]), nous explique, sur la base d’un échantillon d’une trentaine d’entreprises à forte longévité, que la grande mortalité des entreprises est le fruit d’un management centré exclusivement sur la production de biens et de services ainsi que sur l’optimisation des ressources financières. Le modèle de tableau de bord stratégique présenté plus loin fait écho à ce constat. 2-2 Proposition d’une grille de lecture Avant de décrire l’instrument en question, nous allons présenter un méta-modèle qui nous montre que le tableau de bord équilibré à été élaboré selon deux dimensions : - 1re dimension : la chaîne de valeur, qui se compose de facteurs clés de succès (ou indicateurs stratégiques) ordonnés selon une logique déterminée, est le miroir des spécificités de l’entreprise, de sa structure et des hommes. - 2e dimension : la dimension stratégique dont le socle est constitué par la vision des managers de la direction générale. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 4 Cette approche en deux dimensions prend appui sur les fondements du Contrôle de Gestion Stratégique (Shank, 1993, [24]), et sur un travail méthodologique de D.H. Drury et C.S. McWatters (1998, [8]) qui proposent the Kinetic Framework, le méta-modèle Cinétique. D.H. Drury et C.S. McWatters nous expliquent les différents contextes dans lesquels s’est déployée la réflexion en contrôle de gestion. Dans les années 1980, prenant en compte les insuffisances d’un contrôle de gestion trop orienté sur l’interne, dans un environnement de plus en plus concurrentiel, les chercheurs et praticiens ont développé des systèmes de contrôle contingents à la stratégie. Puis, considérant d’autres évolutions comme le développement des coûts indirects, des chercheurs ont cette fois délaissé la dimension stratégique pour se concentrer sur la dimension de la chaîne de valeur. L’objectif était alors de pouvoir orienter le système de contrôle de gestion sur les activités créatrices de valeur et sur celles dont l’aboutissement est la satisfaction du client (méthode ABC, Kaïzen, Cycle de vie). L’apport du travail de nos deux auteurs est de montrer les insuffisances de chacune des deux approches précédentes lorsque prise isolément comme fondement théorique pour concevoir un système de contrôle de gestion. C’est pourquoi ils proposent d’intégrer les deux approches dans le cadre du modèle cinétique. Ce méta-modèle permet, selon les auteurs, de bâtir des systèmes de contrôle de gestion qui prennent en compte conjointement, la nature dynamique de la structure d’une entreprise, la coordination interne et l’intégration avec l’environnement. Voici ci-dessous (figure 1) un schéma adapté du méta-modèle cinétique (p. 37, 1998, [8]). Figure 1 : Le méta-modèle cinétique Fournisseurs Réalisation Marketing Distribution Service au client INDICATEURS DE RESULTAT STRATÉGIE AXES STRATEGIQUES Conception INDICATEURS STRATEGIQUES Recherche et Développement Clients 2-3 Le tableau de bord équilibré à la lumière de ce méta-modèle Le tableau de bord équilibré se compose d’indicateurs regroupés au sein de quatre axes stratégiques, et qui ont les uns envers les autres des liens de causalité. Cette chaîne causale suit le parcours suivant : - en premier lieu, elle part des indicateurs contenus dans l’axe apprentissage organisationnel ; - ensuite, elle se dirige vers les indicateurs contenus dans l’axe processus interne et innovation ; - puis vers ceux contenus dans l’axe stratégique clients ; IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 5 - pour enfin aboutir aux indicateurs contenus dans l’axe financier. Un enjeu fondamental du tableau de bord équilibré est donc d’intégrer l’ensemble des rapports de cause à effet entre les indicateurs. Deux caractéristiques fondamentales de l’instrument sont à souligner : - la chaîne causale décrite a pour sommet des indicateurs de la performance financière. Pour Robert Kaplan et David Norton, la performance financière d’une entreprise est ce qui détermine sa survie. Il s’agit plus précisément d’un instrument conçu en référence à l’objectif de maximisation de la valeur de l’entreprise pour les actionnaires. On observera également que la présentation sous la forme d’axes stratégiques nous fait penser à l’approche coûts-qualités-délais comme dimensions de la performance. Pour certains, les auteurs se sont inspirés de ce triptyque en l’enrichissant de la dimension innovation (Fitzgerald et al., 1991, [12]). - les indicateurs du tableau de bord équilibré, pour remplir leur mission, doivent, à l'inverse des instruments traditionnels de contrôle de gestion, traduire à la fois des objectifs à court terme et des objectifs à long terme, ainsi que comporter des mesures objectives et des mesures subjectives. C’est pourquoi l’instrument combine deux types d’indicateurs : • des indicateurs stratégiques ou encore indicateurs a priori, qui reflètent la stratégie déployée par les dirigeants ; • des indicateurs de résultat, ou indicateurs a posteriori, qui mesurent les performances de l’entreprise. Le tableau de bord équilibré a ainsi la vocation d’associer la mesure des performances au pilotage stratégique de l’entreprise, soit : - d’une part les caractéristiques des instruments traditionnels du contrôle de gestion opérationnel à savoir, la mesure de phénomènes élémentaires et intermédiaires, et celles des outils rétrospectifs de synthèse comme les budgets ; - d’autre part les caractéristiques des démarches stratégiques de la direction générale (instruments de planification traditionnellement non rattachés au contrôle de gestion). Lier ces deux perspectives permet de valider la pertinence de la stratégie. Cette dernière a en effet la fâcheuse coutume d’être déconnectée des mesures déployées par les systèmes de contrôle de gestion opérationnel. Les systèmes traditionnels conduisent à ce titre à deux écueils : - une stratégie sans liens avec l’allocation des ressources, - un retour d’expérience uniquement tactique. Le contrôle de gestion stratégique ainsi incarné a pour vocation de lutter contre ces écueils en associant l’analyse de la chaîne de valeur, l’analyse du positionnement stratégique et l’analyse des facteurs déterminant les coûts. John Shank et Vijay Govindarajan (1993, [24]), en définissant ainsi le contrôle de gestion stratégique mettent en évidence les deux dimensions de ce méta-modèle cinétique, l’analyse des facteurs déterminant les coûts étant une composante de l’analyse de la chaîne de valeur. - Le tableau de bord équilibré associe des indicateurs de résultat (mesure des résultats) à des indicateurs stratégiques (déterminants de la performance, indicateurs a priori ou stratégiques) qui sont la source des avantages concurrentiels futurs de l’entreprise. Il s’agit de construire un système de contrôle stratégique. Lors du choix des indicateurs stratégiques, l’entreprise doit veiller à retenir ceux susceptibles de s’appliquer aux facteurs générateurs d’un avantage concurrentiel. Le tableau de bord équilibré est donc aussi très nettement orienté sur l’environnement. - La figure 2, est une présentation générique du tableau de bord équilibré synthétisant l’ouvrage de Robert Kaplan et David Norton (1998, [17]). IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 6 Figure 2 : Le tableau de bord équilibré AXE FINANCIER satisfaction des attentes croissance du Chiffre d’affaires réduction coûts amélioration productivité gestion efficiente invest. et autres actifs AXE CLIENTS VISION ET STRATÉGIE AXE PROCESSUS ET INNOVATION fidélisation part de marché efficacité des processus d’innovation efficacité des processus de production AXE APPRENTISSAGE ORGANISATIONNEL potentiel des salariés 2-4 capacités des systèmes d’info. motivation et responsabilisation Approche critique du tableau de bord équilibré Parmi les nombreuses critiques que n’a pas manquées de susciter une telle démarche éminemment normative, les plus intéressantes sont issues de chercheurs suédois, car ceux-ci ont proposé un autre type de tableaux de bord stratégiques, les tableaux de bord du capital intellectuel. Voici ici résumées les limites les plus fréquemment formulées par ces chercheurs à l’encontre de l’approche développée par Robert Kaplan et David Norton : - sur le fond, la conception du tableau de bord équilibré n’est pas sous tendue par une réflexion sur l’entreprise et sa raison d’être ; - sur la forme, la structure du tableau de bord équilibré renvoie à une logique industrielle de l’entreprise ; - en conséquence, le tableau de bord équilibré ne fait pas l’hypothèse que le capital humain est le principal générateur de profit pour une organisation. Sur le premier point, il convient de préciser que contrairement aux apparences, Robert Kaplan et David Norton développent un point de vue sur l’entreprise au travers de leur instrument. Cependant, ce point de vue n’est pas formalisé, il demeure sous-jacent à leur travail. - Le tableau de bord équilibré repose en effet sur une conception classique de la chaîne de valeur (Porter, 1985 [22]) dont l’élément central est un bien de production matériel et l’aboutissement la satisfaction du client et au final de l’actionnaire. Le capital humain (axe IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 7 apprentissage organisationnel) n’est appréhendé que comme un élément de soutien à la valorisation du processus d’innovation et de production et à la satisfaction du client. Le profil des indicateurs de résultat, comme des indicateurs stratégiques émane ainsi de cette approche de la chaîne de valeur. - Le tableau de bord équilibré repose également sur une acception traditionnelle et statique de la stratégie fondée sur la primauté d’une analyse externe (opportunités/menaces), couplée ensuite à une analyse interne (forces/faiblesses). Ici encore, les éléments d’analyse relatifs aux ressources humaines ne sont appréhendés que de façon secondaire dans l’élaboration d’une stratégie. Précisons d’ailleurs que les auteurs initiateurs du contrôle de gestion stratégique (Shank et Govindarajan, [24]) prennent appui sur cette approche traditionnelle de la stratégie. Analysons davantage les principales caractéristiques de l’approche stratégique sous-jacente au tableau de bord équilibré. - Gérard Koenig (1996, p. 39, [18]) expose les trois modes de l’action stratégique. Il distingue en tant qu’idéaux types l’approche hétéronome, de l’approche volontariste et de l’approche interactionniste. Le tableau de bord équilibré se fonde principalement sur une conception hétéronome de la stratégie, c’est-à-dire sur un mode où l’entreprise doit analyser l’existant et s’y adapter. - Ce mode d’action stratégique suit les préceptes de l’économie industrielle où l’idée d’adaptation domine. L’approche contingente de Lawrence et Lorsch, l’étude sectorielle selon Porter et les matrices atouts-attraits sont représentatifs de cette approche selon Gérard Koenig (1996, [18]). - Gérard Koenig ajoute en outre que dans ce cadre, le dirigeant est perçu davantage comme un problémiste comme le concevait Igor Ansoff que comme un stratège. Pour l’auteur, le contexte environnemental et l’évolution des caractéristiques des entreprises rendent ce paradigme inadéquat, d’où les critiques évoquées concernant le tableau de bord équilibré et les nouvelles propositions présentées maintenant. 3 Présentation d’un type de tableau de bord stratégique valorisant les ressources internes de l’entreprise : les tableaux de bord du capital intellectuel Le tableau de bord équilibré sera ici comparé à un modèle de tableau de bord du capital intellectuel, le navigateur développé à Skandia. Ces deux types de tableaux de bord stratégiques constituent en effet deux approches très différenciées du management stratégique et des facteurs clés de succès de l’entreprise. Il existe par ailleurs de nombreuses autres approches de tableaux de bord stratégiques. Elles ne seront pas abordées ici puisque, toujours en se référant aux deux dimensions évoquées en première partie, elles se situent entre l’approche nord-américaine et l’approche suédoise, plus ou moins proches de l’une ou de l’autre selon leurs spécificités. Le tableau de bord équilibré et le navigateur sont donc ici étudiés comme des idéaux types. Pour ces autres modèles, je citerai par exemple la Matrice Des Déterminants et Résultats développée par Fitzgerald et al. pour les entreprises de service (1991, [12]), ou encore les tableaux de bord stratégiques développés par Anthony Atkinson (1998, [2]) sur la base d’une approche fondée sur la théorie du Stakeholder (partenaire ou co-intéressé). Toutes ces approches ne seront pas étudiées ici. Elles seront analysées dans le cadre d’une recherche en cours relative à la détermination d’une typologie des tableaux de bord stratégiques. Après avoir explicité les fondements des tableaux de bord du capital intellectuel, nous exposerons différentes façons d’établir une typologie de ce capital intellectuel. Puis, nous proposerons le modèle de tableau de bord du capital intellectuel à ce jour le plus abouti. Nous l’expliciterons afin qu’apparaissent ses aspects discriminants. Avec les principes de l’approche stratégique par les ressources et d’une chaîne de valeur centrée sur le capital intellectuel, des IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 8 auteurs anglo-saxons et suédois se sont attachés à établir une typologie du capital intellectuel et pour certains, à proposer des outils de gestion fondés sur ce capital intellectuel. 3-1 Les fondements des tableaux de bord du capital intellectuel Ces tableaux de bord sont modélisés sur la base d’une chaîne de valeur virtuelle. Prenant conscience du rôle croissant des ressources immatérielles, des stocks, des flux de connaissances et de compétences comme éléments principaux de ces ressources, des auteurs comme Bernard Martory et Christian Pierrat (1996, [20]), nous expliquent que la chaîne de valeur virtuelle a pour objet le management du capital intellectuel, ce dernier ayant pour origine le capital humain et pour finalité la production de produits et services, en passant par la gestion du capital structurel de l’entreprise. Un des objectifs de ce management consiste alors à valoriser le capital humain et à le « structuraliser ». Ainsi ils expliquent que « ces différentes formes de capital intellectuel correspondent aux différentes phases de la concrétisation du savoir des employés, en structures au service de l’entreprise et sources de valeur pour elle, puis en actifs définitivement acquis à l’entreprise et porteurs de valeur par eux mêmes ». Ces approches ont pour fondements les théories de la Croissance Endogène en économie qui envisagent des facteurs autres que le Capital et le Travail, avec par exemple l’innovation ou la formation comme source fondamentale de la croissance. Elles ont également pour fondement la théorie du facteur résiduel de croissance, avec en particulier les travaux de Gary Becker, prix Nobel d’économie, qui analysent l’apport de la formation à la croissance, ou encore ceux de Gérard Ballot et Fathi Fakhfakh (Fericelli, 1996, p. 116, [11]), qui analysent si les compétences développées au sein des entreprises favorisent leur croissance. Prenant conscience de l’incertitude croissante de l’environnement et donc d’une perte de pertinence des démarches stratégiques classiques fondées notamment sur l’adaptation, les tableaux de bord du capital intellectuel reposent sur une approche par les Ressources (Wernfelt, 1984, [28]) et les Compétences Centrales de la stratégie (Hamel, 1995, [14]). - John Child (1972, [6]), en réaction aux abus provoqués par la théorie de la contingence en matière de stratégie, prôna au début des années 1970 une approche par les Intentions. Ce n’est que plus tard que cette démarche connue un regain d’intérêt, avec notamment les travaux de Wernfelt, de Gary Hamel et C.K. Prahalad. Cette approche trouve son origine économique notamment dans les travaux de David Ricardo (Arrègle, 1996, p. 25, [1]) à l’occasion desquels ont été développées les notions de Rente et de Quasi-rente. La rente ricardienne consiste en la possession et l’utilisation d’un actif stratégique rare dont l’offre est limitée et qui ne peut pas être facilement imité ou créé. La quasi-rente est la spécificité d’un actif qui pourra être d’une valeur supérieure pour une entreprise que pour un concurrent (différence d’efficacité). Ces actifs sont difficilement imitables, difficilement substituables et difficilement échangeables sur un marché. Le MRC, mouvement des ressources et des compétences, s’inscrit dans le cadre plus large des théories évolutionnistes (qui comprennent outre le MRC, l’Ecologie des Populations et l’Economie Evolutionniste) qui postulent que la dimension structurante de la performance des entreprises n’est pas la position concurrentielle, mais la gestion de l’évolution des procédés techniques et des processus organisationnels. - Le MRC (pour une approche synthétique du courant, lire Tywoniak, 1998, [27]) aboutit donc à recentrer la réflexion stratégique au cœur de l’entreprise en tentant d’identifier ses ressources rares et plus spécifiquement ses compétences humaines et organisationnelles, c’est-à-dire son capital intellectuel. Les éléments du capital intellectuel sont alors perçus dans ce contexte comme des ressources stratégiques de premier ordre susceptibles de procurer aux entreprises un avantage concurrentiel déterminant. Le MRC renvoie au mode interactionniste de la démarche stratégique tel que décrit par Gérard Koenig (1996, [18]) qui consiste en une identification des ressources et des compétences, puis en une analyse de l’intéraction entre ces ressources et compétences et les conditions de l’environnement. - Le MRC postule une rationalité limitée et procédurale des acteurs et le fait que les entrepri- IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 9 ses évoluent dans des environnements incertains. Ce courant de recherche est hétéroclite, avec un vocabulaire non fixé et de nombreuses typologies proposées. La plupart d’entre elles se contentent d’être descriptives et ne proposent pas un travail sur les liens entre ressources et avantage concurrentiel. La démarche typologique la plus intéressante a été développée par Richard Hall (1993, [13]). Sa typologie consiste schématiquement à distinguer la catégorie des ressources intangibles qui dépendent des employés de l’entreprise de la catégorie indépendante de ces individus. Ensuite, Richard Hall associe à chacune de ces catégories les capacités fondées sur les compétences et les capacités fondées sur les actifs. On le verra plus loin, cette typologie comporte de nombreuses analogies avec la typologie du capital intellectuel qui est à la base du navigateur, tableau de bord stratégique de Skandia. 3-2 Différentes approches pour appréhender le capital intellectuel S’interroger sur la nature et l’importance des actifs intangibles dans une entreprise revient à remettre en question les typologies traditionnelles de la performance. En effet, si l’on considère que les actifs intangibles constituent une part non négligeable de l’ensemble des actifs d’une entreprise, alors la performance de cette entreprise est en étroite relation avec la qualité de la gestion de ces actifs intangibles. S’intéresser aux actifs intangibles nécessite donc de s’interroger sur leur nature et sur l’origine de cette conceptualisation. On observera alors que les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour estimer que l’essentiel de ces actifs est composé du capital intellectuel. Cela se conçoit bien puisque parmi les différentes charges enregistrées en comptabilité, celles concernant les ressources humaines sont les moins susceptibles d’être « activées » (c’est-àdire d’être considérées comme des actifs), à la différence d’autres charges comme celles relatives à l’innovation et à la recherche et ceci, quels que soient les pays. Depuis quelque temps, des chercheurs, praticiens et organismes, notamment en France, proposent des typologies sur les actifs immatériels ou intangibles. Pour une synthèse des différentes approches de l’investissement immatériel, le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage d’Amhed Bounfour (1998, [3]). Mais ce n’est que depuis peu, que des auteurs anglo-saxons et surtout suédois inscrivent ce travail dans le cadre d’une réflexion instrumentale en contrôle de gestion. De ces derniers travaux, émergent trois approches de classification des actifs intangibles. - Une typologie quaternaire. Annie Brooking (1996, [5]) propose une typologie quaternaire en distinguant les actifs de marché, des actifs centrés sur l’humain, des actifs de la propriété intellectuelle et des actifs d’infrastructure. L’approche d’Annie Brooking peut sembler non pertinente dans le cadre du MRC dans le sens où elle rassemble des actifs intangibles qui se situent à des niveaux d’importance et d’agrégation différents. Par exemple, il n’est pas pertinent de situer la catégorie centrée sur l’humain au même niveau que les trois autres catégories, connaissant le poids prépondérant de celle-ci. Les deux typologies qui suivent nous semblent donc plus pertinentes dans le cadre du MRC dans le sens ou elles suggèrent que les actifs intangibles liés aux caractéristiques des employés (et plus particulièrement ceux ayant trait à leurs compétences) jouent un rôle de premier plan. - Une typologie ternaire. Un groupe de praticiens et de chercheurs en gestion, Hubert Saint-Onge de la Banque Impériale de Commerce du Canada, Leif Edvinsson de Skandia AFS, Karl-Erik Sveiby (1997 (a), [25]), Gordon Petrash de Dow Chemical entre autres, proposent trois catégories d’actifs intangibles : le capital client et relationnel, le capital organisationnel et le capital humain. - Une typologie binaire. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 10 Plus récemment, Leif Edvinsson et Johan Roos (1997, [23]) ont abouti à une typologie binaire qui distingue le capital intellectuel « pensant », du capital intellectuel « nonpensant », c’est-à-dire le capital humain du capital structurel. La figure 3 décrit cette typologie fondée sur le livre écrit en commun par ces deux chercheurs et praticiens (1997, [23]). Leur travail représente à ce jour l’effort le plus accompli dans l’établissement d’une typologie du capital intellectuel à des fins d’instrumentation de gestion. En outre, cette typologie n’est pas sans rappeler celle de Richard Hall décrite un peu plus haut (1996, [13]). C’est pourquoi il apparaît que le tableau de bord stratégique envisagé dans cette partie appartient à un paradigme stratégique très précis, celui du MRC. Figure 3 : L’arbre du capital intellectuel VALEUR TOTALE Capital Financier Capital physique Capital monétaire compétences Capital Intellectuel Capital humain attitude Capital structurel relations/ innovation/ agilité intellectuelle partenaires organisation développement Comme on l’observe sur ce schéma, le capital humain se décompose en trois critères génériques de performance qui se décomposent à leur tour en indicateurs stratégiques. - La compétence des employés dont les indicateurs stratégiques sont : • les savoirs, • et les savoir-faire. - Leur attitude dont les indicateurs stratégiques sont : • la motivation, • le comportement, • et la conduite. - Et leur agilité intellectuelle dont les indicateurs stratégiques sont : • l’innovation, • l’imitation, • l’adaptation, • et la mise en forme. Il en est de même du capital structurel qui se décompose également en trois critères génériques de performance : - Les relations avec les parties prenantes de l’entreprise dont les indicateurs stratégiques sont : IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 11 • la gestion des relations avec les clients, • avec les fournisseurs, • les actionnaires, • les alliés et autres parties prenantes. - L’organisation dont les indicateurs stratégiques sont : • l’infrastructure, • les processus, • et la culture. - Et l’innovation et le développement dont les indicateurs stratégiques sont : • les nouveaux produits, • la formation, • les dépenses de recherche et développement, • et les nouveaux brevets, nouvelles licences. 3-3 Les incidences de ces réflexions sur la modélisation de tableaux de bord stratégiques Certains des chercheurs et praticiens qui ont participé à cet effort typologique, l’ont poursuivi en élaborant des modèles de tableaux de bord fondés sur le management des actifs intangibles. Ces recherches sur le capital intellectuel sont très en pointe en Suède dans les milieux académiques (School of Business of Stockholm) et industrielles (Konrad Group). Karl-Erik Sveiby par exemple (1997 (b), p. 78, [26]), universitaire et consultant a participé à l’élaboration de tableaux de bord notamment chez Celemi, la Banque Morgan, WM Data et PLS-Consult. L’expérience à Skandia AFS, sous la houlette de Leif Edvinsson (1997, [9]) qui s’est prolongée pour l’ensemble du groupe d’assurances suédois Skandia constitue l’exemple le plus abouti de mise en place d’un tableau de bord stratégique centré sur le capital intellectuel et d’un management de ce capital intellectuel. Cet aboutissement s’incarne dans le navigateur, tableau de bord stratégique du capital intellectuel pour la direction de Skandia et pour ses partenaires. Ce modèle constituant la démarche jusqu’alors la plus avancée, nous allons nous y attarder. La figure 4, page 12 représente le schéma générique du navigateur tel que le propose Skandia dans ses documents de gestion, en complément des comptes sociaux traditionnels (1997, p. 68, [9]). 3-4 Explicitation du navigateur, comparaison des deux modèles de tableaux de bord stratégiques et limites des approches étudiées On observe toutefois que la présentation schématique du navigateur est trompeuse, car elle semble ne pas aller jusqu’au bout de la logique typologique proposée antérieurement, ou du moins elle ne la révèle pas suffisamment. Le navigateur épouse en effet les quatre dimensions du tableau de bord équilibré auquel est adjointe une dimension humaine, centrale dans le schéma. Cela signifie que Skandia a adopté une stratégie fondée sur la valorisation des ressources humaines. Mais lorsque l’on étudie plus en détail la structure du navigateur, on s’aperçoit de la place prépondérante accordée aux indicateurs du capital humain, à égalité d’importance avec les indicateurs des quatre autres axes stratégiques. Si l’on reprend la typologie présentée antérieurement (cf. arbre du capital intellectuel), alors le tableau de bord du capital intellectuel peut être explicité ainsi (voir figure 5, page 13) : - le capital structurel et le capital humain se situant au même niveau dans l’arbre du capital intellectuel, nous avons sur ce schéma décomposé le capital humain de façon à ce que le tableau de bord stratégique présente des éléments situés à un même niveau d’agrégation. - ainsi, les critères génériques de compétences, attitude et agilité intellectuelle se situent à un même niveau de décomposition que les critères génériques relatifs aux clients et autres partenaires, organisation et innovation et développement, ce que ne laisse pas supposer la présentation du navigateur faite par Skandia dans ses documents de gestion. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 12 Figure 4 : Le navigateur de Skandia AFS Hier AXE FINANCIER AXE CLIENTS AXE HUMAIN AXE INNOVATION/ AXE PROCESSUS Aujourd’hui Demain DÉVELOPPEMENT Environnement - on se rend compte en outre que le tableau de bord équilibré correspond à la partie supérieure du tableau de bord du capital intellectuel ainsi proposé, avec un axe stratégique clients élargi à d’autres « parties prenantes » (fournisseurs, partenaires divers, communauté, etc..). La simple observation du Navigateur (figure 4) aurait pu laisser croire que la dimension humaine est en fait semblable à la dimension apprentissage organisationnelle du tableau de bord équilibré, hormis le fait qu’elle se situe au centre du modèle (témoignant d’une approche stratégique fondée sur les ressources humaines). Or ce n’est pas exact car l’observation des différents indicateurs proposés à Skandia AFS (1997, [9]) montre que la dimension humaine est davantage qu’un axe stratégique central. Elle constitue le générateur principal de valeur pour l’entreprise, avec le capital structurel. Le navigateur puise donc ses fondements dans les principes du MRC, puisque l’analyse stratégique proposée s’appuie sur une description des ressources et des compétences internes à l’entreprise, avant d’étudier les caractéristiques de l’environnement. Nous remarquons donc que les deux types de tableaux de bord expriment deux visions différentes de l’entreprise. Le tableau de bord équilibré s’inscrit dans un cadre de pensée anglosaxon et privilégie la valorisation de l’entreprise pour l’actionnaire et pour le client. Différemment, le navigateur, même s’il s’inspire de la démarche proposée par Robert Kaplan et David Norton, s’inscrit dans un cadre de pensée scandinave (pays d’Europe du Nord, voir d’Europe occidentale) et privilégie la valorisation du capital intellectuel de l’entreprise. Les ressources internes, et en particulier les ressources humaines sont au cœur de la performance de l’entreprise et constituent le déterminant premier de cette performance. La dimension clients et aux autres parties prenantes, n’est qu’un élément parmi trois autres de la dimension structurelle de la performance de l’entreprise, au même titre que la dimension financière, organisationnelle et de l’innovation. Par ailleurs, les indicateurs de type stratégique sont essentiellement issus de la dimension capital humain. La stratégie sous-jacente au navigateur consiste donc à valoriser le capital humain d’une part, et à tenter de le « structuraliser » d’autre part. Des indicateurs clés se situent à ce titre, dans la mesure de la capacité à gérer intelligemment les variations du capital intellectuel et du capital IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 13 structurel dans le temps. La construction sur ce principe d’indicateurs synthétiques de mesure de la performance sera abordée dans un travail ultérieur. Le lecteur intéressé pourra se reporter au dernier chapitre de l’ouvrage de Johan Roos et al. (1997, [23]). Le contraste est donc important lorsque ce modèle est comparé au tableau de bord équilibré qui privilégie comme déterminants de la performance la valorisation de l’entreprise pour les actionnaires et pour les clients, en adoptant une stratégie orientée sur l’environnement, les dimensions organisationnelles et humaines n’étant dans ce contexte que des objectifs secondaires. Figure 5 : Explicitation du navigateur de Skandia AFS CAPITAL FINANCIER CLIENTS/ AUTRES PARTENAIRES CAPITAL STRUCTUREL Hier Aujourd’hui ORGANISATION INNOVATION/ DÉVELOPPEMENT COMPÉTENCES CAPITAL HUMAIN AGILITÉ Demain INTELLECTUELLE ATTITUDE 4 Conclusion Cet article a été l’occasion d’aborder une problématique majeure à laquelle la recherche en contrôle de gestion est aujourd’hui confrontée. Comment, en effet, aider les dirigeants à conjointement, apprécier les performances de leur entreprise, et prendre des décisions qui engagent l’avenir à long terme de leur entreprise ? Robert Kaplan et Henry Johnson ont montré qu’aujourd’hui ces deux perspectives devaient être intégrées (1987, [15]). Les démarches normatives initiées par Robert Kaplan et David Norton (1992, [16] et 1998, [17]) et poursuivies à Skandia, répondent en partie à ce souci. Il se révèle alors intéressant de comparer les deux modèles qui, en se fondant sur les mêmes prémisses, aboutissent à des solutions sensiblement différentes, le tableau de bord équilibré privilégiant en effet la satisfaction des actionnaires et des clients, tandis que les tableaux de bord du capital intellectuel privilégient eux la gestion du capital intellectuel et plus singulièrement celle des ressources humaines. Ainsi, le tableau de bord équilibré se fonde sur une stratégie hétéronome et une chaîne de valeur traditionnelle, tandis que le navigateur privilégie une stratégie interactionniste basée sur le mouvement des ressources et des compétences et une chaîne de valeur virtuelle. IAE de Paris (Université Paris 1 • Panthéon - Sorbonne) - GREGOR - 99.11 - 14 Au cours de l’article, une typologie assez détaillée du capital intellectuel, proposé par Skandia AFS, a été présentée. Il faut préciser que cette typologie et les indicateurs induits, émanation d’une démarche de construction empirique propre à Skandia, ne sont pas généralisables. Robert Kaplan et David Norton eux même, dans leur ouvrage (1998, [17]), indiquent que chaque entreprise doit adapter le tableau de bord équilibré à ses spécificités. Il demeure que les présentations génériques exposées dans cet article constituent des généralisations mettant en évidence deux visions différentes de l’articulation de la stratégie au contrôle de gestion. Si chacun des deux outils est présenté par leurs auteurs respectifs comme adaptables aux spécificités de chaque entreprise, il faut être conscient du fait que pour une entreprise, les implications en terme de management seront fort différentes selon qu’elle adopte l’un ou l’autre des modèles. Les modèles étudiés semblent souffrir de trois limites : - d’abord, comme nous venons à l’instant de l’expliquer, ces deux modèles sont proposés par leurs auteurs comme généralisables à chaque entreprise (approche normative). Pourtant, ils renferment, de façon sous-jacente, une certaine vision de l’entreprise. L’approche empruntée au méta-modèle cinétique nous a permis de décoder cette vision. C’est sur cette base que notre recherche future tentera de proposer une typologie des tableaux de bord stratégiques en nous aidant des résultats d’un questionnaire quantitatif, les deux modèles étudiés ici constituant des idéaux types. Ce travail se fondera sur la dimension contingente de la comptabilité de gestion. - ensuite, les deux types de modèles sont le fruit d’une démarche de construction analytique, consistant à décomposer la performance de l’entreprise selon une logique déterminée. Or, cette démarche pose problème lorsqu’on recherche un moyen de caractériser de façon synthétique la performance globale de l’entreprise. Robert Kaplan et David Norton considèrent pour leur part qu’une perspective financière est suffisante au final pour appréhender la performance globale de l’entreprise. Ceci est critiquable pour diverses raisons et en particulier si l’on souhaite appréhender la performance globale de l’entreprise a priori (par les indicateurs stratégiques). En outre, s’agissant des tableaux de bord du capital intellectuel, une agrégation des indicateurs issus de la démarche analytique n’est pas non plus satisfaisante. D’autres pistes sont à explorer, et notamment les possibilités de mise en adéquation de l’approche par les tableaux de bord stratégiques avec l’approche par le management de la valeur. - enfin, la démarche étudiée se situe dans une approche intégrative et orientée objectifs du contrôle de gestion. Ce paradigme a pour limite essentielle de ne pas envisager l’entreprise dans sa dimension sociale, c’est-à-dire de ne pas envisager l’influence des comportements humains sur le fonctionnement d’un tel instrument et vice versa. Des problématiques développées par les théoriciens des organisations sont donc à explorer comme par exemple : • les phénomènes de résistance à l’implantation d’un outil de gestion dans une organisation ; • l’outil de gestion, témoin d’enjeux institutionnels (jeux d’acteurs, déplacements de zones d’incertitude, etc..). 5 Bibliographie [1] Arrègle J.L., « Analyse Resource Based et identification des actifs stratégiques », Revue Française de Gestion, p. 25-36, mars-avril-mai, 1996. [2] Atkinson A., « Strategic Performance Measurement and Incentive Compensation », European Management Journal, vol 16, p. 552-561, 1998. [3] Bounfour A., Le Management des Ressources Immatérielles, Dunod, Paris, 1998. 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