Le pogrom de Kielce pèse sur la mémoire des Polonais
Transcription
Le pogrom de Kielce pèse sur la mémoire des Polonais
I I I Le pogrom de Kielce pèse sur la mémoire des Polonais La Croix Dans cette ville où 42 juifs ont été assassinés en 1946, la population reste partagée sur l’interprétation des faits KIELCE De notre envoyée spéciale R I MARDI 5 FÉVRIER 2008 ue Planty 7-9. Un immeuble blanc à l’intérieur vétuste. Sur les murs extérieurs, quelques plaques témoignent : ici, le 4 juillet 1946, 42 juifs ont été assassinés par la foule. La dernière plaque date de 2006 : pour le 60e anniversaire du pogrom, la prière que Jean-Paul II avait déposée sur le Mur du Temple à Jérusalem a été apposée. « Pour la première fois, l’évêque de Kielce était présent publiquement pour commémorer le pogrom. Cela n’a pas été facile à obtenir », raconte Bogdan Bialek. Lui fait partie de ces habitants de Kielce qui ont œuvré depuis longtemps pour le dialogue judéochrétien en Pologne. Son combat se heurte à des résistances. Il est toujours difficile pour certains de reconnaître les responsabilités dans ce massacre où une foule a assassiné, mue par la rumeur qui prétendait que les juifs avaient enlevé un enfant chrétien pour accomplir un meurtre rituel. Un ouvrage paru à la mi-janvier, La Peur, de l’historien Jan Gross, a créé une intense polémique en Pologne (lire La Croix du 21 janvier). Utilisant notamment l’exemple de Kielce, il accuse les Polonais d’antisémitisme généralisé. L’auteur estime que les Polonais, au sortir de la guerre, craignaient le retour des juifs rescapés. La thèse dérange. « L’auteur néglige le contexte historique : les gens avaient vécu l’occupation nazie, tuer était devenu un acte banal, ils étaient pauvres et peu éduqués, susceptibles de croire les pires rumeurs », estime l’historien Stanislaw Meducki, professeur à l’université polytechnique de Kielce, et le premier à avoir établi les circonstances du pogrom à travers deux recueils, publiés en 1992 et 1994. Pour Krzysztof Urbanski, directeur du Musée national de la ville et auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la communauté juive de la région, « les habitants n’ont pas participé au pogrom : c’était une conspiration des communistes. D’ailleurs, il y a eu aussi des pogroms en République tchèque, en Hongrie, en Roumanie… Est-ce que ce n’était pas une action coordonnée ? » Il nie toute forme d’antisémitisme dans le Kielce d’après-guerre : « Qui était le directeur de l’UB (la police secrète) à l’époque ? Un juif ! Qui était à la tête de la mairie ? Un juif ! Qui était le premier secrétaire du Parti communiste ? Un juif ! S’il y avait eu de l’antisémitisme, on l’aurait su… », dit l’historien. À une cinquantaine de mètres de l’ancienne synagogue de Kielce, qui abrite aujourd’hui les archives nationales, le P. Jan Sledzianowski reçoit au presbytère, le verbe haut et l’air courroucé. Il ne voit pas pourquoi l’Église aurait dû réagir après le « soi-disant pogrom » – « car un pogrom introduit une dimension ethnique, or les juifs n’ont pas été les seules victimes de ces événements ». Un habitant de Kielce, Stanislaw Zak se souvient des cris de la foule qu’il a pu observer, caché dans un buisson à quelques mètres du pogrom. Il avait alors 14 ans. « Sales juifs ! Vous avez tué le Christ, maintenant vous allez le payer ! », « Larbins des communistes ! » Aujourd’hui, dans son appartement situé à moins d’une centaine de mètres de là, il dit ne pas vouloir pardonner à ceux qui ont pu croire que les juifs kidnappaient des enfants chrétiens. À l’entrée du vaste cimetière juif de Kielce, où il ne reste presque rien d’avant-guerre, la tombe des victimes du pogrom apparaît sobrement. « Ici reposent les cendres des 42 victimes des événements de Kielce du 4 juillet 1946. Qu’hommage leur soit rendu. » Il n’y a pas de nom sur la longue dalle, mais quelques bougies, signe d’un passage récent. « De nombreux voyages organisés, en provenance d’Israël ou des ÉtatsUnis, passent par ici », confie la responsable du lieu. « Les habitants n’ont pas participé au pogrom : c’était une conspiration des communistes. » Kielce, où vivaient 27 000 juifs avant-guerre, fait partie des circuits pour ceux qui visitent les lieux de la Shoah en Pologne. « Ces voyages organisés sont terribles : les gens sont entourés par leurs services de sécurité et n’ont aucun contact avec la population, ils ne peuvent qu’avoir l’impression d’une société dangereuse et antisémite ! », s’agace Dorota Lasocka, une employée de la mairie. Elle a entendu pour la première fois parler du pogrom de Kielce il y a une quinzaine d’années, lors d’un voyage aux États-Unis. « Quelqu’un m’a demandé d’où je venais. Je pensais que le nom d’une petite ville de province polonaise serait inconnu. Mais quand j’ai dit Kielce, j’ai vu aussitôt une réaction d’hostilité chez mon interlocuteur. J’ai ressenti un profond malaise. Quand je suis rentrée, je me suis aussitôt documentée. » Après plus de quarante années d’amnésie sous le régime communiste, la mémoire de Kielce se réveille donc peu à peu. Peut-être trop tard pour certains. Tel Marek Cecula dont le père, juif, a échappé au pogrom. « Il rentrait ce jour-là de Varsovie en train, nous nous sommes précipités avec ma mère à la gare pour lui dire de ne pas descendre. » Marek a aujourd’hui 69 ans, il a reçu une éducation catholique, est allé à l’école chez les religieuses et n’a jamais pratiqué la religion juive. « Comment aurais-je pu ? Avec qui ? Il n’y avait plus de juifs à Kielce. » Ceux qui avaient échappé au pogrom ont émigré les uns après les autres : « Les amis de mon père sont partis en Israël dans les années 1950. Nous sommes les seuls à être restés… Je ne connais pas d’autre juif à Kielce. » Marek pense que l’ouvrage de Jan Gross est assez juste. Mais il n’en parle pas avec son entourage. « Je n’en éprouve pas le besoin. » AMÉLIE POINSSOT MONDE I 7 EN BREF PORTRAIT Un « French doctor » au Kurdistan d’Irak carrière à la direction de la cellule d’aide humanitaire d’urgence au Chef du bureau ministère des affaires étrangères décentralisé à Erbil où il fait acheminer des vivres à de l’ambassade de France Sarajevo et en Somalie. Sa traen Irak jectoire semble alors connaître la même éclipse que celle de BerFrédéric Tissot a rejoint hier nard Kouchner jusqu’en septemErbil, capitale politique du bre 2001, où, à la chute des taliKurdistan irakien. Le « French bans, il est envoyé à l’ambassade doctor » a pris hier la direction de France à Kaboul pour mettre du « bureau d’ambassade » en place une coopération en mafrançais. tière de santé entre la France et l’Afghanistan. En 2006, il est en C’est un homme de terrain Haïti, conseiller du ministre et un compagnon de la santé local, de route que le milorsqu’un grave acCe médecin nistre des affaires cident le cloue dans baroudeur étrangères, Bernard un fauteuil roulant. est passionné Kouchner, a choisi Il ne s’arrêtera pas pour représenter la par le Kurdistan, pour autant. France. Né en 1951, Depuis son premier son peuple, Frédéric Tissot quitte voyage au Kurdissa culture à 11 ans l’Algérie avec tan pour le compte et sa langue. sa famille. En France, d’AMI, ce médecin il fait des études de baroudeur est pasmédecine et part au Maroc sionné par le Kurdistan, son comme volontaire du service peuple, sa culture et sa langue national. En novembre 1979, il que lui enseigne son professeur, fait partie de l’équipe fondatrice le médecin et leader politique d’Aide médicale internationale kurde Ghassemlou. Il passe (AMI) avec qui il rejoint l’Afgha- au moins trois années dans les nistan en pleine guerre contre montagnes kurdes qu’il a rejoinl’envahisseur soviétique. Puis, tes hier en tant que diplomate. Le c’est le Kurdistan iranien et de Kurdistan d’Irak a gagné une innouveau le Maroc où, pendant dépendance de fait depuis qu’en six ans, il participe à la mise en 1992 la communauté internatioplace d’un système de santé dans nale lui a octroyé une protection le haut Atlas. aérienne. Le projet d’y ouvrir un Il a choisi sa voie, l’humani- « bureau d’ambassade » date de la taire. En 1989, à la demande de présidence de Jacques Chirac. ReDanielle Mitterrand, il est chargé porté à plusieurs reprises, il voit de l’accueil en France de réfugiés enfin le jour pour la plus grande kurdes fuyant les persécutions satisfaction des Kurdes. du régime irakien. Il poursuit sa AGNÈS ROTIVEL Frédéric Tissot MAURITANIE Inculpation des trois assassins présumés de Français. Mohamed Ould Chabarnoux, Sidi Ould Sidna, arrêtés le 11 janvier à Bissau, ainsi que Maarouve Mohamed Habib, toujours en fuite, ont été inculpés d’« actes de terrorisme », pour le meurtre des quatre touristes français le 24 décembre dernier. Ould Chabarnoux et Ould Sidna ont été renvoyés à la prison civile de Nouakchott et un mandat d’arrêt international a été lancé contre le troisième assassin présumé. Au total, 13 personnes sont inculpées dans cette affaire. GRANDS LACS Le séisme a fait au moins 43 morts. Au moins 37 personnes ont été tuées au Rwanda dans le tremblement de terre survenu dimanche dans la région des Grands Lacs. Le séisme, d’une magnitude de 6 degrés sur l’échelle de Richter, a frappé l’ouest du Rwanda et l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Il a fait également plus de 400 blessés au total. Les dégâts sont considérables. Les murs de certaines églises se sont effondrés, piégeant des dizaines de fidèles. CAMBODGE Procès des Khmers rouges. Nuon Chea, numéro deux du régime des Khmers rouges (19751979), a demandé et obtenu hier l’ajournement d’une audience publique au tribunal du génocide cambodgien, affirmant que la présence de son avocat étranger était indispensable. Le même jour, l’ex-dirigeant khmer rouge Ieng Sary, en détention, a été hospitalisé. (Publicité)