le comique - Philosophie par tous

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le comique - Philosophie par tous
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Le Comique
Texte intégral
Louis Girard
Café-Philo / 6 mai 2015
LE COMIQUE
On peut penser que, dès qu'il y eut des hommes, il y eut des rires ; on a ri d'un individu qui,
ayant annoncé à grand tapage qu'il allait faire un exploit, manque son coup, d'un grand
personnage solennel qui, s'avançant avec majesté, brutalement tombe sans se faire de mal ; d'un
fantaisiste " drôlement " habillé ; et c'est sûrement tôt dans l'histoire de l'humanité qu'on a fait
des plaisanteries érotiques. Mais ce n'est que tardivement qu'on s'est mis à fabriquer
artificiellement du comique ; alors, la nature imitant l'art, on a retrouvé dans la vie courante le
comique de l'artifice ; ne dit-on pas : "un harpagon, un tartuffe, un Don Juan, un
matamore 1 » ? La comédie était née.
Origine de la comédie : le culte de Dionysos
Elle a sa source en Grèce, dans le culte de Dionysos. Dionysos est le fils adultérin de Zeus et
d'une mortelle : Sémélé. Alors qu'elle :était enceinte, Sémélé demanda à Zeus de se faire voir à elle
dans toute sa puissance ; il y consentit, mais Sémélé fut incapable de supporter la vue des éclairs qui
environnaient son amant, elle fut foudroyée. Zeus alors transporta :l'embryon :dans sa cuisse, et le
petit Dionysos naquit en temps normal. Mais il fut dès sa naissance l'objet de persécution de la part
de la jalouse Héra. Dionysos cependant découvrit la vigne : aussi fut-il considéré : comme le dieu
du vin ; mais Héra réussit à le frapper de folie ; il fut guéri par Cybèle, :qui le purifia. Dionysos,
toujours fuyant la fureur d'Héra, poursuivit son errance, escorté par des jeunes filles : les
Bacchantes, :puis par tout un cortège : : un char traîné par des panthères, les Satyres (mi-hommes,
mi-boucs), au membre viril perpétuellement dressé ; et de proportions surhumaines , et des divinités
mineures, comme Priape, lui aussi ithyphallique. Passant à Thèbes, pays d'origine de sa mère,
Dionysos y introduisit les Bacchanales, fêtes où le peuple entier, mais surtout les femmes, était saisi
d'un délire mystique et parcourait la campagne en poussant des cris rituels.
Dionysos, dieu du vin et de l'inspiration, était fêté par des processions tumultueuses dans
lesquelles :figuraient, évoqués par des masques, les génies de la terre et de la fécondité. C'est de là
que vient la comédie, en Grèce,vers le -4ème siècle. Dès le -2ème siècle, les "mystères" de
Dionysos pénètrent à Rome ; le Sénat romain dut interdire la célébration des Bacchanales en -186,
mais César autorisa de nouveau les cérémonies bachiques, et Dionysos joua un grand rôle dans la
religion de l'époque impériale.
Aristote lui-même assure que la comédie remonte aux "chants phalliques", qui
accompagnaient des processions où l'on promenait un organe viril parmi les rires, les plaisanteries
et les chansons ; les officiants, déguisés en animaux, formaient une mascarade ; les choeurs
d'animaux, si fréquents dans la comédie d'Aristophane, sont héritiers de cette tradition. D'ailleurs, le
mot "comique" vient du grec "kômos" qui désignait la fête en l'honneur de Dionysos.
Comme Dionysos, le comique relève souvent de la contestation, de l'ailleurs,de l'inconvenant,
et, s'élève, contre la rigueur du "sérieux", d'une certaine manière donc manifestation de la liberté.
Cependant, lorsqu'il s'attache au "ridicule" en particulier, il peut lui arriver d'être du côté
"conservateur".
Ia) De quoi rit-on ?
Aristote définit ainsi la comédie : "l'imitation d'hommes de qualité morale inférieure, non en
toute espèce de vice, mais dans le domaine du risible, lequel est une partie du laid. Car le risible est
un défaut et une laideur sans douleur ni dommage ; ainsi, par exemple, le masque comique est laid
et difforme sans expression de douleur." Retenons de cette définition : 1) que l'on ne peut, selon
1 matamore :: dans la comédie espagnole, un faux brave qui se vante à tout propos de ses prétendus exploits contre les
Maures :: ::repris par Corneille dans l'"Illusion comique"
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Aristote, rire de la douleur ; 2) que le comique est "laid" ; ce qui signifie qu'il est négatif par
rapport aux normes esthétiques d'une société donnée ; le beau n'est pas comique ; 3) que le
comique concerne l'humanité, mais une humanité "de qualité morale inférieure" ; le sublime n'est
pas comique.
1) En ce qui concerne le premier point, on peut objecter qu'il y a des hommes assez abjects
pour rire des tourments de ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis : ainsi les "plaisanteries" de
certains SS, qui coupaient la corde avec laquelle ils pendaient le condamné, se pâmaient de rire :en
le :voyant tomber, ceci pour le relever et lui passer de nouveau la corde, faisant ainsi durer l'agonie.
Mais, justement, il s'agit ici d'une conduite vraiment inhumaine. La mort, la douleur, ne peuvent
devenir comiques que pour des individus qui se mettent hors de l'humanité. On blâmera violemment
le rédacteur de "Charlie hebdo" qui a osé plaisanter sur la mort des moines de Tibérine. Une pièce
:comique ne tolère pas un dénouement malheureux : dans la seconde version, Tartuffe se terminait
par le triomphe de l'hypocrite ; la pièce était devenue un drame, et Molière dut changer le
dénouement.
2) A l'appui d'Aristote, on rapportera que les "grimaces" sont comiques. Mais c'est là où le rire
devient conservateur : on rit souvent de ce qui n'est pas "habituel" ; on a ri des premiers
"impressionnistes" (l'affaire du "coucher de soleil sur l'Adriatique"), des premiers cubistes On a ri
des premières femmes en pantalon, Par contre, on ne rira pas d'une laideur résultant d'un mal
physique 3) Le dernier point est sans doute le plus contestable : même un homme supérieur devient
comique si, par exemple, on le voit, comme :ce fut le cas pour Napoléon, dormir lors d'un grand
concert, ou habillé de travers Mais c'est qu'alors l'homme supérieur revient au niveau des simples
humains, et, pour le temps du rire, au-dessous du niveau du rieur ; on rit en effet de quelqu'un quand
on le sent affligé par rapport au "normal" d'un négatif qui le rend inférieur à ce "normal" .
Ib) A quels genres de comique est-on confronté.?
1) Le niveau moralement le plus bas du comique est celui où il est rappelé à l'homme sa
condition animale, non pour s'en humilier, mais pour l'assumer joyeusement ; c'est le comique du
scatologique et de l'érotique. Dans certains milieux, un pet déclenche les rires, et il est des individus
qui trouvent plaisant de se montrer en mettant un bâton devant leur braguette. Aristophane luimême ne dédaignait pas les plaisanteries fort crues : la fin des "Acharniens" oppose Lamachos, le
partisan de la guerre, grièvement blessé au service de la patrie,à Dicéopolis, l'homme de la paix, qui
a traité avec l'ennemi, et s'apprête à faire l'amour avec deux courtisanes : "Je suis en érection, je n'y
vois plus, j'ai le désir"2 Mais notre Rabelais lui fait concurrence, par exemple lorsqu'il évoque les
gouvernantes de Gargantua attentives à sa "braguette", qu'elles "ornaient de beaux bouquets, de
beaux rubans, de belles fleurs, de beaux floquards, et passaient leur temps à la faire revenir entre
leurs mains comme un magdaléon d'entraict, puis s'esclaffaient de rire quand elle levait les aureilles,
comme si le jeu leur eut plu. L'une la nommait "ma petite dille, l'autre ma pine, l'autre ma branche
de coural, l'autre mon bondon, mon bouchon, mon vibrequin, mon poussouer, ma terière, ma
pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressoir, ma petite andoille vermeillle, ma petite
couille bredouille. -Elle est à moi, disait l'une. -C'est la mienne, disait l'autre.-Moi, disait l'autre, n'y
aurais-je rien ? Par ma foi, je la couperai donc -Ah ! couper, disait l'autre, vous lui feriez mal,
Madame, coupez-vous la chose aux enfants ? Il serait monsieur sans queue."3 "Joconde" de La
Fontaine : deux hommes sont dans un lit avec une fille au milieu ; un troisième homme s'introduit
clandestinement et passe la nuit sur la fille. C'est d'une hauteur spirituelle contestable
2) A un niveau un peu supérieur, on a les expressions à double sens, où l'expression
2 Aristophane : Les Acharniens, Belles-Lettres, 1948, p.66
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dille : fausset de barrique ; pine : épingle ; bondon :bouchon de tonneau en bois ; possouer : tige de bois qui sert à
pousser les balles dans un canon de surau ; terière : instrument pour percer ; pendilloche : pendeloque ; magdaléon
d'entraict petit cylindre d'emplâtre médical.
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apparemment bienséante dissimule (mal) le sens scatologique ou érotique ; ainsi les contrepèteries :
" les pièces du fond" ; Rabelais : " A Beaumont-le-Vicomte".Les métaphores : Shakespeare : "faire
la bête à deux dos" ("Othello ") Il y a dissimulation (faible) du sens véritable, mais l'apparence doit
être assez facilement dépassée, et ce dépassement est un jeu qui augmente le plaisir du comique.
3) Dans la vie courante, le ridicule. C'est une manière de se comporter qui soulève,non la
réprobation morale, mais le rire, parce qu'elle ne s'accorde pas avec la personnalité générale de celui
qui la pratique, et de ce :fait le rabaisse Qu'un président de la République se déguise et, comme un
jeune amoureux transi, aille en scooter, et en cachette, voir sa maîtresse, cela paraît ridicule. Voltaire
écrit plaisamment : "je ne sais rien de si ridicule qu'un médecin qui ne meurt pas de vieillesse"4
Saint-Simon conte l'histoire qui arriva à la duchesse de Chevreuse, laquelle fut prise d'un besoin
physiologique extrêmement pressant : alors qu'elle se trouvait dans le carrosse de Louis XIV ; or,le
roi ne consentait jamais à s'arrêter en route ; elle dut donc souffrir le martyre et, n'en pouvant plus, à
destination, elle réussit à s'échapper avec l'aide du duc de Beauvillier pour entrer dans la chapelle du
château de Fontainebleau et, enfin, s'y soulager. Le ridicule s'attache souvent à l'innovation. On l'a
dit : "Le ridicule consiste à choquer la mode ou l'opinion, et communément on les confond assez
avec la raison. Pour don Juan : " la constance n'est bonne que pour des ridicules" 5 ; pour lui, la
norme, c'est l'infidélité/ Certains pensent que le ridicule tue. (Pour La Rochefoucault, " le ridicule
déshonore plus que le déshonneur"6.C'est que, pour le rieur, le sujet comique est au-dessous de lui ;
tourner en ridicule est une arme redoutable.
4) On va examiner des concepts voisins du concept de "ridicule".
a) On rencontre celui de "grotesque".L'étymologie de ce mot est assez étrange ;
"Grotesque "vient de l'italien : "grotta"=grotte ; on avait trouvé lors de l'exhumation des
thermes de Titus, à Rome, des peintures assez bizarres, reproduisant des objets en les
déformant. Les caricatures appartiennent au genre grotesque ; en accentuant un trait
caractéristique du personnage, on le met en quelque sorte en dehors du genre humain normal,
on en fait un "autre" que l'on domine, un personnage comique ; ainsi les caricatures de
Daumier sur Louis-Philippe, en faisant de sa tête une poire,le ramenaient au règne végétal. La
caricature peut pourtant ne pas avoir un rôle agressif : en faisant d'un personnage quasi-sacré
un objet comique, elle le ramène à un niveau humain ; mais c'est ce que les musulmans
fervents n'admettent pas en ce qui concerne Mahomet. Ce qui fait que la grimace est toujours
comique, c'est qu'en déformant les traits elle met le sujet hors du "sérieux" ; à cet état nouveau
il est réagi par le rire
b) Dans le burlesque, le comique résulte du contraste entre l'ordinaire des circonstances
ou, en littérature ou au théâtre, la bassesse du style, et la solennité des personnages
(cf."Virgile travesti" de Scarron).("burlesque" vient de l'italien "burlesco", de :"burlare =
plaisanter) Le passage de "Gargantua" où il est expliqué "comment Grandgousier connut
l'esprit merveilleux de Gargantua à l'invention d'un torchecul" est burlesque." J'ai, répondit
Gargantua, par longue et curieuse expérience, inventé un moyen de me torcher le cul , le plus
seigneurial, le plus excellent, le plus expédient que jamais fut vu.-Quel ? dit Grandgousier
-Comme vous le raconterai, dit Gargantua, présentement. Je me torchai une fois d'un cachelet 7
de velours d'une demoiselle, et le trouvai bon, car la mollesse de sa soie me causait au
fondement une volupté bien grande. Puis, fientant derrière un buisson, trouvai un chat de mars
; d'icellui me torchai, mais ses griffes me blessèrent tout le périnée. De ce me guéris le
lendemain, me torchant des gants de ma mère.Puis me torchai de sauge, de fenouil, d'aneth. Je
4 Voltaire : lettre du 6 novembre 1767
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5 Molière : Don Juan, acte 1, scène 2
6 La Rochefoucault : Maxime "326.
7 petite étoffe carrée que les femmes attachaient souvent à leur coiffure et qui leur couvrait le nez et le bas du visage
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dis et maintiens qu'il n'y a tel torchecul que d'un oison duveté, pourvu qu'on lui tienne la tête
entre les jambes"8.
c) L'héroï-comique est le contraire du burlesque. Il consiste à parler ou écrire de choses
basses ou banales sur le mode solennel ou héroïque. C'est le comique du "Lutrin" de Boileau
qui feint de traiter comme un combat de première importance une querelle de chanoines.
L'héroï-comique prête le langage et les allures du héros à des gens de condition inférieure et
cherche un contraste plaisant entre la grandeur du style et la petitesse des actes. Dans ce
registre, la parodie consiste à imiter un personnage ou une société en en accentuant les
caractéristiques de manière à les ridiculiser. Ainsi le "Canard enchaîné" , durant la présidence
de de Gaulle, tint une rubrique hebdomadaire où il était rendu compte de l'actualité politique
en France d'après les intrigues supposées de l'entourage du Président : "la cour" ; ChabanDelmas, par exemple, y était le "duc d'Aquitaine" ? C'était très amusant.
5) Mais le comique, c'est aussi le jeu et, en particulier, le jeu sur les mots :
a) Et, par conséquent, puisque les mots désignent des êtres, un jeu qui n'est pas exempt
d'allusions et parfois d'attaques contre les gens. Des exemples : Louis XVI demandait à
Rivarol de faire un mot d'esprit à son sujet ; Rivarol lui répond : Oh ! Sire, le roi n'est pas un
sujet. Cocteau après une représentation du Soulier de Satin (qui est très long) :"Heureusement
qu'il n'a pas écrit la paire ! " Cité par Freud : son chirurgien parlant du baron de Rotschild : "il
me traite de façon très famillionnaire" ; Desproges :"L'amour. Il y a ceux qui en parlent et
ceux qui le font. A partir de quoi il m'apparaît urgent de me taire". Victor Hugo : "Beaucoup
d'amis sont comme le cadran solaire : ils ne marquent que les heures où le soleil vous luit".
Scarron : "je lègue tous mes biens à mon épouse, à condition qu'elle se remarie ; ainsi, il y
aura tout de même un homme qui regrettera ma mort" "Son épouse était si autoritaire qu'il
avait rédigé :son testament en commençant par ces mots : "Voici mes premières :volontés" "
(Labiche)"J'ai connu une femme qui voulait divorcer pour ne pas rester l'épouse d'un mari
trompé" (Courteline) Involontaire? :"Il n'y a que les imbéciles qui ne changent jamais d'avis,
c'est ce que j'ai toujours dit" (Chirac en 1988) "Si ma femme doit être veuve, j'aimerais mieux
que ce soit de mon vivant" (Raymond Devos)
b) Le plaisir que l'on prend aux mots d'esprit s'éclaire par opposition au comique des
"cuirs"ou des dialogues de sourds. Lorsque Bélise accuse la servante (Martine) d'offenser la
grammaire et que celle-ci lui répond : « Qui parle d'offenser grand-mère ni grand-père ? »le
comique a sa source dans le sentiment de supériorité que l'on éprouve aussi bien devant
l'ignorance de Martine que devant la sotte :prétention de Bélise, :qui lui fait attacher tant
d'importance à une futilité ; au contraire, la compréhension du mot d'esprit nous hausse en
bonne et ingénieuse compagnie ;
c) En ce qui concerne ces traits, certains, au-delà du jeu de mots et parfois de l'absurdité,
ont une véritable profondeur psychologique.
6) C'est dire qu'on ne saurait réduire le comique à la mise en valeur, en l'homme, du
scatologique et de l'érotique. Certes, c'est en partie de là que procède le gros rire de la farce, qui
traduit le soulagement de se libérer des contraintes de la vie civilisée.
a) Mais il y a aussi le rire vengeur devant l'aveuglement de la passion, qui rend l'agent
inaccessible à la simple raison : ainsi Harpagon esclave de sa cassette ; ou la stupidité de
l'idée fixe : ainsi Arnolphe habité par la terreur d'être un mari trompé ; ainsi les précieuses
fanatiques du beau langage. Le comique vient ici des chocs qui ne manquent pas de se
produire entre la force aveugle de la passion et la réalité, et le spectateur ne manque pas de se
8 Rabelais : Gargantua, dans Oeuvres complètes, Pléiade p. 65-68
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réjouir des échecs du passionné que sa passion rend antipathique ; qu'il y ait une victime du
passionné jeune et sympathique, et qui finisse par triompher, et la comédie est réussie
b) Du même ordre que le passionné, et personnage comique, est aussi celui qui veut :
échapper à la condition humaine, vivre comme un pur esprit. Aristophane a représenté ainsi le
Socrate des Nuées. Socrate y apparaît suspendu dans une corbeille, entre ciel et terre : "Jamais
je n'aurais pu démêler exactement les choses célestes si je n'avais suspendu mon esprit et
confondu ma pensée subtile avec l'air similaire. Si j'étais resté à terre pour observer d'en bas
les régions supérieures, je n'aurais jamais rien découvert ; non, car la terre forcément attire à
elle la sève de la pensée"9 Le comique vient ici de ce que « échapper à la Terre, aux pensées
purement terrestres », est pris ici au sens propre, et non métaphorique, ce qui donne une
réalité concrète à la représentation courante du philosophe comme "hors du monde" ; le
philosophe devient ridicule.
7) Le comique est ainsi très souvent cruel : il lui faut un ou des personnages plus moins
antipathiques sur lesquels on fait peser le ridicule. Mais il est aussi un comique, non pas du rire,
mais du sourire, qui vient de la communion avec des personnages sympathiques lancés dans des
aventures burlesques et dont, bien sûr, ils finissent par se sortir. Ainsi dans le théâtre de Marivaux
Dans le Jeu de l'amour et du hasard Silvia et Dorante, que leurs pères veulent marier, et les veulent
faire, d'abord, se rencontrer, ont tous les deux la même idée : permuter avec leurs domestiques afin
d'observer plus librement leur futur conjoint. A partir de cette donnée première, vont apparaître les
conflits ; Silvia devient amoureuse du prétendu valet, et Dorante amoureux de la prétendue suivante
Le comique vient évidemment du choc psychologique éprouvé par l'une et l'autre à la découverte de
leurs sentiments, choc dont le :spectateur sait qu'il est artificiel ; mais ce savoir n'amène pas chez le
spectateur un sentiment de supériorité par rapport aux héros ; plutôt une espèce de tendresse envers
cette recherche exigeante d'un amour idéal qui semble se heurter à la barrière sociale. Le comique
advient à ce qui est le plus haut projet humain : la recherche de la vérité de ses sentiments, la
fidélité à soi-même.
Il y a ainsi possibilité du comique à tous les niveaux.
Ic) L'ironie et l'humour
L'ironie et l'humour ont en commun de produire du comique, mais dans l'ironie, c'est contre
les autres, dans l'humour contre soi-même.
1) L'ironie consiste à dire le contraire de ce qu'on pense, tout en laissant signifier qu'on ne
pense pas ce qu'on dit.
Par là, l'ironie est mêlée à des figures de style, comme l'antiphrase, l'euphémisme, l'hyperbole,
la litote, l'emphase, la prétérition .L'antiphrase consiste à employer un mot dans un sens contraire à
son véritable sens, tout en laissant entendre que c'est ce véritable sens que l'on a dans l'esprit. Ainsi
lorsque les Anciens appelaient les Furies les Euménides (=les Bienveillantes) justement parce
qu'elles étaient le contraire de : "bienveillantes", afin de ne pas susciter leur courroux.
L'euphémisme consiste à exprimer une réalité difficile à admettre en l'exprimant de façon à en
adoucir l'apparence ; ainsi lorsque Chénier écrit : "elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine", pour dire
"elle est morte" ; lorsqu'on emploie l'expression : "pays en voie de développement" pour "pays
sous-développés", ou "le petit coin", pour "les toilettes" (qui est déjà un euphémisme, le mot
"propre"serait "les chiottes") , ou, pour "mourir" : "nous quitter", " disparaître", "s'éteindre", "s'en
aller" ; Aragon : "vivre est un village où j'ai mal rêvé", pour signifier le cauchemar du stalinisme,
auquel il a ardemment participé ; on dit : "demandeurs d 'emploi" pour "chômeurs" La litote
consiste à dire moins pour faire entendre plus : ainsi "il n'est pas complètement stupide", pour
9 Aristophane : Les Nuées, Belles-Lettres, p.175 1948 ::
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signifier :"il est bête" , ou " c'est loin d'être tout faux" pour "c'est presque :complètement erroné".
Ce qui complique les choses, dans :toutes ces figures, c'est qu'en même temps qu'on dit quelque
chose, il faut laisser entendre qu'on pense autrement. Le ton avec lequel on s'exprime, le contexte,
ou parfois seulement la convention, y pourvoient . Il faut connaître au moins un peu Voltaire pour
saisir l'ironie de ce : passage : "Rien n'était si beau, si brillant, si bien ordonné, que ces deux armées.
Les trompettes, les fifres, les hautbois, les tambourins, les canons, formaient une harmonie telle
qu'il n'y en eut jamais en enfer"10 L'emploi du mot "enfer" devrait cependant suffire à soupçonner
l'ironie. L'ironie atteint :son but et accable celui auquel elle s'adresse en le rendant comique quand il
interprète dans son sens littéral le propos ou la conduite ironique, alors que la plupart de ceux qui en
sont témoins, et en premier lieu les spectateurs s'il s'agit d'une : comédie, ne sont pas dupes. La
conduite ironique est ainsi le grand agent comique du Voyage de Monsieur Perrichon de Labiche
Deux jeunes hommes aspirent à épouser la fille de Monsieur Perrichon ; l'un croit avoir gagné car,
lors d'un voyage, il a vraiment sauvé la vie de Perrichon ; mais l'autre, en contre-offensive, imagine
de se faire sauver par Perrichon ; il feint d'être tombé dans un précipice d'où Perrichon, sans grand
mal, le tire ; Perrichon devient alors un héros à ses propres yeux, et a ce mot magnifique : "Vous me
devez tout, tout (avec noblesse), je ne l'oublierai jamais !" Le comique vient alors du sentiment de
supériorité des spectateurs, devant la naïveté et la vanité du pauvre homme, victime de l'ironie.
Celle-ci n'est jamais innocente Dans le cas de Perrichon, c'est très spécial : il fait de l'ironie sans le
savoir, ce qu'il dit, ce qu'il fait, est faux, et il est le seul à le croire vrai.'
2) Le concept d'humour est plutôt vague ; le mot vient de " humeur", les humeurs (sang,
bile, atrabile, nymphe) conditionnaient, croyait-on, notre attitude générale envers le monde et
envers autrui ; au XVII ème siècle, en Angleterre, le mot "humour" en est venu à signifier plus
spécialement une attitude :générale consistant à ne pas prendre la réalité au sérieux . On peut dire
que, d'une certaine façon, l'humour s'oppose à l'ironie alors que celle-ci consiste à dire le contraire
de ce qu'on pense de façon à montrer qu'on ne pense pas ce qu'on dit, l'humour consiste à affirmer
une vérité de façon telle que le locuteur la considère comme n'étant pas Ainsi ce condamné à mort
que l'on mène à la guillotine un lundi matin, et qui s'écrie : "Voilà une semaine qui commence
mal !"Ainsi ce mourant qui demande à :son fils de lui apporter un morceau de tarte aux pommes ; le
fils part le demander à sa mère, mais revient les mains vides : "Maman a dit que la tarte, c'est pour
après l'enterrement". Il semble qu'on puisse mettre au compte de l'humour l'histoire suivante : "Un
homme rencontre l'un de ses amis, et le trouve tout triste, quasi désespéré ; il lui demande : "Mais
qu'as-tu donc ? L'autre ; C'est terrible, je fais pipi au lit. Alors l'ami lui indique l'adresse d'un grand
psychanalyste qu'il connaît particulièrement. Quelque temps après, les deux amis se rencontrent de
nouveau, et le malade paraît guéri ; gai, souriant,volubile ; "-Alors, tu as été bien soigné, tu ne fais
plus pipi au lit ! Réponse : "Pipi au lit, mais si, bien sûr, je fais toujours pipi au lit ; mais,
maintenant, j'en suis fier !". Dans :l'humour, on se met en dehors des circonstances, comme si elles
ne nous concernaient pas ; c'est un moyen de les supporter
Id) Le comique de l'absurde
Un reporter interviewe Mark Twain : - « Avez-vous un frère? » « Oui, nous l'appelions Bill.
Pauvre Bill ! » « Il est donc mort? » « C'est ce que nous n'avons jamais pu savoir. Un grand mystère
plane sur cette affaire. Nous étions, le défunt et moi, deux jumeaux et nous fûmes, à l'âge de quinze
jours, baignés dans le même baquet. L'un de nous deux s'y noya, mais on n'a jamais su lequel. Les
uns pensent que c'était Bill, d'autres que c'était moi. Etrange » « mais vous, qu'en pensez-vous? »
« Ecoutez, je vais vous confier un secret que je n'ai encore révélé à âme qui vive. L'un de nous deux
portait un signe particulier,un énorme grain de beauté au revers de la main gauche ; et celui-là,
c'était moi. Or, c'est cet enfant-là qui s'est noyé »
On rit de l'absurde parce que :c'est les vacances de la pensée
10 Voltaire : Candide chapitre 3
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II) Les procédés de la comédie. La théorie bergsonienne du comique
Après avoir dégagé les divers niveaux du comique, on va s'efforcer de mettre au jour les
procédés par lesquels la comédie, dont c'est le rôle, produit le comique. On prend comme guide la
thèse bergsonienne selon laquelle le comique est du mécanique plaqué sur du vivant.
a) Thèse tout à fait vérifiée dans le cas du distrait ; alors que la vie réclame une attention
quasi permanente pour s'adapter aux multiples changements souvent imprévisibles, le distrait se
laisse mener par les automatismes acquis : "Ménalque .entre à l'appartement, et passe sous un lustre
où sa perruque s'accroche et demeure suspendue ; tous les courtisans regardent et rient ; Ménalque
regarde aussi et rit plus haut que les autres ; il cherche des yeux dans toute l'assemblée où est celui
qui montre ses oreilles et à qui il manque une perruque"11
b) Celui qui est habité par une idée fixe a le même aveuglement : Don Quichotte voit des
géants à la place des moulins à vent ; le vice, la passion, ont d'une certaine manière, le même effet
d'inadaptation à la réalité changeante ; mais, avec profondeur, Bergson distingue deux manières
d'être vicieux : "Sans doute il y a des vices où l'âme s'installe profondément avec tout ce qu'elle
porte en elle de puissance fécondante, et qu'elle entraîne, vivifiés, dans un cercle mouvant de
transfigurations. Ceux-là sont des vices tragiques. Mais le vice qui nous rendra comiques est au
contraire :celui qu'on nous apporte du dehors comme un cadre tout fait où nous nous insérerons . Il
nous impose sa raideur, au lieu de nous emprunter notre souplesse. Nous ne le compliquons pas ;
c'est lui, au contraire, qui nous simplifie"12.Les jalousies de Iago, d'Othello, habitent toute leur
personnalité, et sont menées par elle, elles sont individualisées ; au contraire, la terreur d'être cocu d'
Arnolphe le domine, lui impose un comportement stéréotypé.
c) Aussi les titres des comédies peuvent-ils être des noms de généralités abstraites : "l'
Avare", "le Misanthrope", "le Malade imaginaire". Certes, "Lysistrata"est une comédie et a comme
titre un nom propre ; mais Lysistrata n'est pas un personnage comique : son dessein est des plus
sérieux, et c'est celui d'Aristophane : ridiculiser la guerre pour imposer la paix ; le moyen employé
prête certes aux effets comiques, et Aristophane en use et en abuse, mais Lysistrata n'est pas
concernée. Il y a aussi "Tartuffe" ; mais son personnage est habité par un vice d'une telle
impersonnalité que le mot "tartuffe" est passé dans la langue pour désigner une certaine forme
d'hypocrisie utilisant en particulier la religion. De même, on appellera "don Quichotte" des utopistes
et des songe-creux. On ne dira pas de quelqu'un : "C'est un Iago" ou "c'est un Othello" ; les
personnages des drames et des tragédies sont fortement individualisés.
d) «Les attitudes, gestes et mouvements du corps humain sont risibles dans l'exacte mesure où
ce corps nous fait penser à une simple mécanique »13 On rira à l'audition d'un orateur lorsqu'on aura
constaté de sa part un certain mouvement involontaire, toujours le même, qui revient régulièrement
"je l'attends au passage, et, s'il arrive quand je l'attends, je rirai". C'est une mécanique qui s'est
emparée du vivant. C'est de façon analogue que Bergson explique pourquoi l'imitation est comique :
nous ne pouvons imiter d'un individu que ce qui n'est pas lui-même,7 que "la part d' automatisme
qu'il a laissée s'introduire dans sa personne" (les imitations de de Gaulle l'atteignent quand il fait
"du de Gaulle :le demi-dieu qui mène la France vers son destin providentiel ; mais on ne peut
imiter le de Gaulle du 18 juin) Pourquoi un homme qui se déguise est-il comique ? Selon Bergson,
c'est parce qu'il a installé sa personnalité unique dans un cadre qui n'est pas elle, qui est général,
anonyme.
e) Engendre maints effets comiques l'opposition de l'esprit, original et singulier, et de la lettre,
impersonnelle et générale ; ex. : "La lettre chargée" de Courteline. Considérer le comique comme
11 La Bruyère : Caractères, XI, De l'homme, 7
12 Bergson : Le rire, 4ème :ed, 2.007 PUF , p.11
13 ibid, p. 22
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chute de l'individuel dans l'impersonnel et le général éclaire aussi le comique de l'érotique et du
scatologique. La chose est ce qu'il y a de plus impersonnel, puisqu'elle est passive, offerte à notre
action ; et nous rions "toutes les fois qu'une personne donne l'impression d'une chose"14 ainsi, dans
Don Quichotte, :Sancho Pança renversé sur une couverture et lancé en l'air comme un simple
ballon ; dans les Fourberies de Scapin, Géronte fourré dans un sac et battu. La farce use et abuse
d'un tel procédé.
f) Bergson a dénombré des moyens par lesquels la farce arrive à faire rire, procédés qui ne
sont nullement dédaignés par les grands auteurs comiques.
1) C'est d'abord le "diable à ressort". Dans le théâtre de Guignol, lorsque le :commissaire
s'aventure sur la scène, il reçoit un coup de bâton, et s'effondre ; il se relève, nouveau coup de
bâton ; la tension du ressort est mécaniquement suivie de la détente. Transposition dans le Malade
imaginaire : à chaque fois qu' Argan se soulève de son fauteuil, M. Purgon surgit pour le menacer
de toutes les maladies imaginables. La répétition est un procédé comique efficace ; dès qu'un « mais
que diable allait-il faire dans cette galère? " de Géronte, ou le "Et Tartuffe ? " d' Orgon, comme dans
une mécanique bien montée
2) C'est ensuite le "pantin à ficelles". Le personnage comique est manipulé comme un
instrument inconscient par un maître en stratégie, esclave ou valet : Scapin, Figaro. Le prototype de
ces manipulateurs est Panurge, "malfaisant, pipeur, buveur, batteur de pavés, ribleur 15 ,s 'il en était à
Paris, au demeurant le meilleur fils du monde et toujours machinait quelque chose contre les
sergents et contre le guet"16. Le rire a toujours quelque chose d'anarchique.
g) C'est aussi la "boule de neige" l'effet comique grandit quand un événement se propage
mécaniquement en s'ajoutant à lui-même ; le récit de Chicaneau dans les Plaideurs ; ce sont des
procès qui s'engrènent dans des procès, et le mécanisme fonctionne de plus en plus vite" 17 C'est
aussi "l'interférence des séries", avec les quiproquos, ressorts essentiels du vaudeville. Le quiproquo
consiste à prendre quelqu'un pour un autre ; c'est comme une mécanique qui fonctionnerait à
l'aveugle, sans tenir compte des circonstances. C'est là le principal ressort comique de l'Amphitryon
de Molière .Le quiproquo vérifierait cette formule de Kant : " le rire vient d'une attente qui se résout
finalement en rien"18. Parce que l'un des interlocuteurs fait erreur sur l'identité de l'autre, le
processus de la conversation fonctionne à vide ; c'est cette sorte de chute dans le vide qui amène le
rire.
4) Bergson aborde le "comique de mots" :
Un mot est dit "comique" lorsqu'il nous fait rire de celui qui le prononce , et spirituel quand il
fait rire d'un tiers"19 "Ce sabre est le plus beau jour de ma vie" fait rire de M. Prudhomme (insertion
dans une expression toute faite : "le plus beau jour de ma vie" d'un mot manifestement inadapté) Le
"j'ai mal à votre poitrine" de Mme de Sévigné ne peut que faire sourire, mais ne rend pas Mme de
Grignan ridicule ; mais lorsque, dans l'Amour médecin Clitandre tâte le pouls de Sganarelle pour,
dit-il, savoir si sa fille est bien malade, c'est Sganarelle qui est ridicule, parce qu'il prend comme
une relation effective et non comme une métaphore exprimant une affection profonde la sympathie
entre un père et sa fille20 On dit de quelqu'un qui n'est pas très futé, mais très prétentieux : "Il court
14
15
16
17
18
19
20
ibid p.45
chapardeur
Rabelais : Pantagruel, dans Oeuvres complètes, Pléiade, p.259
Bergson : Le rire, p.62
Kant : Critique du jugement l.2, §54
ibid p.80 "
Molière : l'Amour médecin, acte III ; scène V
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après l'esprit" ; l'homme d'esprit ajoute ; "mais je parie pour l'esprit" ; l'effort pour paraître
intelligent devient ainsi une sorte de course sur le résultat de laquelle on peut prendre des :paris ;
prendre au sens propre ce qui est dit au sens figuré amène le rire. D'une façon générale, allier sur un
même sujet deux tons différents, produit un effet comique ; par exemple : " Le ciel commençait à
passer du noir au rouge, semblable à un homard qui cuit". Le mot de Gogol : "Tu voles trop pour un
fonctionnaire de ton grade" parce qu'il semble considérer que la malhonnêteté devient de plus en
plus licite à mesure qu'on monte dans la hiérarchie : c'est scandaleux, et surtout inattendu, et cet
inattendu déclenche le rire.
5) Bergson traite du comique de caractère.
A la limite, on pourrait dire que tout caractère est comique, dans la mesure où le caractère
serait une manière d'être qui amènerait chacun à réagir de manière prévisible aux événements. "X
est orgueilleux ; en le flattant, j'arriverai à le convaincre" ; et la mécanique fonctionne, ce qui vérifie
la théorie bergsonienne. Car, pour qu'un caractère soit utilisé par la comédie, il vaut mieux qu'il
s'agisse d'un caractère antipathique ; on ne rit pas d'un homme généreux ; rire de quelqu'un, c'est le
trouver ridicule.
Mais si l'individu est trop vicieux, il sera complètement rejeté, les conséquences de ses actes
seront cruelles, et l'on ne sera plus dans la comédie, mais dans le drame. Le vice comique doit être
un vice relativement léger, qui, en tous cas, n'a pas de conséquences dramatiques. Dans l'Avare, on
frôle le drame lorsqu'Harpagon apprend qu'il est le créancier de son fils, et que les deux hommes se
trouvent face à face. Mais finalement tout s'arrange, et Harpagon, non corrigé, peut retrouver sa
"chère cassette". Le problème est plus complexe avec Tartuffe. Pour Bergson, "le personnage de
Tartuffe appartiendrait au drame par ses actions ; c'est quand nous tenons plutôt compte de ses
gestes que nous le trouvons comique"21 Tartuffe est comique dans la mesure où l'on sent qu'il joue
un personnage. Aussi l'acteur qui joue le rôle doit-il dès le début faire sentir cette dualité ; il n'est
pas facile de dire : "Laurent, serrez ma haire avec ma discipline/ Et priez que toujours le ciel vous
illumine/ Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers / Des aumônes que j'ai partager les
deniers"22 Comment prononcer ces mots de Tartuffe, les premiers qu'il prononce dans la pièce, après
qu'on l'ait présenté diversement dans les deux premiers actes ? Il faut faire sentir que sa dévotion est
un masque, un masque qui commencera de tomber à la scène 3 de l'acte 4 lors de la déclaration à
Elmire. Et il y a là un trait du personnage qu'il faut faire sentir si l'on veut que la pièce soit
cohérente : Tartuffe est un aventurier qui a la passion des entreprises et qui veut les réussir
absolument. S'il veut faire d'Elmire sa maîtresse, c'est bien sûr parce qu'il la trouve séduisante, mais
c'est surtout que cela rendra sa victoire complète : il aura enlevé à Orgon non seulement sa maison
et sa fortune, mais sa femme. Lorsqu'elle est, non subie par le sujet (comme l'avarice d' Harpagon),
mais le sujet lui-même en sa vérité, la démesure n'est pas comique, mais tragique Cette passion :fait
de Tartuffe un personnage tragique, et il est certain que le plaisir qu'on a à le voir échouer est du
même ordre que celui qu'on prend, dans le mélodrame, à voir le méchant puni. La façon dont il
accommode sa soi-disant passion amoureuse avec la religion rend d 'ailleurs Tartuffe franchement
odieux/ : "L'amour qui nous attache aux beautés éternelles / N'étouffe pas en nous l'amour des
temporelles"23. L'effarante naïveté d' Orgon, qui, dans la scène 6, acte 3, préfère croire Tartuffe
plutôt que son fils, devient tragique, car elle devrait amener le triomphe du Mal et la ruine de la
famille d'Orgon. Mais le comique revient avec la scène 4, acte 4, décisive, et ceci grâce à Elmire ;
celle-ci obtient d'Orgon qu'il se cache pendant que Tartuffe, convoqué par Elmire, dévoilerait à
celle-ci sa passion. Dès lors, la question que se pose le spectateur est : "Jusqu'où devra aller Tartuffe
pour qu'Orgon soit détrompé ? » Le comique revient parce qu'on se demande quelles privautés
accordées par Elmire pourront convaincre Orgon qu'il est trompé (évocation quelque peu graveleuse
qui fait penser à cette scène de l'Ecole des femmes où Arnolphe essaie de savoir jusqu'où Horace est
21 Bergson : Le Rire p. 110
22 Molière : Tartuffe, acte 3, scène 2
23 ibid acte 3 scène 3
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Le Comique
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allé avec Agnès) : la position d'Orgon sous la table est :également grotesque. La défaite de Tartuffe
n'est pas comique par elle-même, comme l'étaient les refus successifs d'Orgon de se rendre à
l'évidence de l'hypocrisie dont il était victime : ceux-ci mesuraient l'incroyable crédulité d'Orgon et
le mettaient de plus en plus bas dans l'esprit du spectateur ; on pourrait penser que la défaite de
Tartuffe soit due à l'aveuglement de la passion, ce qui la rendrait comique ; mais elle est plutôt due à
ce qu'il a sous-estimé Elmire, ou qu'il a surestimé son pouvoir de séduction. Mais lorsqu'Orgon
surgit piteusement de dessous la table, et reconnaît enfin la duplicité de Tartuffe, le comique est
sauvé.
L'ambiguïté comique-tragique m'apparaît moindre dans le personnage d'Alceste. Lors d'une
représentation du Misanthrope au Théâtre de Poitiers, les spectateurs n'ont ri qu'une seule fois : à la
scène du sonnet d'Oronte. Il est entendu qu'Alceste est le type parfait de l'honnête homme et que rire
de lui serait ridiculiser la vertu ; c'était déjà l'avis de Boileau. Mais rire d' Alceste n'est pas rire de la
vertu ; Alceste, c'est la vertu, mais la vertu s'affichant, se proclamant, condamnant, méprisant ; la
vraie vertu n'est-elle pas celle qui s'ignore elle-même ? Dès le début, Alceste est comique, et il l'est
parce qu'il refuse cette complaisance à autrui qu'est la sociabilité Sans forcer outre mesure, l'acteur
pourrait faire rire avec les propos qu'Alceste tient contre Philinte dans la scène 1, acte 1 : il suffit de
le montrer en colère, ce qu'il est vraiment, et pour un motif qui (la majorité des spectateurs en serait
d'accord) n'en vaut pas la peine. Certes, la fin de la pièce frise le tragique : Alceste a proposé le
mariage à Célimène, à condition qu'elle vive avec lui dans un "désert" et se voit éconduit : "Puisque
vous n'êtes point, en des liens si doux,/pour trouver tout en moi, comme moi tout en vous/allez, je
vous refuse, et ce sensible outrage/ De vos indignes fers pour jamais me dégage" 24Mais,là encore,
quelle exagération ! C'est la caricature de la vertu. Certes, Célimène est coquette, mais ce n'est pas
une médiocre ; elle estime Alceste mais est loin pour lui de l'amour fou ; son refus est un acte :de
lucidité Oui, le véritable Alceste est ce jeune furibond, embarrassé dans ses contradictions, sans
cesse en ébullition, et qui ne peut qu'exciter un rire qui condamne l'insociabilité et non la vertu.
6) Si le comique ne s'accommode pas de la vertu, il ne s'accommode pas davantage de
l'innocence totale ; celle-ci est inhumaine, et le comique ne peut s'adresser qu'à des humains ou à
des êtres qu'on considère comme tels Arnolphe a fait élever Agnès dans l'ignorance totale des
choses sexuelles, et dans la croyance que la soumission absolue au mari doit être la règle de
conduite de toute épouse. Si le résultat cherché avait été obtenu, Agnès aurait été une sorte d'objet
inerte, sans personnalité propre. Or, un personnage comique n'est pas un être sans personnalité, c'est
un être dont la personnalité existe, mais prisonnière d'un cadre impersonnel étranger. C'est pourquoi
les premiers mots d'Agnès dans l'Ecole des femmes : "Le petit chat est mort" sont si difficiles à
prononcer pour l'actrice. Il faut faire sentir qu'elle est certes ignorante, mais qu'en réalité elle est en
puissance une fine mouche. L'annonce de la mort du chat lui permet de dissimuler l'événement le
plus important qui lui soit arrivé depuis le départ d'Arnolphe, et dont elle se doute, mais
confusément, que l'apprendre ne fera pas plaisir à Arnolphe : les visites d' Horace. Elle les avouera
ensuite avec naïveté, mais elle saura très bien ensuite avertir Horace et déjouer les plans d'Arnolphe.
Le comique d'Agnès est tout à fait singulier c'est le vivant, le personnel, enfermé dans
l'impersonnel, et qui se fait sentir malgré tout, et capable d'énoncer : "Le moyen d'éviter ce qui fait
du plaisir.? ". Oui, dire : "Le petit chat est mort" est bien compliqué.
Conclusion
La géniale définition de Bergson : "Le comique est du mécanique plaqué sur du vivant" fait
certainement avancer la connaissance du comique, mais elle a besoin d'être nuancée.
1) On peut en retenir d'abord que, dans tout comique, il y a un effet de contraste, et ce
contraste est entre le monde normal où nous avons à vivre avec autrui, le monde du sérieux, et le
monde où nous transporte le comique. Dans le comique scatologique et érotique, contraste entre
l'universalité et l'animalité des comportements, et la personnalité singulière et la spiritualité des
24 Molière : Le Misanthrope, acte 5, scène 4
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Le Comique
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hommes et des femmes qui les pratiquent ; dans le grotesque, contraste entre l'humain normal et la
représentation déformante qui en est donnée ; dans le burlesque et l' héroï-comique, contraste entre
ce dont on parle et la manière d'en parler, mais le premier est l'inverse du second ; dans le mot
d'esprit, le contraste existe entre la signification telle qu'elle semble résulter immédiatement de
l'expression, et la signification que le mot d'esprit veut suggérer, ce qui advient à son maximum
dans le comique de l'absurde.
2) La conscience de ce contraste produit un sentiment de détente : le monde normal est un
monde où il faut être sérieux, tenir compte des interlocuteurs, se contrôler sans cesse ; mais le
comique nous fait quitter ce monde normal, et l'énergie employée à s'efforcer de vivre correctement
se déploie gratuitement dans le rire. On se trouve dans un milieu heureux où rien n'a d'importance.
3) Ce contraste est-il l'opposition du vivant et du mécanique ? Un homme déguisé est
comique ; peut-on dire qu'il est devenu mécanique ? On dira plutôt qu'il s'est apparemment
dépersonnalisé, qu'il s'est apparemment identifié à un type général. Le mécanisme du comique, si
bien analysé par Bergson, a la même signification : quand un être humain devient comique, c'est
qu'il n'est plus gouverné par sa volonté singulière, qu'il réagit automatiquement, de façon
impersonnelle.
4) Le personnage comique est ainsi, plus ou moins, chassé de la communauté des hommes
qui, les uns avec les autres ou les uns contre les autres, durement souvent, construisent leurs
histoires et l'Histoire. C'est pourquoi rire de quelqu'un, c'est toujours, au moins pour quelque temps,
le dévaloriser. Le plaisir du comique se trouve pour une part dans cet agréable sentiment de
supériorité que l'on éprouve à l'égard du risible.
5) Le comique nous transporte ainsi dans un monde facile, où nous sommes libérés des
contraintes des convenances et même des contraintes logiques. D'où la tentation de rire de tout
"pour ne pas en pleurer". Pour Nietzsche, « l'homme a inventé le rire pour supporter un monde
insupportable. Mais rire de tout serait renoncer à :mener une vie d'homme ».
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Le Comique
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Louis Girard
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AJOUTS
Shakespeare : Le comique de Falstaff :
Dans Henri IV 1et 2, et dans Les joyeuses épouses de Windsor, Falstaff est le personnage
comique. Gros homme, lâche, ivrogne et libidineux, il n'arrive pas cependant à être antipathique. Il
refuse l'économie du travail et de l'honneur ; sa vie n'est faite que de vol et de débauche. Et il récite
et met en oeuvre le catéchisme de la couardise Il est bassement et cyniquement utilitaire : "Est-ce
que l'honneur peut remettre une jambe ? :Un bras ? Non ! Enlever la douleur d'une blessure ? Non.
L'honneur n'entend :donc rien à la chirurgie? Non ! Qu'est-ce que l'honneur ? Un mot. Qu'y-a-t-il
dans ce mot honneur ? Un souffle. Le charmant bénéfice ! Qui le possède, cet honneur.? Celui qui
est mort mercredi. Le sent-il ? Non. L'entend-il ? Non. .L'honneur est un simple : écusson, et ainsi
finit mon catéchisme"25 Comme Epicure, Falstaff pense que honneur et :gloire sont de faux biens
parce que sources de soucis et de douleurs superflus. Mais, contrairement à Epicure, Falstaff
n'apprécie ni la frugalité ni la tempérance. Il tient d'abord à la vie, et à tous les plaisirs de la vie. Il
demande au futur Henry IV s'il gardera les gibets pour punir les voleurs, quand il régnera. Le prince
lui répond qu'il le nommera juge et même bourreau ; réponse : cela remplira ma :garde-robe ; "le
bourreau, comme tu sais, n'a pas une mince garde-robe" 26 D'ailleurs, la Loi, c'est « une vieille
farceus »' (même référence.) Dans un combat, Falstaff, pour sauver sa vie, a feint d'être mort. Mais
ce n'était pas simuler : "c'est mourir qui est un simulacre,car on n'est que le simulacre d'un homme
quand on n'a pas la :vie d'un homme. La meilleure partie du courage, c'est la prudence"27
Dans les Joyeuses épouses de Windsor, Falstaff est le principal personnage comique ; il :se
veut un séducteur irrésistible, mais il est la pitoyable victime de deux épouses fidèles, mais
délurées. Il se rend à un rendez-vous galant, mais c'est pour devoir se cacher car on annonce la
venue inattendue du mari, et pour fuir enfermé dans un paquet de linge sale qu'on jettera à la rivière,
cela ne suffit pas aux commères, qui l'attirent dans un nouveau piège, dont il sort habillé en vieille
sorcière et accablé de coups de bâton. Le séducteur est ridiculisé ; mais, finalement, il supporte cela
fort bien, et c'est sans doute ce formidable attachement à la vie qui le soutient et l'empêche d'être
odieux Son anarchisme, son égoïsme absolu, sa lâcheté, témoignent simplement de son immense :
appétit de vivre. Un être d'instinct.
Rôle de la comédie dans l'histoire d'après Hegel
Pour Hegel, c'est dans la comédie grecque que se défait le polythéisme antique "La comédie a
avant tout l'aspect selon lequel la conscience de soi effective se présente comme le destin des dieux
Ces essences élémentaires sont comme des moments universels, pas un Soi et pas effectives. Elles
sont certes pourvues de la forme de l'individualité, mais celle-ci est seulement imaginée à leur
propos et ne leur revient pas en et pour soi-même ; le Soi effectif n'a pas un tel moment abstrait
pour substance et contenu. Lui, le sujet, est par :conséquent élevé au-dessus d'un tel moment
comme au-dessus d'une propriété singulière et, affublé de ce masque, il énonce l'ironie de cette
même propriété qui, pour soi, veut être quelque chose La prétention de l'essentialité universelle est
dénoncée dans le Soi ; elle se montre prise dans une effectivité et laisse tomber le masque, en tant
précisément qu'elle veut être quelque chose de juste. Le Soi, entrant ici en scène dans sa
signification comme quelque chose d'effectif, joue avec le masque qu'il lui arrive de revêtir pour
être son personnage, mais, de cette apparence, il se produit bientôt à nouveau dans sa nudité propre
et son caractère commun, qui le montrent n'être pas différent du Soi proprement dit, l'acteur, aussi
bien que du spectateur"28 Dans l'acteur de la comédie se résout le dualisme qui opposait le monde
des hommes et le monde des dieux (Plaute Amphitryon). "Le penser rationnel délivre l'essence
25
26
27
28
Shakespeare, Henry IV, I Acte V, scène 1 Pléiade, 1, :p. 665
ibid, acte 1, scène 2, p.608
ibid,acte V, scène 5 p.672
Hegel ; Phénoménologie de l'Esprit, trad Labarrière-Jarczyk, p :634-635
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Le Comique
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divine de sa figure : contingente et pose les idées simples du Beau et du Bien " 29 Le Divin multiple,
réduit au vague des "nuées" (Aristophane) cède à la Raison : bien que dans la comédie le
Raisonnement injuste, expression des tendances anarchisantes de la jeunesse, paraisse l'emporter. Va
advenir le stade de la religion révélée.
Le vaudeville : Feydeau ; Un fil à la patte
Intrigue(s) : Acte 1 : Lucette, chanteuse de café-concert, vit avec sa soeur Martine, plus ou
moins jalouse d'elle. La maison est en fête, parce que le riche protecteur de Lucette, Bois-d'Enghien,
est revenu après une fugue de quinze jours. Mais Bois-d'Enghien n'est revenu que pour rompre : il
va en effet épouser Viviane, fille de la baronne Duverger, et le dîner de contrat doit avoir lieu le soir
même. Mais Bois-d'Enghien redoute d'annoncer la nouvelle à sa maîtresse. Lucette reçoit la visite
de Chennevette, son ancien : amant et père de son enfant, puis d'Ignace de Fontanet, l'un de ses amis
(qui sent très mauvais) Chennevette déplore le retour de Bois-d'Enghien : Lucette,selon lui, ferait
mieux d'écouter les propositions de son nouveau soupirant, le richissime général Irrigua, riche en
fait de l'argent qui doit payer les commandes qu'en tant que ministre de la guerre il devait faire,
mais qu'il utilise à :son profit, ce qui fait qu'il est condamné à mort dans son pays. Arrive la baronne
Duverger, venue solliciter le concours de Lucette pour la soirée de contrat ; puis vient Bouzin, clerc
de notaire et auteur de chansons ridicules, qui veut demander à Lucette son avis sur une chanson
qu'il lui a fait remettre. Pendant que les visiteurs attendent, le domestique apporte un somptueux
bouquet de fleurs. anonyme ; mais Bouzin y glisse sa carte afin de faire croire qu'il est l'auteur du
présent. Mais Lucette (qui n'a pas encore reçu le bouquet) le fait congédier brutalement et demande
à la baronne de revenir plus tard. Elle découvre alors le bouquet, et la carte de visite de Bouzin, et,
accompagnant les fleurs, une bague de grand prix. Revenu chercher le parapluie qu'il avait oublié,
Bouzin est alors magnifiquement accueilli ; on lui redemande sa chanson, qu'il part chercher et que
Lucette consent à interpréter, moyennant quelques modifications . Entre alors le général Irrigua, qui
éprouve pour Lucette une passion féroce ; il apprend à la chanteuse qu'il est le véritable auteur du
somptueux cadeau, ce qui provoque sa fureur envers Bouzin. Lucette déclare au général que son
coeur n'est pas libre ; Irrigua déclare alors qu'il tuera ce rival. Effrayé, Bois-d'Enghien, qui apparaît,
donne à tout hasard au général le nom de Bouzin, comme celui du rival condamné à mort par le
général. Aussi, quand Bouzin se présente de nouveau, Irrigua lui saute-t-il à la gorge. Mais les amis
de Lucette le font sortir.
Acte 2 : on est dans la chambre à coucher de la baronne Duverger, qui marie sa fille Viviane ;
pour la fête, Viviane est :préparée et peignée par sa gouvernante anglaise ; Viviane, qui ne sait pas
grand' chose des réalités du mariage, déclare à sa mère qu'elle n'est pas du tout emballée par son
fiancé, qui lui est présenté comme un jeune homme bien sous tous rapports ; elle aurait préféré un
séducteur chevronné. Arrivent alors Bois-d'Enghien, puis Fontanet (qui pue) qui est un ami de la
baronne. ; Bois-d'Enghien a peur que Fontanet n'aille révéler à Lucette qu'il épouse Viviane, et
essaie de le prévenir sans se faire remarquer par la baronne, ce qui multiplie les effets comiques.
Catastrophe ! Voici Lucette Gautier qui entre ; elle doit chanter pour les noces de.son amant ; cette
fois, Bois-d'Enghien semble perdu ; comment lui cacher que c'est lui qui se marie ? Pour ne pas que
Lucette le voie, Bois-d'Enghien se cache dans une armoire, mais Lucette ne tarde pas à le découvrir.
Bois-d'Enghien déclare qu'il a voulu lui jouer une bonne farce. Bois-d'Enghien qui redoute toujours
qu'elle apprenne que c'est lui qui se marie, essaie de la faire renoncer à chanter à la fête, et pour cela
lui assure que, à l'endroit où elle doit chanter, il y a des courants d'air ; Lucette s'en inquiète auprès
de la baronne, qui la rassure. Vient de Chennevette, que Bois-d'Enghien supplie d'éloigner Lucette
par tous les moyens possibles ; il s'y emploie et, Bois d'Enghien a une trouvaille géniale : pour
éviter que quiconque et même la baronne ne révèlent à Lucette qu'il est le fiancé et le futur mari du
mariage qui se fête, il annonce à la baronne et à sa fille que, depuis qu'elle a été abandonnée par un
jeune homme qu'elle était sur le point d'épouser, Lucette ne peut plus supporter d'entendre les mots :
"futur", "gendre" ou "fiancé" sans s'évanouir ; il ne faut donc pas les prononcer. Et, pour plus de
29 ibid p. 636
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Le Comique
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sécurité, alors qu'arrive Lucette, Bois-d'Enghien entraîne sous un prétexte que lui-même ignore,
mais qu'il compte trouver dans l'instant, la baronne et sa fille hors de la scène, :alors qu'entre
Lucette accompagnée de Chenevette et Fontanet
Alors apparaît le général, auquel Lucette a donné une carte d'invitation ; scène cocasse, mais
sans rapport avec l'action principale, entre le général et Fontanet.
Reviennent la baronne, Bois-d'Enghien et Viviane ; le prétexte : absence de paratonnerre sur
la maison, a paru farfelu à la baronne. Mais voilà qu'apparaissent le notaire et son clerc, qui est
Bouzin. Le général bondit, Bouzin s'enfuit : affolement général. ; on appelle Bois-d'Enghien pour la
signature du contrat, et cela devant Lucette qui, apprenant que le marié, c'est son amant, s'évanouit.
On s'empresse autour d'elle, et, pour la ramener à la vie, le général lui met dans le dos la :clef de
l'appartement de Bois-d'Enghien. La plupart se retirent. Restent avec Lucette le Général, Fontanet et
Chenevette, et c'est alors que Fontanet apprend au Général que l'amant de Lucette, c'est Boisd'Enghien. Justement, voilà Bois-d'Enghien, et le Général lui assure qu'il va le tuer ; mais l'autre lui
rétorque, avec une apparente logique que, puisqu'il en épouse une autre, il n'est plus l'amant de
Lucette. Celle-ci revient à la vie, et cette fois, Bois-d'Enghien ne peut faire autrement qu'avouer
qu'il se marie. Lucette sort un revolver de son sac et va se tuer. Bois-d'Enghien s'efforce de l'en
empêcher, et, dans la lutte, il se révèle que le revolver était une arme de théâtre et libère un éventail
(mais Bois-d'Enghien ne s'en est pas aperçu). Bois-d'Enghien essaie de la consoler, et lui promet
qu'il restera son amant. Ils s'embrassent, mais en catimini elle tire un épi de seigle du bouquet de
fleurs des champs que le Général lui a apporté, et réussit à le glisser sous le gilet de flanelle de son
amant. Celui-ci veut s'en débarrasser et, pour cela, Lucette lui conseille de se déshabiller ; il le fait,
en même temps que Lucette elle-même se déshabille pour mettre sa tenue de chanteuse ; elle
l'embrasse passionnément et crie ; "je t'aime" alors qu'on réussit à forcer la porte qu'elle avait
fermée ; la baronne, le Général, entrent et découvrent le spectacle : Bois-d'Enghien et Lucette à
demi déshabillés, et Lucette assurant qu'elle n'avait jamais été aimée "comme ça".La baronne
affirme que le mariage est rompu, et le Général qu'il va tuer demain Bois-d'Enghien
Acte 3. On est chez Bois-d'Enghien, au second étage d'un immeuble. Jean, le domestique,
attend son maître qui a dû passer la nuit à l'hôtel, sa clef étant restée dans le dos de Lucette
évanouie. Bouzin lui apporte :son contrat et une note de frais ; il déchire le contrat et refuse de
payer. Survient le Général qui aperçoit Bouzin et le prend en chasse, mais il parvient à le semer et
revient en scène ; Arrive Lucette, qui veut reprendre son amant après la rupture et entre en utilisant
la clef en sa possession. Scène brutale entre les deux ex-amants ; Bois-d'Enghien lui envoie son
peignoir et sa paire de mules, Lucette saisit son revolver et fait mine de se suicider ; mais, en
s'efforçant de l'en empêcher, Bois-d'Enghien découvre que ce revolver est une arme de théâtre
Furieuse, Lucette part en affirmant qu'elle ne reviendra jamais. Bois-d'Enghien, pendant tout ce
temps, était en caleçon, car il faisait sa toilette après sa nuit agitée. Il est sorti pour jeter le peignoir
et les mules à Lucette, mais la porte s'est refermée d'elle-même et il ne peut plus rentrer. Il se trouve
sur le palier en caleçon, et sa tenue scandalise les invités d'une noce qui descendent l'escalier. Mais
voilà le général qui vient le voir ; c'était d'abord pour le tuer, mais il a changé d'avis : il a rencontré
Lucette qui lui a dit qu'elle ne serait à lui que si Bois-d'Enghien redevient son amant. Boisd'Enghien refuse encore de reprendre Lucette, et ceci à cause de son "vice de constitution" : elle a
encore plus d'amour-propre que d 'amour ; si le Général lui dit cela, elle sera à lui. Le Général part
en remerciant chaleureusement. En le menaçant du pistolet fictif que Lucette a laissé dans son sac
sur le palier, Bois-d'Enghien contraint Bouzin à lui donner son pantalon et sa veste. Bouzin se saisit
ensuite du revolver et pense contraindre Bois-d'Enghien à les lui redonner, mais celui-ci sait que
l'arme est fictive, et le pauvre Bouzin, sans pantalon et sans veste, s'enfuit aux étages supérieurs.
Mais la concierge a appelé la police, pour interpeller un homme incorrectement habillé :dans
l'immeuble ; les agents le cherchent. Voilà qu'apparaissent Viviane et sa gouvernante anglaise ;
apprenant que son fiancé était un séducteur, Viviane s'est mise à l'aimer et, malgré le scandale de la
veille, veut l'épouser. Elle a demandé à sa gouvernante de l'amener chez Bois-d'Enghien en disant
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qu'elle voulait aller chez :son professeur de chant. ; elle interroge son ex-fiancé : a-t-il eu beaucoup
de maîtresses ; plus il y en aura, plus elle l'aimera ; Bois-d'Enghien dit : quinze, et il montre le
pistolet fictif avec lequel Lucette a menacé de se tuer. ; Viviane est enthousiasmée ; mais il faut
montrer à la gouvernante que l'on est bien chez le professeur de chant, et Bois-d'Enghien ne peut
rentrer chez lui ! On assure à la gouvernante que les grands artistes donnent leurs leçons dans les
escaliers. C'est donc en chantant que Viviane et Bois-d'Enghien vont se parler. Viviane a laissé un
mot à sa mère ; celle-ci arrive, et tous les domestiques de l'immeuble, entendant les chants,
s'amènent aussi, mais sont congédiés. La baronne est d'abord furieuse contre sa fille, mais Boisd'Enghien lui assure que la scène qu'il a jouée avec Lucette était une scène de rupture, et qu'il lui
donnait même les vêtements qu'elle avait touchés. La baronne cède. Jean, le domestique, arrive avec
sa clef, et l'on peut entrer dans l'appartement. La police s'est saisie de Bouzin, on l'emmène au
poste, où Bois-d'Enghien, qui connaît le commissaire, ira le réclamer pour le délivrer.
Dans ce vaudeville, il faut remarquer : 1) la multiplicité des intrigues, greffées sur l'intrigue
principale ; Celle-ci : Bois-d'Enghien va se marier et veut rompre avec Lucette, mais il a peur de le
faire. ;grâce à une manoeuvre extraordinaire et qui touche au grotesque, Lucette triomphe, mais
Bois-d'Enghien ne lui pardonne pas et la fiancée naïve, fière d'avoir un séducteur pour mari,
l'épouse .Là-dessus, une multitude d'intrigues secondaires : le général Irrigua, amoureux de
Lucette et qui veut tuer son rival, s'il en a un ; le clerc de notaire et mauvais chansonnier Bouzin,
qui veut devenir célèbre par Lucette ; l'oie blanche Viviane, qui veut un mari séducteur. Tout cela se
mêle à un rythme infernal, aucun temps mort. L'auteur emploie au besoin tous les trucs de la farce ;
Bois-d'Enghien se cache dans une armoire, on est en caleçon. Si Lucette elle-même n'est pas
comique, elle crée du grotesque en faisant mettre Bois-d'Enghien en caleçon, en l'obligeant aux
inventions les plus farfelues pour se tirer d'affaire. Bouzin est le personnage ridicule et
antipathique que l'on poursuit et que l'on accable pour faire rire. L'auteur ne se refuse pas le gros
comique facile ; le comique de répétition : "je le touerai" du Général, le français mal parlé du
même, la chasse aux numéros du "Figaro" de Bois-d'Enghien, parce que ce journal contient
l'annonce de son mariage, Fontanet qui pue.
Des citations : il est midi, et Lucette et son amant ne sont pas levés : "si toquée qu'on soit
d'un homme, on peut bien, à midi. Enfin, regardez les coqs : est-ce qu'ils ne sont pas debout à quatre
heures du matin? Eh bien, alors ? "30 la chanson de Bouzin : "il m'a fait du pie du pied de cochon
truffé"31 ; le français du général :"Dans moun pays, yo le parlais bienn, ,ici yo ne sais porqué,yo le
parlé mal "32 Viviane : " La maternité, ça, c'est gentil ; mais qu'est-ce que le mari a à faire làdedans ? Est-ce qu'il n'y a pas un tas de demoiselles qui ont des enfants et un tas de femmes mariées
qui n'en ont pas ? Par conséquent, si c'était le mari, n'est-ce pas?" 33 Viviane voudrait épouser un
séducteur : Un mari comme ça, c'est flatteur ! Ça :devient comme une espèce de légion d'honneur !
Et l'on est doublement fier de l'obtenir, d'abord pour la distinction dont on est l'objet, et puis parce
que ça fait rager les autres !"34
Alfred Jarry : Ubu Roi
Le Père Ubu assassine le roi Venceslas de Pologne, qui ne lui a fait que du bien, et il prend le
pouvoir. Il fait tuer les Nobles et prendre tous leurs biens" puis ceux qui l'ont aidé à faire son coup
d'Etat. Cependant, Ubu, roi, doit faire attention au fils du roi déchu Venceslas, le prince Bougrelas ;
Père Ubu est tout au long de l'oeuvre, manoeuvré par sa femme, qui va lui voler son argent,
l'obligeant à la fin de la pièce à fuir le pays avec ses généraux
30 Feydeau : Théâtre complet,t.2 p 99.Garnier, 1988
31
32
33
34
ibid p.111
ibid p.133
ibid p.148
ibid p. 149
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Acte 1 : Bien que le Père Ubu soit content de ses titres, sa femme essaie de le :convaincre de
conspirer pour renverser le roi Venceslas ce qui lui permettrait, entre autres avantages, de "manger
fort souvent de l'andouille"et de se "procurer un parapluie". Invitant à sa table le capitaine Bordure
("Eh bien, capitaine, avez-vous bien dîné? - Fort bien ; monsieur, sauf la merdre- Eh !la merdre
n'était pas mauvaise") il le rallie à sa cause en lui promettant de le faire duc de Lithuanie. Appelé
par le roi, il croit être découvert ("Oh, j'ai une idée, je dirai que c'est la mère Ubu et Bordure"), mais
en fait Venceslas le nomme comte de Sandomir en récompense de ses bons services, ce qui ne
change d'ailleurs en rien ses projets. Le plan d'action est arrêté, et chacun jure de "bien tuer le roi".
Acte 2 : Venceslas fait fi des avertissements de famille et accompagne le Père Ubu à une revue
où Bordure et ses partisans l'assassinent. Si deux fils du roi, Boleslas et Ladislas, sont tués par les
putschistes, le dernier, Bougrelas, s'enfuit avec la reine qui meurt dans la montagne Encouragé par
le spectre de ses ancêtres, Bougrelas jure de se venger. De son côté, le Père Ubu, après s'être fait
prier, accorde des largesses au peuple à contre-coeur ("ça ne m'amusait guère de vous donner de
l'argent, mais, vous savez, c'est la mère Ubu qui l'a voulu. Au moins :promettez moi de bien payer
les impôts") et il est acclamé.
Acte 3 : Négligeant les conseils de prudence de la mère Ubu, le Père Ubu décide de ne pas
nommer le capitaine Bordure duc de Lithuanie. Après quoi, il se lance dans une vaste politique de
réformes qui consiste à massacrer tous les nobles (Ceux qui seront condamnés à mort, je les
passerai à la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Port et de la Chambre-à-sou où on les
décervelera") et à confisquer tous leurs biens Les magistrats ne seront plus payés, mais vivront des
amendes et des biens des condamnés à mort. Seront massacrés aussi les financiers qui refusent la
fiscalité nouvelle -("D'abord, je veux garder pour moi la moitié des impôts, lesquels sont
bouleversés : " Messieurs, nous établirons un impôt de 10 pour :cent sur la propriété, un autre sur le
commerce et l'industrie et un troisième sur les mariages et un quatrième sur les décès, de 15 francs
chacun". Le Père Ubu rassure la mère Ubu effrayée par cette hécatombe qui désorganise l'Etat " Ne
crains rien, ma douce enfant, j'irai moi-même de village en village recueillir les impôts". Il a
d'ailleurs un programme politique très précis : "Avec ce système, j'aurai vite fait fortune, alors je
tuerai tout le monde et je m'en irai". Effectivement, escorté de Grippe-sous et de "salopins de
finance", traînant le "voiturin à phynances "le Père Ubu va en personne rançonner les paysans et
massacrer ceux qui résistent. La révolte éclate aussitôt. Il fait jeter en prison le capitaine Bordure
qui s'évade et court à Moscou proposer au tsar Alexis d'envahir la Pologne et de rétablir Bougrelas
Quand la nouvelle arrive à Varsovie, la mère Ubu et tous les conseillers obligent le Père Ubu à
partir en guerre, monté sur son « cheval à phynances ». La mère Ubu reçoit la régence.
Acte 4 : La mère Ubu essaie de s'emparer du trésor des rois de Pologne mais est chassée par
une révolte menée par :Bougrelas. Pendant ce temps, le Père Ubu s'est enfoncé en Ukraine avec
l'armée polonaise. Il apprend la révolte de Varsovie et les Russes arrivent. Le Père Ubu livre une
bataille aussi burlesque qu'épique, où il est battu à plates coutures. Réfugié dans une caverne de
Lithuanie, avec deux de ses derniers : "palotins", il doit la disputer à un ours. Son comportement
indigne conduit ses :compagnons à l'abandonner pendant son sommeil.
Acte 5 : La mère Ubu arrive dans la caverne pendant le sommeil agité du Père Ubu, et essaie
de se faire passer pour une apparition pour qu'il lui pardonne ses chapardages, mais en vain. Le jour
se lève, révélant la supercherie, et provoquant une scène de ménage qui n'est interrompue que par
l'arrivée de Bougrelas. Père et Mère Ubu, faisant front commun, se défendent avec acharnement et
sont sauvés par le retour inattendu des deux palotins d'Ubu avec des renforts. Traversant la Livonie,
Père et Mère Ubu embarquent pour la France, où le Père Ubu envisage de se faire nommer "maître
des phynances" à Paris.
C'est une parodie consciemment sommaire de tragédies classiques (Oedipe roi ? Hamlet?
Macbeth ?) Ubu est bête, méchant, cruel, ne pensant qu'à son intérêt matériel immédiat : manger et
boire, avoir beaucoup d'argent. La mère Ubu est manipulatrice, cruelle. Les personnages sont
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simples, tout d'une pièce, la logique n'a rien à voir là-dedans. On est dans le monde de l'absurde et
de l'enfance, avec des fantaisies langagières et orthographiques. Contre l'intellectualisme, le
"décervelage " tient une place importante.
Des citations : Père Ubu ; Merdre ! Mère Ubu : Oh ! Voilà du joli, Père Ubu, vous estes un
fort grand voyou. Père Ubu :Que ne vous assom-je, mère Ubu ! ce n'est pas moi, mais un autre,
qu'il faudrait assassiner Père Ubu : De par ma chandelle verte, je ne comprends pas35 "Le Père Ubu
ramasse les impôts : Cornegidouille ! Ouvrez, de par ma merdre, par saint Jean, saint Pierre et saint
Nicolas ! Ouvrez, sabre à finances, corne à finances, je viens chercher les impôts"36 Le Père Ubu
part en guerre : Ubu : Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure Mère Ubu
Comme il est beau, avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée"37
Marivaux : Le Jeu de l'amour et du hasard
Le comique est fondé essentiellement sur les quiproquos résultant du fait que Silvia et
Dorante sont confrontés, mais sous l'identité de leurs domestiques. Le problème (peu angoissant) :
arriveront-ils à découvrir mutuellement leurs véritables identités ? Plus profondément : arriverontils à découvrir leur propre idéal amoureux, c'est-à-dire à se découvrir eux-mêmes ? L'intérêt
dramatique est dans la lutte intérieure de Silvia et de Dorante contre eux-mêmes, le comique venant
de ce que le spectateur sait la vanité de cette lutte
Citations : Dorante (sous le masque du valet) : Hélas ! quand même je posséderais ton coeur.
Silvia (sous le masque de la suivante) Que le ciel m'en préserve ! quand tu le posséderais, tu ne le
saurais pas, et je ferais si bien que je ne le saurais pas moi-même" 38 A la fin, quand Silvia sait la
véritable identité de Dorante, celui-ci devient comique car il est le seul trompé (même Arlequin le
trompe) ; Dorante ; Vous m'aimez donc ? Silvia :Non, non, mais si vous me le demandez encore,
tant pis pour vous"39
La Farce de Maître Pathelin
Maître Pathelin, avocat rusé anciennement populaire, mais désormais sans cause, décide de
refaire sa garde-robe sans que cela lui coûte un sou. Il dupe et vole le drapier Guillaume
Joceaulme ; Pathelin emporte une pièce de tissu et invite le marchand à se faire payer chez lui.
Devant Guilllaume, Pathelin et sa femme jouent la comédie du mourant et de la femme en pleurs et
Guillaume repart en courant. Le berger Thibault l'Agnelet vient trouver Pathelin pour lui demander
de le défendre dans son procès contre son maître Guillaume Joceaulme, auquel il a égorgé des
brebis. Pathelin propose une ruse à Thibault : se faire passer pour un simple d'esprit et répondre à
toutes les questions en bêlant comme un mouton. Mais Guillaume, le drapier, reconnaît Pathelin, et
tente également de dénoncer son vol de drap devant le juge. Cependant, en accusant tour à tour
Pathelin et Thibault, Guillaume s'empêtre dans ses discours et passe pour un imbécile ; c'est alors
que le juge, qui ne veut entendre parler que de l'histoire des moutons de Thibault, emploie
l'expression : "Revenons à nos moutons". A l'issue du procès, plaidé par Pathelin et gagné par le
berger, Pathelin n'arrive pas à se faire payer, car l'Agnelet, rusé, répond en bêlant à toutes les
demandes.
Citation : P : "Il est temps que je m'en aille ; paye-moi ; Le Berger : Bée ! ; P : Tu as très
bien fait ton devoir. Le B : Bée ! P Quoi, bée ? Il ne faut plus le dire, paye-moi bien et doucement .
Le B :Bée ! P : Quoi, bée? Parle sagement et paye-moi ; je m'en irai Le B : Bée ! P : Je ne veux
plus de ta bairie ; Paie !
35
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37
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39
Jarry :Ubu Roi, Fasquelle, p.27
ibid p 92
Ibid : p.107
Marivaux : Théâtre, ed Hilsum, 1934 p.39
ibid p. 63