Passer son permis, le parcours d`obstacles
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Passer son permis, le parcours d`obstacles
32 DossieR Passer son permis Le parcours d’obstacles Des médecins mal formés, des auto-écoles adaptées trop rares, des leçons de conduite à des tarifs prohibitifs : obtenir ou régulariser son permis, pour une personne handicapée, réclame une ténacité à toute épreuve. Mais si vous êtes prêts à prendre le volant, suivez-nous ! D irection le centre de formation à la conduite du Ceremh (lire zoom) à Versailles-Satory, dans les Yvelines. L’une des rares structures en France à disposer d’un véhicule-école – un Kia Carnival équipé des dernières technologies d’aide à la conduite – permettant la conduite embarquée pour des personnes manquant de force au niveau des membres supérieurs. Comme Lamya Oublal, 28 ans, renversée à l’âge de 2 ans sur un passage piéton. Pour sa seizième leçon de conduite, la jeune femme tétraplégique se met un peu la pression : « La semaine dernière, c’était un vrai désastre ! » « Elle allait juste un peu vite dans les tournants », tempère le moniteur. On comprend qu’elle soit pressée : Lamya a cherché en vain pendant six ans une auto-école pouvant lui apprendre à conduire. « Je savais que LE CEREMH, UN CENTRE RESSOURCES Le Centre d’expertise national dédié à la mobilité, le centre de ressources et d’innovation mobilité handicap (Ceremh), a, entre autres, pour mission d’orienter les personnes à mobilité réduite dans leurs démarches d’accès à la conduite automobile. Pour toute information : Ceremh - 10/12, avenue de l’Europe - 78140 Vélizy-Villacoublay Tél. : 01 39 25 49 87 - [email protected] - www.ceremh.org Sur son site, le Ceremh tient à jour une liste des auto-écoles “handi-accueillantes” et des centres d’évaluation à la conduite. Cliquez sur “le site des aides consacrées à la mobilité” puis sur l’onglet “Automobile et handicap” (permis de conduire). N°709 JUIN 2012 c’était possible, mais personne ne pouvait me dire ni comment, ni où ! » Ignorance des professionnels de santé censés l’orienter, inexistence d’auto-école adaptée à son handicap… Elle a fini par acheter son propre véhicule et l’a fait aménager pour une petite fortune – 80 000 € – avant de découvrir l’existence du Ceremh. « Un véritable parcours du combattant » illustrant jusqu’à la caricature les murs qui se dressent sur la route du candidat au permis aménagé. APTE OU NON ? TOUT DÉPEND DES MÉDECINS… Première étape : prendre rendez-vous auprès de la commission médicale de la préfecture. Pour obtenir ou renouveler son permis, toute personne souffrant d’une affection médicale (1) doit en effet se soumettre à une visite au cours de laquelle deux médecins agréés se prononcent sur son aptitude à la conduite et sur les aménagements du véhicule à prévoir (2). Délai d’obtention du rendez-vous, documents à fournir, modalités de l’examen (parfois “expédié” en un quart d’heure) diffèrent d’un département à l’autre. La gratuité de cette visite (sinon 33 € non remboursés) pour les personnes déjà titulaires du permis et pouvant justifier d’un taux d’invalidité au moins égal à 50 % n’est, en plus, pas toujours respectée. 33 Sur plus de 10 000 auto-écoles en France, moins de 200 disposent d’un véhicule adapté aux personnes en situation de handicap. Lamya Oublal en a cherché une, en vain, pendant six ans avant de trouver le Ceremh et une voiture aménagée pour sa tétraplégie. le temps d’une journée, pour établir un diagnostic et essayer différents aménagements sur un véhicule, accompagné d’un ergothérapeute. Leur avis est généralement suivi par les commissions préfectorales. Le coût de cette évaluation (100 € au Ceremh, par exemple) est pris en charge par la Sécurité sociale ou la MDPH selon les cas. Peut-être aurez-vous même la chance d’être évalué dans l’un des rares établissements – comme celui de Kerpape (Morbihan) ou de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) – disposant d’une auto-école intégrée. Car, une fois obtenu le feu vert de la commission, le plus dur reste à faire : trouver une auto-école disposant d’un véhicule adapté à son handicap. Sur plus de 10 000 établissements d’enseignement à la conduite en France, le Ceremh en répertorie moins de 200 dits “spécialisés”. Plusieurs départements ne sont tout simplement pas pourvus. Et ces auto-écoles ne proposent que les adaptations les plus courantes : boîte automatique, boule au volant, pédales inversées (accélération à gauche), ... Mais c’est surtout, faute d’y avoir été formés, l’ignorance des médecins en matière d’évaluation des différents handicaps et des possibilités d’aménagements des véhicules qui pose problème. En août dernier, après 48 heures de leçon, Franck Bourdais, 28 ans, a échoué à l’examen du permis : « J’avais du mal à tenir mes trajectoires, je collais trop à la ligne blanche », explique le jeune homme atteint d’infirmité motrice cérébrale. Depuis février, il reprend des leçons à bord d’un véhicule automatique. Son moniteur a récemment eu l’idée d’essayer une petite adaptation en plus : « Une boule au volant ! Et, effectivement, comme mon bras gauche se contracte beaucoup plus que le droit, conduire avec un seul bras est beaucoup plus facile pour moi ! » Toute chose que des médecins formés auraient sans doute pu, à la suite d’un examen sérieux, remarquer… SE FAIRE AIDER EN PASSANT UNE ÉVALUATION Dans ces conditions, les personnes souffrant d’un handicap lourd (tétraplégie, IMC, maladie évolutive ou séquelles d’un AVC) ont tout intérêt à réaliser – préalablement à cette visite – une évaluation à la conduite. En France, une cinquantaine de centres de rééducation peuvent vous accueillir, Permis aménagé : les pistes de financement > Auprès de la MDPH : si vous êtes allocataire de la prestation de compensation du handicap (PCH), vous pouvez obtenir une aide au titre des dépenses exceptionnelles liées au handicap. Celle-ci prend en charge le surcoût du passage du permis aménagé ou 75 % de l’ensemble des dépenses liées à une régularisation, dans la limite de 1 800 €. Si vous avez conservé l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), vous pouvez essayer de solliciter le Fonds départemental de compensation. > Auprès de l’Agefiph : salarié ou chômeur, tout bénéficiaire de l’obligation d’emploi peut, dès lors que son projet professionnel nécessite l’obtention du permis, obtenir une aide forfaitaire de 1 000 €, à condition que le surcoût lié au permis aménagé (sur devis de l’auto-école) soit au moins équivalent à cette somme. Pour les travailleurs handicapés du secteur public, le FIPHFP accorde des aides (plafonnées à 10 000 €) au titre de ses “formations spécifiques” destinées au maintien ou au retour à l’emploi (lire aussi pages 35 à 37 ). > Quelle que soit votre situation, certains organismes accordent, au cas par cas, leur soutien financier : mairies, conseils généraux, assureurs mutualistes, comités d’entreprise… (1) L’arrêté du 31 août 2010 fixe la liste des affections médicales donnant lieu à la délivrance d’un permis à durée limitée de cinq ans maximum. (2) L’article R221-10 du Code de la route rappelle que les « catégories A et B délivrées pour la conduite des véhicules spécialement aménagés pour tenir compte du handicap du conducteur […] ne peuvent être obtenues ou renouvelées qu’à la suite d’une visite médicale favorable. » Ne pas s’y soumettre engage votre responsabilité en cas d’accident. JUIN 2012 N°709 34 voire commandes au volant ou tirer-pousser (accélérateur et frein à la main). E-Car, un nouveau réseau d’experts de la conduite adaptée AUTO-ÉCOLES : ATTENTION AUX ABUS ! D’un côté, conseiller et orienter les personnes handicapées dans leurs démarches d’obtention du permis aménagé. De l’autre, offrir une expertise aux médecins des préfectures pour les aider à statuer sur l’aptitude à la conduite des candidats. Telles sont les ambitions du réseau E-Car, fondé cette année par le Ceremh et l’association Comète France*, qui réunit 41 établissements de soins de suite ou de réadaptation. Pendant leur séjour dans ces centres, les patients peuvent reconstruire un projet professionnel avec l’appui d’une équipe dédiée. Dans ce cadre, une évaluation à la conduite automobile leur est proposée, avec l’intervention d’un médecin, d’un ergothérapeute et d’un moniteur formé. « Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’outils communs pour que chaque centre applique les mêmes méthodes d’évaluation en fonction des handicaps », précise Claude Dumas, le directeur du Ceremh. Le réseau E-Car entend ensuite développer ses liens avec les commissions préfectorales pour leur proposer « l’avis d’équipes pluridisciplinaires compétentes, notamment dans le cas de personnes pouvant présenter des troubles cognitifs et pour lesquelles un bilan neuropsychologique est nécessaire ». ... Arguant du surcoût de ces aménagements, certaines ont tendance à faire monter les prix. Le nombre d’heures de conduite qu’elles préconisent peut aussi, dans bien des cas, paraître abusif. Comptez 50 € l’heure contre 35 € en moyenne en province pour un permis B “classique”. Pour rappel, passer son permis en France coûte environ 1 500 € pour une trentaine d’heures de conduite (3), dont vingt sont obligatoires. En avril, à Paris, nous avons rencontré Rathanan, 19 ans. Souffrant d’une « moindre réactivité » du bras gauche après une opération au cervelet, il apprenait à conduire sur une voiture automatique avec une boule au volant. Avant de le présenter à l’examen, son auto-école lui a fait prendre 41 leçons. Coût final de son permis aménagé : 3 190 € ! Régulariser son permis est, en principe, plus simple et moins onéreux. Vous n’avez pas à repasser le code ni l’épreuve pratique. Si vous estimez ne pas avoir besoin de leçons, vous pouvez contacter directement le bureau de la sécurité routière de votre préfecture : lors d’un examen sur route, un inspecteur s’assurera que les aménagements préconisés par la commission sont adéquats et que vous les maîtrisez bien. Mais vous devez vous présenter à * www.cometefrance.com ce contrôle avec une voiture disposant des équipements ad hoc, ce qui implique de l’acheter au préalable ou de passer par une auto-école disposant d’un tel véhicule… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il a fallu huit mois à François Lethève, un Seine-etMarnais de 68 ans atteint d’une neuropathie rare (lire son témoignage page 6), pour retrouver son autonomie. Son sentiment ? « Il faut beaucoup d’opiniâtreté dans tout cela, de temps et d’argent… Le plus dur n’est pas de clignoter avec des mouvements de tête et d’avoir une seule manette pour freiner et accélérer ! » ● Texte Aurélia Sevestre Photos Jérôme Deya Passer son permis coûte en moyenne aujourd’hui 1 500 € à une personne valide. Rathanan, 19 ans, en situation de handicap, a dû dépenser plus du double avant d’être présenté à l’examen. N°709 JUIN 2012 (3) Selon l’Audit sur la modernisation de l’apprentissage de la conduite et du permis de conduire, publié en 2008.