Passer son permis, le parcours d`obstacles

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Passer son permis, le parcours d`obstacles
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DossieR
Passer son permis
Le parcours
d’obstacles
Des médecins mal formés, des auto-écoles
adaptées trop rares, des leçons de conduite à
des tarifs prohibitifs : obtenir ou régulariser son
permis, pour une personne handicapée, réclame
une ténacité à toute épreuve. Mais si vous êtes
prêts à prendre le volant, suivez-nous !
D
irection le centre de formation à la
conduite du Ceremh (lire zoom) à Versailles-Satory, dans les Yvelines. L’une des
rares structures en France à disposer d’un véhicule-école – un Kia Carnival équipé des dernières
technologies d’aide à la conduite – permettant la
conduite embarquée pour des personnes manquant
de force au niveau des membres supérieurs. Comme
Lamya Oublal, 28 ans, renversée à l’âge de 2 ans
sur un passage piéton. Pour sa seizième leçon de
conduite, la jeune femme tétraplégique se met un
peu la pression : « La semaine dernière, c’était un
vrai désastre ! » « Elle allait juste un peu vite dans les
tournants », tempère le moniteur.
On comprend qu’elle soit pressée : Lamya a
cherché en vain pendant six ans une auto-école
pouvant lui apprendre à conduire. « Je savais que
LE CEREMH, UN CENTRE RESSOURCES
Le Centre d’expertise national dédié à la mobilité, le centre de ressources et
d’innovation mobilité handicap (Ceremh), a, entre autres, pour mission d’orienter les
personnes à mobilité réduite dans leurs démarches d’accès à la conduite automobile.
Pour toute information : Ceremh - 10/12, avenue de l’Europe - 78140 Vélizy-Villacoublay
Tél. : 01 39 25 49 87 - [email protected] - www.ceremh.org
Sur son site, le Ceremh tient à jour une liste des auto-écoles “handi-accueillantes”
et des centres d’évaluation à la conduite. Cliquez sur “le site des aides consacrées
à la mobilité” puis sur l’onglet “Automobile et handicap” (permis de conduire).
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c’était possible, mais personne ne pouvait me dire ni
comment, ni où ! » Ignorance des professionnels
de santé censés l’orienter, inexistence d’auto-école
adaptée à son handicap… Elle a fini par acheter
son propre véhicule et l’a fait aménager pour une
petite fortune – 80 000 € – avant de découvrir
l’existence du Ceremh. « Un véritable parcours du
combattant » illustrant jusqu’à la caricature les
murs qui se dressent sur la route du candidat au
permis aménagé.
APTE OU NON ? TOUT DÉPEND
DES MÉDECINS…
Première étape : prendre rendez-vous auprès de
la commission médicale de la préfecture. Pour
obtenir ou renouveler son permis, toute personne
souffrant d’une affection médicale (1) doit en effet
se soumettre à une visite au cours de laquelle deux
médecins agréés se prononcent sur son aptitude à
la conduite et sur les aménagements du véhicule à
prévoir (2). Délai d’obtention du rendez-vous, documents à fournir, modalités de l’examen (parfois
“expédié” en un quart d’heure) diffèrent d’un
département à l’autre. La gratuité de cette visite
(sinon 33 € non remboursés) pour les personnes
déjà titulaires du permis et pouvant justifier d’un
taux d’invalidité au moins égal à 50 % n’est, en
plus, pas toujours respectée.
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Sur plus de 10 000 auto-écoles en France, moins de 200 disposent d’un véhicule adapté
aux personnes en situation de handicap. Lamya Oublal en a cherché une, en vain,
pendant six ans avant de trouver le Ceremh et une voiture aménagée pour sa tétraplégie.
le temps d’une journée, pour établir un diagnostic
et essayer différents aménagements sur un véhicule, accompagné d’un ergothérapeute. Leur avis
est généralement suivi par les commissions préfectorales. Le coût de cette évaluation (100 € au
Ceremh, par exemple) est pris en charge par la
Sécurité sociale ou la MDPH selon les cas. Peut-être
aurez-vous même la chance d’être évalué dans l’un
des rares établissements – comme celui de Kerpape
(Morbihan) ou de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) –
disposant d’une auto-école intégrée.
Car, une fois obtenu le feu vert de la commission,
le plus dur reste à faire : trouver une auto-école
disposant d’un véhicule adapté à son handicap.
Sur plus de 10 000 établissements d’enseignement
à la conduite en France, le Ceremh en répertorie
moins de 200 dits “spécialisés”. Plusieurs départements ne sont tout simplement pas pourvus. Et
ces auto-écoles ne proposent que les adaptations
les plus courantes : boîte automatique, boule au
volant, pédales inversées (accélération à gauche),
...
Mais c’est surtout, faute d’y avoir été formés, l’ignorance des médecins en matière d’évaluation des
différents handicaps et des possibilités d’aménagements des véhicules qui pose problème. En août
dernier, après 48 heures de leçon, Franck Bourdais,
28 ans, a échoué à l’examen du permis : « J’avais du
mal à tenir mes trajectoires, je collais trop à la ligne
blanche », explique le jeune homme atteint d’infirmité motrice cérébrale. Depuis février, il reprend
des leçons à bord d’un véhicule automatique. Son
moniteur a récemment eu l’idée d’essayer une petite
adaptation en plus : « Une boule au volant ! Et,
effectivement, comme mon bras gauche se contracte
beaucoup plus que le droit, conduire avec un seul bras
est beaucoup plus facile pour moi ! » Toute chose que
des médecins formés auraient sans doute pu, à la
suite d’un examen sérieux, remarquer…
SE FAIRE AIDER EN PASSANT
UNE ÉVALUATION
Dans ces conditions, les personnes souffrant d’un
handicap lourd (tétraplégie, IMC, maladie évolutive ou séquelles d’un AVC) ont tout intérêt à
réaliser – préalablement à cette visite – une évaluation à la conduite. En France, une cinquantaine
de centres de rééducation peuvent vous accueillir,
Permis aménagé : les pistes de financement
> Auprès de la MDPH : si vous êtes allocataire de la prestation de
compensation du handicap (PCH), vous pouvez obtenir une aide au titre des
dépenses exceptionnelles liées au handicap. Celle-ci prend en charge le
surcoût du passage du permis aménagé ou 75 % de l’ensemble des dépenses
liées à une régularisation, dans la limite de 1 800 €. Si vous avez conservé
l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), vous pouvez essayer
de solliciter le Fonds départemental de compensation.
> Auprès de l’Agefiph : salarié ou chômeur, tout bénéficiaire de l’obligation
d’emploi peut, dès lors que son projet professionnel nécessite l’obtention du
permis, obtenir une aide forfaitaire de 1 000 €, à condition que le surcoût lié au
permis aménagé (sur devis de l’auto-école) soit au moins équivalent à cette
somme. Pour les travailleurs handicapés du secteur public, le FIPHFP accorde
des aides (plafonnées à 10 000 €) au titre de ses “formations spécifiques”
destinées au maintien ou au retour à l’emploi (lire aussi pages 35 à 37 ).
> Quelle que soit votre situation, certains organismes accordent, au
cas par cas, leur soutien financier : mairies, conseils généraux, assureurs
mutualistes, comités d’entreprise…
(1) L’arrêté du 31 août 2010 fixe la liste des affections médicales donnant lieu à la délivrance d’un permis
à durée limitée de cinq ans maximum.
(2) L’article R221-10 du Code de la route rappelle que les « catégories A et B délivrées pour la conduite des
véhicules spécialement aménagés pour tenir compte du handicap du conducteur […] ne peuvent être
obtenues ou renouvelées qu’à la suite d’une visite médicale favorable. » Ne pas s’y soumettre engage
votre responsabilité en cas d’accident.
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voire commandes au volant ou tirer-pousser
(accélérateur et frein à la main).
E-Car, un nouveau réseau d’experts
de la conduite adaptée
AUTO-ÉCOLES : ATTENTION AUX ABUS !
D’un côté, conseiller et orienter les personnes handicapées dans leurs
démarches d’obtention du permis aménagé. De l’autre, offrir une expertise
aux médecins des préfectures pour les aider à statuer sur l’aptitude à la
conduite des candidats. Telles sont les ambitions du réseau E-Car, fondé
cette année par le Ceremh et l’association Comète France*, qui réunit
41 établissements de soins de suite ou de réadaptation. Pendant leur séjour
dans ces centres, les patients peuvent reconstruire un projet professionnel
avec l’appui d’une équipe dédiée. Dans ce cadre, une évaluation à la conduite
automobile leur est proposée, avec l’intervention d’un médecin, d’un
ergothérapeute et d’un moniteur formé.
« Nous travaillons actuellement à l’élaboration d’outils communs pour que
chaque centre applique les mêmes méthodes d’évaluation en fonction des
handicaps », précise Claude Dumas, le directeur du Ceremh. Le réseau E-Car
entend ensuite développer ses liens avec les commissions préfectorales pour
leur proposer « l’avis d’équipes pluridisciplinaires compétentes, notamment
dans le cas de personnes pouvant présenter des troubles cognitifs et pour
lesquelles un bilan neuropsychologique est nécessaire ».
...
Arguant du surcoût de ces aménagements, certaines
ont tendance à faire monter les prix. Le nombre
d’heures de conduite qu’elles préconisent peut aussi,
dans bien des cas, paraître abusif. Comptez 50 €
l’heure contre 35 € en moyenne en province pour
un permis B “classique”. Pour rappel, passer son
permis en France coûte environ 1 500 € pour une
trentaine d’heures de conduite (3), dont vingt sont
obligatoires. En avril, à Paris, nous avons rencontré Rathanan, 19 ans. Souffrant d’une « moindre
réactivité » du bras gauche après une opération au
cervelet, il apprenait à conduire sur une voiture
automatique avec une boule au volant. Avant
de le présenter à l’examen, son auto-école lui a
fait prendre 41 leçons. Coût final de son permis
aménagé : 3 190 € !
Régulariser son permis est, en principe, plus simple
et moins onéreux. Vous n’avez pas à repasser le
code ni l’épreuve pratique. Si vous estimez ne pas
avoir besoin de leçons, vous pouvez contacter directement le bureau de la sécurité routière de votre
préfecture : lors d’un examen sur route, un inspecteur s’assurera que les aménagements préconisés
par la commission sont adéquats et que vous les
maîtrisez bien. Mais vous devez vous présenter à
* www.cometefrance.com
ce contrôle avec une voiture disposant des équipements ad hoc, ce qui implique de l’acheter au
préalable ou de passer par une auto-école disposant d’un tel véhicule…
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il
a fallu huit mois à François Lethève, un Seine-etMarnais de 68 ans atteint d’une neuropathie rare
(lire son témoignage page 6),
pour retrouver son autonomie. Son sentiment ? « Il
faut beaucoup d’opiniâtreté
dans tout cela, de temps et
d’argent… Le plus dur n’est
pas de clignoter avec des mouvements de tête et d’avoir une
seule manette pour freiner et
accélérer ! » ●
Texte Aurélia Sevestre
Photos Jérôme Deya
Passer son permis coûte en moyenne aujourd’hui 1 500 € à une personne valide. Rathanan, 19 ans,
en situation de handicap, a dû dépenser plus du double avant d’être présenté à l’examen.
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(3) Selon l’Audit sur la modernisation de
l’apprentissage de la conduite et du
permis de conduire, publié en 2008.