UNE STRATEGIE CONCERTEE EN MATIERE DE SECURITE
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UNE STRATEGIE CONCERTEE EN MATIERE DE SECURITE
Caroline de la Porte et Philippe Pochet, "Une stratégie concertée en matière de sécurité sociale au plan européen", Revue belge de sécurité sociale, N°2, juin 2000, pp.471-490. UNE STRATEGIE CONCERTEE EN MATIERE DE SECURITE SOCIALE AU PLAN EUROPEEN (1) PAR CAROLINE DE LA PORTE * ET PHILIPPE POCHET ** *Chargée de recherche à l’Observatoire social européen ** Directeur de l’Observatoire social européen Depuis un an, le débat en matière sociale évolue extrêmement rapidement au niveau européen. Après une longue période de somnolence où les questions liées à l'emploi avaient remplis quasi totalement l'espace de discussions au plan européen (Barbier et Pochet, 2000), le retour de certaines thématiques sociales ne manque pas d'étonner. Cette accélération est illustrée par la rapidité avec laquelle une procédure de type Luxembourg (en matière d’emploi) a été adoptée au plan européen pour certaines questions de sécurité sociale telles que les pensions, l'inclusion sociale, les soins de santé et les pièges à l’emploi. Ceci est d'autant plus significatif que la protection sociale était par excellence le domaine où un large consensus s'était établi pour juger cette question comme l'exemple emblématique de la nécessaire subsidiarité (2),et comme constituant typiquement l'expression des différences des histoires sociales et politiques nationales. De la communication de la Commission à des décisions au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement, il n'a pas fallu dix mois. En effet, la Commission a déposé en juillet 1999 une communication intitulée "Stratégie concertée sur la sécurité sociale", dont le Conseil Affaires sociales et Emploi du 29 novembre 1999 a adopté les grandes lignes. Dès janvier 2000 un groupe de haut niveau composé de deux représentants par Etat membre s'est mis en place et s'est réuni depuis chaque mois. Enfin, le Conseil européen de Lisbonne en mars 2000 a confirmé au plus haut niveau des éléments de cette stratégie. En outre, un rapport annuel (dont le premier exercice vient d’être déposé par la Commission) servira de base aux discussions européennes et l’élaboration d’une batterie d'indicateurs a été demandée à la Commission en collaboration avec le groupe de haut niveau. Le questionnement sur les raisons de la réémergence de cette thématique au niveau européen constituera le fil conducteur de cet article. Dans une première section, nous rappellerons brièvement les différents jalons ayant été posés au plan européen au cours des années 1990. Notre deuxième section présentera le contenu de la proposition communautaire et ses évolutions subséquentes. Elle se penchera sur les acteurs et leurs 1 Cette rubrique fournit chaque trimestre une information précise sur l'état d'une politique communautaire. Il a vocation de présenter les principaux développements de l’année en les éclairant par des recherches académiques récentes. Le premier exercice se penchait sur la question de l'emploi, ce numéro est consacré à la stratégie concertée en matière de sécurité sociale, le suivant traitera de la santé. Nous présentons également ces discussions en les illustrant à partir du cas belge tant par les implications que ces politiques pourraient entraîner en Belgique que par les propositions belges déposées au niveau européen. 2 "La Communauté n'intervient… que si … les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisée de manière suffisante par les Etats membres et peuvent donc, en raison de dimension ou des effets de l'action envisagé, être mieux réalisé au niveau communautaire" (art . 3). 1 propositions. La troisième section illustrera la nouvelle méthode choisie pour aborder cette question. Enfin en conclusion, nous offrirons quelques pistes de réflexion prospective. 1. UN BREF RAPPEL DES PRINCIPAUX DOCUMENTS ET DEBATS DES ANNEES 1990 A l’exception des questions liées à la libre circulation des travailleurs et de leur famille , la Communauté européenne n’a pas abordé de front la question de la sécurité sociale durant les trois premières décennies de son existence. En 1989, la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs a ouvert une brèche en reconnaissant la possibilité pour la Communauté européenne d'intervenir dans le domaine de la sécurité sociale. Le programme d'action sociale adopté dans la foulée de la Charte prévoyait l'adoption de deux instruments communautaires qui devinrent finalement de simples recommandations. Celles-ci symbolisent une approche en terme non plus d'harmonisation mais de convergence. La première concerne explicitement la convergence des objectifs et politiques de protection sociale (92/442). La seconde a trait à la définition de critères communs pour assurer des ressources et une assistance sociale suffisantes (3). L'impact de ces recommandations sur les systèmes nationaux a été des plus limité. Rappelons que les Etats membres n'ont voulu agréer que des objectifs déjà remplis au plan national. En matière de politiques à suivre et en terme de méthode, il s'est agi d'une "fausse bonne idée" selon les termes de Y. Chassard (1999). Toutefois, elles constituent un premier pas dans la reconnaissance que les Etats membres, malgré des traditions allant d'une politique sociale minimale de type anglo-saxon à des schémas plus ambitieux de type nordique, sont confrontés, à des défis communs. Le livre vert sur la politique sociale de 1993 ainsi que le livre blanc de 1994 qui l'a suivi ont été, tout comme les recommandations susmentionnées, des documents plus symboliques que porteurs de changements substantiels. Le premier indiquait que le progrès économique et social devait aller de pair tandis que le second poursuivant dans cette voie posait comme objectif un équilibre entre politique économique et sociale. Le centre du raisonnement qui allait se distiller dans différents documents et discours était que la protection sociale était un facteur productif et que les objectifs sociaux et économiques se renforçaient l'un l'autre plutôt qu'être en conflit (4). En 1995, la Commission publiait une communication sur "Le futur de la protection sociale: un cadre pour un débat européen" (COM 95 466) qui au delà de la reconnaissance d'objectifs communs mettait en exergue les défis communs qui nécessitaient des adaptations des systèmes nationaux. On y reconnaissait également que la protection sociale constitue une partie centrale du modèle social européen. Cependant, il s'agissait là toujours plus de rhétorique que d'action. Cette communication faisait référence à des problématiques qui seront reprises dans la communication de la Commission de 1999. Ces questions comprenaient le problème d'une proportion d'actifs déclinante par rapport aux non-actifs, la nécessité de rendre la protection sociale plus favorable à l'emploi, d’en revoir le financement et la nécessité de réformer les systèmes de soins de santé. En continuant cette rétrospective, la communication de 1997 "Moderniser et Améliorer la 3 Par la suite, certains pays du Sud ont établi de tels systèmes sans que l'on puisse affirmer que la recommandation y soit pour quelque chose. 4 A noter le récent séminaire sur le thème organisé durant la Présidence portugaise. Voir par exemple la contribution de Atkinson, Social Protection and Economic Performance in a Changing Economy, 2000. 2 protection sociale" (COM (97) 102) constituait une étape complémentaire dans laquelle est développée l'idée de « mainstreaming » consistant en une intégration horizontale des questions liées à la protection sociale dans les autres politiques européennes. Les communications de 1995 et 1997, bien qu'abordant des thématiques importantes, restaient toutefois vagues et ne développaient pas une stratégie et des principes susceptibles d’avoir une concrétisation opérationnelle au plan européen. En matière de suivi de la recommandation susmentionnée 92/441 concernant les ressources suffisantes, la Commission présenta en 1998 un rapport sur les systèmes d'assistance sociale dans les Etats membres. Il y était fait particulièrement référence à la stratégie européenne de l'emploi et à la communication de la Commission de 1997. Trois points y étaient mentionnés : renforcer la cohérence entre les minima sociaux et les autres allocations sociales afin de mieux assurer les besoins essentiels; augmenter le taux d'activité et enfin développer des critères d'intégration sociale et économique. Ces divers documents discutés tout au long des années 1990 ont lancé des pistes de réflexions variées pour guider les politiques nationales et construire un consensus autour de l'idée de nécessité de « modernisation de la protection sociale ». Sur ce point il faut insister sur la connotation positive de l'agenda communautaire en termes sémantiques. Les débats dans d'autres lieux parlaient de démantèlement, d’économies ou même d'effondrement (Ferrera et al, 2000). 2. DE LA PROPOSITION DE LA COMMISSION AU CONSEIL EUROPEEN DE LISBONNE Toutefois, une attention trop centrée sur les débats strictement liés à la sécurité sociale, ne permet pas de comprendre la dynamique actuelle même si des éléments de contenu sont présents dans les documents brièvement présentés ci-dessus. Des facteurs particuliers de l’environnement socio-politique et économique ont conduit à un intérêt accru pour les questions liées à la sécurité sociale. Premièrement, l'environnement macro-économique s’est transformé. Les marchés connaissent une intégration croissante au travers de l'union économique et monétaire (UEM) et l'avènement de l'Euro. L’Union monétaire montre la possibilité de concrétiser en commun un projet ambitieux en respectant des critères de convergence exigeants. En d'autres termes, la méthode consistant à se fixer un calendrier et des objectifs se révèle à nouveau, comme dans le cas du marché intérieur et de l'objectif 92, être la plus performante. Dans le même temps, la qualification de tous les postulants à UEM et le respect des critères de déficit public qui avait occupé le centre des débats ces dernières années, ouvrent le champ à des débats sur d'autres problématiques. L'emploi (voir le précédent numéro de la revue belge de sécurité sociale) et la procédure de Luxembourg, notamment, indiquent que la méthode utilisée pour la monnaie unique peut être étendue, moyennant adaptation, à d'autres domaines. La dynamique en matière d’emploi touche de manière directe et indirecte les questions de protection sociale. L'exemple le plus évident est celui de la ligne directrice 14 qui vise que la fiscalité et la sécurité sociale soient plus favorables à l'emploi (pour une analyse détaillée de cette ligne directrice, voir Pochet et Moro, 1999). Ceci implique que des questions liées à la sécurité sociale et/ou à son financement ne se trouvent pas abordées dans un lieu ad hoc (5). De plus, le taux de 5 Dans l'étude que nous avions réalisé sur la convergence sociale pour le compte du Ministère des Affaires sociales, nous avions fait la proposition de créer un Conseil "Affaires sociales et Sécurité sociale" ainsi que de lui adjoindre une structure d'appui (Pochet et al, 1997, pp. 145-146). 3 chômage élevé ainsi que l'augmentation de l'exclusion sociale ont mis en cause le fonctionnement réel des systèmes de sécurité sociale qui par ailleurs devront faire face au défi du vieillissement de la population et aux changements dans les équilibres démographiques. Enfin, l'élargissement de l’Union aux pays du centre et de l’est de l’Europe (PECO) ramène sur l'agenda communautaire les questions d'éventuels différentiels de protection sociale et les risques potentiels de dumping social. La question est moins que le risque de dumping social se révèle réel ou non que de relever une croyance (un sentiment) qui tend à se développer parmi la population de l'Union européenne (6). Dans cette optique, des demandes croissantes en matière de régulation sociale au niveau européen devraient se manifester. La conjonction de ces différents éléments a sans nul doute favorisé la résurgence de cette question au plan de l'Union européenne. Dans la communication de la Commission, quatre domaines ont été identifiés comme constituant des axes d'une stratégie concertée en matière de protection sociale au niveau européen. : - Le premier est de rendre le travail plus avantageux et fournir un revenu sur ; - Le second consiste à garantir des retraites sûres et des systèmes de retraites viables; - Le troisième vise à promouvoir l'inclusion sociale ; - Le dernier thème est celui de garantir un niveau élevé et durable de protection de santé. Ces thèmes correspondent bien aux préoccupations décelées dans les divers documents communautaires tout au long des années 1990. La différence est qu’ils se trouvent maintenant au sommet de l’agenda communautaire et non à sa périphérie et qu’une méthode particulière, la coordination ouverte, leur sera appliquée (voir section 3). Examinons-les plus en détail en présentant les propositions de la Commission dans sa communication et les résultats du Sommet de Lisbonne (mars 2000). Notons toutefois que le Conseil Emploi et Affaires sociales du 29 novembre 1999 avait déjà indiqué que les aspects liés au financement sont communs aux quatre objectifs mentionnés ci-dessus de même que le principe d'égalité hommes/femmes. Le souci de prendre en compte et d'utiliser les développements technologiques y est aussi affirmé. Dans le contexte de l'élargissement, le Conseil a souligné l'importance pour les pays candidats de moderniser leur système de protection sociale et d'atteindre un équilibre entre le développement économique et social (7). Le premier thème "rendre le travail plus avantageux" considère ce que l'on appelle les pièges à l'emploi, c'est-à-dire le trop faible différentiel entre les allocations sociales et le salaire minimum (8). Nous ne développerons pas ce point plus avant car il recoupe largement des objectifs qui se trouvent déjà dans les lignes directrices de Luxembourg 6 Le même phénomène s'était produit avec l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans la CEE. La thématique du dumping social entre les pays de la Communauté était fort présente à la fin des années 80 pour disparaître quasi-complètement dans la seconde moitié des années 1990 lorsqu'il apparut qu'il n'y avait pas de délocalisation massive vers les pays à bas salaires de l'Union européenne. 7 Le groupe de haut niveau a été plus loin et a affirmé comme principe d'établir un dialogue avec les pays candidats et réaffirmé l'importance de la sécurité sociale dans le processus d'intégration; (Working document, 12 avril 7499/00). Notons que dans le domaine de la santé, le risque de dualisation en matière de santé suite au processus d'élargissement a été particulièrement mis en avant. 8 En Belgique, cette réflexion a conduit à revaloriser le salaire minimum afin d'accentuer ce différentiel. 4 pour l'emploi et notamment de rendre la taxation et la sécurité sociale plus favorable à l'emploi (voir Goetschy et Pochet, 2000, Pochet et al, 2000). Le second thème est celui de garantir des retraites sûres et des systèmes de retraite viables. A l'évidence, on entre ici dans le cœur du débat des Etats Providences et de leur futur. Les objectifs tels qu'indiqués dans la communication de la Commission étaient : La nécessité d'anticiper les effets du vieillissement démographique sur les systèmes de protection sociale requiert un dosage cohérent entre les politiques du marché du travail et de retraite et les autres domaines des systèmes de protection sociale (notamment les systèmes de santé et de soins de longue durée) et la politique en matière d'égalité des chances. Les systèmes de retraite doivent être conçus et réformés de manière à décourager les départs anticipés du marché du travail, à encourager la souplesse des dispositifs de retraite et à favoriser la participation active des personnes âgées à la vie de la collectivité. L'objectif de promotion du vieillissement actif ne se borne pas aux politiques relatives aux anciennes générations mais il influence directement les politiques concernant les générations actuelles de travailleurs. Si certains pays étaient très favorables à traiter de cette question au niveau européen (Allemagne, Italie, Espagne), d'autres étaient plus circonspects ou du moins souhaitaient un agenda plus large que le simple financement (Belgique). L'annonce que le Comité de politique économique avait décidé d'aborder de lui même cette question ainsi que le Conseil Ecofin qui demandait dans ses conclusions pour le Sommet de Lisbonne d'être chargé « d'examiner la viabilité des finances publiques, notamment en ce qui, concerne les régimes de retraite, les dépenses de santé et de préfinancement des retraites (…) » (9) ont convaincu les Etats plus réticents que cette question serait que l'on le veuille ou non sur la table de discussion au niveau européen. Par ailleurs, la Banque centrale européenne avait dans différents rapports attiré l'attention sur le financement des retraites et de la soutenabilité de celles-ci par rapport aux objectifs du Pacte de stabilité et de croissance (Dufresne, 1999). De plus, un lobby aussi puissant que la Table Ronde des industriels qui regroupe les dirigeants d'une quarantaine de grandes multinationales, avait déposé un rapport sur « European Pensions, An Appeal for Reform, Pension Schemes that Europe Can Really Afford (2000) » plaidant pour le renforcement du deuxième et troisième pilier. Le Conseil européen de Lisbonne a tranché institutionnellement sur les responsabilités de chacun dans la préparation de ce rapport. Ce faisant, il a remis la question des pensions au centre de l'agenda communautaire et au même niveau que celui de l’inclusion sociale. Il a décidé de : 9 Contribution du Conseil ECOFIN au Conseil européen de Lisbonne, 13 mars 2000. 5 "Charger le groupe à haut niveau de protection sociale, compte tenu des travaux effectués au sein du Comité de politique économique (10), de favoriser cette coopération et, en priorité, de préparer sur la base d’une communication de la Commission, une étude sur l’évolution future de la protection sociale dans une perspective à long terme, en accordant une attention particulière à la viabilité des régimes de retraite à différentes échéances jusqu’en 2020 et au-delà, si nécessaire. Un rapport sur l’avancement de travaux devrait être disponible en décembre 2000." Notons que la Belgique avait souhaité que la question des pensions soit examinée de manière large et non uniquement liée à des questions de financement à moyen et long terme. Le raisonnement est le suivant :il faut d’abord définir le type et le niveau de pension à garantir et ensuite montrer qu’il est possible dans la durée de l’assurer. Le souhait de larges collaborations semble repris par le groupe de haut niveau qui aura des collaborations avec des acteurs impliqués dans des aspects tels que la libre circulation ou la politique économique et en matière d'emploi. Quatre axes de discussion ont été prévus par le groupe pour son travail dans le domaine des pensions : assurer l'adéquation du niveau financier des pensions (y compris celles de "solidarité), favoriser l'augmentation du taux d'emploi, assurer le financement (l'augmentation du taux d'emploi aura pour effet d'augmenter les contribution), modérer les dépenses actuelles et future en matière de pensions. Des enjeux tels le rôle de l’équité dans les politiques de pensions, l’application des principes de solidarité entre les générations, et le niveau de confiance public dans le système de pension vont être pris en compte. Par ailleurs, la création d’un groupe d’appui composé de professeurs universitaires est prévu. Il sera notamment chargé d'explorer de nouvelles options non nécessairement retenues auparavant au plan national (11). La question des pensions et particulièrement la soutenabilité de leur financement au fil du temps est une question des plus sensibles. Comme le font remarquer Pierson et Myles (1998) ce n'est pas le vieillissement de la population qui est en cause mais bien le mode de financement des pensions. Dans ce domaine sensible comme l'indiquent abruptement ces auteurs « Cutting pension benefits based on contributions is a different sort of exercice than cutting road budget » (voir OCDE, 1996 montrant que l'essentiel des efforts d'ajustement touche les investissements publics et non la sécurité sociale). C’est dans ce domaine que l’utilisation du niveau européen pour justifier la réforme pourrait être plus évident. On notera les interventions répétées du Président de la Commission R. Prodi sur ce sujet. Après Lisbonne, ce dernier déclarait : « Je ne voudrais pas qu’on sous-estime le mandat donné à la Commission concernant la soutenabilité des systèmes de retraite" (Agence 10 Pour ce qui concerne la question des pensions pour lequel un rapport était prévu au sein du comité économique, il semble que ce dernier ait choisi une approche prudente comme en témoigne la citation suivante: “Despite the reforms that have already taken place in many Members States, further measures are required in most countries. It is clear that many elements of pension reforms work best when they are mutually reinforcing and consistent with national circumstances. Given the complexity of the issues, there is no single answer or specific reform that will solve all the demographic problems at once. Yet many Members States need to formulate a complete and coherent strategy. These strategies should set out the principles for dealing with the economic consequences of an ageing population. The aim should be to secure sustainable public finances, continued economic progress and social cohesion in the European Union.” 11 Working Document 7499/00, 12 April 2000. 6 Europe N° 7684). Cette question est discutée plus en détail dans la section suivante sur la méthode. Dans ce débat, un terme semble émerger avec force dans le discours communautaire: celui de vieillissement actif ("Active Ageing" ) auquel est associé une connotation positive de la part des institutions communautaires. "Promouvoir le vieillissement (12) actif équivaut à promouvoir des opportunités pour une vie meilleure". Tout cela illustre le rôle de la participation active et de la responsabilité individuelle dans la nouvelle vision de la vieillesse (on peut rapprocher cette thématique avec les critiques de la part de la Commission sur les système de préretraite et le faible taux d'activité des personnes de plus de 50 ans dans ses recommandations sur les plans d'actions nationaux). Le troisième thème est celui de l'inclusion sociale. Ce domaine bénéficie de ce que le traité d'Amsterdam ait (ré)intégré ce sujet (13) et prévoit dans son article 137 que : « Le Conseil (en co-décision) peut adopter des mesures destinée à encourager la coopération entre Etats membres par le biais d'initiatives visant à améliorer les connaissances, à développer les échanges d'informations et de meilleures pratiques, à promouvoir des approches novatrices et à évaluer les expériences afin de lutter contre l'exclusion sociale ». Il est intéressant de noter que cette thématique a été poussée par des pays aussi différents dans leurs arrangements internes de la sécurité sociale que le Royaume-Uni, le Portugal et la Belgique (de la Porte, 2000). Par exemple la contribution de la Belgique au Sommet de Lisbonne indiquait : "Il faut donner la priorité à la réalisation de l’objectif de la promotion de l’insertion sociale via la réalisation de niveaux sociaux adéquats comme un niveau de pauvreté commun basé sur le revenu et des indicateurs d’exclusion sociale. Cet outil engagerait les Etats membres à éradiquer la pauvreté en suivant l’exemple des trois membres les plus performants en ce qui concerne la pauvreté". Le texte de la Commission se donne comme objectifs en la matière : Garantir des filets de sécurité efficaces comportant des prestations de revenus minimum et des mesures d'accompagnement afin de lutter efficacement contre la pauvreté et l'exclusion des particuliers et des familles. Se concentrer sur la prévention, en privilégiant les mesures actives plutôt que les mesures passives et de prévoir des incitations et des parcours de (ré)insertion sur le marché du travail et dans la société. Il s'agit également de contribuer à une approche globale et intégrée de lutte contre l'exclusion sociale associant toutes les politiques et tous les acteurs concernés. Les discussions qui s’en sont suivies ont montré un large consensus sur cette question. Notons que « un consensus a été atteint pour faire de la question de la promotion de 12 New Paradigm in Ageing policy, Note de la Conférence des 15 et 16 novembre 1999, Bruxelles. Il y a à peine cinq ans, un petit programme intitulé "Pauvreté " chichement doté avait attiré les foudres de certains Etats membres dont l'Allemagne et le Royaume-Uni. Au nom de la subsidiarité ce programme communautaire avait été supprimé. 13 7 l'inclusion sociale la principale priorité des travaux du groupe à haut niveau» (14). Les débats ont porté sur la nécessité de diminuer de moitié le taux de pauvreté et sur l'élaboration des critères pertinents. Entre-temps, Eurostat avait publié des statistiques définissant la pauvreté comme des revenus inférieurs à 60% du revenu médian (et non plus comme il est d'usage comme équivalent à 50% du revenu moyen). Ces données ont été reprises par la Commission dans sa communication sur l'inclusion sociale. Il est intéressant de noter que selon ces données la Belgique se classe plutôt mal en termes de lutte contre la pauvreté alors qu'avec l'autre critère elle se classe parmi les Etats membres ayant le moins de pauvreté (il faut toutefois s'interroger sur la méthodologie et certains se demandent comment de tels chiffres ont été obtenus). Tableau1 : Population à bas revenus en % et en parité de pouvoir d'achat A 17 All 18 B 18 Dk 11 E 19 EL 21 F 16 I 19 Irl 21 L 14 PB 10 P 24 RU 20 EU13 18 Source : Statistiques en bref; 2000/1 « L’exclusion sociale dans les Etats membres de l’UE ». Bas revenu définit comme 60% du revenu médian. Entre-temps, la question de la pauvreté des enfants mise en évidence dans la contribution britannique pour Lisbonne avait été reprise dans le document de base de la Présidence portugaise semant un certain trouble (15). Pour sa part la Commission avait proposé une réduction du pourcentage des personnes vivant en deçà du seuil de pauvreté en le ramenant de 18% aujourd'hui à 15% en 2.005 et 10% en 2.010 (Contribution de la Commission 28 février 2.000) Dans ce domaine, le Conseil européen de Lisbonne a invité le Conseil et la Commission à: favoriser une meilleure compréhension de l’exclusion sociale par la poursuite du dialogue et des échanges d’informations et de meilleures pratiques, sur la base d’indicateurs arrêtés d’un commun accord; le groupe à haut niveau sur la protection sociale sera associé à l’établissement de ces indicateurs; intégrer la promotion de la solidarité dans les politiques des Etats membres en matière d’emploi, d’éducation et de formation, de santé et de logement, cette intégration étant complétée au niveau communautaire par l’intervention des Fonds structurels dans le respect du cadre budgétaire actuel; définir des actions prioritaires pour des groupes cibles déterminés (par exemple les minorités, les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées), le choix des actions les plus adaptées à leur situation particulière étant laissé à l’appréciation des Etats membres, qui feront ensuite rapport sur la mise en œuvre des actions. Il faut prendre des mesures pour donner un élan décisif à l'élimination de la pauvreté en fixant des objectifs appropriés devant être approuvés par le Conseil d'ici la fin de l'année. 14 Working document 7499/00, 12 avril 2000, p. 12. Pour un développement sur la question de la pauvreté des enfants et l'établissement de critères voir G. Room "Tackling Poverty: Opportunities for All", présenté à la Conference European Employment : Social and Economic Reform, Wilton Park , UK, 31 janvier-2 février 2000. 15 8 Lors de sa réunion au mois d’avril, le groupe de haut niveau a approfondi les priorités pour l’inclusion sociale. Il a reconnu l'aspect multidimensionnel de celle-ci et la nécessité de prendre en considération une panoplie de politiques dans des domaines différents. Des mesures dans les domaines de la protection sociale et les politiques d'emploi sont essentielles mais doivent être accompagnées par une évaluation de politiques telles que le logement, l'éducation, la santé, l'accès à l'information et à la communication, à la justice, les questions de mobilité, de temps libre et de culture. Deux axes devraient être développés : d'une part évaluer l'impact des politiques menées jusqu'à aujourd'hui dans les différents Etats membres et d'autre part définir un ensemble d'indicateurs qui puisse servir de référence commune . A ce propos, trois priorités ont été fixées : la première: concerne la couverture et la structure des ressources minimales, de l'assistance sociale et des autres programmes relevant de protection sociale en particulier les questions liées à l'accès, l'éligibilité et d'ouverture des droits, la seconde se centre sur favoriser l'accès au monde du travail, quant à la troisième elle consiste à développer une approche globale et intégrée de l'ensemble des facteurs qui sont sources d'exclusion sociale. La question des données disponibles est essentielle pour développer rapidement des indicateurs pertinents. La présentation par la Commission des différentes sources et de leurs limitations, soit méthodologiques, soit en termes de couverture des thèmes à traiter, indique déjà la grande difficulté qui se profile concernant l’élaboration d’indicateurs communs. Rappelons qu'en cinq années (1994-1999) seul neuf indicateurs très généraux ont fait l'objet d'un consensus en matière d'emploi. Parmi les sources disponibles, citons "European Community Household Panel (ECHP)", la « European Household Budget Survey », le « Labour Force Survey », Eurobaromètre et les données de l'OCDE, Dans le cas belge la stratégie poursuivie en mettant cette question à l'agenda communautaire est claire. Selon le Ministre en charge de cette question : « La lutte contre la pauvreté nécessite une large protection sociale (…) Un engagement contre la pauvreté implique un engagement à développer un large Etat social et, lorsqu'il existe déjà, de le préserver et de l'adapter continuellement » (Vandenbroucke, 1999). Concernant les critères en matière de pauvreté, la note belge suggère d'utiliser dans un premier temps le critère financier de 50% du revenu moyen qui offre l'avantage de la simplicité et de couvrir globalement les personnes concernées pour dans un deuxième temps tenter d'élaborer des critères plus complexes (16). En ce qui concerne la santé, nous traiterons en détail de cette question dans le prochain numéro de la Revue belge de sécurité sociale. Nous nous contenterons ici d'indiquer les thématiques contenues dans la communication de la Commission. Il s'agissait de : 16 Contribuer à l'amélioration de l'efficacité et du bon fonctionnement des systèmes de santé en vue d'atteindre leurs objectifs dans la limite des ressources disponibles. A cette fin, garantir l'utilisation la plus efficace possible des connaissances et de la technologie médicale et renforcer la coopération entre les Etats membres en matière d'évaluation des politiques et des techniques. Garantir l'accès de tous à des services de santé de grande qualité et réduire les inégalités en matière de soins. Cf. Non-Paper of Belgian Delegation, Tackling Poverty and Social exclusion- Indicators, 23 février 2000. 9 Soutenir davantage les soins de longue durée aux personnes âgées fragiles, notamment en fournissant des équipements de soins appropriés et en réexaminant la protection sociale pour la couverture des soins et celle pour les personnels en charge de ces soins. Privilégier la prévention des maladies et la protection de la santé en tant que meilleurs moyens de lutter contre les problèmes de santé, de réduire les coûts et de promouvoir un mode de vie plus sain. Pour le moment ces questions sont traitées à part au sein d'un groupe de fonctionnaires nationaux chargés de la santé publique. Les questions d'étendue de la couverture et d'accès pourraient néanmoins être également abordées au sein du groupe de haut niveau. POSITION DE DIFFERENTS ACTEURS La CES accueille positivement la communication de la Commission sur la stratégie concertée de juillet 1999 mais insiste que sous couvert de modernisation on ne peut aboutir à une réduction de la couverture sociale et à une protection sociale résiduaire. Elle s'inquiète de l'absence d'analyses et de propositions détaillées concernant le financement "alternatif" Ensuite, elle considère que formuler une stratégie européenne au travers de l'échange de bonnes pratiques est inapproprié car ces dernières sont le résultat d'histoires sociales particulières non reproductibles. Dès lors cela n'aboutirait pas à des changements substantiels. A la place, la CES soutient l'élaboration de lignes directrices en matière de convergence sociale sur le modèle des lignes directrices de Luxembourg, laissant les modalités d'application aux Etats membres (17) Concernant la dimension externe, la CES encourage la Commission à développer de lignes directrices visant les pays candidats à l'adhésion. L'UNICE a adopté une approche plus sceptique, du moins si on la compare à celle de la CES. Ses principales critiques se centrent sur la nécessité de développer l'aspect assurentiel de la protection sociale. Dans cette optique la réduction de la taxation et des charges de sécurité sociale est proposée afin de renforcer la création d'emplois. Les procédures de Luxembourg en matière d'emploi constituent la priorité de l'UNICE et sont considérées comme étant le cœur des réformes nécessaires en matière de protection sociale, comme l'indiquent les références constantes à l'emploi dans le document de 17 Le Congrès de la CES à Helsinki (28 juin - 2 juillet 1999) a repris dans sa "Résolution générale sur la politique syndicale" l'idée de convergence au niveau européen par le biais de lignes directrices comprenant un calendrier de mise en œuvre. Ces dernières devraient être basées sur l'esprit et les propositions contenues dans la recommandation du Conseil de 1992 sur la convergence des objectifs et des politiques de protection sociale et se traduire en des engagements contraignants. Cinq axes on été approuvés: - élargir l'assiette de financement de la sécurité sociale en déplaçant la charge du travailleurs les autres facteurs de production; - tendre vers un pourcentage minimum du PIB consacré aux dépenses de protection sociale en s'orientant progressivement sur la moyenne des trois pays ayant le pourcentage le plus élevé -assurer une couverture en soins de santé pour tous - adapter les systèmes de sécurité sociale aux changements du changements du monde du travail et à la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales Notons que les syndicats belges CSC et FGTB avaient introduits différents amendements plus ambitieux qui n'ont pas été approuvés. Parmi les syndicats qui avaient introduit des amendements visant à affaiblir le texte se trouvait la DGB allemande et les syndicats hollandais (FNV-CNV). 10 l'UNICE. Les systèmes de sécurité sociale ont, selon cette organisation, pour objectif de promouvoir l'employabilité. La sécurité sociale est principalement abordée par le biais de son financement. Concernant celui-ci, l'UNICE tout comme la CES et le Parlement européen note que la Commission n'a rien proposé de concret dans ce domaine. Pour ce qui est du Parlement européen, il reconnaît (18) es progrès réalisés depuis 1992 avec la recommandation sur la convergence sociale. Parmi les quatre objectifs, l'attention est plus particulièrement portée sur la question de l'inclusion sociale et de l'attention à porter aux catégories de citoyens les plus faibles. Le droit fondamental à des soins de santé de haute qualité est encouragé tandis que les risques de ségrégation découlant d'une privatisation sont mentionnés. Le PE insiste sur les droits à la sécurité sociale des travailleurs atypiques. Il est intéressant de noter que le PE examine en détail les mécanismes à mettre en œuvre pour atteindre les quatre objectifs de la communication. Concernant le financement, le rapport suggère l'utilisation de taxes environnementales, sur l'énergie ou la consommation et sur le capital. Une attention particulière est portée au cas des pays de l'Europe centrale et orientale. A ce stade, nous pouvons conclure à une stratégie concertée en ce qui concerne l'implication active des Etats membres dans le processus a été un succès. Cependant ceci est beaucoup moins vrai si l'on considère la participation des autres acteurs parties prenantes au débat sur la protection sociale et à son futur. La Confédération européenne des syndicats qui avait demandé d'avoir un statut d'observateurs au sein du groupe de haut niveau a reçu une réponse négative. La troika formée de l'actuelle présidence portugaise et des deux présidences qui la suivent la française et la suédoise assurera le contact avec les partenaires sociaux, le Parlement européen, le comité économique et social, le comité des régions et les institutions chargée de la protection sociale (19). 3. METHODE Un changement essentiel est celui de la méthode adoptée pour faire converger les Etats membres en matière sociale. Le Conseil européen de Lisbonne l’a dénommée à la suite du document de la Présidence portugaise : processus de coordination ouverte (ce processus se veut une alternative au processus classique de l'intégration européenne par voie de directives qui sont retranscrites dans l'ordre juridique national et dont l'application est contrôlée par la Cour de justice). Ce processus a pour vocation de s'appliquer dans des domaines où la compétence communautaire est faible et son autorité à agir pas fermement établie. La séquence des opérations telle qu'indiquée par les conclusions du Sommet de Lisbonne est décrite ci-dessous. 18 19 Rapport J. Andersson adopté en scéance pleinière en février 2000. Working Document 7499/00, 12 April 2000, p. 12. 11 Il s'agit tout d'abord de définir des lignes directrices pour l’Union, assorties de calendriers spécifiques pour réaliser les objectifs à court, moyen et long terme fixés par les Etats membres. De manière concomitante, il faut établir si nécessaire des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères d’évaluation par rapport aux meilleures performances mondiales. Une certaine flexibilité est prévue afin que ces indicateurs et critère soient adaptés aux besoins des différents Etats membres et des divers secteurs, de manière à pouvoir comparer les meilleures pratiques. La troisième étape consiste à traduire ces lignes directrices européennes en politiques nationales et régionales en fixant des objectifs spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent compte des diversités nationales et régionales. Enfin, il est prévu de procéder périodiquement à un suivi, une évaluation et un examen par les pairs, ce qui permettra à chacun d’en tirer des enseignements. Cette méthode a pour objectif de faire coïncider les agendas nationaux avec l'agenda communautaire. Dans ce cadre, la Commission joue un rôle moins important que traditionnellement. Son rôle ressemble plus à une agence technique (cf. Moravcsik,1996) qu'à l'organe d'impulsion tel que prévu dans les traités et soutenu par la vision fédéraliste de la construction européenne (20). L'ensemble de la dynamique nécessite avant tout une coopération étroite des Etats membres. Cette coopération a d'autant plus de chance d'être acquise que les débats européens peuvent interférer de manière jugée positive par le gouvernement dans les débats internes. Pour en donner un exemple plus concret, le débat sur les pensions au niveau européen pourrait contribuer à influer en Italie sur l'important débat interne dans ce domaine. Il n'est donc guère étonnant qu'une série de personnalités politiques italiennes dont la moindre n'est pas le président de la Commission, Romano Prodi, aient été particulièrement attentives à ce sujet. Si l'on peut avancer que la méthode en matière de sécurité sociale s'inspire largement des lignes directrices européennes en matière d'emploi, elle doit également beaucoup à l'apprentissage collectif en matière de convergence monétaire, notamment l'utilisation du prétexte européen pour favoriser des réformes décidées au niveau national (pour le cas italien voir Featherstone et Dyson, 1996 ; pour le cas belge, Pochet, 1999). Toutefois, il demeure peu clair si ce qui a été utilisé dans le cadre de l'Euro et de la politique de l'emploi peut être répliqué dans le cadre d'un processus de convergence en matière de protection sociale. Une première question de nature générale est celle de l'étalonnage des performances (benchmarking). Peut-on utiliser une telle méthode à la protection sociale ? Une nécessaire prudence doit être appliquée dans ce domaine où un changement d'indicateurs peut entraîner des conséquences importantes comme l'illustre le changement de référence opéré par Eurostat en matière de pauvreté (cf. supra). Ensuite, comme l'indique Bergman: « évaluer des références, contrôler des politiques et interpréter des résultats dans un contexte comparatif européen suppose des compétences bien spécifiques et du temps pour les acquérir ». La Direction Générale Emploi et Affaires Sociales les a-t-elle de manière interne ou a-t-elle les réseaux d'experts (et non de consultants) suffisants ? est une question pour le moins ouverte. 20 A titre d'illustration, le groupe de haut niveau considère que la Commission « can play an important role by providing information of relevance to the working party's work as well as preparing documents of specific interest with regard to the priorities set” (7499/00 p.10). 12 D'autre part, que signifie l'échange de bonnes pratiques ? Comme l'indique P. Conroy à propos de l'égalité entre hommes et femmes: « Practices are born of material realities, cultural and social beliefs, they are the outcome of struggles, of losses and gains practices cannot be exchanged, unless reduced to a technique. What can be realistically exchanged are views, approaches, outlooks, opinions, theories, analysis and perspectives ». Cette méthode de coordination ouverte a également pour enjeu de rendre compatible les approches menées par le Conseil Emploi et Affaires Sociales et Ecofin au plan politique. Cela nécessite également que la Commission parvienne à développer un discours cohérent entre ses services (21) et que les différents groupes d'appui, le comité de politique économique, le comité pour le marché du travail et le groupe de haut niveau sur la sécurité sociale puissent parvenir à des contributions cohérentes. C'est dans ce cadre qu'il est intéressant de rappeler le triple objectif des conclusions du Sommet de Lisbonne en matière de finances publiques: Il s'agit de : réduire la pression fiscale qui pèse sur le travail, notamment sur le travail peu qualifié et faiblement rémunéré, améliorer les effets d’incitation en faveur de l’emploi et de la formation des régimes d’imposition et d’allocations; réorienter les dépenses publiques de manière à accroître l’importance relative de l’accumulation de capital -tant humain que physique- et appuyer la recherche et le développement, l’innovation et les technologies de l’information; assurer la viabilité à long terme des finances publiques en examinant les différents aspects de la question, y compris l’impact du vieillissement des populations, à la lumière du rapport devant être établi par le Groupe à haut niveau sur la protection sociale. Cette approche qui est cohérente avec de nombreuses déclarations antérieures et qui vise à maximiser les bases de la croissance (cf. les théories de la croissance endogènes) a également comme conséquence que les dépenses en matière de protection sociale se trouvent encadrées entre une pression fiscale qui doit diminuer et des investissements dans d'autres domaines (recherche et développement, éducations, formations, investissement immatériels, etc) qui doivent augmenter (Pochet et al, 1997). Ces derniers avaient le plus souvent fait les frais des ajustements budgétaires pour satisfaire aux critères de Maastricht (OCDE, 1996). Le nouveau discours sur l'examen de la "qualité des dépenses publiques" risque de faire considérer à nouveau les dépenses en matière de protection sociale comme des dépenses de qualité moindre et donc être la principale cible d'éventuelles restructurations budgétaires. CONCLUSION 21 A titre d'exemple nous reproduisons l'évaluation de la Commission de l'application des Grandes orientations de politique économique qui semble dans le ton bien éloignée du langage consensuel de Lisbonne : « Le niveau élevé des allocations de chômage, servies sur une longue période, auquel s'ajoute la libéralité des conditions d'accès à ces prestations et un manque de rigueur dans l'administration des régimes, tendent à avoir des effets désincitatifs sur la recherche d'un emploi . » 13 Une évaluation des effets de ce nouveau processus nous semble prématurée mais quelques éléments prospectifs peuvent déjà être mis en avant. Tout d'abord, il devrait se développer et se renforcer un discours "bruxellois" sur la protection sociale (sur les différentes formes d'européanisation voir Hagen,1999). Ce discours existait déjà mais il était porté le plus souvent par des acteurs qui étaient considérés comme relativement marginaux par rapport aux acteurs-clé - la banque centrale européenne ou le Conseil Ecofin (sur la question d'acteurs légitimes voir Pochet et Vanhercke, 1999). Cette forme d'européanisation que nous avions traquée dans les différents documents communautaires dans le passé (Antoons, 1995) va donc prendre un tour nouveau avec l'intrusion de certains acteurs légitimes. Toutefois, la composition du groupe de haut niveau (pour le moment deux représentants nationaux) est plutôt restrictive surtout lorsque l'on se souvient que la Communication de la Commission avait pour objectif d'impliquer un nombre large d'acteurs y compris les institutions et centres de recherches compétents (COM (2000) 134). Or, les réformes entreprises à ce jour en matière de pensions associent soit l'ensemble des partis politiques (Suède, Espagne), soit les partenaires sociaux et particulièrement les syndicats (Italie). Or l'analyse de la composition du groupe de haut niveau tel qu’il fonctionne actuellement et les propositions de la Commission pour son fonctionnement futur (22) montre que ni les partis politiques (absence du Parlement européen), ni les partenaires sociaux sont associés de manière étroite à ce groupe. Mais l'Union monétaire indique aussi que les gouvernements peuvent utiliser le prétexte européen pour favoriser des réformes décidées auparavant de façon interne. Dit dans des termes plus diplomatiques, on peut faire coïncider l'agenda politique national et européen et dans un jeu à deux niveaux extrêmement complexe obtenir des ressources (d'argumentation ou d'obligation légale) supplémentaires provenant du niveau européen pour les employer dans le débat national. Le fait que le groupe de haut niveau ait été créé immédiatement et s’est réuni depuis chaque mois correspond à une priorité de la Présidence Finlandaise qui voulait par ce fait renforcer la dimension protection sociale de l'Europe. Ceci semble indiquer que les priorités sont en réalité, comme le veut l'approche intergouvernementaliste de l’intégration européenne, décidées par les gouvernements. Seule une étude de plus long terme permettrait de vérifier si cette tendance est stable ou si des effets non appréhendés et non anticipés par les gouvernements vont redessiner l'agenda au plan européen et national. L'Europe peut être utile dans les stratégies de "blame avoidance" utilisées par les gouvernements pour "recalibrer" la sécurité sociale. Dans ce cadre le niveau européen est utilisé comme prétexte dans le débat public. Par contre les réformes de fonds se réalisent le plus souvent sans publicité en modifiant de manière technique l'un ou l'autre paramètre (par exemple en jouant sur le type d'indexation des pensions par rapport aux prix, au bienêtre, au salaire moyen, etc ou en changeant le nombre d'années comptabilisée pour la pensions, ou encore les critères d'accès à l'une ou l'autre prestation) . Toutefois, les processus ouverts de discussion au niveau européen pourraient limiter la capacité des gouvernements de réformer les systèmes nationaux par des mesures techniques peu médiatisées. En effet, les données seront confrontées entre les Etats membres et les organes de presse spécialisés seront amenés à les commenter. En d'autres termes, le processus ouvert tel que lancé par la Communication de la 22 CEE Proposition de décision instituant un comité de la protection sociale, COM (2000) 134, 13 mars 2000. 14 Commission sur une stratégie concertée en matière de protection sociale pourra avoir par la visibilité qu'il donnera aux questions abordées, particulièrement à celle difficile des pensions, des effets inattendus et non anticipés par certains gouvernements qui n'y voient pour le moment qu'une "ressource" supplémentaire -le pretexte européen- pour recalibrer leur système national de sécurité sociale. Si les effets à long terme sont incertains, l’objectif qui était sous-jacent de mieux intégrer la dimension sociale dans les « grandes orientations de politique économique » (GOPE) et de rééquilibrer l’approche économique et sociale est pour l’heure toujours en souffrance comme l’indique la tonalité et le contenu tant de l’évaluation par la Commission de GOPE 1999 que le texte des nouvelles GOPE. Lisbonne parviendra-t-il à imposer un tel rééquilibrage ? La réponse nous sera donnée sous peu et nous permettra de mieux évaluer l’importance des processus et dynamiques décrits dans cet article. 15 BIBLIOGRAPHIE Andersson, J. (1999), « Report on the communication from the Commission on a concerted strategy for modernising social protection» (COM (99) 347), Committee on Employment and Social Affairs of the European Parliament, 18 November , Brussels. Antoons, J. (1995), “Politiques européennes de sécurité sociale”, Courrier Hebdomadaire CRISP (Centre de Recherche et d’Informations socio-politiques), n°. 1472, pp. 5 - 6. Barbier, C. et Pochet, P. (2000), « Le programme d’action sociale 1998-2000 » in Bilan social de l’Union Européenne 1999, CES. Berghman, J. (1997), « La notion de "benchmarking" peut-elle être appliquée à la protection sociale ? » Bulletin Luxembourgeois des questions sociales, Vol. 4, pp.131144. 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Le Conseil de rédaction a accepté la publication de l’article moyennant la reconnaissance d’une double spécificité de l’approche. 18