travail de thèse - Institut d`anthropologie clinique
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travail de thèse - Institut d`anthropologie clinique
Université Paris-Descartes Faculté des Sciences humaines et sociales – Sorbonne Département de linguistique générale et appliquée Langue et registre(s) : illustration par l’indice d’usage familier Thèse de doctorat Laurence-Lola Devolder ________ Directrice de recherche Aziza Boucherit - Maître de conferences habilitée, Paris Descartes Membres du jury Françoise Gadet - Professeur, Paris X-Nanterre Pierre Corbin - Maître de conférences habilité, Lille III Jackie Schön - Maître de conférences honoraire, Toulouse II - Le Mirail ________ Paris 2007 Ça se bouffe pas, ça se mange. France-Inter, tous les samedis, 12h05-13h Remerciements Mes plus sincères remerciements vont à Aziza Boucherit qui a accompagné et guidé cette recherche, par sa grande disponibilité, ses critiques, ses conseils toujours opportuns et ses patientes relectures. Je la remercie de m’avoir donné l’occasion de « monter à la capitale » et surtout pour la confiance qu’elle m’a toujours accordée. Je remercie sincèrement Madame Françoise Gadet et Monsieur Pierre Corbin pour avoir accepté d’être rapporteurs et membres du jury de ma thèse. Je leur exprime ma profonde gratitude d’avoir bien voulu juger ce travail. J’en suis très honorée. Je profite de l’occasion solennelle qui m’est donnée pour remercier chaleureusement Jackie Schön de m’avoir fait découvrir la linguistique et de m’avoir transmis sa passion. Je la remercie pour son soutien de tous les instants, depuis mes balbutiements dans la discipline jusqu’à ce premier pas aujourd’hui. Je remercie les étudiant-e-s qui ont assisté à mes cours et TD, pour avoir contribué, certes sans le savoir, à me donner l’énergie nécessaire à l’achèvement de cette recherche. Enfin, je remercie mes ami-e-s et mes proches pour leur soutien sans faille et leur enthousiasme débordant pour une cause si incongrue. Merci pour le recul que vous m’avez toujours permis de prendre, pour les indispensables moments de décompression et pour le réconfort dans les instants de doute. Merci à toutes les petites mains, aux quatre coins de France, qui m’ont aidée à franchir la ligne d’arrivée. Merci à Lise pour la richesse de ses échanges, sa constante implication et son art de la maïeutique. Merci à Bruno d’être à mes côtés et de me donner des ailes. Vous allez enfin pouvoir arrêter de bosser et retourner guincher. Sommaire Remerciements.................................................................................................................................... Introduction .................................................................................................................................... Chapitre 1 – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique .................. 1.1. Dictionnaires, description, prescription et nomenclature ........................................................ 1.2. Les marques d’usage, une disqualification lexicale ............................................................... 1.3. Les notions de registre et niveau de langue …………………………………… ....................... Chapitre 2 – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation ..... 2.1. La familiarité entre langue et discours ………………………………………… ......................... 2.2. Présentation du corpus et des méthodes d’observation ………………………. ...................... Chapitre 3 – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » ............................................................ 3.1. Retour sur les écueils terminologiques................................................................................... 3.2. Confrontation des définitions terminologiques à la distribution des marques lexicographiques 3.3. Place et rôle du registre familier au sein du lexique général .................................................. Chapitre 4 – Propriétés formelles et effet familier.......................................................................... 4.1. La méthode d’observation ..................................................................................................... 4.2. Inventaire du corpus .............................................................................................................. 4.3. Analyse des caractéristiques formelles ................................................................................. 4.4. Synthèse ................................................................................................................................ Chapitre 5 – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale ...................... 5.1. La définition dictionnairique ................................................................................................... 5.2. Les procédés définitoires ....................................................................................................... 5.3. Discussion des implications théoriques des types définitoires retenus ................................. 5.4. Familiarité, connotation et registre de langue ........................................................................ Conclusion .................................................................................................................................... Bibliographie .................................................................................................................................... Annexes .................................................................................................................................... Index des auteurs ................................................................................................................................ Index des notions................................................................................................................................. Table des matières ............................................................................................................................. Liste des tableaux et des figures ......................................................................................................... 5 9 15 16 39 55 77 77 93 107 107 114 128 147 148 153 169 202 207 208 212 220 242 257 263 283 371 375 379 383 Introduction « L’étude scientifique des langues a montré que les mauvais usages (le ‘français populaire’, par exemple) avaient un intérêt égal aux autres pour comprendre et décrire le fonctionnement d’une langue »1 Chacun sait que l’on peut s’exprimer de différentes façons, « bien » ou « mal », de la manière la plus recherchée à la plus relâchée. Chacun est conscient qu’il peut faire varier son expression en alternant entre un registre plus familier dans les conversations quotidiennes et un registre plus soutenu lors de contacts plus solennels ou plus impersonnels. Bouffer et manger , par exemple, sont des verbes que chaque francophone comprend et est susceptible d’employer, quel que soit son âge, son sexe, son origine sociale ou encore son milieu socioprofessionnel, mais seule la situation de communication détermine l’emploi adéquat de l’un ou de l’autre. Cette possibilité de faire varier son expression en fonction du contexte énonciatif, qui relève de la dimension diaphasique, constitue le cadre de notre étude. Jusqu’à une période très récente, les grammaires et les manuels scolaires portaient des jugements sévères sur ce type de variation et, ce faisant, constituaient les relais de normes prescriptives. Le registre familier était considéré, dans la tradition du « bas langage », comme l’indice d’un manque de maîtrise de la langue et assimilé à un indicateur social. La censure qui en résultait était sans appel : « On ne dit pas bouffer , on dit manger. » Ce point de vue normatif sur la diversité des usages est celui des puristes Depuis, les études sociolinguistiques ont fait évoluer la compréhension, et corrélativement la perception, que l’on a des phénomènes de variation. L’attitude puriste a fait place à des études sur corpus qui distinguent précisément 1 GARY PRIEUR M.-N., De la grammaire à la linguistique, Paris, Armand Colin, 1985, p. 65. 10 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER la description des usages et les évaluations que l’on peut en faire ; dans une perspective explicative, on tend aujourd’hui à considérer que le registre soutenu est celui de l’écrit ou de la distinction sociale, le registre courant celui des échanges quotidiens, le registre familier, celui de la communication entre pairs. L’approche est ici plus fonctionnelle, plus communicationnelle, c’est l’« adaptabilité » à la situation d’énonciation qui est privilégiée : il est difficile d’aller bouffer avec son patron, mais on peut aisément aller bouffer entre copains. Néanmoins, si les usages dits familiers sont ceux de la conversation courante, celle qui se déroule entre personnes qui se connaissent ou se côtoient, ils restent perçus comme des faits linguistiques non conventionnels. En quoi les termes qui reflètent ces usages dits familiers sont-ils si particuliers qu’ils ne puissent être employés dans n’importe quelle situation de communication ? Pourquoi, alors qu’ils alimentent les échanges les plus courants, les plus quotidiens, sont-ils perçus comme non standards ? Ce sont ces interrogations qui ont guidé notre recherche mais, au-delà, notre intérêt pour le registre familier de langue s’inscrit dans une perspective plus générale de compréhension des manifestations linguistiques non standards et, par induction, dans une réflexion sur ce qui fonde la norme, linguistique et sociale, prise comme référence. Afin d’expliquer les phénomènes linguistiques et extralinguistiques sousjacents à ces faits de variation, nous avons centré notre étude sur un corpus de 410 termes dotés de la marque lexicographique FAM., dans le Nouveau Petit Robert. Nous postulons, en effet, que les dictionnaires généralistes, par le système de marquage des entrées qu’ils utilisent, rendent compte de la diversité des usages et des jugements portés sur eux. L’outil dictionnairique présente alors toutes les composantes susceptibles de répondre aux questions que nous nous sommes posées : − un échantillon de la langue commune : représentée par la nomenclature, − un échantillon de la langue standard : les entrées non marquées, − une formalisation des registres de langue : les entrées affublées de marques d’usage, − et, plus précisément, une formalisation du registre familier : les entrées marquées FAM. Cette catégorisation dictionnairique des termes constitue le matériau sur lequel s’est construite notre recherche, entièrement focalisée donc sur la dimension lexicale du registre familier, à l’exclusion des réalisations phonétiques et des constructions grammaticales familières. Introduction 11 L’objectif principal est d’isoler les facteurs qui permettent d’établir un clivage entre des termes « non marqués » et des termes marqués FAM., c’est-àdire de dégager les critères d’attribution de la marque FAM. délimitant, dans la pratique lexicographique, le registre familier. En d’autres termes, il s’agit de révéler les mécanismes linguistiques qui conditionnent a priori le caractère non conventionnel des usages jugés agrestes vs polis, voire policés. C’est pourquoi, et bien que, traditionnellement, les études sur les notions de registres ou niveaux de langue consistent à mettre en évidence la causalité sociale de la variation linguistique, nous avons privilégié le point de vue inverse en interrogeant la causalité linguistique dans le changement de positionnement social : le cadre situationnel de la relation familière autorisant, ou non, l’emploi du registre familier de langue et réciproquement. Nous avons donc centré l’étude sur les raisons internes à la langue qui favorisent, induisent ou reflètent les incidences sociales de la familiarité, que l’on reconnaît comme une réduction de la distance interlocutive. La présente thèse est organisée en cinq chapitres. 1. Différenciations lexicales, de la lexicographie à la sociolinguistique À partir d’une analyse des préfaces de dictionnaires historiques et de dictionnaires plus actuels, nous avons rappelé le cadre de l’activité lexicographique contemporaine et son inscription dans une tradition normative et didactique. L’examen des contraintes (matérielles ou idéologiques) qui pèsent sur l’édification de la nomenclature a permis de dresser les contours de la langue « décrite » par les dictionnaires et d’obtenir, pour la présente étude, une représentation de la langue commune. Nous avons ensuite concentré notre attention sur le système des marques d’usage. L’observation des gloses qu’en font les lexicographes a montré l’absence de concepts opératoires dans leur définition et le manque de cohérence de leur distribution. Ces constats permettent alors de les interpréter essentiellement comme le produit d’une opposition binaire marqué/non marqué, standard/non standard, norme/registre. Aussi, les critères d’attribution restent à définir, notamment pour les marques à forte implication sociale (FAM., POP. et ARG.). Cela nous a conduit à interroger plus précisément les notions de registre et de niveau de langue, au regard des théories dominantes. L’état des lieux fait apparaître deux conceptions antagonistes, l’une fondée sur un étagement du lexique en fonction de critères « qualitatifs », l’autre sur un continuum à partir 12 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER du degré de « disponibilité » des termes. C’est cette dernière conception qui a soutenu notre réflexion dans les chapitres suivants. 2. FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation Dans ce chapitre, nous avons mis en perspective les liens unissant la marque FAM., la notion de familiarité et celle de registre familier. À partir des définitions lexicographiques, nous avons dégagé l’ambiguïté du terme familier en tant qu’il peut désigner ce qui est habituel, naturel, quotidien et, parallèlement, ce qui est impoli, désinvolte, proscrit. Le caractère ambigu de ce terme faisant écho à la familiarité sociale. En effet, les règles qui font le jeu social imposent une certaine retenue des interlocuteurs dans l’interaction, retenue que la relation familière engage à franchir. Dès lors, nous avons considéré que l’emploi des termes familiers réduit la « distance interlocutive » ; la marque lexicographique FAM. étant l’avertisseur de cette réduction. Nous avons ensuite présenté et discuté les principales pistes interprétatives de la familiarité, celles issues, notamment, de la sociolinguistique et de la stylistique. L’examen de ces conceptions nous a permis de proposer les hypothèses nécessaires au traitement de notre question, notamment à partir de la dimension expressive que nous reconnaissons au registre familier. Puis, l’édification du corpus sur lequel l’analyse est fondée a été détaillée. Ce corpus est constitué de 410 entrées issues du Nouveau Petit Robert, dans sa version électrique 2.1. L’analyse est limitée aux seuls lexèmes verbaux car nous postulons qu’ils sont la catégorie grammaticale la plus à même de rendre compte des rapports entretenus entre le « je » et le « tu » en discours et, de ce fait même, de manifester la réduction de la distance interlocutive. L’intégralité du corpus, présentée en annexe 1, indique, outre l’entrée, la catégorie grammaticale, la marque d’usage et la définition des 410 items étudiés. Enfin, dans ce même chapitre, nous avons exposé les méthodes d’observation à l’aide desquelles le corpus a été étudié, les résultats de ces observations étant exposés dans les trois chapitres suivants. 3. Du lexique marqué FAM. à l’ « effet familier » L’objectif principal de ce chapitre a été de préciser les contours que les dictionnaires donnent au lexique familier. Nous avons, dans une première partie, effectué une comparaison des termes de notre corpus, avec ceux de deux dictionnaires, le Petit Larousse 2001 et le Petit Robert 1977, nous permettant Introduction 13 d’adopter un point de vue synchronique et diachronique sur l’attribution de la marque FAM. (ces données sont regroupées en annexe 2 : Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PL 2001, et annexe 3 : Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PR 1977). Les différences de catégorisation et les évolutions relevées, au moyen des marques ARG., POP. et FAM., nous ont amenée, dans une seconde partie, à tracer les frontières qui peuvent être établies entre le lexique familier, populaire et argotique. Nous avons alors proposé une modélisation de la diversité des usages tenant compte des dimensions diastratique et diaphasique, diachronique et synchronique et de celle de spécialisation des termes ; notre conception de l’organisation du lexique impliquant en effet de dissocier les « faits populaires » diastratiques, en langue, avec des « effets familiers », diaphasiques en discours. 4. Propriétés formelles et effet familier Au chapitre 4, nous avons observé les propriétés formelles des items de notre corpus, afin d’en extraire les caractéristiques, alors susceptibles d’être à la source d’un effet familier. Nous avons séparé les « mots simples » des « mots construits » et analysé ces derniers dans la perspective de la morphologie lexicale afin de mettre au jour les processus lexicaux spécifiques à notre corpus. Les caractéristiques retenues comme « critères » formels favorisant, potentiellement, l’attribution de la marque FAM. concernent essentiellement les phénomènes d’affixation, les constructions à partir de sens tropiques et les incidences de la substance phonique. L’examen de ces propriétés formelles a mis en lumière le rôle joué par les lexèmes familiers dans la réduction des « coûts » linguistique et, plus largement, nous a permis d’engager une réflexion autour des questions de connotation et de préciser certains aspects liés à la familiarité, par le prisme de la péjoration principalement. 5. Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale Le dernier chapitre est fondé sur l’observation des définitions dictionnairiques et a pour but d’approfondir l’étude sémantique des termes familiers. Nous avons dressé une typologie des items de notre corpus à partir des différentes modalités définitoires utilisées pour les gloser (les types et les items leur correspondant figurent en annexe 4 : Répartition des entrées dictionnairiques en fonction des types de définition observés). Nous avons envisagé ces types comme autant de liens spécifiques que le lexicographe 14 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER établit entre le lexique non standard (les entrées FAM.) et le lexique standard (les définitions) : par synonymie, hyponymie ou par périphrase explicative. De ces observations nous avons déduit que les verbes familiers avaient un statut sémio-sémantique particulier qui dépasse largement la stricte interprétation connotative du registre de langue en ce qu’ils se révèlent être des unités lexicales venant combler des « vides » laissés par la langue standard, assurant alors un rôle pleinement fonctionnel au sein du système. Une conclusion synthétise les « régularités » issues des différents types d’observation mis en œuvre lors de l’examen de notre corpus, régularités qui peuvent être vues comme autant de critères qui favorisent la familiarité lexicale et qui, par induction, informent quant aux mécanismes qui soustendent un usage plus standard de la langue. Enfin, au terme de ce volume figure la liste des références bibliographiques mentionnées et des lectures effectuées afin de mener à bien cette recherche, les annexes précédemment signalées ainsi que les index répertoriant les auteurs cités et les principales notions dont il est fait usage dans cette étude. CHAPITRE 1 DIFFÉRENCIATIONS LEXICALES : DE LA LEXICOGRAPHIE À LA SOCIOLINGUISTIQUE ________ Lorsqu’un locuteur cherche à savoir si un mot est familier ou non, il fait d’abord appel à sa propre intuition linguistique, mais en dernier ressort il ouvrira un dictionnaire et regardera si l’entrée en question est suivie ou non de la marque d’usage FAM. C’est le seul outil dont il dispose pour confirmer son sentiment linguistique en matière d’usage non standard. C’est pourquoi, nous l’avons choisi comme référence à l’étude de la familiarité lexicale, à travers l’utilisation de la marque d’usage FAM. Il s’agit de définir la norme dictionnairique à partir de laquelle vont être évalués les différents usages de la langue. Cette différenciation est formalisée par un système de codification, qui use de marques de diverse nature. Si certaines d’entre elles répondent à des critères plus ou moins descriptifs (archaïsmes, régionalismes, anglicismes, etc.), d’autres relèvent de jugements linguistiques et sociaux qui complexifient la justification de leur attribution. C’est le cas des usages familiers pour lesquels les conditions de marquage ne sont pas objectivables. Par conséquent, l’étude de la familiarité passe nécessairement par l’examen des approches stylistiques et sociolinguistiques de la variation lexicale. Dans un premier temps, nous rappelons les principes généraux guidant les pratiques lexicographiques afin de comprendre les contours et les limites de « la langue du dictionnaire ». Dans un second temps, nous examinons de façon plus minutieuse le système d’attribution des marques d’usage permettant de différencier des entrées « marquées » de celles qui ne le sont pas. Nous nous intéressons, dans un troisième temps, à ce qui fonde les notions de registres et niveaux de langue. 16 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nos analyses s’appuient, pour les deux premières partie de ce chapitre (§ 1.1 et § 1.2), sur les préfaces des dictionnaires. En effet, ces textes de présentation dans lesquels les auteurs dévoilent leurs intentions éditoriales « fondent le rapport entre la légitimité politico-sociale de l’auteur et la légitimité linguistique de l’objet »2. Nous nous sommes référée aux dictionnaires les plus usités et les plus reconnus3, et ce d’autant plus que leurs auteurs ou collaborateurs (Jean Dubois, Alain Rey, Josette Rey-Debove, René Lagane, Jean-Marie Klinkenberg, Paul Imbs, Louis Gilbert, pour ne citer que certains d’entre eux) ont beaucoup écrit sur leurs pratiques, les confrontant aux théories linguistiques. 1.1. DICTIONNAIRES, DESCRIPTION, PRESCRIPTION ET NOMENCLATURE Dans une réflexion plus générale sur la notion d’usage, le rappel des conditions de l’activité lexicographique permet de percevoir les limites de l’objet « langue » présenté par le dictionnaire. Il convient donc d’analyser les discours lexicographiques afin de déterminer les critères qui sous-tendent les choix des lexicographes pour l’édification d’une nomenclature. Il s’agit de comprendre comment le lexicographe négocie le compromis entre, d’une part, l’attestation d’une langue vivante et contemporaine et ses multiples usages et, d’autre part, l’image unifiée d’une langue close, contrainte par les limites physiques et idéologiques de l’objet dictionnaire. Et c’est bien le principal paradoxe qui rend toute entreprise lexicographique, par essence, imparfaite : figer une réalité mouvante. L’objectif est de montrer que, contrairement aux représentations des utilisateurs, le dictionnaire ne rend pas compte de la langue de la communauté dans son exhaustivité mais seulement d’un état de langue, c’est-à-dire de certains de ses usages. Pour ce faire, nous sommes revenue sur les conditions d’élaboration des dictionnaires. Nous avons retracé l’évolution historique de la conception lexicographique de la « langue commune » et de ses incidences sur la sélection des usages de la langue retenus. Ensuite, nous avons détaillé les contraintes éditoriales, méthodologiques et économiques dont dépend l’établissement de la macrostructure d’un dictionnaire. Enfin, nous avons analysé les rôles et MAZIERE F., « Le dictionnaire déshabillé par ses préfaces », Lexique, n° 3, 1985, p. 33. Dictionnaire de l’Académie française, 1986-1990, préface 1e édition ; Littré, 1990, préface juin 1877 ; Grand Robert de la langue française, 1985 (GR ) ; Grand Larousse de la langue française, 1971 (GL ) ; Trésor de la langue française informatisé, préface 1971 (TLF ) ; Petit Robert, 1977 et 2002 (PR 77 et PR 2002) ; Petit Larousse, 1975 et 2001 (PL 75 et PL 2001) ; Dictionnaire du français contemporain, 1971 (DFC ). 2 3 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 17 fonctions du dictionnaire qui correspondent aux attentes des utilisateurs, et leurs conséquences pour le discours lexicographique. 1.1.1. « Langue commune » et dictionnaires 1.1.1.1. Un ouvrage de référence normatif Le dictionnaire monolingue est un objet familier à tous et toutes. La plupart des familles en possède un, c’est même parfois l’unique livre de la maison. On ne considère pas qu’il faille en changer souvent, cependant si on en acquiert un exemplaire nouveau, on conserve l’ancien ou on le donne. Le dictionnaire est rarement jeté. Une étude réalisée auprès de locuteurs francophones sur les représentations des dictionnaires4 montre qu’il est des ouvrages qui jouissent d’un statut très particulier, un peu comme un livre sacré. Pour preuve, l’article défini employé systématiquement pour le désigner qui lui confère une image quelque peu mythique : on dira je vais chercher dans LE dictionnaire, alors que l’on a recours à un dictionnaire particulier, celui que l’on possède. Ce statut spécifique accordé au dictionnaire est principalement lié à son mode d’utilisation, la consultation : la lecture du dictionnaire est ponctuelle et circonscrite à un ou plusieurs mots. On ne lit pas le dictionnaire de bout en bout. On peut sans cesse s’y référer, sans jamais en épuiser les ressources. Mais ce qui donne ce caractère d’exception au dictionnaire, c’est surtout la représentation que ses utilisateurs en ont. Le dictionnaire est considéré comme LA référence en matière de langue, que l’on vérifie l’orthographe d’un mot ou que l’on examine une définition. Par l’acte même de consultation, l’utilisateur du dictionnaire donne et reconnaît une autorité à l’objet dictionnaire. Ce dernier fait alors figure de gardien de la loi, il est le représentant de l’orthodoxie langagière : en cas d’hésitation, c’est le dictionnaire qui fait foi. On cherche confirmation dans le dictionnaire de la représentation dichotomique que l’on a de la langue : français vs pas français, correct vs incorrect, acceptable vs inacceptable, bien orthographié vs mal orthographié. L’usage que l’on fait du dictionnaire lui confère le rang d’objet éminemment normatif. Dans son utilisation quotidienne, il remplit pleinement un rôle de garant de la norme, sans que ses utilisateurs en aient toujours pleinement conscience (« ça n’existe pas, ce n’est pas dans le dictionnaire »), sans que ne soit remise en question « sa » vérité. 4 COMBESSIE J.-C., « Le dictionnaire : usages sociaux et qualités de la langue. Contribution sociologique à un débat », in ELOY J.-M., La qualité de la langue ? Le cas du français, Paris, Champion, 1995, p. 127. 18 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Pourtant, la liste d’entrées constituant la nomenclature d’un dictionnaire ne peut matériellement pas prétendre représenter une langue, la langue, dans tous ses usages attestés ou potentiels, donc elle ne retient que certains d’entre eux, selon certaines conditions. En effet, loin d’être le reflet de toutes les potentialités d’une langue, le dictionnaire se limite à une (ou plusieurs) variété(s) choisie(s), que l’on appelle ordinairement – et à tort – la « langue commune ». La première tâche du lexicographe est de recenser les mots d’une langue, telle qu’il la conçoit au moment de la conception de l’ouvrage. Cette entreprise d’inventaire des unités fait l’objet de décisions et de justifications. Le lexicographe opère un tri dans le lexique de la langue afin d’édifier la nomenclature qui désigne une représentation empirique de ce lexique, sous la forme d’une liste de mots ordonnés alphabétiquement. Il ne s’agit pas de conserver toutes les potentialités lexicales de la langue, mais plutôt de trier, analyser, reformuler, écarter ou conserver les occurrences dans les énoncés produits dans la société. Ce répertoire peut être considéré comme un état de langue, l’archive des usages collectifs ; les usages peuvent être définis comme « habitudes de discours à décrire et circonscrire dans un lieu et un temps concrets »5. La nomenclature du dictionnaire doit être comprise comme un discours institutionnel, clos sur lui-même (chaque mot utilisé dans une définition doit lui-même faire l’objet d’une entrée dictionnairique) et qui normalise une liste finie d’éléments dans l’ensemble non fini du lexique. 1.1.1.2. Les évolutions macrostructurelles L’objectif principal d’un dictionnaire est de répertorier un ensemble d’usages que l’on s’accorde à reconnaître comme constitutifs de la langue à décrire. Or, la pratique lexicographique a évolué en même temps que la notion d’usage. Jusqu’à la seconde moitié du XVIIe siècle, le terme d’usage regroupe « tous les emplois réels d’un certain degré de généralité que les auteurs peuvent inventorier. Ainsi se trouvent a priori éliminés les usages particuliers ou exceptionnels (anciens, marginaux ou individuels) »6. La langue décrite par les dictionnaires est donc celle en usage dans un certain cercle de locuteurs (celui des auteurs) et elle est essentiellement fondée sur le caractère collectif de l’emploi du vocabulaire, dans une présentation synchronique des faits de langue. Le dictionnaire explique les mots à la manière de l’usage qui en est fait TOURNIER M., « Des dictionnaires « de langue » aux inventaires d’usages », Études de linguistique appliquée, n° 85/86, 1992, p. 56. 6 QUEMADA B., Les dictionnaires du français moderne 1539-1863 : étude sur leur histoire, leurs types, leurs méthodes, Paris, Didier, 1968, p. 192. 5 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 19 dans un milieu de référence, et y reflète les significations qu’on y attache ordinairement. Cette conception de la langue dictionnairique ne cessera d’évoluer jusqu’à nos dictionnaires contemporains qui considèrent les usages (au pluriel) reflétant alors les habitudes linguistiques, dans leur grande diversité. 1.1.1.2.1. Le Dictionnaire de l’Académie, langue de Cour Les premiers dictionnaires, qui voient le jour au XVIIe siècle, servent de base à la tradition lexicographique moderne. Un tournant est pris : le dictionnaire ne doit plus traduire des signes linguistiques mais les décrire. « Le dictionnaire moderne doit donc comparer, illustrer, graduer. Culturellement, le dictionnaire devient l’objet d’une mission : par le truchement des mots, l’usager, le lecteur, doit pouvoir se référer à un usage sociolinguistique (comment parler), ou normatif (comment bien parler), et cognitif (comment apprendre) »7. Trois ouvrages fondamentaux sont et resteront de véritables modèles lexicographiques, le Dictionnaire français de Richelet (1680), le Dictionnaire universel de Furetière (1690) et le célèbre Dictionnaire de l’Académie française (1694). La finalité de ce dernier, pour le prendre en exemple, est de représenter l’état d’excellence de la langue française, en se fondant pour cela sur deux instances : l’instance imaginaire d’une langue idéale de référence, et l’instance contemporaine (le siècle de Louis XIV, appelé « le siècle le plus florissant pour la langue française »). Les recommandations de Richelieu auprès de l’Académie sont claires : « nettoyer la langue des ordures qu’elle avait contractées ou dans la bouche du peuple ou dans la foule du Palais et dans les impuretés de la chicane, ou par les mauvais usages des courtisans ignorants, par l’abus de ceux qui la corrompent en l’écrivant… pour cet effet, il serait bon d’établir un usage certain des mots »8. L’Académie fixe, au moyen de son dictionnaire, le bon usage de ce que l’on nomme alors – abusivement – la langue commune, que l’on doit comprendre comme le produit d’un compromis entre la Cour et les Lettres. Ainsi, dans sa préface, les locuteurs de référence sont désignés comme les « honnêtes gens », fins lettrés nourris par les « Poètes et bons auteurs », reconnus par la Cour. Le dictionnaire de l’Académie participe à un mouvement, celui de l’élaboration de la norme lexicale, qui correspond à une fixation du français et à l’affirmation d’un pouvoir centralisateur. Cette langue commune est propre à une minorité proche du pouvoir et elle est appelée à devenir la langue de la Nation dont le roi GAUDIN F., GUESPIN L., Initiation à la lexicologie française, Bruxelles, Duculot, 2000, p. 41. Cité par COLLINOT A., MAZIERE F., Un prêt à parler : le dictionnaire, Paris, P.U.F., 1997, p. 17. 7 8 20 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER et sa Cour représentent le locuteur idéal, selon la formule : « un roi, une langue, un dictionnaire ». Au lieu d’accumuler, puis de distinguer, les faits de langue, le dictionnaire de l’Académie opèrera une sélection préalable et exclura de sa nomenclature tous les mots qui ne correspondent pas à sa conception de l’usage. L’avènement des sciences du langage, dès le XIXe siècle, permet à cette conception esthétique de la langue, qui relève du jugement de valeur, d’évoluer. Les dictionnaires s’en feront l’écho. 1.1.1.2.2. Le Littré, langue d’Histoire Il n’est alors plus question de circonscrire l’étendue d’une langue à une pratique langagière, quelle soit aristocratique ou bourgeoise. Les nomenclatures des dictionnaires construisent un autre objet : la langue comme produit de l’histoire. « Il ne s’agit plus de délimiter le lexique d’une langue dans un espace social, mais d’en mesurer l’étendue dans le temps »9. C’est alors que l’on voit apparaître dans les dictionnaires, à l’instar du Dictionnaire de la langue française d’Émile Littré (1863), des mots de la langue populaire, technique ou scientifique, pour peu qu’ils servent de témoins d’un passé de la langue. La nomenclature se détache quelque peu des contraintes imposées par une bienséance sociale et élargit son champ au-delà du corps de la langue usuelle constituée par l’Académie. Il s’agit de fixer la langue par référence au passé, pour assurer la permanence d’une culture, tout en prenant en compte la modernité d’une époque. Littré : « Il est impossible, on doit en convenir, qu’une langue parvenue à un point quelconque y demeure et s’y fixe. En effet, l’état social change ; des institutions s’en vont, d’autres viennent : les sciences font des découvertes ; les peuples se mêlant, mêlent leurs idiomes. » (p. 2) La langue commune est donc comprise ici comme le produit d’une évolution continue, elle n’est plus celle de l’élite mais un produit de l’histoire. Elle est langue d’un peuple, lieu de visibilité de son histoire, selon le concept unificateur : « un pays, une langue, une nation ». Le dictionnaire se fait alors témoin, mémoire collective. Bien que l’ouverture de la nomenclature du Littré soit tangible, les ambitions historiques de ce dictionnaire restent classiques : les citations auxquelles il est fait référence de façon systématique ne prennent pas en compte les auteurs contemporains et se limitent aux auteurs antérieurs à 1820. Littré : « Mon dictionnaire à moi a pour éléments fondamentaux un choix d’exemples empruntés à l’âge classique et aux temps qui l’ont précédé. » (p. 4) 9 COLLINOT A., MAZIERE F., Un prêt à parler : le dictionnaire, op. cit., p. 61. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 21 L’image d’un locuteur appartenant à l’élite s’estompe, mais il faudra attendre le début du XXe siècle pour que les dictionnaires intégrent à leur nomenclature les usages contemporains les plus usuels. 1.1.1.2.3. Le Robert, le Larousse, langue quotidienne Pierre Larousse n’a pas attendu le XXe siècle pour mettre en place des projets lexicographiques. Il dominera avec Émile Littré la seconde moitié du XIXe siècle. Mais contrairement à Littré, son œuvre s’inscrit dans la lexicographie contemporaine, celle pour laquelle le référentiel de la langue commune évolue radicalement. PL 1975 : « Résultat de la collaboration de linguistes et de spécialistes des différents secteurs de la connaissance, le Petit Larousse s’attache à rendre compte des termes qu’un homme aujourd’hui peut rencontrer dans sa vie quotidienne et dont il doit pouvoir connaître la signification et l’emploi. » Dans cette perspective, et avec le même objectif d’ouverture, Paul Robert développe le Petit Robert : PR 1977 : « Certes la recherche d’une familiarité avec la culture générale par la maîtrise des moyens d’expression reste actuelle, mais elle s’est modifiée doublement. L’humanisme universaliste a fait place à une spécialisation où la pratique sociale est essentielle. La sélection par la naissance – et l’on songe plus à l’appartenance bourgeoise qu’à une aristocratie – est combattue par la mobilité des fonctions et des rôles. (…) Il s’agit de fournir à tout lecteur les instruments de pensée et d’expression les plus élaborés : l’agriculteur, le travailleur manuel, la ménagère ou le syndicaliste ont évidemment droit aux mêmes instruments culturels que l’avocat et le médecin.» (p. XVII) La notion d’honnête homme ne coïncide plus avec celle d’élite, un mouvement de démocratisation du dictionnaire est en train de s’opérer. Les auteurs de dictionnaires considèrent que chacun-e, quel que soit son milieu social, doit avoir le même accès aux ressources linguistiques. Les dictionnaires s’attachent alors à décrire le lexique du français dans sa plus grande extension et bousculent ainsi la tradition, en accueillant la langue courante « dans tous ses états », les usages les plus habituels du français parlé ou écrit. Le Grand Larousse en a fait sa devise : « Tous les aspects de la langue, et rien que la langue ». La notion de langue commune est alors à prendre dans une dimension élargie, celle de langue commune à tous les locuteurs de la langue française. Quant au Trésor de la langue française, il est un cas à part, mi-expert, migénéraliste, une sorte de dictionnaire charnière. En effet, le TLF, héritier du Littré, veut offrir une analyse détaillée des mots du XIXe et du XXe siècle, dans une perspective philologique. Ces objectifs le conduisent à être plus restrictif que ses contemporains, mais cela ne l’empêche pas d’étendre sa nomenclature aux usages les plus divers du vocabulaire français. 22 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Poussé par un important souci démocratique et didactique, mais aussi par des facteurs économico-politiques, un marché du dictionnaire se développe alors en France, dès la seconde moitié du XXe siècle. Le dictionnaire devient un objet de grande consommation et se réduit à un volume, pour en faciliter l’acquisition autant que la manipulation. Avant 1950, les dictionnaires de français sont quasiment monopolisés par un seul éditeur, Larousse, et relèvent principalement de formules encyclopédiques ou semi-encyclopédiques. Moins de trente ans après, il existe trois nouveaux grands dictionnaires de langue (Grand Robert, Grand Larousse, TLF ), et davantage de dictionnaires en un volume qui atteignent des tirages importants. Le dictionnaire entre ainsi dans toutes les familles ; un exemplaire est même offert par certains conseils généraux à chaque élève dès son entrée en sixième. La nomenclature d’un dictionnaire signifie donc bien plus qu’il n’y paraît. Dès l’édification de sa macrostructure le dictionnaire impose au plus grand nombre (les utilisateurs) des choix socioculturels voire idéologiques. Ainsi, la nomenclature des dictionnaires s’enrichit-elle au gré des évolutions de l’édition dictionnairique, des politiques éditoriales, elles-mêmes sous-tendues par les évolutions sociales. A l’heure où toute la communauté linguistique peut prétendre à une maîtrise de la langue, la langue commune, comme objet à décrire, n’est plus le reflet d’une langue d’élite mais celui des usages les plus partagés. La norme du « bon usage » s’efface au profit de celle du plus grand nombre. Néanmoins, aucun dictionnaire ne saurait recenser l’ensemble des mots d’une langue et le lexicographe est nécessairement contraint d’opérer des choix dans le lexique à décrire, choix qui dépendent notamment d’orientations méthodologiques et théoriques (voir § 1.1.2). 1.1.2. Critères pratiques et théoriques déterminant une nomenclature 1.1.2.1. La fréquence comme critère fondamental Les dictionnaires contemporains repèrent les usages des locuteurs et évaluent la représentativité de chacun des items sur une sorte de continuum. Plus le mot est employé par la communauté linguistique, plus est élevée sa probabilité d’apparaître dans le dictionnaire, sachant que chaque mot utilisé pour la définition doit lui-même faire l’objet d’une entrée dictionnairique. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 23 NPR 2002 : « Une bonne nomenclature de dictionnaire est une structure, et non une simple liste d’entrées (…) ; quel que soit le nombre de mots, elle se construit sur un axe de fréquences, du plus courant au moins courant. Un petit dictionnaire qui traite violoncelle peut ne pas intégrer vibraphone qui est un vocable plus rare ; mais l’inverse serait absurde.» (p. XI) Une sorte d’échelle de valeurs à partir de la fréquence d’utilisation d’un mot est ainsi établie. Seul le TLF fera apparaître cet indice de fréquence comme information complémentaire dans les notices rédigées, à partir d’une information statistique extraite d’un grand ouvrage comprenant quatre fascicules réunis sous le titre de Dictionnaire alphabétique des fréquences. 1.1.2.2. Le principe d’autorité Les dictionnaires généraux s’inscrivent traditionnellement dans la continuité des grandes entreprises lexicographiques antérieures et contemporaines. L’entrée lexicographique stabilise l’occurrence d’un mot repris d’un autre dictionnaire et lui attribue ainsi une identité formelle qui lui assurera une certaine durée. Bien que novateur, le Littré poursuit la longue tradition lexicographique classique et revendique une filiation directe avec le Dictionnaire de l’Académie : Littré : « Quand en 1696 l’Académie française prit le rôle de lexicographe, elle constitua, à l’aide des dictionnaires préexistants et de ses propres recherches, le corps de la langue usuelle. Ce corps de la langue, elle l’a, comme cela devait être, reproduit dans ses éditions ultérieures, laissant tomber les mots que l’usage avait abandonnés et adoptant certains autres qui devaient à l’usage leur droit de bourgeoisie (…). Quoi qu’il en soit, ce corps de langue a été rigoureusement conservé dans mon dictionnaire ; il n’est aucun mot donné par l’Académie qui ne se trouve à son rang. » (p. 6) Le GR, bien que constituant un projet original, se dit le fruit d’un mariage entre la description alphabétique illustrée par des exemples littéraires du Littré et le dictionnaire « analogique » qui regroupe les expressions diverses d’une même idée. Il se dit également influencé par un ouvrage, pourtant controversé, La pensée et la langue de Ferdinand Brunot. Le PR s’inscrit pareillement dans les traces du Littré et signale avoir pris le Dictionnaire général comme modèle de présentation en arborescence des significations. Quant au PL 2003, il se définit comme l’héritier du Nouveau dictionnaire de la langue française de Pierre Larousse, publié en 1856. PR 1977 : « Utilisant l’immense somme de travail accumulée, sans rien perdre des principes qui ont guidé son auteur, le Petit Robert est moins l’abrégé d’un grand dictionnaire que le prolongement de l’œuvre d’un grand lexicographe. » (p. IX) 24 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER GR : « Il convient de rendre hommage au travail considérable des équipes dirigées par le regretté Louis Guilbert, par René Lagane et Georges Niobey (Larousse de langue), par Paul Imbs, puis par Bernard Quemada (Trésor de la langue française), travail dont les résultats publiés ont été critiquement, mais systématiquement consultés lors de l’élaboration du présent ouvrage. » (p. XXI) C’est pourquoi, hormis quelques exceptions qui prennent alors tout leur sens mais qui n’ont d’intérêt que pour ceux qui travaillent sur la langue, il n’y a pas d’importantes variations d’un dictionnaire à l’autre, tant dans le choix des entrées que dans leurs définitions. 1.1.2.3. Modernisation vs synchronie Si, comme nous venons de le signaler, le NPR reste fidèle au PR, il n’en est pas moins, par souci de modernisation, remanié. Le NPR est une réédition corrigée et augmentée du PR. NPR 2002 : « Ce Petit Robert est donc nouveau parce que, le français ayant profondément changé depuis les années 60, il a fallu en reprendre la description par le menu. La langue évolue de plusieurs façons ; parfois accidentellement, parfois nécessairement, puisque tout change en nous et autour de nous et qu’elle répond à nos besoins, souvent même à nos fantasmes. » (p. IX). Ce principe de modernisation est traditionnellement la règle en matière de lexicographie. Le travail, qui n’en est pas moins lourd, repose sur une amélioration bien plus que sur une création, la langue n’étant pas un objet que l’on peut prendre ex nihilo. Littré : « Ainsi, toute langue vivante, et surtout toute langue appartenant à un grand peuple et à un grand développement de civilisation, présente trois termes : un usage contemporain qui est le propre de chaque période successive ; un archaïsme qui a été lui-même autrefois un usage contemporain, et qui contient l’explication et la clef des choses subséquentes ; et, finalement, un néologisme qui, mal conduit, altère, bien conduit, développe la langue, et qui, lui aussi, sera un jour de l’archaïsme et que l’on consultera comme histoire et phase du langage. » (p. 3) Certains dictionnaires font d’autres choix théoriques, notamment celui de la synchronie : Le Dictionnaire du français contemporain veut être un essai de dictionnaire structural qui opère une rupture sociale au profit d’un alignement sur la linguistique. Dans la stricte tradition saussurienne, il entend décrire un « état de langue » qui exclut du système le changement linguistique, considéré comme fait partiel. Il s’agit de traiter le mot comme partie d’une construction et non comme unité. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 25 DFC : « Le dictionnaire doit être un instrument de travail qu’on puisse utiliser pour l’apprentissage du français. Les possibilités qu’offrent les systèmes de suffixation et de préfixation pour passer d’une construction de phrase à une autre construction, d’un verbe à un substantif, d’un substantif à un adjectif, etc. ont été mises en évidence dans cet ouvrage (…). Cette classification met en évidence l’interdépendance des sens et des formes ; aussi, le plus souvent, n’est-il pas nécessaire de définir un dérivé, qu’éclaire la valeur du suffixe (…). » (p. III) En pratique, cela se traduit par une présentation sous forme de regroupement (les dérivés étant rangés derrière le mot vedette), afin de préparer le lecteur à se servir de la morphologie et de la syntaxe comme outils opératoires. Le DFC réduit sa nomenclature sans souci des lexiques spécialisés, n’utilise pas la citation littéraire, et refuse l’étymologie, donc l’évolution, le changement de sens, au profit de la synchronie. DFC : « Le plan de l’article se fonde sur l’usage actuel du français, non sur l’histoire du mot ; on a donc écarté l’étymologie, les sens vieillis ou disparus. » (p. IV) De façon moins radicale, le PL a opté pour la synchronie dans l’édification de sa nomenclature, et privilégie l’usage, lorsqu’il est avéré, au risque de se voir reprocher trop d’indulgence à l’égard des néologismes. PL 2001 : « Un mot, une façon de dire, un emploi nouveaux ont leur place dans le Petit Larousse lorsqu’ils sont utilisés de façon répétitive, sous des plumes différentes et qu’un lecteur peut légitimement nous poser la question : comment s’écrit ce mot, et que signifie-t-il ? ». Dans ce contexte théorique, il ne sera pas surprenant de noter les signalements des formes surannées, que ces dictionnaires formalisent par la présence de la marque VX. ou VIEILLI, ou par une disparition complète du mot. 1.1.2.4. Des corpus de référence La nomenclature des dictionnaires est doublement fondée : d’une part, en référence à une tradition dictionnairique, et d’autre part, sur la base d’une objectivation des données lexicales d’où seront tirées les entrées. Autrement dit, il s’agit de puiser dans le réservoir des performances des locuteurs afin de déterminer les mots utilisés par la communauté linguistique. C’est parce que la langue des écrivains relève à la fois de ces deux principes que la tradition lexicographique la donne comme modèle permettant de discriminer les pratiques langagières. Par la fonction réflexive qu’exerce l’écrivain dans son activité d’écriture, l’attestation d’un mot dans un texte littéraire autorise le lexicographe à le convertir en une entrée lexicographique. 26 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER NPR 2002 : « [la citation littéraire] se présente comme modèle supérieur d’expression et une référence culturelle, mais aussi comme un ancrage dans le particulier et un surgissement de l’individu sur fond de stéréotypes sociaux. Le texte littéraire est le plus apte à manifester « l’expérience des limites » (…). Tous les dictionnaires de langue sont établis à partir d’un corpus de citations ». (p. XVIII) Les références classiques se verront complétées par les ouvrages littéraires les plus contemporains, mais aussi par les corpus de presse, largement utilisés comme source lexicographique. Le PL, pour sa part, s’affranchit totalement de la caution littéraire, pour revendiquer une sorte de normalité de l’opinion commune quant au sens. Selon la tradition, les dictionnaires Larousse « sont inspirés avant tout par le souci de constater l’usage, et non de le créer ». C’est pourquoi les exemples se présentent sous une forme forgée pour la circonstance par le lexicographe qui sélectionne l’emploi le plus attendu du mot, un lieu commun, un stéréotype. Cette intuition de « compétence » est en réalité utilisée par la majorité des lexicographes qui manipulent une sélection de discours rassemblés pour l’occasion. Cependant, ces discours, aussi nombreux soient-ils, ne représenteront jamais qu’une quantité dérisoire au regard de la masse indéfinie des productions langagières. Le choix se fait sur une série de facteurs, notamment l’attitude et l’idéologie des lexicographes, ainsi que la finalité sociale du dictionnaire, qui donnent à l’ouvrage ses caractères distinctifs. 1.1.2.5. Les limites des méthodes A ces critères, facteurs de détermination de la nomenclature, il faut ajouter les impositions non subjectives liées aux dépouillements, aux matériaux disponibles, aux équipes à mobiliser, aux supports matériels et administratifs, qui sont autant de contraintes inscrites dans l’exercice lexicographique. Littré : « Un dictionnaire doit être, ou, si l’on veut, ce dictionnaire est un enregistrement très-étendu des usages de la langue, enregistrement qui, avec le présent, embrasse le passé, partout où le passé jette quelque lumière sur le présent (…). Mais, même en de telles limites, l’enregistrement n’est pas complet, car il faudrait avoir tout lu la plume à la main, et je n’ai pas tout lu. » (p. 4) Les conditions de rédaction d’un dictionnaire dépendent en effet des conditions techniques et évoluent à leur gré. « On se souvient que, pour prendre corps sous leur forme « classique », les dictionnaires ont dû bénéficier, au début du XVIe siècle, des avantages de l’imprimerie et de ses conséquences économiques, sociales et culturelles. L’avènement de l’informatique et de ses circonstants socio-économiques et culturels exerce aujourd’hui une action de la même sorte Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 27 sur le devenir des travaux et produits lexicographiques »10. En ce sens, les banques de données informatiques offrent des modes de consultation plus souples et permettent une extension considérable de la documentation servant de sources. Elles permettent de copier, classer, trier, comparer, calculer, référencer, mais sont aussi limitées dans la mesure où l’on n’y trouve que ce qui a déjà été traité. De façon générale, les contraintes extérieures pèsent assez lourdement sur l’édification d’un ouvrage dictionnairique, et le lexicographe devra sans cesse trouver un équilibre entre elles et son exigence de scientificité. Dans sa préface, le TLF explique longuement comment ces conditionnements extérieurs ont été déterminants pour l’édification de sa nomenclature. TLF : « Nous avions primitivement envisagé des enregistrements et de la langue parlée et de la langue écrite, la langue parlée étant universellement et légitimement considérée comme le lieu privilégié des renouvellements de l'idiome, et, par voie de conséquence, la source principale de la langue écrite. Pour l'inventaire de celle-ci, nous ambitionnions d'autre part de recourir à des textes relativement spontanés, reflets aussi directs que possible de la langue parlée ou en tout cas attestant un nouvel usage en train de se stabiliser ou tout fraîchement établi (…). Les textes auxquels, à ce point de vue, nous pensions étaient par exemple les sténogrammes transcrits mais non encore arrangés des débats parlementaires et tous textes similaires enregistrés par sténotypie ou sur rubans magnétiques ; des textes de tout niveau de langue et de toute spécialité provenant de journaux quotidiens ou hebdomadaires, de périodiques mensuels ou trimestriels, etc. L'ambition était disproportionnée à nos moyens ou au temps dont nous disposions, même lorsque nous fûmes dotés, à partir de 1965, d'un puissant ordinateur (Bull Gamma 60) : l'ordinateur lui-même a besoin de temps, et l'on nous pressait de publier. Du moins avons-nous cherché, en choisissant les œuvres que nous pouvions lui soumettre dans un délai raisonnable, à retenir un nombre important de textes susceptibles de nous livrer une langue relativement proche de la langue parlée : journaux intimes, correspondances, mémoires, théâtre en prose, parties dialoguées des romans, poésie lyrique jusqu'à un certain point ». Suite à cet acte de résignation, l'enquête in vivo sur la langue parlée spontanée se révélant pratiquement impossible, il a fallu au TLF faire de nécessité vertu. Ainsi l’orientation lexicographique de ce dictionnaire s’est-elle tournée vers les grands auteurs et c’est la langue des écrivains qui devient un des corpus servant de référence à l’édification de sa nomenclature (voir § 1.1.2.4). La macrostructure du dictionnaire est donc en partie déterminée par des critères théoriques et pratiques relatifs au recueil des données. Si ces aspects tendent à s’assouplir avec le développement des banques de données informatisées, ils restent une contrainte matérielle difficilement réductible. Pourtant, les principes que nous venons d’exposer ne sont pas les principales limites QUEMADA B., « Bases de données informatisées et dictionnaire », Lexique, n° 2, 1983, p. 102. 10 28 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER qui guident le lexicographe dans le tri qu’il opère au sein du lexique, car le dictionnaire doit aussi et surtout répondre aux attentes de ses utilisateurs et assurer pleinement le rôle informatif et didactique qui lui est conféré. 1.1.3. Les attentes des publics Lors de l’édification de la nomenclature, le lexicographe cherche un équilibre entre ces deux représentations que les locuteurs ont du dictionnaire : l’une qui englobe, l’autre qui différencie : - il doit tenir compte des attentes des utilisateurs du dictionnaire du point de vue didactique, - il doit rendre compte d’un état de langue dans lequel chacun d’eux peut se reconnaître comme locuteur. Le lexicographe se trouve ainsi dans une situation ambivalente. 1.1.3.1. Le dictionnaire, outil didactique Comme nous l’avons évoqué précédemment, les dictionnaires du XXe siècle s’adressent à un public très étendu. Le dictionnaire est devenu un objet de consommation de masse et s’est introduit dans la plupart des foyers. Ainsi la représentation (quelque peu fantasmagorique) du locuteur idéal de la lexicographie moderne laisse place, dans les préfaces des dictionnaires les plus récents, à des images actualisées des destinataires. La particularité des dictionnaires usuels en un volume, conçus en parallèle aux grandes éditions, est de s’adresser à un public des plus élargis. Ils fournissent à tout lecteur les instruments de pensée et d’expression les plus élaborés. Ils sont destinés à l’ensemble de ceux qui, ayant acquis les bases élémentaires de la langue, visent à affermir ou perfectionner leur usage du français. PR 1977 : « Ce dictionnaire s’adresse à tous ceux à qui la langue française importe : à ceux qui désirent la connaître mieux, qu’elle soit ou non leur langue maternelle ; à ceux qui doivent s’exprimer en l’utilisant. » (p. IX) GL : « Ce dictionnaire s’adresse à tous les francophones curieux de la langue qu’ils parlent, et à tous les étrangers désireux de trouver une information précise et détaillée sur le contenu et l’emploi des termes de la langue qu’ils apprennent à parler. Sa visée est donc essentiellement didactique ; il a l’ambition de fournir une réponse à ceux qui s’interrogent sur un fait de vocabulaire ou, plus généralement, de langue. » (p. I) De par ses objectifs et la diversité des informations qu’il donne sur les mots de langue, le dictionnaire s’adresse à tous les locuteurs francophones, mais le public de l’enseignement est celui qui est privilégié, qu’il soit enseignant, élève ou apprenant. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 29 Quant au TLF, non usuel, il se distingue de tous les autres dictionnaires contemporains observés. Eu égard aux objectifs qui sont les siens, il ne se dit pas véritablement destiné au « grand public » : TLF : « Du consentement assez général d'un certain public savant (notamment d'enseignants et de chercheurs d'orientation principalement littéraire et philologique), priorité était demandée pour un dictionnaire étendu de la langue moderne. » En somme, l’objectif des utilisateurs du dictionnaire est double. D’une part, ils sont à la recherche d’un matériel pédagogique qui peut répondre à leurs interrogations sur la langue. Le dictionnaire donne des informations indiquant à ce qui appartient ou non à la langue française, ce qui relève ou non du système de la langue. L’utilisateur peut alors améliorer sa compétence lexicale (par exemple en cherchant des sens inconnus d’un terme connu) et vérifier des compétences qu’il a déjà acquises (en cherchant l’orthographe d’un mot). Le dictionnaire joue de ce fait un rôle de normalisation : il donne à savoir ce qu’est la langue et impose certaines formes ou sens au détriment d’autres. D’autre part, en vérifiant l’orthographe, l’existence d’un mot ou ses circonstances d’emploi, les utilisateurs du dictionnaire cherchent également la confirmation de la représentation dichotomique qu’ils ont de la langue (bien dit vs mal dit, correct vs incorrect, français vs pas français…), c'est-à-dire qu’ils utilisent le dictionnaire comme instance normative langagière de référence. Au-delà des compétences linguistiques, ils sont en quête d’une image de la norme conforme à la représentation qu’ils en ont. C’est alors une opération de normativisation. Les contraintes de l’utilisation didactique du dictionnaire pèsent donc sur l’édification de la nomenclature. C’est pourquoi le dictionnaire est à considérer comme un discours didactique destiné à décrire des données linguistiques et à transmettre ce que l’on définit comme des normes objectives mais aussi subjectives11. Assumant leurs rôles de références de l’usage et de l’orthographe dans les salles de classes, les dictionnaires doivent répondre à l’approbation de l’institution pédagogique. Les emplois réprouvés par l’institution scolaire Pour une présentation détaillée du concept de norme, cf. REY A., « Usages, jugements et prescriptions linguistiques », Langue française, n° 16, 1972, p. 4-28 et FRANCOIS D., « La notion de norme en linguistique : attitude descriptive, attitude prescriptive », in MARTINET J., De la théorie linguistique à l’enseignement de la langue, Paris, P.U.F., 1972, p. 153-168. Voir aussi, entre autres, HOUDEBINE A.-M., « Norme, imaginaire linguistique et phonologie du français contemporain », Le français moderne, n° 1, 1982, p. 42-51, et HOUDEBINE A.-M., « Norme et normes », Actes du colloque international de l’Université de Suceava, Suceava (Roumanie), 1999, Limbaje si communicare IV, Éditions de l’Université de Suceava, 2000, p. 205-211. D’autres références apparaîtront au fur et à mesure des besoins dans la suite du chapitre. 11 30 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER trouvent ainsi difficilement droit de cité dans un dictionnaire de langue usuel. Le dictionnaire, ouvrage institutionnel, a pour mission de véhiculer la norme de l’institution. 1.1.3.2. Le dictionnaire, moyen de cohésion sociale Corrélativement, les utilisateurs d’un dictionnaire sont en attente d’un certain type de discours qui leur permet de se reconnaître comme appartenant à la même communauté linguistique. C’est précisément ce souci de « reconnaissance » dans la communauté linguistique qui incite le Petit Larousse à enrichir sa nomenclature : PL 2001 : « La langue française appartient à ceux qui la parlent, l’écrivent et l’enrichissent de par le monde, dans les provinces de France, en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, au Québec, aux Antilles, en Océanie, dans l’océan Indien, en Afrique noire, dans de nombreux pays arabes (…) La langue française est riche de son unité mais aussi de ses variantes régionales. Si nous ne pouvions accueillir toutes ces variantes, nous leur avons consacré néanmoins une place suffisante pour que chacun, où qu’il soit, ait une relation de complicité avec son Petit Larousse. » Au fond, une grande part de ce que propose le dictionnaire est déjà connue de l’utilisateur et son intérêt réside dans cette double identification : le dictionnaire confirme la compétence de l’utilisateur (puisqu’il y trouve ce qu’il s’attend à y trouver) et, à travers le dictionnaire, il peut se reconnaître, comme appartenant à une communauté (linguistique). La reconnaissance des compétences individuelles permet la confirmation de l’appartenance au groupe, car selon la formule de Martinet « rien ne peut être reconnu comme faisant partie de la langue qui ne soit commun à plusieurs sujets »12. En d’autres termes, l’utilisateur reconnaît (légitime) la langue décrite par le dictionnaire en le consultant et, réciproquement, se reconnaît en elle. C’est en quelque sorte un phénomène d’interrelation tel que le décrit Bourdieu. « Ce qui circule sur le marché linguistique, ce n’est pas « la langue », mais des discours stylistiquement caractérisés, à la fois du côté de la production, dans la mesure où chaque locuteur se fait un idiolecte avec la langue commune, et du côté de la réception, dans la mesure où chaque récepteur contribue à produire le message qu’il perçoit et apprécie en y important tout ce qui fait son expérience singulière et collective »13. Cette conception de la langue décrite par le dictionnaire a des incidences, qui ont été mises en évidence notamment par Jean Dubois14. En premier lieu, le dictionnaire – qui se donne pour un modèle de compétence, de description de MARTINET A., Éléments de linguistique générale, Paris, Armand Colin, 1970, p. 35. BOURDIEU P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 61. 14 DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, Paris, Larousse, 1971. 12 13 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 31 la langue elle-même – est une description de certaines des performances verbales des sujets de la communauté linguistique. En second lieu, et c’est sans doute le plus important pour ce qui nous occupe, il informe sur les attitudes de ces sujets à l’égard des divers types de comportements verbaux. En effet, ses utilisateurs doivent y trouver confirmation de leurs jugements d’acceptabilité définissant leur appartenance à un groupe, et en cela ils créent la norme15. Si le mot recherché n’est pas dans le dictionnaire, il ne sera pas reconnu par les utilisateurs comme légitime (selon la formule : « ce n’est pas français puisque ce n’est pas dans le dictionnaire »). La légitimation de formes linguistiques implique leur normalisation et, corrélativement, l’irrégularité de certaines autres. C’est l’un des résultats majeurs qui résulte de l’enquête sur les représentations et les usages sociaux du dictionnaire, réalisée par Jean Claude Combessie qui parle de « double pouvoir » de la langue, car « la langue signe l’appartenance et dans un même acte trace la frontière, exclut, distingue »16. Par la langue, comprise comme moyen symbolique de distinction, tout groupe social peut se distinguer des autres, tout en s’identifiant lui-même. Ainsi le dictionnaire permet-il la réalisation d’un triple pari : se reconnaître soi-même, reconnaître l’autre et être reconnu. La langue du dictionnaire constitue le cadre de référence dans lequel le comportement de l’individu évolue et arrive à s’imposer. C’est donc précisément parce que la langue présentée par le dictionnaire constitue une norme, régulateur linguistique et culturel qui marque les limites d’une communauté, parce qu’elle inclut en même temps qu’elle exclut, que les utilisateurs s’y conforment. En cela, le dictionnaire répond aux lois propres au discours didactique liées à la normalisation et à la convention sociale. 1.1.3.3. Le dictionnaire, produit économique D’autres types de facteurs pèsent sur l’édification d’une nomenclature. Ils sont strictement économiques et liés à la réalité commerciale de l’objet dictionnaire. Pierre Corbin17 qui s’est intéressé à ce « commerce des mots » a minutieusement décrit les divers aspects de la commercialisation des dictionnaires. Les stratégies de marketing qui régissent l’industrie lexicographique, loin de se limiter aux conditions d’édition, se répercutent REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique des dictionnaires français contemporains, The Hague, Mouton, 1971, p. 15. 16 COMBESSIE J.-C., « Le dictionnaire : usages sociaux et qualités de la langue. Contribution sociologique à un débat », op. cit., p. 124. 17 CORBIN P., « Le monde étrange des dictionnaires : le commerce des mots », Lexique, n° 3, 1984, p. 65-124. 15 32 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER également sur les pratiques lexicographiques. Aujourd’hui, les dictionnaires appartiennent à un marché fortement concurrentiel et représentent des investissements importants, ce qui n’est pas sans contraindre leurs auteurs. Les utilisateurs du dictionnaire n’hésitent pas à faire part de leurs exigences vis-à-vis des équipes lexicographiques, pour satisfaire tous leurs besoins : PL 2001 : « Nous avons été sensibles aux demandes de nombreux cruciverbistes et autres amateurs de jeux de lettres et avons rétabli pour eux, certains mots supprimés au cours des dernières années : nous ne pouvons ignorer la fonction ludique du langage. » Si ces enjeux font sourire, on peut s’inquiéter des dérives liées à l’adoption d’une attitude de plus en plus clientéliste pour faire face aux lois du marché. Le dictionnaire devenant un produit de grande consommation, il devra sans doute en assumer la contrepartie et répondre aux demandes des lecteurs-clients. Dans une perspective non marchande, Alain Rey a fait les frais, en 2006, de ce que l’on peut considérer comme une conséquence de l’appropriation collective de l’objet dictionnaire, qui devient un véritable enjeu social. Une vive polémique l’opposa au CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) à propos du traitement des mots colonisation et coloniser dans le PR 2007. Les associations dénonçaient les définitions jugées « positives » présentées par le PR 18, notamment l’énoncé « coloniser un pays pour le mettre en valeur, en exploiter les richesses ». Une véritable joute verbale par presse interposée s’ensuivit : Alain Rey renvoyant les associations à la lecture, dans son dictionnaire, de la définition de valeur et mise en valeur, et à la dimension économique de ces notions – pas nécessairement positives –, et Patrick Lozes, du CRAN, réclamant le retrait de l’ouvrage dans toutes ses éditions, et dans toutes les librairies. Finalement, face aux pressions et aux incompréhensions, Alain Rey admit la possibilité d’échanger, dans la prochaine version du PR, son exemple dans l’entrée coloniser par une citation d’Aimé Césaire19, tirée du Discours sur le colonialisme. Cette polémique confirme l’importance de la projection d’un public cible dans l’édification des nomenclatures. Le contenu du dictionnaire doit être en cohérence avec les attentes de ses destinataires afin de répondre à leurs besoins didactiques et d’identification socioculturelle. La langue décrite ne représente pas tous Pour un détail de la polémique, lire les articles de Libération (5 et 7 septembre 2006), Le Figaro (8 septembre 2006) et Le Monde (21 septembre 2006). Voir aussi le dossier présenté sur le blog Technologie du langage de Jean Véronis (http://aixtal.blogspot.com/2006/09/lexique18 colonisation.html) et le site du CRAN (http://www.lecran.org). La citation choisie est tirée de son discours de 1950 sur le colonialisme, il compare la colonisation à une chosification. Cette citation – qui apparaissait auparavant à l'article sur la "chosification" – fait partie du millier de citations d'auteurs introduites dans le dictionnaire dans le cadre de la refonte du Petit Robert. 19 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 33 les usages de la langue mais seulement les plus attendus. En cela, elle est nécessairement un état de langue normé et, bien que la notion de « bon usage » ait évolué, elle perdure sous une forme démocratisée dans la conception contemporaine. Cela n’est pas sans conséquences sur les données que le dictionnaire va présenter tant d’un point de vue macrostructurel que microstructurel. 1.1.4. Le lexicographe, locuteur et citoyen idéal Le discours lexicographique répond à une double exigence, prescriptive et stéréotypique. 1.1.4.1. Un outil prescriptif Lors de l’édification d’une nomenclature, le lexicographe est préoccupé par un souci d’exhaustivité lexicale, car il voudrait, d’une part, confirmer le savoir du lecteur qui serait déçu de ne pas retrouver « ses mots à lui » et, d’autre part, informer ce même lecteur sur les termes d’un lexique qui lui serait étranger. L’utilisateur du dictionnaire est donc pressenti, de façon ambiguë, comme familier du terrain de sa langue, et comme étranger d’autres territoires de la langue. Ce positionnement équivoque reflète la distinction entre le savoir de l’utilisateur (la langue de tous les jours) et celui du lexicographe (la langue écrite, légitime, pour laquelle on utilise le dictionnaire). La nomenclature doit combler ce vide, en ce qu’elle doit être un discours qui enseigne un savoir sur la langue que ne possède pas le locuteur non spécialiste. Le lexicographe, alors porteur d’un discours éminemment didactique, doit assumer le rôle de « maître ». « Un bon lexicographe est le meilleur instituteur que pût avoir le genre humain »20, et il doit donc en présenter toutes les compétences, être une sorte de locuteur référent, de locuteur idéal, de « souverain juge »21 : GL : « Les auteurs de ce dictionnaire se sont forgé un modèle de francophone cultivé : il est non seulement celui qui écoute la radio et regarde la télévision, mais aussi celui qui lit un ou plusieurs journaux quotidiens et hebdomadaires, celui qui est abonné à une revue non spécialisée ou spécialisée, celui aussi qui suit une chronique de langage dans un journal ; il est celui qui assiste à des spectacles, télévisés ou sur scène, va au cinéma ; il est celui qui assiste à des congrès, suit de près ou de loin les multiples réunions où s’exprime la vie sociale (…). Le francophone cultivé est, par ailleurs, celui qui s’adonne à la lecture pour son 20 Bescherelle, cité par GRIMALDI E., « La formulation de la norme dans les préfaces des grands dictionnaires de la langue française du XIXe siècle », Langues et langages : encyclopédies et dictionnaires français, n° 3, 1993, p. 123-139. 21 BUZON C., « Au sujet de quelques dictionnaires monolingues français à l’école élémentaire : compte rendu d’enquête », Études de linguistique appliquée, n° 49, 1983, p. 147. 34 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER plaisir ou pour acquérir des connaissances ; il lit des œuvres littéraires modernes ou classiques, des ouvrages scientifiques ou de vulgarisation scientifique.» (p. I) Alain Rey le précise dans la préface du GR (p. XXI), le lexicographe n’est pas une seule personne, mais une équipe plurielle, chacun apportant sa propre expérience, donnant la préférence à son usage propre parmi les usages, à sa norme parmi les normes. Reste cependant que le discours attribué au dictionnaire est ressenti par les utilisateurs comme celui d’un « superlocuteur », et que les réponses qu’il fournit seront comprises comme des sortes « d’oracles » auxquels les lecteurs vont se conformer. Puisque le dictionnaire doit enseigner, alors l’information donnée par le dictionnaire devient un ordre à exécuter 22 (« ça s’écrit comme ça, puisque c’est le dico qui le dit », « ça ne se dit pas, ce n’est pas dans le dictionnaire »). TLF : « Il demeure cependant que toute communication élaborée vise à l'audience et à l'adhésion du destinataire. Les exemples, en même temps qu'ils sont des preuves, sont aussi des modèles possibles d'énoncés analogues ; les précisions sur les conditions d'emploi sont aussi des limitations contraignantes à la liberté d'emploi ; les définitions sont une incitation à la réflexion de l'usager (locuteur ou scripteur) de la langue pour qu'à son tour, à l'imitation du lexicographe et si possible mieux que lui, il se pénètre de l'idée qu'une langue est un système dont les éléments se font équilibre. » En d’autres termes, la parole du lexicographe se confond avec celle du dictionnaire (« le dictionnaire dit que… ») et le sujet de l’énoncé de la phrase se confond avec la langue, c'est-à-dire la loi. Le dictionnaire devient un discours éminemment prescriptif, c’est-à-dire impératif, pour combler l’écart entre le savoir de l’utilisateur du dictionnaire et celui du lexicographe. La consultation du dictionnaire devient un acte d’imposition (volontaire de la part de l’utilisateur) de la langue décrite par le dictionnaire. 1.1.4.2. Dictionnaire et doxa 23 Le lexicographe doit assumer sa position ambivalente. Il est à la fois observateur, il compile les informations, scrute les pratiques langagières, et acteur, il décide des critères qui conditionnent les « entrées » de son dictionnaire. Le locuteur-lexicographe est le porte-parole d’une classe d’individus dont il est lui-même membre. Il est à la fois dans la langue et dans la culture, et en dehors de celles-ci par son activité d’observateur des pratiques langagières communes à son milieu. DUBOIS J., « Dictionnaire et discours didactique », Langages, n° 19, 1970, p. 41. Au sens de Barthes qui renvoie à « l’opinion publique, l’esprit majoritaire, le consensus petitbourgeois, la voix du naturel, la violence du préjugé », BARTHES R., Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 251. 22 23 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 35 GR 1985 « Aucun lexicographe n’a pu jusqu’alors opérer un tri dans le vocabulaire scientifique et technique autrement que par référence à un type idéal qui le définit le plus souvent par transposition du niveau de culture qui lui est propre ou qui est commun à une équipe d’amis et d’informateurs». Les choix arbitraires opérés par les lexicographes représentent un compromis entre le vocabulaire plutôt exhaustif du spécialiste et le vocabulaire limité du « locuteur lambda » (ou du public-cible). Le dictionnaire n’est pas un magnétophone, selon l’expression d’Alain Rey, et doit certes retenir les emplois les plus fréquents mais également ceux susceptibles de servir de modèles. NPR 2002 : « Les exemples du lexicographe sont au contraire des énoncés tout prêts qui sont inscrits dans sa mémoire, ce sont les phrases qu’il a lues ou entendues le plus fréquemment. Et cette grande fréquence sélectionne l’emploi le plus attendu du mot, un lieu commun dans un sens non péjoratif, aujourd’hui nommé stéréotype. L’ensemble des exemples d’un dictionnaire n’est autre que ce qui se dit le plus souvent à une époque donnée dans une langue donnée. La somme de ces exemples et notamment la phraséologie fixe pour nous et notre postérité un état présent de la société, de ses préoccupations et de ses valeurs. » (p. XVII) Le dictionnaire rend compte d’une vision stéréotypique, consensuelle, de l’univers des locuteurs. Ainsi, le discours lexicographique est-il le reflet d’un locuteur idéal derrière lequel se cache le lexicographe, qui ne décrit pas la langue et le monde, mais ce que l’on dit de la langue et du monde24. Le savoir sur le monde que communique le dictionnaire ne se confond pas avec le monde lui-même, c’est en quelque sorte une épistémè 25. Les énoncés produit par la société sont analysés, reformulés, travaillés, triés, au regard de la norme linguistique et culturelle, puis retransmis. Le dictionnaire sert à transmettre des valeurs communautaires et une conception particulière du monde. PL 77 : « Certains articles font l’objet de développements encyclopédiques particuliers, leçons de mots et leçons de choses étant ici réunies pour que nous nous comprenions mieux dans une large communauté langagière et que le dictionnaire soit un lieu de découverte du monde ou de la représentation que nous en avons, qui est également culturelle » (Préface, page non numérotée). PL 77 : « Un dictionnaire de qualité doit nous dire le bon usage, mais aussi nous renvoyer l’image que nous avons de nous-mêmes et du monde. » PL 2001 : « Aujourd’hui comme hier, le Petit Larousse propose à ceux qui ont la langue française en partage, un savoir citoyen. » La norme linguistique, véhiculée par le dictionnaire, devient un des facteurs fondamentaux de structuration sociale. La langue s’impose à ceux qui en font usage comme un code social et, à ce titre, elle reflète l’organisation de la DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, op. cit., p. 49. Selon la définition de FOUCAULT M., Dits et écrits, Paris, Gallimard, 2001, vol. 1, p. 1239 : « Ce sont tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle épistémè d’une époque ». 24 25 36 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER communauté. Elle est, pour reprendre l’expression de Robert Galisson26, « productrice de culture », qui n’est pas produite d’avance, mais se construit à l’aide du langage. Le dictionnaire ne renseigne donc pas seulement sur la langue, il renseigne aussi sur l’idéologie dominante de la communauté elle-même. Il propose un véritable « modèle d’identification »27 qui, dans la dimension la plus prescriptive du dictionnaire, impose certaines options culturelles. Les orientations du TLF sont extrêmement claires sur ce sujet, et montrent que si « l’élite des voix »28 a quelque peu évolué, l’essentiel demeure : TLF : « L'homme cultivé moderne tel que nous nous le représentons a, sommairement, esquissé les traits suivants. En premier lieu, un fonds traditionnel et plus ou moins sécurisant de culture humaniste, domaine privilégié d'un enseignement scolaire qui, à tous ses degrés, en est jusqu'à ce jour fortement imprégné ; la première place y est accordée à la connaissance de l'homme « éternel », mais aussi, et de plus en plus, de l'homme « en situation », avec les problèmes individuels ou collectifs que, par-delà la spécification croissante des activités professionnelles, soulève la vie quotidienne de tous. Sur quoi vient se greffer, également hérité de la tradition, mais plus mouvant parce que moins à l'abri des changements sociaux, politiques ou diplomatiques, le besoin manifeste, sinon le sens profond, d'une organisation juridique de la vie collective, garantissant à la fois la solidité des structures de protection et la liberté de mouvement de chacun ; avec, pour une minorité ambitieuse, l'accès rapide au pouvoir, et des chances assurées de s'y maintenir (…). Concrètement, ce type d'homme cultivé s'incarne dans ce que naguère on nommait les élites, mais qu'on préfère aujourd'hui appeler les cadres supérieurs ou moyens de la société, c'est-à-dire les éléments moteurs des principaux secteurs de la vie moderne, entourés de leurs coéquipiers associés, sans en exclure, en les privilégiant même quelque peu, ni les écrivants et écrivains de toute espèce qui tiennent la plume de notre culture, ni les enseignants de tous degrés qui la mettent en forme didactique en vue de la translation des études à des masses de plus en plus étendues. » La position du TLF peut être interprétée comme de la néobienséance, c’està-dire comme « une stratégie de restrictions, d’inhibitions et de censure fondée sur un idéal d’équité sociale et exercée par un micro groupe afin d’influencer la pensée de toute la collectivité par le biais du langage et, dans son prolongement, par le dictionnaire »29. 26 GALISSON R., « Pour un dictionnaire des mots de la culture populaire », Le français dans le monde, n° 188, 1984, p. 59. 27 HAUSMANN F.-J., REICHMANN O., WIEGAND H.-E., ZGUSTA L., « Préface » in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, tome 1, Berlin, Éd. de Gruyter, 1989, p. XXV. 28 BEAUJOT J.-P., « L’ordre et le désordre. Réflexion sur la norme et les nomenclatures des dictionnaires », Le français dans le monde, n° 169, 1982, p. 39. 29 CORMIER M., OUIMET C., BOULANGER J.-CL., « À propos de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires », in PRUVOST J. (ss la dir. ), Les dictionnaires de langue française, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 141. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 37 Plus simplement, nous parlerons d’impositions de normes et de valeurs socioculturelles par le biais d’un objet dictionnaire qui, de ce fait, devient un véritable moyen de relais idéologique. GR : « Le découpage du monde, l’organisation de la pensée et de la vie culturelle, que propose le lexicographe d’une langue naturelle, incarne et représente la totalité de l’expérience sociale historique : ce qui est dit, écrit, nommé, exprimé, c’est tout ce qui importe à la communauté ». (p. XLII) Le dictionnaire se veut l’un des hauts lieux qui participent de la mémoire d’un peuple. Le Dictionnaire culturel en langue française élaboré sous la direction d’Alain Rey en est une parfaite illustration. Nous n’avons plus alors affaire à un dictionnaire analogique ou encyclopédique, mais plutôt à un dictionnaire culturel et critique. Son objectif est de « conduire le lecteur des moyens d’expression d’une langue naturelle, le français, aux concepts, aux symboles, aux visions du monde qui s’élaborent à partir du langage dans différentes cultures »30. Toutes ces observations montrent que le dictionnaire, ou devrait-on dire maintenant le discours du dictionnaire, s’articule sur deux plans : celui de l’expression (sémasiologique : une langue, son lexique, ses usages, son vocabulaire, etc.) et celui du contenu (onomasiologique : univers exprimé, vision parcellaire du monde). A nouveau nous retrouvons mise en avant la double finalité du dictionnaire monolingue : - décrire et former une compétence supposée être celle des sujets désireux de s’approprier cette langue, autrement dit, légitimer des formes de langue en discréditant des segments de discours, - décrire et normaliser un état de langue, autrement dit, légitimer une pratique langagière en lui conférant un statut de langue commune. La première attitude relève plus spécifiquement d’un savoir linguistique sur la langue, car elle suppose une conception théorisée de la langue qui autorise son individuation lexicale en unités discrètes. Elle traduit une intention linguistique, c’est-à-dire une ambition fonctionnelle, qui fait du dictionnaire un modèle pratique d’enseignement. La seconde attitude relève d’une intention idéologique, le fait d’enregistrer un mot revenant à lui donner une identité culturelle, une existence dans une réalité spatio-temporelle. C’est alors l’ambition théorique du dictionnaire qui est pointée et qui en fait un outil de réflexion sur le(s) usage(s). 30 REY A., Dictionnaire culturel en langue française, Paris, Le Robert, 2005. 38 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 1.1.5. Le dictionnaire comme discours S’il nous a paru important de revenir sur certains des processus sous-jacents à l’édification des dictionnaires, c’est pour souligner l’importance qu’il peut y avoir, dans une perspective linguistique, à considérer le dictionnaire comme un « discours », notamment pour des études sur la notion de norme et/ou d’usage(s), de variations, de registres ou de niveaux de langue. Nous venons de montrer comment la nomenclature revient à être un discours travaillé, construit à partir de l’interaction d’autres discours (la source d’information lexicographique, les performances des locuteurs, la compétence du locuteur idéal, le savoir lexicographique), afin d’instituer un autre discours (normatif, normalisant) sur les discours que l’on produit. Cette base discursive constitue, corrélativement, le terreau sur lequel les usagers d’une langue construisent leurs propres discours. Nous avons affaire à une sorte de processus auto-alimenté : le dictionnaire reconfigure des mots attestés dans les discours en unités discrètes d’une langue qui, elles-mêmes, servent de base à la création de discours. Le dictionnaire présente un discours de la langue et un discours du monde, mais aussi un discours sur la langue et sur le monde. C’est là la quadrature du cercle du lexicographe : il puise dans les énoncés de locuteurs pour en faire des énoncés types, qui serviront de modèles aux locuteurs pour alimenter d’autres de leurs énoncés. Comme le décrit Paul Imbs, le lexicographe « remonte constamment de la performance à la compétence, de manière à dégager les règles d’emploi qui permettront au lecteur, à la fois de comprendre les performances d’autrui et de générer lui-même de nouveaux énoncés selon les performances qu’appelleront les situations dans lesquelles il se trouve hic et nunc »31. Nous retrouvons la distinction saussurienne langue/parole selon laquelle « dans l’histoire de toute innovation on rencontre toujours deux moments distincts : 1° celui où elle surgit chez les individus ; 2° celui où elle est devenue un fait de langue, identique extérieurement, mais adopté par la collectivité »32 ; ou autrement soutenue par Benveniste, selon lequel « rien n’est dans la langue qui n’ait d’abord été dans le discours »33. Paradoxalement, en reliant diverses productions langagières en un ensemble, la nomenclature les convertit, par un acte de dénomination, en une langue unique, la langue française, dite commune, qui n’est, en définitive, que IMBS P., « Les niveaux de langue dans le dictionnaire », Le français dans le monde, n° 69, 1969, p. 51. 32 SAUSSURE (de) F., Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1972, p. 139. 33 BENVENISTE E., « L’appareil formel de l’énonciation », in Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1974, tome 2, p. 79-88. 31 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 39 la langue des dictionnaires. L’édification de la nomenclature aboutit en effet à créer un processus d’homogénéisation des pratiques langagières sous la dénomination de langue commune. « Divisé en usages différents – dans le temps, dans l’espace, dans le tissu social – le français dans un tel ouvrage doit exposer sa variété tout en manifestant son unité »34. Mais cette langue commune n’est qu’une forme idéale de langue. D’une part, elle est fictive, puisqu’elle est la conséquence de décisions lexicographiques propres à chaque dictionnaire et, d’autre part, elle est idéale, puisque qu’il lui est impossible de prendre en compte de façon exhaustive les différences de modes d’expressions de tous les locuteurs du français. Dans les faits, aucun dictionnaire ne peut prétendre décrire la langue au sens systémique, cet objet étant celui de la linguistique. L’objectif de la lexicographie est « de refléter partiellement la diversité des usages sociohistoriques, parmi lesquels des choix sont opérés et des hiérarchies, partiellement objectives (statistiques portant sur les discours), partiellement subjectives, sont établies »35. Les jugements de valeur que laissent transparaître les dictionnaires ne tiennent pas tant à la position de leurs auteurs, qu’à la société elle-même. Ainsi le dictionnaire a une fonction normativedescriptive36, mais doit corrélativement assumer un rôle normatif-prescriptif, qui est notamment assuré par le système des marques d’usage. 1.2. LES MARQUES D’USAGE, UNE DISQUALIFICATION LEXICALE Répondant à des normes socio-linguistico-culturelles, les dictionnaires contemporains ont enrichi leur nomenclature afin de rendre compte de la variété des usages, plus ou moins spécialisés, plus ou moins répandus. Néanmoins, ces usages seront affublés de marques lexicographiques pour les différencier des usages les plus ordinaires. Nous allons montrer dans cette section comment ces marques, qui témoignent de l’assouplissement des nomenclatures et de l’extension du concept d’usage, contribuent paradoxalement à instituer une forte hiérarchisation des usages au sein du lexique. Dans un premier temps, nous sommes revenue sur les évolutions des nomenclatures. Nous avons fait l’inventaire des marques d’usage telles qu’elles apparaissent dans les dictionnaires contemporains, mais aussi telles qu’elles étaient conçues dans la REY A., Préface du GR, p. XLI. REY A., « La lexicographie française : rétrospective et perspectives », Lexique, n° 2, 1983, p. 22. 36 DUBOIS J., « Dictionnaire et discours didactique », op. cit., p. 45. 34 35 40 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER tradition plus ancienne (§ 1.2.1). Ces résultats nous ont conduite, dans un second temps, à mettre en avant le rôle fonctionnel qu’elles assurent au sein du système lexical dictionnairique (§ 1.2.2). 1.2.1. De la différenciation des usages à la formalisation du système de marques 1.2.1.1. Inscription dans la tradition lexicographique Le système de marquage des termes en lexicographie voit le jour dans un contexte historique et linguistique précis, celui de la fin du XVIIe siècle, marqué par une prétention hégémonique de la nation française, tant sur le plan politique que linguistique, que soutiendra une ambition d’unification linguistique. C’est précisément de cette volonté d’unification des pratiques langagières que naissent des institutions telles que l’Académie française, destinées à préciser, à fixer la loi de la langue française « commune ». Les marques d’usage des dictionnaires vont assumer un rôle considérable dans cette entreprise. « C’est dans cet estat où la Langue Françoise se trouve aujourd’huy qu’a esté composé ce Dictionnaire ; & pour la representer dans ce mesme estat, l’Académie a jugé qu’elle ne devoit pas y mettre les vieux mots qui sont entierement hors d’usage, ni les termes des Arts & des Sciences qui entrent rarement dans le Discours ; Elle s’est retranchée à la Langue commune, telle qu’elle est dans le commerce ordinaire des honnestes gens, & telle que les Orateurs & les Poëtes l’employent ; Ce qui comprend tout ce qui peut servir à la Noblesse & à l’Elegance du discours. » 37 Nous l’avons souligné précédemment (§ 1.1.1.2.1), la langue française du dictionnaire de l’Académie représente une certaine idée de la culture française et ce, sur deux plans distincts, celui du choix de la nomenclature (quels sont les mots choisis pour figurer dans le dictionnaire) et celui du commentaire sur les mots présentés (comment ils sont décrits). La plupart des dictionnaires du XVIIe siècle au XIXe siècle n’échappent pas à cette entreprise normalisante et normative qui connaîtra son apogée au XVIIIe siècle, et utilisent un système de marquage dont l’objectif est de mettre en évidence « la faute », de séparer l’adapté de l’inadapté, le bon goût du mauvais goût, le souhaitable de l’intolérable. C’est certainement le Dictionnaire de l’Académie qui est le plus représentatif de ce mouvement, avec les mentions bas, commun, familier, grossier, vulgaire, populaire, trivial, etc. L’obsession puriste conduit à mettre 37 Cité par WIONET C., « Les marques d’usage dans la première édition du dictionnaire de l’Académie française : contribution à une histoire des marques d’usage », Cahiers de lexicologie, n° 84, 2004, p. 56. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 41 en place un système de marques totalement circulaire38, qui n’a d’autres objectifs que de discréditer tous les usages linguistiques qui ne correspondraient pas au « bon usage » de Vaugelas. D’autres lexicographes, tel Nicot dans son Thresor 39, n’hésiteront pas à insérer dans leurs notices des commentaires faisant état de jugements normatifs, du type : « on dit avec indignation et desdaing à quelqu’un », « fleur que le vulgaire nomme… », opposant le « vulgaire » au « savant »40. Bien qu’en conflit avec l’Académie, Antoine Furetière est également un adepte de la norme, mais plutôt dans une conception fonctionnaliste. Sont différenciées les spécificités d’usages par les mentions : « qui ne sont plus en usage », « dans les vieilles coutumes », « en plusieurs provinces », « bas et populaire », « bas et sale », « burlesquement et ironiquement », etc. Le Dictionnaire critique de l’abbé Feraud (milieu du XVIIIe siècle) insistera, par le marquage des entrées dictionnairiques, sur les « mauvais usages » dont la marque devient une véritable indignation qui sanctionne l’insupportable, le sauvage, le ridicule, le révoltant, le burlesque, le barbare, et même le banni des honnêtes gens.41 Quant au Dictionnaire universel de Boiste (1800 pour la première édition) qui souligne la volonté de l’auteur de faire preuve d’ouverture dans l’édification de sa nomenclature, il n’échappe pas à la tradition lexicographique et n’utilise pas moins de trente-sept marqueurs d’usage, « employés comme discriminants d’effets de langue spécifique, comme signes désignant les conditions discursives dans lesquelles le vocable fait sens, même si ce sens n’appartient pas de plein droit à la légitimité morale et esthétique de la langue »42. Au XIXe siècle, alors que, selon l’expression de Bernard Quémada, les lexicographes se font « secrétaires de l’usage »43 rompant avec le purisme traditionnel et ouvrant leur nomenclature à des termes auparavant rejetés, les « L’Académie utilise les marques bas, commun, familier, grossier, populaire, trivial, vulgaire. Malheureusement, bas renvoie à commun, celui-ci à bas et à vulgaire, lequel ramène à commun et à trivial, qui renvoie encore à vulgaire », GILBERT P., « Différenciations lexicales », Le français dans le monde, n° 69, 1969, p. 46. 39 NICOT J., Thresor de la langve francoise tant ancienne que moderne, Paris, Éditions Picard, 1960. 40 Cité par REY A., « Les marques d’usage et leur mise en place dans les dictionnaires du XVIIè siècle : le cas Furetière », Lexique, n° 9, 1990, p. 20. 41 SEGUIN J.-P., BOUVEROT D., CARON P., FOURNIER N., LANDY-HOUILLON I., « Les marqueurs de mauvais usage dans le Dictionnaire critique de Féraud », Lexique, n° 9, 1990, p. 133. 42 Cité par SAINT-GERAND J.-P., « Usages, emplois, stéréotypie dans les éditions du Dictionnaire universel de Boiste », Lexique, n° 9, 1990, p. 158. 43 QUEMADA B., Les dictionnaires du français moderne 1539-1863 : étude sur leur histoire, leurs types, leurs méthodes, op. cit., p. 197. 38 42 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER préoccupations normatives résistent. Ainsi, et principalement par nécessité idéologique, les dictionnaires assimilent les termes spécifiques de l’argot à ceux des classes populaires44, selon l’équation « classes laborieuses, classes dangereuses ». Le rôle attribué à la langue est alors éminemment distinctif et les dictionnaires, à travers les marques d’usage, en sont les principaux relais. Tout un pan du lexique, repéré comme non conventionnel, est systématiquement considéré comme de l’argot, qu’il recouvre des termes dialectaux, régionaux, populaires ou véritablement issus de l’argot. L’appellation « argot » sert donc de stigmate des classes populaires et n’a qu’un seul objectif, disqualifier certains usages. Dans la tradition lexicographique, la métalangue a d’abord produit un discours de commentaires ou de marqueurs d’usage, explicitement prescriptifs (à l’exception peut-être du dictionnaire de Furetière), qui reflète les jugements sur les réalisations n’appartenant pas au « bon usage ». Ce système de marquage évoluera corrélativement à l’élargissement des nomenclatures et des stratégies dictionnairiques qui permettront l’intégration d’usages de plus en plus variés dans les dictionnaires contemporains, jusqu’à devenir une véritable codification. 1.2.1.2. Élargissement des nomenclatures et diversification des usages Les nomenclatures contemporaines sont fortement ancrées dans ce qui fait notre culture et sont le reflet de ce qui correspond à un vocabulaire général. Elles répondent également aux fortes orientations culturelles actuelles, de spécialisation, de mondialisation, et elles se sont vues enrichies d’une gamme, relativement étendue, de vocabulaires technique, scientifique et de termes empruntés aux langues étrangères. PL 77 : « Le développement des sciences et des techniques nous conduit à créer de nombreux articles exclusivement terminologiques et donc encyclopédiques (…). Ils doivent toutefois être compris par l’homme curieux de son temps. » Le degré de spécialisation d’un terme n’est plus le principal critère qui autorise un mot à entrer ou non dans le dictionnaire, mais plutôt le besoin manifesté par les utilisateurs des dictionnaires, pour lesquels la connaissance de la langue et du vocabulaire est un moyen de promotion intellectuelle et sociale. Dans un contexte de démocratisation des savoirs, le dictionnaire évolue et participe donc à une plus large diffusion sociale des expériences humaines. Il décrit alors un état de langue vivant, actuel, résolument moderne et contemporain. 44 JOLLIN-BERTOCCHI S., Les niveaux de langage, Paris, Hachette, 2003, p. 77. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 43 Dans cette perspective, il s’agit, au-delà des orientations normatives traditionnelles, de décrire le français dans toute sa diversité : ses régionalismes, ses archaïsmes, ses néologismes, ses niveaux de langues, etc. NPR 2002 : « La double démarche qui, partant du bon usage actuel, revient aux origines par l’étymologie et l’histoire, et qui conduit d’exemples neutres aux créations des littératures de diverses époques et de divers lieux (…) manifeste assez, à l’intérieur de l’unité incontestable et nécessaire du français, ses multiples variations. » (p. XIII) Nous l’avons vu, le DFC se distingue, là encore, des autres dictionnaires monolingues contemporains, guidé par une orientation méthodologique particulière. S’il présente des choix de nomenclature quelque peu différents, il ne fait pas l’impasse d’un système de marquage, aussi succinct soit-il. DFC : « Le DFC vise à présenter un état actuel du lexique usuel. En ce sens, il contient tous les mots qui entrent dans l’usage écrit ou parlé du français le plus habituel. On a écarté les termes qui sont restreints à des milieux professionnels étroitement spécialisés ou qui appartiennent à une terminologie proprement scientifique, mais on a retenu les termes techniques vulgarisés, communs dans la presse et les conversations. Les mots, les expressions et les constructions qui ne se rencontrent que dans la langue écrite archaïque ont été abandonnés (…) en revanche, les formes et emplois récents, familiers ou populaires ont été enregistrés ». (p. III) De façon générale, le contexte est favorable à l’élargissement des nomenclatures. Les dictionnaires contemporains cherchent à enregistrer un nombre de mots de plus en plus élevé, et s’efforcent d’informer le lecteur de certaines caractéristiques de leur emploi. Certains usages trouvent de ce fait leur place dans le dictionnaire alors même qu’ils ne sont pas partagés par tous et qu’ils n’ont pas vocation à l’être. Aujourd’hui, le dictionnaire se dote d’un système métalinguistique qui signifie qu’au sein d’une langue commune il y a, en quelque sorte, des zones de lexique un peu moins partagées et qui méritent d’être signalées comme telles. Les outils lexicographiques utilisés pour signaler cette classification, cette taxinomie, sont les marques d’usage, évoquées précédemment. Elles peuvent être définies, comme « tout énoncé prédicatif qui formule explicitement des indications plus ou moins impératives concernant la forme ou l’emploi d’une entrée ou sous-entrée »45. Leur objectif principal est de permettre aux utilisateurs des dictionnaires de distinguer, parmi les mots, les usages courants et les usages plus particuliers. 45 GLATIGNY M., « Les commentaires normatifs dans le dictionnaire monolingue », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., p. 700. 44 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Il s’agit donc, comme le précise Wionet à propos des marques d’usage du dictionnaire de l’Académie, de « certaines formulations qui viennent commenter sur le plan de l’usage le mot défini. La marque est d’abord un décrochage, une sorte de parenthèse qui est le support de la voix organisatrice du dictionnaire, celle qui donne cohérence et sens au travail dictionnairique. Les marques d’usage sont une pratique lexicographique des académiciens (…) pour déterminer les groupes et sous-groupes linguistiques et stylistiques »46. Cette conception, qui rompt avec une vision du lexique comme ensemble homogène et reflète par les marques la diversité des productions linguistiques, est toujours valable pour les dictionnaires contemporains. 1.2.1.3. Inventaire et description des marques d’usage Il n’existe pas, dans les dictionnaires, de répertoire des marques d’usage. On les trouve, dans certains d’entre eux, cataloguées dans les tableaux des abréviations et figurant à la suite de la préface. Elles sont citées parmi les indications grammaticales (v. pron., n. masc., etc.) et autres marques typographiques utilisées dans le dictionnaire. Les critères qui permettent l’attribution de ces marques sont : - la fréquence : RARE (rare), COUR. (courant), INUS. (inusité), etc. - le temps : archaïsme, VX. (vieux), VIEILLI (vieilli), NEOL. (néologisme), MOD. (moderne), etc. - l’espace : RÉGION. (régional, régionalisme), DIAL. (dialectal), (belgicisme), canadiannisme, provençal, breton, etc. BELG. - la spécialisation (langue de spécialités) : TECHN. (technique), (marine), BOT. (botanique), FIN. (finance), DIDACT. (didactique), (scolaire), etc. MAR. SCOL. - la société (caractéristiques socio-culturelles) : FAM. (familier), POP. (populaire), ARG. (argotique), VULG. (vulgaire), ENFANT. (enfantin), etc. - les aspects pragmatiques (modalisateurs) : par amitié, plaisanterie), IRON. (ironique), etc. PAR PLAIS. (par - les aspects stylistiques ou sémantiques : LITT. (littéraire), POET. (poétique), FIG. (figuré), PAR EXT. (par extension), PAR MÉTAPH. (par métaphore), ABSOLT. (absolument), etc. 46 WIONET C., « Les marques d’usage dans la première édition du dictionnaire de l’Académie française : contribution à une histoire des marques d’usage », op. cit., p. 60. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 45 Ces variables sont celles majoritairement retenues dans les écrits lexicographiques mais elles sont sujettes à caution, dans la mesure où les marques sont présentées par ordre alphabétique, et ne sont pas différenciées de toutes les autres abréviations utilisées. Il revient donc au lecteur le soin de débrouiller l’écheveau, ce qui nécessite, dans un premier temps, un repérage des abréviations qui peuvent constituer des marques d’usage puis, dans un second temps, une identification de la nature de chacune d’elles. Là encore, la tâche n’est pas aisée. En effet, VULG. pourrait être considéré bien plus comme une marque stylistique que sociolinguistique, quant à la marque PEJ., elle pourrait marquer un aspect pragmatique autant que stylistique. De la même façon, les spécificités sociolinguistiques et les spécificités thématiques sont parfois ambiguës, notamment pour les termes issus du vocabulaire argotique, ce qui peut amener à confondre des marques objectives (BOT., SCOL., MAR., MÉD.), avec des marques fortement subjectives (DIAL., ARG., PÉJ.). Ces difficultés de classement sont une nouvelle conséquence de l’aspect normatif du dictionnaire. Les divers usages seront classés en référence à une norme prise pour étalon par la position éditoriale du dictionnaire (usages plus ou moins particuliers, répandus, acceptés) et non par rapport à des concepts linguistiques opératoires. En toute logique, les marques utilisées varient d’un dictionnaire à l’autre, en tant que reflet des orientations éditoriales prises par chacun d’entre eux. Le DFC stipule, dans la préface : DFC : « Les niveaux de langue et les marques stylistiques (FAM., TRÈS FAM., POP., ARG. ; ou langue écrite, soignée, soutenue, littéraire, vieillie, etc.) sont indiqués avec le plus de précision possible. » (p. V) Pourtant, aucune de ces mentions ne fera l’objet de glose. Les différenciations entre ces marques apparaissent assez malaisées, d’autant que ce sont des catégories dont les spécificités ne sont pas établies (on peut se demander quelles sont les caractéristiques de la langue littéraire, de la langue soignée et celles de la langue écrite). En tout état de cause, le DFC s’avère peu explicite dans sa préface sur sa conception de la norme, et les marques utilisées, dans leur diversité, ne permettent pas d’éclaircir le propos métalinguistique. La très longue préface du TLF n’accorde pas de paragraphe à ces questions de registres ou de niveaux de langue. Il est simplement stipulé que l’éviction de corpus oraux a eu pour conséquence de priver la nomenclature du dictionnaire « des manières de parler propres au discours familier ou populaire », et dans le paragraphe destiné à la polysémie, il sera simplement question de « connotations stylistiques ». 46 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Le GL ne donne aucune indication autres que celles figurant dans la préface et cite simplement les marques d’usage usitées dans un récapitulatif des abréviations. GL : « Si les formes ou les emplois ont disparu, le Grand Larousse de la langue française, contrairement à la conception de Littré, les marque comme sortis de la langue vivante par les signes vx., class. Les emplois qui sont trop aberrants par rapport à la langue commune en usage aujourd’hui sont signalés comme littéraire (littér.) ou encore, poétique (poét.). Il en est de même pour ceux qui s’éloignent du niveau moyen de langue de l’homme cultivé et qui sont marqués du signe fam. (familier), pop. (populaire), triv. (trivial). » (p. II) Le PL présente deux listes : une très longue liste de « rubriques » (BOT., FIN., MÉD., etc.) qui permet de préciser très finement le domaine d’un terme technique, puis une liste d’« abréviations et signes conventionnels » parmi lesquels de nombreuses marques géographiques (ALL., ÉGYPT., NÉERL., etc.). Se mêlent à ces abréviations les marques d’usage, dont certaines font l’objet d’une glose. Les marques les plus fréquentes sont reproduites, telles qu’elles figurent dans le PL, dans le tableau 1 ci-après : ANC. ancien ; anciennement (signale un mot dont l’emploi n’est ni vieux ni vieilli, mais qui désigne une réalité aujourd’hui disparue ou devenue rare : aumônière) DIDACT. didactique (mot employé le plus fréquemment dans des situations de communication impliquant la transmission d’un savoir : dual ) FAM. familier ; familièrement INJUR. injurieux (mot employé pour blesser ou pour nuire à la réputation de qqn : vendu,e) LITT. littéraire (mot que l’on rencontre surtout dans les écrits : brasiller) PÉJOR. péjoratif, péjorativement (mot qui indique le mépris dans lequel est tenu qqn ou qqch : clientélisme) SOUT. soutenu (mot employé dans les relations sociales réglées par des conventions et produisant un effet de sérieux ou d’élégance : superfétatoire) TRÈS FAM. très familier ; très familièrement (mot grossier, parfois injurieux : conneau) VIEILLI vieilli (mot qui tend à sortir de l’usage, mais qui reste compris de la plupart des locuteurs : indéfrisable) VULG. vulgaire ; vulgairement (signale un mot renvoyant à une réalité frappée de tabou, le plus souvent d’ordre sexuel ou excrémentiel : chaude pisse) VX. vieux (mot qui n’est généralement plus compris ni employé : accordaille) Voir ANC. et VIEILLI. Tableau 1 : Extraits de la liste des abréviations du PL Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 47 C’est finalement le PR (et plus largement les dictionnaires des éditions Robert) qui développe le plus la question, proposant dans sa préface une section complète sur « La langue, les styles, les usages » : PR 1977 : « On trouve dans le Petit Robert avant la définition de nombreux mots, sens ou expressions, une « marque d’usage » qui précise la valeur d’emploi, soit dans le temps (VX : vieux ; VIEILLI), soit dans l’espace (RÉGION. : régional ), soit dans la société (FAM. : familier, c’est-à-dire courant dans la langue parlée ordinaire et dans la langue écrite un peu trop libre ; POP. : populaire, c’est-à-dire courant dans les milieux populaires des villes, mais réprouvé ou évité par l’ensemble de la bourgeoisie cultivée), par la fréquence (RARE : peu employé dans l’ensemble des usages, sans que l’on puisse parler d’abandon comme un mot vieux.) (…) Dans la majorité des cas, la nature de l’emploi est donnée. Ainsi didact. (didactique) signifie que l’emploi d’un mot, normal dans un traité, un cours, ne le serait pas dans la conversation courante ; SC. (sciences) ou les abréviations des divers noms de sciences (PHYSIOL., MÉD., CHIM., BOT., etc.) ont la même valeur mais restreignent l’usage normal d’un mot à un domaine précis.» (p. XVII) Cette description sera complétée par les indications – non systématiques – figurant dans le tableau des abréviations (voir tableau 2 ci-après, les marques d’usage les plus fréquentes telles qu’elles sont présentées dans le NPR ). Mais là encore, rien n’est véritablement stipulé quant aux critères utilisés pour décider de l’étalonnage du lexique. ABUSIVT. abusivement : emploi très critiquable, parfois faux-sens ou solécisme ANCIENNT. anciennement : présente un mot ou un sens courant qui désigne une chose du passé disparue. Ne pas confondre avec VX. , avec HIST. ANGLIC. anglicisme : mot anglais de quelque provenance qu’il soit, employé en français et critiqué comme emprunt abusif et inutile (les mots anglais employés depuis longtemps et normalement en français ne sont pas précédés de cette marque) ANTIPHR. (par) antiphrase : en exprimant par ironie l’opposé de ce qu’on veut dire ARG. mot d’argot, emploi argotique limité à un milieu particulier, surtout professionnel, mais inconnu du grand public ; ARG. FAM. : mot d’argot passé dans le langage familier ; argotique. Ne pas confondre avec POP. ou FAM. COUR. courant : insiste sur le fait qu’un sens, un emploi est connu et employé de tous, quand le mot est d’apparence savante ou quand les autres sens sont techniques, savants, etc. ; PLUS COUR. : plus courant que d’autres sens euxmêmes courants ; ou relativement plus courant que les autres – sans être très courant dans l’absolu DÉNIGR. dénigrement (PAR DÉNIGR. : par dénigrement présente un mot ou un emploi péjoratif, injurieux) voir PÉJ. DIAL. 1° dialecte 2° dialectal : qualifie un mot ou emploi provenant d’un dialecte, d’un patois, et qui n’est pas employé comme un mot français général et n’appartient pas à l’usage bourgeois, urbain (à la différence de RÉGION.) 48 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DIDAC. didactique : mot ou emploi qui n’existe que dans la langue savante (ouvrages pédagogiques, etc.) et non dans la langue parlée ordinaire ENFANT. langage enfantin, mot, expression du langage des jeunes enfants, mais que les adultes peuvent également employer en s’adressant à eux ou par emploi stylistique ou LANG. ENFANTIN FAM. familier (usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc. mais ne s’emploierait pas dans des circonstances solennelles ; concerne la situation de discours et non l’appartenance sociale, à la différence de POP.) FIG. sens issu d’une image (valeur abstraite correspondant à un sens concret) INUS. inusité : emploi qui est extrêmement rare ou non attesté hors des dictionnaires IRON. ironique, ironiquement, pour se moquer, souvent par antiphrase LITTÉR. 1° terme des études littéraires (HIST. LITTÉR. : terme d’histoire littéraire) 2° littéraire : désigne un mot qui n’est pas d’usage familier, qui s’emploie surtout dans la langue écrite élégante. Ce mot a généralement des synonymes d’emploi plus courant MOD. moderne (insiste sur le fait qu’un sens, un emploi est d’usage actuel, quand le sens précédent ou les emplois voisins sont vieux, abandonnés) NÉOL. néologisme : mot nouveau relevé ou entendu depuis peu de temps PÉJ. péjoratif ; péjorativement (employé avec mépris, en mauvaise part, sans que le sens l’indique expressément) POP. populaire : qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires - souvent argot ancien répandu - qui ne s’emploierait pas dans un milieu social élevé). A distinguer de FAM. qui concerne une situation de communication RARE mot qui dans son usage particulier (il peut être didactique, technique, etc.) n’est employé qu’exceptionnellement RECOMM. recommandation (RECOMM. OFFIC. : terme ou expression approuvés ou recommandés par arrêté ministériel, en application de décrets relatifs à l’enrichissement de la langue française) RÉGION. régional (mot ou emploi particulier au français parlé dans une ou plusieurs régions [France, pays francophones], mais qui n’est pas d’usage général ou qui est senti comme propre à une région). A distinguer de DIAL. VIEILLI mot, sens ou expression encore compréhensible de nos jours, mais qui ne s’emploie plus naturellement dans la langue parlée courante VULG. vulgaire : mot, sens ou emploi choquant le plus souvent lié à la sexualité et à la violence, qu’on ne peut employer dans un discours soucieux de courtoisie, quelle que soit la classe sociale VX. vieux (mot, sens ou emploi de l’ancienne langue, incompréhensible ou peu compréhensible de nos jours et jamais employé, sauf par effet de style : archaïsme). Ne pas confondre avec ANCIENNT. Tableau 2 : Extraits de la liste des abréviations du NPR Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 49 De cet inventaire il ressort que les critères qui fondent la norme et, par induction, les pratiques lexicographiques ne sont pour autant que rarement exposés. Les lexicographes se contentent majoritairement de citer leur taxinomie, sans plus de précisions ni d’explications sur les termes choisis et sur les conditions d’attribution d’une marque. C’est le constat que fait Alain Rey dans la préface du dictionnaire qu’il dirige : GR : « Il va de soi que cette notation généralisée des valeurs d’emploi est délicate et sujette à contestation : certains pourront trouver courants des termes que nous aurons considérés comme techniques ou scientifiques, d’autres emploieront encore (ou auront l’impression d’employer) des mots notés comme vieillis. Dans d’autres cas, il est impossible de décider si un nom d’animal ou de plante est savant ou courant, régional ou général : cela dépend des situations de communication, du caractère familier de la chose et non plus du mot. » (p. XLI) Ce sont des imprécisions notionnelles qui conduisent les lexicographes et les linguistes à manipuler des sortes de coquilles presque vides que chacun finalement remplit à sa guise, de façon relativement arbitraire et intuitive, à partir « d’interprétations présumées du lecteur, soumises à une tradition peu critiquée, [qui] donnent à ces marques un caractère partiellement fictif et arbitraire »47. Si les exigences normatives contemporaines ne sont plus aussi catégoriques qu’elles l’étaient dans la lexicographie moderne, les marques d’usage continuent à assurer un rôle de marqueur, de compartimentage du lexique. Alors que dans la tradition lexicographique elles étaient explicitement présentées comme des commentaires prescriptifs, elles apparaissent aujourd’hui dans une dimension davantage descriptive. On peut néanmoins se demander si le fait d’apposer une marque sur cette diversité n’induit pas des effets quelque peu paradoxaux. En effet, il s’agit de légitimer l’existence de mots dans la langue en fonction de leur situation d’emploi, de leur donner force de loi et donc, à l’inverse, d’en écarter d’autres48. En arrière plan de la volonté descriptive affichée, se maintient un effet discriminant. Cet effet distinctif et excluant apparaît d’autant plus avec les marques à forte implication sociale. 1.2.2. Lexique marqué vs lexique non marqué La justification que les lexicographes donnent dans leur préface de la présence de ces marques d’usage relève certes de la volonté d’étendre la nomenclature à des usages plus courants, mais elle révèle surtout l’utilité corrélative 47 REY A., « Les marques d’usage et leur mise en place dans les dictionnaires du XVIIè siècle », op. cit., p. 17. 48 DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, op. cit., p. 51. 50 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER de pourvoir ces termes d’indications permettant d’en réguler, ou réglementer, l’emploi. PR 77 : « On ne dira pas je me barre, je me taille, ou je mets les bouts dans une réunion mondaine ou une séance de l’Académie française ; on ne dira pas plus permettez que je me retire, en sortant d’un magasin d’alimentation ; mais je m’en vais, je dois m’en aller seront possibles dans les deux cas. Or, ces diverses expressions, d’après leurs définitions, risquent d’être considérées équivalentes pour un étranger. » (p. XVII) Le marquage des termes a donc pour fonction d’orienter, si ce n’est de contraindre, les usagers à respecter des normes socioculturelles bien plus que linguistiques. Il agit en véritable « censure »49. La langue standard devient alors norme linguistique, c'est-à-dire « visée unitaire qui sous-tend les jugements dominants de la société en matière de langage, et qui tend à masquer la variété des usages, à contrôler la pluralité déviante des discours »50. 1.2.2.1. Marques d’usage et hiérarchisation du lexique Claude Vargas propose une classification du lexique qui rend compte de l’ordonnancement hiérarchique du lexique, formalisé par les marques d’usage. Il différencie, dans une perspective plus générale : - les mots à existence sociale légale (intégrés au dictionnaire et non marqués), - les mots qui possèdent une existence légale mais non sociale (intégrés au dictionnaire mais dont les conditions d’emploi(s) sont précisées par une marque d’usage), - les mots sans existence légale (qui existent dans le discours mais que le dictionnaire refuse). Il fait ainsi correspondre les mots à existence légale au code commun qu’il définit comme le référent permettant de déterminer la communauté linguistique, qui n’échappe évidemment pas aux tensions sociales 51, ce que nous avons appelé la langue du dictionnaire, souvent définie comme « langue commune ». Autrement dit, bien qu’intégrées au dictionnaire, certaines réalisations sont jugées non conformes. GIRARDIN C., « Contenu, usage social et interdits dans le dictionnaire », Langue française, n° 43, 1979, p. 96. 50 REY A., « Norme et dictionnaires », in BÉDARD E., MAURAIS J. (ss la dir.), La norme linguistique, Conseil de la Langue française du Québec et éditions Le Robert, Québec/Paris, 1983, p. 565. 51 VARGAS C., « Norme(s) et nomenclature », Langues et langages : Encyclopédies et dictionnaires français, n° 3, 1993, p. 39. 49 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 51 Elles se voient alors affublées d’une ou plusieurs marques d’usage qui les déterminent selon : - leur statut par rapport à la langue commune de communication (TECHN., MÉD., RÉGION., etc.) - leur degré d’intégration dans l’usage commun (ARCHAÏSME, NÉOL., etc.) - leur place dans la hiérarchie socio-langagière (LITTÉR., ARG., VULG., etc.). VIEILLI, FAM., POP., De ce fait « le discours lexicographique n’est pas neutre, il véhicule un contenu culturel, il émet des jugements de condamnation ou de valorisation qui s’expriment par rapport à une norme linguistique et culturelle qui prend pour référence l’univers langagier de la culture dominante »52. Le système des marques d’usage induit une sorte de hiérarchie du lexique au sein de la langue commune décrite par le dictionnaire entre une part du lexique non marquée, et une autre part marquée. Puis, au sein même de ce stock de lexique marqué, une hiérarchie liée à ce que l’on appelle la « culture dominante » s’impose de fait : les mots marqués TECHN. seront beaucoup moins « condamnés » que les mots marqués ARG., en raison des valeurs sociales attachées à chacun de ces domaines. D’un point de vue terminologique, on parlera de langue dictionnairique standard afin de caractériser le stock des entrées non marquées, normées, qui se constitue en opposition à cette part de la nomenclature qui est affublée d’une marque d’usage. La langue standard lexicographique est donc la part du lexique que le dictionnaire impose comme référence conventionnelle, « neutre ». Précisons que la culture dominante, servant de norme-étalon, ne correspond pas véritablement à un point zéro, neutre. Les dictionnaires ne font d’ailleurs pas état de marques telles que « BOURG. » pour bourgeois, et seul le PL propose la marque SOUT. pour soutenu (nous reviendrons sur ces questions au § 5.1.2). Autrement dit, « la norme est souvent confondue avec le haut de la hiérarchie, par l’absence de marquage des étages supérieurs du lexique, ce qui tend à les privilégier »53. GR : « D’une manière générale, l’absence de ces marques devant un mot ou un sens signifie que ce mot, ce sens, sont d’emploi normal pour une personne cultivée ». (p. XLI) Les emplois « normaux » sont en réalité « normatifs », puisque tout ce qui n’est pas marqué ne correspond pas pour autant à un usage commun, partagé et compris par tous les locuteurs du français. Prenons au hasard une double page 52 GIRARDIN C. « Système de marques et connotations sociales dans quelques dictionnaires culturels français », Lexicographica, n° 3, 1987, p. 76. 53 AUTHIER J., MEUNIER A., « Norme, grammaticalité et niveaux de langue », Langue française, n° 16, 1972, p. 59. 52 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER du PR 2002, de l’entrée après à arabica. On y trouve, parmi d’autres : aprioriste, apsara, aquafortiste, aquamanile, aquanaute, aquatinte, aquavit, aquazole, aquifère. Aucune de ces entrées ne fait l’objet d’une marque, pour autant elles n’apparaissent pas faire partie d’un vocabulaire commun, fréquent, disponible ou non spécialisé. L’absence de marque signifie donc la conformité à la norme et leur présence, un signe de restriction d’emploi. Les usages non marqués sont considérés comme socialement et linguistiquement supérieurs aux autres. Le système de marque d’usage, corrélatif à l’ouverture des nomenclatures dans les dictionnaires contemporains, fonctionne comme avertissement donné au lecteur sur la particularité des usages et donc les discrimine. C’est la pratique lexicographique qui fixe la (les) marque(s) distinctive(s), permettant la catégorisation des mots du lexique et les inscrit dans une dynamique prescriptive ; « si ces indices n’avaient qu’une valeur sociale, ils pourraient être seulement descriptif, mais ils impliquent en fait un jugement d’exclusion par rapport aux comportements verbaux admis »54. On peut alors soutenir que c’est par le discours métalinguistique que le dictionnaire établit un clivage entre des éléments lexicaux plus ou moins légitimes et légitimés socialement. En effet, si les marques d’usage sont la conséquence d’une volonté taxinomique du lexique et d’une nécessaire visée descriptive, elles véhiculent des jugements de nature sociale portés sur la norme et les usages55. 1.2.2.2. La marque comme jugement sur la langue Depuis Labov56, on reconnaît la communauté comme un ensemble de locuteurs employant des formes différentes, mais partageant les mêmes normes quant à la langue. Le système de marquage, qui ne peut pas être compris comme un simple outil lexicographique, se fait le reflet des évaluations que les locuteurs portent sur leur langue. Ces derniers attribuent une signification sociale aux réalisations langagières et, de façon plus ou moins raisonnée, les classent les unes au regard des autres, ce dont les marques d’usage rendent compte. NPR 2002 : « Refusant l’autocensure d’une norme rigoureuse – il incombe au Dictionnaire de l’Académie française de remplir ce rôle – le Nouveau Petit Robert se devait de noter pour son lecteur les valeurs sociales d’emploi des mots et des sens. » (p. XIII) DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, op. cit., p. 101. REY A., « Les marques d’usage et leur mise en place dans les dictionnaires du XVIIè siècle », op. cit., p. 19. 56 LABOV W., Sociolinguistique, Paris, Éditions de Minuit, 1976, p. 228. 54 55 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 53 Les marques d’usage prennent alors la valeur de « symptôme social » que le dictionnaire apprend à diagnostiquer. Elles ne prétendent pas traduire le jugement du lexicographe, mais un jugement social majoritaire, tel qu’il est appréhendé par le lexicographe57. L’attribution d’une marque à un terme est davantage guidée par les représentations qu’ont les locuteurs des divers usages, que fondée sur des considérations linguistiques. On pourrait considérer ces marques comme la formalisation d’une tension entre des variétés d’usage et un idéal linguistique selon le concept développé par Aziza Boucherit58. Elles doivent donc être comprises comme des « écarts » par rapport à des normes évaluatives. L’ambivalence des utilisateurs face au dictionnaire s’illustre à nouveau ici : d’une part, ils désirent trouver leurs usages – y compris les plus particuliers – et, d’autre part, ils exigent du dictionnaire qu’il rende compte du jugement social porté sur ces mêmes usages, par toute la communauté linguistique. Le lexicographe devient alors un législateur par procuration qui porte des jugements de valeur sur l’usage linguistique et qui, sous couvert d’objectivité (d’une expression complète du monde social par la prise en compte des écarts par rapport à la norme), sanctionne certaines réalisations par une forme implicite de rejet, opposant des mots à « demi absence » à des mots à « super présence »59. C’est à travers le discours métalinguistique des marques d’usage que le dictionnaire établit un clivage entre des éléments lexicaux plus ou moins « légitimes », car les marques d’usage à fortes implications sociales ne qualifient pas, mais disqualifient60. Les dictionnaires se font les relais d’une approche dualiste opposant un registre « non marqué » à des registres « marqués », approche qui, de fait, ne prend pas en compte la diversité des combinaisons possibles de ce que Bourdieu appelle « les différentes classes d’habitus linguistiques et de marchés » 61. Quoi qu’il en soit, nous soutenons que le système de marquage des termes, s’il doit être optimisé, est une condition nécessaire à l’activité de la lexicographie contemporaine. Comme Alain Rey, nous pensons que « cette méthode est indispensable à la perfection des dictionnaires, et apporte à l’usager, surtout étranger, des renseignements aussi précieux que le sens ou les constructions d’un mot » 62. Cette position est également soutenue par Michel Glatigny qui 57 REY A., « Création lexicale, dictionnaire et norme », in SCHÖNI G., BRONCKART J.-P., PERRENOUD P. (ss la dir.), La langue est-elle gouvernable ? Normes et activités langagières, Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestle, 1988, p. 66. 58 BOUCHERIT A., « Norme, représentation, idéal, imaginaire linguistique ? », in HOUDEBINE A.-M., L’imaginaire linguistique, Paris, L’Harmattan, 2002, p. 25-35. 59 D’ORIA D., Dictionnaire et idéologie, Paris, Nizet, 1988, p. 27. 60 DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, op. cit., p. 50. 61 BOURDIEU P., Ce que parler veut dire, Paris, Fayard, 1982. 62 Préface du GR. 54 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER rappelle que « si imparfaite soit-elle, l’utilisation des marques d’usage est le seul moyen de faire entrer dans des ouvrages, éminemment normatifs, – les dictionnaires – des unités lexicales qui ne correspondent pas à « la » norme idéale, unifiée, sacralisée »63. Elles sont la condition pour que certaines unités lexicales en usage, puissent prendre place au sein des nomenclatures. De fait, les contraintes que supporte l’activité lexicographique sont liées autant à la matière sur laquelle les équipes travaillent – la langue, mouvante et insaisissable, en perpétuel changement – qu’au rapport qu’entretiennent les usagers de la langue avec les dictionnaires. Nous l’avons vu, le dictionnaire se veut miroir et modèle de nos pratiques langagières et, à ce titre, il ne peut être que normatif. Les difficultés que nous mettons en avant à propos du marquage des termes proviennent de ce que « la norme n’existe pas, sinon comme contrainte voulue par ceux qui la définissent telle à leur convenance et à leur profit : la norme est socioculturelle, elle est donc plurielle »64. Et c’est de cet embarrassant référent que doivent s’accommoder les lexicographes. Si la nomenclature des dictionnaires s’est enrichie d’un certain nombre d’acceptions auparavant rejetées, il n’en reste pas moins que les marques d’usage instaurent un véritable codage des significations. Le degré de légitimité posé par le dictionnaire, caractérisé par la présence ou l’absence d’une marque d’usage, établit une structuration hiérarchique du lexique entre ce que l’on peut appeler le « lexique marqué » et le « lexique non marqué ». Cette dichotomie est renforcée par l’assimilation ou la confusion lexicographique des marques qui permet d’en entretenir la stigmatisation. Les vocabulaires populaire, familier, argotique, vieux, ou régionaux ont ceci de commun qu’ils sont en bordure de la norme, à la marge, et que cette caractéristique commune suffit à les déterminer. Ce n’est pas parce que les grands clivages traditionnels s’estompent (beau langage vs bas langage), que les termes dits « inférieurs » se voient revalorisés ; et s’ils sont aujourd’hui intégrés aux nomenclatures des dictionnaires, ils ne sont présentés que dans leur « écart frappant » à la normalité65, c’est-à-dire selon la conformité ou la non-conformité à une part du 63 GLATIGNY M., « Les marques d’usage dans les dictionnaires français monolingues », in PRUVOST J., Les dictionnaires de langue, méthodes et contenus, Actes du Colloque : La journée des dictionnaires-1994, Cergy Pontoise, Centre de recherche Texte/Histoire, 1995, p. 61. 64 BEAUJOT J.-P., « L’ordre et le désordre. Réflexion sur la norme et les nomenclatures des dictionnaires », op. cit., p. 42. 65 « Wie alle Phänomene lassen sich auch die sprachlichen phänomene einteilen in Zonen einerseits der Normalität, des unauffälligen Durchschnitts und andererseits der auffälligen Abweichung von der Normalität », HAUSSMANN F.-J., « Die Markierung im allgemeinen einssprachigen Wörterbuch : ein Übersicht », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., p. 649. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 55 lexique non marqué que l’on qualifiera de conventionnel, de normé, de standard. Cependant, les lexicographes ne sont pas seuls à achopper sur les notions de normes et d’usages. La catégorisation des unités lexicales selon la place qu’elles occupent dans la hiérarchie socio-langagière est également le souci de la linguistique et de la sociolinguistique, à travers les notions de registre et niveau de langue. Là encore, les contenus conceptuels s’avèrent difficiles à manipuler. 1.3. LES NOTIONS DE REGISTRE ET NIVEAU DE LANGUE Rivarol soutenait que « les styles sont classés dans notre langue comme les sujets dans notre monarchie »66. Cette conception de la variété des usages et des usagers, notamment relayée par les pratiques lexicographiques modernes, a considérablement évolué au dernier siècle, au gré des progrès sociaux. La notion de « bon usage » se redéfinit en termes d’usages au pluriel, c’est-à-dire de situations de discours, de genres, de spécifications sociales. Les médias et la scolarisation ont favorisé l’expansion de la norme en dehors de la couche sociale qui la représentait habituellement, ce qui a formé peu à peu un système qualitatif indépendant de la stratification sociale. Aussi, depuis les cinquante dernières années, la notion de registre et de niveau de langue, représente avant tout des obligations socioculturelles adaptées aux différentes situations de communication. Le « bon » registre n’est plus celui de la norme, mais celui le plus adapté à une situation donnée. Néanmoins, il est impossible d’aborder la norme ex nihilo, ce qui n’est pas sans conséquence sur les analyses linguistiques. Il apparaît difficile, même à l’observateur linguiste, de se départir d’un point de vue normatif sur les réalisations langagières. Nous allons montrer dans cette section les difficultés de représenter une organisation du lexique neutralisée. Puis nous présenterons le modèle de Paul Rivenc qui pourrait servir de base à une réflexion davantage descriptive, complétée par l’apport de la sociolinguistique dans l’approche de la variété lexicale. 66 De l’universalité de la langue française, 1782. 56 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 1.3.1. Différenciations linguistiques et différenciations sociales 1.3.1.1. Une conception qualitative des usages La notion de niveau de langue a émergé dans les années cinquante, dans le champ de la stylistique comparée, autour de l’École « de la Bibliothèque de stylistique comparée » dirigée par Alfred Malblanc, afin de résoudre les problèmes suscités par la traduction. Cette notion est également exploitée par le mouvement de renouvellement pédagogique de langue maternelle des années soixante. Ces origines expliqueraient finalement qu’elle soit bien plus discutée par les didacticiens des langues que par les linguistes, notamment autour de la revue Le français dans le monde 67. Que ce soit dans les manuels scolaires ou les ouvrages très généraux de linguistique, on a coutume de présenter la notion de registre ou niveau de langue par des listes ouvertes du type : soutenu, courant, argotique, familier, populaire, vulgaire, archaïque, etc. Il faut comprendre ces termes comme des niveaux qualitatifs, organisés les uns par rapport aux autres, dans un système dont le noyau est la norme. Bien que répondant à une conception contemporaine des notions de norme et d’usage, ces listes peuvent apparaître comme une simple adaptation de la conception tripartite du lexique des rhéteurs grecs qui avaient coutume de considérer trois catégories : le bas, le médiocre, le sublime. Aujourd’hui encore une représentation très hiérarchique des différentes aires lexicales est véhiculée, avec une tendance à regrouper sous l’intitulé de « langue relâchée » des réalités aussi diverses que la « langue populaire », « la langue familière », « l’argot », et même le « français commun », considérant qu’elles ne font plus tout à fait partie de la norme prescriptive. Ces modèles ressemblent, peu ou prou, à celui que propose Bodo Müller68, et se réduisent à un étalonnage du lexique à partir d’une catégorie de lexique, la norme, non définie donc probablement consensuelle, mais établie sur des critères qui sont tus. STOURDZE C., COLLET-HASSAN M., « Les niveaux de langue », Le français dans le monde, n° 65, 1969, p. 18-21 ; LEON P. R., « Aspects phonostylistiques des niveaux de langue », Le français dans le monde, n° 58, 1968, p. 68-73 ; BESSE H., « La norme, les registres, et l’apprentissage », Le français dans le monde, n° 121, 1976, p. 24-30 ; CHEVALIER J.-C., « Registres et niveaux de langue : les problèmes posés par l’enseignement des structures interrogatives », Le français dans le monde, n° 69, 1969, p. 35-41 ; GILBERT P., « Différenciations lexicales », op. cit., p. 41-47, etc. 68 MULLER B., Le français d’aujourd’hui, Paris, Klincksieck, 1985, p. 226. 67 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 57 français cultivé ou français soigné NORME ou français usuel, commun français courant français familier français populaire ou français relâché français vulgaire ou argotique Figure 1 : Organisation du lexique selon Bodo Müller Dans ce modèle, la norme (ou niveau zéro) se situe qualitativement entre le français cultivé et le français courant et elle participe des deux niveaux. Le français cultivé représente une supernorme, alors que le français argotique, le français populaire, le français familier, et la plus grande partie du lexique qui constitue le français courant sont représentés comme inférieurs au niveau zéro. L’utilisation de cette schématisation, si elle rend compte (par les pointillés) de la perméabilité des limites entre les diverses variétés, perpétue aussi l’idée que des sous-variétés relativement homogènes co-existent à côté d’une langue standard, selon une structure stable et cohérente. Certains modèles tentent de faire évoluer cette conception très ordonnée, relativement linéaire, au profit de regroupements plus souples, ou au contraire plus précis. Stourdzé et Collet-Hassan69 proposent un classement multidimensionnel que nous retenons aux fins de discussion parce qu’il est encore aujourd’hui très souvent cité en référence à propos de la variation lexicale : 69 STOURDZE C., COLLET-HASSAN M., « Les niveaux de langue », op. cit., p. 42. 58 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Langue Langue contemporaine classique Langue Langue populaire littéraire BON USAGE Langue familière Langue Langue courante Parlée soignée Écrite Figure 2 : Organisation du lexique selon Stourdzé et Collet-Hassan Ce modèle intègre des sous-niveaux au bon usage qu’il ne réserve pas à la langue soignée, prend en compte une dimension diachronique (influence de la langue classique sur la langue contemporaine) et reconnaît les influences (représentées par les flèches) des diverses catégories entre elles. Cependant, dans l’explication donnée de cette schématisation dès le premier paragraphe de l’article, la présentation de l’opposition langue populaire/langue littéraire laisse penser que les auteures n’échappent pas aux conceptions traditionnelles fortement normalisantes des usages de la langue. En effet, elles indiquent qu’ « une langue populaire, parlée naturellement par certaines couches sociales, formées en gros par les Français qui n’ont pas fait d’études secondaires, constitue un instrument de communication dans lequel formes et constructions grammaticales en particulier ne semblent obéir à aucune norme : il suffit que l’interlocuteur paraisse avoir compris le message ». Plus loin, ce jugement est confirmé par l’opposition entre une manière instinctive de s’exprimer et une autre, élaborée, décrite comme « une manière différente qui peut parfois sembler spontanée mais dont la simplicité apparente, fruit d’un Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 59 élan créateur, certes, est aussi bien souvent, l’aboutissement d’une longue élaboration : toute belle page écrite en langue littéraire appartient donc au domaine de la création artistique »70. Un lien corrélatif entre niveau social des locuteurs et qualité de langue est ainsi clairement établi, aboutissant à assimiler la description des pratiques à des jugements sociaux portés sur la langue. La notion de niveau de langue est donc indissociable de celle de niveau social, et les pratiques linguistiques se voient mécaniquement associées aux pratiques sociales. On retrouve ainsi l’opposition faite entre « parlure bourgeoise » vs « parlure vulgaire », établie par Damourette et Pichon dès le début du XXe siècle71. Le lexique serait alors étalonné sur un axe dont les extrémités représentent d’une part la langue parlée, instinctive, hors norme, apanage des classes populaires à capital culturel réduit, et de l’autre, une langue écrite, travaillée, reflet d’une élaboration culturelle et sociale. Ceci fait écho aux notions de « code restreint » et de « code élaboré »72, le premier étant décrit en opposition négative au second. Si nous poussons la logique à son paroxysme, nous aurions d’un côté un état naturel de langue et, de l’autre, un état culturel de langue, correspondant chacun à un état social. La réalité tend à complexifier un peu les choses et à les rendre beaucoup moins systématiques. Aussi, sans remettre en cause le fait qu’il existe des usages en étroite relation avec le milieu social des locuteurs, nous nous permettons de critiquer cette image cloisonnée et cloisonnante des locuteurs et de leurs pratiques donnée par ces modèles subjectifs – et non linguistiques –, souvent fondés sur des préjugés manichéens et sur un « désordre méthodologique ».73 Précisons qu’à l’instar de nombreux autres auteurs qui se sont essayés à ce type de classement74, Sourdzé et Collet-Hassan semblent elles-mêmes tout à fait conscientes des imperfections de leur proposition, de l’arbitraire d’un tableau statique qui tente de refléter le caractère dynamique de la langue et du côté artisanal et subjectif du classement des exemples qui ne repose sur aucune donnée scientifique. Cette confusion entre description linguistique et jugements de valeur aboutit – à moins qu’elle n’en soit la conséquence – à une approximation STOURDZE C., COLLET-HASSAN M., « Les niveaux de langue », op. cit., p. 19. DAMOURETTE J., PICHON E., Des mots à la pensée : essai de grammaire de la langue française, tome 1, Paris, Ed. d’Artrey, 1987, p. 50. 72 BERNSTEIN B., Langage et classes sociales, Paris, Éditions de Minuit, 1975. 73 Nous renvoyons, pour une étude davantage argumentée du modèle de Stourdzé, à CORBIN P., « ‘Niveaux de langue’ : pèlerinage chez un archétype », Bulletin du Centre d’analyse du discours, n° 4, 1980, p. 325-354. 74 CAPUT J.-P., La langue française, histoire d’une institution, tome 2, Paris, Larousse, 1975, p. 257 ; GENOUVRIER E., DESIRAT C., HORDE T., Nouveau dictionnaire des synonymes, Paris, Larousse, 1977, p. 9 ; etc. 70 71 60 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER terminologique ; les notions de registre ou de niveau font ainsi l’objet de définitions largement insuffisantes dans la littérature qu’elle soit destinée au grand public ou spécialisée75. Nous avons choisi d’observer, comme symptômatiques de ces manquements conceptuels, les gloses des termes registre, niveau et style, dans les ouvrages généralistes de langue ou de linguistique. 1.3.1.2. Des notions imprécises Les définitions présentées par des dictionnaires de langue font rarement mention de spécificités linguistiques liées à ces termes, alors même qu’ils sont utilisés dans leur préface comme concepts opérateurs. A nouveau, les dictionnaires dirigés par Alain Rey s’avèrent les plus précis sur la question. D’après le Grand Robert : - REGISTRE : « Ling. Caractère des discours, par rapport à la communication et à ses variations sociales. Registres de langue. Niveau. Un registre familier, soutenu. Les marques FAM., POP., style soutenu, didact., techn., etc. correspondent en général à des registres d'usage ». - NIVEAU : « Ling. Niveaux de langue : actualisations, selon les caractéristiques d'un usage déterminé, d'une langue, d'après la situation de communication, les possibilités et les intentions du locuteur, manifestées par des stratégies de discours. Les niveaux de langue, comme les registres et les styles, sont variables suivant le niveau social, culturel, de ceux qui parlent ». - STYLE : « Ling. Aspect de l'énoncé qui résulte du choix des moyens d'expression déterminé par la nature et les intentions du sujet parlant ou écrivant. » (Guiraud, La Stylistique, p. 109). - REM. Cette définition très large permet de réunir les conceptions du style, souvent très différentes, qui se sont fait jour en stylistique ; elle étend la notion de style au-delà du domaine littéraire. – Discours ». La confusion entre les termes registre, niveau et style est importante. Alors que la notion de registre est présentée comme synonyme de celle de niveau dans la première définition, elle est relativisée par la formulation de la seconde définition. Quant au style, il se caractérise principalement par le fait qu’il relève d’un choix du locuteur de faire varier son expression, plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement, de façon plus ou moins raisonnée, sans qu’il ne soit pourtant fait mention d’un rapprochement avec le 75 Elles n’apparaissent en propre ni chez Saussure, ni chez Bally, même s’ils utilisent les termes de « milieu » ou « situation ». Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 61 registre. En d’autres termes, les trois notions semblent liées et se faire écho, mais rien n’est dit précisément sur la nature de ce qui les lie et les différencie. Ce sont sensiblement les mêmes indications confuses que l’on retrouve dans le Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage de Larousse76 : - REGISTRE : « Les registres de la parole sont les utilisations que chaque sujet parlant fait des niveaux de langue existant dans l’usage social d’une langue (familier, populaire, soutenu, etc.) » - NIVEAU : « Dans une langue donnée, on constate que certains usages apparaissent surtout dans des milieux sociaux déterminés et d’autres dans d’autres milieux ou pour référence avec eux (…). Les niveaux de langue sont donc liés à la différenciation sociale en classes ou en groupes de divers types : ce sont des registres sociolinguistiques d’une même langue (…). Quelles que soient les situations linguistiques, on retrouve toujours au moins les niveaux suivants : une langue soutenue, qui tend à ressembler au parler cultivé, utilisé par la classe qui jouit du prestige intellectuel, une langue courante ou commune, qui tend à suivre les usages du parler populaire. » - STYLE : « Le style, que l’époque classique défini comme un je-nesais-quoi, est la marque de l’individualité du sujet dans le discours : notion fondamentale, fortement idéologique, qu’il appartient à la stylistique d’épurer pour en faire un concept opératoire et la faire passer de l’intuition au savoir (…). Le style relève de la parole, il est « le choix fait par les usagers dans tous les comportements de la langue » (Cressot). Que ce choix soit « conscient et délibéré », ou une simple déviation, le style réside dans l’écart entre la parole individuelle et la langue. » Là encore, le style, au-delà de la prudence du rédacteur, est défini comme un choix, le choix du locuteur de se saisir de « tous les comportements de langue », c’est-à-dire de la possibilité que la langue donne au locuteur de choisir un ou plusieurs registres ou niveaux de langue, pour s’exprimer. Cette dimension de choix semble également déterminer la notion de registre et de niveau. Il est remarquable que cette indifférenciation entre le terme de registre et de niveau (que l’on retrouve dans la définition de niveau et dans l’expression tous les comportements de langue ), amalgame des critères aussi différents que l’appartenance sociale du locuteur ou la situation de communication dans laquelle il se trouve. L’approximation et la confusion de ces définitions tendent 76 DUBOIS J., GIACOMO M., GUESPIN L., et al., Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse, Paris, 1994. 62 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER à représenter une conception normative de la variété lexicale, que l’on retrouve dans l’assimilation entre langue commune et langue populaire. Dans le dictionnaire de Ducrot et Todorov77, les termes de registre et niveau sont absents de l’index de la première édition. Dans la seconde version, l’item registre de langue apparaît dans le chapitre traitant du style dans la phrase : « Les disponibilités se cristallisent souvent en de véritables sous-codes linguistiques : c’est le cas par exemple des registres de la langue, c’est-à-dire des niveaux stylistiques qui sont à la disposition des locuteurs afin de leur permettre de moduler leur message selon les circonstances »78. Cette définition s’avère très peu éclairante. Les notions de registre, style et niveau ne sont l’objet d’aucune différenciation. Nous avons choisi de ne répertorier que quelques ouvrages dont les propos sont emblématiques de ce que nous avons pu lire. Les insuffisances des définitions examinées confirment que les critères utilisés pour définir et contraster les variétés lexicales ne sont pas toujours opératoires. Pourtant, certains auteurs ont essayé de mettre de l’ordre dans ces concepts, notamment à partir d’observations sociolinguistiques. 1.3.1.3. Le secours de la sociolinguistique Les définitions que nous venons de présenter tendent, de façon plus ou moins explicite, à considérer la notion de niveau/registre de langue comme systématiquement dépendante de la différenciation sociale. Nous retrouvons les mêmes orientations que celles rappelées précédemment à partir du modèle de Stourdzé et Collet-Hassan, selon lesquelles, par un raccourci idéologique, toute variation, quelle que soit sa nature, est jugée comme un écart, une déviation ; cet écart est assimilé à une non-maîtrise de la norme et, corrélativement, à un marquage social du locuteur. Marcel Cohen ironise sur ce tour de passe-passe et dénonce le cercle vicieux dans lequel s’installent les linguistes. Il propose une mise en situation : « Voici (…) les paroles explicites et circonstanciées d’un bourgeois de métier intellectuel (non universitaire) : des fois, cas typique du ‘français de classe’. Dans mon monde, celui ou celle qui dit des fois est immédiatement ‘classé’ ou plutôt ‘déclassé’ et étiqueté comme d’origine ‘populaire’. Si on demande : DUCROT O., TODOROV T., Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1972. 78 DUCROT O., SCHAEFFER J.-M., Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 654. 77 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 63 Qu’est-ce que le peuple ? Et bien, justement, tous ceux qui disent des fois au lieu de parfois de manière habituelle et sans y mettre un ton ironique. Telle est la règle, non écrite, mais d’autant plus impérieuse de la ‘bonne société’. Quant à quelquefois qu’il arriverait c’est le langage des chiffonniers et des marchandes de quatre saisons. »79 La norme se définit par opposition déductive. Un mot, une expression, une construction syntaxique seront considérés comme populaires précisément parce qu’employés par un locuteur d’origine populaire ; ce dernier est reconnu comme d’origine populaire parce qu’il a des réalisations linguistiques dites populaires. Il n’y a donc aucune possibilité pour ce dernier de se sur-classer. L’origine sociale est indépassable, puisqu’elle est le point d’ancrage de la catégorisation des usages linguistiques. Ainsi, peut-on considérer que les variables sociolinguistiques n’ont pas de valeur intrinsèque, « leur valeur sociodifférentielle, sur un marché donné, ne leur advient que d’une co-occurrence systématique avec d’autres traits et propriétés sociales. Marques classantes, elles ne sont classées que par leur association régulière à des sujets sociaux euxmêmes classés »80. Dans la même perspective, Denise François81 indique que la hiérarchisation du lexique, dont on rend compte à travers la notion de niveaux de langue, consiste à étager les usages, du meilleur au pire, du bien au mal parler, en se fondant, en dernière analyse, sur une hiérarchie des classes sociales conçue comme inaliénable. On pointe alors le handicap des locuteurs issus de milieux défavorisés, sans jamais justifier les raisons qui permettent de privilégier une forme de langage par rapport à une autre. La notion de niveau de langue instaure en quelque sorte une surnorme selon laquelle « les tendances unificatrices – inévitables – aboutissent à dénier toute existence aux tendances diversificatrices – elles aussi inévitables. »82 La norme, c’est-à-dire l’usage de référence, est déterminée par un processus selon lequel on identifie au normal le degré supérieur de l’échelle sociolinguistique, en outrepassant les données objectives et statistiques. COHEN M., Toujours des regards sur la langue française, Paris, Éditions sociales, 1970, p. 311. 80 LAKS B., « Langage et pratiques sociales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 46, 1983, p. 82. 81 FRANCOIS D., « Sur la variété des usages linguistiques chez les adultes », La Pensée, n° 190, 1976, p. 65. 82 FRANCOIS F., L’enseignement et la diversité des grammaires, Paris, Hachette, 1974 et « Analyse linguistique, normes scolaires et différentiations socioculturelles », Langages, n° 59, 1980, p. 29. 79 64 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Afin de pallier cette assimilation discriminante, Jean-Marcel Paquette83, dans le sillon de Michael Halliday84 ou encore de Peter Trudgill85, propose l’abandon du terme de « niveau de langue », dans la mesure où il n’a pu, suite à une recherche historique, voire archéologique, sur la notion, en dégager une pertinence. Il en conclut que la hiérarchisation des niveaux n’est que le résultat d’une opération idéologique qui ne résiste pas à l’observation empirique si l’on garde à l’esprit que chacun de ses éléments constitutifs n’est que variation. D’où la proposition qu’il fait, après bien d’autres86, de remplacer, pour mieux rendre compte de la réalité, le terme de niveau par celui, plus neutre, de registre. Ce dernier offre, selon lui, l’avantage de contenir tout ce que contenait déjà celui de niveau, tout en évacuant ce qui, dans ce dernier, n’appartient pas à l’opération linguistique elle-même. Mais cette position terminologique fait débat. En effet, l’origine anglosaxonne du terme registre conduit certains autres chercheurs, notamment Françoise Gadet87, à lui préférer celui de niveau, plus « français », estimant en outre non recevable l’argument selon lequel le registre enlèverait la dimension intrinsèque de hiérarchisation de niveau. D’autres préfèrent y substituer la notion de code, de pluralité de codes, la hiérarchisation des codes ne pouvant relever que de l’impossible (ou du dogmatisme)88. Ces observations montrent que les réactions normatives dépendent de la définition implicite que l’on se donne de la norme : « plus celle-ci est unifiée et limitée, plus elle est éloignée des tendances effectives de l’évolution structurale (phonétique, morphologique, syntaxique), et plus le réflexe puriste est violent »89. Il ne s’agit donc pas de refuser la norme mais de pouvoir en comprendre l’élaboration et d’en décrire les fonctionnements, par une analyse scientifique. Les études qui s’inscrivent dans cette orientation proposent des modèles d’organisation du lexique plus descriptifs, tendant vers une conception davantage neutralisée. 83 PAQUETTE J.-M., « Procès de normalisation et niveaux/registres de langue », in BÉDARD E., MAURAIS J. (ss la dir.), La norme linguistique, op. cit., p. 368. 84 HALLIDAY M., Language as Social Semiotic, London, University Park Press, 1978. 85 TRUDGILL P., Sociolinguistics : an introduction to language and society, London, Penguin, 2000. 86 BOURQUIN G., « Niveaux, aspects et registres de langue », Linguistics, n° 13, 1965, p. 5-15. 87 GADET F., « Niveaux de langue et variation intrinsèque », Palimpsestes, n° 10, 1996, p. 21 et « Cette dimension de variation que l’on ne sait nommer », Sociolinguistica, n° 12, 1998, p. 5371. 88 NESPOULOUS J.-L., BORRELL A., « De la diversité des usages linguistiques. Quelle(s) langue(s) enseigner ? », Les langues modernes, n° 71, 1979, p. 266. 89 REY A., « Usages, jugements et prescriptions linguistiques », op. cit., p. 25. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 65 1.3.2. Vers une approche multidimensionnelle du lexique Certains auteurs remettent en question le modèle traditionnel hiérarchique du lexique et proposent des conceptions radicalement différentes de sa structuration. 1.3.2.1. La norme comme moyenne quantitative C’est le cas de Paul Rivenc90, qui présente un modèle dont l’organisation est fondée sur l’usage. Bien que relativement ancienne, et assez peu exploitée, cette conception apparaît comme une représentation alternative des registres ou niveaux de langue, bien plus linguistique et objective que celles précédemment présentées. Nous en reproduisons la schématisation ci-après. Figure 3 : Le lexique comme un soleil 90 RIVENC P., « Lexique et langue parlée », in RIGAULT A. (ss la dir.), La grammaire du français parlé, Paris, Hachette, 1971, p. 65. 66 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER L’étude de Rivenc se construit sur la base des matériaux recueillis au cours de l’enquête réalisée sur des productions orales par Georges Gougenheim, entre 1951 et 1954, pour l’édification du Français fondamental. Ces données le conduisent à proposer une organisation du lexique, comme un soleil dit-il, c’est-à-dire appelant la métaphore du rayonnement et non plus celle d’étagement, d’échelle (figure faisant écho à l’arc en ciel proposé par Alfons Pilorz91). Il met en évidence différentes aires lexicales représentant divers degrés de disponibilité du lexique. Ce degré de disponibilité n’est pas à confondre avec la fréquence, il s’agit selon l’auteur, d’une « mobilité plus ou moins rapide des mots disponibles dans notre mémoire, en réponse à un stimulus donné ». C’est une conception du lexique fondée sur une analyse quantitative et non pas qualitative : Au centre, un noyau des mots fréquents, correspondant aux mots que les locuteurs ont tendance à employer constamment, quelles que soient les circonstances de l’acte de parole. Ils sont communs à tous les locuteurs de la même communauté linguistique. C’est le lexique commun fondamental fréquent, représentant environ 1 000 mots (zone concentrique ). Puis vient l’aire des mots qualifiés de disponibles par Gougenheim et Michéa : ce sont des mots à fréquence faible et peu stable, qui sont cependant des mots usuels et utiles. Ils sont également communs à toutes les catégories des locuteurs mais leur apparition dans le discours dépend de la situation, des circonstances de la communication (zone concentrique ). Ce lexique, disponible à chaque locuteur, s’organiserait autour de centres d’intérêt (de champs notionnels déterminés) représentés par des excroissances qui partent de la surface du noyau, de plus ou moins grandes dimensions. Ce sont diverses zones du lexique plus ou moins spécialisées, mais communes à tout locuteur (excroissance A, B, C, D). À la base, près du noyau commun, ces zones s’entremêlent pour dessiner des zones de mots communs à plusieurs domaines spécialisés. Par exemple : le mot chaise qui a un degré de disponibilité élevé, donc au plus proche de la zone concentrique , apparaît à la fois dans le champ notionnel des meubles (pouvant correspondre à l’excroissance A) et dans celui de la cuisine et de la classe (excroissance B et C par exemple). Autrement dit, plus le degré de disponibilité des termes est élevé (et donc situé proche de la zone ), plus il est disponible à plusieurs centres d’intérêts à la fois (d’où la juxtaposition des excroissances à la base). A l’inverse, plus on s’éloigne de la base, plus les centres d’intérêt se dissocient, et plus le lexique se spécialise, certains mots désignant des notions communes mais non partagées par tous les locuteurs. PILORZ A., « Notion de niveau de langue et analyse du style », Actas del XIe Congreso Internacional de lingüistica y filologica romanicas, Actas I, Madrid, 1968, p. 359. 91 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 67 Au-delà de ces lexiques communs et généraux, il faut distinguer l’aire des lexiques généraux d’orientation scientifique et celle des lexiques spécialisés (zones concentriques et ), qui se différencient essentiellement selon l’expérience professionnelle et culturelle du locuteur. De la première (zone ), partent également des excroissances (1, 2, 3), dans lesquelles le lexique se répartit comme expliqué précédemment. On trouvera, aux pointes de ces excroissances, les zones du lexique très spécifique, appartenant à une seule science, parfois même à une seule technique. Quant à la toute extrémité, elle correspond à la tumultueuse région des néologismes. Paul Rivenc précise que « naturellement, les limites de ces différentes aires lexicales, de même que leurs effectifs, ne peuvent être qu’arbitraires : elles varient sur le plan de la langue en fonction de son évolution diachronique, et sur le plan du discours en fonction du sujet parlant, et de son expérience propre au sein de la communauté linguistique à laquelle il appartient »92. Rivenc situe à l’extrémité extérieure des excroissances A, B, C, D (c'est-àdire à la base des excroissances 1, 2 et 3), les zones désignant des notions communes mais à des niveaux de langue qui ne sont pas partagés par tous les locuteurs (langue populaire et argot). En revanche, il localise à la base des excroissances A, B, C, D, c'est-à-dire très proche du cercle du lexique commun fondamental, les zones des niveaux de langue communs à tous les locuteurs (standard, familière, très familière). Les apports de ce modèle à la notion de registre, de niveau de langue et pour le lexique dans son ensemble, sont nombreux. Il implique, d’une part, que tous les sujets parlants d’une même communauté linguistique possèdent en commun – au moins potentiellement – le lexique disponible et, d’autre part, que seuls quelques spécialistes accèdent à des zones du lexique spécialisé. Évidemment, et c’est là que la métaphore du rayonnement prend pleinement sens, tous les degrés de spécialisation sont possibles. Toutes les spécialisations sont possibles. Paul Rivenc considère que les zones de registres, selon sa terminologie, se situeraient à la base des excroissances A, B, C, D et les zones du lexique populaire ou argotique à la pointe. La variation stylistique, c’est-àdire les variétés lexicales disponibles en fonction de la situation de communication, serait plutôt proche du lexique commun fondamental fréquent, alors que la variation socioculturelle tendrait à plus de spécialisation, donc de différenciation. La pertinence de ce modèle est indéniable. Il n’est plus question ici de hiérarchie, mais bien d’un continuum et, qui plus est, d’un continuum de spécialisation. La norme, au sens de moyenne, est le lexique fondamental 92 RIVENC P., « Lexique et langue parlée », op. cit., p.62. 68 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER commun à tous les locuteurs et, plus on s’éloigne de la norme, plus on accède à des zones de lexiques différenciées. La variable est donc la disponibilité du lexique et non plus la position sociale du locuteur. Ce modèle ne prend cependant pas en compte la dimension dynamique du fonctionnement du langage ; or cette dimension est nécessaire pour examiner plus profondément la question des registres et des niveaux de langue. C’est la sociolinguistique qui, après les rhétoriciens et les pédagogues, va s’intéresser à ces problématiques dans la mesure où elles relèvent des pratiques langagières autant que de la structuration du langage. 1.3.2.2. L’architecture variationniste Ainsi, des concepts originaux issus des théories variationnistes vont émerger afin de pallier les errements liés à une conception hiérarchique de la structuration du lexique. Françoise Gadet93, notamment, propose une description du lexique selon plusieurs dimensions organisées autour d’un centre neutre : la dimension diachronique, diatopique, diastratique et diaphasique. Ces multiples axes de variation permettent de rendre compte des diverses réalités des pratiques langagières et des champs distincts sur lesquels s’appuient les notions de registre et de niveau. Il s’agit de considérer : - la diversité dans le temps (diachronie), relative aux changements plus ou moins rapides que connaît toute langue, quelles que soient les caractéristiques historiques et sociales de la société dans laquelle elle est parlée ; - la diversité dans l’espace, géographique ou régionale (diatopie), relative aux différents usages parlés sur une certaine étendue géographique ; - la diversité sociale (diastratie), relative aux variations d’expression existant à une même époque, et dans une même région, pour des locuteurs qui différent par des caractéristiques démographiques et sociales ; - la diversité stylistique ou situationnelle (diaphasie), relative au répertoire diversifié dont dispose chaque locuteur, quelle que soit sa situation sociale, pour faire varier son expression, selon la situation où il se trouve, les protagonistes, la sphère d’activité et les objectifs de l’échange. 93 GADET F., Le français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1989, p. 9. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 69 Il est possible d’ajouter, comme sous-catégorie de la diversité diaphasique : - la diversité technique (diatechnique) : relative au vocabulaire plus ou moins spécialisé utilisé dans des milieux notamment professionnels. Ces dimensions de variation sont relayées par les lexicologues94 mais ne sont pas systématiquement reprises par la lexicographie. Pourtant, il semble qu’elles permettent d’opérer un classement plus opératoire des marques d’usage : - marques diachroniques (VX., VIEILLI, NÉOL., etc.), marques diatopiques (RÉGIONAL., DIAL., BRET., etc.), marques diastratiques (POP., ENFANT., VERLAN, etc.), marques stylistiques ou situationnelles (FAM., LITT., TECHN., etc.). SOUT., ARG., Cette catégorisation fait écho à celle proposée par Alain Rey, en chronolecte, sociolecte, topolecte et technolecte95. Déjà, Jean Nicot96 mentionnait un classement de ce type (marques temporelles, spatiolinguistiques, socioprofessionnelles, stylistiques, quantitatives) sans pour autant expliciter sa catégorisation. C’est probablement Haussmann97 qui a le plus affiné cette répartition, en distinguant onze catégories dans lesquelles peuvent être classées les marques d’usage. Ce macromodèle n’est pas parfait, notamment parce qu’il reprend l’idée d’organisation par étagement, non plus par rapport à une norme linguistique (le bon usage) mais par rapport à une norme sociale (la conscience linguistique des locuteurs), ce qui finalement, comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, ne semble pas si éloigné. Néanmoins, il a l’intérêt de faire le lien entre les marques d’usage et les conditions d’énonciation, et donc de montrer que les différentes marques d’usage assument un statut lui-même très différent. Au-delà de son apport lexicographique, l’intérêt de la taxinomie de Gadet réside dans le fait qu’elle permet de dissocier les variations linguistiques « corrélables » des classes sociales, et les variations linguistiques identifiées à des situations de communication. On parlera alors d’axe vertical pour la dimension diastratique, reflet de la valeur hiérarchique que la communauté 94 CORBIN P., « Les marques stylistiques/diastratiques dans le dictionnaire monolingue », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., p. 673-680 ; BOULANGER J.-C., « L’aménagement des marques d’usage technolectales dans les dictionnaires généraux bilingues », in PRUVOST J. (ss la dir.), Les dictionnaires de langue française, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 247-263 ; GLATIGNY M., « Les marques d’usage dans les dictionnaires français monolingues du XIXe siècle », Lexicographica, Series maior 91, Tübinger, Max Niemeyer Verlag, 1998. 95 REY A., « Norme et dictionnaires », in La norme linguistique, op. cit., p. 541-570. 96 NICOT J., Thresor de la langve francoise tant ancienne que moderne, op. cit. 97 HAUSSMANN F.J., « Die Markierung im allgemeinen einssprachigen Wörterbuch: ein Übersicht », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., p. 649-657. 70 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER linguistique donne aux formes langagières, sur un continuum distinguant un niveau cultivé (ou bourgeois), un niveau moyen (neutre, normé), et un niveau populaire (bas, vulgaire). L’axe horizontal, diaphasique, se fait l’écho de l’éventail des activités humaines, non hiérarchisées a priori, qui requièrent une façon adéquate de s’exprimer (littéraire, standard, familière). C’est avec cette dernière variation, exclusivement, que sera confondue la notion de style dans cette taxinomie. Autrement dit, on ne parle de style ou de variation stylistique que lorsqu’on est dans un choix, plus ou moins volontaire certes, mais non pas dans un conditionnement sociolinguistique. Niveaux (conditionnement socioculturel) Registres (conditionnement situationnel) Figure 4 : Axes des registres et niveaux de langue La distinction entre la variation inter-locuteur et la variation intraindividuelle a deux avantages : - elle permet de contrevenir à l’assimilation traditionnellement faite entre niveau de langue et niveau social, donc de différencier les usages socialement marqués des usages stylistiques ; - elle permet de refléter la réalité selon laquelle il n’y pas de locuteur à style unique, les locuteurs faisant varier leur expression selon la situation de communication98. Il devient alors possible d’envisager linguistiquement que chaque locuteur, quels que soient son appartenance sociale et ses référents culturels, puisse faire varier son expression. Ainsi Seguin et Teillard99, en observant leurs élèves d’une cité défavorisée de la banlieue parisienne, confirment – s’il fallait le 98 « Some informant show a much wider range of style shifting than others, but every speaker we have encountered shows a shift of some linguistic variables as the social context and topic change », LABOV W., « The Study of Language in its Social Context », Studium Generale, n° 23, 1970, p. 30. 99 SEGUIN B., TEILLARD F., Les céfrans parlent aux français, Paris, Calmann-Lévy, 1996, p. 81. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 71 faire – que les enfants des Courtillières s’expriment de différentes manières selon leurs interlocuteurs et qu’ils ont tout à fait conscience de la plasticité de leurs usages. La dimension diastratique reflète les caractéristiques socioculturelles du locuteur, alors que tous ses niveaux font l’objet d’un procès de normalisation (partant du postulat, en particulier développé par Labov, selon lequel tout groupe social met en place des normes linguistiques qui servent d’identification au groupe). Il existe bien une norme du « parler bourgeois » ou « cultivé » et une norme du « parler populaire » (réalité envisagée très diversement, notamment par Pierre Guiraud, Claire Blanche-Benveniste, Denise François, Pierre Bourdieu, etc.). Chaque locuteur peut faire varier (sur l’axe diaphasique) son expression par rapport à la norme qui régit le registre/niveau diastratique dans lequel il s’exprime habituellement. Il faut alors pouvoir envisager qu’il existe une façon plus ou moins familière, plus ou moins standard, ou plus ou moins soutenue, de parler populaire et donc également de parler la norme. On peut alors faire l’hypothèse que le « populaire soutenu » n’est pas différent du « standard ». La question de l’appartenance sociale des locuteurs usant de ces potentialités linguistiques fait débat et mériterait une enquête spécifique qui, à notre connaissance, n’a pas encore été réalisée. Il semble néanmoins que la variation situationnelle, stylistique, soit plus observable dans les milieux sociaux favorisés. C’est la position soutenue par Guy Bourquin pour lequel « plus le niveau socioculturel est placé haut dans la hiérarchie des niveaux, plus l’éventail des registres tend à s’ouvrir et se nuancer »100. En effet, les modes conversationnels diversifiés incitent à l’utilisation de plus de potentialités qu’offre la langue : plus un locuteur aura l’occasion d’avoir des échanges divers, plus il va s’initier au-delà du modèle qu’il utilise habituellement, et manipulera davantage les possibilités qui lui sont proposées. Ceci semble d’autant plus observable que la manipulation pertinente des variables diaphasiques nécessite une certaine connaissance des normes linguistiques et une bonne maîtrise des règles qui font le jeu social. Une étude plus fine de la réalité pourrait nous confirmer ces observations. Dans ce contexte, s’il y avait une position terminologique à prendre – et elle fut proposée à plusieurs reprises101 –, la plus éclairante serait sans doute d’identifier la dimension diastratique à celle des niveaux de langue (axe vertical) et la BOURQUIN G., « Niveaux, aspects et registres de langue », op. cit., p. 9. MOLINIE G., La stylistique, Paris, P.U.F., 1989, p. 60 ; JOLLIN-BERTOCCHI S., Les niveaux de langage, op. cit. ; etc. 100 101 72 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER dimension diaphasique à celle des registres, amplitude dont dispose chaque locuteur, quel que soit son niveau d’expression quotidien (axe horizontal). 1.3.2.3 Diaphasique, diastratique : une relation d’imbrication Ces manifestations ne sont pas aussi aisément catégorisables. Les critères de classement entre registre diaphasique d’un côté et niveau diastratique de l’autre, sont très difficiles à mettre en évidence car d’une part, cette notion de niveau n’est pas linguistiquement inscrite en langue et d’autre part, les plans linguistique (globalement rattaché au diaphasique) et extralinguistique (globalement rattaché au diastratique) représentent bien plus un continuum que des domaines spécifiquement délimités. D’ordinaire lorsque l’on parle de niveau, on fait surtout référence à des critères extérieurs à la langue en excluant la part la plus subtile de la notion, alors qu’il n’y pas véritablement d’imperméabilité entre les domaines diaphasique et diastratique. En effet, ce que l’on appelle français populaire ou français avancé est finalement pratiqué, à des degrés divers, par une grande partie des locuteurs francophones. Il n’est pas uniquement le reflet d’un conditionnement social dans les couches inférieures, voire moyennes, en raison de l’absence de suivi d’études supérieures. Il peut également indiquer le cadre d’une utilisation spontanée, quotidienne et ponctuelle de la langue, quelle que soit l’appartenance sociale du locuteur. Ainsi, pourrait-on parler d’un « français relâché, commun à l’ensemble de la collectivité, mais qui, historiquement, tire en très grande partie sa forme de son origine populaire »102. La variation situationnelle, stylistique n’est pas exempte de tout jugement social qu’il soit positif ou négatif. Ne parle-t-on pas du registre soutenu, recherché, surveillé, soigné pour signifier la variation diaphasique ? Nous retrouvons cette même problématique chez André Martinet, autour de la question « autre langue ou autre style ? »103. Ce rapport d’incursion entre dimension diaphasique et diastratique est mis au jour par Françoise Gadet104, qui soutient que cette position « autoriserait des hypothèses sur l’origine, pour un locuteur, de la variation diaphasique, en inviGUIRAUD P., « Français populaire ou français relâché », Le français dans le monde, n° 69, 1969, p. 23. 103 MARTINET A., Éléments de linguistique générale, op. cit., p. 159. 104 Mais aussi MESSELAAR P.-A., « Les marques familier et populaire envisagées d’un point de vue lexicologique et lexicographique », Cahiers de lexicologie, n° 53, 1988, p. 93 : « Une partie de ce langage [populaire] sert aussi de parler familier dans les situations qui s’y prêtent ; les deux systèmes se recouvrent partiellement ». 102 Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 73 tant à se la représenter comme effet sur son « répertoire verbal » de la variété des interlocuteurs et des situations auxquels il s’est trouvé confronté lors de son apprentissage »105. La variation stylistique serait nourrie des variétés diastratiques rencontrées au cours des expériences linguistiques de chaque locuteur, expliquant ainsi l’interpénétration des deux dimensions. Ceci est confirmé par l’observation des faits de langue populaires, susceptibles d’être utilisés, dans des conditions familières ou relâchées, par des locuteurs qui ne sauraient être qualifiés de populaires. Ainsi en est-il de la variation qui affecte toute langue, dans la mesure où « une même variable peut être investie dans différentes échelles de variation (sociale, stylistique, inhérente), avec des significations différentes, mais une même polarisation et une même orientation »106. Nous retrouvons ici la distinction labovienne d’indicateur et de marqueur, selon laquelle, les indicateurs sont des traits linguistiques qui présentent une distribution régulière à travers les groupes sociaux-économiques, les ethnies ou les générations, mais que chaque individu emploie de façon quasi identique dans tous les contextes. Alors que les marqueurs sont des variables sociolinguistiques plus élaborées qui présentent non seulement une distribution sociale, mais aussi une différenciation stylistique107. Cette étroite imbrication dans les phénomènes linguistiques de l’axe horizontal et vertical peut être illustré par un exemple, maintenant célèbre, celui de l’emploi du terme racaille. L’unité lexicale racaille, a priori non marquée, standard, connaît pourtant, depuis les années 1990, une redéfinition dans les cours de lycées, et plus généralement dans la culture des jeunes. « Suivant une mode inspirée du gangsta rap américain, certains s’autoproclament « racaille » dans une optique d’héroïsation par des connotations viriles en marge de la délinquance, ou pour revendiquer leur appartenance à un métagang ou encore pour valoriser leur marginalisation par la dérision ou la provocation »108. Ainsi, si un jeune lycéen de Vaulx-en-Velin prononce la phrase suivante : « ici, on est tous des racailles », et qu’un observateur se donne pour mission de faire un inventaire des mots utilisés dans ce milieu, alors racaille pourrait être considéré comme relevant de la langue des jeunes, de l’argot des cités. Ce sera un indicateur sociologique, d’âge, de milieu social à fonction identitaire, bref, distinctif socialement. A présent, si un ministre de la République dit à une administrée « vous en avez assez de cette bande de racailles, on va vous en débarrasser », l’emploi du terme racaille ne sera GADET F., « Niveaux de langue et variation intrinsèque », op. cit., p. 23. GADET F., Le français populaire, Paris, P.U.F., 1992, p.27. 107 LABOV W., Sociolinguistique, op. cit., p. 324. 108 Article « racaille » : www.wikipédia.org (consulté le 15 janvier 2007) 105 106 74 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER certainement pas considéré comme un marqueur de la classe ou du positionnement de ce locuteur sur l’échelle sociale. On y verra un « effet de style » du fait de l’utilisation d’un terme réprouvé, traduisant probablement une certaine ironie démagogique, ou plus simplement la volonté d’établir une complicité avec son interlocutrice, celle-ci étant d’autant plus forte qu’elle se fait au dépend d’un tiers. L’emploi du mot racaille sera alors perçu comme un usage familier, une familiarité. Ces questions font l’objet de discussions plus approfondies dans les chapitres suivants où nous avons examiné la pertinence de la distinction synchronique populaire/familier (voir chapitre 3). Nous avons pris le parti de présenter nos prises de position au fur et à mesure de la progression de l’analyse. Nous soulignons ici que les dimensions diaphasique et diastratique ne se présentent pas comme des ensembles clos, mais bien plutôt comme l’intersection de certains traits significatifs, de nature variable (phénomènes phonologiques, intonatifs, morphologiques, syntaxiques et lexicaux). Nous considérons en effet qu’il existe une relation intime entre la variation stylistique et la variation sociale et que toute déviation par rapport à l’une a, le plus souvent, sa contrepartie dans l’autre. Aussi, devient-il difficile de déterminer où commence et où finit un registre et un niveau de langue. L’organisation des sociétés modernes favorise le contact de personnes issues de milieux très divers et le passage d’une classe à l’autre, notamment à travers l’enseignement public obligatoire : cela ne signifie pas que des différences sociales ne soient plus observables par rapport à la maîtrise de la langue. Simplement, il devient de plus en plus difficile de caractériser un mot par la classe des personnes qui l’emploient. C’est pourquoi, nous pensons que « les niveaux de langue (…) sont périodiquement remis en question »109. En définitive, il semble que la distinction entre registre et niveau soit plutôt une abstraction théorique, même si elle peut s’avérer opératoire dans certains contextes. On ne peut finalement réfléchir qu’en terme de tendance puisque les traits permettant de définir la dimension diaphasique et la dimension diastratique s’inscrivent dans une relative continuité. Au terme de ce récapitulatif, nous pouvons avancer que la notion de familiarité lexicale mérite d’être observée tant d’un point de vue lexicographique que sociolinguistique et strictement linguistique. En effet, les trois approches se révèlent complémentaires. 109 REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 92. Chapitre 1. – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique 75 Si les travaux des lexicographes ne définissent pas la norme ou référence à partir de laquelle se décide l’attribution ou non d’une marque, ils fournissent pour autant une liste d’items marqués au regard du lexique non marqué. Bien que répondant à des critères arbitraires et intuitifs, le matériau lexicographique constitue ainsi une première catégorisation (marqué vs non marqué), source de corpus pour l’analyse. La réflexion métalexicographique s’avère être une source d’information complémentaire à des approches linguistique et sociolinguistique sur la notion d’usage. Si aucune des trois perspectives ne peut, à l’heure actuelle, proposer des outils conceptuels « clé en main » en matière de registre ou niveau de langue, la confrontation de ces trois points de vue pourrait en affiner la conceptualisation. Enfin, si les plans diaphasique et diastratique s’inscrivent sur un continuum, c’est que l’objet qui nous concerne, la familiarité lexicale, doit être envisagé tant dans sa dimension extra-linguistique que strictement linguistique. Ces réflexions ont été le point de départ des hypothèses et des choix méthodologiques que nous présentons dans le chapitre suivant. CHAPITRE 2 FAM., FAMILIER, FAMILIARITÉ PROBLÉMATIQUE, CORPUS ET MÉTHODES D’OBSERVATION ________ Dans ce chapitre, nous reprenons les prémisses de notre recherche afin de cerner les contours de la familiarité et leurs incidences sur la notion de registre de langue et sur l’attribution de la marque FAM. Cela nous conduit à formuler la question centrale de cette étude, relative aux corrélations existant entre l’emploi de termes non standards et la réduction de la distance interlocutive. Enfin, l’examen des principales pistes interprétatives de la familiarité nous permet de faire les hypothèses nécessaires au traitement de cette problématique. Pour finir, nous présentons le corpus dictionnairique retenu aux fins d’analyse et les conditions de son élaboration, puis nous indiquons les méthodes d’observation mises en œuvre pour cette recherche. 2.1. LA FAMILIARITÉ, ENTRE LANGUE ET DISCOURS Nous nous intéresserons, dans un premier temps, à la compréhension de la familiarité, notamment dans sa complexité sociale, puis à ses incidences linguistiques sur la notion de registre de langue et sur l’attribution de la marque FAM. Nous pourrons ainsi, dans un second temps, présenter la problématique générale de notre travail puis, dans un troisième temps, en détailler les principales hypothèses. 78 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 2.1.1. Marque FAM. et familiarité : quelques généralités 2.1.1.1. La marque FAM. dans les préfaces : un avertisseur Nous l’avons montré dans le chapitre précédent (§ 1.2), les marques d’usage ne sont pas clairement explicitées dans les préfaces des dictionnaires. C’est dans les dictionnaires Le Robert que les indications sont les plus précises : PR 77 : « L’abréviation FAM. correspond aux emplois (forme et sens) normaux dans une situation de communication sociale aisée, plutôt parlée qu’écrite, et dénuée de la contrainte propre aux échanges officiels, hiérarchiques, etc. » (p. XLII) Des informations complémentaires sont apportées par les tableaux d’abréviations du PR, revues dans le NPR : PR 77 : « usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc., mais ne s’emploierait pas dans des circonstances solennelles. » NPR 2002 : « usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc., mais ne s’emploierait pas dans des circonstances solennelles ; concerne la situation de discours et non l’appartenance sociale, à la différence de POP. » Nous pouvons déduire de ces gloses métalexicographiques que les termes marqués FAM. appartiennent au lexique commun, utilisé quotidiennement. Ils s’insèrent dans le cadre de la conversation quotidienne entre des personnes qui se connaissent ou se côtoient régulièrement. Ils délimitent avant tout des emplois propres au français parlé (bien qu’ils puissent être écrits), et caractérisent les échanges linguistiques sans enjeux de hiérarchie sociale, c’està-dire reflètent des situations de communication où la liberté de s’exprimer des locuteurs est relativement importante. La marque FAM. apporte des indications sur l’énoncé et non sur l’énonciateur, à la différence de POP., bien qu’il soit précisé que l’emploi de termes familiers est, d’après le PR, le fait de « situation sociale élevée » 110, c’està-dire plus facilement le fait de locuteurs des classes supérieures ou des couches moyennes cultivées. Deux caractéristiques fonctionnelles sont mises en évidence : - la marque FAM. se distingue de la marque POP. en cela qu’elle ne donne pas d’indication sur l’appartenance sociale du locuteur, mais sur une situation de discours, - les termes marqués se différencient des termes non marqués par le fait qu’ils connaissent des restrictions d’emploi liées aux circonsREY A., Préface du GR. Nous avons vu au chapitre précédent, à la fin du § 1.3.2.2, que cette affirmation était sujette à caution. 110 Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 79 tances de l’énonciation. Les emplois marqués FAM. sont des emplois « normaux », au même titre que les emplois non marqués, à ceci près qu’ils ne peuvent pas être employés dans n’importe quel cadre de communication. La marque FAM. utilisée par le lexicographe fait office d’avertissement, de recommandation. Les termes marqués FAM. ne sont pas proscrits des usages du français au sein de la communauté : ils appartiennent à la langue commune utilisée par tous les locuteurs et sont jugés suffisamment « normaux » pour être intégrés au dictionnaire (sur les évaluations des termes et les nomenclatures, voir § 1.1). Cependant, leur emploi est soumis à une condition : le respect du cadre situationnel décrit qui rend impossible leur usage dans des circonstances solennelles. Cet aspect de la question apparaît comme tout à fait paradoxal : pourquoi des « emplois normaux » nécessiteraient-ils un avertissement ? Afin de cerner la subtilité de cette contrainte, nous avons examiné ce que nous trouvons « derrière » l’entrée FAMILIER dans les dictionnaires monolingues qui ont été nos sources privilégiées jusqu’alors. 2.1.1.2. FAMILIER : un terme ambigu Au chapitre précédent (§ 1.2) nous avons montré que les marques d’usage sont le reflet des évaluations de la communauté linguistique sur les usages. Aussi, est-il pertinent, au-delà de l’indication de la marque FAM., de nous demander ce qui fonde un sentiment de familiarité, de nous interesser aux contours de ce que l’on caractérise, que l’on juge, comme familier. Familier (DFC ) Se dit de quelqu’un dont les manières manquent de réserve, ou même qui se montre indiscret ou impoli avec les autres : Etre familier avec les femmes. (syn. : µentreprenant). Si on l’encourage imprudemment, il devient vite familier (syn. Grossier). Avoir des manières très familières (syn. : libre, cavalier). Se dit de ce qui est simple et amical : un entretien familier. Se dit d’un mot ou d’une construction caractéristique de la langue de la conversation : Une tournure familière. Familier (GL ) Qui montre une absence de contrainte pouvant aller jusqu’à l’impolitesse. Etre familier avec les femmes. Un entretien familier. Que l’on sait, que l’on connaît bien ; que l’on fait bien par habitude. Une voix familière. Cette question lui est familière. Se dit d’un animal qui vit dans le voisinage de l’homme. Le chien est un animal familier. Se dit d’un mot, d’une expression employés couramment, mais pouvant être ressentis comme incongrus dans certaines relations sociales ou dans les écrits 80 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER de styles sérieux, soutenus. (C’est ainsi que balade ou se balader sont familiers par rapport à promenade ou se promener ). Familier (NPR 2002) ♦ vx. Qui est considéré comme faisant partie de la famille. « Mes plus familiers amis » (La Bruyère). ◊ N.m. mod. Personne qui est considérée comme un membre de la famille, qui la fréquente assidûment ou qui est dans des relations intimes avec qqn. => ami, intime. C’est un de ses familiers. « J’étais un des leurs, un familier de cet étrange monde (Michelet). – Personne qui fréquente assidûment un lieu. Les familiers d’un club. => habitué. ♦ Qui est bien connu ; dont on a l’expérience habituelle. Vivre au milieu d’objets familiers. « le monde familier, rassurant, apaisant est là autour d’elle de nouveau » (Sarraute). Voix familière. ◊ Familier à (qqn). Dont la connaissance, la pratique, l’usage est ordinaire à qqn. Le maniement de cette machine lui est devenu familier. => aisé, facile, usuel. – Qui est habituel à qqn (comportement). => coutumier. C’est là une de ses attitudes familières. Le mensonge lui est familier. ♦ (Personne) Qui montre dans ses rapports avec ses semblables, ses subordonnés, une simplicité qui les met à l’aise. => accessible, liant, simple (cf. Pop. pas fier*). – Péj. Qui est trop libre, trop désinvolte dans ses manières (=> familiarité). Cet élève est très familier avec ses professeurs. – Par ext. Manières familières (=> simples), trop familières (=> cavalier, désinvolte). ◊ Qui vit au foyer. Animaux familiers. => domestique. – Qui se familiarise, devient plus libre. « l’humilité des enchères encouragea la troupe de petits brocanteurs, qui se mêlèrent à nous et devinrent familiers » (France). ♦ (1680) Qu’on emploie naturellement en tous milieux dans la conversation courante, et même par écrit, mais qu’on évite dans les relations avec des supérieurs, les relations officielles et les ouvrages qui se disent sérieux. Emmerdant est un mot familier. Expression, locution familière. Langue familière. C’est volontairement que nous n’avons pas tronqué ces définitions dans la mesure où cela permet de suivre le mouvement de va-et-vient entre un sens familier « simple, ordinaire » et un sens familier « désinvolte ». Les trois dictionnaires retenus rendent compte de cette ambiguïté que prend le terme familier. Pour le DFC et le GL, le sens premier est apprécié négativement (« qui manque de réserve », « absence de contraintes ») et glisse en quelque sorte vers une axiologie positive (« simple et amical ») ou davantage descriptive (« que l’on connaît bien »). En revanche, dans les définitions du NPL, le sens négatif du terme familier est précisé comme un sens péjoratif d’un sens premier qui ne l’est pas. En tout état de cause, chacun des dictionnaires présente une proposition définitoire du sens dit négatif faisant un rappel, plus ou moins explicite, à une conception normative des rapports sociaux : « manquer de réserve », « absence de contraintes », « trop libre », « impoli ». Par conséquent, l’adjectif familier pourrait caractériser ce qui est « simple et amical », « courant », « ordinaire », « habituel » mais seulement dans une certaine mesure et dans certaines Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 81 circonstances définies par des normes, a priori sociales. Ce qui « met à l’aise » les uns peut être « incommodant » pour les autres. Le terme familier, paradoxalement, désigne l’amitié et l’inimitié, un comportement sociable, liant, autant qu’une attitude sans-gêne, une personne cordiale autant qu’un insolent. C’est cette imposition des normes sociales qui conduit les manuels scolaires et certaines grammaires généralistes, dont les motivations sont souvent davantage normatives que les dictionnaires, à préférer, à la description ou à la définition du langage familier, la mise en garde de leurs lecteurs. Méfiez vous des tournures familières, conseille-t-on dans ces ouvrages. Les usages familiers doivent donc être compris comme des « usages normaux » si, et seulement si, la situation de communication s’effectue entre pairs. Si cette condition n’est pas respectée, ils sont interprétés du côté de l’incorrection, de la désinvolture. L’emploi des termes familiers n’est acceptable que dans certains contextes, ce qui rend parfois difficile leur maniement. Autrement dit, les usages familiers, sans respect des contraintes situationnelles qui leur sont associées, ne correspondraient plus à un usage neutre, quotidien de la langue, mais plutôt à de l’impolitesse – le terme familier revêt alors un caractère péjoratif comme l’indique le NPR. C’est pourquoi il est légitime de soutenir que la marque FAM. assure un rôle d’avertisseur et, en cela, est le reflet des règles qui font le jeu social. 2.1.1.3. Familiarité, politesse et codes sociaux Les usages sociaux sont régis par des rituels, appelés communément règles de politesse, qui servent de guide pour entrer en relation avec autrui et garantissent son respect dans les relations sociales. Il s’agit de « favoriser le contact en faisant courir un minimum de risques aux faces et au territoire des acteurs »111. Ces notions de face et territoire renvoient à la théorie d’Erwing Goffman dont on peut résumer le modèle minimal par l’existence des deux paramètres pour chaque locuteur. A la face correspond la valeur sociale présentée en face d’autrui, acceptée ou refusée par le jugement d’autrui. Au territoire est associé deux principes : le principe de ménagement (éviter de menacer) et le principe de modestie (éviter de trop mettre en valeur). Une relation sera socialement acceptable si elle respecte les faces et territoires de tous les participants à l'interaction. Obtenir un tel équilibre nécessite un accord consensuel, lequel résulte de « l'effet combiné des règles d'amour propre et de considération »112. Aussi, chaque participant s'efforce-t-il de maintenir une situation acceptable, estimant qu'en général il y a « plus à perdre qu'à 111 112 PICARD D., Politesse, savoir-vivre et relations sociales, Paris, P.U.F., 1998, p. 91. GOFFMAN E., Les rites d'interaction, Paris, Éditions de Minuit, 1974, p. 73. 82 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER gagner » à bouleverser les règles établies. Ces principes de ménagement et de modestie sont variables selon les interlocuteurs. Cette théorie est particulièrement appropriée pour faire le lien entre les relations sociales et les phénomènes de communication verbale. L’observation quotidienne de l’utilisation du langage révèle que les locuteurs sont tout à fait conscients des différentes possibilités d’entrer en relation les uns avec les autres, même si, nous venons de le voir, certains sont plus à l’aise que d’autres dans cet exercice. Quoi qu’il en soit, chacun sait que l’on ne s’adresse pas de la même façon à son patron et à ses collègues (ce qui pourrait paraître irrévérencieux) et, inversement, que l’on ne parle pas « comme dans un livre » dans une conversation détendue avec des amis (ce qui pourrait paraître prétentieux). Chacun est capable de faire varier son expression, de s’adapter au contexte, de se conformer ainsi au comportement social – donc linguistique – attendu dans une situation donnée. Les locuteurs font alors aisément varier leurs productions langagières en respectant les enjeux de l’interaction (notamment en respectant la théorie des faces et territoires), par une adaptation à la situation matérielle, à l’interlocuteur, au sujet traité, à la présence ou non d’un public, à un type de relation entre les locuteurs, etc. Autrement dit, les locuteurs s’adaptent en fonction de tous les éléments qui font le contexte de la relation, qui sont autant de paramètres à prendre en compte afin de respecter les règles de politesse. Cette plasticité des usages n’est pas seulement une variable situationnelle, elle dépend également du sujet abordé dans l’acte de communication (voir les définitions de familier du GL ou du NPR pré-citées « que l’on évite dans les ouvrages qui se disent sérieux »). Aurélien Sauvageot, dans son étude sur le vocabulaire français, le remarque. Dans une même interaction, les locuteurs jouent avec les différentes manières de s’exprimer dont ils disposent. D’après ses observations, certains locuteurs préfèrent utiliser des locutions qui semblent moins « soutenues » ou « moins cérémonieuses » dans la conversation quotidienne, et pourtant, dès qu’un sujet sérieux est abordé, « le locuteur oublie rarement d’en revenir à deux vocables incolores, ceux de la langue commune113. Tout se passe comme si le locuteur était toujours soucieux de ne parler ni trop bien, ni trop mal, ni trop serré, ni trop lâche »114. On retrouve ici les exigences de mise en relation des individus exposées par Goffman. Être poli n’implique pas de s’exprimer, en permanence, de manière soutenue, mais d’adapter son comportement linguistique aux comportements socialement admis dans des circonstances données. Les règles de savoir-vivre doivent 113 Contrairement aux positions que nous avons prises, Aurélien Sauvageot considère la notion de « langue commune » au sens le plus restreint du terme, c’est-à-dire de langue normée, non marquée, que nous avons préféré appeler langue standard. Voir § 1.1 et § 1.2. 114 SAUVAGEOT A., Portrait du vocabulaire français, Paris, Larousse, 1964, p. 241. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 83 garantir une certaine distance entre les interlocuteurs et ce, quelles que soient les situations de communication115. Ainsi si l’on peut adapter son discours au contexte situationnel et au contexte thématique (sujet plus ou moins sérieux), force est de constater que la discrétion, la mesure, le tact, la réserve, le maintien, le contrôle de soi, sont considérés comme indispensables à la préservation du caractère harmonieux de la relation interpersonnelle116. Bien que participant de la langue commune, le familier doit alors être compris comme une part du lexique non standard, hors la norme, si l’on définit cette dernière comme « une expression écrite et parlée, que ne marquent ni une familiarité excessive, ni une recherche contrainte »117. Ces premières observations éclairent les phénomènes de familiarité sociale et donc linguistique. Certaines façons de parler, l’utilisation de certaines tournures, l’emploi de certains termes, sont à éviter dans certains contextes ou pour aborder certains sujets de conversation, car ils s’apparentent à des usages sociaux non admis par les codes de « savoir-vivre ». Par conséquent, leur utilisation pourrait mettre en péril l'équilibre, la relation symétrique, égalitaire – voire égalisée – de mise lors de l’interaction sociale. Si des usages sont signalés par la marque FAM., et que cette dernière joue comme avertisseur, c’est qu’il y a un risque à les employer en dehors des circonstances définies (situation solennelle, ouvrage sérieux), car les usages marqués FAM. ne permettraient pas le maintien des faces et territoires de chacun. Les termes FAM. sont donc susceptibles de produire un effet en discours118 sur l’interaction. C’est là la caractéristique essentielle de la marque FAM., et plus généralement de la familiarité lexicale, sur laquelle s’est porté notre intérêt. 2.1.1.4. Familiarité et réduction de la distance interlocutive Les usages que l’on dit constituer le registre familier de langue ne sont alors pas anodins. Leur emploi transgresse les règles qui font le jeu social. Soit la phrase suivante : « Mais qu’est-ce que tu me prends la tête là ! / on s’en fout de ça / faut pas m’emmerder quand même…» 115 Sur ce sujet, voir également la notion de distance sociale dans HALL E.T., La dimension cachée, Paris, Seuil, 1971. KERBRAT-ORECCHIONI C., La conversation, Paris, Seuil, 1996, p. 51. COSTE D., « Français fondamental, enseignement et idéologie : quelques aspects de diverses polémiques », Voix et images du CREDIF, n° 18, 1973, p. 37-39. 118 SCHÖN J., « Dialogisme, politesse et culture », in Dialoganalyse III, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1991, p. 239-244. 116 117 84 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Si elle est prononcée lors d’une dispute entre deux amis, le récepteur de l’énoncé déduira que son interlocuteur est en colère, en désaccord, lassé, etc. Il pourra lui-même répondre sur le même registre puisque le caractère de la relation qui les unit le lui permet. La conversation et la relation ne sont pas mises en péril. Si maintenant un étudiant prononce ces mots devant son professeur, l’interlocuteur/professeur interprétera assurément ces propos bien au-delà de la colère. Il trouvera certainement que l’étudiant manque franchement d’éducation, de respect, qu’il n’a pas su gérer son positionnement social, autrement dit qu’il n’a pas su, ou pu, respecter les règles de bienséance, de politesse, les règles sociales. Mais lui-même se trouvera sans doute agressé par cette situation qui, menaçant l’équilibre des faces, l’oblige à faire l’effort de maintenir la sienne (alors que, traditionnellement, c’est la personne en position « basse » qui actualise la relation hiérarchique, notamment par des marques de déférence envers la personne en position « haute »). L’issue de cette interaction sera probablement son interruption, voire le conflit. Cette mise en situation imaginée, éclaire le fonctionnement de l’« effet familier » qui consiste à réduire la distance entre les locuteurs. Il apparaît évident que cet effet ne peut être acceptable qu’entre pairs étant donné les règles sociales, c’est-à-dire entre personnes consentant à plus de proximité dans l’interaction. Tout se passe comme si l’usage de termes familiers (donc marqués FAM.) exigeait une sorte d’accord tacite entre les participants de l’interaction, une sorte d’invitation mutuelle à transgresser les règles fixant la distance interlocutive socialement adéquate. Et si tel n’était pas le cas, on s’exposerait grandement à une sanction de la part de l’interlocuteur. Nous pouvons maintenant définir la familiarité comme la liberté donnée à l’autre de pénétrer dans ses territoires et réserves et le fait que cette liberté est exercée 119. C’est donc l’ensemble des conditions qui permettent d’entrer dans les espaces normalement réservés d’autrui, de rompre l’engagement tacite de non-violation du territoire de l’autre, représenté par la (les) norme(s) sociale(s). Nous entendons la relation familière comme une sorte de franchissement des règles sociales et, par induction, une possibilité d’adopter un autre positionnement dans la relation à l’autre. Cette relation est notamment alimentée par certains types de termes, les termes familiers, que le lexicographe a tenté, même intuitivement et arbitrairement, de repérer à travers les jugements des locuteurs et qu’il a affublé de la marque FAM. GOFFMAN E., La mise en scène de la vie quotidienne, tome 2, Paris, Éditions de Minuit, 1973, p. 185. 119 Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 85 2.1.2. Problématique De ce qui précède plusieurs constats peuvent être faits. Les règles sociales sont des prescriptions qui favorisent la mise en relation des individus par le respect mutuel de leur face et de leur territoire. Elles sont relayées par des normes linguistiques qui, elles aussi, veillent au maintien d’une certaine distance entre individus dans l’interaction verbale. La familiarité peut se définir comme un faisceau de conditions permettant le franchissement de ces règles. En cela la familiarité est un mode de relation sociale non conforme, transgressif et admis seulement à certaines conditions, la plus évidente étant le désir partagé de transgresser ensemble (accord tacite entre pairs). Le registre familier est un support verbal de la familiarité sociale et réciproquement. A ce titre, il est en marge de la norme et il est également régi par des contraintes d’emploi. Il est la manifestation, le support et l’outil de la transgression dans l’interaction verbale et sociale. Il est formalisé, dans le dictionnaire, par l’attribution de la marque d’usage FAM., qui distingue les usages standards des usages non standards. Par conséquent, il convient d’expliciter la corrélation entre l’emploi de termes non standards et la réduction de la distance interlocutive, c’est-à-dire de mettre en évidence les propriétés des termes familiers qui provoquent, en discours, une transgression des règles sociales d’interaction. 2.1.3. Hypothèses : de l’énoncé au sujet 2.1.3.1. Marque FAM. et familiarité : une causalité réflexive Nous postulons qu’une relation de causalité réflexive existe entre l’emploi des termes familiers (c’est-à-dire appartenant au registre familier), que le lexicographe marque FAM., et la familiarité comme mode de relation sociale. En effet, la marque FAM. est la formalisation métalinguistique d’un jugement de bienséance, c’est-à-dire un indicateur de savoir-vivre, ou devrions-nous dire, de savoir-parler. Il faut comprendre la dénomination de registre de langue familier comme l’outil verbal de la familiarité, notamment par l’emploi de ces termes marqués FAM. Cet outil assume un double rôle : en même temps qu’une manifestation de la familiarité il en est son effet. L’emploi de termes familiers est un indice et, également, un inducteur de la transgression familière. 86 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Cette inter-implication est confirmée par Françoise Gadet pour laquelle les usages familiers (le diaphasique) ont souvent été interprétés comme une réponse des locuteurs à la diversité des situations. Mais il apparaît qu’à côté de ces comportements prévisibles d’adaptation à la situation de communication, « il y a la ressource de l’initiative, où l’interaction reconfigure les relations entre locuteurs. Le rapport entre façon de parler et situation n’est alors pas automatique : les locuteurs peuvent ré-orienter un discours, par exemple vers le familier, rendant ainsi le contexte plus familier. »120 C’est donc parce que les locuteurs sont en relation familière qu’ils emploient spontanément des termes familiers, mais c’est aussi parce qu’ils emploient des termes familiers qu’ils créent les conditions d’une relation familière. Il convient donc de s’interroger sur la dimension retenue lors de l’analyse du registre familier. Lorsque les usages familiers sont décrits comme non standards, non conventionnels, sont-ils définis dans leur dimension linguistique ou dans leur dimension sociale ? La distinction n’est que rarement établie. On a coutume de présenter le registre familier comme une manière de s’exprimer sans contrôle, improvisée, décontractée, sans que l’on sache si on qualifie les termes euxmêmes ou leurs emplois. Or, si la transgression familière est en même temps linguistique et sociale, les deux niveaux d’analyse, celui de la langue et celui du discours, doivent être explorés. Dans les faits, deux positions antagonistes se dessinent, bien que les partis pris ne soient pas explicitement affirmés. L’interprétation sociolinguistique, depuis Labov, situe le « langage familier » a priori du côté du discours, le désignant comme un « style contextuel »121, une façon de s’exprimer sans contrôle, relative au degré de formalisation du contexte de communication, dont les conséquences se manifesteraient en langue, a posteriori. En revanche, les didacticiens et pédagogues orientent leur propos préférentiellement du côté de la langue, considérant que les caractéristiques attribuées aux formes linguistiques familières sont autant de facteurs qui font évoluer le cadre traditionnel de la communication. Ces perspectives de recherches ont été abandonnées ces dernières années, en raison des tendances prescriptives qu’elles supposent. En effet, il était de coutume, jusqu’à la fin du XXe siècle, de définir le registre familier comme vulgaire, grossier, comme la « langue de tous les jours », par opposition à la « langue du dimanche » 122. Or, dire qu’un mot est « familier » ou « vulgaire » est un point de vue relatif porté sur les usages GADET F., La variation sociale en français, Paris, Ophrys, 2003, p. 105. LABOV W., Sociolinguistique, op. cit., p. 145. 122 LUZZATI F., LUZZATI D., « Oral et familier, un nœud de vipère linguistique», L’information grammaticale, n° 28, 1986, p. 9. 120 121 Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 87 linguistiques et, les observations que nous venons de faire, nous obligent à considérer que les mots ne sont pas « en soi » familiers, soutenus, courants, etc. Ils le sont plus ou moins pour ceux qui les utilisent, selon la situation dans laquelle ils les utilisent123. Aussi, ce sont les études strictement sociolinguistiques qui sont aujourd’hui privilégiées, afin de cerner les mécanismes de la variation non standard124, postulant que les processus sociaux se reflètent dans les structures linguistiques. Néanmoins, nous soutenons que le caractère réflexif dans la relation langue/discours ne doit pas être négligé. Si la situation d’énonciation détermine des choix lexicaux de la part des locuteurs, la réciproque se vérifie également. La marque FAM. est un indicateur des conditions d’emploi des unités lexicales, par rapport à une manière sociale normée d’entrer en relation et par rapport à une norme linguistique, plus systémique dirons-nous. Au-delà d’une interprétation strictement sociolinguistique des phénomènes de variation lexicale, une lecture davantage linguistique s’impose. Nous faisons l’hypothèse que la variation registrale a une source en langue, au sein du système, et que la familiarité lexicale relève des pratiques sociales et des structures linguistiques. Notre perspective de recherche est donc double : discursive et linguistique. Il s’agit de comprendre comment s’opère la réduction de la distance et quels sont les mécanismes linguistiques et extralinguistiques qui la sous-tendent. Nous cherchons à mettre au jour les spécificités des termes familiers relatives, d’une part, à la forme, au sens, à l’environnement syntaxico-lexical et, d’autre part, celles relatives aux contextes ou conditions d’énonciation, aux effets de discours. L’objectif de cette étude est d’expliciter les manifestations linguistiques internes et externes de la familiarité et d’isoler les indices linguistiques et extralinguistiques, facteurs de transgression linguistique et sociale qui induisent une réduction de la distance interlocutive. GENOUVRIER E, DESIRAT C., HORDE T., Nouveau dictionnaire des synonymes, op. cit., p. 10. 124 Voir BAUTIER E., Pratiques langagières, pratiques sociales, Paris, L’Harmattan, 1995 ; BENSIMON-CHOUKROUN G., « Les mots de connivence des jeunes en institution scolaire : entre argot ubuesque et argot commun », Langue française, n° 90, 1991, p. 80-94 ; COLIN J.-P., « Le traitement des données linguistiques non standard », Le traitement des données linguistiques non standard,, Actes des Rencontres Besançon-Neuchâtel (29-30 janvier 1993), Neuchâtel, 1993, p. 201-205 ; COMBESSIE J.-C., « Le dictionnaire : usages sociaux et qualités de la langue. Contribution sociologique à un débat », in ELOY J.-M., La qualité de la langue ? Le cas du français, op. cit., p. 123-132. ; PERRENOUD P., « Parle comme il faut ! Réflexions sociologiques sur l’ordre linguistique », in SCHÖNI G., BRONCKART J.-P., PERRENOUD P. (ss la dir.), La langue est-elle gouvernable ? Normes et activités langagières, op. cit., p. 79-108. 123 88 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER C’est pourquoi nous revenons dans la suite sur les principales interprétations actuelles de la notion de registre familier, issues de la sociolinguistique et de la stylistique, et que nous les discutons en considérant les « zones d’ombre » comme autant de pistes de recherche. 2.1.3.2. Le registre familier comme indicateur sociologique ? L’hypothèse interprétative la plus communément formulée à propos du registre familier de langue consiste, comme nous l’avons montré au § 1.3., à faire une interprétation sociologique, pourrait-on dire, de la marque FAM. Le registre familier est décrit comme une langue sans contrôle, spontanée. Ce relâchement linguistique est assimilé à un indice de classe ou, pour le moins, à un usage non conforme, qui nécessite certaines restrictions d’emploi et, corrélativement, crée une sorte de complicité entre locuteurs. A ce titre, le familier est un niveau intermédiaire entre le standard et le populaire, une sorte de français populaire anobli, ou de norme assouplie pour les conversations quotidiennes 125. La différence posée entre le parler populaire et le parler familier est une question d’échelle, de degrés, sans que soit explicitement précisé à quel niveau se situe le « relâchement » et comment il se manifeste (dans une dimension phonétique, lexicale, discursive ?). Le lexique populaire et le lexique familier ne sont pas clairement identifiés, ni identifiables. Des recherches plus approfondies sur le lexique non standard ont permis de compléter et de nuancer quelque peu cette position, notamment en faisant état d’une origine populaire ou argotique du lexique familier. Les termes familiers sont analysés comme relevant, historiquement, de la dimension diastratique mais dont l’usage actuel est plus répandu donc moins réprouvé. Le lexique familier est constitué de mots populaires ou argotiques qui ont réussi à intégrer les diverses couches de la population. Cette vision du lexique tend à faire de la zone regroupant les termes marqués FAM. une sorte de « sas » entre des usages populaires et des usages plus normatifs. Le familier est alors un niveau intermédiaire entre les niveaux dits inférieurs (argot, populaire) et ceux dits supérieurs (langue académique) sur l’échelle de la hiérarchie socio-langagière. Le fait que la marque FAM. fonctionne comme un avertisseur de contraintes d’emploi, du fait même de normes sociales, renvoie évidemment à une lecture sociolinguistique de la marque. Il apparaît alors pertinent de prendre en compte cette hypothèse interprétative de la familiarité lexicale car elle permet de considérer que nous avons affaire à une manière d’expression relative aux relations sociales établies et entretenues par les rites de politesse. 125 JOLLIN-BERTOCCHI S., Les niveaux de langage, op. cit., p. 39. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 89 Les circonstances de communication auxquelles est contraint l’emploi du registre familier sont imposées, malgré tout, par la hiérarchie sociale. Le registre familier renvoie effectivement à la stratification sociale de la société. Nous n’avons donc pas exclu cette hypothèse a priori et l’avons confrontée à une analyse de corpus, en comparant les marques d’usage126 (chapitre 4). Cependant, il nous a semblé judicieux de déplacer les attendus de cette hypothèse. Il ne s’agit plus de chercher si le familier peut être considéré comme un niveau intermédiaire entre le populaire et la norme, mais d’essayer de comprendre comment une unité lexicale peut « passer » d’un niveau populaire vers un registre familier, c’est-à-dire de rechercher comment et pourquoi un terme glisse de la fonction d’indicateur à celle de marqueur pour reprendre la terminologie de Labov. Notre questionnement a donc été recentré sur ce qui fonde la distinction diaphasique et diastratique à travers l’observation du lexique familier. 2.1.3.3. Le registre familier comme indicateur de connotations ? L’interprétation strictement sociolinguistique de la notion de registre ne suffisant pas à expliciter la réduction de la distance interlocutive, d’autres voix proposent une lecture de l’indice familier comme marque connotative. Cette perspective stylistique vise à dissocier la signification conceptuelle et l’emploi en discours, établissant une sorte de relation de synonymie sémantique entre registre familier et registre standard ; l’un se distinguant de l’autre par un jeu de connotations. C’est la conception de la dimension diaphasique qui est la plus répandue. Le style est traditionnellement défini comme relevant d’un choix, plus ou moins conscient, plus ou moins calculé, plus ou moins réfléchi, qu’opère le locuteur afin de faire varier son expression. Cela suppose que préexiste l’intention de dire quelque chose et que le locuteur sélectionne ensuite, dans l’éventail que lui offre la langue, une réalisation plutôt qu’une autre. Cette hypothèse considère le registre de langue, et donc le registre familier, comme un moyen d’expression alternatif à la norme. C’est la thèse que soutient, entre autres, Labov et qui correspond à la tendance générale d’interprétation des variantes comme disant une même chose de façon différente. Cette approche n’est pas sans incidence sur la conception de la langue. Elle suppose en effet « une certaine neutralité de la forme à l’égard du sens »127, 126 127 Le corpus ainsi que les étapes de l’analyse seront développés dans la section suivante, § 2.2. GADET F., La variation sociale en français, op. cit., p. 109. 90 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER faisant fi du principe d’économie linguistique128. Si les mêmes significations sont véhiculables par différents registres de langue, c’est que le style n’apporte que des ornements, mais ne participe pas réellement au message. En d’autres termes, la fonctionnalité stylistique souligne certains traits significatifs du message, selon la formule « la langue exprime, le style souligne »129. Par conséquent, dans cette perspective, les marques d’usage correspondent à des éléments fondamentalement additionnels qui ne participent en aucun cas au denotatum, et la notion de registre se situe strictement du côté de la connotation130. La marque d’usage n’intervient pas dans la signification comme élément constitutif et ne relève que d’un effet discursif, le marqueur d’usage se fait « marqueur d’emploi, et le métalangage descriptif ne s’applique pas tant au contenu dénotatif du vocable qu’il en souligne l’effet perlocutoire en situation, et qu’il assigne, par conséquent, à ce vocable une fonction de connotateur (…). Il ne s’agit plus exactement là de situer le niveau de l’usage, mais bien de formuler l’incidence que l’emploi peut avoir sur l’usage sous les contraintes de l’éthique et de l’esthétique »131. Pour prendre un exemple, il faudrait considérer que les verbes chialer et pleurer ont les mêmes référents, renvoient à la même réalité (PR : « répandre des larmes sous l’effet de l’émotion »). Le concept en soi n’est pas touché par la coexistence de deux lexèmes distincts, c’est seulement l’harmonie associée au concept qui diffère132. Du point de vue de la connaissance des choses, la variation lexicale n’a aucune répercussion sur le savoir sur le monde, elle ne concerne que l’attitude des locuteurs vis-à-vis du concept déterminé. La marque FAM. avertit alors le locuteur du fait que le terme en question est, ou peut être, l’objet de connotations et c’est pour cela que ces emplois nécessiteraient de respecter un certain cadre, sans que ne soient touchées leurs composantes sémantiques. 128 « Dans l’économie de la langue, toutes les unités entrent en jeu, monèmes et phonèmes, sur les deux axes, paradigmatique et syntagmatique. Dans le calcul relatif de l’énergie dépensée pour produire un phonème, un monème, un syntagme, une phrase, il ne faut jamais oublier qu’inertie mémorielle et inertie articulatoire sont deux forces qui s’opposent et que l’énergie dépensée dans l’acte de parole est la somme de ces deux facteurs : réaliser une économie sur l’axe syntagmatique signifie dépenser moins d’énergie articulatoire, réaliser une économie sur l’axe paradigmatique signifie dépenser moins d’énergie mémorielle.», MARTINET A. (ss la dir.), La linguistique : Guide alphabétique, Paris, Denoël, 1969, p. 83. 129 RIFFATERRE M., Essais de stylistique structurale, Paris, Flammarion, 1971, p. 32. 130 Le terme connotation est entendu dans sa dimension linguistique et non scolastique, c'est-àdire comme « un ensemble des significations secondes provoquées par l’utilisation d’un matériau linguistique particulier et qui viennent s’ajouter au sens conceptuel ou cognitif, fondamental et stable, objet du consensus de la communauté linguistique, qui constitue la dénotation » ; in DUBOIS J. et al., Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, op. cit., p. 111. 131 SAINT-GERAND J.-P., « Usages, emplois, stéréotypie dans les éditions du dictionnaire universel de Boiste », op. cit., p. 160. 132 SAUVAGEOT A., Portrait du vocabulaire français, op. cit., p. 243. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 91 Il nous semble toutefois que si l’interprétation de la marque d’usage FAM. comme connotateur est envisageable, elle ne peut s’y réduire. Peut-on en effet considérer les éléments de la « paire » bâfrer et manger, ou de chialer et pleurer, comme un équivalent dénotatif, présentant simplement une alternance connotative ? Bâfrer apparaît amener des éléments signifiants supplémentaires, ou pour le moins différents, de manger, certes appréciatifs mais partagés par tous les locuteurs de la communauté, ce qui nécessite d’étendre la définition traditionnelle de connotation. Et il en va de même pour chialer et pleurer. C’est la raison pour laquelle nous avons fait l’hypothèse que la marque FAM. doit être envisagée dans une perspective connotative et dénotative (ou connotative étendue), et que nous l’avons testée, tout au long de cette étude, en tenant d’éclaircir les rapports que la notion de registre entretient avec le denotatum et le connotatum. Cela nous a mené à nous interroger sur la différence de signification entre termes marqués FAM. et termes non marqués, standards, du point de vue de leur construction morpho-lexicale (chapitre 4) ou plus strictement sémantique (chapitre 5). 2.1.3.4. Le registre familier comme indicateur d’expressivité ? Nous avons jusqu’à présent abordé le familier comme appartenant à la dimension diaphasique, autrement dit, situationnelle. Mais il est aussi possible d’observer les faits sous un autre aspect, celui de l’expressivité. Prenons l’exemple d’une situation effective de communication. Lorsque je dis, m’adressant à une amie : « Bonjour, comment vas-tu ? (standard) Tu en fais une de ces tronches ? (familier) », il n’y a pas de changement de locuteur, pas de changement d’identité sociale, pas de changement de situation de communication. Pourtant, l’expression varie. C’est donc du côté du sujet que semble s’effectuer le changement qui réside dans les contenus (ou connotations) affectifs associés aux termes marqués FAM. C’est en substance ce que soutient Paul Imbs qui conçoit la notion de niveaux de langue comme une variation des rapports entre un « je » (nous) émetteur, un « tu » (vous) récepteur, et un « il/elle » (ils/elles) émis et reçus. Il en conclut que « le groupe ternaire langue populaire/langue familière/langue courante parlée repose sur une analyse des rapports psycho-sociaux possibles entre le pôle je et le pôle tu : selon la distance psychosociale qui sépare les deux pôles personnels du discours (tension, subordination, soumission spontanée, respect, admiration, estime, amitié, amour, etc.), la pensée pré-linguistique se colore de valeurs qui tendent 92 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER à s’incorporer à des mots et à des tours sémantiques typisés dès le niveau de la langue »133. Autrement dit, il apparaît que l’on ne peut déterminer ce qui relève de la familiarité lexicale, sans prendre en compte la dimension psychosociale du langage, c’est-à-dire les aspects sociologique et psychologique que révèlent les faits de langue. La voie fut ouverte par Bally, avec la notion de caractères affectifs naturels des faits de langage. Il s’agit là de termes ou d’expressions dont l’effet provient de la forme qui est donnée à la chose exprimée, de l’angle sous lequel la fait voir l’expression qui en est le symbole et que le locuteur peut faire intervenir comme modalisateur de son discours134. Aussi l’analyse des procédés linguistiques corrélatifs à la familiarité doit-elle prendre en compte l’usage expressif-affectif du langage et les relations qu’entretiennent le linguistique, l’affectif et le cognitif. Finalement, et c’est la finalité de notre démonstration, nous avons interrogé le rapport entre le registre familier et le registre standard à la lumière de ce postulat, comme si le registre familier était la face expressivo-affective du registre standard (voir § 5.4). En effet, au-delà de la situation de communication, nous pensons que l’utilisation de registres lexicaux a pour fonction d’extérioriser l’attitude affective du sujet à l’égard du concept et la transgression familière, précédemment soulignée, est une conséquence de cette manifestation. De ce point de vue, ce qui est en jeu dans l’interaction verbale, c’est l’image du « je », du « tu » (et du « il »). L’interaction familière permet de révéler des images différentes des sujets de l’interaction, concomitantes au glissement des rôles et places préconisés par les règles (sociales, linguistiques) de politesse. Et ce sont précisément ces représentations particulières du « je » et du « tu » qui font du registre familier un système transgressif de représentation de l’ordre social. Si l’on considère, à l’instar des caractères affectifs mis en évidence par Bally, que la dimension expressivo-affective est corrélative de la notion de registre de langue, on peut légitimement penser que, par une charge affective particulière, les faits de langue familiers renvoient des images tout aussi particulières du « je » et du « tu ». Autrement dit, nous avançons que la dimension affective qui empreint le registre familier en fait un miroir de la transgression des rôles sociaux traditionnels ; la dimension affectivo-expressive sert alors l’expression de la transgression. IMBS P., « Les niveaux de langue dans les dictionnaires », op. cit., p. 55. Ce sont des caractères inhérents aux formes mêmes qui semblent émaner des mots et s’expliquer par les rapports immédiats entre faits de langage et faits de pensée, pourvu que le sentiment intervienne dans le travail d’association, qu’il s’agisse de différence qualitative (péjoration ou mélioration) ou quantitative (intensité ou atténuation), voir BALLY C., Traité de stylistique française, Paris, Klincksieck, 1951, p. 167. 133 134 Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 93 L’étude proposée a donc visée à mettre en relation les formes linguistiques, leur sens (ou programme de sens), et leur emploi. Car si la description du code n’est pas la description de l’usage du code, il nous semble difficile, dans le cas du registre familier de langue, de dissocier le code de son usage. Dans les chapitres qui suivent, nous avons tenté de montrer comment les divers espaces (interne et externe, situationnel et discursif, linguistique et psychosocial) s’interpénètrent, en décomposant l’énoncé selon « le quelque chose » qui décrit le monde et le « quelque chose » qui décrit la façon dont le monde est objet de transaction entre les deux partenaires de l’acte de communication. 2.2. PRÉSENTATION DU CORPUS ET DES MÉTHODES D’OBSERVATION Comme nous l’avons explicité dans la section précédente, notre étude se situe à la charnière entre la langue et le discours. A ce titre, il apparaît pertinent de nous intéresser aux unités lexicales en tant qu’éléments de la réalité non linguistique qui appartiennent à la situation de communication, mais également en tant que lexèmes répondant à des règles de formation et de fonctionnement inscrites dans le système linguistique. Nous avons travaillé dans cette double perspective, pour ce qui est de la constitution du corpus (§ 2.2.1) et des méthodes d’observation (§ 2.2.2). 2.2.1. Édification du corpus Nous postulons qu’une analyse linguistique de corpus lexicographique peut éclairer les aspects discursifs et linguistiques des termes relevant du registre familier. En effet, les données dictionnairiques regroupent en source unique les trois caractéristiques qui nous occupent : la mention FAM., une entrée léxématique et sa définition, les modèles d’emplois de ces termes (par la mise en contexte). Si l’attribution de la marque d’usage FAM. dans les dictionnaires est relativement intuitive selon l’aveu même des lexicographes (voir § 1.2.1.3), il apparaît néanmoins que la compétence linguistique de ces experts ne fait pas de leur intuition une simple dimension hasardeuse. L’attribution de la marque FAM. par les lexicographes répond, selon nous, à certains critères, aussi inconscients soient-ils, à certaines régularités qu’il convient de dégager. Nous avons donc considéré que l’outil lexicographique permet de montrer les traits pertinents propres au lexique marqué FAM., par opposition à des 94 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER termes non marqués, que ce soit d’un point de vue lexicographique (chapitre 3), morpho-sémantique (chapitre 4), ou sémantique (chapitre 5), et de rendre compte des contextes d’emplois (chapitre 5). Par induction, la mise en évidence de ces faits linguistiques nous a permis de mieux cerner les effets en discours. 2.2.1.1. Choix de la base de données Nous avons travaillé sur la base du dictionnaire de la langue française, le Nouveau Petit Robert, dans sa version électronique 2.1, correspondant à l’édition imprimée de 2002 (il s’agit en fait de la version du NPR 1996, revue et mise à jour cinq fois). Le choix de cette banque de données est principalement fondé sur la réputation de sérieux et de rigueur des dictionnaires des Éditions Le Robert mais aussi sur le fait que les préfaces de ces dictionnaires sont celles qui détaillent le plus les questions de marques d’usage. Cependant, il faut également signaler que notre choix a été guidé par la densité bibliographique d’Alain Rey et de Josette Rey-Debove sur la question. Il nous a, en effet, paru pertinent de travailler sur un outil largement décrit et commenté par ses principaux acteurs. Ainsi, avons-nous à notre disposition, par le biais des nombreux articles ou ouvrages qui viennent compléter la préface du dictionnaire, des réflexions, des interrogations, des précisions et des prises de position de qualité permettant d’éclairer les positionnements théoriques – et la pratique lexicographique qu’ils impliquent – et les orientations éditoriales soutenues. Quant à la préférence pour le Nouveau Petit Robert, par rapport au Grand Robert, elle est liée à la facilité de manipulation de l’outil, car notre corpus se devait d’être exhaustif afin de neutraliser toute sélection intuitive des entrées (il fallait éviter de ne sélectionner que des termes qui « semblent » a priori familiers). Le Nouveau Petit Robert présentait alors une nomenclature plus facilement « balayable » que celle du Grand Robert (du fait du nombre d’occurrences retenues pour chacun d’eux) tout en gardant une dimension représentative. Ce choix s’est révélé d’autant plus judicieux que le système de marquage des entrées du NPR s’est avéré beaucoup plus homogène que celui du GR (que nous connaissions pour l’avoir exploré dans une recherche précédente)135. Pour ce qui concerne la date d’édition 2002, elle correspond à la dernière version électronique existant au moment de la constitution de notre corpus. 135 DEVOLDER L., « Les traces du social dans les dictionnaires généralistes : l’exemple des marques d’usage(s) », Opéra Romanica, n° 5, 2004, p. 53-61. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 95 2.2.1.2. Choix du matériau lexical Devant la nécessité de circonscrire notre corpus, nous avons décidé de ne retenir que les lexèmes verbaux indexés comme FAM., dans un sens « autonome », indépendant. Nous l’avons exposé dans la section précédente, nous postulons que la familiarité a des incidences sur les rapports entretenus entre un « je » et un « tu » en discours. Il nous a alors semblé que le verbe, pivot de la phrase, était la catégorie grammaticale la plus appropriée pour rendre compte de cette relation. En effet, syntaxiquement, il est le centre de la phrase puisqu’il sélectionne son sujet ainsi que ses compléments, et « par ses marques morphologiques, il se relie à l’énonciation et s’inscrit de manière privilégiée dans la deixis personnelle et temporelle »136. Il indique donc l’attitude de l’énonciateur, et occupe la place prépondérante du point de vue des relations syntaxiques et sémantiques. Aussi, le verbe était-il la catégorie formelle la plus à même de révéler ce qui se joue en langue autant que dans la mise en discours. Quant à la restriction portant sur le « sens autonome », elle est déterminée par le fait que nous avons décidé de borner notre étude aux emplois de termes familiers, et non pas à l’étude des emplois familiers de termes. Ces derniers, minutieusement décrits par Jackie Schön137, relèvent de processus de glissements sémantiques qui ne font pas tout à fait partie de l’orientation de notre recherche – bien que des hypothèses similaires puissent être envisagées comme nous le présenterons au § 4.3.3. Cependant, nous n’avons pas envisagé, a priori, ce qui fait qu’un terme standard peut connaître une acception familière, mais ce qui détermine l’attribution d’une marque FAM. dans un dictionnaire et que l’on peut donc supposer être considéré comme tel par les locuteurs. Autrement dit, il ne s’agit pas d’observer le glissement d’une acception reconnue comme standard vers une autre qui serait familière, mais bien de repérer les conditions d’existence et d’emploi des termes familiers. Dans une perspective de défrichage de la notion de registre de langue, et d’homogénéisation du corpus, nous nous sommes centrée sur ces mots qui sont perçus d’emblée comme familiers, par le lexicographe et les locuteurs. Concrètement, cela signifie que nous avons retenu, pour notre corpus, les GARDES-TAMINES J., « De l’intérêt stylistique du verbe », in Travaux 14, Cercle linguistique d’Aix en Provence, Publications de l’université de Provence, 1997, p. 201. 137 SCHÖN J., « A propos de l’emploi « familier » des verbes courants en français », Cahiers du centre interdisciplinaire des sciences du langage, vol. 11, 1995-1996, p. 91-99 ; « Les tournures familières ne sont pas innocentes », Variation linguistique et enseignement des langues, Cahier d’études romanes, CERCLID 9, Toulouse, 1997, p. 73-94 ; « Le concept freudien d’ « inquiétante étrangeté » et l’« emploi familier » des lexèmes français », La psycholinguistique sur le seuil de l’an 2000, Actes du 5e colloque I.S.A.P.L. 1997, Porto, 1999. 136 96 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER entrées dont le sens principal est marqué FAM. ; a contrario, nous en avons exclu toutes les acceptions polysémiques familières par métaphore, par extension, sens figuré, etc., produites à partir d’un sens premier qui ne serait pas marqué familièrement. Notre corpus est donc composé d’entrées correspondant à des termes familiers (mot-cible marqué FAM. d’emblée) et non pas à des types d’emplois familiers de termes (entrées secondaires d’un mot cible). 2.2.1.3. Sélection des items Notre corpus se compose de 410 acceptions verbales marquées FAM. et forme, nonobstant les contraintes que nous y avons imposées, un échantillon représentatif des verbes appartenant à ce que l’on appelle le registre familier. Nous avons répertorié chacun des items retenus dans un tableau présentant quatre colonnes : - l’entrée (numérotée 1 ou 2 si l’entrée dictionnairique présente plusieurs acceptions FAM.), - la catégorie grammaticale, - la marque, - la définition. Le corpus est présenté intégralement en annexe 1. Sa mise en forme ne diffère de la source dictionnairique utilisée que pour des raisons de simplification dans la manipulation du corpus. Nous ne nous sommes permis qu’une seule modification qui concerne l’introduction des emplois pronominaux ou participiaux par le signe ♦ plutôt que la double flèche (=>), traditionnellement réservée aux renvois. Nous avons relevé tous les verbes marqués FAM. dans le Nouveau Petit Robert Electronique 2.1. Cette sélection croisant deux variables, la catégorie grammaticale (v.) et la marque d’usage (FAM.), il n’a pas été possible de la commander informatiquement. Nous avons donc opéré un tri manuel, en ouvrant chacune des « fiches » correspondant aux entrées verbales du NPR, afin de vérifier la marque portée par ladite entrée. Malgré le côté quelque peu fastidieux de la démarche, cela nous a permis de disposer d’un relevé exhaustif et de ne pas faire intervenir notre intuition dans l’édification du corpus. Nous avons ensuite retenu uniquement les sens verbaux marqués FAM. qui ne représentent pas une extension familière d’un sens non marqué en synchronie. Cela concerne des entrées dictionnairiques (ou mots-vedettes) Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 97 monosémiques (du type amocher ) et également des entrées polysémiques (du type arnaquer ). AMOCHER v.tr FAM. Blesser par des coups. - Détériorer. => abîmer. Il a amoché sa voiture. PRONOM. Il s’est bien amoché. ARNAQUER v.tr. FAM. - 1. Escroquer, voler. Commerçant mal honnête qui arnaque le client. Il s’est fait arnaquer ! => estamber, filouter, gruger. - 2. Arrêter, prendre. Se faire arnaquer. => alpaguer, épingler. Pour les mots-vedettes polysémiques du type arnaquer, nous avons considéré chacun des sens décrits (ex. : arnaquer « escroquer, voler » et arnaquer « arrêter, prendre » qui seront respectivement notés arnaquer (1), arnaquer (2)). En revanche, nous avons exclu des entrées telles que angoisser « éprouver de l’angoisse » ou boxer « frapper à coup de poing », dans la mesure où l’acception familière ne peut pas être considérée comme « autonome » par rapport à l’acception non marquée, ce qui nous aurait conduit à travailler sur les glissements sémantiques de sens vers un autre sens dérivé qui ne relève pas de notre propos principal. ANGOISSER - 1. V. tr. Inquiéter au point de causer de l'angoisse. => Oppresser, tourmenter ; angoissant. PRONOM. Être saisi d'angoisse, devenir anxieux. Les français « s’angoissent devant la montée du Sida » (L’Express, 1987) - 2. V. intr. FAM. Éprouver de l'angoisse, se faire du souci. => 2. flipper. Pour payer « l’habillement et le transport, elle angoisse » (L’Express, 1989) ◊ CONTR. Apaiser, calmer, tranquilliser. BOXER - 1. V. intr. Livrer un combat de boxe, pratiquer la boxe. Il boxe bien, mais sa garde est trop haute. Dimanche, il boxera face au champion du monde. - 2. V. tr. FAM. Frapper à coups de poing. Elle a boxé deux voyous. Autrement dit, notre corpus est constitué à partir d’entrées dictionnairiques monosémiques marquées FAM. et d’entrées polysémiques dont chacun des polysèmes est marqué FAM. Quelques exceptions cependant : certaines entrées polysémiques pour lesquelles les diverses acceptions ne portent pas la même marque ont pourtant été intégrées à notre corpus quand le sens marqué FAM. nous apparaissait comme autonome (ex. embobiner « tromper par des paroles captieuses », baliser « avoir peur »). EMBOBINER v.tr. 1- FAM. Tromper par des paroles captieuses. => duper, entortiller. Le vendeur l’a facilement embobiné. 2- Rare. Bobiner. 98 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER BALISER - 1. V. tr. 1▪ Garnir, jalonner de balises. => balisage. Baliser un port, un chenal, un tracé de route (=> flécher), un aérodrome. - p.p. adj. Chemin balisé, où le parcours à suivre est indiqué d’un trait de peinture sur un arbre, une pierre. 2▪ INFORM. Munir (un texte, une information) de balises. - 2. V. Intr. FAM. Avoir peur. Nous avons donc retenu certaines acceptions considérées en synchronie comme homonymes (notamment parce que le lien sémantique qui les unit n’est plus d’emblée évident), même si elles sont étymologiquement des polysèmes dérivés d’une acception non marquée. Nous avons opéré la sélection des acceptions dans le cas des mot-vedettes polysémiques différemment marqués, de façon strictement arbitraire. En effet, le NPR a fait le choix de présenter les diverses occurrences des mots d’un point de vue historique, autrement dit, de présenter les différentes significations par ordre chronologique croissant. L’ordre chronologique cède parfois cependant le pas à des critères d’usage. Nous n’avons donc pu nous fier à la présentation dictionnairique pour effectuer ce tri. Les entrées de ce type sont : baliser barboter bassiner beurrer bomber bouffer boulonner braire canarder cochonner complexer débander débarbouiller débrayer déjanter emmieller empiler enguirlander flasher fauter flinguer fringuer gazer gerber jaboter paumer peloter poivrer queuter rapetasser rappliquer rempiler rétamer saucissonner torcher turlupiner viander zoner Elles sont intégrées à notre corpus, mais seul le sens marqué FAM. est retenu. Nous avons finalement répertorié 333 entrées dictionnairiques, chacune des acceptions marquées FAM. retenue étant considérée comme un item à part entière, soit un total 410 items. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 99 2.2.1.4. Association de marques Nous avons fait le choix de centrer notre corpus sur la marque FAM. et n’y avons pas intégré les entrées marquées ARG., POP., PÉJ., ou VULG., à l’exception des cas où elles sont couplées avec la marque FAM. : COUCHAILLER v. intr. FAM ET PÉJ. Avoir des relations sexuelles occasionnelles. => 1. coucher (II , 3). « Moravagine couchaillait avec elle » (Cendrars). CHLINGUER v. intr. FAM. ET VULG. Puer. => empester. « Je pue ils pincent leur nez ils disent ça chlingue ça fouette » (Duvert). En effet, nous l’avons déjà évoqué (§ 1.2 et 1.3), les marques d’usage sont de divers ordres, diaphasique, diastratatique, diatechnique, diachronique, etc., et peuvent parfois être combinées avec la marque FAM. Ces combinaisons de marques représentent 16 % de notre corpus, soit 67/410 items). Les marques les plus fréquemment associées à la marque FAM. sont : - VIEILLI (21 - VX. (12 items) - PÉJ. (11 items) - VULG. (7 items) - RÉGION. (5 items) - MOD. (4 items) - PAR PLAIS. items) (1 item) L’association avec la marque ARG. a un statut un peu différent dans la mesure où cette combinaison est signalée dans le tableau des abréviations comme « mot d’argot passé dans le langage familier », et constitue une marque quasi-autonome ARG. FAM. Cette marque concerne 6 items sur les 410 du corpus. Par exemple : DEFOURAILLER v. intr. ARG. FAM. Sortir une arme à feu. => dégainer. « Le Texas ranger qui défouraille plus vite que son ombre » (Le Point, 1987). 100 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Remarquons également que la marque FAM. peut être modulée en TRÈS FAM. Ces cas sont rares dans le NPR (un seul dans notre corpus) : REFOUTRE v. tr. TRÈS FAM. Remettre. Ne refous jamais les pieds ici, ne reviens jamais. 2.2.1.5. Imprécisions typographiques La marque utilisée dans le NPR 2002 version électronique est FAM. pour familier. Elle pouvait auparavant, dans la première version électronique du Robert (correspondant au Grand Robert de 1985), apparaître comme FAMILIER ou FAM. sans que cela ne semble relever d’une quelconque distinction dans les concepts. Une harmonisation typographique a donc été réalisée sur les nouveaux outils de la gamme. Cependant, il reste d’autres imprécisions dans la présentation des marques, qui rendent leur compréhension difficile. Leur présentation diffère parfois d’une entrée à l’autre. La marque peut être située en tête d’article pour baratiner ou en tête de chacune des subdivisions pour filocher, sans que nous percevions de nuance dans l’interprétation du marquage. FILOCHER - 1. V intr. FAM. Aller vite, filer. - 2. V. tr. FAM. Suivre (qqn) pour l’épier. BARATINER FAM. - 1. V. intr. Faire du baratin. - 2. V. tr. Essayer d'abuser (qqn) par un baratin. => Embobiner. Il commence à baratiner la fille qu’il avait draguée. La marque FAM. peut également être associée à d’autres marques avec (nipper) ou sans (rodailler) la présence de la conjonction et entre les deux marques : NIPPER v. tr. FAM ET VIEILLI. => habiller. - PRONOM. Il s’est nippé de neuf. => se saper. « C’est que je suis nippée comme une princesse ! » (Balzac) RÔDAILLER v. intr. FAM, VIEILLI. Rôder, traînailler. « Vous n’avez pas vu rôdailler par là une espèce de petit muscadin ? » (Hugo). Elle peut également combiner plusieurs marques, les juxtaposant (chlinguer ) ou les proposant comme une alternative (roter (2)). Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 101 CHLINGUER v. intr. FAM. et VULG. Puer. => empester. « Je pue ils pincent leur nez ils disent ça chlingue ça fouette » (Duvert). ROTER (2) v. intr. VULG. ou FAM. En roter. Supporter une situation pénible (Cf. en baver). Toujours dans les cas d’association de marques, les présentations peuvent différer selon les entrées. Dans la présentation de bigler, la répétition de la marque devant chacune des sous-sections de l’entrée lève l’ambigüité que l’on peut trouver dans la présentation de bicher. BIGLER v. - 1. V. intr. FAM. Loucher. - 2. V. tr. FAM. et VIEILLI. Regarder du coin de l’œil => regarder ; FAM. zieuter. « Elle biglait le colosse avec une certaine langueur » (Queneau). BICHER v. intr. FAM. - 1. VIEILLI. Aller bien. Aller bien. Ça biche. => boomer. - 2. Se réjouir. Il biche ! D’autres variations concernent l’ordre de présentation des marques comme dans les exemples suivants : POLITIQUER v. intr. VX. et FAM. Parler politique. « Les uns se mirent à causer… plusieurs à politiquer et à boire » (Diderot). ÉCORNIFLER v. tr. FAM. et VX. Se procurer çà et là aux dépens d'autrui (une aubaine, de l'argent, un bon repas...) => grappiller, rafler. Bien qu’anecdotiques, ces « irrégularités » typographiques obscurcissent quelque peu le propos métalexicographique et rendent la lecture et la compréhension des marques particulièrement ardue pour l’observateur et, a fortiori, pour l’utilisateur du dictionnaire non expert. Néanmoins, notre objectif n’étant pas d’effectuer une expertise des pratiques lexicographiques, nous n’en avons pas tenu compte dans l’analyse que nous avons faite de notre corpus. 102 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 2.2.1.6. Représentativité du corpus Afin d’évaluer la proportion des entrées verbales familières, nous avons fait un relevé des verbes marqués POP., ARG., VULG., PÉJ. et TRIV. dans l’intégralité du PR. Nous constatons que le nombre d’items verbaux marqués FAM., alors même que nous en avons exclu un certain nombre de notre corpus, est largement supérieur à celui des verbes marqués POP., ARG., VULG., PÉJ. et TRIV. Nous en répertorions la liste pour information, en précisant également que le nombre total d’entrées verbales répertoriées dans le PR Électronique s’élève à 6 467. ARG. (20 items) POP. (17 items) PÉJ. (9 items) VULG. (4 items) TRIV. (1 item) abouler alpaguer attiger se camer caner castagner entôler entraver fayoter fourguer mater (3) michetonner niquer paumer plancher renquiller sniffer tapiner tartir Tortorer boumer calancher calter clamser se contrefoutre débagouler maquer maquereauter mollarder (POP. ET VULG.) se pagnoter se pieuter piffer pinter rancarder renauder trimarder turbiner s’amouracher discutailler doublonner ecrivailler ecrivasser esthétiser ferrailler mercantiliser (LITT. ET PÉJ.) trainasser conchier (VULG. OU LITT.) enculer engrosser foirer foutre 2.2.2. Méthodes d’observation des entrées FAM. Les observations précédentes (§ 2.1) font apparaître le registre de langue familier comme un registre hétéroclite et mouvant qui ne répond pas à un phénomène, mais à la combinaison ou à la concomitance de facteurs de diverses natures, qui s’inscrivent dans toutes les dimensions des unités linguistiques. Afin de rendre compte de la complexité du phénomène de familiarité lexicale, il a été indispensable de faire co-exister des analyses de diverses natures. Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 103 Nous l’avons annoncé dans l’introduction de ce travail, nous allons nous intéresser principalement à trois aspects, constituant chacun un chapitre. Le premier concerne la distribution de la marque FAM. dans les dictionnaires (chapitre 3), le second les propriétés formelles des lexèmes FAM. (chapitre 4) et le troisième les caractéristiques sémio-sémantiques du registre familier (chapitre 5). Chaque étape de l’analyse est décrite de façon détaillée en introduction de chacun des trois prochains chapitres, c’est pourquoi nous n’en donnons ici qu’un bref aperçu. 2.2.2.1 Observation des conditions d’attribution de la marque FAM. Une première étape a consisté à observer le système de marquage des entrées, afin d’essayer de comprendre ce qui fait la spécificité de la marque FAM. Nous avons donc traité les données pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire du matériel lexicographique, afin de tester l’hypothèse de l’interprétation sociolinguistique (voir supra § 2.1.2.2). Nous avons cherché à comprendre comment se détermine le marquage des entrées lexicales dans les dictionnaires, du point de vue essentiellement métalinguistique, dans une perspective variationniste, à partir des concepts de « niveau « ou « registre de langue », de « diaphasique » et « diastratique », de « langue familière, populaire et argotique ». Dans un premier temps, nous avons confronté notre corpus aux indications lexicographiques du Petit Larousse 2001. Nous l’avons dit, les orientations éditoriales influent largement sur le marquage des termes et il apparaît fort instructif d’observer les convergences ou divergences de marquage d’un dictionnaire à l’autre. L’objectif de cette entreprise n’est évidemment pas de porter un jugement sur les pratiques lexicographiques de tel ou tel dictionnaire, mais d’essayer, grâce à la démarche comparative, de mettre au jour des hésitations, des prises de position dans les choix lexicographiques d’attribution (ou non) de la marque FAM. Nous avons ensuite complété ces données synchroniques par une comparaison en diachronie. C'est-à-dire que nous avons relevé les entrées marquées FAM. dans le Petit Robert paru en 1977 et les avons confrontées à celles de 2002, afin d’essayer de comprendre l’évolution de ce marquage. Ainsi avonsnous eu une idée plus précise de ce que nous appelons « le parcours lexical » des termes de notre corpus. Le chapitre 3, qui rend compte de cette première étape, clarifie donc les liens et contours de la marque FAM. et des autres marques, notamment POP., et ARG., et permet de réfléchir à l’interprétation sociolinguistique de la marque FAM. dans ses imbrications avec les autres marques, conformément à l’hypothèse énoncée au § 2.1.3.2. Cette première phase d’analyse a permis de mettre 104 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER au jour la fonctionnalité de la marque FAM. et d’affirmer des positions terminologiques avancées à la fin du chapitre 1. 2.2.2.2. Observation des propriétés formelles La seconde étape de ce travail (chapitre 4) a consisté à observer et détailler minutieusement les propriétés formelles des lexèmes marqués FAM., dans la perspective de la morphologie lexicale. Nous avons pu dégager un certain nombre de particularités des verbes marqués FAM. qui sont autant de dimensions relevant de la familiarité lexicale, tant du point de vue de la substance (notamment phonique) que de la morphologie (par les processus de dérivation). Ce sont donc essentiellement les mots construits qui ont fait l’objet de l’observation, l’examen des mots simples venant confirmer ou étayer nos observations. Nous avons travaillé à partir des bases lexicales sur lesquelles sont dérivés les items construits de notre corpus, puis nous avons dégagé les processus spécifiques en œuvre dans l’opération morphologique de dérivation. Nous avons pu, en les comparant avec les règles de construction des mots de la morphologie dérivationnelle, dégager les spécificités propres aux lexèmes verbaux familiers. Autrement dit, nous avons cherché à savoir, par le biais de regroupements, ce qui fait des termes marqués FAM. des lexèmes singuliers au regard d’un lexique standard. Nous avons considéré ces caractéristiques comme autant de « critères » formels favorisant potentiellement l’attribution de la marque FAM., et par là même susceptibles de produire un effet familier. Nous avons pu, dans ce chapitre, engager une réflexion autour des questions de connotation et préciser certains aspects de l’expressivité liés à la familiarité, comme annoncé aux § 2.1.3.3 et § 2.1.3.4. Une étude plus approfondie de la dimension sémantique est réalisée au chapitre suivant. 2.2.2.3. Observation des caractéristiques sémantiques du lexique familier Enfin, nous avons observé le type de définition avec lequel notre dictionnaire de référence glose les verbes familiers. A partir de ces modalités définitoires, il a été possible de dégager autant de liens spécifiques que le lexicographe établit entre les entrées du corpus et leur définissant. Nous avons donc, par une approche relevant de la sémantique lexicale, mis au jour les relations sémantiques existant entre des entrées dictionnairiques marquées et des définissants non marqués, entre cette part du lexique appartenant au registre familier, et cette autre considéré comme standard. Les notions Chapitre 2. – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation 105 d’hypéronymie et de synonymie qui sont au cœur de ce chapitre 5, ont permis de discuter la notion de connotation. Cette analyse a été complétée par un bref aperçu des caractéristiques sémantico-syntaxiques des verbes familiers, inspirée de la linguistique formelle. Nous avons effectué une comparaison des propriétés distributionnelles des lexèmes verbaux marqués FAM. et leur « équivalent » non marqué. L’observation systématique des traits spécifiques des verbes de notre corpus permet, en effet, de dégager les nœuds des relations sémantiques qu’instaurent ces verbes avec leurs arguments et, plus largement, les relations sémantiques existant entre les verbes du corpus puis entre chaque verbe familier et son homologue non marqué. Il apparaît, à la fin de ce chapitre, que la familiarité lexicale peut être interprétée du côté de l’expression de la subjectivité du locuteur. Il semble, en effet, que les verbes familiers sont marqués par l’intentionnalité du sujet de l’énonciation. L’ensemble de ces trois chapitres éclairent la notion de familiarité lexicale et, plus largement, la notion de registre de langue, notamment en clarifiant l’utilité de ce réservoir registral qu’offre la langue. CHAPITRE 3 DU LEXIQUE MARQUÉ FAM. À L’« EFFET FAMILIER » ________ L’objectif principal de ce chapitre est d’interroger l’hypothèse sociolinguistique de l’interprétation du lexique familier, c’est-à-dire de mettre en évidence les relations que le lexique familier entretient respectivement avec les dimensions diastratique et diaphasique. En d’autres termes, nous allons mettre en évidence les spécificités du lexique familier, à partir des points communs et dissemblances des zones du lexique que l’on qualifie de non standards. Pour ce faire, nous avons travaillé sur notre corpus de verbes indexés comme familiers (comme annoncé en § 2.2). Nous avons procédé à une comparaison synchronique et diachronique des marques qui sont attribuées à nos items, postulant que l’observation du marquage lexicographique informe quant aux jugements portés sur les usages. Ainsi, avons-nous accès, notamment par les différences de marquage, aux phénomènes d’évolution du lexique et à une représentation de leur catégorisation. Ces observations nous ont permis de mettre au jour les contours des marques POP., ARG. et FAM. qui nous ont conduits, d’une part, à proposer une « localisation » des zones des usages non standards dans l’organisation du lexique général et, d’autre part, à interroger la validité opératoire des concepts de langue populaire et argotique et celui de registre familier. 3.1. RETOUR SUR LES ÉCUEILS TERMINOLOGIQUES Ainsi que nous l’avons montré aux § 1.2 et § 1.3, on distingue d’une part les usages qui constituent de véritables signaux d’appartenance sociale (lexiques populaire et argotique) et d’autre part les usages familiers, relatifs à une situation de communication bien précise. Les indications données dans le tableau des abréviations du NPR, en témoignent : 108 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER ARG. : mot d’argot, emploi argotique limité à un milieu particulier, surtout professionnel, mais inconnu du grand public ; ARG. FAM. : mot d’argot passé dans le langage familier ; argotique. FAM. : familier : usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc., mais ne s’emploierait pas dans les circonstances solennelles ; concerne la situation de discours, non l’appartenance sociale, à la différence de POP. POP. : populaire : qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires (souvent argot ancien répandu) qui ne s’emploierait pas dans un milieu social élevé (à distinguer de FAM. qui, lui, concerne la situation de communication). Si ces distinctions semblent simples dans l’absolu, nous avons affaire à une part du lexique des plus hétérogènes dont la catégorisation se révèle difficile. Certains lexicographes n’hésitent pas à dire les difficultés qu’ils rencontrent dans la distribution des marques FAM., POP. et ARG.138, et à montrer qu’il en va parfois de la pertinence même de ce système de marquage. La conséquence lexicographique est importante dans la mesure où il devient difficile de proposer des définitions opératoires des marques d’usage (voir § 1.2), source de confusions ou d’imprécisions. 3.1.1. Maniement erratique des marques d’usage Des études comparatives de marquage ont été faites pour mettre au jour les carences. L’une d’elles, réalisée aux Archives du français contemporain de Sarrebruck139 à l’aube des années 1970, s’est donné pour objet de confronter les indications de niveaux pour 70 mots répartis sur tout l’alphabet dans 6 dictionnaires (le Grand Larousse de la langue française, le Larousse en trois volumes, le Petit Larousse, le Grand Robert, le Petit robert et le Dictionnaire du français contemporain). L’unanimité entre les 6 dictionnaires ne s’est réalisée que dans 8 cas sur les 70 (2 mots marqués FAM. et 6 mots marqués POP.). En revanche, on a pu constater 3 ou 4 niveaux différents pour un grand nombre de mots (par exemple, le mot pot (« chance ») peut être non marqué, marqué FAM., POP. ou ARG.). Il y a parfois aussi des contradictions à l’intérieur même d’un dictionnaire : dans le PR, marrant et poilant sont du niveau POP. à leur ordre alphabétique, mais on les retrouve tous deux FAM. à l’entrée rigolo. MESSELAAR P.-A., « Les marques familier et populaire envisagées des points de vue lexicologique et lexicographique », op. cit., p. 91-106 ; CORBIN P., « Les marques stylistiques/diastratiques dans le dictionnaire monolingue », in HAUSSMANN et al , Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op.cit., p. 673-680 ; GIRARDIN C., « Système de marques et connotations sociales dans quelques dictionnaires culturels français », op. cit., p. 76-102, etc. 139 Citée par GILBERT P., « Différenciations lexicales », op. cit., p. 46. 138 Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 109 Quelques années après, Claude Désirat et Tristan Hordé140 ont comparé des classements de 3 dictionnaires de la fin du XIXe siècle et de 4 dictionnaires contemporains, pour 12 synonymes des verbes travailler et voler. Leurs conclusions corroborent les constats précédents : les vocables marqués du point de vue de l’usage sont instables et l’accord est rare entre dictionnaires. Ils confirment également le fait que les termes non marqués sont beaucoup plus stables à travers le temps et que l’intégration du français commun s’effectue plus rapidement pour les mots du travail que pour ceux des activités antisociales. Le travail le plus détaillé est sans doute celui réalisé par Pierre et Danielle Corbin141, qui se sont donné pour tâche de confronter les discours des lexicographes sur les marques d’usage et leurs pratiques de confection des dictionnaires. Leur étude, effectuée sur le Micro-Robert, met en évidence un certain nombre d’incohérences que nous retrouvons dans de nombreux autres dictionnaires. Leur point de départ est identique à celui que nous avons retenu pour notre premier chapitre et consiste à examiner les gloses des marques dans la préface. Nous retranscrivons leur démonstration, considérant que les mêmes types de constats pourraient être effectués aujourd’hui, sur de nombreux autres dictionnaires. En effet, les indications que donne le Micro-Robert pour la marque FAM. et la marque POP. sont sensiblement celles des dictionnaires précédemment observés (voir § 1.2). La marque FAM. est comprise en termes de circonstances de l’énonciation, à l’exclusion de toute référence à un milieu donné, social ou professionnel. Elle qualifie « la langue parlée, ordinaire, quotidienne et la langue écrite un peu libre ». Quant à la marque POP., elle renvoie aux milieux sociaux et de degré de culture. Elle qualifie « un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires et qui ne s’emploierait pas normalement dans un milieu social élevé ». A ce stade-là de l’observation, les indications lexicographiques ne sont pas contradictoires. En revanche, les auteurs remarquent que le tableau des abréviations en début d’ouvrage glose la marque POP. comme « souvent argot ancien répandu ». Donc, selon ce dernier élément, POP. renvoie à ARG., qui luimême recouvre des usages du langage courant : « pour les mots d’argot passés dans le langage courant, voir POP. ». C’est là que le bât blesse. En effet, ARG. est défini en termes de milieux non identifiés à des classes sociales mais plutôt limités à des milieux fermés, professionnels par exemple, inconnus du grand public. Ainsi le passage suggéré de ARG. au « langage courant » complique la situation car il repose sur l’ambiDESIRAT C., HORDE T., La langue française au XXe siècle, Paris, Bordas, 1976, p. 42. CORBIN P., CORBIN D., « Le monde étrange des dictionnaires : les « marques d’usage » dans le Micro-Robert », Bulletin du Centre d’analyse du discours, n° 4, 1980, p. 237-324. 140 141 110 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER guïté du terme « courant ». La transition de ARG. à POP. ne peut s’expliquer que par la présence dans la définition de POP. de la formule « qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires », qui a ici une valeur tautologique et ne réfère qu’aux milieux sociaux populaires. Alors que le terme « courant » dans la formule « pour les mots d’argot passés dans le langage courant, voir POP. », peut être identifié à la marque COUR. (courant) définie par exclusion de toute référence à un quelconque milieu social (« connu et employé par tous »). Les gloses stipulées dans le tableau des abréviations procèdent d’un mouvement apparemment circulaire par jeux de renvois successifs. Or celui-là ne fonctionne qu’au prix d’un glissement de sens du terme « courant », de « fréquent dans la langue populaire »142 vers « connu et employé par tous ». L’incohérence des marques naît d’une confusion entre norme de groupes et norme générale, pourrait-on dire entre norme subjective (« normal pour les uns ») et norme objective (« normal car général »). D’autres difficultés pointées par les auteurs de l’étude sont l’impossible conciliation des marques et des énoncés définitoires proposés lorsqu’elles sont considérées comme entrées dictionnairiques. Par exemple, la marque VULG. est définie en termes de degré d’éducation et exclut toute considération de milieu social : VULG. : mot, sens ou emploi choquant, souvent familier (FAM.) ou populaire (POP.), qu’on ne peut employer entre personnes bien élevées, quelle que soit leur classe sociale. La référence à FAM. ou POP. est doublement incohérente, les critères retenus par POP., VULG. ET FAM. étant incompatibles : - Si le rejet d’un mot transcende les distinctions de classes sociales pour ne reposer que sur la bonne éducation des locuteurs (VULG.), il apparaît alors impossible d’assigner cet emploi à un milieu social donné (POP.) - Si le rejet d’un mot transcende les circonstances de l’usage pour ne dépendre que de certains locuteurs sur la base de leur bonne éducation (VULG.), il apparaît alors impossible de le mettre à la disposition de tous pour certaines circonstances d’énonciation (FAM.). La définition attribuée à la marque VULG. rend compte de la difficile distinction entre les emplois caractéristiques de la classe du locuteur (POP.), les emplois relevant des dispositions énonciatives (VULG.) et ceux dépendant de la situation d’énonciation (FAM.) Les constats de Pierre et Danielle Corbin illustrent les problèmes auxquels se confrontent les lexicographes, dans la mesure où ils ne disposent pas de critères opératoires d’attribution des marques. Chacune des études citées confirme la 142 C’est nous qui soulignons. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 111 confusion des dimensions diaphasique et diastratique. En effet, l’hésitation à concevoir les marques FAM., POP. et ARG. (voire VULG.) comme indicateurs sociaux ou comme indicateurs situationnels, constitue la difficulté principale. La pléthore de dictionnaires spécialisés qui a vu le jour ces dernières décennies143 n’a pas contribuée à résoudre ce problème qui est, au fond, théorique avant d’être pratique. La distinction entre populaire, argotique ou familier y est rarement explicitée, quand elle n’est pas tout simplement évacuée. 3.1.2 Conception évolutive des usages dans les dictionnaires spécialisés Le spécialiste Alphonse Boudard écrit dans la préface du Dictionnaire du français argotique, populaire et familier 144 « c’est un fort volume et qui fait à peu près le point sur le langage populaire et argotique à la veille du XXIe siècle ». Or, il y parle systématiquement d’argot mais jamais de familier ni de populaire. Aucune distinction n’est faite ensuite ; les trois termes sont manipulés indifféremment comme s’il s’agissait de trois synonymes. Quant à George Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français & FrançaisArgot, il résume les caractéristiques des termes que l’on trouvera dans son ouvrage par l’expression « des mots ou expressions qui vont se formant tous les jours à côté du langage établi et naissant par leur vitalité propre sans obéir à d’autre loi que le besoin d’exprimer les faits d’une façon originale»145. Sans justifier ces distinctions, il utilise dans la table des abréviations un système de notation qui permettra de différencier : ⊗ Langage populaire Ο Langage familier z Argot des malfaiteurs François Caradec, précise dans la préface du Dictionnaire argotique et populaire 146 que « la langue parlée se nomme encore langue populaire dans les dictionnaires, qui appliquent aux termes les mentions POP., ARG., FAM. ou VULG., sans qu’ils soient toujours bien d’accord sur leur champ d’épandage ». Il reprend la définition de « langue populaire » d’Henri Bauche qui, dès 1920, la considère comme l’idiome parlé couramment et naturellement par le peuple, et la distingue 143 Une liste non exhaustive est présentée en bibliographie. DONTCHEV D., Dictionnaire du français argotique, populaire et familier, Monaco, Édition du Rocher, 2000. 145 DELESALLE G., Dictionnaire Argot-Français & Français-Argot, fac-similé, Cœuvre-etValsery, Ressouvenances, 1998, p. XXII. 146 CARADEC F., Dictionnaire du français argotique et populaire, Paris, Larousse, 1977, p. 5. 144 112 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER de l’argot, idiome artificiel 147. Cependant, aucune information spécifique n’est donnée sur le français familier, qui semble être assimilé au populaire dans une dimension plutôt orale : « si l’on en croit les mentions POP., FAM., ou VULG. qui figurent à côté de certains mots dans les dictionnaires de langue, il existerait bien en France une « langue populaire » aux confins de la langue écrite »148. Jacques Cellard et Alain Rey ont choisi une toute autre option dans leur Dictionnaire du français non conventionnel. Ils abandonnent les termes de populaire, familier et argotique, au profit de l’appellation générique de « non conventionnel », correspondant à ces mots ou phrases qui appartiennent à la langue sans pour autant apparaître dans les grammaires traditionnelles. Cette dénomination comprend « à la fois plus et moins que ce que l’on nomme très généralement argot . Plus, puisqu’il accueille nombre de mots ou d’expressions qui sont simplement « populaires » ou « très familiers », pour reprendre les termes habituels des dictionnaires. Moins, parce que n’en font pas partie les « argots », vocabulaires particuliers à de petits groupes sociaux parfaitement honorables »149. Dans le Guide du lecteur, au début du dictionnaire, apparaît un système de vignettes novateur et relativement précis : : le mot traité est, pour l’un de ses sens, parfaitement admis en français conventionnel. C’est ce sens général et conventionnel que signale la vignette. : le mot traité (si la vignette n’est pas apparue précédemment), ou le sens traité, est non conventionnel. : le mot ou le sens traité est semi-conventionnel ; plus précisément, il nous apparaît glisser du domaine conventionnel au domaine non conventionnel. : le mot ou le sens traité est semi-conventionnel, mais l’évolution se fait en sens inverse, par glissement du domaine non conventionnel au domaine familier. Ainsi bacante(s), non conventionnel encore (ou « argotique ») vers 1930, nous apparaît n’être plus aujourd’hui que « familier ». Les vignettes constituent indirectement, pour le lecteur mal familiarisé avec le français populaire, un « mode d’emploi » du mot. On s’abstiendra des termes signalés comme , sinon dans une intimité certaine ; les termes ou pourront entrer dans la conversation relâchée. Ce système de marquage apparaît assez efficace d’un point de vue pragmatique. Il nécessite, en outre, que l’utilisateur possède de bons repères normatifs qui lui permettent d’imaginer une échelle de relativité. Les termes présentés dans le dictionnaire sont organisés graduellement par rapport au point de référence que constitue le français conventionnel. Néanmoins, ce système ne comble pas les lacunes constatées dans des dictionnaires généralistes (voir chapitre 1) car il s’appuie sur des normes qui ne sont pas définies. Les critères du « français 147 C’est nous qui soulignons. Préface de l’édition de 2005. 149 CELLARD J., REY A., Dictionnaire du français non conventionnel, Paris, Hachette, 1980, p. X. 148 Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 113 conventionnel », à partir duquel se déclinent les marques non conventionnelles et semi-conventionnelles, ne sont pas développés. Dans une même perspective de gradation, Bernet et Rézeau proposent dans le Dictionnaire du français parlé 150 un système d’annotation simplifié. Il comporte quatre signes : O, , Ø, . Il est stipulé que les deux premiers expriment des réserves (marqués pour O, très marqués pour ) en lien avec la diffusion dans l’espace (régionalismes), dans le temps (locutions vieillies) ou dans la société (locutions propres à certains âges ou à certains milieux). Les mêmes symboles barrés (Ø et ) indiquent que l’usage des locutions concernées enfreint un tabou (grossièreté ou allusion sexuelle) ou qu’il peut être perçu comme une injure (notamment manifestation de xénophobie ou de racisme). L’absence d’un symbole d’usage signifie que la locution considérée appartient au français familier et/ou quotidien, sans restrictions. Les explications de ces « symboles d’usage » étant là encore elliptiques, ils ne permettent pas de clarifier les critères de marquage. Dans la préface de la première édition du Dictionnaire de l’argot français et ses origines, Alphonse Boudard avance que « certains vocables passent dans le langage populaire, puis dans le français courant. D’autres tombent en désuétude »151. On retrouve ici distinctement l’idée d’une évolution linéaire des termes, les faisant évoluer d’une zone du lexique à une autre. Jean-Paul Colin va plus loin dans sa présentation et note qu’il a « cru bon de faire quelques remarques concernant l’emploi des mots, en particulier pour souligner la coappartenance du mot à plusieurs registres : populaire et argotique ou familier et argotique, ou pour signaler l’évolution historique de tel mot, dont la carrière a commencé dans l’argot « fort », pour passer peu à peu dans un domaine plus vaste, celui d’une familiarité courante : glissement intuitivement perceptible, mais évidemment malaisé à repérer de façon précise »152. Ainsi, un terme pourrait-il être familier ET populaire, argotique ET familier, l’un n’excluant pas l’autre. Les systèmes de symboles examinés dans les trois derniers dictionnaires relèvent plus ou moins explicitement d’une conception évolutive des niveaux ou registres de langue. Le « parcours » diachronique des termes est envisagé sur un continuum s’étendant d’un usage non conventionnel (argotique et/ou populaire) à une langue plus conventionnelle (standard, normée), en passant nécessairement par un intermédiaire semi-conventionnel (ou familier). Le 150 BERNET C., REZEAU P., Dictionnaire du français parlé : le monde des expressions familières, Paris, Seuil, 1989. COLIN J.-P., MEVEL J.-P., LECLERE C., Dictionnaire de l’argot français et de ses origines, Paris, Larousse, 1990, p. VI. 152 Ibidem, p. XIII. 151 114 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER registre familier semble dès lors constituer une « étape » obligatoire dans l’évolution d’un terme non conventionnel – si tant est qu’un glissement vers le conventionnel se produise –. Néanmoins, l’introduction de la possibilité de « coappartenance » envisagée par J.-P. Colin n’est pas simplement une nuance comme il semble l’amener, dans la mesure où elle implique de repenser la linéarité du modèle lexical. Nous reviendrons en détail sur cette question plus loin (voir figure 5, § 3.3.1), après avoir examiné les distributions des marques sur corpus. En effet, nous avons confronté les données des dictionnaires généralistes ainsi que ces conceptions issues des dictionnaires spécialisés à l’observation de notre corpus, dans l’objectif de pouvoir cerner plus justement l’organisation du lexique et des divers usages. 3.2. CONFRONTATION DES DÉFINITIONS TERMINOLOGIQUES À LA DISTRIBUTION DES MARQUES LEXICOGRAPHIQUES Notre corpus présente 410 termes marqués FAM. par le PR. Nous avons confronté, dans une perspective diachronique et synchronique, les marques qui leur sont attribuées dans le PL 2001 et le PR 1977. Nous postulons en effet que la comparaison de la distribution des marques d’usage, et le choix de l’une plutôt que l’autre, permet d’accéder aux jugements portés sur le lexique, et à ce titre, rend compte d’une certaine organisation de celui-ci. 3.2.1. Les marques d’un dictionnaire à l’autre : comparaison synchronique Nous avons comparé le marquage de notre corpus à celui d’un autre dictionnaire en un volume, le Petit Larousse, dans sa version électronique de 2001, ce qui respecte la contrainte synchronique. Ces deux dictionnaires recensent respectivement 60 000 mots et 300 000 sens pour le NPR 2002 et 90 000 articles et 200 000 définitions pour le PL 2001153. Aussi paraissent-ils comparables. Cette manipulation n’a pas pour objet une évaluation des pratiques lexicographiques mais vise à éclairer les zones dans lesquelles évoluent les items marqués, en observant les hésitations ou différences de marquage. En pratique, nous avons relevé dans le PL 2001, version électronique, tous les verbes marqués FAM. selon les mêmes critères que ceux établis pour l’édification de notre corpus de référence issu du Nouveau Petit Robert 2002. Ensuite, nous avons « croisé » les deux corpus, celui du NPR 2002 et celui du PL 2001, c’est-à153 Sources : http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Larousse (consultée le 1/1/2007). Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 115 dire que nous avons comparé les marques de chacune des entrées relevées dans le NPR avec les entrées correspondantes dans le PL et réciproquement. Là encore la recherche n’a pu se faire par croisement électronique de double indices (« verbe » et « FAM. ») et a donc nécessité un tri manuel. 3.2.1.1. Données comparatives NPR 2002/PL 2001 L’intégralité des données étant produite en annexe (voir annexe 2154), nous n’en présentons ici qu’un tableau de synthèse. Dans la colonne de gauche figure le détail des marques attribuées par le NPR 2002 aux items de notre corpus. Conformément aux choix présentés au § 2.3, nous avons retenu la marque FAM., marque ARG. FAM., marque FAM. et marques associées. Dans la colonne de droite figurent les marques que le PL 2001 a attribuées à ces mêmes termes. Lorsqu’un terme n’apparaît pas dans la nomenclature du PL, nous avons noté « Ø ». Lorsqu’aucune marque n’est attribuée par le PL, nous avons stipulé clairement « non marqué ». La colonne centrale dénombre les items recensés par catégorie de marque. Par exemple, les deux premières lignes du tableau se lisent comme suit : - 3 items du corpus sont marqués ARG. FAM. dans le NPR 2002 et FAM. dans le PL 2001, - 2 items du corpus marqués ARG. FAM. dans le NPR 2002 ne figurent pas dans la nomenclature du PL 2001. Types de marques attribuées aux entrées du corpus par le NPR 2002 ARG. FAM. ARG. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI FAM. FAM. FAM. 154 3 2 19 3 245 1 8 7 2 2 2 48 Types de marques attribuées aux entrées du corpus par le PL 2001 FAM. Ø non marqué ARG. FAM. FAM. (Suisse) FAM. VIEILLI FAM. ET VIEILLI FAM. ET VX. FAM. ET PÉJ. FAM. ET VX. Ø Nous présentons en annexe d’une part un tableau reprenant chacun des entrées de notre corpus et faisant figurer la marque qui lui attribuées par le PR 2002 et par le PL 2001. Puis d’autre part un second tableau regroupant les entrées marquées FAM. par le PL qui ne figurent pas dans notre corpus, ainsi la marque que le PR 2002 leur attribue. 116 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER FAM. FAM. FAM. (lang. écolier) FAM. ET MOD FAM. ET PAR PLAIS FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI FAM. ET VULG. FAM. ET VULG. FAM. ET VULG. VULG. OU FAM. VULG. OU FAM. FAM. ET VX. FAM. ET VX. FAM. ET VX. FAM. ET VX. FAM. ET PAR EUPH FAM. ET RÉG. FAM. ET REG. 12 1 1 4 1 1 5 5 1 8 3 1 1 2 2 1 1 3 7 1 1 2 2 2 410 TRÈS FAM. VULG. FAM. FAM. FAM. ARG. FAM. ET PÉJ. FAM. Ø FAM. Ø ARG. Ø TRÈS FAM. VULG. TRÈS FAM. FAM. Ø FAM. ET VX. Ø non marqué FAM. FAM. ET PAR EUPH FAM. Ø Tableau 3 – Comparaison des marques attribuées par le NPR 2002 et le PL 2001 aux items du corpus En outre, 169 verbes marqués FAM. ont été relevés dans le PL et ne figurent pas dans notre corpus. Il nous semble cependant important de détailler le traitement que le NPR leur réserve : Types de marques attribuées par le Types de marques attribuées par PL NPR FAM FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. FAM. (et autres) FAM. ET PÉJ. 2 2 11 4 4 6 1 58 3 10 37 3 (sens 2) non marqué (sens 2) COUR (sens 2) FAM. (sens 2) FIG. (sens 2) PAR EXT. (sens 2) FIG. FAM. (sens 2) MOD. (sens 2) POP. non marqué ANGLIC. ARG. Ø PÉJ. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 117 FAM. (et autres) FAM. FAM. FAM. 11 3 5 9 169 POP. RARE VIEILLI VX. Tableau 4 – Comparaison des termes marqués FAM. dans le PL 2001 qui ne sont pas marqués FAM. dans le NPR 2002 3.2.1.2. Observations des données Si le marquage peut connaître des différences d’un dictionnaire à l’autre, il apparaît tout de même que la distribution de la marque FAM. dans le PL et le NPR est semblable à plus de 77%. En effet, 318 items sur 410 sont marqués FAM. (ou FAM. et marque associée) dans le NPR et sont également marqués FAM. (ou FAM. et marque associée) dans le PL, dont 245 sont strictement marqués FAM. dans chacun des deux dictionnaires, soit 60%. Bien que les lexicographes avouent ne pas avoir recours à des critères particuliers, il semble que les jugements portés sur ces usages soient relativement homogènes. Sur les 33% du corpus restant, 20 items marqués FAM. dans le NPR sont non marqués dans le PL, soit près de 5% du corpus. A contario, 58 verbes marqués FAM. dans le PL ne sont pas marqués dans le NPR. C’est le point sur lequel les différences entre les deux dictionnaires sont les plus importantes. Cela confirme d’une part que les frontières entre marqué et non marqué ne sont pas étanches et d’autre part que le point le plus souple se situe entre le standard et le familier. Exemples d’entrées marquées FAM. dans le NPR et non marquées dans le PL : cabotiner décomplexer emmitoufler jubiler godailler poutser Exemples d’entrées marquées FAM. dans le PL et non marquées dans le NPR : bachoter bambocher cancaner cauchemarder flirter glouglouter Par ailleurs, 66 items marqués FAM. dans le NPR ne figurent pas dans le PL, soit 16% du corpus, et 37 verbes marqués FAM. dans le PL (sur les 169 items relevés) ne figurent pas dans le NPR. Ce sont les conséquences d’orientations éditoriales. En effet, ce sont principalement des termes associant la marque FAM. et une marque diachronique (FAM. ET VX., FAM. ET VIEILLI) dans le NPR qui 118 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER ne sont pas intégrés à la nomenclature du PL. Quant aux termes marqués FAM. par le PL qui ne figurent pas dans le NPR, plus de la moitié d’entre eux sont des belgicismes, canadianismes, helvétismes. Exemples d’entrées FAM. dans le NPR qui ne figurent pas dans le PL : châtaigner défourailler déhotter queuter roustir violoner Exemples d’entrées FAM. dans le PL qui ne figurent pas dans le NPR : baisoter booster bouéler gatter gragnifier raccuser Si l’on compare plus précisément chacun des deux tableaux présentés, plusieurs remarques peuvent être faites : La marque ARG. FAM., n’apparaît pas dans le système de marquage du PL. Les termes qui sont marqués ARG. FAM. dans le NPR se voient, soit simplement marqués FAM. dans le PL, soit ne figurent pas dans la nomenclature de ce dernier. Exemples de termes marqués ARG. FAM. dans le NPR : gamberger lourder morfler défourailler La marque POP., bien qu’elle soit présente dans le tableau des abréviations du PL, n’est pas répertoriée pour les entrées observées, et une recherche de « POP » en texte intégral (toutes catégories grammaticales confondues) nous confirme qu’elle n’est plus utilisée comme marque d’usage dans cette version (les termes marqués POP. dans le NPR se voient marqués FAM. dans le PL). Aussi les termes marqués POP. dans le NPR seront préférentiellement marqués FAM. dans le NPR. Exemples de termes marqués POP. dans le NPR et FAM. dans le PL : calter clamser débagouler licher se pieuter piffer La marque TRÈS FAM. est plus largement utilisée par le PL (14 items) alors qu’elle ne l’est qu’une seule fois par le NPR. Exemples de termes marqués TRES FAM. dans le PL : becter couillonner glander graillonner tapiner chlinguer La marque ARG. se raréfie dans le PL : 10 termes marqués sont marqués ARG. dans le NPR. FAM. dans le PL Exemples de termes marqués FAM. dans le PL et ARG. dans le NPR : se camer caner fayoter mater paumer sniffer Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 119 On peut alors avancer que les deux systèmes de marquage se sont dotés d’un type de gradation pour rendre compte d’usages non conventionnels et semiconventionnels, le PR utilise les marques ARG., ARG. FAM., POP. et FAM., alors que le PL utilise les marques ARG., TRÈS FAM. et FAM. Cependant, il n’y a pas de correspondance termes à termes. En outre, si le PL, comme le PR, fait usage de marques telles que FAM. ET VX ou FAM. ET VIEILLI, en toute aussi grande proportion que le NPR, on peut remarquer que dans les termes figurant comme FAM. dans le PL et n’apparaissant pas dans le corpus sont, pour 14 d’entre eux (donc une proportion non négligeable) marqués VIEILLI ou VX dans le NPR. Un autre facteur émerge donc de ces observations et concerne la dimension diachronique. Exemples de termes marqués FAM. dans le PL et VX. ou VIEILLI dans le NPR : baguenauder bayer bringuebaler décamper filouter mignote Enfin, il faut noter que le PR a tendance à considérer certains items comme des emplois familiers de termes (ils ne figurent donc pas dans notre corpus), là où le PL les considère comme des verbes autonomes, comme bouquiner ou fourgonner. Cela concerne 30 items. Nouveau Petit Robert : BOUQUINER v. intr. 1- VIEILLI. Fouiller dans les vieux livres, chercher des livres d’occasion ou des éditions originales. « Je ne sais pas de plaisir plus Petit Larousse : BOUQUINER V tr. et intr. FAM. Lire paisible que celui de bouquiner sur les quais » (France). 2- FAM. Lire un livre. Bouquiner au lit. FOURGONNER v. intr. 1- VIEILLI. Remuer la braise du four, combustible d’un feu avec un fourgon =>Tisonner. 2- FAM. Fouiller (dans qqch.), en dérangeant tout => Fouiller, Fourrager. « La Jondrette conti- FOURGONNER V. intr. FAM. Fouiller de façon maladroite, désordonnée ; farfouiller. nuait à fourgonner dans ses ferrailles » (Hugo). Cela s’explique par l’orientation synchronique du PL, qui ne fait plus figurer les acceptions d’origine des emplois familiers, présentant alors ces derniers 120 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER comme des verbes autonomes, alors que le PR signale toujours le sens premier historiquement en le signalant comme VIEILLI. De façon générale, cette comparaison confirme les éléments que les observations des chapitres précédents nous ont permis d’avancer. Les usages doivent être considérés sur un continuum dont la catégorisation en populaire, argotique ou familier n’est pas aisée. La décision de marquer FAM. une entrée ou de ne pas la marquer est également équivoque. La place centrale du familier, entre un lexique non conventionnel et un lexique conventionnel, se confirme. Par ailleurs, l’examen de ces différences de marquage montre que l’origine régionale de certain termes ou leur dimension diachronique peuvent également être un facteur de marquage FAM. Autrement dit, le critère de spécification d’un terme intervient dans le jugement de non-conformité porté sur un terme. Enfin, nous constatons que les termes familiers sont, pour certains, des emplois familiers de termes, dont le sens principal tombe en désuétude. 3.2.2. Les évolutions diachroniques du marquage Nous avons également cherché à avoir un aperçu de l’évolution du marquage du point de vue diachronique en comparant, selon la même méthode que celle utilisée précédemment, le NPR 2001 et Petit Robert de 1977 (désormais PR 77). Nous ne disposions pour ce relevé d’aucun outil informatique, si bien que la recherche a été entièrement manuelle. 3.2.2.1. Données comparatives Selon le même procédé que celui utilisé pour les tableaux précédents, nous présentons ici une comparaison des types de marques attribuées aux items de notre corpus, par le NPR 2002 et le PR 77 (les entrées non recensées dans le PR 77 sont notées Ø). Nous renvoyons à l’annexe 3 pour une présentation complète des données. Types de marques attribuées aux entrées du corpus par le PR 77 Types de marques attribuées aux entrées du corpus par le NPR 2002 FAM. RÉGIONAL. 7 Ø ARG. FAM. 5 Ø FAM. ET PÉJ. 5 Ø FAM. 110 Ø FAM. 1 (2) MOD ET FAM. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 121 FAM. 2 (2) FIG. ET FAM. FAM. 1 (3) POP. FAM. 21 non marqué FAM. 3 FAM. (et autre) 156 ARG. FAM. (et autres marques) FAM. 9 VULG. FAM. 3 FAM. MOD. FAM. (et autre) 74 POP. FAM. 4 FAM. OU POP. ; POP. ET FAM. FAM. ET VULG 5 TRÈS VULG. ; VULG. FAM. ET PÉJ. 4 FAM. 410 Tableau 5 – Comparaison des marques attribuées par le NPR 2002 et le PR 77 aux items du corpus Quant aux termes marqués FAM. dans le PR, ils sont finalement très peu nombreux (seulement 27 items). Nous n’en donnons la répartition qu’à titre indicatif, car cet élément de comparaison est assez peu pertinent pour la recherche qui nous occupe. Types de marques attribuées par le NPR 2002 Types de marques attribuées par le PR 77 FAM. (et autres) 9 Ø FAM. 1 TECHN FAM. 1 MÉD. FAM. 7 Non marqué FAM. 3 VIEILLI, VX. FAM. 5 (2) FAM. FAM. 1 IRON. 27 Tableau 6 – Comparaison des termes marqués FAM. dans le PR 77 qui ne sont pas marqués FAM. dans le NPR 2002 3.2.2.2. Observations des données De façon générale, on peut remarquer que le marquage FAM. évolue nettement sur la période étudiée (24 ans). Seuls 156 items, soit 38% de notre corpus sont marqués de façon identique dans le PR et le NPR. 122 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Cela est lié notamment à l’ouverture de la nomenclature du NPR à des néologismes ou des emplois qui se sont développés dans les dernières décennies. En effet, 127 items marqués FAM. dans le NPR n’apparaissent pas dans le PR, soit 31% du corpus, et correspondent principalement à des emprunts ou créations lexicales récentes. Exemples de termes FAM. dans le NPR qui n’apparaissent pas dans le PR : bigophoner catastropher complexer entuber relooker tchatcher Sur les 117 items qui restent à comparer (156 sont identiques et 127 n’apparaissent pas dans le PR 77 sur un corpus de 410 items), l’évolution est significative. Nous avons ici confirmation d’un mouvement qui s’opère de la marque POP. vers la marque FAM. En effet, 74 items marqués POP. dans le PR deviennent FAM. dans le NPR. Ainsi, plus de 60% des changements de marque constatés en diachronie relèvent d’un basculement de la marque POP. vers la marque FAM. Bien que répondant à une tendance moins sensible, il faut également noter que 9 termes marqués FAM. dans le NPR, étaient marqués VULG. dans le PR. Exemples de termes FAM. dans le NPR et POP. dans le PR : amocher banquer crécher crouter pinailler pioncer Exemples de termes FAM. dans le NPR et VULG. dans le PR : cocufier déconner (1) dépuceler déconner péter (1) pisser (1) Cette évolution est loin d’être simplement intuitive. Dès la préface de chacune des éditions, dans la description des marques, le lexicographe en rend compte. Les indications fournies par le NPR se sont affinées et marquent la volonté de distinguer, au moins théoriquement, les différents niveaux sur lesquels porte la marque. Par exemple : FAM. PR 1977 : usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc., mais ne s’emploierait pas dans des circonstances solennelles. NPR 2002 : usage parlé et même écrit de la langue quotidienne : conversation, etc., mais ne s’emploierait pas dans des circonstances solennelles ; concerne les situations de discours et non l’appartenance sociale, à la différence de POP. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 123 POP. PR 1977 : qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires (souvent argot ancien répandu), qui ne s’emploierait pas dans un milieu social élevé. NPR 2002 : qualifie un mot ou un sens courant dans la langue parlée des milieux populaires – souvent argot ancien répandu – qui ne s’emploierait pas dans un milieu social élevé. A distinguer de FAM., qui concerne une situation de communication. VULG. PR 1977 : mot, sens ou emploi choquant (souvent familier ou populaire), qu’on ne peut employer dans un discours soucieux de correction, de bienséance, quelle que soit la classe sociale. NPR 2002 : mot, sens ou emploi choquant le plus souvent lié à la sexualité et à la violence, qu’on ne peut employer dans un discours soucieux de courtoisie, quelle que soit la classe sociale. Les modifications de ces gloses reflètent le désir du lexicographe de clarifier le statut des différentes marques, selon qu’elles portent sur le contenu du discours (VULG.), sur le locuteur (POP.) ou sur la situation d’énonciation (FAM.). On peut alors supposer que les évolutions de marquage correspondent pour certaines d’entre elles à des rectifications, mais force est de constater que le dictionnaire rend compte de la tendance générale d’un glissement des usages non conventionnels vers un lexique semi-conventionnel. En revanche, un mouvement inverse semble également se produire, du marqué vers le non marqué. En effet, 21 items sont non marqués dans le PR alors qu’ils sont FAM. dans le NPR. Cela correspond à la marque du Dictionnaire de Cellard et Rey cité plus haut (voir § 3.1.2). Ces faits, qui sont assez peu signalés dans la littérature, doivent donc être pris en compte. D’après Josette Rey-Debove, ce glissement s’explique par le fait qu’« une notable partie de l’argot, autrefois propre à des milieux restreints (argot des écoles, des métiers, du milieu), a passé dans la langue commune du peuple, puis la bourgeoisie. D’autre part, la langue soutenue a été reléguée par la bourgeoisie dans les discours officiels et les ouvrages didactiques. Ainsi des emplois argotiques franchement marqués finissent par s’intégrer à la norme, alors que le « beau langage » devient lui-même marqué. Cette translation est sensible dans la nomenclature des dictionnaires actuels ; mais comme elle est récente, les lexicographes en rendent compte avec beaucoup d’indécision et d’incohérence, le corpus métalinguistique faisant défaut »155. Exemples de termes FAM. dans le NPR qui sont non marqués dans le PR : baragouiner (2) gueuletonner brailler canarder 155 lamper trifouiller (2) REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique …, op. cit., p. 93. 124 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Enfin, les items marqués FAM. ET RÉG. sont une nouveauté de la nomenclature du NPR, ces derniers n’étant pas présents dans le PR. Exemples de termes FAM. ET RÉG. dans le NPR qui n’apparaissent pas dans le PR : canner chouiner poutser Quant aux termes marqués FAM. dans le PR qui n’apparaissent pas dans notre corpus, ils confirment là encore un phénomène précédemment observé : certains des items qui sont présentés en synchronie comme des termes familiers, sont en diachronie des emplois familiers de termes : Nouveau Petit Robert 2002 : Petit Robert 1977 : BOULOTTER v. FAM. Manger. => Bouffer. BOULOTTER -1. v . intr. VX. Aller doucement. Travailler. V. boulonner. -2. MOD. ET FAM. Manger. V. Bouffer. Trans. Il a rien boulotté. TORCHONNER v.tr. FAM. Exécuter (un travail) rapidement et sans soin. => bâcler, torcher. TORCHONNER v.tr. -1. RARE. Essuyer, frotter avec un torchon. -2. FIG. ET FAM. Exécuter (un travail) rapidement et sans soin. 3.2.3. Synthèse des constats Ce travail comparatif n’a pas pour objectif d’établir des statistiques mais plutôt de tenter de mettre en évidence certaines caractéristiques des termes FAM. plus ou moins évidentes, notamment dans leur rapport avec un lexique standard mais aussi non standard, qu’il relève de la variation sociale, spatiale, pragmatique ou temporelle. • Marque FAM. et lexique standard Selon les observations que nous venons de faire, un certain nombre de termes marqués FAM. se voient aujourd’hui perdre toute marque. Nous retrouvons ici les intuitions de Fénelon dans un célèbre passage de la Lettre à l’Académie (chap. III) et cité par Paul Imbs156: « Un terme nous manque, nous en sentons le besoin : choisissez un son doux et éloigné de toute équivoque, qui s’accommode à notre langue et qui soit commode 156 IMBS P., préface du TLF, 1971. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 125 pour abréger le discours. Chacun en sent d’abord la commodité : quatre ou cinq personnes le hasardent modestement en conversation familière ; d’autres le répètent par le goût de la nouveauté ; le voilà à la mode. C’est ainsi qu’un sentier qu’on ouvre dans un champ devient bientôt le chemin le plus battu, quand l’ancien chemin se trouve raboteux et moins court. » Il existe donc un mouvement d’une évaluation non standard des termes vers une évaluation standard, diachronique, mais également synchronique. Cependant, les données chiffrées que nous avons observées relativisent quelque peu la portée de ce mouvement. Seulement 7 items sont marqués FAM. dans le PR et glissent vers le non marqué dans le NPR ; quant à la comparaison avec le PL, elle montre que seuls 77 items sur 579157 font l’objet d’hésitation entre les deux marques, soit moins de 15%. Dans les faits, peu de termes « sortent » du domaine du familier. • Marque FAM. et dimension sociale Nous constatons que la marque POP. disparaît progressivement de l’arsenal lexicographique, remplacée par la marque FAM. ; la marque ARG. se raréfie et corrélativement la marque ARG. FAM. s’affirme. Comme il est souligné dans la préface du GR, la marque POP. est volontairement moins utilisée dans les dictionnaires du Robert : « Nous avons renoncé à qualifier de « populaire » des mots et des emplois que toute la communauté employait dans certaines circonstances de communication (…), c’est en effet que ces emplois ne sont nullement des marques d’appartenance sociale, par exemple non bourgeoise, mais bien des choix de discours. » La distinction entre la dimension diaphasique et diastratique est ici soulignée par le lexicographe. Le passage de l’argot et du populaire au lexique familier est donc la règle, créant des usages que l’on peut qualifier d’argot familier. La marque ARG. devient strictement réservée à des mots et à des emplois inconnus de la majorité des locuteurs et donc nettement moins fréquents. Ainsi, la marque ARG. FAM. peut elle se développer, notamment pour signaler une filiation étymologique (d’abord ARG. puis FAM.). D’après nos observations, ces mêmes tendances sont suivies par le PL (à l’exception de la marque ARG. FAM., qui n’est pas utilisée). • Marque FAM. et dimension spatiale Une autre caractéristique apparaît avec ces marques associées et concerne les relations entre la marque FAM. et les marques RÉGION. Ces dernières différencient les emplois compris et employés dans l’ensemble de la francophonie des emplois qualifiés régionaux de France ou relevant de communautés franco157 Nous comptons ici les 410 items du corpus, auxquels on ajoute les 169 entrées marquées seulement dans le PL. FAM. 126 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER phones hors de France. Cette association de marques, même si elle est finalement assez peu représentative, doit être soulignée. D’autant que, là encore, le PL suit la même logique. Si l’on s’en tient à la lecture de la préface du NPR, c’est la notion d’« écart » qui pourrait expliquer la coexistence de ces deux marques avec la marque FAM. : « La norme linguistique est conçue comme centrée et les régionalismes, entre « bon français » estampillés par l’institution pédagogique et les dialectes régionaux qui s’affirment souvent en s’opposant en bloc au français, sont en mauvaise posture ». Ainsi on peut considérer que le dictionnaire fait un parallèle entre l’opposition familier/standard et l’opposition dialectal/national. Pierre Guiraud, selon lequel l’éviction des déviations régionales constitue une des constantes culturelles de la politique française, suggère en effet que « la normalisation de la langue étant le fait de l’apprentissage scolaire et du contrôle social, il est fatal que le français populaire et relâché accueille plus librement des prononciations, des mots, voire des constructions d’origine locale »158. Nous montrerons au paragraphe suivant que nous pouvons nuancer cette proposition, suggérant que ce n’est pas tant la normalisation mais le facteur de disponibilité qui induit le marquage de ces usages. • Marque FAM. et dimension pragmatique Nous retrouvons également les marques pragmatiques : PAR PLAIS., VULG., PÉJ., PAR IRON., etc. Cela étant, elles sont assez rares contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer. L’équivalence régulièrement faite entre lexique grossier, vulgaire et lexique familier ne semble pas si évidente ou, en tout cas, n’est pas relayée par le marquage lexicographique. Seules la marque VULG. apparaissait source de confusion, mais la précision de la glose dans le tableau du NPR 2002 suffit à la lever. • Marque FAM. et dimension temporelle Par ailleurs, nous devons nous arrêter sur la présence importante des marques VIEILLI ou VX. qu’elles soient associées à la marque FAM. ou qu’elles fassent l’objet d’hésitations entre dictionnaires. Selon la préface du NPR, VX correspond à des formes qui ne sont plus clairement comprises et qui ne sont jamais produites spontanément dans la conversation ; les termes VX. appartiennent le plus souvent à l’usage classique. Le qualificatif VIEILLI, lui, regroupe des termes qui, sans être véritablement courants, sont encore compris et peuvent toujours faire partie de la conversation ordinaire, même s’ils ne sont employés que par une minorité d’usagers. La proximité de ces marques avec la marque FAM. pourrait nous inciter à penser le lexique familier comme quelque 158 GUIRAUD P., « Français populaire ou français relâché », op. cit., p. 24. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 127 peu obsolète, ce qui est une idée relativement nouvelle dans le champ de la familiarité lexicale et force est d’avouer que nous ne sommes pas en mesure de proposer une piste d’explication qui irait au-delà du caractère instable de cette frange du lexique. En tout état de cause, ce constat contraste quelque peu avec les hypothèses portant sur la fréquence du vocabulaire familier. Comment en effet considérer qu’un terme VX ou VIEILLI soit en même temps courant et employé en tous milieux ? • Marque FAM. et marque(s) conjointe(s) Cette dernière question ouvre la discussion sur la distribution conjointe de plusieurs marques. Nous l’avons déjà signalé, l’association de deux marques n’est pas rare et ce dans les trois dictionnaires consultés. Certaines marques peuvent être comprises successivement. Elles sont là pour nous informer sur le « parcours » historique d’un terme (c’est notamment le cas de ARG. FAM., mais aussi de FAM. ET VX.). Elles sont alors une indication étymologique. Cependant, elles pourraient se révéler être une sorte d’intensif de marque FAM., puisqu’elles trouvent leur place en tant que marques d’usage. On peut, en effet, imaginer que si l’intention n’était pas d’insister sur le caractère marqué du terme, l’information figurerait simplement dans la partie présentant le traitement historique du terme. La double marque apparaît alors comme un double commentaire, une accentuation du caractère marqué du mot. Et c’est également ce qui semble se passer pour les marques associées perçues simultanément (FAM. ET VIEILLI, FAM. ET RÉGION.). Cette multiplicité des marques renforce considérablement les restrictions d’emploi – donc les contraintes d’usage – des termes concernés et induit, là encore, un effet d’insistance sur le caractère non conventionnel du terme. Ces considérations ne sont pas sans rappeler les conceptions « évolutionnistes » du lexique159, selon lesquelles les différents niveaux de langue s’organisent sur un continuum, en diachronie. Les termes glisseraient d’un usage à l’autre et, préférentiellement, d’usages plus marqués vers des usages moins marqués, c’est-à-dire des usages plus ou moins standards : - de la marque ARG. vers la marque FAM. (avec la création de la marque ARG. FAM. pour le NPR) - de la marque POP. vers la marque FAM. (avec disparition de la marque POP. dans le PL), - de la marque FAM. vers le non marqué. Voir notamment COLIN J.-P., MEVEL J.-P., LECLERE C., Dictionnaire de l’argot français et de ses origines, op. cit. ; CELLARD J., REY A., Dictionnaire du français non conventionnel, op. cit. 159 128 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Il devient alors d’autant plus difficile d’attribuer une marque plutôt qu’une autre et il semble que ce soit l’orientation plus ou moins synchronique (et normative) que se donne chaque dictionnaire qui en décidera. Cela expliquerait les disparités de marquage existant entre les dictionnaires et rendrait compte du fait que débrayer « arrêter le travail » ou piger « comprendre » sont marquées POP. dans le PR 77, FAM. dans le NPR et ne sont pas marqués dans le PL. Néanmoins, ces évolutions du marquage peuvent être interprétées très différemment. Soit on considère les éléments du lexique comme une organisation hiérarchique par rapport à la norme, partant d’un niveau bas (argot) et remontant petit à petit une échelle de catégories lexicales (populaire puis familier puis standard). Le tout étant organisé de façon hiérarchique. Soit on considère ces catégories comme intrinsèquement différentes et n’appartenant pas aux mêmes aires lexicales et le passage des unes aux autres ne se comprend pas comme une « normativisation» de l’usage des termes mais comme une évolution de leur degré de spécialisation, correspondant plutôt à un processus de normalisation des termes. C’est la position que nous soutenons et que nous allons développer, qui nous amènera à définir plus précisément la notion de registre familier. 3.3. PLACE ET RÔLE DU REGISTRE FAMILIER AU SEIN DU LEXIQUE GÉNÉRAL 3.3.1. Vers une modélisation du lexique selon le critère de spécialisation des usages Pour expliquer notre propos, nous reprenons le schéma de Rivenc cité au § 1.3.2.1. En effet, l’organisation qu’il propose « comme un soleil » prenant comme norme de référence le degré de disponibilité des usages nous apparaît plus approprié pour représenter leur diversité et la catégorisation dont ils font l’objet. Nous proposons de compléter la figure initiale, notamment en localisant les différents champs de vocabulaire et donc les différentes marques d’usage examinées (voir figure 5 ). Il s’agit de rendre compte des trois dimensions mises au jour par les observations du corpus que nous venons de faire : la dimension de disponibilité du lexique, la dimension diachronique et la dimension diastratique. Malgré le caractère imparfait de cette figure qui fige des usages dynamiques, elle nous semble présenter l’intérêt de rendre compte d’une organisation moins normative qu’une schématisation étagée. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 129 Figure 5 : Localisation des marques d’usages à partir du schéma de P. Rivenc. Nous pouvons situer la zone du vocabulaire standard, non marqué, au niveau du cercle central (zone concentrique ) et de la partie basse de la zone concentrique . Il s’agit d’un lexique commun, fréquent, fondamental, disponible pour chaque membre de la communauté linguistique. 130 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Les termes familiers se situent, selon nous, sur la partie médiane et haute de l’aire concentrique (lexique disponible commun à tous les locuteurs mais dont la production dépend de la situation de communication). Quant au vocabulaire populaire et au vocabulaire argotique, ils se situent dans la partie haute de la zone , mais aussi sur la zone des lexiques généraux d’orientation scientifique ( ), voire jusqu’à la zone des lexiques spécialisés ( ) pour les termes d’argot les plus différenciés. Ces zones de lexiques sont organisées non pas selon des degrés de normalisation linguistique mais selon des degrés de disponibilité, correspondant, si l’on suit Rivenc, à des degrés de spécificité. Autrement dit, nos hypothèses de « positionnement » des zones de vocabulaire familier, puis du vocabulaire populaire et argotique nous amènent à considérer que c’est un degré de disponibilité qui différencie les marques FAM., ou la « non-marque » (standard) des marques POP. et ARG. Il y a donc, correspondant à cet axe de disponibilité des termes (noté + spécialisé/-spécialisé sur notre figure), un axe dont l’extrémité la plus spécialisée correspondrait à une part du lexique marquant le locuteur (diastratique) et à l’autre extrémité, la moins spécialisée, des termes marquant la situation de communication (diaphasique). Une troisième dimension nous est donnée par l’observation des marques dans notre corpus. Il s’agit de la dimension diachronique qui est parallèle à l’axe allant du plus spécifique (du plus diastratique, du moins disponible), vers le moins spécifique (le plus diaphasique, le plus disponible). En effet, l’évolution des marques du lexique à travers le temps nous permettant de supposer un mouvement du lexique vers une moindre spécialisation (la norme, le standard) : de POP. vers FAM., de ARG. vers FAM., de FAM. vers le non marqué. Précisons que certains termes peuvent connaître le parcours inverse (du non marqué vers le FAM.), mais la marginalité de ce phénomène ne nous permet pas d’en faire un principe et nous préférons insister sur le sens général du mouvement, du + au – spécifique, c’est-à-dire du – au + standard (nous avons donc représenté cet axe avec une flèche simple et non une double flèche). Chacune des zones de lexique selon leur niveau de spécificité est constituée par des centres d’intérêt ou des aires lexicales (A, B, C, D et 1, 2, 3). Au sein de ces champs notionnels, tous les degrés de spécificité sont possibles. Autrement dit, dans l’aire du vocabulaire familier, que nous avons située entre la partie basse de la zone correspondant au lexique disponible commun fondamental, et la partie basse de la zone des lexiques différenciés , on trouvera les termes marqués FAM., TRÈS FAM., mais aussi FAM. ET VX, FAM. ET VIELLI. FAM. ET RÉGION., etc. Ces derniers seront alors considérés comme plus spécialisés que les termes strictement marqués FAM. et, à ce titre, se rapprocheront (dans la représentation spatiale) de la zone des lexiques Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 131 différenciés, c’est-à-dire tendront à se situer du côté de la pointe des excroissances A, B, C, D, plutôt que de celui de la base. De la même façon, les termes de l’argot spécialisé, qui n’apparaissent pas dans les dictionnaires monolingues mais seulement dans les dictionnaires spécialisés, se situeront au plus près de l’extrémité des excroissances 1, 2, 3, c’est-à-dire dans les zones de lexique les plus différenciées ( et ), contrairement à l’argot commun, qui sera à la base des excroissances. Même si une représentation schématique est toujours caricaturale, elle permet de figurer le « chemin » que peuvent parcourir les termes les plus spécifiques afin d’entrer dans le lexique commun fondamental. On comprend alors mieux les différents paliers de l’évolution diachronique (ARG. > FAM.> non marqué ou POP.> FAM.> non marqué), même si tous les termes n’ont pas vocation à glisser diachroniquement vers des usages moins spécifiques et donc moins marqués. Dans la zone haute du lexique disponible commun fondamental ( ) et la zone basse du lexique commun commun ( ), les centres d’intérêt du vocabulaire courant A, B, C, D et les aires lexicales 1, 2, 3, se confondent. Les frontières sont floues et les juxtapositions ou superpositions sont fréquentes. C’est ce qui explique les hésitations de marquage. Là encore la représentation graphique est assez claire, et l’on voit bien qu’il devient difficile de distinguer des termes appartenant à la zone A, qui pourraient être marqués FAM., avec des termes qui pourraient appartenir à la zone 1, plus spécifiques, qui seraient marqués ARG. C’est alors qu’on aura tendance à les marquer ARG. FAM., ou POP. ou FAM., selon qu’ils auront atteint un degré de disponibilité suffisant ou un degré de spécificité suffisamment bas, pour relever du lexique commun fondamental disponible à tous et non plus à une aire de lexique différencié. Ainsi, ils perdent leur charge diastratique, au profit d’une charge diaphasique. Notons toutefois que si certains termes d’abord populaires ou argotiques finissent par être marqués FAM., la grande majorité de cette zone familière est « originellement » familière (la majorité des items observés n’ont pas connu de changement de marque sur les 25 dernières années). Reste à clarifier un point : les vocabulaires argotique et populaire se situent dans les mêmes zones de lexique ( et ) et sont deux dimensions parallèles que nous ne pouvons pas considérer comme des degrés sur une échelle de disponibilité ou de spécificité. En effet, si nous observons l’évolution de marquage des termes ARG. et POP. relevés dans le NPR, seuls deux items (tortorer « manger », paumer « donner un coup ») sont marqués ARG. en 1977 et deviennent POP. en 2002. Pour les autres, abouler, boumer, calter, clamser, débagouler, entraver, fayoter, fourguer, mollarder, piffer, pinter, rancarder, 132 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER renauder se contrefoutre, se pagnoter, se pieuter, trimarder, turbiner, le marquage ne varie pas entre les deux éditions. Quant à la comparaison synchronique de ces termes, ils sont identiques dans le NPR et le PL. On ne peut donc pas parler véritablement de glissement diachronique de l’ARG. vers le POP., mais au contraire soutenir qu’ils ne correspondent pas à des niveaux d’une même dimension, mais bien à deux stocks de lexique différent. Évidemment, des « collusions » sont toujours possibles160, mais contrairement à certains auteurs qui les plaçaient en situation hiérarchique (voir les modèles présentés au § 1.3), nos observations laissent penser que les niveaux populaire et argotique ne se situent pas l’un par rapport à l’autre comme des degrés plus ou moins conventionnels. Cette confusion hâtive était déjà dénoncée par Denise François, qui remarquait que « les traits saillants de la langue populaire ne sont nullement argotiques et que l’argot peut être rare dans les parlers populaires comme le montrent bien les matériaux que nous avons recueilli à Argenteuil »161. Rappelons ce qui en fait la principale différence qui nous permet de ne pas les assimiler – même étymologiquement – l’argot est un langage artificiel, construit, contrairement à la langue populaire, et concerne exclusivement le lexique. En résumé, si hiérarchie du lexique il y a, c’est en termes multidimensionnels qu’il faut la concevoir. D’une part, le lexique s’organise autour d’un critère de disponibilité, d’un axe de spécialisation, le degré de moindre spécialisation correspondant au lexique que nous avons caractérisé comme standard. Cet axe correspond également à l’axe diaphasique et diastratique, c’est-à-dire que plus on fait usage d’un lexique spécialisé, plus cet usage informe sur le locuteur. D’autre part, le lexique évolue autour d’un axe diachronique, qui se situe, comme le précédent, de l’extrémité des rayons vers le centre du soleil. A chaque fois, tous les degrés de spécialisation sont possibles. Comme le montre la figure, chacune des aires de lexique ( , , , etc.) est perméable, ce que représente la frontière en pointillés. Cependant, nos observations montrent que si une évolution intra-marque est possible, très rares sont les termes qui perdent toute marque. Le franchissement d’une zone marquée vers une zone non marquée semble difficile. Cette zone n’est pas représentée par le schéma de Rivenc, puisqu’elle correspond à cette part du lexique commun fondamental disponible à chacun mais non standard. 160 « Les formes argotiques et les formes légitimées dites “populaires” de la langue française se rejoignent », selon GOUDAILLIER J.- P., « De l’argot traditionnel au français contemporain des cités », La linguistique, vol. 38-1, 2002, p. 7. 161 FRANCOIS D., « Sur la variété des usages linguistiques chez les adultes », op. cit., p. 66. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 133 Cette modélisation du lexique permettant de situer les variétés de lexique non standard n’est pas sans implications théoriques et nécessite de discuter la validité des concepts de langue populaire, argotique et familière. 3.3.2. Du fait diastratique à l’effet diaphasique La figure présentée, reprenant les observations du corpus, permet de signifier un glissement diachronique des usages d’une dimension diastratique vers une dimension diaphasique, c’est-à-dire un déplacement d’une évaluation du locuteur vers une évaluation des circonstances d’énonciation. Par exemple, si l’emploi de pinailler « classait » le sujet de l’énonciation, comme l’indique la marque POP. qui lui est apposée par le PR 77, il est aujourd’hui interprété comme un indice situationnel, si l’on considère la marque FAM. que lui attribue le NPR 2002. Il devient alors difficile de considérer le lexique familier et populaire comme des aires lexicales tout à fait indépendantes et autonomes, puisqu’elles partagent, pour une part, un « passé commun ». Doit-on pour autant envisager le lexique familier comme le reliquat d’un lexique populaire ou argotique, considérant que le « passé » argotique ou populaire d’un terme l’empêche d’être estimé comme véritablement standard, même si son usage devient courant ? L’inventaire des marques effectué nuance cette proposition, notamment parce que le glissement diachronique de la marque POP. ou ARG. vers la marque FAM. n’est pas systématique. Certains termes FAM. ne trouvent pas leur origine dans un vocabulaire argotique ou populaire ; a contrario, tous les termes POP. ou ARG. ne glissent pas vers le FAM. Quels sont alors les liens entre FAM., POP. et ARG. ? Qu’est-ce qui provoque (ou non) des glissements des unes vers l’autre ? Afin d’expliciter ce glissement des marques POP. ou ARG. à la marque FAM., il apparaît nécessaire de s’intéresser, en-deçà du point de vue lexicographique, aux pratiques langagières et aux descriptions dont elles font l’objet. 3.3.2.1. Argoter ou argotiser ? L’argot est d’abord le langage spécial de la pègre, des prisons, du banditisme, un langage secret, crypto-ludique, un idiome artificiel, construit, créé, régi par des règles précises, dans le seul but de tromper l’attention d’autrui, de ne pas être compris des non-initiés. Cette définition met l’accent sur la dimension diastratique des usages de l’argot, compris comme indices d’une certaine catégorie de personnes socialement marquées. Il sera, dans ce cas, un indicateur selon la terminologie de Labov. Néanmoins, dans la mesure où l’on ne parle pas argot malgré soi, nous préférerons considérer que son usage est circonscrit 134 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER certes à des locuteurs particuliers, mais également à des circonstances particulières et dépend donc tant du sujet que de la situation d’énonciation. Par ailleurs, « derrière chaque truand il y a un homme d’un métier, barbeau, casseur ou bonneteur »162. Un glissement s’opère ainsi vers la professionnalisation et au-delà de cette langue sociale l’argot peut prendre les allures d’une langue d’activité professionnelle, d’une langue technique : les argots de métiers, les jargons ou jargots 163. C’est ici la dimension diatechnique de l’argot qui prédomine, également dépendante des conditions de communication. Accompagnant l’évolution des pratiques langagières, l’argot devient ensuite usuel, une sorte de slang, un argot commun avec lequel on peut émailler nos réalisations langagières. La « disponibilité » de certains termes argotiques est alors plus grande. L’usage de l’argot ne fonctionne plus comme indice social, mais comme marque stylistique164, en relation avec la situation de communication. Selon les spécialistes165, la fonction de ce parler n’est plus essentiellement cryptique, mais surtout symbolique. Pour notre part, nous nous permettons, dans ce cas précis, de préférer l’appellation de lexique ou vocabulaire argotique, plutôt que d’argot. Cela étant, dans ces deux dernières acceptions diatechnique et symbolique, notées comme relatives à la dimension diaphasique, il semble que ne puisse pas être oublié le signum social originel. Toutes les professions n’ont pas un argot de métier. Ce sont les maçons, les merciers, les forains, les comédiens, les musiciens, les bouchers, les élèves et non pas les professeurs, les cadres de la télécommunication, les ingénieurs aéronautiques, pour lesquels on parlera plus volontiers de jargon. Une exception pourrait être l’argot des Grandes Écoles. En tout état de cause, au-delà de cette lecture de classe, il semble que l’on retrouve, dans ces usages, les traces de l’affirmation de la solidarité des membres du groupe, présente à l’origine de l’argot. L’hypothèse que nous faisons est alors que l’emploi d’un terme argotique crée ce que l’on pourrait appeler un « effet » familier166, par rappel, en mémoire de sa fonction historique. Soit, par exemple, l’entrée arnaquer « escroquer ». L’usage du verbe arnaquer s’est aujourd’hui répandu dans toutes les strates de la société, il fait partie du stock de vocabulaire commun, fréquent, disponible et maîtrisé par tous les locuteurs. Il a toutes les caractéristiques de la langue standard. Or il reste affublé de la marque FAM. dans les dictionnaires. On peut alors lire cette marque comme une trace de son origine argotique qui rappelle GUIRAUD P., L’argot, Paris, P.U.F., 1969, p. 31. SOURDOT M., « Argot, jargon, jargot », Langue française, n° 90, 1991, p. 13-27. 164 FRANÇOIS D., « Panorama des argots contemporains », Langue française, n° 90, 1991, p. 8. 165 Voir les documents de travail du Centre d’Argotologie, devenu CARGO aujourd’hui, sous la direction de J.-P. Goudaillier, université Paris-Descartes. 166 SCHÖN J., « A propos de l’emploi “familier ” des verbes courants en français », op. cit., p. 91-99. 162 163 Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 135 un usage qui « classe », « sépare », « segmente » les locuteurs d’une même communauté linguistique. Cela signifierait qu’un des facteurs de familiarité lexicale, une des raisons qui fait que l’emploi d’un terme a des conséquences sur la distance interlocutive, réside dans sa charge mémorielle, dans la trace qui reste de son parcours étymologique. En restituant ces propositions d’interprétation sur le continuum représenté par l’axe de la spécificité de notre figure 5, il faudrait situer l’usage de l’argot en tant que langue codée, cryptique, langue spéciale partagée par des « spécialistes » – l’argot que l’on pourrait appeler « historique » – dans la zone des lexiques spécialisés, très différenciés ( ). Puis dans la zone des lexiques généraux d’orientation scientifique ( ) se situerait l’usage de l’argot professionnel, des métiers, qui exprime la solidarité, l’appartenance à un groupe sans aller jusqu’à se couper du reste de la société. Et enfin, dans la zone du lexique commun fondamental ( ), l’usage du slang, l’argot commun, c’est-à-dire quelques mots employés ça et là, dans le but de créer une certaine complicité, par rappel (plus ou moins conscient) de la fonction originelle de l’argot. + spécifique + diastratique argot historique - spécifique + diaphasique argot des métiers slang Figure 6 : Localisation « des argots » Nous parlons de continuum dans la mesure où le processus d’évolution du diastratique vers le diaphasique est graduel. Cependant, le terme change de dimension. En quelque sorte, on aurait d’un côté un fait linguistique (un fait de 136 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER classe, de groupe) et de l’autre un effet linguistique, par rappel à un fait de classe, de groupe. Autrement dit, l’usage de l’argot dans sa fonction historique peut être considéré comme un fait de langue, alors que l’usage de termes argotiques doit être considéré comme un effet de discours. On pourrait mettre en perspective notre propos avec la distinction que propose Jackie Schön167 entre argoter et argotiser : argoter pour signifier la production d’un discours argotique homogène et argotiser pour signifier le jeu sur les contrastes de tonalités (standard vs argot). L’usage des termes POP. semble suivre le même cours. Dès le début du XXe siècle, la promiscuité de soldats de toutes classes sociales dans les tranchées, le développement des médias de masse, l’accroissement de la mobilité géographique et sociale des populations sont autant de facteurs qui font évoluer la situation linguistique. Certains termes fortement marqués entrent dans le langage commun, perdant ainsi leur caractéristique principale de marqueur social. Le Français populaire a su conquérir les classes bourgeoises et s’est également introduit dans la langue littéraire. De la même façon que l’augmentation de la mise à disposition de certains mots d’argot leur ont fait perdre leur fonction crypto-ludique (et par là-même que leur usage s’est répandu en dehors des milieux réservés), l’usage de certains termes « typés » populaires s’est étendu à toutes les classes de locuteurs. Peu à peu, des termes auparavant jugés très spécialisés se voient intégrés à la langue commune à toute la communauté linguistique, sans pour autant pouvoir être considérés comme du vocabulaire standard (cf. les évolutions du marquage du POP. au FAM.). Autrement dit, dans les cas des termes d’abord marqués ARG. puis FAM., ou d’abord marqués POP. puis FAM. – et seulement dans ceux-là –, il s’agirait d’interpréter la marque FAM. non pas comme un échelon sur l’échelle hiérarchique des pratiques langagières mais comme une trace du marquage social du mot, un indice qui rappelle au locuteur que ce terme, historiquement, sépare et que son emploi va contraster, détoner (au sens « changer de ton »). Nous sommes alors sur un axe diachronique qui ferait de la dimension diaphasique un indice des emplois diastratiques originels. L’observation des glissements de marques de ARG. à FAM. ou de POP. à FAM. incite à penser que l’effet produit en discours par l’emploi de termes marqués, qu’ils soient POP., ou ARG. est sensiblement le même que celui provoqué par l’emploi de termes marqués FAM., c’est-à-dire qu’il permet de « faire connivence », de réduire la distance interlocutive. SCHÖN J., « Argoter vs argotiser », in Document de travail n° XI-XII du Centre d’argotologie, UFR de linguistique, Université Paris 5-René Descartes, 1991, p. 56-58. 167 Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 137 Déjà en 1989, Denise François proposait de considérer l’argot comme signum social de second degré, dépassant les stratifications sociales, perdant son caractère crypto-ludique. La principale fonction des usages argotiques est alors de « rendre le discours plus familier »168. Les autres auteurs travaillant sur les argots, au sens le plus ouvert du terme, partagent ces constats : « le jargon, comme l’argot est un langage de connivence »169, « la connivence, la reconnaissance et le renforcement du sentiment d’appartenance au même groupe social, le plaisir ludique, concourent également au développement et au maintien d’un argot »170. Françoise Gadet reprend également cette thèse dans ses articles les plus récents à propos de la langue des jeunes, elle parle de « socialisation en réseaux serrés »171, de « groupes de pairs »172. Ainsi est-ce la « fonction grégaire »173 des argots et, plus largement, des vocabulaires non standards qui est pointée. L’utilisation des termes non standards s’interprète, non pas en tant que marqueur du locuteur malgré lui, mais en termes d’intention marquée du locuteur. Car contrairement aux traditionnels parlers spécificateurs de classe sociale, nous sommes bien ici en présence d’une intention dans la communication, d’une particularisation délibérée. Néanmoins, il est possible de dégager deux types d’intention, selon la dimension privilégiée : - soit la connivence est créatrice de complicité, d’implicite, de non-dit et, pour décoder les énoncés, il faudra que les locuteurs aient en commun « un lit sous-jacent de connaissances, un univers culturel qu’on ne verbalise pas nécessairement mais qui intervient dans l’acte de langage »174. Dans ce cas, l’interprétation d’usages marqués privilégiera la dimension diastratique ; - soit la connivence est établie en vue de chercher un accord tacite entre locuteurs, autour de l’utilisation d’un lexique « marqué », permettant en quelque sorte de transgresser, de dépasser les usages les plus admis. Dans ce cas, l’interprétation favorisera la dimension diaphasique. FRANÇOIS D., « La fonction de familiarité dans l’argot », in L’Argoterie, Centre d’argotologie de l’U.E.R. de linguistique Paris 5-René Descartes, 1989, p. 140-143 ; « Les paradoxes des argots », in L’Argoterie, op. cit., p. 14. 169 TURPIN B., « Le jargon, figure du multiple », La Linguistique, vol. 38-1, 2002, p. 53. 170 SOURDOT M., « Argot, jargon, jargot », op.cit., p. 16. 171 GADET F., « “Français populaire” : un classificateur déclassant », Marges linguistiques, n° 6, 2003, p. 111. 172 GADET F., « Les niveaux de langue, quelques notes à deux voix », in BOUCHER K. (éds), Le français et ses usages à l’écrit et à l’oral, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2000, p.14. 173 « La fonction grégaire [...] définit l’usage d’une langue dans l’espace de la vie privée et comme mode d’expression de l’identité et de la solidarité du groupe ethnique », in VIGUIER G., « École et choix linguistiques », Le français dans le monde, numéro spécial, 1991, p. 103. 174 FRANÇOIS D., « Connivence et interlocution », La Linguistique, vol. 26, 1990, p. 88. 168 138 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Il y va de deux comportements différents : « en adoptant le premier, il est fait appel à la connivence qu’établit tout code partagé tandis qu’en usant des ruptures de registres lexicaux, un accord est cherché sur la base… de discordances »175. Ce que nous avons appelé la « transgression familière ». On comprend ainsi pourquoi cette intention subversive (subvertir la norme), qui dépasse le cadre familial, doit se limiter aux personnes de même rang, tel que le préconisent les contraintes des emplois FAM. Nous venons de voir que les usages POP. et ARG. se sont répandus au point d’avoir perdu leur marque au profit de la marque FAM. Doit-on pour autant considérer que la distinction diaphasique/diastratique est une question de fréquence comme le sous-entendent le terme « familier » lui-même et les qualificatifs qui lui sont traditionnellement associés : conversation courante, usage quotidien, usage fréquent. Il ne nous semble pas que cette proposition soit tout à fait satisfaisante. 3.3.2.2. Le familier, une question de fréquence ? La présence massive dans notre corpus, des marques VX., VIEILLI, mais aussi RÉGION., et même ARG. et POP., associées à (ou confondues avec) la marque FAM., contredit la conception de la fréquence comme critère du familier. Les termes marqués FAM. sont des termes que tous les locuteurs de la communauté linguistique possèdent potentiellement et qu’ils utilisent dans la conversation courante mais cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse des termes les plus couramment usités. Aussi, les doubles marques et les différences de marquage ou d’ouverture de la nomenclature à ces termes nous conduisent-elles à interroger la définition de ce lexique familier, « qu’on emploie naturellement en tous milieux dans la conversation courante, et même par écrit ». Comment un terme marqué RÉGION, VIEUX, ou VIEILLI peut-il surgir dans la conversation courante, quotidienne, en tous milieux ? La marque de ces termes ne s’opposet-elle pas à une apparition de ceux-ci de façon « naturelle et spontanée » dans la conversation, pour reprendre une expression souvent associée au registre familier ? Il ne nous a pas été possible de relever les indices de fréquence de nos termes parce que les outils à notre disposition, notamment le logiciel Frantext, rendent compte de corpus littéraires ou, plus largement, écrits et se révèlent inadaptés à notre objet d’étude. Cependant, un relevé de quelques-uns de nos items devrait suffire à nous convaincre de la rareté de nombre des termes familiers (y compris ceux qui ne sont pas marqués comme VX., VIEILLI, ou 175 Sur ce point : SCHÖN J., « Argoter vs argotiser », op. cit., p. 58. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 139 : barbifier, bêcher, bicher, bigler, boulonner, se boyauter, pour ne traiter que la lettre B. Certes, nous les connaissons tous, nous les employons peut-être également mais il est certain qu’ils ne font pas partie des verbes que nous utilisons le plus fréquemment et ils ne semblent pas plus fréquents que boumer, clamser, se contrefoutre, se pieuter, rancarder, turbiner pour ne citer que quelques-uns des termes indexés comme POP., toujours dans le NPR. RÉGION.) Il est donc tout à fait nécessaire de différencier la notion de fréquence de celle de disponibilité, tant du point de vue du locuteur que du cadre de la communication. Il s’agit de comprendre courant, quotidien comme la contrainte de la familiarité, c’est-à-dire le cadre situationnel dans lequel le registre familier peut s’employer – et uniquement celui-là – et il faut se garder d’opérer une assimilation des termes courant, quotidien avec habituel, fréquent. En fait, la définition traditionnelle citée ci-dessus doit être comprise non pas comme une définition positive (il faut) mais dans son aspect restrictif : le familier ne peut pas s’employer en dehors de la conversation courante, quotidienne et il n’est pas un usage de classe. La marque FAM. n’est donc pas un indicateur de fréquence, mais une marque d’avertissement sur le contexte d’emploi du terme (qu’il concerne sa dimension diachronique ou synchronique). 3.3.2.3. FAM., POP., ARG., des concepts opératoires ? La notion de français populaire est décrite par Françoise Gadet, comme « plus interprétative que descriptive : la qualification de populaire nous apprend davantage sur l’attitude envers un phénomène que sur le phénomène lui-même. »176 De la même façon, il est très difficile d’établir des critères d’argoticité de façon rigoureuse et systématique, l’argot étant « la résultante d’un ensemble de facteurs et de pratiques qu’un corpus d’éléments décrétés argotiques par une décision extérieure – et largement subjective – de l’observateur »177. Il semble donc qu’il n’y ait pas vraiment aujourd’hui d’usages constatés de termes employés par certaines classes de la société (notamment les plus populaires) et inconnues des locuteurs. Pour preuve, les termes considérés comme POP. dans notre relevé : boumer, calancher, calter, clamser, se contrefoutre, débagouler, maquer, maquereauter, mollarder (POP. ET VULG.), se pagnoter, se pieuter, piffer, pinter, rancarder, renauder, trimarder, turbiner. GADET F., Le français populaire, op. cit., p. 122. COLIN J.-P., « Nouvelles pratiques langagières, les argots », in ANTOINE G., CERQUIGLINI B., Histoire de la langue française 1945-2000, Paris, CNRS Édition, 2000, p. 157. 176 177 140 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Ils peuvent, pour certains, être rarement employés mais ils ne sont pas ignorés des locuteurs instruits178. Cette observation de la neutralisation des usages sociaux est confirmée par les récentes enquêtes en lexicologie sociale179 effectuées auprès de jeunes lycéens qui ont toujours évolué dans une société ultra-médiatique et qui montrent qu’ils emploient de moins en moins de termes marqués socialement ou géographiquement. C’est également le sens des travaux d’Anthony Lodge180 réalisés sur les habitudes langagières de jeunes issus de quartiers défavorisés, dont les conclusions remettent clairement en cause la corrélation entre vocabulaire populaire et appartenance de classe181. Il est donc devenu légitime aujourd’hui de questionner la validité de la notion d’argot et celle de langue populaire au sens d’« idiome parlé couramment et naturellement dans le peuple »182 en opposition à la bourgeoisie. Les constats dictionnairiques que nous venons d’établir, confirmés par le contexte sociologique, tendent à considérer ces notions comme caduques. L’ancien « idiome populaire » a perdu la réalité qui lui était propre, les frontières entre les diverses variétés du français étant de plus en plus perméables. Claude Duneton dans son Guide du français familier, avance que l’on ne peut plus raisonnablement user de l’appellation langage populaire car « les différences qui existent dans le parler ordinaire des gens se sont établies selon d’autres lignes de fracture, lesquelles suivent les divers degrés d’instruction bien plus que les strates sociales »183. Cette interprétation était déjà soutenue dans les années 1960, notamment par Jean Dubois pour qui l’interprétation des diverses classes sociales se traduit sur le plan linguistique par une atténuation importante des différences entre les niveaux de langue : « Les mots d’argot sont presque tous popularisés, les termes familiers ne sont plus sentis comme tels ; et le mouvement inverse de certains qui écartent de la langue, comme « incorrects », des mots de la langue usuelle, sous des prétextes divers, montre que souvent la conscience nette des 178 Un rapide sondage a été effectué auprès d’un panel de 20 étudiant-es, dans mon entourage proche. Seuls le sens des termes débagouler, renauder, se pagnoter ressortaient comme inconnu sans que le mot lui-même le soit. 179 LESIGNE H., Les banlieues, les profs, les mots, Paris, L’Harmattan, 2000. 180 LODGE R. A., « Le vocabulaire non standard suivant les perceptions des locuteurs français actuels », Grammaire des fautes et français non conventionnel, Actes du IVe Colloque international de l’École Normale Supérieure, organisé par le G.E.H.L.F, Paris, Presses de l’E.N.S, 1992, p. 341-354. 181 Voir aussi LODGE R. A., « Colloquial Vocabulary and Politeness in French », The Modern Language Review, n° 94-2, 1999, p. 355-365. 182 BAUCHE H., Le langage populaire, Paris, Payot, 1920, p. 20. 183 DUNETON C., Le Guide du français familier, Paris, Seuil, 1998, p. 20. Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 141 étages de la langue n’est plus celle de tous les locuteurs »184. On peut imaginer que des évolutions sociales de demain, si elles aboutissent à creuser les différences de classes, réactiveraient les différences linguistiques. Mais depuis la seconde moitié du XXe siècle jusqu’ici, il a plutôt été constaté un élan vers une interpénétration, une homogénéisation des pratiques sociales et linguistiques, tout au moins au niveau lexical. On assiste alors à une démocratisation progressive du lexique qui rend accessible à tous les milieux des termes auparavant réservés et, corrélativement, à une normalisation des pratiques langagières par neutralisation. Une sorte de nivellement des usages s’opère, rendant aujourd’hui quelque peu obsolètes les distinctions entre mentions ARG., POP., et FAM. On pourrait déduire de ces observations que l’interpénétration des classes sociales a définitivement gommé toute différence interindividuelle. Ce serait sans doute une vision erronée de la réalité des pratiques langagières. 3.3.2.4. Variation intrinsèque ou extrinsèque ? Le critère de la disponibilité relance les débats sur les profils des locuteurs susceptibles d’employer des termes familiers. Seraient-ils comme le définit Alain Rey, de tous milieux mais, préférentiellement, des classes aisées, considérant que la variation stylistique requiert une certaine maîtrise de la langue ? Y aurait-il, comme le propose Josette Rey-Debove « des différences d’une classe à l’autre, quoi qu’on en dise »185 ? Il nous semble que si le lexique familier appartient à la base commune du lexique commun disponible à tous les locuteurs, des différences sont perceptibles d’une classe à l’autre. Henri Bauche remarquait, à l’aube des années 1950, que « des mots comme jemenfoutisme, dégueulando, daim, mannezingue, appartiennent au langage familier des hautes classes. Le peuple ne les emploiera guère. Des mots comme : moche, tourte, godasse, pinard (…) sont employés dans la conversation par les Parisiens cultivés, mais toujours, sinon avec ironie et par plaisanterie, du moins avec la conscience de mal parler. Pour le peuple, au contraire, c’est là le vrai français »186. Ces nuances dans les usages ne peuvent apparaître dans la catégorisation qu’en fait le dictionnaire, si ce n’est pas des marques « intermédiaires » comme TRÈS FAM. ou ARG. FAM. Nous retrouvons là la notion de continuum prenant en compte l’hétérogénéité du lexique que nous avons représenté dans la figure 5 par l’axe spécifique/diastratique. 184 DUBOIS J., GUILBERT L., MITTERAND H., PIGNON J., « Le mouvement général du vocabulaire français de 1949 à 1960 d’après un dictionnaire d’usage », Le français moderne, n° 28, 1960, p. 208. 185 REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 93. 186 BAUCHE H., Le langage populaire, op. cit., p. 23. 142 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Ainsi, les divers degrés de spécialisation des termes marqués reflètent la diversité sociale des locuteurs. Un terme FAM. davantage spécialisé serait employé par une classe de locuteurs davantage « marquée » mais cela ne veut pas dire pour autant que ce même locuteur n’emploierait pas des termes FAM. (ou non) moins spécialisés ou encore que n’importe quel locuteur du français ne pourrait pas employer des termes très spécialisés à un moment donné, dans ses productions. Cela ne revient pas pour autant à associer de façon systématique les productions linguistiques et le niveau social du locuteur. En effet, si tout emploi de termes marqués POP. ou ARG. en discours produit un effet familier, ce dernier ne peut systématiquement être considéré comme une marque sociale (par exemple, l’énoncé « vous en avez assez de cette bande de racailles… », n’implique pas le déclassement social du ministre, tout juste un jugement moral. Voir § 1.3.2.3). Il apparaît donc que, pour le seul plan de la catégorisation lexicale (et insistons encore sur ce point), si toute variable diastratique (sociale) est potentiellement une variable diaphasique (car elle produit en discours un effet de style, une réduction de la distance interlocutive, même malgré soi), l’inverse n’est pas vrai, tout effet familier n’étant pas un marqueur social. Il ne le devient que si les règles de ses emplois ne sont pas respectées. Cela nous conduirait alors à « renverser » les définitions de marqueur et d’indicateur de Labov. En revanche, une familiarité mal venue, mal gérée187, l’emploi d’un terme marqué en dehors de ses restrictions d’emploi (les circonstances solennelles), sera considéré aujourd’hui comme un indice de stratification sociale. Au-delà d’une part du lexique strictement catégorisable, l’emploi de termes familiers, populaires ou argotiques en contexte inapproprié sera jugé comme « populaire », bien plus que le terme lui-même. Le jugement sur l’« écart » résidera davantage dans les circonstances d’usage des termes que sur les termes euxmêmes. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas aujourd’hui la réduction du vocabulaire qui classe188, mais l’inadéquation entre les usages attendus et la situation de communication. Tout se passe comme si la « crise du français » se résumait aujourd’hui à la production d’énoncés inadaptés à la situation, à l’absence de politesse189. Les phénomènes linguistiques qui posent aujourd’hui 187 DANNEQUIN C., « Outrances verbales ou mal-vivre chez les jeunes des cités », Migrants- Formation, n° 198, 1997, p. 21-29. 188 Il est au contraire remarqué « une effervescence du vocabulaire apparait paradoxalement dans les groupes sociaux mal armés chez lesquels on s’attendrait à un stock lexical réduit » selon FRANÇOIS D., « Les paradoxes des argots », L’Argoterie, op. cit., p. 95. 189 Pour preuve, l’apparition d’un nouveau délit, les « incivilités verbales» qui sont, selon un document de synthèse émanant du ministère de l’Éducation nationale, « les actes les plus importants de la violence engendrés par le milieu social, par la société elle-même violente Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 143 le plus de questions, le plus de résistance, donc qui font l’objet des jugements les plus sévères, sont le manque de plasticité des usages – nouvel indicateur social –, c’est-à-dire la possibilité plus ou moins exercée de la variabilité linguistique190. Anthony Lodge montre dans une récente enquête191 que les classes défavorisées manifestent beaucoup moins de souplesse, usent beaucoup moins de l’adaptabilité qu’offre la langue, contrairement aux classes plus aisées. Nous avons donc ici, clairement, dépassé la notion de niveau de langue, le « normal » correspondant à l’adaptation à la situation : « le bon maniement de l’activité linguistique consiste sûrement, pour une très large part, à savoir moduler, ou plutôt à apprendre à moduler son discours de façon à toucher le but qu’on s’est fixé (…) Ainsi, dans certaines situations, des phénomènes expressifs (utilisation de ruptures intonatives, de heurts syntaxiques, d’unités lexicales inattendues…) qu’il serait bon d’éviter ailleurs, permettent d’obtenir l’effet recherché »192. Or là ou les uns perçoivent de la grossièreté, les autres ne voient qu’une façon de s’exprimer193. S’il devient difficile aujourd’hui d’identifier un stock a priori réservé à une seule et même classe sociale et inconnu des autres (comme l’induit le marquage lexicographique), cela ne signifie pas que tous les locuteurs sont égaux devant la langue. En effet, nos conclusions ne valent que pour la catégorisation du lexique en termes, de populaire, familier ou argotique et non pas pour sa mise en discours ni non plus pour la richesse du vocabulaire, des structures syntaxiques et, plus largement, pour les compétences linguistiques générales, de nombreuses études en sociologie ou sociolinguistique démontrant le contraire194. (précarité, chômage, familles recomposées….) dans la réalité quotidienne de l’école ». Voir http://www.debatnational.education.fr/upload/syntheses_pdf/b3126_debat_synthese.pdf, lu le 15/1/2006. 190 GADET F. « Il y a style et style », Le Français aujourd’hui, n° 116, 1996, p. 29. 191 LODGE R. A., « Colloquial Vocabulary and Politeness in French », op. cit., p. 359. 192 FRANÇOIS D., « Sur la variété des usages linguistiques chez les adultes », op. cit., p. 69. 193 DANNEQUIN C., « Interactions verbales et construction de l’humiliation chez les jeunes des quartiers défavorisés », Mots, n° 60, 1999, p. 76-92. 194 BUZON C., « Lexique et classes sociales en milieu scolaire », Études de linguistique appliquée, n° 26, 1977, p. 20-56 ; BAUTIER E., Pratiques langagières, pratiques sociales, op. cit. ; BOURDIEU P., « Vous avez dit populaire ? », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 46, 1983, p. 98-105 ; FRANÇOIS D., « Sur la variété des usages linguistiques chez les adultes », op. cit. 144 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 3.3.2.5. Conclusions et retour à la lexicographie Toute la difficulté du lexicographe tiendra au fait que la distinction diaphasique/diastratique n’est finalement pas franchement opératoire pour guider le marquage des mots, dans la mesure où elle est bien plus théorique que pratique car « l’expression familière adoptée par telle personne cultivée sera rejetée par telle autre, également pour des raisons subjectives, ce qui rend la zone que le langage populaire et le langage familier ont en commun, plus ou moins floue »195. La complexité de la tâche du lexicographe comme de celle du linguiste qui voudrait distinguer diaphasique et diastratique consistera à tenter de photographier le mouvant, à figer l’instable. Il s’agira pour le lexicographe de rendre compte, dans un dictionnaire de langue, de situations de discours. Pour le linguiste, l’exercice sera à peine plus aisé. Il devra déterminer ce qui est de l’ordre du fait ou de l’effet selon qu’il considère l’énoncé ou l’énonciateur, la dimension sociale ou énonciative, car si les dimensions diaphasique et diastratique s’interpénètrent, elles ne relèvent pas du même plan d’analyse linguistique. On peut alors considérer, pour étendre une expression de Danielle Bouverot196 que l’on passe d’une analyse stylistique de l’écart (variation diastratique) à une analyse stylistique des effets (dimension diaphasique). Au terme de ce chapitre, nous nous rallions à la position de Jackie Schön selon laquelle « les distinctions traditionnelles entre formes « argotiques », « familières », « vulgaires » ou « populaires » importent moins que l’indication d’un registre. Car la signalisation du registre d’appartenance d’un terme équivaut à l’avertissement que son emploi va provoquer un effet, par rupture de ton dans le discours »197. Autrement dit, nous soutenons que la catégorisation du lexique en familier, populaire et argotique n’a pas de réalité fonctionnelle. Ce qui importe c’est la possibilité polyphonique que donne le lexique en jouant sur la discordance entre la norme et le hors-la-norme, quel qu’il soit. Ce qui est important c’est que l’emploi de termes « marginaux », « marqués » crée un effet que nous avons décrit jusqu’alors comme conniventiel et qui fait écho à la réduction de la distance interlocutive corrélative à la familiarité lexicale. D’un point de vue lexicographique, nous avons montré en quoi la multiplicité des marques FAM., POP. et ARG. n’est pas opérante d’un point de vue strictement linguistique. Elle l’est encore moins pour l’utilisateur du dicMESSELAAR P.-A., « Les marques familier et populaire envisagées d’un point de vue lexicologique et lexicographique », op. cit., p. 96. 196 BOUVEROT D., « Dictionnaire et style(s) », Le Français moderne, n° 67-1, 1999, p. 10. 197 SCHÖN J., « Le parler familier, un modèle français ? », Actas del XXIIIe congreso internacional de lingüistica y filologia romanica, Salamanca 2001, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 2003, p. 438. 195 Chapitre 3. – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » 145 tionnaire, a priori non averti, et tend plutôt à en brouiller la compréhension. A notre avis, l’accent doit préférentiellement être mis sur la distinction « marqué/non marqué » (standard/non standard) dans le lexique. Pour ce faire, il nous semble qu’une seule marque pourrait alors convenir au marquage lexicographique, et c’est la marque FAM. qui apparaît comme la plus à même d’assurer ce rôle d’avertisseur d’effet. Bien que cette proposition paraisse audacieuse, il nous semble qu’il ne s’agit, en fait, que d’entériner une situation existante et constatée. Au début des années 1970, Josette Rey-Debove écrivait « dans l’état actuel du langage, on peut considérer qu’il y a une dichotomie essentielle, qui prime sur les autres : le langage familier employé par tous dans les relations ordinaires entre égaux (langage écrit, parlé, littéraire) et le langage officiel employé dans les relations officielles ou hiérarchiques ; chacun de ces langages comporte plus ou moins de termes marqués selon les individus »198. La dichotomie marqué/non marqué était déjà considérée comme principale. Nous ajoutons simplement, pour renforcer l’argumentation, qu’elle est d’autant plus prégnante qu’en discours, les emplois relevant des dimensions diaphasiques et diastratiques produisent les mêmes effets. Les marques POP. et ARG. seraient alors réservées à deux types d’usage différenciés : soit elles correspondraient à des usages bien spécifiques, et seraient assimilées à des marques diatechniques199, soit elles deviendraient des indicateurs étymologiques sur le modèle ARG. FAM200, ou plus clairement D’ABORD ARG. PUIS FAM., D’ABORD POP. PUIS FAM. Enfin la marque TRÈS FAM. serait recentrée sur son rôle strictement superlatif de la marque FAM. (vs. la déclinaison de VULG. ou TRIV. qu’elle assure actuellement) permettant de dissocier des usages très marqués de ceux moins marqués, reprenant la notion de degrés du semi-conventionnel au non conventionnel. Corrélativement, il faudrait alors préférer l’appellation de marque d’usages au pluriel, plutôt que de l’actuel marque d’usage au singulier. REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 93. Comme usages restreints à des groupes identifiables, relativement cryptiques, qui auraient leur place dans un dictionnaire généraliste notamment pour comprendre la littérature spécialisée. 200 Proposition déjà établie par COHEN M., « C’est rigolo n’est pas populaire », Le français moderne, n° 1, 1970, p. 1. 198 199 CHAPITRE 4 PROPRIÉTÉS FORMELLES ET EFFET FAMILIER ________ Nous avons exposé, précédemment, les faits de familiarité tels qu’ils peuvent être présentés par le marquage lexicographique, afin de dégager des interprétations essentiellement d’ordre sociolinguistique et pragmatique. Dans le présent chapitre, nous observons des aspects linguistiques (vs extralinguistiques), concernant les caractéristiques formelles des items de notre corpus. L’objectif reste le même et consiste à dégager des critères qui pourraient justifier l’attribution de la marque FAM. ou, pour le moins, expliciter la mise à la marge à laquelle ces termes sont soumis. Depuis longtemps, de nombreuses recherches ont permis de mettre en évidence des procédés formels de création lexicale de l’argot et du « français populaire »201. Étant donné les liens étroits que ces pans du lexique entretiennent avec les items marqués FAM., il est évident que ces procédés sont autant de spécificités propres à notre corpus. Il nous a pourtant paru pertinent de travailler à nouveau ces aspects dans la mesure où nos objectifs sont très différents de ceux des études précitées et visent, au-delà de la simple taxinomie des formes, à éclairer les mécanismes qui sous-tendent l’effet familier – donc la réduction de la distance interlocutive – produit par l’emploi de ces lexèmes. En d’autres termes, nous avons, à partir des caractéristiques formelles de notre corpus, tenté d’amener à une compréhension plus précise des notions de péjoration, dépréciation et expressivité, toujours utilisées lorsque l’on parle de registre familier, mais rarement explicitées. Ce chapitre est donc consacré à mettre en évidence le rôle des caractéristiques formelles dans la production d’un effet familier. GADET F., Le français populaire, op. cit., ; GUIRAUD P., Le français populaire, Paris, P.U.F., 1965 ; GUIRAUD P., L’argot, op. cit., ; FRANCOIS D., « Les argots », in MARTINET A. (ss la dir.), Le langage, Paris, Gallimard, 1968, p. 620-646. 201 148 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER La première partie de ce chapitre est dédiée à l’inventaire des formes de notre corpus. Nous présentons tout d’abord, les formes construites en décrivant la structure des mots et les relations de formes, ce qui nous permet d’ébaucher une organisation morpho-lexicale du corpus. Nous nous sommes intéressée aux formes dérivées construites à partir de radicaux verbaux puis aux radicaux substantivaux. Ensuite, nous avons listé les formes simples. Dans une seconde partie, nous analysons les caractéristiques formelles susceptibles d’être le support d’un effet familier. Nous en avons retenu trois, que nous avons considérées comme autant de pistes interprétatives de la familiarité lexicale : d’abord l’impact de la dérivation affixale, l’influence de la substance phonique et enfin celui de la métaphorisation. Nous montrerons ensuite comment ces facteurs, liés à la forme des items mais ayant des incidences sur leur sens, peuvent créer un effet familier. 4.1. LA MÉTHODE D’OBSERVATION Notre objectif est d’analyser les principales règles de formation des verbes marqués FAM. et d’en extraire les spécificités. Nous avons donc concentré notre analyse sur les items identifiés par les locuteurs comme des mots construits (constitués de plusieurs morphèmes). Nous avons dégagé les morphèmes qui composent ces lexèmes et mis au jour les relations structurelles que ces items entretiennent avec d’autres unités de la langue. Quant aux mots simples qui, par définition, ne répondent pas à des règles de construction, nous ne les avons pas totalement exclus de notre description, étant donnée leur proportion (plus de la moitié de notre corpus), mais nous nous sommes principalement attachée à leur substance phonique. 4.1.1. Pertinence de la morphologie dérivationnelle pour l’analyse des mots construits Nous avons cherché à atteindre les relations sémantiques induites par les opérations spécifiques de constructions du lexique, dans le but de repérer des indices formels de la familiarité lexicale. Nous faisons l’hypothèse que les caractéristiques formelles spécifiques à notre corpus orienteront l’interprétation vers la familiarité lexicale. Nous nous situons donc à la frontière de la Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 149 morphologie et de la sémantique, soit davantage dans la dynamique de la morphologie dérivationnelle que de la morphologie concaténatoire202. Dans cette perspective, nous nous sommes largement laissée influencer par le cadre méthodologique de la morphologie associative, en cela qu’il permet d’identifier des segments de compositionnalité des lexèmes et la construction du sens qui lui est concomitante203. Nous avons donc travaillé à partir du principe général de la description en morphologie lexicale constructionnelle, selon lequel « il est nécessaire de pouvoir prendre appui sur la structure morphologique des mots construits pour être en mesure de procéder à des analyses sémantiques adéquates de ces mots »204. Nous avons cherché à déterminer des règles dérivationnelles propres à notre corpus, postulant le fait qu’elles produisent de façon simultanée le sens et la structure morphologique des mots construits et à ce titre, il est possible qu’elles soient un facteur de familiarité lexicale. Pour parfaire notre description, nous nous sommes notamment appuyée sur les travaux fondateurs de Danielle Corbin205 et de Martine Temple206, ainsi que sur les travaux qui s’inscrivent dans leur sillage207. Cependant, contrairement aux objectifs de la morphologie dérivationnelle, nous n’avions pas pour ambition de créer une grammaire dérivationnelle du lexique familier permettant de décrire jusqu’aux idiosyncrasies du système, mais plutôt de mettre en lumière les éventuelles régularités formelles du corpus et les règles qui traitent conjointement la formation du sens et celle de la structure des mots. Nous n’avons donc pas détaillé les processus d’allomorphie des morphèmes dérivationnels, d’allongements de racine des Sur le débat morphologie concaténatoire vs morphologie dérivationnelle associative, voir VANDERHOEFT C., « Contre la conception sémantique sous-jacente à la morphologie dérivationnelle associative ou contre une critique faite par Corbin à la lexicographie traditionnelle », Linguisticae investigationes, n° 16-1, 1992, p. 155-187. 203 Contrairement au cadre de la morphologique dissociative qui distingue les règles qui gouvernent la formation de la structure des mots de celles qui président leur interprétation. Sur ces différences de conception entre modèle associatif et dissociatif, voir CORBIN D. « La formation des mots : structure et interprétation », Lexique, n° 10, 1991, p. 9. 204 TEMPLE M., Pour une sémantique des mots construits, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1996, p. 18. 205 CORBIN D., Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique, Tübingen, Niemeyer, 1987. 206 TEMPLE M., Pour une sémantique des mots construits, op. cit., ; et Le sens des mots construits : pour un traitement dérivationnel associatif, Thèse de doctorat, Lille III, ss la dir. de Danielle Corbin, 1993. 207 Travaux de l’équipe SILEX à l’Université de Lille III, DAL G., « Du principe d'unicité catégorielle au principe d'unicité sémantique : incidence sur la formalisation du lexique construit morphologiquement ». Actes de Fractal'97, BULAG numéro spécial, Besançon, 1997, p. 105-115 ; NAMER F., La morphologie constructionnelle du français et les propriétés sémantiques du lexique, Mémoire HDR, ss la dir. de Denis Apothéloz, Université Nancy 2, 2005. 202 150 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER morphèmes lexicaux, pas plus que les phénomènes de supplétion lexicale habituellement abordés par la description en morphologie dérivationnelle. Concrètement nous avons d’abord identifié des bases lexicales à partir desquelles sont dérivés les verbes de notre corpus, ainsi que les morphèmes auxquels elles se combinent. Nous avons ensuite analysé ces matériaux au regard des règles de création lexicale régulières mises en évidence par les travaux en morphologie dérivationnelle. Nous avons donc observé les opérations de dérivation (affixation et conversion) des items de notre corpus et les avons confrontées aux règles de création lexicale traditionnelles pour dégager les tendances les plus singulières des procédés de création des verbes marqués FAM. Nous avons également examiné la marque lexicographique accordée à la base afin de cerner les liens plus étroits entre caractéristique formelle et attribution de marque lexicographique. Nous avons précisé, pour chacune des bases, la marque dont elle est pourvue, le cas échéant, ou la marque du sens de référence de cette base, en cas de polysémie. Nous avons observé l’incidence du processus de dérivation dans l’attribution d’une marque d’usage. Enfin, signalons que nous avons limité cette part de l’analyse à l’incidence de la forme sur le sens des termes observés, restant ainsi aux frontières de la sémantique. L’exploitation détaillée des rôles sémantiques et de la signification est proposée au chapitre suivant. 4.1.2. Le choix d’un matériau synchronique La première étape de la description a consisté à établir une catégorisation en mots simples et mots construits, autrement dit, à déterminer si le verbe observé est dérivé d’une base attestée dans le lexique, et dans cette éventualité, à expliciter le lien morphosémantique qui les lie. Pour ce faire, il nous fallait adopter une démarche éminemment synchronique, dans la mesure où nous devions dégager « les relations dérivationnelles actuellement perceptibles », selon la formule de Danielle Corbin. Aussi, pour déterminer si un verbe est perçu comme construit ou non construit, nous n’avons pas fondé notre description sur les notices étymologiques du NPR, car si « l’histoire peut, dans certaines limites, compléter, elle ne peut en aucun cas limiter ou censurer la description synchronique »208. En effet, l’information étymologique est souvent perçue comme un piège, voire 208 CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 101. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 151 une impasse méthodologique209, amenant la confusion, notamment quand ces données sont utilisées pour résoudre les problèmes de dérivation régressive. Nous adhérons donc au principe saussurien de synchronie qui définit la langue comme « un système de pures valeurs que rien ne détermine en dehors de l’état momentané de ses termes. Aussi le linguiste qui veut comprendre cet état doitil faire table rase de tout ce qui l’a produit et ignorer la diachronie. Il ne peut entrer dans la conscience des sujets parlants qu’en supprimant le passé »210. Pour dégager d’éventuels éléments lexicaux composant les lexèmes observés, nous n’avons pas non plus eu recours aux définitions lexicographiques. Si nous pouvons les considérer comme un matériau synchronique, nous avons estimé qu’elles ne sauraient rendre compte de la dimension morphologique du lexique211, dans la mesure où ce n’est pas là leur objectif principal. Compte tenu des objectifs et des orientations théoriques que nous nous sommes fixés, nous nous sommes basée sur notre propre intuition, que nous avons confrontée à celle de quelques locuteurs natifs, constituant ainsi une sorte de compétence-témoin, en ce qu’elle reflète une intuition métalinguistique sur le lexique et donne accès au lexique possible. Nous avons donc soumis les items du corpus à quatre informateurs (ainsi que nous-même), leur demandant s’il leur était possible de reconnaître ou non un lien formel avec un autre mot de la langue et, si tel était le cas, de tenter d’expliciter ce lien212. Nous n’avons pas véritablement élaboré un travail d’enquête et n’avons pas exploité les variables socioculturelles des locuteurs interrogés. Il s’agissait seulement de confronter notre propre intuition à celles d’autres locuteurs, afin de pouvoir exclure d’éventuels effets idiolectaux. Les réponses fournies se sont d’ailleurs révélées suffisamment homogènes pour pouvoir les considérer comme du matériau exploitable. A ce sujet, voir l’argumentaire de CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 88. 210 SAUSSURE (de) F., Cours de linguistique générale, op. cit., chapitre 3. 211 La description des procédures définitoires que nous présenterons au chapitre suivant confirme le fait que les définitions dictionnairiques ne sont pas nécessairement centrées sur la base du mot-construit. Par exemple, la définition de rabioter, « faire de petits profits supplémentaires », ne rend pas compte du lien morphologique que ce verbe entretient avec le substantif rabiot. Sur les limites de la définition lexicographique comme matériau de base à l’analyse morphosémantique, voir CORBIN D., « Sens et définition : de la compositionnalité du sens des mots construits », Linguisticae investigationes, n° 16-1, 1992, p. 189-219 et TEMPLE M., Pour une sémantique des mots construits, op. cit., chapitre 1. 212 La consigne était la suivante : « Je vais vous citer des verbes. Pouvez-vous me dire, pour chacun d’entre eux, s’il vous semble construit à partir d’un autre mot de la langue française. Si oui, pouvez-vous essayer d’expliciter cette relation, à la manière dont le ferait le dictionnaire dans une définition. Ex : cocufier, me semble construit sur le mot cocu, et je dirais que cocufier c’est faire cocu, rendre cocu ». 209 152 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nous avons traité les parcours dérivationnels tels que perçus par les informateurs et nous-même, et non pas tels qu’ils pourraient être décrits par le diachronicien ou le chercheur comme locuteur-expert213. En pratique et par exemple, nous n’avons pas considéré le verbe arnaquer comme base du substantif arnaque, contrairement aux données étymologiques du NPR – qui se fient aux datations des attestations –, mais comme dérivé de arnaque, conformément aux réponses fournies par les informateurs. Selon ces derniers, arnaquer c’est « faire une arnaque », ce qui les amène à considérer que arnaquer est construit sur la base de arnaque et non pas l’inverse. Ces indices sémantiques participent, nous l’avons dit, de l’intuition de locuteurs natifs et c’est cette référence intuitive qui garantit une perception synchronique. Nous n’avons donc retenu l’étymon attesté par l’analyse diachronique qu’à la condition qu’un lien de motivation soit observable en synchronie et qu’il ait été repéré intuitivement par les informateurs. Par exemple, le NPR indique que guincher est construit étymologiquement sur guinche « bal public », mais nous ne saurions retenir cette description car guinche n’est pas identifié par les informateurs. Guincher est alors considéré comme mot non construit, c’est-à-dire qu’aucun lien avec une autre unité du lexique n’est identifié en synchronie. Ce choix méthodologique nous a permis d’avoir accès à une analyse qui rend compte du sentiment linguistique des locuteurs, ce qui constitue une donnée d’autant plus pertinente que nous travaillons sur une part du lexique qui nous oblige à nous situer entre langue et discours. Nous avons ainsi pu disposer d’un matériau linguistique tel qu’il est appréhendé aujourd’hui par les locuteurs, et qui en reflète la conscience métalinguistique. L’interprétation qu’ils font des faits linguistiques est alors postulée comme vraie. La finalité de notre description est donc plus interprétative que factuelle. Elle est principalement centrée sur la perception qu’ont les locuteurs de faits linguistiques, à partir de règles formelles intégrées, plutôt que sur la description des faits eux-mêmes. Ainsi, pouvons-nous plus justement répondre à nos objectifs : mettre au jour les éléments formels susceptibles de provoquer un effet familier dans le processus de construction lexicale. 213 Certaines de nos descriptions pourront alors apparaître aux morphologues confirmés comme tout à fait fantaisistes, étant donné la compositionnalité retenue. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 153 4.1.3. L’observation des mots simples Les mots simples, nous l’avons dit, sont les unités perçues comme autonomes par les informateurs, donc indécomposables en morphèmes. Ils sont donc inanalysables du point de vue de leur construction morphologique, puisque considérés comme non motivés214. Mais dans la mesure où cette part du lexique non construit représente presque la moitié de notre corpus (189 items sur 410), nous n’avons pas voulu nous en désintéresser. Nous n’avons pas effectué d’analyse particulière sur ces items, les informateurs n’ayant pu nous fournir de données à leur propos. En revanche, l’inventaire que nous en avons fait a permis, d’une part, de confirmer certains indices mis en évidence par l’analyse des mots construits et, d’autre part, de démontrer le rôle de la substance phonique dans l’interprétation de la familiarité lexicale. Nous présenterons les formes dans la première partie descriptive de ce chapitre et intègrerons l’hypothèse phonique à notre analyse. 4.2. INVENTAIRE DU CORPUS Nous avons, dans un premier temps, réparti les items de notre corpus selon qu’on les considère comme des mots simples ou des mots construits, c’est-àdire selon que les informateurs perçoivent une base isolable dans le lexique ou non. Ils se répartissent comme suit : Mots simples 189 46 % Mots construits 221 54 % Total corpus 410 100 % 4.2.1. Les mots construits Nous décrivons, dans cette section, les unités lexicales perçues par les informateurs comme décomposables en divers éléments (morphèmes). A la différence des mots simples, les mots construits sont dits transparents, motivés morphologiquement, puisque leur forme s’explique partiellement par leur relation avec celle du mot identifié comme base, et réciproquement. On les 214 Par motivation, nous entendons, en accord avec J. Dubois, « la relation de nécessité qu’un locuteur met entre un mot et son signifié (contenu) ou entre un mot et un autre signe ». DUBOIS, J. et al., Dictionnaire de linguistique, op. cit., p. 328. 154 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER considère comme « prédictibles », c’est-à-dire que leur sens peut être déduit de la combinaison des segments qui le composent. La description de ces morphèmes ainsi que celle des relations qu’ils entretiennent – que les informateurs nous ont permis de déterminer – constituent les bases de notre analyse. Nous avons donc présenté, et ce tout au long de cet inventaire, la base identifiée et le type de transformation morphologique mis en évidence par les informateurs, ainsi que la glose qu’ils ont faite de cette transformation et que nous figurons entre guillemets. Nous nous sommes principalement concentrée sur les opérations de dérivation, dans la mesure où les autres procédés, habituellement constatés en français (siglaison, composition, troncation), ne sont pas représentés ou sont extrêmement marginaux dans notre corpus. Cette prépondérance du processus de dérivation tient essentiellement à la nature de nos items, exclusivement verbaux, alors que les autres procédés de création lexicale sont largement usités pour la formation de substantifs FAM. (sono, phallo, amphi, fana, folklo, caf’conc’, rmiste, achélème, etc.). Quant à la composition, quelques termes pourraient être retenus (valdinguer de valser et dinguer ; tournebouler de tourner et bouler), mais ils ont été traités, étant donnée notre perspective synchronique, comme des mots simples, car ils n’ont pas été identifiés comme reliés à une base lexicale par les locuteurs interrogés. Là encore, on peut remarquer que ce procédé est très productif pour les substantifs : amuse- gueule, anti-tout, boit-sans-soif, pet-de-loup, pousse-au-crime, casse-cul, marie-couche-toi-là, etc. Traditionnellement, l’opération de dérivation, c’est-à-dire le procédé de création à partir d’un radical base et de formants non autonomes, est envisagée selon deux axes : - la dérivation affixale : l’opération est effectuée au moyen d’un morphème grammatical, reconnu en synchronie comme suffixe ou préfixe, lié à une base autonome en langue (nominale, adjectivale ou verbale.) grattouiller (v.) → gratt(-er) + -ouiller - la dérivation non affixale ou conversion, parfois appelée dérivation immédiate (vs dérivation médiate, suffixale) : l’opération est effectuée par transformation de la catégorie grammaticale d’une unité base, sans que cette opération ne laisse de trace morphologique visible sur une forme neutre (traditionnellement la forme verbale de la 3e personne du singulier au présent de l’indicatif). bagarre (n.) → il bagarre (v.) Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 155 Il s’est avéré que ces deux types d’opération de dérivation correspondent, pour notre corpus, à un classement des items en fonction de la nature de leur base. En effet, à quatre exceptions près215, les verbes dérivés à partir de base verbale subissent une dérivation affixale (par suffixation et/ou préfixation) alors que les verbes dérivés sur des bases substantivales (adjectif ou nom)216 correspondent à des procédés de conversion. Nous avons donc simultanément travaillé sur le type d’opération de dérivation effectuée et sur les types catégoriels des bases (nom, verbe, adjectif), et c’est ce dernier critère qui a été retenu comme fondement de notre taxinomie. Chacun des items de notre corpus pouvant être considéré comme mot construit a été classé en fonction de la catégorie grammaticale du morphème lexical servant de base à la dérivation, soit les mots construits sur une base verbale, puis les mots construits sur une base nominale. Enfin, nous avons traité dans cette section des items que le regard du chercheur ne nous permet pas tout à fait de considérer comme construits, mais plutôt comme remotivés. Néanmoins, dans notre perspective synchronique, ils trouvent leur place au sein des mots construits. Nous préciserons lors de leur analyse, ce qui en fait leur spécificité. base verbale V→V base substantivale Adj → V N→V Nb % dérivations suffixales 19 8,6 % dérivations préfixales 15 6,8 % verbes locatifs 10 4,5 % verbes instrumentaux 20 9% verbes de production 20 9% verbes d’action 23 10,4 % verbes de transformation 23 10,4 % verbes de manière 40 18% verbes dérivés de locution 30 13,7 % 21 9,6 221 100% Remotivations Tableau 7 : Représentativité des procédés de dérivation des mots construits 215 216 cocufier → cocu (adj.) + –fier stariser → star (n.) + –iser gâtiser → gâteux (adj.) + –iser barbifier → barbe (n.) + –ifier La dérivation verbale à partir d’un adverbe n’est pas de coutume considérée comme un procédé de création lexicale « possible » en français et n’est pas non plus observée dans notre corpus. 156 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.2.1.1. Les modificateurs verbaux (V→ V) Il n’y a pas, dans cette opération de dérivation, de changement de catégorie grammaticale entre la base et le dérivé. Les transformations subies par les unités lexicales n’ont pas pour objectif de créer un verbe à partir d’une unité non verbale existante, mais de modifier le signifié d’un verbe déjà existant. D’où la dénomination de modificateurs de verbes, pour les affixes utilisés dans ce type de dérivation. 4.2.1.1.1. Les dérivations suffixales (19/221 items) Ces opérations consistent en un ajout d’un suffixe au verbe de base existant dans le lexique. Nous retrouvons ici l’essentiel des suffixes productifs en français sur base verbale (à l’exception de –eler, –iner, non représentés dans notre corpus). –ailler –ouiller criticailler → critiquer + –ailler « critiquer en pinaillant » couchailler → coucher + –ailler « coucher à tord et à travers » godailler → goder + –ailler « goder un peu » rôdailler → roder + –ailler « roder un peu » crachouiller → cracher + –ouiller « cracher un peu » gratouiller → gratter + –ouiller « gratter un peu » mâchouiller → mâcher + –ouiller « mâcher mais pas pour manger, machinalement » pendouiller → pendre + –ouiller « pendre mollement » écrabouiller → écraser + b + –ouiller « écraser furieusement » –ocher –asser –oter filocher (1) → filer + –ocher « s’enfuir, filer rapidement » filocher (2) → filer + –ocher « filer qqn à la manière de la police » grognasser → grogner + –asser « grogner tant et plus » bavasser → baver + –asser « baver, bavarder pour ne rien dire » dansoter → danser + –oter « danser un peu » traficoter → trafiquer + –oter « trafiquer un peu, des choses qui n’ont pas d’importance » tournicoter → tourniquer + –oter « tourner un peu, machinalement » –onner –oyer rognonner → rogner + –onner « rogner beaucoup, grommeler ostensiblement » merdoyer → merder + –oyer « merder un peu » « merder franchement » –lurer (faux suffixe)217 peinturlurer → peinturer + –lurer 217 Nous avons intégré cet item à la série de suffixations conformément aux réponses des informateurs et par souci d’exhaustivité, mais nous ne pouvons considérer un morphème -lurer, dans la mesure où nous n’avons pas trouvé d’autres occurrences semblables dans le NPR nous permettant d’opérer un test de commutation. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 157 La suffixation n’induit donc pas de changement catégoriel et la syntaxe du verbe de base n’est pas modifiée par l’opération de suffixation : dansoter est intransitif, comme danser, et filocher est transitif, comme filer. La modification apportée par l’opération de suffixation réside donc dans l’apport sémantique. On a, en effet, coutume de présenter ces suffixes, dans les grammaires ou les dictionnaires, comme diminutifs, intensifs, fréquentatifs et péjoratifs. Cependant, nous le développerons dans la partie réservée à l’analyse, cette position mérite d’être nuancée et la catégorisation sémantique de ces suffixes est certainement moins systématique qu’il n’y paraît. 4.2.1.1.2. Les dérivations préfixales (15/221 items) Les préfixes productifs dans notre corpus sont re–, contre– et dé–. A quelques exceptions près (refiler et dégrouiller pour lesquels le rôle du préfixe est intensif) ils fonctionnent respectivement comme itératif, intensif et oppositionnel. re– contre–218 recaser → re-+ caser « caser à nouveau » refoutre → re-+ foutre « foutre à nouveau » revouloir → re- + vouloir « vouloir à nouveau » rebouter (1) (2) → re- + bouter « bouter à nouveau » refiler → re- + filer « filer sans laisser le choix » s’en contrebalancer → s’en contre- + balancer « s’en balancer complètement » s’en contreficher →s’en contre- + ficher « s’en ficher carrément » dedébander → de– + bander « arrêter de bander » déballonner → de– + ballonner « l’inverse de ballonner » désaper → dé– + saper « le contraire de se saper » décomplexer → dé– + complexer « l’inverse de complexer » dépatouiller → dé– + patouiller « l’inverse de patouiller » dégrouiller → dé– + grouiller « se grouiller vraiment » débrayer → dé– + (em-)brayer « l’inverse de embrayer » 4.2.1.2. Les modificateurs substantivaux (N→ V) (ADJ→ V) La relation NOM→VERBE se réalise par une phrase fondamentale constituée d’un syntagme nominal sujet et un syntagme verbal. On les appelle des verbes dénominaux du fait de l’interprétation du verbe à partir d’un nom qui en est la base. Le Nbase devient en quelque sorte le référent à partir duquel s’interprète le 218 Nous considérons ces unités lexicales comme des dérivés par préfixation et non comme des compositions. 158 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER verbe dérivé. Il en est de même pour la dérivation ADJ→VERBE que nous avons décidé de traiter également dans cette section d’autant plus que la plupart d’entre eux correspondent à des adjectifs employés comme noms219. Les études sur le lexique commun présentent comme très productive la suffixation en –iser ou –ifier pour la transformation ADJ→VERBE, et la suffixation en –iser pour la transformation NOM→VERBE. Dans notre corpus, ces procédés s’avèrent relativement rares, et seuls quatre items sont concernés : cocufier, gâtifier, stariser, barbifier. Comme nous l’avons annoncé, tous les autres cas répondent à une opération de conversion N→V220 ou ADJ→V. Nous ne développerons donc pas précisément ce type de suffixation. Nous avons opéré un classement des items relevant de la conversion N→VERBE et ADJ→VERBE à partir de l’identification d’un lien sémantique entre la base et le dérivé. Guidée par le principe fondateur du travail linguistique, nous avons repéré les régularités sémantiques dans les configurations morphologiques liant les bases et les dérivés, à l’instar des travaux en morphologie dérivationnelle ou constructionnelle déjà cités, de ceux de Dubois et Dubois-Charlier221 ou, précédemment, de ceux de Ferdinand Brunot222. Nous avons pris pour matériau de base à la description les réponses fournies par les informateurs interrogés, tant dans le repérage de la base que pour la glose. Cette description, nous le verrons, est un pas supplémentaire dans la compréhension de la familiarité lexicale, tant elle éclaire les liens que le lexème verbal familier entretient avec d’autres lexèmes de la langue. Par ailleurs, elle nous donne l’occasion d’esquisser les rapports entre le verbe, son sujet et son objet, niveau d’analyse que nous aborderons de façon plus détaillée dans le chapitre suivant. 219 C’est pourquoi, à l’exception de certaines remarques qui nécessitent une distinction entre les bases nominales ou adjectivales, nous utiliserons indifféremment le terme de Nbase, pour les désigner. 220 Nous avons déterminé le sens de la conversion N↔V à partir des données recueillies auprès d’informateurs, eux-mêmes se fondant sur les liens sémantiques les plus évidents entre la base et le dérivé. Des polémiques pourraient naître de ces données mais avons estimé qu’entrer dans ce débat nous éloignerait considérablement de notre propos. Nous avons donc considéré, à l’instar de Danielle Corbin, que l’analyse de la conversion est similaire à l’analyse des procédés d’affixation. Une opération de conversion associe une base et un dérivé, appartenant à deux catégories grammaticales nécessairement différentes, et entretenant une relation sémantique particulière. C’est ainsi que V → CONV N sous-entend que N décrit le procès véhiculé par V (vol(er) → CONV vol ), alors que N → CONV V donne à voir généralement le référent de N comme l’instrument du procès décrit par V (balai → CONV balay(er) ) (CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 275). 221 DUBOIS J. et DUBOIS-CHARLIER F., La dérivation suffixale en français, Paris, Nathan, 1999, p. 238-261. 222 BRUNOT F., La pensée et la langue, Paris, Masson et Cie Éd., 1965, p. 216. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 159 Nous avons mis en évidence sept paradigmes, que nous présentons dans l’ordre inversement proportionnel de leur représentativité numéraire. 4.2.1.2.1. Verbes locatifs (10/221 items) L’opération de conversion est du type V : « mettre X dans N (locatif)». Le Nbase réfère au lieu qui intervient comme participant du procès décrit par V, X est le patient du procès. Nous avons également regroupé dans cette catégorie les verbes à locatif inversé, du type V : « sortir X de N (locatif) ». becter « mettre dans le bec » crécher « loger dans une crèche » dégueuler « sortir de la gueule » emmerder (1) (2) « mettre dans la merde » merder (1) (2) « être dans la merde » planquer « mettre dans une planque » se démerder « se sortir de la merde » se plumer « se mettre au plume, au plumard » 4.2.1.2.2. Verbes instrumentaux (20/221 items) Ce sont des verbes qui peuvent être glosés par V : « produire un résultat à l’aide de N (instrument) ». N (instrument) est généralement un objet ou plus largement une substance ou un moyen d’action impliqué dans la réalisation du procès. Dans la majorité des cas, un patient subit l’action réalisée au moyen de Nbase. baratiner (2) « abuser par un baratin » bécoter « donner des bécots » bigophoner « utiliser un bigophone» biser « donner des bises » bomber « peindre avec une bombe » carotter (2) « extraire une carotte du sol » châtaigner « donner des châtaignes » complexer « donner des complexes » débraguetter « ouvrir la braguette » émotionner « toucher par une émotion » entarter « recouvrir d’une tarte » flinguer (1) « tuer avec un flingue » fringuer « mettre des fringues » nipper « mettre des nippes » rebraguetter « fermer la braguette » relooker « donner un nouveau look » se friter « donner des frites, des coups » se saper « mettre des sapes » talocher « donner des taloches » violoner « jouer du violon » 160 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.2.1.2.3. Verbes de production (20/221 items) Ce sont essentiellement des constructions morphologiques du type V : « émettre un Nbase» où N est un son, un acte de langage ou même une émotion. Ce sont donc exclusivement des constructions intransitives. • Productions corporelles péter (1) « faire un pet » roter (1) « faire un rot » graillonner « expectorer les graillons » glavioter « faire un glaviot » gerber (1) « faire une gerbe » • Verbes de langage baragouiner (1) « faire un baragouin» tchatcher « se livrer à la tchatche » politiquer « parler politique » laïusser « faire des laïus » déconner (1) (2) « dire des conneries » blablater « faire du blabla » blaguer « dire des blagues » baratiner (1) « faire du baratin » vanner « lancer des vannes » • Verbes de maladie, forme physique, morale kiffer (1) (2) « prendre du kif, du plaisir » criser « piquer une crise » rager « être en rage, avoir la rage » se biler « se faire de la bile » 4.2.1.2.4. Verbes d’action (23/221 items) Ce sont des verbes de comportement, ou d’activité qui correspondent au schéma V : « faire N (action) », « (se) livrer à N (action)», « participer à N (action)», « s’adonner à N (action) ». Ce sont des constructions intransitives dans lesquelles le sujet est agent du Nbase. arnaquer (1) (2)« faire une arnaque » bagarrer (2) « livrer bagarre » balader (2) « faire une balade » esbroufer « faire de l’esbroufe » fauter « faire une faute » fuguer « faire une fugue » grenouiller « faire du grenouillage » gueuletonner « faire un gueuleton » magouiller (1) (2) « se livrer à des magouilles » partouzer « faire une partouze » petit-déjeuner « prendre un petit déjeuner » rabioter (1) (2) « faire des rabiots » se bagarrer (1) « se livrer à la bagarre » Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 161 se balader (1) « s’adonner à la balade » se biturer « prendre une biture » se cuiter « prendre une cuite » se défouler (1) (2) « s’adonner au défoulement » vadrouiller (1) (2) « aller en vadrouille » 4.2.1.2.5. Verbes de transformation (23/221 items) Nous avons dissocié dans cette série les verbes pour lesquels le patient est transformé en Nbase et ceux pour lesquels le sujet du prédicat subit la transformation. • Le procès transforme l’objet en Nbase ou affecte à l’objet une ou des propriété(s) de ADJbase. On peut gloser ces verbes par « rendre X, ADJbase» , « considérer X à la manière d’un Nbase », ou plus largement « prendre X pour Nbase », « traiter X en Nbase », « faire que X devienne ADJbase ». C’est l’objet du verbe qui subit une transformation, qui peut intervenir a posteriori ou a priori. Dans ce dernier cas, le procès n’aboutit pas à la transformation de X en Nbase, mais à la considération de X en fonction des caractéristiques du Nbase : bidonner (2) « rendre bidon » canarder « prendre pour un canard » chouchouter « traiter X en chouchou » cocufier « rendre X cocu » couillonner « prendre X pour un couillon » décerveler « rendre sans cervelle » dégueulasser « rendre dégueulasse » dépuceler « rendre non pucelle » emmerder (3) « prendre X pour de la merde » indifférer « rendre X indifférent » pigeonner « prendre X pour un pigeon » stariser « transformer X en star » torchonner « rendre X un torchon » • Ces verbes correspondent à des constructions adjectivales intransitives résultatives qui impliquent un changement d’état du sujet du verbe, selon le schéma : V : « X devient ADJbase » ou « X est ADJbase ». barbifier « raser la barbe » flemmarder « devenir flemmard » gâtifier « devenir gâteux » insupporter « devenir insupportable » se beurrer « se rendre beurré » se dépoitrailler « se découvrir le poitrail » se toquer « devenir toqué » speeder « devenir speedé » urger « devenir urgent » vasouiller « devenir vaseux » 162 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER L’opération de verbalisation est réalisée soit à partir du suffixe –iser, soit à partir de la simple marque de l’infinitif –er. Le premier cas de suffixation est très productif en français standard, alors qu’il ne représente que très peu d’exemples dans notre corpus. 4.2.1.2.6. Verbes de manière (40/221 items) Ce sont des verbes dont le procès est réalisé « à la manière de ». C’est un procédé très productif dans notre corpus. On peut opérer des sous-catégories selon que le sujet se comporte comme Nbase ou que l’action est réalisée comme Nbase. • La manière dont le sujet réalise l’action est précisée par le Nbase. Ce sont des verbes du type V : « agir en Nbase», « faire le Nbase», « agir à la manière de Nbase », « avoir les attributs, les propriétés de Nbase », « faire ce que Nbase ferait ». C’est ici le sujet qui est le référent du Nbase ; le sujet se comporte à la manière du Nbase, c’est pourquoi ces dérivations sont parfois décrites comme référant à un agent stéréotypique223. Les constructions sont essentiellement intransitives ou employées absolument. Elles renvoient à des comportements humains (ou animés, humanisés) : cabotiner « faire le cabotin » cafarder (1) « faire le cafard » charcuter « faire le charcutier » cochonner « faire un travail de cochon » cocoter « sentir la cocotte » copiner « se comporter en copain » cornaquer « servir de cornac » déconner (2) « faire le con » fliquer « faire le flic » fouiner (1) « faire la fouine » fouiner (2) « fouiller comme une fouine » frimer « faire le frimeur » goinfrer « manger comme un goinfre » lézarder « faire le lézard » mendigoter « faire le mendigot » moucharder « faire le mouchard » poireauter « faire le poireau » se pocharder « se conduire en pochard » turlupiner « faire le turlupin » vamper « se prendre pour une vamp » vibrionner « faire le vibrion » yoyoter « se comporter comme un yoyo » zoner « vivre en zonard » 223 NAMER F., La morphologie constructionnelle…, op. cit., p. 107. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 163 • « Faire à la manière de Nbase » : dans certains cas, c’est l’action qui est réalisée selon une modalité indiquée par Nbase. banquer « payer comme si une banque payait » baragouiner (2) « parler une langue comme si c’était un baragouin » biberonner « boire de l’alcool comme si on buvait au biberon » catastropher « atterrer comme lors d’une catastrophe » cavaler « courir comme si on était en cavale » courser « poursuivre comme si on participait à une course » flinguer (2) « abîmer comme si on avait tiré dessus avec un flingue » galérer « peiner comme dans une galère » péter (2) « faire le bruit que ferait un bruit de pet » péter (4) « éclater en faisant un bruit de pet » picoler « boire de l’alcool à la manière dont on le ferait avec du picolo, du vin de table» rafler (1) (3) « prendre comme dans une rafle » rafler (2) « voler tout comme dans une rafle » sandwicher « prendre en sandwich » saucissonner « manger comme on mange du saucisson » siroter « boire de la façon dont on le ferait si c’était du sirop » 4.2.1.2.7. Verbes dérivés de locutions verbales (30/221 items) Enfin, nous devons considérer une dernière catégorie qui est propre à notre corpus et que nous pouvons décrire comme des verbalisations de locution intégrant Nbase. barber « la barbe ! » barbifier (2) « la barbe ! » bisquer « bisque, bisque, rage ! » buller « coincer la bulle » cachetonner « courir le cachet » cafarder (2) « avoir le cafard » caner « faire la cane » carotter « tirer la carotte à qqn » crâner « faire le crâne » croûter « casser la croûte » déboussoler « perdre la boussole » décaniller « jouer des canes » déjanter « sortir de sa jante » flasher « avoir un flash pour» flotter « tomber de la flotte » gaffer (2) « faire gaffe » gazer (1) « aller à plein gaz » lourder « prendre la lourde » mégoter « ramasser les mégots » piler « s’arrêter pile » se bidonner (1) «se tordre le bidon de rire » se boyauter « rire à s’en tordre les boyaux » tabasser « passer à tabac » zieuter « regarder avec les -z-yeux » 164 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Pour les items suivants, le verbe dérivé est lui-même intégré à une locution figée, le lien avec le Nbase étant de plus en plus opaque : blairer « ne pas blairer qqn » douiller (1) (2) « ça douille » gazer (2) « ça gaze ? » péter (3) « péter le feu, les flammes » roter (2) « en roter » 4.2.1.3. Les remotivations sur bases substantivales (21/221 items) Nous avons considéré ici la série de verbes pour lesquels les informateurs ont identifié une base verbale et ont proposé une glose sémantique pour en décrire le lien, sans pour autant que cette glose fasse l’unanimité dans les réponses proposées. Nous les traitons un peu à l’écart des constructions présentées comme plus « régulières », celles-ci apparaissant plus fantaisistes. Cependant elles répondent aux mêmes types de constructions précédents. Comme nous le développerons ultérieurement (§ 4.3.2.2), nous considérons ces formes comme des remotivations populaires224. amocher « rendre moche » asticoter « faire l’asticot » batifoler « s’amuser comme des fous » bazarder « considérer qqch comme dans un bazard » casquer « prendre un coup (de bambou) sur le casque » chambarder « mettre le chambard » crapoter « fumer comme un crapaud » débecter « sortir du bec, vomir » dégobiller « l’inverse de gober, vomir » dépiauter « retirer la peau » embringuer « emmener faire la bringue » époustoufler « couper le souffle » estomaquer « comme quand on prend un coup à l’estomac » flancher « tomber sur le flanc » gambiller (2) « danser avec un jeu de gambette » gambiller (1) « remuer les gambettes » gerber (2) « jaillir comme une gerbe » ratiboiser (3) « raser le bois » ravigoter « rendre plus vigoureux » se décarcasser « se sortir de sa carcasse » trimballer « traîner son ballot » 224 Selon la définition de Kristoffer Nyrop, l’étymologie populaire est « la transformation d’un mot plus ou moins obscur sous l’influence d’un autre mot qui offre quelque ressemblance de sens ou de son », in NYROP K., Grammaire historique de la langue française, Genève, Slatkine reprints, 1979, tome 1, p. 500. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 165 4.2.2. Les mots simples (189/410 items) Nous venons d’observer les mots construits, dont la structure interne permet la mise en relation avec d’autres unités du système. Nous traiterons maintenant des mots simples, c’est-à-dire des unités perçues comme autonomes. Selon les définitions traditionnelles, les mots construits sont motivés du point de vue morphologique (c’est-à-dire que le signifié détermine, dans une certaine mesure, le signifiant), alors que les mots simples ne le sont pas. Aussi, considère-t-on les mots simples comme inanalysables formellement, et qui font simplement l’objet d’observations étymologiques ou strictement sémantiques. Pourtant, comme nous l’avons signalé, la part des mots simples dans notre corpus justifie l’intérêt que nous leur avons porté. De plus, les données recueillies auprès des informateurs nous ont conduite à reconnaître le principe saussurien d’arbitraire relatif et à penser qu’il existe divers degrés de motivation (ou d’arbitraire). Nous avons donc regroupé dans cette section « toute forme qui ne peut être amputée d’aucun élément phonique sans que la forme restante soit ou bien totalement inexistante dans la langue, ou bien une forme déclinée ou conjuguée de la forme initiale, ou bien une forme apparaissant dans un système de distribution contextuelle, et avec des connotations sémantiques, fort éloignés de ceux de la forme initiale »225. A partir des éléments fournis par les informateurs, nous avons mis en évidence trois catégories de termes : - les items pour lesquels les informateurs n’ont pas identifié de base lexicale, nous les avons appelés « formes simples non motivées » (§ 4.2.2.1), - les items que les informateurs ont rapprochés d’une unité lexicale existant en langue, sans pour autant pouvoir justifier d’un lien sémantique entre les deux. Il s’agit donc de la reconnaissance d’une base sur des critères essentiellement phoniques, nous les avons appelé « formes simples pseudo motivées » (§ 4.2.2.2), - les items que les informateurs ont identifiés comme emprunts synchroniques (§ 4.2.2.3). Notre objectif n’est pas de rechercher, pour ces items, des caractéristiques morphosémantiques susceptibles d’être un support à la familiarité lexicale, mais de repérer des indices formels, au sens large. 225 MITTERAND H., Les mots français, Paris, P.U.F., 1963, p. 24. 166 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.2.2.1. Les formes simples non motivées (189 items) Attifer bafouiller bâfrer baliser barboter barder bassiner bêcher (1) (2) bicher (1) (2) bidouiller bigler (1) (2) biter bosser bouffer (1) (2) (3) boulonner boulotter brailler braire buter cafouiller cafter canner (2) canuler chambouler chaparder chiader chialer chier (1) (2) chigner chiper chlinguer choper (1) (2) (3) chouiner chouraver collapser couiner (1) (2) cramer (1) (2) crapahuter dealer débarbouiller débiner déconner (3) défourailler déglinguer dégoiser (1) (2) dégoter (1) (2) déhotter démantibuler détaler dinguer droguer droper écornifler emberlificoter (1) (2) embêter (1) (2) (3) embobiner emmieller emmitoufler emmouscailler empaumer empiffrer empiler emplafonner endêver engueuler (1) (2) enguirlander enquiquiner entuber esquinter (1) (2) estourbir farfouiller fignoler flanquer (1) (2) flipper (1) (2) gaffer (1) gamberger (1) (2) gigoter glander grailler guincher jaboter jacter jaspiner jubiler lamper limoger (1) (2) louper (1) (2) maronner morfler moufter paumer peloter phosphorer piailler (1) (2) piger (1) (2) pinailler pioncer pisser (1) (2) potasser poutser queuter rabibocher (1) (2) radiner (1) (2) rafistoler rapetasser rappliquer raquer ratiboiser (1) (2) rebiquer reluquer (1) (2) rempiler rencogner requinquer (1) (2) resquiller (1) (2) (3) (4) rétamer (1) (2) ribouler rigoler (1) (2) rogner roupiller rouscailler rouspéter roustir s’esbigner sacquer (1) (2) saloper (1) (2) se barrer se carapater se débiner se débrailler se goberger se gourer se magner se marrer se poiler se poivrer se rebiffer toquer torcher (1) (2) tournebouler transbahuter trifouiller (1) (2) trisser (1) (2) trucider valdinguer vaser viander zigouiller zozoter Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 167 Si nous nous permettons une incursion diachronique, nous reconnaissons là toute une part du lexique correspondant à des lexèmes qui sont le résultat d’une lente transformation d’un fond héréditaire. Ainsi, sont visibles les traces des langues anciennes (latin, francique, ancien français, gaulois), mais aussi celles de certaines langues modernes, notamment l’allemand. Nous retrouvons également les emprunts dialectaux, tels que : bicher (2) (« bêcher ») bidouiller (« biduler ») chialer (« chier ») choper (1) (« chiper ») débarbouiller (« débrouiller ») écornifler (« écorner ») emmitoufler (« mistoufle ») lamper (« laper ») ravigoter (« revigorer ») roustir (« rôtir ») On reconnaît également, toujours en diachronie, des mots historiquement construits, mais dont la base n’est plus attestée en synchronie, et n’a pas été identifiée par les informateurs. Par exemple : chiper (« chipe ») déhotter (« hotte ») douiller (« douille ») grailler (« graille ») guincher (« guinche ») Dans la même série des mots démotivés, apparaissent aussi des mots composés non transparents en synchronie : tournebouler (tourner et bouler ) trifouiller (tripoter et fouiller ) valdinguer (valser et dinguer ) 4.2.2.2. Les formes simples pseudo motivées Pour certaines formes, les informateurs ont proposé une base de reconnaissance phonique, sans qu’aucun lien sémantique avec le dérivé ne trouve de justification en synchronie, ce qui nous amène à les considérer comme des mots simples : baliser (« balise ») bassiner (« bassin ») biter (« bite ») boulonner (« boulon ») canuler (« canule ») déconner (3) (« con ») dégoiser (1) (2) (« gosier ») 168 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER démantibuler (« mandibule ») détaler (« étal ») embêter (1) (2) (3) (« bête ») embobiner (« bobine ») emmerder (1) (2) (« merde ») emmieler (« miel ») emplafonner (« plafond ») engueuler (« gueule ») enguirlander (« guirlande ») entuber (« tube ») estomaquer (« estomac ») farfouiller (« fouiller ») fignoler (« fin ») gigoter (« gigot ») glander (« gland ») jaboter (« jabot ») limoger (1) (2) (« Limoges ») peloter (« pelote ») phosphorer (« phosphore ») queuter (« queue ») rappliquer (« appliquer ») rempiler (« empiler ») rencogner (« cogner ») ribouler (« boule ») saloper (« salaud ») se poiler (« poil ») se poivrer (« poivre ») transbahuter (« bahut ») trifouiller (« fouiller ») Dans la même perspective, certaines formes ont été identifiées comme onomatopéiques226 : bafouiller (« baf-») couiner (« coin ») déglinguer (« cling ») dinguer (« ding ») jacter (« jacjac ») lamper (« lap ») piailler (« piapia ») pisser (1) (2) (« psss ») rogner (« grrr ») roupiller (« rrrpshit ») toquer (« toc ») zozoter (« ze suis zune fille ») 226 Les éléments indiqués entre parenthèses sont ceux livrés par les informateurs. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 169 4.2.2.3. Les emprunts synchroniques Une dernière catégorie a pu être mise en évidence à partir des données fournies par les informateurs et concerne les emprunts synchroniques. Ce sont des formes identifiées comme relevant d’une langue étrangère, qui subissent des modifications leur permettant de s’intégrer à la langue d’accueil, le français, notamment par la flexion verbale caractéristique des verbes français du premier groupe227. canner (“can ”) collapser (“ to collapse ”) dealer (“ to deal ”) flipper (1) (2) (“ to flip ”) 4.3. ANALYSE DES CARACTÉRISTIQUES FORMELLES Cette section présente le type d’opérations subies par les bases des mots construits et l’analyse des rapports, notamment sémantiques, entretenus entre l’unité-base et le verbe dérivé dans ce mouvement de classes lexicales. Pour les mots simples, nous l’avons précisé, nous en sommes restée à des considérations très générales sur leur substance phonique. A partir des données obtenues, nous avons envisagé les incidences de ces caractéristiques sur l’attribution de la marque lexicographique FAM. Cela nous a permis de considérer principalement trois axes : l’incidence de l’affixation, l’impact de la substance phonique et le rôle de la figure dans l’édification du sens d’un dérivé FAM. 4.3.1. L’affixation : entre sémantique et énonciation 4.3.1.1. Les suffixations Les suffixes que nous avons mis en évidence par l’inventaire des formes sont décrits dans les grammaires et dictionnaires comme diminutifs, intensifs, fréquentatifs et comme indexant des formes familières. Nous allons montrer que l’interprétation de ces phénomènes de suffixation ne peut être regardée de manière aussi catégorique. 227 D’autres formes ont été reconnues comme emprunts synchroniques mais ont été considérées comme décomposables en morphèmes. Elles ont fait l’objet d’un traitement comme mots construits : relooker, speeder, etc. 170 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.3.1.1.1. Suffixes et traits sémantiques instables Si l’on observe le détail des gloses fournies par les informateurs, nous constatons que les valeurs sémantiques apportées par ces suffixes ne sont pas stables. Si –oter dans dansoter, traficoter, introduit une nuance diminutive par rapport à danser, trafiquer, ce n’est pas tout à fait le cas de tournicoter glosé « tourner machinalement ». S’il est vrai que l’on peut comprendre –ouiller comme un morphème à valeur diminutive dans mâchouiller, crachouiller, il assure au contraire un rôle intensif dans écrabouiller. Si –ailler peut être considéré comme un diminutif dans criticailler, il sera plutôt un fréquentatif dans couchailler. Enfin, si la valeur itérative de –asser est claire pour grognasser, elle est moins évidente pour bavasser. Nous devons reconnaître la difficulté pour les informateurs de formuler ces gloses, et donc d’identifier clairement l’apport sémantique des morphèmes suffixaux mis en évidence. Ces hésitations sont confirmées par les données dictionnairiques puisque la comparaison des gloses du NPR et du TLF pour chacun de ces suffixes, témoigne de leur instabilité sémantique (voir tableau 8 ci-dessous) : NPR 2002228 TLFi –ailler diminutif, péjoratif ou fréquentatif –ouiller Fréquentatif –ocher fréquentatif et péjoratif fréquentatif et généralement péjoratif valeur dépréciative ou à valeur diminutive, parfois fréquentative (avec souvent dans ce cas une nuance péjorative) (pas de précision de valeur) –asser péjoratif et fréquentatif –oter diminutif et fréquentatif –onner diminutif ou fréquentatif –oyer (pas de précisions de valeur) valeur péjorative et/ou fréquentative à valeur diminutive et/ou fréquentative, parfois péjorative à valeur diminutive et/ou fréquentative, parfois péjorative en concurrence avec –ouiller Tableau 8 : Gloses des suffixes dans le NPR 2001 et le TLFi Ces indications sont présentées dans le Petit dictionnaire des suffixes français, situé en fin d’ouvrage. 228 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 171 La formulation (« et », « ou ») de ces gloses témoigne d’approximations dans l’interprétation de ces suffixes et confirme les intuitions des locuteurs : l’interprétation de ces suffixes est loin d’être régulière. Par conséquent, bien que construits, ces verbes ont une faible diagrammaticité229, c'est-à-dire que leur sens est assez peu prédictible, et la lisibilité de la structure interne de ces lexèmes dérivés en devient relativement floue. L’homogénéité sémantique des suffixes /diminutif/, /intensif/ ou /fréquentatif/ est difficile à percevoir. Ceci est corroboré par le fait que l’on peut tout à fait trouver, notamment dans des corpus oraux, différentes possibilités de suffixation pour la même base verbale, avec des valeurs sensiblement identiques : merdouiller/merdoyer dansoter/dansouiller crachouiller/crachoter, etc. Ces formes suffixales ne sont donc pas exclusives les unes des autres et le sens compositionnel des verbes dérivés en est rendu peu accessible. Les incidences sont doubles : - d’une part, il est difficile de considérer d’un point de vue strictement morphologique ces affixes comme un seul et même morphème (signifiés différents de –ouiller dans mâchouiller et écrabouiller ), - d’autre part, il devient difficile de les distinguer entre eux (valeur identique de –ouiller dans pendouiller et –ôter dans dansoter ), ce qui pourrait inciter à les considérer comme des affixes concurrents d’un point de vue formel, mais quasi-synonymes. Ce constat a conduit certains auteurs à poser cette série de suffixes comme des variantes différentes d’un seul et même archisuffixe se fondant sur des critères phonologiques. Cette hypothèse a été d’abord soutenue par Knud Togeby230, puis reprise par Marc Plenat231. Ces suffixes sont en distribution complémentaire, chacun d’eux refusant de s’adjoindre à une base se terminant par une consonne identique à la sienne (ce refus s’étendant aux consonnes phonétiquement proches). Ainsi, au-delà des théories associatives voulant qu’à des formes différentes correspondent des sens différents, ces auteurs plaidentils en faveur de contraintes euphoniques, considérant les segments –ouiller, -asser, –ailler, –oter, comme des variantes d’un même archisuffixe. Selon eux, 229 « On peut définir la diagrammaticité comme un paramètre permettant d’évaluer la conformité d’un mot construit relativement à un type idéal (…). ‘Diagrammatique’ signifie donc constructionnellement iconique. En utilisant la terminologie saussurienne, on pourrait dire que la diagrammaticité abaisse l’arbitraire du signe », in APOTHELOZ D., La construction du lexique français, Paris, Ophrys, 2002. p. 49. 230 TOGEBY K., Structure immanente de la langue française, Paris, Larousse, 1965. 231 PLENAT M., « Distribution des suffixes évaluatifs verbaux en français », in CORBIN D. et al. (ss la dir.), Les dérivés évaluatifs. Actes du colloque tenu à l’Université de Toulouse-le Mirail, 29-30 avril 1999, Lille, SILEX, 1999, p. 179-188. 172 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER les dérivations suffixales ne reposent pas sur des traits sémantiques qui permettent de justifier le choix de l’un ou de l’autre des morphèmes affixés, mais sur des traits phonologiques. Il est vrai que l’examen de notre corpus montre qu’il n’y a pas de parallélisme parfait entre la forme de ces lexèmes (concaténation d’un morphème lexical et d’un suffixe donné) et le sens (combinaison des signifiés de deux morphèmes). Cependant, il nous semble difficile de soutenir que l’apport sémantique de –ouiller dans écrabouiller est le même que celui de -oter dans dansoter. Nous nous accorderons davantage à l’hypothèse que formule Anna Sörés, en conclusion de son étude sur la suffixation des verbes en hongrois, selon laquelle « ni l’intuition, ni la prise en compte des trois facteurs étudiés [syntaxico-sémantiques], ne permettent une nette distinction entre un emploi itératif et un emploi diminutif, comme le suggèrent les grammaires. Il s’agit davantage d’une sorte de continuum qui va de itératif jusqu’à évaluatif ou qualificatif, à travers une possibilité qui inclut itératif et/ou diminutif »232. Finalement, ce qui semble homogénéiser ces formes, c’est la valeur de péjoration qui leur est accordée (comme le montrent les gloses du TLF et comme le stipule la plupart des grammaires françaises). Ceci nécessite que l’on s’y arrête. 4.3.1.1.2. Suffixation quantitative et évaluation péjorative La solution la plus commode, adoptée dans les descriptions générales, pour pallier ces « flottements sémantiques » consiste à définir ces suffixes comme suffixes péjoratifs, ce qui justifierait que soit attribuée, au dérivé suffixé, une marque d’usage. Mais s’il est fait fréquemment appel à cette notion en matière de registre de langue et, plus précisément, de lexique familier, elle est rarement explicitée d’un point de vue linguistique. Selon le NPR : PEJORATIF « Se dit d’un mot, d’un élément, d’une expression qui comporte une idée de mal, déprécie la chose ou la personne désignée ». Cette définition ne fait en aucun cas référence à une description linguistique mais à un jugement moral, social, accordé à un segment linguistique, une sorte « d’impact » discursif du signifié (ou du signifiant) de cet élément, bien plus que sur le signifié (ou le signifiant) lui-même. 232 SÖRES A., « Comment un procès peut-il être évalué ? Étude sémantique de quelques dérivatifs verbaux en hongrois », in CORBIN D. et al., Les dérivés évaluatifs, op. cit., p. 248. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 173 Nous pouvons donc en déduire d’une part, que la péjoration est une sorte de « préjugé social », qui dépasse le cadre de la description formelle en langue et, d’autre part, que la péjoration peut dépendre du signe lui-même ou de l’évaluation qu’en fait le locuteur. Aussi, devons-nous considérer comme un raccourci malheureux le fait de gloser –asser comme un suffixe « à valeur fréquentative et/ou péjorative », les deux qualificatifs n’étant pas de même niveau. L’aspect péjoratif ne doit pas être confondu à un trait sémantique (diminutif, intensif, fréquentatif). Il est la conséquence de l’un d’eux sur la représentation que les locuteurs en ont. La péjoration est alors un jugement qui peut s’accrocher soit au référent du procès lui-même (bavasser ), soit à une modalité de réalisation de ce procès (mâchouiller, rôdailler, crachouiller ), soit à la forme de la base elle-même (merdoyer ), chacun de ces aspects n’étant pas exclusif. Nous plaidons en faveur d’une dissociation de la valeur sémantique, dénotative (/diminutive/, /intensive/, /augmentative/) et de la valeur péjorative du suffixe, et nous postulons que les traits composant la première produisent la seconde. Autrement dit, nous postulons que la péjoration correspond à un effet de sens produit par l’instruction sémantique du suffixe. Cela nous conduit à dissocier le rôle de l’effet relatif aux processus de dérivation suffixale : - du côté de la langue, le suffixe assure un rôle sémantique par l’adjonction d’un trait venant modifier le procès de la base (qu’il soit diminutif, intensif ou fréquentatif) ; - du côté du discours, la présence du suffixe induit un jugement péjoratif sur le procès, du fait même de la présence de l’adjonction de ce trait sémantique. C’est cette confusion qui fait difficulté aux informateurs dans la formulation de leurs gloses (que l’on retrouve également dans les dictionnaires). Ces dernières reflètent parfois des aspects sémantiques (mâchouiller « mâcher un peu ») et parfois le jugement porté par le locuteur sur l’énoncé (criticailler « critiquer en pinaillant »). Ces phénomènes de suffixation doivent alors être compris, en langue comme quantitatifs, et en discours comme évaluatifs. Nous soutenons qu’il existe un lien évident entre la notion de « quantité » présente en langue et inscrite dans le denotatum, et un jugement de « qualité », associé en discours à ces mêmes unités. Nous développerons ces aspects au chapitre suivant et nous nous contentons ici d’indiquer, à partir des observations que nous venons de faire, que les traits sémantiques apportés par ces suffixes, aussi « flottants » soient-ils, sont un support d’interprétation péjorative. 174 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Au fond, les dérivations suffixales sur des bases verbales ont une fonction sémantique d’une part, et une fonction pragmatique, énonciative d’autre part. En effet, « en vertu de leur capacité de fonctionner comme des instruments de la représentation axiologique et/ou affective du locuteur, et de se comporter comme des marqueurs attitudinaux par rapport à l’objet évalué et/ou par rapport à l’allocutaire, les suffixes évaluatifs sont utilisés comme puissants médiateurs et promoteurs illocutoires »233. En « disant » son jugement sur le monde, le locuteur donne en même temps des indications sur le monde (sens référentiel) et des indications sur lui-même (effet pragmatique). Les opérations de suffixation qui fournissent une information évaluative sont alors d’autant plus susceptibles d’assumer une fonction illocutoire centrale dans le cadre de l’énonciation. Pour résumer, nous retiendrons à l’issue de cette description que la suffixation dérivationnelle, en synchronie, par l’apport de traits sémantiques quantitatifs (dénotation sémantique), induit des trait péjoratifs interprétables du côté de l’énonciation (connotation pragmatique)234. L’appellation de « suffixation évaluative » se révèle alors équivoque et nécessite que l’on précise l’aspect évoqué, selon que l’on parle de l’évaluation dénotative (en terme de traits sémantiques apportés au lexème) ou de l’évaluation de la part des locuteurs, qui résulte de la première (même si parfois elle la supplante). Sans doute l’intégration de la notion de « dérivés énonciatifs », proposée par Sophie Aliquot-Suengas235, lèverait-elle l’ambiguïté, à ceci près que l’on doit considérer l’effet énonciatif comme conséquence de traits sémantiques apportés par la dérivation. 4.3.1.1.3. Dérivation suffixale et attribution de marque d’usages La connotation236 énonciative, du côté de la péjoration, peut sans aucun doute expliciter que l’on décrive traditionnellement ces suffixes comme suffixes diastratiques (de bas langage) ou intégrateurs de registre. 233 RIO-TORTO M., « Aux limites de la dérivation : évaluatifs et z-évaluatifs », in CORBIN D. et al., Les dérivés évaluatifs, op. cit., p. 200. Une hypothèse similaire est soutenue par FRADIN B., « La suffixation en –et est-elle évaluative ? », in CORBIN D. et al., Les dérivés évaluatifs, op. cit., p. 69-83. 235 ALIQUOT-SUENGUAS S., « De la poiscaille dans la piscaille. Évaluation et énonciation dans les noms dénominaux construits avec une forme suffixale –ail(le) », in CORBIN D. et al., Les dérivés évaluatifs, op. cit., p. 5-18. 236 Nous retiendrons ici la définition proposée par Pierre Léon : « Dans la dénotation, le sens est posé explicitement de manière irréfutable (…); son décodage est général, sauf en cas de divergences idiolectales entre l’émetteur et le récepteur. Dans la connotation, le sens est suggéré, et son décodage est des plus aléatoire », in LEON P., Précis de phonostylistique, Paris, Armand Colin, 1993, p. 20. 234 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 175 Le relevé de tous les verbes suffixés à partir d’un des affixes concernés dans l’intégralité du dictionnaire montre que les verbes suffixés en –ouiller, –ocher, –asser, –oyer sont très majoritairement marqués FAM., et de ce fait, figurent dans notre corpus. Ils s’associent majoritairement à des bases non marquées, afin de constituer un verbe dérivé qui, lui, sera marqué FAM. Ce phénomène est moins vérifiable pour –ailler et –onner, suffixes très productifs, qui permettent de construire des verbes qui ne seront pas systématiquement affublés d’une marque d’usage. Néanmoins, les verbes en -ailler ou –onner non marqués par le dictionnaire (toussailler, discutailler, tournailler, coupailler, trainailler, rimailler, ou encore chantonner, tâtonner, mâchonner) se comportent sémantiquement de la même façon que les verbes de notre corpus, et leur emploi fait également l’objet de connotations pragmatiques. Nous mettons cette absence de marquage sur le compte des irrégularités liées à la pratique lexicographique d’attribution des marques. En revanche, nous ne pouvons considérer de la même façon les verbes dérivés à partir du suffixe –onner, tels que sablonner, se pelotonner et qui sont non marqués. Nous ne retrouvons pas, pour ces exemples, de trait sémantique quantitatif apporté par le suffixe, et aucune connotation pragmatique n’est décelable. Le suffixe –onner, dans ces cas, doit donc être posé comme un autre suffixe, homophone. Ces observations sont une confirmation de l’hypothèse que nous avons formulée : l’apport sémantique du suffixe implique un jugement péjoratif de la part des locuteurs (connotations énonciatives), formalisé dans la pratique lexicographique par l’attribution d’une marque FAM. L’opération de suffixation peut être interprétée du côté de la familiarité lexicale, à cause du jugement péjoratif que subit le dénoté du verbe dérivé. 4.3.1.2. Les préfixations Nous avons orienté nos observations sur les opérations de suffixations, mais les remarques que nous venons de faire sont également vérifiées sur les phénomènes de préfixation, notamment dans leur rôle intensif et itératif. Pour ce qui est de la préfixation en dés–, nous observons un phénomène beaucoup plus régulier à partir de bases verbales préalablement marquées FAM., et qui le restent après préfixation. 176 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.3.1.3. Synthèse sur l’affixation Ces observations ont permis de mettre en évidence le double rôle assumé par les affixes servant à la construction des unités lexicales de notre corpus sémantique et pragmatique d’une part, quantitatif et évaluatif d’autre part, double rôle qui renvoie respectivement aux dimensions dénotative et énonciative. Comme l’apport sémantique des affixes est flottant, difficilement identifiable et qu’il se déploie sur un continuum, nous insistons sur le fait que c’est principalement le caractère « modifieur » des valeurs sémantiques qu’implique l’affixation que nous devons retenir comme support à la péjoration, donc à la familiarité. Que ce soit par un trait /fréquentatif/, /diminutif/ ou /augmentatif/, ce qui importe c’est la modification du référent du procès, quelle qu’en soit l’orientation exacte. La précision du trait sémantique est faiblement exploitée, pour peu qu’elle transforme le procès de base, principalement non marqué, en l’orientant du côté d’une interprétation péjorative. Nous reviendrons sur les conséquences sémantiques et sémiotiques de ces aspects dans le prochain chapitre. Nous signalons ici que nous voyons dans l’interprétation négative de la modification du procès l’une des lectures possibles de l’expressivité comme indice de familiarité. Nous l’avions dit en introduction à ce chapitre, cette notion est assez peu définie linguistiquement ; il nous semble que l’analyse que nous venons de faire des phénomènes de dérivation affixale sur des bases verbales vient éclairer ce que l’on entend par « unités lexicales expressives ». Elles le sont en cela qu’elles amènent, par la suffixation, des traits sémantiques au référent du procès, traits qui font l’objet d’une appréciation négative de la part du locuteur. Il existe aussi des cas où l’effet pragmatique prend le pas sur l’effet sémantique. Il devient alors difficile de déterminer l’apport sémantique entre traîner et traînailler, rôder et rôdailler, filer et refiler. Pourtant, rôdailler et traînailler font l’objet de connotations énonciatives péjoratives, davantage marquées que pour rôder et traîner. Le caractère expressif des phénomènes d’affixation n’est donc plus, en ce cas, attaché au contenu lexical mais est lié à la forme, notamment phonique, de ces items. La péjoration pourrait alors également être un jugement porté sur des aspects strictement formels des unités lexicales comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 177 4.3.2. La substance phonique comme intégrateur de registre L’observation des dérivés affixaux du corpus, ainsi que celle des mots simples, nous ont permis de mettre en évidence le poids de la substance phonique dans la production d’effet familier, notamment, là encore, par l’interprétation péjorative qu’il peut être fait de ces items. 4.3.2.1. Les pseudo affixes Nous venons de le montrer, il est des cas d’affixation pour lesquels les connotations énonciatives supplantent l’apport sémantique de l’affixe. En d’autres termes, c’est uniquement sur la forme du lexème que porterait le jugement du locuteur. Ce constat renforce l’idée, fort répandue en stylistique, selon laquelle la construction par dérivation subit en elle-même un jugement négatif. Ainsi que le soulignait Jules Marouzeau, « d’une façon générale, c’est un repère d’élégance de faire l’économie des suffixes en réduisant le mot à ses éléments essentiels : Comme branchages, dit Jules Renard, est moins lumineux que branches !» Et de poursuivre : « Le principal élément qui intervient pour déterminer la qualité d’un suffixe, c’est sa structure phonique (…). Nous trouvons malsonnantes les formations en –ard, -aille, -asse, -ouille qui servent surtout à faire des péjoratifs »237. La dérivation affixale est donc analysée, stylistiquement, comme un écart par rapport à la norme, principalement du fait des sonorités de certains affixes, notamment par effet d’association avec les dérivés à valeur quantitative qu’ils composent traditionnellement. C’est également ce que montrent les exemples de préfixation en re–. Rien ne prédestine sémantiquement revouloir ou recaser à être jugé péjorativement, si ce n’est la forme phonique de l’affixe re–, considéré comme un « raccourci », une simplification linguistique propre aux usages oraux. Ce n’est donc pas par son sémantisme, mais par sa substance phonique, que revouloir est susceptible de produire un effet familier. Nous pouvons donc penser que l’expressivité des phénomènes de dérivation que nous venons de mettre en évidence s’étend également aux propriétés phonétiques de ces affixes qui deviennent supports de connotation énonciative. Ces aspects ont été confirmés par l’observation des mots simples. En effet, il semble que d’autres items, proches phonétiquement des dérivés suffixaux mais qui ne relèvent pas d’opération morphologique, vont se voir influencés, « contaminés » par les dérivés suffixaux et, de ce fait, vont intégrer le paradigme « familier ». 237 MAROUZEAU J., Précis de stylistique française, Paris, Masson, 1950, p. 84. 178 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nous avons relevé dans le stock de mots simples de notre corpus les exemples suivants : –ouiller bidouiller, grenouiller, cafouiller, débarbouiller, douiller, farfouiller, zigouiller, bafouiller, trifouiller, dégrouiller, dépatouiller, vasouiller, vadrouiller, magouiller. –ailler emmouscailler, dépoitrailler. –oter barboter, carotter, crapoter, dégoter, emberlificoter, gigoter, jaboter, peloter, zozoter, asticoter, yoyoter, cocoter, glavioter, mendigoter, mégoter, siroter. –asser décarcasser, potasser, dégueulasser. re– reluquer, rebiquer, se rebiffer, rebouter, rempiler, requinquer, rencogner, rétamer. dé– décarcasser, décaniller, débarbouiller, dégoiser, déglinguer, débiner, dégoter, déhotter, démantibuler, dépiauter, détaler, débrailler, dégueulasser. grailler, piailler, rapetasser, pinailler, tabasser, rouscailler, grognasser, débrailler, bavasser, Nous sommes là en présence de segments affixoïdes, dont les sonorités, par rapport associatif avec les affixes, suffisent à introduire des connotations péjoratives. Ce sont ces formes que Danielle Corbin appelle des mots complexes non construits, c'est-à-dire des unités lexicales constituées de segments non assimilables à des morphèmes – parce que non significatifs – mais que l’on ne peut pas exclure pour autant du paradigme. Elle définit précisément les mots complexes non construits comme « le type de mots, qui ont une certaine structure interne formelle et sémantique 238, mais qui ne remplissent pas toutes les conditions pour que cette structure soit identifiée à celle d’un mot construit »239. Nous ne pouvons considérer que ces pseudosaffixes sont dépourvus de signifiés. Pour certains de ces exemples, la valeur évaluative semble être intégrée au dérivé, comme si le symbolisme phonétique véhiculait des « traces sémantiques ». Par exemple, on peut reconnaître dans bidouiller, cafouiller, pinailler, piailler une valeur diminutive, tout comme dans requinquer, rempiler une valeur itérative, et dans déglinguer, démantibuler une valeur oppositive. Si nous ne sommes pas en présence de ce que l’on pourrait appeler des morphèmes (le suffixe –ailler ou le préfixe re- ne sont pas clairement isolables par une opération de segmentation), nous ne pouvons pas totalement exclure le trait /diminutif/ qui se dégage de pinailler ou le trait /opposititif/ de déglinguer. 238 239 C’est nous qui soulignons. CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 188. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 179 Dans ces cas de pseudo-affixation, les sons jouent un rôle, même secondaire ; certes, ils ne déterminent pas la valeur sémantique, néanmoins, ils la permettent ou la favorisent. C’est en quelque sorte un phénomène de contamination phono-sémantique, une « association d’un signifié, même lâche, à cette séquence phonique, qui prend de ce fait le statut de signifiant »240. Cette complexité phono-sémantique a été décrite par Elke Ronneberger-Sibold qui dégage la notion de « phonesthème », définie comme « des fragments de chaîne parlée qui se retrouvent de façon identique dans le signifiant de plusieurs morphes et auxquels correspondent certains traits communs (généralement assez vagues et connotatifs) dans les signifiés respectifs, sans qu’on puisse pour autant classifier ces fragments comme morphes eux-mêmes »241. En d’autres termes, on peut poser, d’abord, l’existence d’unités pour lesquelles on reconnaît un réel suffixe et on perçoit un réel sens évaluatif de -ouiller (mâchouiller ), et ensuite par effet de contamination (rapport associatif phonique), l’émergence d’un pseudo affixe –ouiller qui emporte avec lui, et partout où il se trouve, une part de cette signification. La seule présence du segment –ouiller intègre, au signifié, des éléments évaluatifs, sur lesquels est porté un jugement péjoratif, quelle qu’en soit la base. Nous avons vu précédemment comment le sémantisme pouvait être à l’origine d’un effet expressif, par la production de connotation énonciative ; nous voyons là comment la forme phonique de certains segments peut également assumer ce rôle. Si l’on retient l’hypothèse psycholinguistique qui pose l’existence d’« une affinité particulière entre la configuration sonore et le sens exprimé »242, on peut postuler l’évocation d’un signifié (ou d’une partie du signifié) par un signifiant. Cette conception rejoint la notion de signifiant de connotation développée par Catherine Kerbrat243, selon laquelle certains sons ont vocation, de par leur propriétés intrinsèques, à véhiculer certaines valeurs sémantiques. 4.3.2.2. Le symbolisme phonique Le rôle expressif de certains segments est largement confirmé par l’observation des mots simples de notre corpus, et pour cause, les mots non construits sont considérés comme les plus susceptibles de se voir attribuer une charge expressive, car ils font le lit de la conversation courante, contrairement ROCHE M., « Aux origines du suffixe –ouille(r) », in AURNAGUE M. et ROCHE M. (eds), Romania et Vasconia. Hommage à Jacques Allières, Biarritz, Atlantica, 2002, p. 564. 241 Cité par ROCHE M., « Aux origines du suffixe –ouille(r) », op. cit., p. 564. 240 242 PETERFALVI J.-M., « Relation entre l’aspect phonétique et la signification des mots de la langue », L’année psychologique, vol. 67, 1967, p. 119. 243 KERBRAT-ORECCHIONI C., La connotation, Lyon, P.U.L., 1977, chap. III. 180 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER aux mots motivés morphologiquement, qui sont ceux des discours scientifiques et intellectuels. « Le discours purement intellectuel n’a pas besoin de valeurs expressives. Dans un exposé scientifique, un document officiel ou une lettre de commerce, de telles nuances seraient plutôt un désavantage : elles jureraient avec le ton du contexte et détourneraient l’attention de la substance logique de l’énoncé (…). Mais dès que le discours se remplit d’affectivité, qu’il s’agisse d’interjections de colère ou de terreur, d’expression de tendresse, d’éloquence pathétique ou de lyrisme, on aura recours à toutes les ressources latentes des sons. » 244 Cette hypothèse pose que les mots non construits sont ceux de la conversation courante et qu’ils sont sujets à être chargés de valeurs expressives par les locuteurs, à partir de leur substance phonique. Sans être aussi catégorique sur l’assimilation mots contruits/mots savants, et mots simples/mots du quotidien, l’observation des mots simples de notre corpus fait apparaître que, parallèlement à la motivation morphologique, nous pouvons envisager une motivation phonique à fonction expressive-affective. Nous pensons en effet que la présence de certains segments phoniques est source d’évocation, à partir de laquelle les locuteurs re-composent du sens. Nous touchons là à des hypothèses largement développées par la stylistique et, plus précisément par la phonétique impressive245. A ce propos, Maurice Grammont parle de « mots expressifs », sorte d’imitations indirectes qui reposent sur la tendance linguistique à interpréter des sensations à l’aide de sensations analogues mais disparates, et à concrétiser les concepts abstraits 246. Les formes que nous avons classées dans notre inventaire comme remotivations populaires, qu’il s’agisse de formes onomatopéiques ou non, sont le témoignage de ces phénomènes. Les locuteurs créent des rapprochements entre des formes phoniques semblables, et recomposent ainsi le sens d’un terme sur le modèle base/dérivé. Toutes les fantaisies et approximations sont alors possibles comme le montrent les exemples que nous avons cités, puisque ce sont les impressions du locuteur qui sont la source de la motivation. Dans une perspective plus « radicale », d’autres études247 tendent à montrer l’existence d’une signification dérivée de la signification intrinsèque des sons ULLMANN S., Précis de sémantique française, Berne, A. Francke, 1965 (3e éd.), p. 111. MAROUZEAU J., Précis de stylistique française, op. cit. ; GRAMMONT M., Essai de psychologie linguistique, Paris, Delagrave, 1950 (3e partie) ; TROUBETZKOY N., Principes de phonologie, Paris, Klincksieck, 1939. Pour une synthèse des théories, voir TODOROV T., « Le sens des sons », Poétique, n° 11, 1972, p. 446-459. 246 GRAMMONT M., Traité de phonétique, Paris, Delagrave, 1971, p. 403. 247 FONAGY I., La vive voix, Paris, Payot, 1983 ; LEON P., Précis de phonostylistique, op. cit. ; PETERFALVI J.-M., Les recherches expérimentales sur le symbolisme phonétique, Paris, CNRS Édition, 1978. 244 245 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 181 qui composent les unités, ce symbolisme phonétique étant lié notamment aux conditions de l’articulation. Pour notre part, nous n’allons pas jusqu’à accorder des significations stables aux sons, ce qui remettrait fondamentalement en cause la notion de phonème et nous obligerait à ré-ouvrir un débat loin de notre propos. Néanmoins, nous pensons qu’il existe une sorte d’impression phonique propre au registre familier. Notre corpus n’a pas été passé au tamis de la classification des voyelles et consonnes selon leur symbolisme, mais nous reconnaissons qu’un certain nombre de phonèmes se manifestent de façon récurrente, phonèmes qui participent d’un « effet » familier. Par exemple, certaines sonorités semblent assumer ce rôle : - les sonorités nasales, gutturales et mouillées : goberger, guincher, ravigoter, esbigner, dinguer, - des [b] et des [f] dans rabibocher, ribouler, bouffer, bafouiller, rebiffer, défourailler, batifoler, esbroufer, - des chuintantes : chlinguer, chigner, choper, chouchouter, - etc. Nul doute que les locuteurs natifs, sans même en connaître la signification, ni même les avoir déjà entendues, pourraient considérer des unités telles que guincher, goberger, dinguer, comme familières simplement à partir de sensations phonétiques. De la même façon, les lexèmes esbigner et esquinter seront ressentis comme familiers, sans doute par assimilation à des sonorités régionales ou patoisantes. Ainsi certaines unités « sonnent » familier. Nous en avons fait l’expérience lors de la constitution d’une précédente étude248. Il s’agissait de répertorier les occurrences familières dans un corpus de presse, afin d’en étudier les types et les contextes d’emploi dans une perspective énonciative. Pour l’édification de notre corpus, nous avons lu la presse et relevé les termes familiers. Nous avons alors dressé une liste des termes qui nous paraissaient être familiers, notre intuition étant essentiellement fondée, certes sur notre connaissance du système linguistique du français, mais plus spontanément sur les sonorités des termes. Dans un second temps, nous avons vérifié dans le NPR s’ils étaient ou non affublés de la marque FAM. et nous avons pu nous rendre compte que notre intuition (méta)linguistique nous faisait assez peu défaut, c'est-à-dire que les termes identifiés comme familiers se trouvaient majoritairement être marqués FAM. dans le dictionnaire. Une enquête statistique permettrait de démontrer ces résultats de façon plus objective, néanmoins les locuteurs natifs reconnaissent dans esbigner, rabibocher, rebiffer, les sonorités qu’ils associent plus ou moins consciemment DEVOLDER L., Le familier, cet inconnu, Mémoire de DEA, ss la dir. de SCHÖN J. et COURTES J., Université Toulouse-Le Mirail, 2002. 248 182 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER à des sonorités lourdes, vulgaires, traînantes, voire agressives, eu égard à des normes et des préjugés éminemment culturels et normatifs. Il existerait donc une sorte de « musicalité » du registre familier qui serait, bien entendu, propre à chaque langue. Pour qualifier ce phénomène, nous ne retiendrons pas le terme d’idéophone249 qui implique l’association motivée d’une image acoustique à une notion. Nous formulons simplement l’hypothèse que certaines sonorités participent de la familiarité lexicale, par la fonction expressive qu’elles assurent. L’impression produite par des suites phonétiques ne produit certainement pas des associations sons/sens identifiables, mais aboutit à la constitution d’images sonores, en vertu de correspondances avec d’autres mots de la langue. Nous pouvons alors nous risquer à considérer que le symbolisme phonétique est une source d’interprétation familière de certaines unités lexicales. La substance phonique induirait l’adjonction de connotations, notamment sociolinguistiques, parfois énonciatives et susceptibles de « marquer » l’item du sceau de la familiarité. 4.3.3. Verbalisation nominale et glissement du sens La dernière caractéristique que nous traitons comme un indice de familiarité concerne les constructions spécifiques du sens du dérivé FAM. à partir des bases nominales. 4.3.3.1. Processus de construction du sens familier Nous retrouvons ici les procédés de créations lexicales déjà largement observés pour le lexique standard, la principale caractéristique de notre corpus résidant dans la proportion de représentation des différents types de règles. Disposant de données quantifiées de Fiammetta Namer250, pour le lexique commun, nous pouvons évaluer la disproportion de certaines règles dans notre corpus. En effet, par ses travaux sur le lexique général, elle a mis en évidence et quantifié, dans la dérivation N→V, huit paradigmes, assez proches des nôtres. MAROUZEAU J., Lexique de la terminologie linguistique, Paris, P. Geuthner, 1951, p. 114 : « Idéophone : élément d’énoncé, d’ordinaire onomatopéique, qui dans les parlers bantous sert à qualifier un terme de la phrase par rapport à son aspect physique ». Ce terme a été utilisé en premier lieu pour la description des langues bantoues, mais s’est ensuite largement répandu dans la littérature linguistique, notamment anglo-saxonne, pour décrire des processus de symbolisme phonétique. 250 NAMER F., La morphologie constructionnelle…, op. cit., p. 107. 249 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 183 Il ressort que la grande majorité des transferts par conversion N→V qu’elle a étudiés répondent à cinq types de règles : V = « faire quelque chose à X en utilisant Nbase » (environ 48% de son corpus) V= « dire/faire/avoir Nbase » (11%) V = Nbase : « action de Ver » (10%) V = « faire ce que Nbase ferait, se comporter comme Nbase » (9%) V = « transformant Npatient en X » (9%) Nous ne pouvons prétendre à une comparaison précise de nos études dans la mesure où elles ne retiennent pas tout à fait les mêmes présupposés théoriques (notamment dans la détermination du sens de conversion des lexèmes), et que nous ne partageons pas les mêmes objectifs. Cependant, nous constatons que les catégories que nous avons glosées comme « verbes de manière », « verbes d’activité » et « verbes de transformation » sont sur-représentées dans notre corpus, à l’inverse des « verbes instrumentaux », beaucoup moins observables dans la part du lexique que nous étudions. Quant aux verbes dérivés de locution intégrant Nbase, ils ne sont pas répertoriés par Fiammetta Namer, puisqu’ils ne répondent pas, par définition, à des règles constructionnelles régulières N→V. Nous allons présenter rapidement les processus les plus conventionnels dans la constitution du sens du dérivé FAM. pour étudier ensuite les plus spécifiques. 4.3.3.1.1. Les règles régulières Dans les opérations de dérivations observées, certaines sont régulières. Elles répondent à une compositionnalité relativement prédictible, dont les règles ont déjà été mises en évidence pour le lexique général251 : l’opération de dérivation opère un transfert catégoriel d’un Nbase vers un Vdérivé, qui est ensuite complété par une opération parasynthétique, apportant au signifié du dérivé un élément sémantique qui lui est propre. Dans le transfert catégoriel, la base occupe alors une fonction thématique par rapport au verbe construit. Il s’agit principalement des verbes classés comme verbes d’action, verbes locatifs, et verbes instrumentaux, construits sur le modèle de : péter (FAM.) de pet (FAM.) roter (FAM.) de rot (FAM.) tchatcher (FAM.) de tchatche (FAM.) partouzer (FAM.) de partouze (FAM.) flinguer (FAM.) de flingue (FAM.) fringuer (FAM.) de fringue (FAM.) 251 CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 263. 184 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Dans la majorité des cas, l’opération de dérivation implique un Nbase, dont le sens S est le sens principal de N. Ce sens S de Nbase est marqué, par le dictionnaire, comme familier (parfois argotique). Ainsi, comme nous l’avons vu pour les modificateurs verbaux, le dérivé sera lui-même marqué FAM. Le transfert inter-catégoriel ne joue pas un rôle essentiel dans le processus de familiarisation qui préexiste à la dérivation. La marque FAM. du Nbase est transmise, dans le processus de dérivation, au verbe dérivé252. Il est des cas où la base retenue pour la verbalisation n’est pas marquée d’un point de vue lexicographique, alors que le verbe dérivé est considéré comme FAM. Il peut s’agir de verbes construits sur : - des bases onomatopées : blablater (FAM.) de « blabla » (non marqué), - des bases d’emprunt : vamper (FAM.) de vamp (non marqué), relooker (FAM.) de look (non marqué), kiffer (FAM.) de kif (non marqué). La dérivation verbale est alors relativement régulière et c’est la nature étymologique non conventionnelle de la base qui devient un facteur de familiarité. D’autres verbes, très peu nombreux, également construits sur des bases non marquées, répondent à des règles compositionnelles relativement conventionnelles, et se voient pourtant marqués FAM. : rebraguetter (FAM.) et débraguetter (FAM.) de braguette (non marqué) fuguer (FAM.) de fugue (non marqué) barber (FAM.) de barbe (non marqué) émotionner (FAM.) de émotion (non marqué) Au-delà des aspects purement sémantiques que nous traiterons au chapitre suivant, c’est la récente intégration de ces termes dans le dictionnaire (qui n’apparaissaient pas dans le PR 77), qui nous a conduit à les considérer comme des néologismes et justifierait qu’ils ne soient pas intégrés au registre standard. 4.3.3.1.2. Les règles non régulières La majorité des verbes de notre corpus dérivés de bases nominales ne répond pas à des règles de construction conventionnelles, dans la mesure où la fonction thématique de la base, par rapport au dérivé, est plus « libre », moins contrainte. Ce sont les paradigmes que nous avons appelés « verbes de transformation », « verbes de manière », « verbes à partir de locution intégrant 252 Précisons ici que les Nbases sont principalement des termes anciennement argotiques ou populaires et aujourd’hui FAM. Leur familiarité peut alors s’expliquer par le parcours historique du mot (voir § 3.3). Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 185 Nbase », auxquels nous pouvons ajouter les phénomènes de remotivation populaire. En cela, les processus de constitution du sens sont sans doute moins lisibles et plus ardus à déterminer. Et s’il n’a pas toujours été aisé de mettre en évidence des paradigmes clairs, c’est principalement en raison de la forte propension à dépasser le sens prédictible par métaphore, comparaison, plus largement par le recours à une figure de la base, du verbe support, ou du dérivé lui-même : déboussoler « perdre la boussole, être désorienté » lézarder « faire le lézard, se prélasser » fliquer « faire le flic, surveiller », blairer « sentir qqn », etc. Ce facteur affaiblit considérablement la diagrammaticité de ces dérivés, le sens en est finalement assez peu prédictible car, à l’opération de dérivation traditionnelle, s’ajoutent des phénomènes de lexicalisation qui obscurcissent considérablement le sens du dérivé. Cette étape de la construction du sens est relève de la socio-culture253, car rien ne peut expliquer, morphologiquement, que lourder soit glosé par « faire prendre la porte » plutôt que « garnir d’une porte » sur le modèle de meuble/meubler. Rien ne peut expliquer non plus que croûter se glose par « casser la croûte » et non pas « faire une croûte ». Cette complexification du sens, qui fait que l’on ne peut se satisfaire de gloser lourder par « qui a rapport avec une lourde » ou croûter par « faire quelque chose en rapport avec la croûte », est liée à l’usage que l’on fait de ces termes en discours. Ces unités répondent à des processus de figement254 en langue qui nous échappent totalement et qui ne sont pas déductibles du système morphologique. La conséquence est une sorte de fixation du discours dans les structures morphologiques. En d’autres termes, la dérivation verbale familière assure la consécration, en langue, d’emplois discursifs plus ou moins préalablement lexicalisés. APOTHELOZ D., La construction du lexique français, op. cit., p. 83. Nous retenons la définition proposée par MEJRI S., « Figement et dénomination », Meta, n° XLV-4, 2000, p. 610 : « Le figement est un processus linguistique inhérent aux langues naturelles par lequel des séquences linguistiques, initialement employées comme séquences discursives libres, se trouvent, pour des raisons diverses, partiellement ou entièrement solidifiées ; elles sont ainsi versées dans l’une des catégories linguistiques dans le cadre de laquelle les constituants perdent leur autonomie individuelle pour participer à la configuration de la nouvelle unité polylexicale ainsi constituée ». 253 254 186 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 4.3.3.2. Les divers processus de figement 255 Ces figements peuvent s’imposer à différents niveaux de l’opération de dérivation et, s’ils sont majoritairement représentés par les paradigmes cités précédemment, ils concernent l’intégralité de notre corpus. Nous avons dégagé plusieurs types de construction du sens du dérivé. 4.3.3.2.1 Dérivation verbale et figement d’un sens « extensif » du Vdérivé Soit les exemples de verbes suivants, construits sur des Nbases non marqués : entarter (« tarte ») fauter (« faute ») politiquer (« politique ») bomber (« bombe ») Le point commun de ces verbes est le fait que la dérivation verbale sert à fixer une situation très spécifique : bomber peut, certes, être défini par « peindre à la peinture en bombe », mais pas dans n’importe quel but. Les occurrences de bomber que l’on trouve dans les pages de presse le montrent : « huit croix celtiques ainsi que le mot GUD (Groupe union défense, mouvement étudiant d'extrême droite) avaient été bombés sur le mur du lycée »256, ou encore à propos de manifestants anti-OGM : « certains d'entre eux ont noyé la récolte de maïs OGM stockée dans un silo en l'arrosant et ont bombé des sigles "OGM" sur le silo et "danger" sur une citerne »257. Autrement dit, si l’on entend « on a bombé ma voiture », nul doute qu’il est fait référence à un acte de dégradation, et non pas à l’activité d’un peintre professionnel qui aurait rafraîchi la carrosserie d’une voiture (bien que la technique utilisée soit également une bombe de peinture). De la même façon, lorsqu’on lit « Mme Royal avait refusé une protection policière, proposée par le ministère de l'intérieur, après avoir été entartée le 16 juin à La Rochelle »258, il ne s’agit pas simplement d’un incident au cours duquel Mme Royal se serait vue renverser par inadvertance une tarte sur elle, mais bien d’une sorte de rituel visant à rendre une personnalité politique ridicule en lui écrasant volontairement une tarte à la crème sur le visage259. Pour un développement de la question, cf : MARTINS-BALTAR M., La locution en discours. Paris, ENS-St.Cloud, 1997 ; MEJRI S., Le figement lexical. Descriptions linguistiques et structuration sémantique, Tunis, Publications de la Faculté des lettres Manouba, 1997 ; MEJRI S., « Séquences figées et expression d’intensité. Essai de description sémantique », Cahiers de lexicologie, n° 65-2, 1994, p. 111-122. 256 « Deux enseignants agressés devant un lycée parisien vendredi », Le Monde, 20.03.07. 257 « José Bové placé en garde à vue après une manifestation anti-OGM en Gironde », Le Monde, 04.11.06. 258 « La mise en examen d'un ancien préfet annulée », Le Monde, 19.08.06. 259 « Entarter consiste à lancer ou le plus souvent, à « écraser » une tarte à la crème (ou plus simplement, une assiette en carton remplie de crème fouettée) à la figure d'une personnalité 255 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 187 Ainsi, le sens de bomber et entarter n’est pas simplement le résultat d’un transfert catégoriel de N→V, où Nbase est l’instrument de l’action. Le processus de dérivation verbale fige un emploi discursif bien précis, référant à des circonstances spécifiques, ce qui situe ces opérations au-delà de leurs contraintes habituelles. Le transfert catégoriel N→V induit une actualisation particulière du Nbase et l’emploi du dérivé est alors dépendant de contextes singuliers. En fait, « dans certains cas, la reconstruction des mots construits aboutit à dédoubler (ou détripler, etc.) un mot construit attesté en lui attribuant un ou plusieurs sens régulier(s) prédictible(s) non attesté(s). Il s’agit alors d’une opération d’homonymisation du lexique attesté : la « forme » du mot construit est déjà attestée, mais seulement en tant qu’homonyme de celui qui est reconstruit, dans la mesure où son sens est différent »260. La mise au jour des règles de dérivation de cette série de verbes révèle la polysémie dont ils sont potentiellement l’objet bien que n’ayant qu’un seul sens attesté. Il existerait donc, au moins potentiellement, des acceptions « propres »261 de bomber « utiliser une bombe de peinture », entarter « mettre une tarte (dans, sur) », sans lesquelles ne pourraient exister les acceptions « figurées » auxquelles réfèrent les verbes de notre corpus. L’indice FAM. porte ici sur une restriction, par « contextualisations spécifiques », d’un sens « propre », qu’elle induit virtuellement. La même approche peut être adoptée pour la plupart des Vdérivés négatifs, préfixés, tels que : déboussoler (« boussole ») décerveler (« cervelle ») déjanter (« jante ») dépoitrailler (« poitrail ») dépuceler (« pucelage ») L’interprétation sémantique de ces verbes se fait, là encore, par recours à une acception figurée, à ceci près qu’elle ne répond pas à une restriction d’un potentiel sens « propre » mais, au contraire, à son extension, par métaphore. Ainsi, par exemple, déboussoler « désorienter », déjanter « perdre le bon sens » lors d'un événement public, pour souligner, selon les auteurs, l'absurdité des propos ou des actions de la « victime » ». Source : http://fr.wikipedia.org/wiki/Entartage. 260 CORBIN D., Morphologie dérivationnelle…, op. cit., p. 178. 261 Nous différencions ici le sens propre, non tropique et le sens littéral, celui qui tient aux mots entendus selon leur acception dans l’usage ordinaire et celui qui se présente immédiatement à l’esprit de ceux qui entendent la langue (voir FONTANIER P., Les figures du discours, Paris, Flammarion, 1977, p. 57). 188 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER supposent-ils un verbe positif du type *cerveler « avoir une cervelle, avoir un cerveau, réfléchir » *boussoler « avoir une boussole, garder le nord, avoir du bon sens », *janter « être dans la jante, être dans le droit chemin ». Ce premier procédé de figement que nous isolons consiste donc à former, à partir d’une base nominale non marquée, un verbe dérivé marqué FAM., par interprétation tropique du produit de l’opération de dérivation. Le Vdérivé FAM. devient le polysème d’un Vdérivé potentiel, propre, non marqué, par signification extensive (extension ou réduction de son sens). L’acception lexicalisée et marquée FAM. est alors le sens « littéral », le plus commun, mais ne correspond pas au sens « propre», non tropique. 4.3.3.2.2. Dérivation verbale et figement d’un emploi « figuré » du Nbase Soit les exemples suivants construits, là encore, sur des bases non marquées : criser (« crise ») flasher (« flash ») rager (« rage ») complexer (« complexe ») Contrairement aux items précédents, une acception polysémique du Nbase est ici sélectionnée par la dérivation verbale : rager, criser, défouler, complexer ne font pas référence à des situations médicales comme le supposeraient les Nbase rage, crise, complexe et défoulement mais sélectionnent des emplois des Nbases plus étendus que le sens « propre ». La dérivation verbale sélectionne alors un sens S’ qui correspond à une réduction ou une extension du sens S du Nbase, par contextualisation spécifique. L’opération de dérivation consiste à construire un mot, non à partir du sens de la base, mais à partir de certains de ses emplois, de certaines valeurs de l’énonciation de la base. Pour rendre compte du fait qu’il s’agit de verbes construits sur la base de noms homonymes ayant des statuts sémiotiques (ou des types de signifiés) différents, Josette ReyDebove propose l’appellation de dénominatifs autonymiques262. Dans cette perspective, on doit également considérer les Vdérivés suivants : bidonner (« bidon », sens 4. FAM. par métaph.) châtaigner (« châtaigne », sens 3 FAM.) se friter (« frite », sens 3 FAM. ) biser (« bise », sens 2. FAM.) cafarder (1) (« cafard », sens fig.) bigophoner (« bigophone », sens 2. fam.) saper (« sape », sens 3. ARG.) 262 REY-DEBOVE J., « Benveniste et l’autonymie : les verbes délocutifs », Travaux de linguistique et de littérature, XIII, tome 1, 1975, p. 250. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 189 cafarder (2) (« cafard », sens. FAM.) se plumer (« plume », sens 2. FAM.) crécher (« crèche », sens 3. VX. ET FAM.), etc. Tous ces dérivés sont également construits sur des Nbase qui sélectionnent un sens S’ spécifique de S, à ceci près que S’ fait l’objet d’un degré supplémentaire de lexicalisation, puisqu’il est mentionné dans le dictionnaire comme sens FAM., ou plus simplement sens FIG. ou encore PAR EXT. C’est donc également un sens S’, restrictif du sens S de Nbase, qui est ici sélectionné pour l’opération de dérivation. Il est à noter que le fort degré de lexicalisation des Nbases rend l’accès au lien métaphorique entre S et S’ relativement obscur. Sans le recours aux notices étymologiques, il est difficile d’établir la relation analogique entre le sens propre et le sens figuré du Nbase. Remarquons que ce procédé est relativement productif et permet de créer de nombreuses séries de prédicats familiers, par : - substitution synonymique et jeu de contigüité entre sens « figuré » et sens «propre» : déboussoler, perdre le nord, être à l’ouest : « désorienter » déjanter, dérailler, divaguer : « déraisonner, quitter le bon sens » galérer, ramer : « être dans une situation pénible » biberonner, tchuquer, pomper, sucer, téter : « boire souvent et avec excès » - substitution homonymique : cuiter, rôtir (je suis cuit, je suis rôti) = « saouler » De la même façon, emmouscailler, emmieller seront dérivés sur le modèle de emmerder, par rapprochement dérivatif d’interjections (mouscaille ! et miel ! par analogie à merde ! ). 4.3.3.2.3. Processus de dérivation verbale et prédication figurative associant le Nbase Un troisième procédé de création lexicale, le plus productif, est illustré par les items glosés dans notre classement des données comme « Verbes de manière » et « Verbes de transformation ». Certains de ces Vdérivés marqués FAM. sont construits sur des Nbases non marqués et assurent une fonction de stabilisation, en langue, d’emplois spécifiques du discours. Il s’agit des verbes du type : fouiner (« fouine ») turlupiner (« turlupin ») charcuter (« charcutier ») siroter (« sirop ») saucissonner (« saucisson ») sandwicher (« sandwich ») canarder (« canard ») banquer (« banque ») biberonner (« biberon ») 190 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Ces termes se différencient des procédés précédemment étudiés en cela qu’ils ne constituent pas des polysèmes d’un Vdérivé, mais qu’ils créent, par le processus même de dérivation, un trope à partir du Nbase. Il ne s’agit pas de considérer qu’il existerait, potentiellement, un Vdérivé siroter présentant un sens propre vs un sens figuré. Un sens figuré S’ de sirop sélectionné dans l’opération de dérivation, n’est pas non plus déductible. Il s’agit de stabiliser en langue, par la dérivation verbale, une figure tropique intégrant le Nbase, ou plus précisément une figure établissant un lien analogique entre les actants du procès du Vdérivé et le Nbase : biberonner « boire comme on le ferait si on buvait au biberon » = « boire souvent et avec excès» canarder « tirer sur qqn ou qqch comme on le ferait en situation de chasse au canard, à considérer que ce qqn ou qqch soit dans le rôle du canard » = « tirer à couvert » D’autres verbes, un peu moins nombreux, se construisent sur des Nbases marqués FAM. : zoner (« zonard », FAM.) cabotiner (« cabotin », FAM.) copiner (« copain », FAM.) mendigoter (« mendigot », FAM.) pocharder (« pochard », FAM.) vibrionner (« vibrion », FAM.) moucharder (« mouchard », FAM.) La figuration prédicative est d’autant plus évidente que le lien métaphorique s’établit entre le sujet du prédicat et le Nbase selon un procédé d’identification : zoner « vivre comme vit un zonard », copiner « se comporter comme on se comporte entre copains », etc. Autrement dit, le procès du Vdérivé se déroule « comme si » il mettait en jeu le Nbase. Cette mise en jeu peut se situer à différents niveaux : - le verbe réfère à une manière d’être ou de faire du sujet, par analogie à Nbase : « se comporter en Nbase ». fouiner « faire la fouine » zoner « se conduire en zonard » - le verbe réfère à une manière de considérer l’objet, par analogie à Nbase : « traiter l’objet en Nbase », « faire comme si l’objet était un Nbase ». sandwicher « mettre en sandwich » saucissonner « manger comme quand on mange du saucisson » Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 191 - le résultat du procès aboutit à ce que l’objet soit transformé en Nbase, « rendre l’objet un Nbase », « transformer l’objet en Nbase ». stariser « faire devenir star » chouchouter « traiter en chouchou » Ainsi, la dérivation verbale peut-elle être appréhendée comme prédication figurée, non pas selon l’opposition « figuré » vs « propre » – qui induit une dimension polysémique du Vdérivé ou du Nbase – mais selon la dichotomie « figure » vs « non figure ». La figure tropique alors créée l’est à partir de la mise en relation, symbolique, du Nbase et des actants du procès du Vdérivé. Nous choisirons alors de parler de figure prédicative ou de prédication tropique. 4.3.3.2.4. Dérivation verbale et stabilisation d’une locution figée Ce phénomène est illustré par le groupe que nous avons défini comme dérivés de locutions. Il s’agit d’interjections ou de locutions verbales : barber (2) (« la barbe ! ») buller (« coincer la bulle ») mégoter (« ramasser les mégots ») gazer (« aller à plein gaz » ) Ces expressions ou interjections, indexées familières par le dictionnaire, servent de base à un processus de verbalisation que l’on pourrait qualifier d’« économique »263. En effet, la dérivation verbale opère une réduction de la locution à un seul vocable, fixant et « rentabilisant » la mise en discours. Il nous a été difficile de définir les items constituant cette classe de verbes, car nous nous situons précisément à cette frontière entre langue et discours. En effet, de nombreux autres Vdérivés pourraient être considérés comme stabilisant une locution : poireauter (« faire le poireau») cocoter (« sentir la cocotte ») biler (« se faire de la bile ») criser (« piquer une crise »), etc. Plus largement, on pourrait y intégrer tous les Vdérivés dont le Nbase est intégré à une construction sur la base de verbes support, c'est-à-dire de verbes sémantiquement « légers », qui ne sélectionnent pas les arguments de la phrase, mais actualisent les prédicats nominaux264. Par exemple : 263 Il semble que ce procédé de création lexicale réponde à un principe souvent décrit pour la langue populaire, argotique ou plus largement parlée, celui de l’économie, de la brièveté. 264 À ce sujet et pour une délimitation précise de la notion de verbe support, voir MEL'CUK I., « Verbes supports sans peine », Linguisticae investigationes, n° 27-2, 2004, p. 202-217. 192 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER cuiter (« prendre une cuite ») cachetonner ( « courir le cachet ») cafarder (« avoir le cafard ») gueuletonner (« faire un gueuleton ») petit déjeuner (« prendre un petit déjeuner ») biturer (« prendre une biture ») On retrouve alors la majorité des verbes de nantissement, qui le sont, principalement, par métaphore. Ces analyses mettent au jour deux types d’opérations dans la dérivation verbale : - les dérivations conventionnelles qui répondent, en synchronie, aux règles de compositions largement observées dans le lexique général du français, à ceci près que le Nbase sélectionné est marqué FAM. La marque lexicographique est alors transmise au Vdérivé. Ce sont des dérivations régulières, la marque FAM. répondant à une sorte d’étiquetage lexical, relatif au parcours historique du mot, souvent d’origine argotique ou dialectale (cf. chapitre précédent). - les dérivations non conventionnelles qui assument un rôle d’économie linguistique comme les précédentes (création d’un vocable unique remplaçant un syntagme verbal), mais qui permettent principalement de fixer, en langue, des acceptions jusqu’alors très contextualisées (renvoyant à des situations discursives spécifiques) ou, plus généralement, d’installer en langue une séquence discursive. Ainsi, dans la majorité des cas, c’est un sens « tropique » (vs « sens propre ») de la base qui est sélectionné dans l’opération de transfert catégoriel, ou bien, c’est l’opération de dérivation, elle-même, qui aboutit à l’élaboration d’une figure tropique. Il faut alors établir une distinction entre le sens associé à un N dans le lexique et le sens associé à la forme de ce N lorsqu’il devient Nbase d’un dérivé. La conséquence théorique est importante car il devient nécessaire, comme le propose Martine Temple, reprenant Corbin et al.265, à propos d’observations de quelques cas marginaux, de prendre en compte, dans la description de la construction des termes, le fait que « la notion de base sémantique d’un mot construit ne se superpose pas à celle de sens associé au mot servant de base à un dérivé »266. Il faut nécessairement dépasser le strict patron théorique 265 CORBIN D., DAL G., MELIS-PUCHULU A., TEMPLE M., « D’où viennent les sens a priori figurés des mots construits ? Variations sur lunette(s), ébéniste et les adjectifs en –esque », Verbum 1-2-3, 1993, p. 65-100. 266 TEMPLE M., Pour une sémantique des mots construits, op. cit., p. 125. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 193 dérivationnel, en lui intégrant ces procédés sémantiques, sous peine de le voir devenir inadéquat. C’est cette difficulté d’intégration de la distinction entre un sens S « propre » et un sens S’ « figuré » à un modèle dérivationnel, qui fait que, bien que dérivé à partir de règles de composition relativement régulières, la compositionnalité des Vdérivés FAM. en est rendue assez peu lisible. Il en résulte la diagrammaticité de certains verbes familiers est masquée par l’action de règles sémantiques qui interviennent préalablement à la dérivation (sens fig. du Nbase) ou qui interviennent directement sur le sens du dérivé obtenu (homonymisation du Vdérivé ou figure prédicative intégrant une similarité avec le Nbase). Cela nous amène à considérer que la dérivation des verbes FAM. aboutit, dans la majorité des cas, à l’intégration, dans le lexique, d’un sens tropique d’une unité verbale et par induction d’un sens « propre » potentiel. En cela, la procédure cesse d’être conventionnelle, et dépasse le cadre de l’analyse morphologique dérivationnelle dissociative, selon laquelle la structure est première et le sens affecté aux structures par des règles interprétatives. 4.3.4. Figement du discours, figuration du sens et familiarité 4.3.4.1 Au-delà de la métaphore Les emplois discursifs, stabilisés par la dérivation verbale familière, ont donc un rapport avec ce que l’on a appelé le sens tropique. Nous avons été très prudente jusqu’alors et avons employé, avec parcimonie, les termes de « métaphore », de « comparaison », ou encore d’« image », bien que ces notions soient communément utilisées pour définir les aspects polysémiques en particulier ceux relevant de la familiarité lexicale. Nous avons mis en évidence des structures métaphoriques ou métonymiques intervenant à différents niveaux de la formation du lexique : - lien métaphorique entre un sens S et un sens S’ du Nbase, attesté ou non par les dictionnaires : criser de crise, bidonner de bidon, etc. - lien métonymique entre un sens S (virtuel) et un sens S’ (figuré mais littéral) du Vdérivé : entarter, bomber, violoner, etc. - prédication métaphorique incluant le Nbase : biberonner « boire comme on le fait quand on est nourri au biberon », cochonner « se conduire comme le ferait un cochon », etc. - utilisation d’un verbe support dans la glose illustrant le Vdérivé : complexer « donner des complexes », châtaigner « mettre des châtaignes », etc. 194 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Il apparaît que certains des lexèmes relevant, en synchronie, de constructions régulières, ont fait l’objet, en diachronie, du même type de parcours sémantique. Simplement, ils jouissent aujourd’hui d’un degré tel de lexicalisation que la figure est morte, ou perçue comme telle : - vadrouiller de vadrouille « promenade », étymologiquement « vagabondage, généralement en groupe, dans les rues, à la recherche d’amusements, de mauvais coups, de femmes faciles »267 ; - vanner « railler, tourmenter », par métaphore du grain secoué sans ménagement dans le van ; - baratiner de baratin « discours abondant », par métaphore du baratin « portefeuille vide que le tireur passe à son complice, au lieu d’un portefeuille garni qu’il a dérobé »268 ; - partouzer de partouze « partie de débauche », étymologiquement « partie de carte ». Il se pourrait alors que l’indication de « figuré » ou « métaphorique » apparaisse comme un critère déterminant et nécessaire dans la constitution du sens des verbes familiers. C’est l’hypothèse la plus souvent retenue par les auteurs qui ont travaillé sur le sujet, à l’instar de Catherine Rouayrenc qui pose : « Je parlerai surtout de la métaphore, puisque l’on sait que de nombreux termes du français standard passent en français non standard grâce à un emploi figuré, métaphorique notamment »269. Cependant, le simple recours à la métaphore pour définir les emplois familiers ne semble pas être une réponse suffisante à notre questionnement. Certes, la métaphore (et plus généralement les figures) est d’ordinaire définie comme un écart par rapport à une règle, elle est donc un fait linguistique non standard270, mais rien ne garantit, a priori, qu’elle produise un effet familier. Les figures font l’ornement de la langue littéraire comme de la langue courante, de la langue écrite comme de la langue parlée. Et force est de 267 268 CELLARD J., REY A., Dictionnaire du français non conventionnel, op. cit. COLIN J.-P., MEVEL J.-P., LECLERE C., Dictionnaire de l’argot français et de ses origines, op. cit. 269 ROUAYRENC C., « Français non standard et figures », in BALLABRIGA (ss la dir.), Sémantique et rhétorique, Toulouse, E.U.S., 1998, p. 113. 270 « L'emploi métaphorique est fondamentalement un emploi "anormal" – faire une métaphore, c'est utiliser une expression "hors norme" –, par opposition au "propre" qui, lui, est le représentant de la norme. Ne pas voir cette opposition, c'est refuser de voir l'essence même de la métaphore. », in SCHULZ P. « Saussure et le sens figuré : ou pourquoi la métaphore n’existe pas », p. 2/11, article publié sur le site info métaphore : http://www.info-metaphore.com. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 195 constater que « sens familier » et « sens figuré » ne sont pas des concepts synonymes, tel qu’en atteste l’usage qui en est fait dans la pratique lexicographique. Les exemples suivants correspondant à des Vdérivés construits sur des Nbases pris au sens figuré, ne sont pas pour autant des acceptions familières : acclimater, sens fig. : « habituer quelqu'un à un nouveau milieu » aiguiller, sens fig. : « orienter, diriger dans une direction précise » anesthésier, sens fig. : « rendre insensible » armer, sens fig. : « donner à quelqu’un les moyens d’affronter une situation, d’y faire face » etc. Nous sommes d’autant moins convaincue par une interprétation de la familiarité lexicale par simple recours à la métaphore littéraire que nous pensons, comme François Rastier, que la métaphore est une figure outrageusement envahissante271, et que tout notre système conceptuel est structuré métaphoriquement272. Aussi, les re-lectures métaphoriques sont-elles nombreuses, comme nous l’avons vu dans ce chapitre lorsque nous avons traité la question de la remotivation populaire, et elles n’ont de limites que celles de notre imagination. De plus, nous venons de le voir, le lien métaphorique n’est pas toujours évident et il est même parfois imperceptible pour les locuteurs : on est bien loin du fruit ou du légume dans les verbes châtaigner ou se friter, et le sens propre de sape ou de nippe semble peu évident en synchronie. Nous devons donc aller plus loin dans la description, pour atteindre la dimension signifiante et cognitive de la métaphore, et ne pas nous en tenir à son niveau strictement ornemental. 4.3.4.2. La dérivation FAM. comme impertinence prédicative Il nous a semblé judicieux d’aborder notre corpus au regard du mécanisme de la catachrèse, en tant que « figure de rhétorique créée par la langue (…) pour désigner une réalité pour laquelle on ne possède pas encore de terme propre (…), un phénomène linguistique naturel qui permet à une langue d’évoluer en détournant un mot de son sens littéral pour lui faire désigner une autre réalité »273. Cette définition semble relativement adaptée à notre corpus, 271 « La métaphore est une figure outrageusement envahissante », Échange entre François Rastier et Pascal Michelucci sur sa thèse : Philosophie et sémantique du poème chez Paul Valéry. http://revue-texto.net/dialogues/rastier-michelucci.html. 272 Selon la thèse défendue par LAKOFF G., JOHNSON M., Les métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Éditions de Minuit, 1985. 273 POUGEOISE M., Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, 2001. 196 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER dans la mesure où la majorité des dérivations verbales familières sont des processus qui font intervenir un sens tropique – qu’il soit localisé sur le Nbase, sur le Vdérivé lui-même, sur le Vsupport de la glose, ou sur la prédication – sans pour autant qu’il constitue un sens second. Les verbes de notre corpus sont « littéralement » familiers, c’est notre choix méthodologique initial, c'est-à-dire que l’acception familière est la plus évidente et, donc, le sens « propre » n’est pas a priori attesté par le dictionnaire. Nous l’avons montré précisément avec les verbes entarter et bomber, et ceci pourrait être étendu aux autres séries de verbes : - biberonner « boire souvent et avec excès » induit potentiellement un sens propre non attesté « boire au biberon », - fouiner « fouiller méticuleusement » induit potentiellement un sens propre non attesté « agir comme une fouine », - se biler « s’inquiéter » induit potentiellement un sens propre « produire de la bile », - et on peut même considérer que cabotiner « faire le cabotin » induit potentiellement le sens propre « imiter le cabotin». Précisons que ce pseudo sens propre S, virtuel, répondrait alors à des procédés de dérivation tout à fait réguliers. Ainsi, les dérivations verbales FAM. pourraient relever du mécanisme propre à la catachrèse dans la mesure où elles fixent, en langue, un sens S’, différent d’un sens S, non attesté, par le biais de métaphore ou de métonymie (*« boire au biberon »/ « boire souvent et avec excès de l’alcool », *« être une fouine »/« fouiller indiscrètement », etc.). Approfondissons notre propos à l’aide d’une seconde définition de la catachrèse, comprise comme un « choc de deux termes aux significations contradictoires, résultant d’une figure de substitution morte (métaphore, métonymie, synecdoque) dont le sens premier s’est effacé de la conscience du locuteur et qui s’accompagne d’une qualification étrangère au sens premier »274. L’idée de « choc » comme effet produit par la catachrèse implique que le sens S, « propre », plus ou moins virtuellement attesté, n’est pas tout à fait masqué par le sens S’ (donc sans doute pas tout à fait effacé de la conscience du locuteur…). Le simple fait que biberonner soit rattaché à biberon par dérivation, nous conduit à dire que biberonner « boire souvent et avec excès » active une pseudo-acception polysémique biberonner *« boire au biberon », avec laquelle il contraste. Jackie Schön, à propos des emplois familiers de lexèmes, soutient que « le sens familier d’un lexème n’efface pas le sens 274 MORIER H., Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, P.U.F., 1961. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 197 premier du lexème ; il lui est superposé »275. De la même façon, nous pensons, à propos de l’emploi de lexèmes familiers, que l’acception familière d’un lexème active un sens « propre », virtuellement attesté dans le lexique, qui lui est superposé et avec lequel le sens FAM. va jouer en contraste. C’est ce phénomène que Gérard Petit nomme un « signifié mémoriel »276. C’est pour nous ici un autre niveau de spécificité de la dérivation verbale des lexèmes familiers : si toute substitution implique une impropriété, « un abus » selon le terme des rhétoriciens classiques, qui n’est a priori pas ressentie comme telle dans le cas d’une catachrèse « traditionnelle », ce contraste joue comme indice de familiarité lexicale. Nous pensons que c’est du décalage, du hiatus, entre « l’élément nouveau» et « l’élément source » (qu’il s’agisse du Nbase ou du Vdérivé), que naît l’effet familier. D’autant plus familier sera l’effet produit par la catachrèse que le « choc » entre S’ (attesté) et S (virtuel) sera grand. La conscience de cette dichotomie doit donc rester présente – même au second plan – pour que la discordance entre les éléments substitués soit perçue. Soient les exemples suivants, relevés en contexte : ils devront continuer de crécher où ils pourront 277 elles étaient charcutées par des médecins peu scrupuleux 278 les touristes continuent de siroter leurs mojitos 279 il sandwiche un Maigret entre deux romans sérieux 280 Nous avons systématiquement affaire à une discordance entre les propriétés lexicales du sens du Nbase et celles du sens du Vdérivé qui aboutit à une impropriété dans la relation d’agent(s) à procès. Autrement dit, l’élément « littéral » est soumis à d’autres références contextuelles que celles qui lui sont habituellement associées, ce qui crée une catachrèse (par métaphore ou métonymie). Ainsi, le médecin contraste-t-il avec le charcutier, l’alcool avec le sirop, le sandwich avec les livres et le sujet humain (ou adulte) avec la crèche. Il apparaît alors que, pour certains verbes familiers, les relations entre agents et procès contredisent fortement l’ordre sémiotique qu’impose le système lexical. 275 SCHÖN J., « Pour un traitement systématique des acceptions familières dans les dictionnaires », in Hommage à Jacques Allières, Romania sans frontière 2, Atlantica, 2002, p. 609. 276 « Le signifié mémoriel est une composante du contenu sémantique global de l’item. Il diffère du signifié référentiel dans la mesure où sa fonction première n’est pas de viser le référent où d’en assurer l’identification, la communication, etc. (…) Le signifié mémoriel prend en charge, au sein d’un emploi référentiel dérivé et lexicalisé, c'est-à-dire stable et récurrent (…), la réminiscence des conditions sémantiques d’élaboration de celui-ci », PETIT G., « La double hybridation de l’unité lexicale », Linx, n° 40, 1999, p. 139. 277 « Vous avez un garant? », Le Monde, 15.02.94. 278 « Le procès de Bobigny, c'était hier », Le Monde, 05.04.06. 279 « L'année de tous les espoirs », Le Monde, 12.07.07. 280 « Georges Simenon, d'Amérique et d'ailleurs », Le Monde, 06.12.02. 198 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER En d’autres termes, pour reprendre une dichotomie chère à Benveniste281, le sens sémantique du discours s’oppose au sens sémiotique de la langue. C’est précisément de ce schisme d’avec l’ordre « normal », attendu, que naît la familiarité lexicale. Si l’on reprenait la terminologie de Jean Cohen, on parlerait d’impertinence du prédicat282, c'est-à-dire de propositions relativement absurdes du point de vue de la logique traditionnelle (un médecin n’est pas un charcutier, un livre n’est pas de la nourriture que l’on glisse dans un sandwich, une adulte ne dort pas dans une mangeoire ou dans une pouponnière). Nous pouvons alors avancer que le processus à l’œuvre dans la dérivation verbale familière concourt à attribuer, à un prédicat, un argument a priori incompatible avec ses propriétés ontologiques de base ou à les détourner : la tarte de entarter n’est plus un comestible, mais un projectile, de la même façon que les châtaignes de châtaigner ou les frites de friter. Quant à la bombe de peinture de bomber, elle ne sert plus à peindre, mais à dégrader. C’est ainsi tout un pan du lexique qui glisse, qui se décale dans une autre dimension283 et qui vient à détonner. Nous rejoignons ici l’hypothèse de Jackie Schön selon laquelle « la familiarisation (…) crée effectivement des métaphores puisqu’elle se résume à la formule X ETRE Y mais ces métaphores naissent sans autre justification que l’incongruité même de l’équation qui les fonde »284. C’est pourquoi, au-delà du lien métaphorique ou métonymique qui existe entre un S virtuel et un S’ figé par la dérivation de biberonner, l’effet familier va naître de l’étrangeté de l’association entre le concept « boire au biberon » et « boire souvent et avec excès d’alcool », en considération des valeurs qui y sont communément associées. Au-delà de la simple métaphore rhétorique, nous cernons un peu plus précisément les phénomènes à l’œuvre dans la familiarité lexicale : la présence d’un contraste entre la classe des arguments d’un prédicat S’, tel qu’il est figé en langue, et celle d’un prédicat virtuel S, « propre », tel qu’il serait convoqué à la conscience du locuteur. La familiarité est donc ici caractérisée par une violation du code par fixation en langue d’une « impertinence » de discours. BENVENISTE E., Problèmes de linguistique générale, op. cit., p. 43-66. COHEN J., Structure du langage poétique, Paris, Flammarion, 1966, p. 103. 283 Le terme est pris dans le sens défini par François Rastier et repris par ROUAYERENC C. : « Les dimensions sont des classes de grandes généralités (…). En petit nombre, elles divisent l’univers sémantique en grandes oppositions, comme /végétal/ vs /animal/, ou /humain/ vs /animal/ (…).Les dimensions reflètent vraisemblablement sur le plan sémantique des catégories a priori qui structurent tout l’univers d’une culture », in RASTIER F., Sémantique pour l’analyse, Paris, Masson, 1994, p. 63. 284 SCHÖN J., « Sous les emplois familiers de la langue, les affects », Actes du XXVIIe colloque international de linguistique fonctionnelle, Ceské Budejovice, Ondrej Pesek (Éd.), 2004, p. 229. 281 282 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 199 Cependant, là encore, tous les facteurs favorisant un effet familier ne semblent pas être mis au jour. Par exemple, aussi grossier soit-il, la poésie, ou la prose surréaliste, qui naît d’un « choc » ou plutôt d’un forçage dans les contrastes entre classes sémantiques, n’apparaît pas pour autant comme une production familière. Cette condition de catachrèse est donc nécessaire, mais non suffisante. 4.3.4.3. La familiarité comme reconfiguration du monde La catachrèse est le reflet d’une « évaluation » que font les locuteurs de la congruence des deux prédicats superposés et de leur incompatibilité sémantique avec leurs arguments, ce qui nécessite une sélection subjective des propriétés du sens propre. En effet, le contraste naît de ce que l’on passe d’une objectivité (il est une fouine, il boit au biberon) à l’émergence d’un point de vue subjectif, externe, dans la mesure où seulement certains traits sont retenus dans la relation d’un énoncé propre à un énoncé figural, alors que d’autres en sont exclus (fouiner ne retiendra pas les traits /carnassier/ ou /corps mince/). Nous devons nous intéresser plus précisément à l’interprétation de la catachrèse, à sa finalité et à son produit extra-discursif, puisqu’elle doit être comprise comme « un agencement nouveau, création, découverte, réorganisation incessante de notre vision du monde »285. Soit criser, se défouler, rager, se biler : le contraste du sens figural de ces verbes avec un potentiel sens S, référent à des situations médicales, crée une sorte d’analogie hyperbolique. La référence à des états pathologiques (vs normaux, selon l’opposition de Canguilhem), traduit une exagération de la part de l’énonciateur. De la même façon, le contraste des S’ attestés et du S virtuel superposé dans flasher, cavaler, rafler, gerber, flinguer (2), catastropher, galérer, banquer, produit une comparaison hyperbolique. C’est finalement la puissance du flash, la grande vitesse de la cavale, le soudain jaillissement de la gerbe, l’intensité de la catastrophe, la grande difficulté de la galère qui sont les traits retenus dans la comparaison. Au-delà de la métaphore ou de l’image évoquée, nous avons affaire à une modalisation intensive des prédicats, fondée sur des stéréotypes culturels. Soit zoner, copiner, cabotiner, goinfrer, pocharder : ces verbes présentent aussi une sorte de comparaison hyperbolique, fondée sur un système de lieux communs associés au Nbase. La comparaison se fait par rapport de similitude avec un Nbase typisé, qui joue alors un rôle d’intensifieur : 285 BONHOMME M., Les figures clés du discours, Paris, Seuil, 1998, p. 59. 200 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER - Si X zone, c’est qu’il vit d’une façon aussi précaire qu’un zonard, alors il vit de façon TRES précaire. - Si X cabotine, c’est qu’il est aussi prétentieux qu’un cabotin, alors il est TRES prétentieux. - Si X se pocharde, c’est qu’il se comporte comme un pochard, alors il boit BEAUCOUP. La comparaison correspond donc à une intention précise qui se situe, audelà de la métaphore, du côté de l’intensité du procès. Soit mendigoter, fliquer, turlupiner, moucharder, stariser, torchonner, couillonner, charcuter : ces exemples sont assez proches des précédents à la différence que la relation entre S et S’ n’implique pas une comparaison contrastive, mais, au contraire, une équivalence. On passe d’un jugement d’appartenance (exemples précédents) à un jugement de conformité par prédication métaphorique du type X ETRE Nbase286 : il mendigote, c’est un vrai mendigot les parents fliquent leurs enfants, ce sont de vrais flics il torchonne son travail, son travail est un vrai torchon Il s’agit en quelque sorte d’opérer une évaluation analogique, par rapport à un Nbase typicisé, référent à une réalité extra-lingusitique réprouvée. Par là, le sujet ou l’objet du Vdérivé se voit lui aussi réduit à un « type » réprouvé (le mendigot, le flic, le torchon). Nous retrouvons des phénomènes assez proches de ceux décrits par Evelyne Largueche, à propos de la qualification injurieuse287. De la même façon, on note des qualifications dépréciatives par comparaison avec des animaux : pigeonner, cochonner, fouiner, cafarder (2), cornaquer, vibrionner, cocotter, canarder, becqueter, crécher, ou avec des comestibles : poireauter, sandwicher. Ce sont des phénomènes, largement décrits par Jackie Schön288, et qui correspondent à un déclassement des lexèmes par mise en relation d’un représentant d’une classe sémantique avec une autre, quasiment antithétique, ce qui est culturellement impensable. Quoi de plus dépréciatif, en effet, que d’être réduit au stade animal ou à celui de nourriture ? 286 Pour une description détaillée de l’élaboration de la prédication métaphorique traditionnelle, cf. CADIOT P., « Métaphore prédicative nominale et motifs lexicaux », Langue française, n° 134, 2002, p. 38-57. 287 Voir à ce sujet, LARGUECHE E., L’injure à fleur de peau, Paris, L’Harmattan, 1993. 288 SCHÖN J. « Acceptions familières et manifestations d’affects », in ARRIVÉ M., NORMAND C., Linguistique et psychanalyse, Cerisy, Editions in Press, 2001, p. 157-165. Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 201 Soit entarter : le lien de similitude entre le fameux gag de la tarte à la crème et la situation médiatique qui consiste à entarter une personnalité politique, est établi. Mais dans le premier cas, il s’agit d’un spectacle destiné à faire rire le public, et dans le second, d’un « happening » qui se donne pour objectif de dénoncer la société du spectacle. Il y a bien une similitude entre les deux situations auxquelles réfèrent l’énoncé « propre » et l’énoncé figural, mais elles contrastent par ironie, pourrait-on dire. D’autres items pourraient également dépendre du même procédé : politiquer, violoner, bomber, dans la mesure où est provoquée, par antiphrase, une sorte de dépréciation du procès (les députés ne sont pas censés politiquer à l’Assemblée Nationale, on ne dira pas de Paganini qu’il violonait, quant aux inscriptions réalisées à la bombe de peinture, elles ne sont pas tout à fait reconnues comme des créations artistiques). Pour conclure, si nous avons démontré que la métaphore joue bel et bien un rôle dans la familiarité lexicale, elle n’en constitue pas l’essentiel. Elle doit présenter un contraste, un choc d’autant plus grand entre les termes en jeu qu’il provoquera soit une comparaison hyperbolique, soit une identification intensive, soit une antiphrase. Nous partageons le point de vue d’Irène Tamba-Mecz selon lequel les figures hyperboliques comportent toujours une référence, un denotatum précis, soumis à une évaluation quantitative, qui en fait un « paramètre de la démesure »289 et qui projette alors le Vdérivé hors de la représentation normative que l’on a de son référent – ce qui ne manquera pas de le déprécier. Quant au procédé d’identification, il présente une construction proche de « traiter quelqu’un de » où le qualifiant est toujours négatif. Nous avons alors affaire à un support lexico-syntaxique de péjoration290 qui consiste à considérer l’autre comme ce qu’il n’est pas. Dans la même perspective s’inscrit l’ironie qui, par antiphrase, aboutit à une dépréciation du procès. Ces procédés montrent que l’étude du lexique familier ne doit pas simplement prendre en compte des traces énonciatives (de l’ordre de la connotation), mais bien aussi des propriétés constituées à partir de traits sémantiques référant à des propriétés culturelles situées en dehors de la norme culturelle. La familiarité lexicale est corrélative d’une distorsion de la représentation du réel, qui contredit quelque peu les relations établies par la logique. On parlera alors plus justement de symptômes de conflits TAMBA-MECZ I., Le sens figuré, Paris, P.U.F., 1981, p. 161. Pour un développement sur le sujet, voir IBRAHIM A., « Peut-on, en français, reconnaître automatiquement un support de péjoration ? », Linx, n° 34-35, 1996, p. 57-76. 289 290 202 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER conceptuels291, la réorganisation du monde ne se situant plus simplement au niveau de la signification mais aussi au niveau des concepts. En d’autres termes, l’acception familière ne transfère pas un énoncé d’une signification à une autre, mais le transfère d’un domaine conceptuel cohérent, vers un domaine conceptuel disjonctif, ce qui provoque un déclassement vers un univers en rupture avec des stéréotypes culturels, hors de la norme, à la marge, et donc réprouvé. Nul ne doute que, dans ce contexte, nous soyons ainsi confrontés à la « toute puissance du sujet » qui réorganise (déclassement sémantique), réidentifie (X est un vrai Nbase), transforme (rendre ADJbase, faire de X un Nbase), insulte (traiter X de Nbase) les choses et principalement les êtres du monde. Il devient tout à fait clair que cette « re-configuration » du réel produit un sentiment de péjoration, par intensification ou dépréciation des procès. Comme nous l’avons vu au début de ce chapitre à propos de la suffixation, un rapport de cause à effet se fait jour entre quantitatif, qualitatif et péjoration. Nous pouvons faire l’hypothèse, à ce stade de notre présentation, d’une lecture de la notion de péjoration comprise au-delà de valeurs connotatives, mais plutôt attachées au denotatum, dès lors que son référent se situe en rupture avec une vision éminemment normée, voire normative, du monde. Ceci est confirmé par le fait que chacun des verbes du corpus pourrait être évalué de façon péjorative, par contamination phonique (pinailler, rabibocher ), par suffixation (crachouiller, dansoter ), par composition morphosémantique (déboussoler, poireauter ) ou encore, simplement, par sa classe de référents associés (flinguer, fuguer, roter ). 4.4. SYNTHÈSE La conclusion la plus évidente est que la classe des verbes marqués FAM. se révèle très composite. Il est en effet difficile d’établir des généralités, dans la mesure où nous avons travaillé sur un corpus morcelé par des critères formels. C’est pourquoi le chapitre suivant présentera une étude plus fine des aspects sémantiques et de leurs incidences pragmatiques. Voir CADIOT P., « Métaphore prédicative nominale et motifs lexicaux », op. cit., p. 38-57 et PRANDI M., « Littéral, non littéral, figuré », Cahiers de praxématique, n° 35, 2000, p. 17-38. 291 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 203 Cependant certaines caractéristiques ont pu, d’ores et déjà, être dégagées par notre description morphologique. Nous avons fait trois constats : - Les verbes familiers ne répondent pas à des règles étrangères au lexique standard, mais en diffèrent par leur productivité. Le lexique familier – s’il fallait le préciser – doit être perçu comme une part du lexique commun et non pas comme un système étranger à celui-ci. Que cela concerne la proportion de mots non construits, celle de mots construits sur des bases nominales, le choix des affixes retenus par la suffixation familière ou les règles de compositions, les lexèmes étudiés montrent une forte productivité des phénomènes repérés comme marginaux dans la part normée du lexique. - Nous avons confirmation que l’étude du registre familier se situe à la frontière entre langue et discours. Là où la norme s’acclimate de locutions verbales plus ou moins figées, le registre familier n’hésitera pas à créer un lexème à partir de segments de discours. Cela explique, en termes de coût au niveau du signifiant, l’écart de représentativité des règles de formation de notre corpus, d’avec celles du lexique standard292, ce qui corrobore les observations de certains auteurs sur la nécessité de brièveté dans la langue populaire, familière ou parlée. Nous devons également retenir que les lexèmes marqués FAM., ainsi créés, viennent remplir un vide laissé par la langue normée. La réduction des coûts linguistiques produit, paradoxalement, une unité nouvelle qui manquait à la langue commune. Ainsi, pouvons-nous infirmer les hypothèses qui voient, dans le lexique familier, une doublure du lexique standard. - Enfin, il apparaît que la prédictibilité des verbes familiers est relativement faible. Nous avons pu constater et ce, à différents niveaux de l’analyse, que les lexèmes FAM. développent des signifiés plus spécifiques que ceux que leur structure morphologique permet de prédire. Il est rare que le sens compositionnel de la plupart de nos verbes soit directement déductible. Pour des raisons de démotivation en diachronie, de spécialisation sémantique en synchronie, les liens sémantico-formels des lexèmes de notre corpus sont approximatifs. Il en résulte que le sens de ces lexèmes est « flottant », quelque peu imprécis, et laisse plus de souplesse, de liberté à l’expression de la subjectivité des locuteurs, notamment par le biais d’un sens tropique et du 292 Sur ce concept, voir le développement de BERRENDONNER A., « Aspects pragmatiques de la dérivation morphologique », Analyse linguistique et approches de l’oral, ORBIS-Suppl., n° 10, 1998, p. 23-31, et également DELAPLACE D., « Apocope, argot et lexique », Thèse de doctorat, ss la dir de D. Corbin, Université de Lille III, 1998. 204 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER symbolisme phonétique. Tout se passe comme si le lexique familier était moins contraint dans la relation forme/sens que le lexique standard, ce qui permet une plus grande expressivité des locuteurs. Nous pourrions expliquer ainsi l’importance de la part de mots identifiés comme simples dans notre corpus. En effet, selon un relevé fourni par Jean et Claude Dubois293, la part du lexique qu’occupent les mots construits est de 68,2% des termes enregistrés pour la lettre A du Petit Larousse. Pour Henri Mitterand294, à partir d’un sondage effectué dans le Petit Larousse, cette proportion de mots construits se situe entre 72 et 77%, mais annonce une différence de proportion marquée dès que l’on observe des textes de conversation courante. D’autres auteurs considèrent que le lexique d’un dictionnaire comprend environ un quart de mots simples et trois quarts de mots construits, et ils précisent le renversement de la proportion dans une conversation quotidienne orale295. Malgré les discussions sur la délimitation de la notion de « mot construit » qui font quelque peu varier les proportions, il apparaît que la part de mots dits simples dans notre corpus est plus importante que celle représentée dans le lexique total des dictionnaires et qu’elle correspond davantage aux proportions de la conversation dite courante, ce qui corrobore les observations de chacun des auteurs précédemment cités. Pour Henri Mitterand, cette distorsion entre les deux sortes de proportions – en lexique « complet » et en lexique « commun » – s’explique « par la pléthore des dérivés, composés et recomposés, qui gonfle les vocabulaires techniques, étrangers à l’usage courant, et cependant enregistrés dans les dictionnaires généraux tels que les Larousse »296. La proportion des mots construits dans un corpus dictionnairique est la conséquence de l’intégration de nombreux termes techniques et scientifiques dans sa nomenclature, termes qui s’avèrent relativement rares dans la conversation quotidienne. Il s’agit donc de considérer « des liens étroits entre affectivité et expressivité d’une part, rationalisme et arbitraire de l’autre »297. Au regard de notre corpus, tout se passe comme si le lexique familier est davantage susceptible d’être chargé de la subjectivité du locuteur, précisément parce que sa motivation morphologique est faible. La diagrammaticité mise en évidence à chaque étape de l’analyse, à propos de la suffixation, du symbolisme phonique et du figement d’un sens tropique, affaiblit considérablement la motivation des termes et laisse davantage de latitude au locuteur pour se saisir DUBOIS J. et Cl., Introduction à la lexicographie, op. cit., p. 138. MITTERAND H., Les mots français, op. cit., p. 26. 295 Site La linguistique : http://bbouillon.free.fr/univ/ling/Fichiers/morpholex.htm 296 MITTERAND H., ibidem. 297 ULLMANN S., Précis de sémantique française, op. cit., p. 112. 293 294 Chapitre 4. – Propriétés formelles et effet familier 205 des faits de langue et les rendre siens. L’expressivité, comme liberté prise par le locuteur dans la construction de sa langue, doit être comprise comme l’empreinte de l’utilisateur de la langue. Le vocabulaire familier est, de tradition, interprété comme de l’ordre des connotations. Néanmoins, certains des constats que nous venons d’établir remettent en cause cette hypothèse connotative, en particulier si l’on considère que le contraste entre FAM. et « non marqué » opère au niveau du concept. Nous avançons l’hypothèse que la composante expressive, repérée à différents niveaux de l’analyse, induit une réorganisation conceptuelle du monde. De façon un peu générale, nous pourrions dire que la vision du monde reflétée par le lexique familier diffère de celle reflétée par le lexique standard, surtout dans son rapport à la norme. Le monde re-créé que nous livre le lexique familier est un monde à la marge, un monde tout à fait déprécié, défiguré, par distorsion des quantités ou qualités normalement attribuées aux choses. En cela, il sera interprété du côté de la péjoration. C’est pourquoi à partir des observations menées sur notre corpus, nous pouvons infirmer l’interprétation d’Alain Rey, dans la préface du Grand Robert, selon laquelle « l’attribution de la marque familier ou populaire porte sur la forme linguistique et non sur le référent »298. Si l’analyse morphologique a permis quelques incursions du côté du sens, seule une étude sémantico-syntaxique des lexèmes FAM. peut conduire à explorer plus précisément les spécificités de ces verbes. C’est l’objet du prochain chapitre. 298 Préface du GR 1985, p. XLI. CHAPITRE 5 CARACTÉRISATION SÉMIOTIQUE ET SÉMANTIQUE DE LA FAMILIARITÉ LEXICALE ________ Les observations formelles effectuées au chapitre précédent sont complétées ici par une analyse plus approfondie de la dimension sémantique des items de notre corpus. Nous avons travaillé à partir des définitions dictionnairiques postulant que leur contenu, reflet des significations les plus socialisées, les plus courantes et les plus admises, permet de rendre compte du rapport de la familiarité lexicale à la norme. Dans une première partie, nous revenons sur ce qui fait de la définition lexicographique un consensus sémio-culturel sur le monde et sur la langue, et expliquons en quoi elle constitue un matériau d’analyse pertinent pour notre recherche sur la familiarité lexicale. Dans une seconde partie, nous présentons l’activité définitoire et les procédures habituellement utilisées pour les gloses dictionnairiques et nous proposons une typologie propre à catégoriser celles de notre corpus. Nous analysons ensuite chacune d’entre elles afin de mettre au jour les relations dont rend compte le dictionnaire entre un défini FAM. et un définissant non marqué, notamment par des liens hypéronymique et synonymique. Enfin, ces observations nous conduisent à spécifier les caractéristiques sémantico-syntaxiques propres aux verbes familiers. Nous en déduisons un statut sémiotique et sémantique particulier du lexique familier, au-delà de la stricte interprétation connotative traditionnelle, qui lui accorde un rôle pleinement fonctionnel au sein du système. C’est donc d’un point de vue sémiotique et sémantique que le lexique familier a été étudié, à partir du discours dictionnairique considéré comme un relais de la norme linguistique et sociale. Le mouvement est ainsi inverse à celui du lexicologue : l’établissement de la définition dictionnairique n’est pas une fin en soi, le couronnement du travail, mais notre point de départ. 208 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 5.1. LA DÉFINITION DICTIONNAIRIQUE Les définitions dictionnairiques présentent des limites en matière de sémantique lexicale, car elles ne mettent pas en jeu toutes les propriétés sémantiques des termes glosés, mais seulement celles qui permettent d’atteindre les objectifs que se donne le dictionnaire – c'est-à-dire rendre compte de représentations consensuelles des classes de référents. Néanmoins nous pensons, comme Josette Rey-Debove, que « la technique du lexicographe pourrait bien, sous son aspect intuitif et grossièrement approximatif, receler quelque élément digne d’intérêt scientifique, et susceptible de servir de base à une méthode »299. Ce sont spécifiquement ces aspects intuitifs qui intéressent notre exploration de la familiarité lexicale, en ce qu’ils révèlent un point de vue normé du locuteur-lexicographe sur la langue. 5.1.1. La définition comme discours normé sur le monde La définition dictionnairique a pour objectif de « faire correspondre à une unité lexicale supposée inconnue ou mal connue une pluralité d’unités appartenant au même système linguistique, organisées selon les structures syntactiques de ce système, et qui est supposée déterminer chez le lecteur ou l’auditeur l’élaboration conceptuelle adéquate »300. En cela, Alain Rey la décrit comme une opération périlleuse et, sans doute, intrinsèquement irréalisable, tant sa dimension est psycholinguistique. En effet, l’activité définitionnelle se heurte à des difficultés sociolinguistiques et cognitives, liées principalement à l’hétérogénéité des utilisateurs du dictionnaire et de leurs compétences linguistiques (différences géographiques, sociologiques, socioprofessionnelles, différences de capital culturel, etc.). La recherche d’une représentation conceptuelle que la communauté linguistique – dans toute sa diversité – reconnaît comme congruente, rend l’exercice souvent imparfait. Aussi, si l’on considère que l’objectif de la définition dictionnairique est d’être « capable de grouper les éléments nécessaires et suffisants à l’élaboration d’un concept isolable, relié d’une manière biunivoque à une unité lexicale »301, faut-il envisager d’en rendre compte en neutralisant quelque peu les différences sociolinguistiques et sociocognitives inter-individuelles. La définition doit donc être le reflet d’une conceptualisation consensuelle du 299 REY-DEBOVE J., « La définition lexicographique : recherches sur l’équation sémique », Cahiers de lexicologie, vol. 8-1, 1966, p. 71. 300 REY A., Le lexique : images et modèles, Paris, Armand Colin, 1977, p. 102. 301 Ibidem, p. 112. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 209 monde réel, en accord avec le système sémio-culturel de la communauté linguistique, et non pas le monde réel lui-même. Elle n’est pas une donnée scientifique, une assertion vraie du point de vue de la logique, mais un discours qui institutionnalise une représentation moyenne des concepts, conforme aux exigences socioculturelles302. Le discours lexicographique doit donc être perçu comme institué par le discours social. C’est pourquoi la définition lexicographique peut servir de base à l’analyse permettant de dégager une représentation sémio-sémantique normée des unités lexicales de notre corpus. Le terme de « norme » doit être ici compris comme un phénomène de standardisation, de neutralisation, une sorte de solution d’homogénéisation des usages et des jugements portés sur ces usages. La définition est donc posée comme le reflet de l’inscription des unités lexicales au sein d’un réseau de représentations et de significations socioculturellement établies. En ce sens, envisagée sous cet aspect, l’observation des définitions de termes marqués FAM. permet d’accéder à une « équivalence » normée de la représentation de la communauté linguistique, c’est-à-dire de percevoir ce que le discours normé « dit » des segments de discours qui ne le sont pas. Ce positionnement nécessaire du côté de la norme a des implications sur la présentation des unités de la langue, tant par rapport à leur représentation conceptuelle, que par rapport à leur forme même. 5.1.2. La définition comme discours normé de la langue Les attentes sociales, qui pèsent sur l’édification du dictionnaire, notamment dans sa fonction didactique, n’ont pas seulement des conséquences sur la vision du monde qu’il véhicule, mais aussi sur celle qu’il donne de la langue. Le lexicographe, dans le cadre de son exercice, n’adopte pas nécessairement l’attitude du linguiste. Il est tenu d’utiliser un niveau de langue dit neutre, celui choisi pour la description, traditionnellement la langue « officielle » des classes cultivées. La raison est, a priori, pédagogique, la définition étant un énoncé qui s’insère dans un discours particulier, supposé connu du lecteur de dictionnaire303. Les formes linguistiques non conventionnelles sont donc écartées du discours lexicographique qui puisera – à quelques rares exceptions près 302 Voir § 1.1.4.2 pour un développement du dictionnaire comme doxa. « Definitions presuppose the existence of a defining vocabulary the meanings of which are taken as axiomatic, not requiring any further explanation. This raises the problem of the levels of understanding and education that can be expected of the reader of the definition”, SAGER J., A Practical Course in Terminology Processing, John Benjamins, Philadelphia, Amsterdam, 1990, p. 40. 303 210 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER que nous signalerons plus loin (§ 5.3.7) – dans la part du lexique qualifié de standard, par opposition au lexique marqué. La langue non marquée, standard, se voit ainsi confirmée dans sa fonction de norme-étalon, référence à partir de laquelle seront interprétées les entrées marquées. La volonté pédagogique du dictionnaire se voit alors transformée en processus normatif, voire normalisant. La présentation des entrées dictionnairiques se doit de dépasser les conflits linguistico-sociologiques pour rendre compte de la place du signe et de son référent, dans un système sémioculturel. Pour illustrer cette double contrainte normative qui pèse sur le référent et sur le signe, citons l’exemple fréquemment repris de l’entrée PUTE, marquée POP. ET VULG., dont la définition est « prostituée », et constatons qu’il est inenvisageable, dans la pratique dictionnairique, d’inverser cette relation et d’imaginer l’entrée PROSTITUÉE, marquée BOURG. et définie par « pute ». En effet, la description dictionnairique se doit de rendre compte, d’une part, d’une langue fonctionnelle (normée) et, d’autre part, d’une norme sociale. Ces deux normes, linguistique et sociale, se renforcent l’une l’autre, afin de proposer au lecteur un état de langue, dans une dynamique somme toute prescriptive. La conséquence de ce parti-pris lexicographique est que la définition est à la fois un discours sur le contenu du signe, mais aussi un discours sur le signe luimême304. Soit l’entrée : CHIADER v. tr. et intr. ARGOT DES ÉCOLES, PUIS FAM. « Travailler, préparer (un examen, etc.) L’utilisateur qui consulte un dictionnaire se voit informé, à la fois sur le contenu sémantique par un énoncé qui parle du monde (chiader c’est préparer un examen), mais aussi sur l’usage du signe (chiader est un mot familier, anciennement argotique qui est présenté comme l’équivalent de préparer un examen). La définition, succédant au signalement de la marque d’usage, devient une équivalence de signe et l’information qu’elle apporte est autonymique305, autrement dit davantage d’ordre sociolinguistique ou stylistique que référentielle. Pour dénommer cette dichotomie, nous ne recourons pas aux notions de « définition de mot » et « définition de chose », car le discours du dictionnaire 304 Pour plus de détails sur cette distinction, cf. REY-DEBOVE J., « Le dictionnaire comme discours sur la chose et discours sur le signe », Semiotica, n° 1, 1969, p. 185-196. 305 REY-DEBOVE J. « Autonymie et métalangage », Cahiers de lexicologie, n° 2, 1967, p.15-27, et aussi Le métalangage : étude linguistique du discours sur le langage, Paris, Armand Colin, 1997 (2e édition), p. 77-78. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 211 ne peut être qu’un discours sur le signe306, dans la mesure où les définitions ne sont pas le reflet d’une vérité du monde, mais d’un discours sur le monde. Nous considérons que le contenu explicatif de la définition peut porter sur deux types d’éléments distincts, selon qu’il s’agit d’informer sur le contenu notionnel, c’est-à-dire de rendre compte de l’analyse de la signification des emplois d’un terme en discours, ou sur le mot lui-même, c’est-à-dire le signenommant, en tant qu’élément du système langue. Ces deux informations s’inscrivent toujours dans une visée socio-subjective. 5.1.3. La définition comme matériau d’analyse L’hypothèse qui a été faite est que l’un et l’autre de ces axes sont autant d’indicateurs d’une certaine organisation du système (en termes sémantique et sémiotique) et, dès lors, d’indicateurs d’un certain rapport à la norme. La définition lexicographique est une double source d’information : information de type conceptuel, sémantique qui renvoie à l’idée abstraite que l’on a du référent, à la réalité telle que les locuteurs et le lexicographe la perçoivent (discours métalinguistique) ; - information de type métalinguistique, dans sa fonction descriptive du signe-nommant, tel que le lexicographe et les locuteurs le perçoivent (discours méta-métalinguistique). - Ces deux aspects conjoints, sorte de miroir des normes socioculturelles et de la norme linguistique, justifient l’approche adoptée. Si d’aucuns considèrent le matériau définitoire comme lacunaire dans la pratique lexicographique, il constitue pour nous une précieuse source d’information, car la définition dictionnairique devient un objet normé présenté comme « interprétant » de données non conventionnelles. Par conséquent, il ne sera pas surprenant de voir les définitions, et plus exactement des éléments de définition, varier d’un dictionnaire à l’autre, eu égard à une orientation éditoriale plus ou moins affirmée307. L’élément définitoire rend compte de la structure du système dans lequel s'insère le défini, et de ce fait, le construit. Ainsi, sélectionner un définissant plutôt qu'un autre revient à refléter ou à créer une organisation plutôt qu'une autre. Nous avons néanmoins pris le parti de nous en tenir à notre dictionnaire de référence, le PR 2001. 306 Selon Alain Rey, la définition de chose ne peut être rendue par une définition lexicographique, cette dernière explicitant des signifiés en essayant de distinguer non des concepts et des classes de choses, mais des sens et des classes d’usages, d’emplois. Cf. REY A., La terminologie, Paris, P.U.F., Que sais-je ?, n° 1780, 1992, p. 41. 307 Pour une comparaison des définitions du TLF et du GRLF, voir le développement de CORBIN P., « Le monde étrange des dictionnaires : le commerce des mots », op. cit. 212 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nous avons alors travaillé dans une double perspective. D’une part, nous avons observé les procédures définitoires utilisées par le lexicographe afin de gloser les termes familiers, en cela qu’elles reflètent le rapport entre lexique marqué et lexique non marqué, établi par le discours métalinguistique du dictionnaire. Nous avons considéré la définition dictionnairique comme objet d’un discours socioculturellement institué porté sur le lexique standard. D’autre part, et de façon corrélative, nous avons considéré chaque définition comme un sémème idéalisé, mais un sémème tout de même, propre à informer sur le contenu sémantique des items. Nous avons recherché les caractéristiques sémantiques propres au lexique familier à partir de spécifications mises au jour par la définition, entre défini et définissant. L’objectif est de comparer, d’un point de vue sémiotique308 et sémantique, les unités marquées FAM. de notre corpus, avec les périphrases définitoires, c'est-àdire avec les équivalents sémantiques qu’en propose le dictionnaire. Les définitions dictionnairiques ont été analysées en tant que restitution du contenu lexical des signes au sein d’un système culturel, c’est-à-dire en tant que métadiscours rendant compte d’une « image sociale » de la langue. Nous postulons que la fonction essentielle de l’objet dictionnaire est de refléter le système tel qu’il est perçu par le lexicographe – et les locuteurs –, opérant à la fois par rapprochements et par distinctions entre des sens. Par ces réseaux de relations formalisés par les procédés définitoires, le défini est situé, à l’intérieur d’un système, structuré à l’aide de caractères distinctifs. 5.2. LES PROCÉDÉS DÉFINITOIRES 5.2.1. L’activité définitionnelle Définir est une activité langagière qui se traduit par la formulation d'une proposition nommée prédication définitionnelle, composée de deux membres : le défini et la définition (ou prédicat), liés par une copule (est, signifie). C’est « l’opération logique la plus ancrée dans les conventions qui régissent le fonctionnement du langage »309. La définition est donc un énoncé formulé en 308 Sémiotique utilisé ici au sens benvenistien de théorie générale des modes de signifier des signes linguistiques, comme « un ensemble d’activités et de systèmes langagiers et culturels », REY A., DELESALLE S., « Problèmes et conflits lexicographiques », Langue française, n° 43, 1979, p. 5. 309 ROVENTA-FRUMUSANI D., « La définition et l’acte de définir », Revue roumaine de linguistique, vol. XXVI-2, 1981, p. 138. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 213 langue, sémantiquement équivalent et substituable au défini. C’est une équation sémique qui se présente sous forme d’une paraphrase ou périphrase310 synonymique composée par d’autres mots de la langue. Selon Paul Imbs, « en définissant les mots, l’esprit les créé en tant qu’objets de définition. Or, en les créant, il leur impose du même coup les catégories dans lesquelles il les classe (…). On imagine assez bien les catégories comme un ensemble de cadres sémantiques de plus en plus généraux et s’emboîtant les uns dans les autres, la catégorie la plus étroite (et donc la plus particularisée) se situant au cœur du cercle, et les plus larges (et donc les plus générales) disposées en cercles concentriques autour du petit cercle central (…). Une catégorie représente nécessairement un genre prochain, de compréhension plus abstraite et plus générale que le mot à définir, et elle ne devient l’équivalent de ce mot que moyennant l’indication de la ‘différence spécifique’ »311. C’est la définition aristotélicienne par excellence, qui exprime l’essence de la chose désignée par le moyen d’une indication classificatoire générale et une ou plusieurs notations caractéristiques spécifiques. L’incluant peut être conçu comme « un genre prochain » du défini, qui inclut la classe des référents de ce dernier dans une classe plus vaste au sein de laquelle ses particularités distinctives sont exprimées par une (ou des) spécificité(s). Cette définition par inclusion se traduit, de coutume, par un énoncé bipolaire précisant le définissant et la spécificité du défini. Mais, de toute évidence, ce modèle d’organisation lexicographique du lexique en cercles concentriques doit être relativisé. En effet, chaque terme d’une langue n’est pas nécessairement inclus dans une catégorie ou, pour le moins, cette catégorie incluante n’est pas perçue spontanément comme telle par les locuteurs. Le définissant retenu par le lexicographe ne sera donc pas systématiquement un incluant, mais parfois seulement une catégorie voisine (si c’est celle qui vient le plus naturellement à l’esprit). De plus, la volonté didactique qui anime le lexicographe le conduit à envisager des formes multiples de définitions permettant de rendre compte de l’unité lexicale recherchée et de ses liens avec les autres unités. En établissant ces relations de rapprochement et de distinction, la définition place le défini à l'intérieur d'un système notionnel ou conceptuel et aussi 310 Josette Rey-Debove préfèrera ce dernier terme, « ceci pour deux raisons. D'abord parce que la paraphrase s'applique à un énoncé, alors que la périphrase s'applique à un mot, en l'occurrence, le mot-entrée. Ensuite parce que la paraphrase prend des libertés avec le contenu, alors que la périphrase constitue simplement une autre dénomination », Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 192. 311 IMBS P., « Au seuil de la lexicographie », Cahiers de lexicologie, n° 2, 1961, p. 10. 214 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER l’insère dans un système linguistique ou lexical. On peut alors, dans un second temps, accéder à une organisation générale du lexique. Ainsi, les procédures utilisées pour gloser les entrées contenues dans le dictionnaire vont-elles différer selon le terme à définir et mettre au jour les liens les plus pertinents et les plus efficaces avec le « reste » du lexique. Les procédures utilisées pour définir les termes marqués de notre corpus permettent de dégager les rapports qu’ils entretiennent avec le « reste » du lexique ou, plus exactement, le rapport que le lexicographe pointe avec les autres unités lexicales non marquées. Chaque procédé reflète un point de vue spécifique sur l’organisation du lexique (formel, sémantique, étymologique, etc.). Nous allons indiquer quels sont les types définitionnels les plus fréquemment répertoriés, et comment nous avons été contraints d’établir notre propre taxinomie du fait de la singularité de notre corpus. 5.2.2. Limites des typologies traditionnelles Les procédures utilisées par les lexicographes afin de définir les entrées du dictionnaire ne sont pas si nombreuses. Une première typologie a été élaborée par Bernard Quémada, sur la base d’une analyse détaillée des dictionnaires, notamment du Littré312. Il s’appuie tant sur la démarche logique (fondement conceptuel de la définition) que sur la formulation et la nature des éléments constitutifs de la définition (analyse formelle du définissant), ces deux démarches étant complémentaires. Cela l’amène à répartir les définitions en deux catégories principales : les procédés définitoires directs (définition par inclusion) et indirects (définition synonymique). Cependant, les données sur lesquelles Quémada fonde sa description ne sont pas le reflet des pratiques lexicographiques actuelles, mais celles du XVIe au XIXe siècle, c’est pourquoi nous avons été conduite à nous intéresser à des corpus contemporains. Les études méta-lexicographiques plus récentes diffèrent quelque peu, en effet, de celle menée par Quémada et l’essentiel des catégories retenues sont les définitions par inclusion, les définitions synonymiques et les définitions dérivationnelles. Nous reproduisons ci-après, figure 7, le modèle proposé par Robert Martin313, qui représente le « type » de typologie le plus répandu et le plus fréquemment repris dans la littérature. 312 313 QUEMADA B., Les dictionnaires du français moderne…, op. cit., p. 391-464. MARTIN R., Pour une logique du sens, Paris, P.U.F., 1983, chapitre II. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 215 Figure 7 : Typologie des formes définitoires selon Martin314 Cependant, nous n’avons pas pu adopter exactement cette taxinomie, ni aucune autre d’ailleurs, comme modèle. En effet, les démarches descriptives sont souvent plus théoriques qu’empiriques et ne restituent pas l’intégralité des procédures observables dans les dictionnaires. Les catégorisations présentées se sont ainsi avérées insuffisantes pour rendre compte de la totalité de notre corpus et ne nous ont pas permis d’en présenter un classement exhaustif. 314 Ibidem, p. 63. 216 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Reprenons notre exemple : chiader « travailler, préparer (un examen, etc.) » Selon la typologie de Martin, comment doit-on catégoriser cette définition ? La parenthèse précisant le type de complément accepté par le verbe apporte une certaine ambiguïté que le modèle ne lève pas. Si l’on considère chiader comme « préparer quelque chose », c’est une définition synonymique, alors que si l’on interprète chiader comme « préparer un examen », on devra décrire l’énoncé comme une définition hypéronymique conjoncturelle. Quant à gratouiller « gratter légèrement », doit-on considérer qu’il s’agit d’une définition hypéronymique ou dérivationnelle ? Les deux types ne sont pas en opposition mais dépendent des points de vue différents par lesquels on traite l’objet. Ce sont donc des catégories qui ne nous semblent pas distinctives. Et comment considérer kiffer « prendre du plaisir » ? S’agit-t-il d’une locution verbale synonymique ? Ces difficultés sont principalement liées au fait que nous examinons un corpus exclusivement verbal, ce qui n’est pas sans implication sur les types de définitions utilisées. En effet, les méthodes définitoires se différencient sensiblement selon les catégories lexicales, et il est important de noter que la grande majorité des auteurs ont travaillé non pas sur des verbes mais sur des substantifs, plus faciles à circonscrire dans leur relation référentielle au monde. La recherche du genre prochain qui est le problème majeur des lexicographes est plus complexe encore dès lors qu’il s’agit d’entrées verbales qui ne se prêtent que peu à la catégorisation, contrairement aux entrées nominales. La hiérarchie des concepts d’actions ou d’états n’est, en effet, pas aussi assurée que celle des concepts nominaux, le défini appartenant à la classe des signesnommant et non à celle des choses-nommées. Par conséquent, la relation d’inclusion avec le défini verbal est souvent rendue difficile, les notions d’espèce et de genre ne se prêtant pas aux verbes. En effet s’agissant de verbes, les relations entre défini et définissant, correspondent à un autre mode de mise en rapport sémantique que celui habituellement constaté. C’est la raison pour laquelle nous avons adapté les modèles traditionnels à la nature de notre corpus. 5.2.3. Présentation des procédés définitoires du corpus C’est à partir des limites des taxinomies des procédures définitoires existantes que nous avons catégorisé de manière singulière notre corpus. Ces regroupements n’ont pas vocation à apporter une typologie nouvelle des formes définitoires, mais à nous permettre d’opérer des convergences Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 217 significatives. Bien entendu, nous nous sommes largement inspirée des différents auteurs sur le sujet (avec une certaine prédominance pour les travaux de Josette Rey-Debove315, dont l’étude linguistique des dictionnaires nous a paru la plus exhaustive), mais nous avons adapté notre taxinomie aux spécificités de notre corpus. Nous avons dégagé la construction syntaxique des phrases définitoires proposées comme énoncé équivalent sémantiquement à l’entrée-définie en retenant les éléments suivants le DÉFINISSANT : les éléments constituant la définition, en opposition au défini ; - le DÉFINI : le mot-entrée ou l’acception considérée comme telle ; - le DÉFINISSEUR : le verbe principal de l’énoncé définitoire ; - les SPÉCIFIEURS, les éléments supplémentaires venant apporter une spécification sur le définisseur. - Nous avons dégagé neuf types de procédés en fonction de la nature des éléments qui composent les définitions. Nous les récapitulons, dans le tableau ci-dessous (tableau 9). L’intégralité de ce classement est présenté en annexe 4. Type de définition Définissant Défini Définisseur Spécifieur 1 BANQUER payer 2 CHIGNER 3 BAFRER grogner pleurnicher manger 4 S’ENGUEULER se disputer, se quereller gloutonnement et avec excès de façon violente 5 CRAMER 6 CACHETONNER brûler, se consumer courir complètement le cachet 7 LEZARDER 8 BANQUER 9 GLAVIOTER faire paresser donner payer [Cf. GLAVIOT] le lézard au soleil de l’argent Tableau 9 : Typologie des procédés définitoires retenus 315 REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., chapitre 6. 218 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER • Type 1 (représente 88/410 items, soit 21,5 % du corpus) La définition est uniquement constituée d’un définisseur, c'est-à-dire d’un verbe assurant à lui seul le rôle de définissant. barber « ennuyer » se biturer « s’enivrer » banquer « payer » • Type 2 (représente 46/410 items, soit 11,2 % du corpus) La définition est constituée de deux (rarement trois) verbes définisseurs, séparé par une virgule. chigner « grogner, pleurnicher » chiper « dérober, voler » cavaler « courir, fuir, filer » • Type 3 (représente 105/410 items, soit 25,7 % du corpus) La définition est constituée d’un verbe définisseur qualifié par un ou plusieurs spécifieurs, pouvant porter sur les actants ou les circonstants du procès. bâfrer « manger gloutonnement et avec excès » se bidonner « rire beaucoup » cafarder « dénoncer en faisant le cafard » • Type 4 (représente 23/410 items, soit 5,6 % du corpus) La définition est constituée de deux définisseurs, qualifiés par un même spécifieur. Il s’agit d’une définition par conjonction qui procède par factorisation pour reprendre un terme issu des mathématiques : attifer « habiller, parer avec une recherche excessive ou d’une manière ridicule »316 engueuler « se disputer, se quereller, de façon violente » buter « tuer, assassiner avec une arme à feu, dans un mauvais coup, dans un règlement de compte » Elle sera considérée comme une définition mixte, rapprochant un énoncé de type 2 et un énoncé de type 3. • Type 5 (représente 14/410 items, soit 3,4 % du corpus) La définition est mixte ou multiple et présente deux définisseurs séparés par une virgule (ou un point-virgule) à valeur disjonctive. L’un des segments sera un définisseur (type 1), l’autre un définisseur spécifié (type 3) : mégoter « lésiner, chercher les profits dérisoires »317 cramer « brûler complètement, se consumer » reluquer « considérer une chose avec convoitise ; guigner » 316 317 Devant être compris comme « (habiller, parer) avec une recherche excessive ». Devant être compris comme « (lésiner), (chercher les profits dérisoires) ». Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 219 mâchouiller « mâchonner ; mâcher sans avaler » Il ne semble pas que l’on puisse observer une préférence pour un ordre (définisseur spécifié + définisseur) plutôt qu’un autre (définisseur + définisseur spécifié). En revanche, dans ce dernier cas, l’ambiguïté avec le type 4 est levée par la présence d’un point-virgule entre les deux syntagmes définitoires. • Type 6 (représente 92/410 items, soit 22,5 % de notre corpus) Cette définition présente comme définissant un syntagme verbal dont le définisseur n’est pas tout à fait autonome. Comme nous le verrons ci-après, il peut s’agir de verbes supports, opérateurs ou auxiliaires, formant des collocations ou locutions verbales, certaines faisant l’objet de qualifications spécifiques, d’autres pas. Nous les avons appelées définisseurs non prédicatifs318. complexer « donner des complexes (à qqn) » crapoter « tirer sur une cigarette sans vraiment fumer, sans avaler la fumée » cocufier « faire cocu » • Type 7 (représente 15/410 items, soit 3,7 % du corpus) La définition est mixte, formée d’un syntagme verbal de type 6 et d’un définisseur de type 1. lézarder « faire le lézard, paresser au soleil » fuguer « faire une fugue, s’enfuir du milieu familial » • Type 8 (représente 13/410 items, soit 3,2 % de notre corpus) Le définissant est, là encore, mixte, formé d’un syntagme verbal de type 6 et d’un définisseur spécifié de type 3. banquer « donner de l’argent, payer » se cuiter « prendre une cuite, s’enivrer » • Type 9 (représente 13/410 items, soit 3,2 % de notre corpus) Le définissant n’est pas composé d’un définisseur mais correspond à un renvoi lexicographique : droguer « => attendre » piailler « => crier » glaviot « cf. glavioter » A partir de ces données, nous avons relevé d’une part les incidences de la forme syntaxique (définisseur + spécifieur) et, d’autre part, le type de spécification apportée par la prédication définitionnelle. 318 Sur le sujet, voir FRANCOIS J., « Verbes prédicatifs et verbes non prédicatifs », Cahier de recherche linguistique LanDisCo, n° 14, 1998. 220 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Ainsi, se révèle : une photographie du lexique marqué (défini) au regard du lexique standard (définissant), mettant en évidence la forme définitoire utilisée par le dictionnaire (définisseur ou définisseur + spécifieur), - le rôle de cette définition dans la qualification du procès familier (la nature des éléments assurant le rôle de spécifieurs). - 5.3. DISCUSSION DES IMPLICATIONS THÉORIQUES DES TYPES DÉFINITOIRES RETENUS Nous discutons dans cette section l’ensemble des types de définitions observés, en réservant une place toute particulière aux quatre procédés les plus significatifs : définisseur unique (type 1), - deux ou plusieurs définisseurs (type 2), - définisseur + spécifieur (type 3), - définisseur non prédicatif + spécifieur (type 6). - Les types 4, 5, 7, 8, sont des procédés qui combinent les définitions de type 1, 3 ou 6. Mentionnés en fin d’analyse, ils ne font pas l’objet d’un traitement spécifique, tout comme les définissants de type 9 par renvois. En revanche, les raisons qui nous ont conduite à ne pas reconnaître la définition morphosémantique comme un type de définition particulier, sont exposées en fin d’analyse, où sont abordées les questions relatives aux éléments morphosémantiques présents dans le contenu définitionnel. 5.3.1. La définition par définisseur unique (type 1) Ce premier procédé définitoire consiste à réduire la glose à un vocable synonyme. Le défini est alors explicité par référence à une représentation verbale censée être déjà connue. Il correspond aux définitions par synonymie (ou plus rarement antonymie) décrites dans les typologies traditionnelles. Ce type de définition permet d'évoquer le sens d'un mot en renvoyant à un autre, dont le sens est posé comme équivalent. La définition ne prétend, a priori, à aucune explication de la nature du procès signifié. Il s’agit d’un procédé définitoire indirect (cf. Quémada), obligeant le lecteur à rechercher le Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 221 sens du définissant, s’il lui est inconnu. Le dictionnaire monolingue fonctionne ici comme un dictionnaire bilingue en fournissant une sorte de « traduction » du défini. Le défini l’est par équivalence de signe319. Par exemple : banquer « payer » roupiller « dormir » barboter « voler » becter « manger » déglinguer « disloquer » se biturer « s’enivrer » L’analogie avec la lexicographie bilingue est d’autant plus justifiée qu’il s’agit d’établir une équivalence entre signe marqué (défini marqué FAM.) et un définissant non marqué. Rappelons en effet que les contraintes didactiques qui pèsent sur l’entreprise dictionnairique obligent le lexicographe à faire, dans le discours qu’il produit, un usage exclusif du lexique standard (à l’exception, nous le verrons, des définitions dites morphosémantiques). Les gloses seront donc strictement composées de termes non marqués. Aussi, si la définition synonymique est, de coutume, considérée comme un raccourci méthodologique pouvant répondre à des contraintes économiques de gain de place320, il apparaît cependant qu’elle est légitimée ici par des orientations linguistiques (ou devrions-nous dire idéologico-linguistiques). En effet, et bien que la motivation didactique, fonctionnelle, de l’utilisation d’un discours « neutre » dans la forme définitoire soit pertinente, il ne fait aucun doute que l’usage de la définition de type synonymique fait écho à la conception dominante de la notion de registre de langue dans une dynamique normative. Dans la mesure où le registre de langue est envisagé comme une façon différente de dire la même chose, il n’est pas surprenant de voir traiter de nombreux termes marqués comme des « homologues » de termes standards. La notion de « langue familière » prend alors toute sa dimension : roupiller, en langue familière, a pour équivalent dormir en langue standard, à cette différence près que la langue source et la langue cible appartiennent au même code, contrairement à ce qui se passerait en véritable lexicologie bilingue, pour laquelle la prédication définitionnelle *to cry is pleurer ou *pleurer c’est to cry est impossible. Les termes du lexique familier sont donc compris comme un équivalent, un homologue, un doublon d’un terme non marqué ; le dictionnaire se contentant d’en effectuer une traduction. 319 Sur ce sujet, voir DUVAL A., « L’équivalence dans le dictionnaire bilingue », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., tome 3, p. 2817-2824. 320 Cet aspect du travail lexicographique doit être pris au sérieux, tant certaines évolutions, notamment dans la présentation des entrées, peuvent en dépendre (et donc ne trouver aucune justification linguistique). Sur les incidences matérielles dans la présentation des faits linguistiques dans les dictionnaires, voir MARTINEZ C., «La hiérarchie des changements sur une page de dictionnaire, principe appliqué à l’évolution des marqueurs dans les Petit Larousse 1997 à 2007 », in Colloque La marque lexicographique : quel avenir ?, Larnaka, 2006, à paraître. 222 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Le discours dictionnairique, à travers la définition, en est rendu strictement métalinguistique321. Si l’on transforme l’énoncé roupiller « dormir » en prédication définitoire, nous aurons : roupiller (signifie) dormir ; le sens de signifie n’étant pas de l’ordre de la copule « est » mais plutôt de « veut dire » : roupiller veut dire dormir. Ce type de définition synonymique induit une conception autonymique du défini, la paraphrase définitionnelle pouvant se traduire par : le mot roupiller en langue familière (langue cible) signifie dormir en langue standard (langue source). Le dictionnaire monolingue, comme le dictionnaire bilingue, opère donc un transcodage d’une unité d’une langue à une unité de l’autre et l’information de contenu s’exprime d’abord dans une concordance de signes et non de signifiés référents. Les incidences sont doubles : • Du point de vue sémiotique : Roupiller assurerait une fonction désignative par rapport à dormir qui, par le biais de sa propre définition, assurerait la fonction significative. Certes, ces notions sont d’autant plus difficiles à manipuler en sémantique que nous sommes en présence d’unités verbales et non de noms concrets mais nous pouvons poser que la forme synonymique de la définition lexicographique présente l’entrée dormir comme renvoyant au référent dormir en utilisant le signe dormir, alors que l’entrée roupiller intervient comme un signifiant alternatif du signe dormir. Le type de définition synonymique induit une différence sémiotique fondamentale entre chacun des segments qu’il présente. Le défini marqué sera toujours considéré comme signe-autonyme, et seul le définisseur (donc nécessairement non marqué) pourra assurer la fonction de signe-signifié322. Ce n’est donc que par le biais du référent du définisseur que l’on peut atteindre le sens du défini. Ceci nous amène à considérer que la norme linguistique standard se présente comme interprétant du registre FAM. • Du point de vue des relations sémantiques : Cette présentation dictionnairique implique de poser la question de la relation synonymique, qui s’exprime en milieu hétérogène (marqué, « langue familière » / non marqué, « langue standard »). 321 Pour un développement de cet aspect du discours lexicographique, cf. REY-DEBOVE J., Le métalangage…, op. cit. 322 Selon les termes de REY-DEBOVE J., « La métalangue dans les dictionnaires bilingues », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., tome 3, p. 2859-2865. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 223 Deux termes sont posés comme vrais synonymes s’ils ont le même sémème, si l’on ne peut dégager de sèmes différentiels. Reprenant la terminologie de Pottier, on devra alors envisager que le type de glose choisi par le dictionnaire présente, par la relation synonymique, une équation sémique du type : Le sémème de A (défini) est égal au sémème de B (définissant)323. L’ensemble des traits qui constituent le sémème de roupiller ou de déglinguer se retrouve respectivement dans le sémème de dormir ou de disloquer, et réciproquement. C’est de cette identité que rend compte la définition lexicographique. Au-delà d’une équivalence de signe, et bien que la prédication définitoire (roupiller « dormir ») ne présente pas d’équivalence sémantique formelle, le référent de dormir et roupiller est supposé le même : En vacances, on roupille toute la matinée = en vacances, on dort toute la matinée324. Roupiller et dormir, déglinguer et disloquer, etc., sont supposés être interchangeables, sans que le sens de la phrase, sur le plan référentiel, n’en soit modifié. Cette hypothèse ne s’oppose pas aux travaux des synonymistes qui ont montré que l’équivalence totale n’existe pas, selon le principe structural du « besoin de différenciation » de toute langue325. Ils lui ont alors préféré la notion de quasi-synonymie. En effet, la relation synonymique, telle que présentée, est relativisée par la présence de la marque d’usage, qui s’interprète du côté de la connotation. Pour de nombreux auteurs, à l’instar de Robert Martin326, ce qui différencie policier de flic et donc, on peut le supposer, roupiller de dormir, est de l’ordre de la connotation, puisqu’il existe une identité de formule sémique entre chacun des termes, formant une paire d’équivalence. Dans la mesure où les patrons sémantiques sont les mêmes, la différence se situe ailleurs, au niveau de l’énonciation. Le lexique familier est alors envisagé comme une alternative énonciative du lexique standard (plus vulgaire, plus grossière), la marque FAM. faisant office de trait pertinent extra-linguistique. La variation registrale serait alors strictement pragmatique, énonciative, et n’assurerait aucune fonctionnalité au niveau du système linguistique lui-même. 323 POTTIER B., « La définition sémantique dans les dictionnaires », Travaux de linguistique et de littérature, n° 3, 1965, p. 33-41. 324 Le signe mathématique « = » nous semble plus adapté que l’ambiguïté de « signifie » ou « est », étant donné l’identité postulée de l’équation sémique des deux termes. 325 FREI H., La grammaire des fautes, Genève, Slatkine Reprints, 1972. 326 MARTIN R., Inférence, antonymie et paraphrase, Paris, Klincksieck, 1976, p. 98. 224 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nous le verrons plus loin (§ 5.4), cette conception est sujette à discussion. Elle suppose en effet que les connotations énonciatives restent localisées au niveau de l’effet pragmatique du discours, sans qu’il n’y ait de retentissement sémantique. Or, il est difficile d’envisager que les usages « vulgaires, grossiers » sont totalement déconnectés de leur composante sémantique. Pour l’heure, constatons que le dictionnaire, par ces procédures définitoires de type 1, entérine – et donc légitime – une relation selon laquelle le verbe familier décrit une alternative à une relation sémantique déjà inscrite dans le lexique. Le verbe n’est qu’une doublure d’une unité existante et, sans doute pouvons-nous avancer que cette présentation des termes marqués sous forme d’équivalent synonymique strict aboutit à « exclure les mots ainsi traités du système, puisqu’ils sont « traduits » et non définis comme le sont les mots de la langue standard »327. La notion traditionnelle de « registre de langue » se trouve ainsi institutionnalisée par le discours lexicographique qui justifie, au moyen d’un procédé définitoire synonymique, le statut désignatif des items marqués FAM., comme doublons d’items normés. Cette pratique lexicographique renforce une conception normative du lexique comme structure hiérarchisée où la marque lexicographique assure un rôle d’« avertissement » prescriptif, permettant de séparer « le bon grain de l’ivraie », les « beaux mots » des « vilains mots ». Ainsi que nous avons pu le développer aux § 1.2 et § 1.3, cette conception entérine un jugement de qualité sur la langue. 5.3.2. La définition par deux ou plusieurs définisseurs (type 2) Si l’on reprend notre comparaison avec la lexicographie bilingue, ce type de définition induit que le signe en langue cible (familier) n’a pas d’équivalent direct en langue source (standard). Cette présentation laisse supposer que la réalité dont il faut rendre compte n’existait pas exactement dans l’univers culturel du locuteur de la langue source. Deux options sont retenues par le lexicographe : a) Soit le définissant est constitué d’un définisseur polysémique, un second définisseur est alors nécessaire pour orienter la compréhension du premier et lever une possible ambiguïté. gamberger (2) « calculer, combiner » péter (3) « briser, casser » Dans ces cas, le second définisseur fait office d’excluant. 327 GIRARDIN C., « Contenu, usage social et interdits dans le dictionnaire », op. cit., p. 88. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 225 Afin de définir gamberger, ne seront retenus que les traits qui constituent le sémème de calculer pris dans le sens de « agir par calcul », c'est-à-dire « moyens que l’on combinent pour parvenir à ses fins ». Ou bien on pourrait dire que le définisseur de péter est le verbe briser au sens de casser (et non pas de déferler, « les vagues brisent la côte », ou encore de supprimer, « briser le courage, l’ambition »). b) Soit le définissant est compris comme la jonction du sémème de deux définisseurs. Nous sommes alors dans le cas d’un procès spécifié. dinguer « tomber, être projeté » rouscailler « réclamer, protester » Ici, le second définisseur fait office de conjonction, il oriente le procès de dinguer non pas en le réduisant, mais en le spécifiant : dinguer, c’est en quelque sorte « tomber violemment ». Tout le sémème de tomber est retenu, mais il est qualifié par un trait spécifique de projeté (le caractère violent). De la même façon, rouscailler, c’est « réclamer, par la protestation ». Cependant, il est parfois malaisé de distinguer ces deux cas, la notion de synonymie étant elle-même assez lâche. Ainsi, pour l’exemple suivant : se marrer « s’amuser, rire », doit-on comprendre que rire vient compléter le sémème de s’amuser (se marrer « s’amuser en riant ») ou le spécifier, le réduire (se marrer, c’est s’amuser au seul sens de rire et non pas de faire un jeu, par exemple). Il apparaît que la définition à deux définisseurs constitue une sorte de compromis entre une définition contextualisante et un strict équivalent de signe (définition de type 1). Cependant, dans la mesure où l’un des définisseurs se voit spécifié par l’autre, par restriction (a) ou conjonction (b), les définitions du type 1 et 2 sont à rapprocher du type 3, présenté ci-après. 5.3.3. La définition par définisseur + spécifieur (type 3) Nous avons considéré le définissant comme constitué d’un définisseur et d’un ou plusieurs spécifieurs, qui viennent en qualifier le procès. Ce type de définition rappelle la définition par inclusion, répertoriée comme la plus emblématique dans toutes les taxinomies, qui implique une relation d’hyponymie entre le défini et le définisseur, selon la formule suivante : Si la phrase « c’est un X » ou « c’est du X » implique unilatéralement « c’est un Y », ou « c’est du Y », alors X est hyponyme et Y hypéronyme. 226 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Ainsi : C’est une tulipe implique unilatéralement c’est une fleur. Alors que c’est une fleur n’implique pas nécessairement c’est une tulipe. Tulipe est l’hyponyme de fleur, qui lui est hypéronyme. Du point de vue de la logique classique, on représentera la relation comme suit : Si X hypéronyme et Y hyponyme, alors Y (Y ⊂ X et X ⊄ Y ). Fleur est hypéronyme de tulipe, la classe des tulipes est donc incluse dans la classe des fleurs, c'est-à-dire que les tulipes ont toutes les propriétés définitoires des fleurs et quelques supplémentaires qui les distinguent d’autres fleurs : des roses, des marguerites, etc. Cependant, cette relation n’est valable que pour les substantifs, la classe des verbes – nous l’avons précédemment noté – se prêtant difficilement à ce type de hiérarchisation des concepts. En effet, dans le cas des verbes, « au lieu d’une hiérarchie-être assurant le passage d’un niveau de généralité à un autre par intégration, on procède ici par stipulation d’une équivalence entre le sens d’un vocable simple et celui d’un groupe de deux termes ou plus, unis par une relation de détermination, de telle sorte que le déterminé est appréhendé comme plus général »328. Il est donc nécessaire, pour les verbes, d’étendre la compréhension que nous avons du concept d’inclusion de classes et, par là même, du concept de « différence spécifique » : l’incluant s’exprimant de façon périphrastique et la différence spécifique devenant une qualification, une détermination du verbe, une extension spécifiante. Dans ce contexte, nous parlons de relation hypo/hypéronique afin de nous situer dans le cadre des relations entre signes et non entre objets et, plus largement, d’hypéronymie lexicographique plutôt que strictement lexicale. Afin de déterminer les relations que le dictionnaire établit entre défini et définissant, nous avons utilisé le test d’hypo/hypéronymie, adapté aux verbes par D. A. Cruse329 et que Kleiber et Tamba formalisent comme suit : C’est un homme qui a assassiné quelqu’un ⊃ C’est un homme qui a tué quelqu’un Assassiner sera alors considéré comme hyponyme de tuer. KLEIBER G., TAMBA I., « L’hyponymie revisitée : inclusion et hiérarchie », Langages, n° 98, 1990, p. 30. 329 CRUSE D. A., Lexical semantics, Cambridge Textbooks in Linguistics, Cambridge University Press, 1986, p. 88 : « Where f ( X) is an indefinite expression, and represents the minimal syntactic elaboration of a lexical item X for it to function as a complement of the verb to be. » 328 Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 227 Par conséquent, aussi différents soient-ils, nous avons considéré les énoncés définitoires suivants comme instaurant une relation hypéronymique avec le défini : bâfrer « manger goulûment et avec excès » c’est un homme qui a bâfré le rôti c’est un homme qui a mangé le rôti ⊃ merdoyer « s’embrouiller dans une explication, dans des démarches maladroites » c’est un homme qui a merdoyé lors de son entretien c’est un homme qui s’est embrouillé lors de son entretien filocher « suivre (qqn) pour l’épier » c’est un homme qui filoche sa femme c’est un homme qui suit sa femme ⊃ ⊃ L’examen révèle que la relation hypéronymique est toujours orientée de la même façon, c’est-à-dire que l’hypéronyme correspond systématiquement au définisseur, donc à un verbe non marqué, l’hyponyme étant le verbe marqué. Nous pourrions représenter cette équation par : V. FAM. = V. non marqué + spécifieur Le procès marqué est proposé par le dictionnaire comme un équivalent d’un procès non marqué déterminé spécifiquement, et ce, toujours dans ce sens. Nous pouvons donc avancer, à nouveau, que l’inclusion référentielle du verbe marqué s’opère dans le verbe standard. C’est par le référent du verbe standard que l’on atteint celui du défini, du verbe marqué, à une différence spécifique près. D’un point de vue sémiotique, nous avons affaire à une condensation à un seul vocable marqué FAM., d’un verbe non marqué doublé d’une spécification. Par ailleurs, nous avons constaté que le spécifieur, venant caractériser le procès familier, porte systématiquement sur les circonstants du procès et qu’il est essentiellement une indication de la manière (plus rarement du moyen, de la cause ou de la finalité) dont le procès se réalise. bêcher « critiquer (qqn) vivement » dansoter « danser un peu » moucharder « surveiller en vue de dénoncer » emberlificoter « embrouiller qqn pour le tromper » Le définissant se manifeste principalement par un définisseur (hypéronyme), associé à un adverbe ou une locution adverbiale. C’est la forme traditionnellement constatée dans les relations hypo/hypéronymiques entre verbes330. Ainsi, apparaît-il que la détermination spécifique des verbes familiers porte sur la façon dont le procès se déroule. Elle a pour fonction de préciser leur mode d’action, plus rarement le moyen, l’instrument, ou sa finalité. C’est en 330 Cf. LYONS J., Éléments de sémantique, Paris, Larousse, 1978, p. 239. 228 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER quelque sorte une modalisation de la réalisation de l’action qui fait partie des propriétés définitionnelles du défini comme l’induit la relation hypo/hypéronymique unissant le défini et le définisseur. En effet, si syntaxiquement ce spécifieur relève de l’extension du définisseur, des circonstants (donc facultatif dans la réalisation de ce dernier), sémantiquement il s’avère être totalement indispensable à la caractérisation du défini, selon le principe de non récursivité de la relation hypéronymique : si je dansote, je danse (un peu), alors que si je danse, je ne dansote pas forcément. La modalisation « un peu » est donc un trait définitoire qui permet de différencier les procès du verbe non marqué danser et du verbe marqué dansoter ; « un peu » ne peut alors être compris comme un qualificatif, mais bien plutôt comme une délimitation du procès de dansoter. Cet élément est essentiel car il nous permet de soutenir l’hypothèse selon laquelle le spécifieur, c'est-à-dire l’élément de modalité ou de finalité, vient déterminer le définisseur non marqué et donner son identité originale au défini marqué. Par conséquent, si la conception nominale de l’hypo/hypéronymie doit être adaptée à un corpus verbal, ses implications restent valables en termes de détermination sémantique, c’est-à-dire de constitution d’une classe différenciée et non pas simplement d’une qualification. Cela nous conduit à considérer tulipe et dansoter comme des hypéronymes respectifs de fleur et danser, c’est-à-dire que tulipe et dansoter sont, selon nous, des classes d’ « objet » respectivement intégrées à la classe de leur super-ordonné fleur et danser. Il existe le même rapport déterminatif de classe entre tulipe et fleur qu’entre danser et dansoter ; dansoter n’est donc pas une modalité qualificative de danser mais une modalité déterminative. L’hypéronymie lexicographique rend donc compte par une spécification, notamment, des circonstants du procès, de traits sémantiques distinctifs entre verbe FAM. et verbe non marqué. D’un point de vue ensembliste, on dira que la définition dictionnairique de type 3 retient, de l’analyse sémique, les traits qui permettent de distinguer deux items classés sous un même hypéronyme et qui sont son essence même. Cette relation pourrait alors se définir comme suit : le sémème de A est un sous-ensemble du sémème de B si tout sème du sémème de A est aussi un sème du sémème de B. Ainsi : le sémème de manger est un sous-ensemble du sémème de bâfrer, car tout sème du sémème de manger est aussi un sème du sémème de bâfrer. Il faudra donc considérer : bâfrer ⊃ manger, puisque manger a n sèmes et bâfrer n sèmes + x, x étant une qualification du procès de manger. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 229 Le spécifieur, dans ce cas, assure le rôle de trait pertinent, permettant de distinguer le verbe marqué de son hypéronyme non marqué, la forme de l’énoncé lexicographique choisie en étant le témoin. Contrairement aux définitions à deux définisseurs (type 2) qui rendent compte, implicitement, de ce « supplément » sémantique, la définition du type 3, définisseur + spécifieur, l’entérine par effet de focalisation. Les deux verbes deviennent tout à fait autonomes du point de vue référentiel, même s’ils s’inscrivent dans un réseau sémantique commun. La configuration est ici très différente de la définition de type 1 dans la mesure où le procès familier ne trouve pas d’équivalent strict dans le lexique, mais prend ancrage dans une unité lexicale déjà existante, qu’il vient modifier, afin de constituer un concept original. 5.3.4. La définition par définisseur non prédicatif + spécifieur (type 6) Ce type de définition, assez peu exploitée par la réflexion métalexicographique, semble tout à fait spécifique aux entrées verbales (or, nous l’avons dit, la description métalexicographique se fonde principalement sur des entrées nominales). Elle pourrait s’apparenter aux définitions par « faux-incluants » décrites brièvement par Josette Rey-Debove331, mais aussi à la définition descriptive de Bernard Quemada. Le terme de définisseur non prédicatif n’est sans doute pas très heureux puisqu’il renvoie à des réalités différentes. Mais ce sont bien des définisseurs verbaux non autonomes, supports du prédicat, que nous avons regroupés dans cette catégorie332. Il s’agit : - des verbes opérateurs, des auxiliaires, des verbes supports favorisant une prédication nominale : magouiller « se livrer à des magouilles » gaffer (3) « faire attention » frimer « chercher à en imposer » - ou encore des verbes sémantiquement légers (vs verbes sémantiquement pleins) inclus dans des locutions verbales ou collocations : cachetonner « courir le cachet » époustoufler « jeter (qqn) dans l’étonnement » kiffer « prendre du plaisir » REY-DEBOVE J., Étude linguistique…, op. cit., p. 239. Sur les verbes supports, les verbes sémantiquement légers, les verbes non prédicatifs, voir RIEGEL M., PELLAT J.-C., RIOUL R., La grammaire méthodique du français, Paris, P.U.F., 1994, et aussi ALONSO-RAMOS M., Étude sémantico-syntaxique des constructions à verbes supports, thèse de doctorat, université de Montréal, 1998, chap. 2. 331 332 230 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER - ainsi que des verbes copules à valeur aspectuelle : cocufier « faire cocu » indifférer « rendre indifférent » Il n’est pas possible de considérer, par exemple, prendre ou jeter comme des hypéronymes de époustoufler ou kiffer. Pour que la prédication définitionnelle hypéronymique soit vraie, il faut que la substitution entre défini et définisseur s’opère sans autre modification de la phrase333. Ici, on ne peut poser que p => q, si p = kiffer un film et q = prendre. Dans ces cas, il n’y a pas même d’inclusion minimum. En revanche, l’intégralité de la prédication définitionnelle est vraie, kiffer = prendre du plaisir, ce qui permet à Josette Rey-Debove de parler de faux incluants. Nous pouvons rapprocher cette définition de type 6 de la définition interprétative334, dans la mesure où elle associe une séquence de mots qui a pour fonction de décrire le sens. Le définisseur n’a pas d’existence de sens en tant que mot isolé et il est profondément modifié par la suite de la définition. Par la description directe du contenu du signe, la définition assure donc une fonction pleinement référentielle. Comme pour la définition de type 3, il n’est pas possible de mettre en relation un définisseur non marqué servant de référence au défini marqué ; ce dernier est une unité lexicale autonome du point de vue verbal335. En revanche, ces syntagmes à usage prédicatif se différencient de ceux de type 3 en ce que la prédication est portée par le spécifieur et non par le définisseur. C’est donc sur la restriction actancielle336 que porte la détermination spécifique et non, comme dans le type précédent, sur une spécification circonstancielle : picoler « boire du vin, de l’alcool » petit-déjeuner « prendre le petit-déjeuner » engueuler « adresser des injures, une vive réprimande à qqn » 333 « On appelle hypéronyme (ou vocable générique) d’un vocable D un vocable d tel que la substitution de d à D dans p sans autre modification, conduit à une phrase telle que (p => q) », MARTIN R., Pour une logique du sens, op. cit., p. 60. 334 Selon la terminologie de A. Naess reprise dans RIEGEL M., « Définition directe et indirecte dans le langage ordinaire : les énoncés définitoires copulatifs », Langue française, n° 73, 1987, p. 29-53. 335 Nous verrons plus loin au § 5.4.1.2, que certains de ces items sont liés sémantiquement à des bases nominales marquées dont ils assurent la fonction prédicative. Pour autant, au strict niveau verbal, nous ne pouvons postuler un équivalent entre défini marqué FAM. et définisseur non marqué. 336 Actant étant entendu ici au sens le plus large de constituants immédiats. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 231 C’est dans la sélection des arguments du verbe support à la prédication que le verbe marqué trouve toute sa singularité et non dans la qualification du procès. La spécificité des verbes FAM. joue pleinement un rôle de conceptualisation du procès, alors que précédemment (notamment pour les définitions de type 3), elle jouait un rôle de détermination. De plus, dans un certain nombre de cas, le prédicat (étendu) se voit spécifié : fliquer « exercer (sur qqn) une surveillance policière » fouiner « se livrer à des recherches méticuleuses » galérer « se lancer dans des entreprises hasardeuses » Là encore, cette spécification s’avère essentielle sous peine de rendre la prédication définitionnelle fausse. En effet, la différence entre fliquer et surveiller (exercer une surveillance) réside dans la qualification policière. De la même façon, fouiner n’est pas simplement rechercher (se livrer à des recherches), mais le faire de façon méticuleuse. Fouiller de façon grossière non méticuleuse n’est pas un équivalent phrastique de fouiner. Autrement dit, au-delà de la spécification des actants, ce sont les qualités qui leur sont attribuées qui deviennent pertinentes à la définition du verbe marqué : picoler, c’est certes boire du liquide, mais du liquide alcoolisé petit déjeuner, c’est certes prendre un repas, mais celui du petit déjeuner etc. Ce qui semble différencier les définitions de type 3 (définisseur + spécifieur) et celles de type 6, qui nous occupent ici, c’est la cible sur laquelle porte la détermination du verbe FAM. par rapport au verbe non marqué. Dans le premier cas (type 3), il s’agit du procès lui-même, dans le second (type 6), des actants en jeu. Néanmoins, dans les deux cas, le spécifieur porte sur le prédicat et lui donne toute sa substance, toute son autonomie. Pour chacun de ces types, 3 et 6, il n’y a pas d’identité de contenu entre les deux termes, défini marqué et définisseur non marqué. Nous verrons cidessous comment cette spécification fonde la familiarité lexicale. 5.3.5. Les définitions mixtes (types 4, 5, 7, 8) Les définitions mixtes337, ou multiples, combinent plusieurs des procédés mis en évidence précédemment : 337 QUEMADA B., Les dictionnaires du français moderne…, op. cit., p. 458. 232 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER • La définition de type 4 engueuler « se disputer, se quereller de façon violente » Elle combine une définition de type 2 présentant deux définisseurs (« se disputer, se quereller ») avec un spécifieur venant s’accrocher sur les deux définisseurs (« de façon violente »), formant ainsi une définition de type 3. • La définition de type 5 cramer « brûler complètement, se consumer » Elle combine une définition de type 3 présentant un définisseur (« brûler ») et un spécifieur (« complètement ») avec une définition de type 1 quasisynonymique (« se consumer »). • La définition de type 7 lézarder « faire le lézard, paresser au soleil » Elle combine une définition de type 6, c’est-à-dire une prédication nominale (« faire le lézard ») avec une définition de type 3 dont le définisseur (« paresser ») est spécifié par « au soleil ». • La définition de type 8 banquer « donner de l’argent, payer » Elle combine une définition de type 6 (« donner de l’argent ») avec une définition de type 1 quasi synonymique (« payer »). Nous renvoyons, pour chacune de ces définitions, aux types 1, 2, 3 et 6 qui les composent. La conjonction de deux types de définition témoigne de l’impossibilité de recourir à un seul définisseur non marqué pour avoir une glose satisfaisante. Les définitions mixtes répondent à une nécessité d’explicitation par conjonction ou exclusion de différents sens. Leur forte présence confirme une hypothèse évoquée précédemment (§ 2.1.3.3) : la familiarité lexicale serait un moyen d’économie des coûts linguistiques (le verbe familier trouvant principalement un équivalent périphrastique, constitué d’une succession de lexèmes non marqués). Mais, au-delà de l’argument mathématique, il s’agit de percevoir que le verbe non marqué vient combler un vide, lexématique et sémantique, laissé en langue. Il est donc, en ce cas, une unité autonome d’un point de vue référentiel. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 233 5.3.6. Les renvois (type 9) Le dernier type de définition mis en évidence est très différent de tous ceux que nous avons pu observer jusqu’à présent. C’est d’ailleurs un procédé relativement marginal, seuls 15 items ont été relevés. Il a ceci de particulier qu’il ne peut être considéré comme une prédication définitoire. Il fait écho à la notion d’analogie, telle qu’elle est utilisée en lexicographie, notamment par les dictionnaires des Éditions Robert. Il se distingue des types définitionnels par synonymie ou hypéronymie, par le signe graphique « => » ou la mention [cf.]. C’est une relation associative qui unit le défini et l’unité du renvoi lexical et qui permet de constituer des champs associatifs lexicaux. Ainsi, les renvois orientent-ils simplement le lecteur vers une autre entrée du dictionnaire, selon deux paramètres : • Une équivalence de sens338 : dégobiller « => vomir » droguer « => attendre » piailler « => crier » Bien que le renvoi n’indique pas une unité lexicale interchangeable en contexte, il permet au lecteur de localiser une unité proche de l’entrée de départ (ils sont alors à rapprocher des définitions de type 1)339. • Un rappel de forme : glavioter [cf. GLAVIOT] mendigoter [cf. MENDIGOT,E] C’est alors un renvoi immédiat à l’entrée qui sert de base à leur construction, sans complément informatif. Ils font office d’énoncés morphosémantiques. Nous venons de le voir en détaillant chacun des modèles de définition retenu dans notre typologie : nous n’avons pas retenu la définition morphoC’est là une spécificité du Robert Électronique. Dans la version « papier », le verbe est simplement mentionné à la fin de l’article de la base et n’est pas une entrée autonome. 339 Josette Rey-Debove considère le renvoi non pas comme une équivalence de signe mais comme un outil permettant de trouver un mot inconnu en situant ce dernier dans un « cadre » déterminé par les synonymes, antonymes, quasi-synonymes, hyponymes, c'est-à-dire comme un outil répondant aux besoins onomasiologiques au sens le plus large (REY-DEBOVE J., « Le traitement analogique dans les dictionnaires monolingues », in HAUSSMANN et al., Wörterbücher, ein internationales Handbuch zur Lexikographie, op. cit., tome 1, p. 636). Cependant, étant donné le manque de lisibilité de cette fonction par les utilisateurs du dictionnaire, nous préférons les considérer, comme les locuteurs usuels, comme une équivalence de signe. 338 234 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER sémantique comme un type particulier. En effet, nous l’avions signalé dans le commentaire à propos des typologies traditionnelles340, nous pensons qu’elle ne relève pas d’un même niveau d’analyse que celui que nous avons opéré : le lien morphologique qui lie le défini à son définisseur n’est pas une alternative à un lien hypéronymique ou synonymique ; l’un n’excluant pas l’autre. Ainsi, avons-nous considéré le caractère morphosémantique de la définition comme une propriété susceptible de traverser chacun des types définitionnels mis en évidence. Nous avons donc réservé un examen détaillé aux éléments morphosémantiques, en tant que propriétés transversales des procédures définitionnelles, que nous présentons dans la section suivante. 5.3.7. Les éléments morphosémantiques dans la définition Les définitions morphosémantiques, souvent appelées dérivationnelles, consistent à décrire une relation d’équivalence entre des formants et des mots, dans un rapport de dérivation. Elles correspondent à une « prédication définitionnelle [qui] institue l’identité des contenus en la soutenant par une identité partielle des formes »341, ce qui a l’intérêt de mettre en évidence le sens des affixes et les formes de combinaisons sémiques ou, plus largement, les relations du mot-dérivé avec sa base ; c’est pourquoi on les appelle aussi « définitions relationnelles ». Ce moyen définitoire est souvent donné comme le plus fréquent dans les dictionnaires monolingues (parce que le plus simple et le plus économique), pourtant cela ne se vérifie pas dans notre corpus (85 items, soit 20%). C’est la singularité de notre corpus qui pousse le lexicographe à réduire le recours aux gloses morphosémantiques. En effet, pour les entrées marquées FAM., elles nécessitent qu’il utilise des termes eux-mêmes marqués FAM. dans la définition. Or, cela irait à l’encontre des contraintes lexicographiques. Si cela est rendu possible, c’est que l’équation sémique induite par la définition morphosémantique (se cuiter « prendre une cuite ») n’est pas de l’ordre de se cuiter signifie prendre une cuite, mais bien plutôt se cuiter est lié, dans l’organisation morphosémantique du lexique, à la locution prendre une cuite. La relation entre le défini et le définissant est donc autonymique. Prendre une cuite ne dépend pas du discours lexicographique, mais d’un métadiscours lexicographique. Ce n’est qu’à cette condition que le lexicographe peut recourir à ce procédé, sans contrevenir aux règles lexicographiques. Dans ce contexte, on comprend qu’il soit rarement fait usage d’éléments morphosémantiques. 340 341 Voir infra § 5.2.2. REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 219. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 235 Ce type de définition pourrait se rapprocher du type 1. Cependant si elle est un discours sur le signe, elle décrit aussi le contenu du signe lui-même, par l’explicitation de sa construction et serait donc plus proche du type 3 ou 6342. Ce sont ces aspects qui nous ont conduite, comme nous l’avons annoncé, à ne pas considérer la présence d’indications morphosémantiques au sein d’une définition lexicographique comme propriété permettant de différencier un type de procédé définitoire d’un autre. Au contraire, nous remarquons que le recours à un terme morphosémantiquement lié au défini, ne servant pas systématiquement le même objectif, se retrouve dans chacun des types observés : • Les définitions lexicographiques explicitent les opérations d’affixation (5/85 items): recaser « caser à nouveau » revouloir « vouloir à nouveau » dansoter « danser un peu » gratouiller « gratter légèrement » grognasser « grogner de façon continuelle » Le dérivé est défini comme une modalisation du verbe-base qui lui sert de définissant. C’est alors une définition de type 3. Le définisseur est le verbe-base et le spécifieur correspond à la glose de l’affixe (par un adverbe ou une locution adverbiale). Cependant, le dictionnaire n’a pas systématiquement recours à ce type de glose et, parfois, la définition dictionnairique se limite à un (ou deux) synonyme(s), laissant alors inexpliqué le rapport sémantique de l’opération d’affixation (5/85 items) : traficoter « trafiquer » rager « enrager » bavasser « bavarder » rôdailler « rôder, traînailler » tournicoter « tourner, tourniquer » Il s’agit d’une définition de type 1 ou 2. • L’élément morphosémantique renvoie à une autre unité lexicale de même « famille » (6/85 items): bigophoner « [cf. bigophone] » crachouiller « => crachoter » dépoitrailler (se) « [cf. dépoitraille, e] » glavioter « [cf. glaviot] » mendigoter « [cf. mendigot,te] » talocher « [cf. taloche] » Ces cas sont relativement marginaux. 342 Les éléments morphosémantiques concernent principalement les gloses des mots construits. 236 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER • Les opérations prédicatives morphosémantiques les plus régulières sont décrites par le lexicographe à partir d’une définition de type 6 (36/85 items) : biser « donner des bises à (qqn) » bécoter « donner des bécots » sandwicher « mettre en sandwich » indifférer « être indifférent à » laïusser « faire des laïus » blaguer « faire des blagues » Nous retrouvons ici des constructions à prédications nominales utilisant des auxiliaires, des verbes supports ou des verbes sémantiquement légers, permettant de formaliser le lien entre le dérivé (défini) et sa base (noyau du définissant)343. La définition devient alors une description du référent, que la base réfère à une propriété (la définition sera alors attributive) ou qu’elle soit un complément de verbe, principalement objet direct. • Quant aux constructions irrégulières, les définitions en rendent compte en explicitant le lien morphologique par un rappel de la base qui devient un complément circonstanciel du verbe définissant. Elles correspondent alors à des définitions de type 3, dans les cas les plus simples (12 items/85) : cafarder « dénoncer en faisant le cafard » esbroufer « en imposer à quelqu’un en faisant de l’esbroufe » • Mais, le plus souvent, le lexicographe a recours à des définitions mixtes qui permettent d’éclairer au mieux ces opérations morphosémantiques complexes (21/85 items) : se biler « s’inquiéter, se faire de la bile » criser « perdre le contrôle de ses nerfs, piquer sa crise » lézarder « faire le lézard, paresser au soleil » zoner « mener une existence marginale, vivre en zonard » Un syntagme synonymique est ajouté à la mention de la base, la redondance permettant d’expliciter la définition. Cette dernière est constituée de deux éléments, un premier syntagme en relation de synonymie avec le défini, puis un second stipulant le lien morphologique du défini avec la base dont il est dérivé. Cette information formelle apparaît préférentiellement en position seconde, c'est-à-dire après une première information synonymique, ce qui pourrait s’expliquer par la visée didactique du dictionnaire, rendant explicites des « familles de mots ». Néanmoins, la clarification n’est pas seulement morphologique, puisqu’elle concerne les verbes dérivés à partir de bases en emploi tropique ou intégré à une locution verbale. L’éventuelle ambiguïté entre une signification « propre » ou « figurée » de la base est levée par la présence d’un syntagme synonyme, qui oriente alors la lecture sémantique des éléments présentés. 343 Pour une présentation détaillée des rapports existant entre base et dérivé, voir chapitre 4. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 237 Soit l’exemple suivant : criser « perdre le contrôle de ses nerfs, piquer sa crise » La locution verbale « piquer sa crise » permet de cerner plus précisément la signification de la paraphrase « perdre le contrôle de ses nerfs ». Sans la locution verbale à la source du dérivé, le procès pourrait être compris comme relevant du domaine médical. Ce n’est que par la précision « piquer sa crise » (et non pas « piquer une crise, de spasmophilie, de tétanie, etc. ») que l’utilisateur du dictionnaire s’assure d’une plus juste compréhension de l’entrée. Autrement dit, les deux éléments (synonymique et morphologique) s’éclairent l’un l’autre : la périphrase synonymique lève l’ambiguïté la relation de dérivation et la mention de la base permet à l’utilisateur de retrouver le lien tropique qui unit le dérivé à la base. La mention des constituants morphologiques dans la définition dictionnairique constitue véritablement un complément d’information sémantique. Ces aspects sont traités plus en détail au § 5.4.1.2, nous retiendrons seulement que ce type de définition dictionnairique va dans le sens de l’hypothèse proposée dans le chapitre précédent : le sens familier des termes n’efface pas leur sens « propre », au contraire, il l’active (ou le réactive) et la définition dictionnairique rend compte de cette survivance de l’image fondamentale, comme dans les exemples suivants : lézarder, zoner, criser, etc. 5.3.8. Une organisation du lexique « orientée » L’observation des définitions du corpus met en lumière plusieurs caractéristiques du lexique FAM. et, en premier lieu, le rapport que le lexicographe établit entre lexique standard et lexique non marqué. A l’exception des segments morphosémantiques intégrés aux définitions, il apparaît que le défini l’est toujours par le biais d’un définisseur non marqué, selon deux types de configurations : la définition indirecte et la définition directe. La définition indirecte est fondée sur la réflexivité des signes linguistiques. Ce type de définition, synonymique, est de l’ordre de l’énoncé autonymique, de la variante dénominative, c'est-à-dire que la définition renseigne le lecteur par une équivalence de signe, comme le ferait la lexicographie bilingue. Le définisseur fonctionne comme traduction du verbe marqué et, de ce fait, le rejette aux marges du système. banquer « payer » roupiller « dormir » 238 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER La définition directe présente le contenu du défini. Ces définitions, par définisseur (prédicatif ou non prédicatif) + spécifieur, donnent une description de la catégorie référentielle du défini, informent sur le type de procès mais, là encore, à partir d’un définisseur non marqué. La définition est ici de type significatif selon la conception traditionnelle de la signification comme « contenu du signifié saussurien (…) produit par la pression du système et repérable par le jeu des oppositions paradigmatiques et des contrastes syntagmatiques »344. baffer « manger gloutonnement et avec excès » engueuler « se disputer, se quereller de façon violente » Dans les deux cas, le définisseur est systématiquement une unité lexicale non marquée, qu’il assume une fonction dénominative, autonymique ou réellement significative au sein de la définition. La représentation lexicographique de l’organisation du lexique positionne toujours le verbe standard comme support de la relation, qu’elle soit synonymique, hypéronymique ou simplement syntagmatique. C’est donc à partir des propriétés des définisseurs non marqués que sont déduites les propriétés du défini marqué, en équivalence ou en restriction. Le lexique familier est exposé, ou devrions-nous dire conceptualisé, en fonction du registre standard et en référence à celui-ci. La norme linguistique et sociale se trouve clairement affirmée, par les procédés de définition choisis, dans son rôle de norme-étalon, et le mode de représentation du lexique familier n’est conçu qu’à partir de cette dernière. Contrairement à ce que peut supposer la conception normative de la notion de registre rappelée précédemment, cela ne signifie pas pour autant que les liens entretenus avec les définisseurs non marqués soient homogènes. En effet, notre classement permet de relever la diversité des liens qu’entretiennent les verbes marqués et non marqués, de la dénomination à la signification : - certaines entrées sont présentées comme équivalents paradigmatiques de verbes non marqués qui existent déjà dans le lexique (type 1), le procédé définitoire pointant l’identité des procès du défini et du définisseur : becter « manger » roupiller « dormir » - d’autres sont une modalisation du procès, le spécifieur assurant un rôle de détermination (type 3), le définisseur étant un hypéronyme du défini : bâfrer « manger avec excès » bidouiller « arranger en bricolant » 344 DUBOIS et al., Dictionnaire de linguistique, op. cit., p. 433. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 239 - d’autres enfin actualisent une prédication nominale par le recours à des locutions ou des verbes sémantiquement légers, par équivalence syntagmatique (type 6) : kiffer « prendre du plaisir » engueuler « adresser des injures » L’hétérogénéité de ces relations, que nous considérons dans une dimension dynamique de continuum, est restituée sur l’axe présenté ci-après. Cette représentation permet d’intégrer les types de définitions mixtes (type 4, 5, 7, 8), mais aussi les types 2 (définisseurs multiples) et 9 (renvois). De plus, tout au long de notre travail de classement, nous avons été confrontée, comme pour toute élaboration taxinomique, à l’impossibilité de considérer ces catégories comme « étanches », c’est pourquoi nous insistons sur la représentation sur un axe continu, difficilement repérable dans une schématisation en deux dimensions. Définition par équivalent syntagmatique Définition par hypéronymie paradigmatique CATÉGORISATION DES PROCÈS DÉTERMINATION type 6 Définition par équivalence paradigmatique IDENTITÉ DES PROCÈS type 3 type 7, 8 type 1 type 2, 4 type 5 type 9 Figure 8 : Schématisation des relations sémantiques entre défini FAM. et définisseur non marqué Cette schématisation reprend, sous d’autres traits, celle d’André Collinot345 qui a envisagé, pour les noms hypéronymes, une gradation entre une hypéronymie syntagmatique et une hypéronymie paradigmatique. COLLINOT A., « L’hyponymie dans un discours lexicographique », Langages, n° 98, 1990, p. 60-69. 345 240 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Elle a l’intérêt de proposer une certaine souplesse dans la représentation de la notion de classe d’inclusion, ce qui permet de présenter une organisation du lexique au plus près de la représentation lexicographique qui en est faite. Cela revient à assigner aux synonymes (définition de type 1) une valeur d'incluant particulier (définition de type 3). Le définisseur est alors compris comme le terme « générique » le plus proche et le plus spécifique d’un concept, « le synonyme est le dernier incluant de la chaîne, si étroit qu'il n'inclut plus que le défini auquel il s'identifie »346. Quant à la définition par définisseur non prédicatif (de type 6), non autonome, elle trouve ainsi une cohérence avec l’ensemble du système définitionnel, étant située à l’extrémité de la chaîne des incluants sur la chaîne syntagmatique, et elle permet de concevoir des définissants aussi divers que complexer « donner des complexes à qqn », débarbouiller « tirer d’affaire, d’embarras », cocufier « faire cocu ». Le principal intérêt de cette schématisation est qu’elle permet de rendre compte du fait que l’inclusion des verbes marqués dans la classe des verbes non marqués, n’induit pas systématiquement le même ordonnancement, et donc le même lien à l’unité non marquée qui sert de définisseur. Par exemple, les verbes saucissonner, bâfrer, becter, appartiennent respectivement à une classe incluse dans la classe du verbe manger, non marqué, sans pour autant que le lien unissant manger à saucissonner, manger à bâfrer et manger à becter soit identique. En effet, le rapport hiérarchique qui lie manger à saucissonner « manger un repas froid sans couvert ou sans table mise », à bâfrer « manger gloutonnement et avec excès », et à becter « manger », n’est pas du même ordre, car ce ne sont pas les mêmes capacités d’intégration définitoires du définisseur auxquelles il est fait appel. Les divers types de définitions que nous venons de développer (§ 5.2) obligent à concevoir divers degrés de relation entre lexique marqué et non marqué, plus ou moins lâches347 : par équivalence (type 1), par modalisation (type 2), par catégorisation ou, préférons-nous dire, par équivalence syntagmatique (type 6). De ce point de vue, l’unité FAM. est plus ou moins autonome par rapport à son définisseur non marqué. Si dans le cas de becter, on peut concevoir une sorte de duplication d’une unité déjà existante en langue, rien de tel ne peut être constaté pour bâfrer. Bâfrer est une unité qui vient s’ajouter au stock lexical, car elle n’a pas véritablement d’homologue ; elle vient sans doute nuancer des unités déjà existantes (dévorer, engloutir) et remplit, en quelque sorte, un vide lexical. Cela est d’autant plus manifeste pour les items glosés par le type définitoire n° 6, cocufier, complexer, copiner, cornaquer ne sont en REY-DEBOVE J., Étude linguistique et sémiotique…, op. cit., p. 232. Ce qui explique, en autres choses, que les traits définitionnels retenus par chaque dictionnaire puissent varier. 346 347 Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 241 aucun cas des doublons d’unités leur préexistant, mais bien des apports autonomes qui comblent les manques, les lacunes lexicales laissées en langue. Nous pouvons, au terme de cette description, souligner deux points essentiels. Tout d’abord, l’organisation lexicale est strictement orientée vers le lexique non marqué. Si les définitions lexicographiques rendent compte d’une hiérarchisation lexicale (au sens neutre de super-ordonné ou sous-ordonné), c’est toujours en référence aux termes non marqués. La relation d’équivalence, qu’elle soit paradigmatique ou syntagmatique, est donc toujours envisagée en milieu non homogène (marqué/non marqué). La définition lexicographique permet de reconnaître des relations lexicales entre différentes zones du lexique, mais elle ne nous renseigne jamais sur la structuration interne au lexique FAM. Cette position confirme que l’attitude normative (qu’elle soit assumée ou consécutive à une tradition des pratiques lexicographiques) implique, comme le décrit Wagner, que l’on ait discerné des niveaux entre plusieurs manières de s’exprimer, hiérarchisé ces niveaux et conféré à l’un d’eux la dignité de modèle 348, et évince toute une partie du lexique de la description générale. Le choix de la présentation lexicographique relègue le lexique marqué, et marqué FAM. en particulier, au rang de sous-lexique dont l’organisation interne importe peu, car il n’aurait de fonctionnalité que par rapport à un « sur-lexique », le standard. Nous pourrions alors soutenir, comme le remarquait Denis Delaplace, que « les marques d’usage fonctionnent assez souvent comme un moyen expéditif pour se dispenser d’un traitement sémantique plus approfondi »349. En d’autres termes, la pratique lexicographique, contraintes par les normes socioculturelles, s’affranchit de toute une partie de la description intralinguistique. Cependant, c’est notre second constat, si les gloses sont systématiquement orientées vers le lexique non marqué, il n’en reste pas moins qu’elles présentent une certaine hétérogénéité, dans les relations entretenues entre lexique FAM. et lexique non marqué. Cela permet de relativiser la portée de la conception de registre de langue FAM. comme « double » de la langue standard. En effet, si certains items familiers font écho à d’autres unités déjà présentes en langue, ce constat ne peut être généralisé et ne peut être utilisé comme règle interprétative de la notion de registre de langue. La formule « dire la même chose en le disant différemment » ne s’applique pas ici. Le lexique FAM. ne peut se réduire à une WAGNER R.-L., Les vocabulaires français, vol. 2, Paris, Didier, 1970, p. 37. DELAPLACE D., « Notes pour l’étude linguistique du vocabulaire dit familier », Cahiers de lexicologie, n° 76, 2000, p. 117. 348 349 242 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER doublure du lexique non marqué, et l’essentiel des unités lexicales qui le composent doivent être considérées comme un « autre » mot, et non comme « un autre du mot » standard, pour reprendre la formule de Gérard Petit350. Cela nous conduit à interroger la dimension connotative du lexique familier. 5.4. FAMILIARITÉ, CONNOTATION ET REGISTRE DE LANGUE A partir des définitions dictionnairiques observées, nous avons mis en évidence des traits sémantiques caractéristiques des procès marqués FAM. Quant aux structures syntaxiques, si elles ne sont pas en correspondance exacte avec les structures sémantiques, il n’en reste pas moins qu’« elles permettent aux mots de fonctionner et par conséquent de produire des effets de sens »351. Aussi, ont-elles également fait l’objet d’un examen, l’objectif étant d’interroger les spécificités des procès observés, qui en font des verbes considérés comme familiers. 5.4.1. Particularités sémantiques des procès FAM. Nous avons examiné la spécification sémantique des procès familiers, à partir des procédés définitoires exposés ci-dessus, afin de mettre en évidence ce qui, dans la relation défini/définissant, relève ou non de la connotation. 5.4.1.1. Les spécifieurs modificateurs Au chapitre précédent, nous avons abordé cet aspect par le biais des constructions, notamment suffixales, des unités marquées. Nos observations mettaient au jour une corrélation entre quantification et familiarité, par la péjoration. Nous avons en effet montré, au § 4.2.1.1, que l’adjonction d’un trait sémantique venant modifier le procès de base, par un suffixe ou un préfixe, conduisait les locuteurs à porter une appréciation négative sur le procès dérivé. Ainsi, dansoter est-il la face péjorative de danser, traînailler celle de traîner, pendouiller celle de pendre, etc. L’hypothèse soutenue est que la familiarité lexicale est liée à l’interprétation d’une modulation fréquentative, diminutive ou augmentative du procès, c’est-à-dire que les traits sémantiques quantitatifs en langue induisent une évaluation qualitative en discours. PETIT G., « Approche lexicale et sémantique du vocabulaire familier », Cahiers de lexicologie, n° 72, 1998, p. 5-40. 351 PICOCHE J., Structure sémantique du lexique français, Paris, Nathan, 1986, p. 67. 350 Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 243 Nous confirmons ici cette hypothèse et proposons de l’élargir. Si l’on observe en détail le type de spécifications apportées au définisseur, afin de gloser un procès familier, force est de constater qu’elles ne sont pas tout à fait innocentes352. Ainsi, les spécifications adverbiales que nous avons mentionnées dans les définitions de type 3, orientent-elles le mode de réalisation principalement du côté d’une augmentation ou diminution de l’intensité du procès, bien au-delà des constructions suffixales : biberonner « boire souvent et avec excès » bouffer « manger gloutonnement » braire « ennuyer profondément » bêcher « critiquer vivement » se poiler « rire aux éclats » se bidonner « rire beaucoup » se rebiffer « refuser de se laisser mener ou humilier, avec vivacité et aigreur » Cette modulation de l’intensité n’est pas seulement marquée par des adverbes, elle peut l’être par chacun des éléments que nous avons considérés comme spécifieurs, qu’ils interviennent au niveau de la réalisation de l’action : amocher « blesser par des coups » courser « poursuivre à la course » fliquer « exercer une surveillance policière sur qqn » ou de sa finalité : farfouiller « fouiller en bouleversant tout » moucharder « surveiller, en vue de dénoncer » De la même façon, le procès peut se voir minimisé : pendouiller « pendre d’une manière ridicule, mollement » chaparder « dérober, voler de petites choses » toquer « frapper légèrement, discrètement » asticoter « agacer, harceler, pour de petites choses » rabibocher « réparer d’une manière sommaire, provisoire » Autrement dit, la marque FAM. vient signaler des procès dont la réalisation est intensifiée ou au contraire minimisée par rapport à un verbe standard qui lui servirait d’incluant. La spécificité sémantique qui permet au procès familier de se distinguer de son incluant standard réside dans le fait qu’il est réalisé d’une façon qui n’est pas celle attendue, qui n’est pas celle habituellement observée. C’est cette spécificité qui se voit pointée par la marque FAM. Catherine Kerbrat-Orecchioni considère ce type d’item comme des subjectivèmes353, c’est-à-dire des verbes dont l’appréciation affective ou évaluative est réalisée sur le procès, à la fois par le sujet de l’énonciation et l’agent lui-même, et elle les place du côté de la connotation. D’autres auteurs parlent d’hypo- 352 Pour reprendre une expression propre à Jackie SCHÖN, « Les tournures familières ne sont pas innocentes », op. cit., p. 73-94. 353 KERBRAT-ORECCHIONI C., L’énonciation, Paris, Armand Colin, 1980, p. 100. 244 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER hypéronymie connotative354 pour décrire la relation qui unit bâfrer à manger. Si nous partageons l’idée selon laquelle l’appréciation évaluative est une appréciation affective – le « neutre » supposant le « bien » (nous avons abordé ce point au § 4.3.1. ») –, nous considérons le spécifieur, comme un trait quantitatif, c’est-à-dire comme un véritable sème, comme un trait intrinsèquement associé au sémème du verbe, et non comme un trait superfétatoire. Il apparaît nécessaire de dépasser la notion de connotation ou, pour le moins, de la préciser. Nos observations nous conduisent à envisager la connotation d’un point de vue pragmatique, énonciatif, induite par un certain type de trait du denotatum (notamment diminutif, intensif, fréquentatif). La composante évaluative ou appréciative d’un élément, identifiable du côté de la connotation est donc la conséquence d’un trait sémantique pertinent. De plus, il nous semble que si l’on peut jouer en contraste comme le fait par son titre une émission radiophonique culinaire sur France Inter « ça se bouffe pas, ça se mange », c’est bien que la différence spécifique est obligatoire pour la compréhension du concept. Le fait que certains verbes FAM. admettent, par extension, un sens qui se limite au spécifieur (notamment dans le cas où il marque la finalité du procès) est un argument qui va dans le même sens (par exemple : moucharder « surveiller en vue de dénoncer, par extension dénoncer »). 5.4.1.2. Les spécifieurs « catégorisateurs » (type 6) Il est d’autres types de spécifieurs qui amènent le procès, non plus du côté d’un mode de réalisation particulier, mais d’une action particulière : picoler « boire du vin, de l’alcool » déconner « dire des bêtises » engueuler « adresser des injures, une vive réprimande à (qqn), souvent de façon grossière, pour exprimer son mécontentement » fliquer « exercer une surveillance policière sur qqn » emberlificoter « embrouiller qqn, pour le tromper » morfler « recevoir un coup » magouiller « se livrer à des magouilles » roter « faire des rots » Aussi divers soient-ils, ces procès réfèrent à des actions ou des activités sociales largement réprouvées, voire délictueuses, ou pour le moins en marge de la bienséance et des conventions sociales. Le procès est orienté par les contraintes qui pèsent sur le choix de ses spécifieurs. La nature des classes d’objets admises comme arguments du procès familier fait basculer ce dernier du « côté obscur » de la vie sociale, le fait passer « à la marge ». C’est donc le 354 KLEIBER G., TAMBA I., « L’hyponymie revisitée : inclusion et hiérarchie », op. cit., p. 13. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 245 type de classes d’objets admises par les verbes qui les déterminent sémantiquement : picoler (de l’alcool) vs boire (de l’eau) fliquer (surveiller comme un flic) vs surveiller (en vue de protéger) morfler (recevoir un coup) vs recevoir (un compliment, un cadeau) engueuler (adresser des injures) vs adresser (des excuses), etc. On remarque ici que les procès familiers, aussi variés soient-ils, réfèrent à des réalités sociales réprouvées, soit par ses modes de réalisation ou par l’action elle-même. Leurs particularités sémantiques les conduisent, de façon plus ou moins implicite, vers un champ référentiel hors la norme, au-delà de ce qui est attendu, au-delà de « ce qui se fait ». En cela, nul doute qu’ils seront l’objet d’une interprétation fréquemment négative, que l’on appelle communément péjoration. C’est donc la spécificité des procès marqués, les traits qui les distinguent des procès non marqués, la sélection des classes d’objets qu’ils admettent comme arguments qui en font des verbes chargés d’une appréciation négative, quel que soit le niveau où cette spécificité intervient. Cette péjoration, nous l’avons rappelé à plusieurs reprises, est traditionnellement posée du côté de la connotation. Or, nous venons de le montrer, l’appréciation pragmatique, connotative, est la conséquence d’une caractéristique sémantique établie. Le spécifieur induit un élément référentiel supplémentaire qui dépasse l’ordre de la connotation. C’est pourquoi nous considérons que les indications spécifiques sont des propriétés constitutives du défini et, que, à l’instar de Collinot et Mazière355, nous les concevons comme des suites déterminatives ou circonstancielles énonçant les conditions de satisfaction du procès. Les spécifieurs, aussi divers puissent-ils se présenter, sont donc indispensables à la détermination de la classe des référents. A ce titre, ils ne peuvent relever de la connotation et sont, au contraire, des éléments indispensables du denotatum. 5.4.1.3. Les quasi-synonymes (type 1) Comment considérer les items FAM. glosés à l’aide de quasi-synonymes non marqués ? Il ne nous semble pas qu’il s’agisse d’un autre phénomène. C’est ce que nous avons essayé de traduire par un ordonnancement, sur un continuum, des divers types de définition utilisés (voir figure 8 précédente). COLLINOT A., MAZIERE F., « Les définitions finalisées dans le Dictionnaire universel de Furetière et dans le Dictionnaire de l’Académie », Centre d’étude du lexique. La définition, Paris, Larousse, 1990, p. 244. 355 246 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER En effet, pour nombre de ces items, une lecture du côté de l’intensification des procès peut être faite356 ; certains de ces verbes supportent assez difficilement une locution adverbiale du type « un peu » ou « faiblement » : bagarrer « lutter pour » * il s’est un peu bagarré, puis a cédé / il a un peu lutté, puis a cédé se pocharder « s’enivrer » * je me suis légèrement pochardé avec ce vin / je me suis légèrement enivré poireauter « attendre » * j’ai à peine poireauté / j’ai à peine attendu Ces verbes sont principalement employés avec un sens intensif, ou appréciatif, tout à fait évident, et confirment cette lecture : j’ai poireauté jusqu’à ton retour (j’ai attendu longtemps) cette voiture bouffe de l’essence (elle consomme beaucoup d’essence) j’ai raqué pour ce pull (j’ai payé cher) elle s’est sapée pour venir en cours (elle s’est bien habillée) D’autres verbes apparaissent comme identiques, d’un point de vue sémantique, au définisseur non marqué, et les connotations qu’ils véhiculent sur le plan énonciatif ne semblent soutenues par aucun trait sémantique : chlinguer « puer » déglinguer « disloquer » dégueuler « vomir » Nous pouvons alors parler, dans ces cas, de connotation au sens le plus usuel du terme, c'est-à-dire comme l’ensemble du contenu flottant, difficilement identifiable, variable d’un locuteur à l’autre, qui ne participe pas du denotatum. Il ressort de ces exemples que nous devons envisager le denotatum et le connotatum sur un axe graduel. En effet, il est difficile de parler de sèmes dénotatifs pour chacun de ces items, bien que certains puissent être employés, comme nous l’avons vu pour les incluants, en relation contrastive : il pleure pas, il chiale. En écho à la figure 8, il est nécessaire de prendre en compte l’hétérogénéité des verbes familiers dans les relations qu’ils entretiennent avec les verbes standards. Une part d’entre eux relève effectivement de la connotation mais, pour la plupart, il nous semble que le sème distinctif ne peut être considéré comme superfétatoire, précisément parce qu’il est distinctif. D’un point de vue sémantique, l’élément de la définition lexicographique, nommé ici spécifieur, assure l’information nécessaire et suffisante pour isoler la catégorie extralinguistique nommée par le verbe, c'est-à-dire le référent. Et s’il devient 356 Dans ces exemples on trouve plus rarement des procès minimisés : traficoter « trafiquer », turlupiner « tourmenter ». Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 247 une composante permettant de discriminer une classe de référent, on peut donc le placer du côté du dénoté. 5.4.2. Propriétés distributionnelles des verbes FAM. D’autres observations, syntaxiques cette fois, vont dans le sens de notre hypothèse selon laquelle la variation registrale ne peut pas s’interpréter seulement du côté de la stylistique, car elle relève de phénomènes linguistiques plus complexes. Il est communément admis que la variation stylistique n’a pas d’influence sur la distribution des verbes, puisque l’identité des signifiés référentiels, justifiant l’existence de « paires lexicales », implique que les caractéristiques syntaxiques entre définissant et défini soient les mêmes. Or, nous avons pu le constater au § 5.3.3 et 5.3.4, des restrictions sémantiques pèsent sur les classes d’objets admises par certains items familiers. Quant aux observations que nous allons maintenant présenter, elles confirment le caractère spécifique des propriétés distributionnelles des items de notre corpus, les verbes familiers répondant à des schémas sémantico-syntaxiques spécifiques. Nous avons antérieurement357 travaillé sur les propriétés syntaxicosémantiques d’une série de verbes, à partir du modèle du Lexique-Grammaire, qui s’inscrit dans les cadres syntaxiques théoriques de la grammaire générative transformationnelle tels qu’ils apparaissent dans les travaux de ses fondateurs, Harris et Chomsky358. Nous postulions alors que si l’organisation sémantique se traduit au niveau syntaxique359, l’étude syntaxique des lexèmes, plus rigoureuse et plus objective, devait permettre de pallier les difficultés liées à la saisie des significations. Nous avons donc comparé des verbes marqués et leur « homologue » dictionnairique non marqué, à partir de la catégorisation qu’il en est fait dans les Tables de Gross360 afin d’accéder aux différences de constructions DEVOLDER L., « De la familiarité à la trivialité », Actes du XXIXe colloque international de linguistique fonctionnelle, Créativité et figement, Helsinki, octobre 2005, département des langues romanes de l’Université d’Helsinki, 2007, p. 77-81. 358 Nous renvoyons ici aux travaux du LADL et de Maurice Gross. Une bibliographie exhaustive est disponible sur le site : http://ladl.univ-mlv.fr/ 359 « La structure de l’expression, des phénomènes de discours, s’accompagne en effet d’une structuration correspondante sur le plan du contenu (…). C’est sans doute au niveau de la proposition ou de la syntaxe stricto sensu que la liaison la plus directe s’établit, les différences et ressemblances sur le plan de l’expression se traduisant souvent par des différences et des ressemblances sur le plan du contenu ». WILLEM D., Syntaxe, lexique et sémantique : les constructions verbales, Gent, Rijksuniversiteit Te Gent, 1981, p. 7. 360 La présentation des tables fait l’objet de plusieurs articles. Voir, notamment, GROSS G., « Études distributionnelles et analyse sémantique », Linguisticae Investigationes Supplementa, n° 9, 1984, p. 129-140. 357 248 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER syntaxiques et donc sémantiques de chacune des paires constituées (une trentaine de paires) sur le modèle de : Max mendigote de l’argent aux passants / Max mendie de l’argent aux passants Max chourave sa voiture à Luc / Max vole sa voiture à Luc Max dégueule son repas sur la moquette / Max vomit son repas sur la moquette Nous avons alors rencontré les limites de la démarche, qui furent un frein à sa reconduite pour le présent travail. En effet, si les entrées familières se voyaient peu à peu intégrer les listes du LADL, ce qui nous permettait de travailler sur un corpus de plus en plus important, il subsistait des doutes quant à l’attestation en discours des énoncés présentés, le Lexique-Grammaire rendant compte d’une compétence grammaticale, plus que d’attestation en contexte. Or, étant donné la singularité de notre corpus, il apparaît important de travailler sur des emplois confirmés en discours et non pas simplement construits par le chercheur expert. Nous avons donc abandonné cette partie de l’analyse pour l’étude qui nous occupe, en attendant d’imaginer une méthode satisfaisante que nous présenterions dans des travaux ultérieurs361. En revanche, nous en avons retenu les conclusions les plus intéressantes, qui sont corroborées par l’analyse des énoncés dictionnairiques, qui reflètent également, dans une certaine mesure, les environnements linguistiques des verbes glosés. Nous avons ici travaillé sur les définitions de type 1 (à définisseur unique, quasi synonyme). Si nous constatons que le verbe marqué se retrouve en position interchangeable du verbe standard correspondant, la réciproque ne se vérifie pas. Le défini roupiller est donné, par l’énoncé dictionnairique, comme équivalent strict de dormir (contrairement aux définitions de type 2 par exemple qui, par la présence de deux définisseurs, restreignent les contextes d’emplois). C’est donc que roupiller et dormir sont considérés comme commutables, a priori dans tous les contextes, comme le stipule la relation de synonymie. Or le classement des verbes dormir et roupiller, dans la taxinomie du Lexique-Grammaire, fait apparaître que roupiller n’admet qu’un seul type de 361 Nous avons acquis, au fil de ce travail, la conviction que la comparaison des environnements distributionnels, et notamment des rôles sémantico-syntaxiques assumés par les actants du procès, permet une approche plus fine des relations lexicales « d’alternative», dans toute leur diversité. Afin de rendre compte de la variation, cette comparaison ne peut être réalisée qu’à partir d’un corpus de segments de discours constatés et contextualisés. Il s’agirait d’observer les circonstances discursives d’ « apparition » d’un terme marqué et celle de son « alternative » non marquée, et de les comparer linguistiquement. Cela permettrait, au-delà des indications dictionnairiques, d’atteindre la référence virtuelle de chacun des items, et par là même, d’en approfondir le sens lexical. Cette entreprise nous semble constituer une piste de recherche à part entière, pour un travail ultérieur. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 249 construction (Max roupille littéralement en classe) alors que dormir en admet trois : Max dort littéralement en classe ; cette eau dort ; qu’Ida a été en faute dort dans les dossiers de Max. Nous pouvons en déduire que la relation synonymique qui lie roupiller à dormir n’est avérée que dans certains contextes syntaxiques, ce qui n’est pas sans incidence sur leur(s) relation(s) sémantique(s). En effet, selon la conception harissienne, deux verbes qui ont des significations différentes, diffèrent aussi quelque peu dans leur distribution ; conséquemment, les verbes aux distributions différentes ont des significations différentes. Toute différence sémantique ne se manifeste pas dans une différence syntactique, mais à chaque différence syntactique correspond une différence sémantique essentielle362. Roupiller et dormir, du fait de leur différence de distribution, présentent une différence sémantique, bien qu’elle soit a priori difficilement identifiable (et non stipulée dans la définition lexicographique). Afin de cerner les différences entre les paires de verbes marqués/non marqués, présentés comme quasi synonymes par le dictionnaire, nous avons porté notre intérêt sur les types de construction qui présentent une réelle équivalence, et à ceux qui l’excluent, prenant appui sur les Tables du LADL, que nous avons complétées par des exemples dictionnairiques issus du PR : elle est sapée à la mode de l’an dernier / elle est habillée à la mode de l’an dernier Mais non pas : le tableau habille le mur / *le tableau sape le mur nous avons merdé, pas un peu, beaucoup / nous avons échoué, pas un peu, beaucoup Mais non pas : le bateau a échoué sur la plage / *le bateau a merdé sur la plage on va manger / on va grailler Mais non pas : ses lunettes lui mangent le visage/ *ses lunettes lui graillent le visage il m’embarrasse avec ses questions / il m’embête avec ses questions Mais non pas : les cartons embarrassent le couloir / *les cartons embêtent le couloir Si dormir, s’habiller, échouer peuvent remplacer, par équivalence de sens, roupiller, saper et merder en contexte, l’inverse ne se vérifie pas. 362 APRESJAN J., « Analyse distributionnelle des significations et champs sémantiques structurés », Langages, n° 1, 1966, p. 44-74. 250 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Nos premières analyses à l’aide des Tables de Gross et les observations présentes sur l’intégralité de la série des définitions de type 1 montrent que les verbes familiers acceptent principalement des sujets [+ hum.] dans un rôle agentif, c'est-à-dire des procès contrôlés par son sujet syntaxique animé. C’est finalement le degré d’implication du sujet-agent dans la mise en œuvre du procès qui différencie les contextes dans lesquels la permutation est acceptable ou non. Les procès familiers s’illustrent donc par le fort rôle agentif assumé par le sujet, ce qui exclut la plupart des emplois métaphoriques, ou extensifs, admis par les verbes non marqués qui leur sont donnés comme équivalents : le tableau habille (*sape) le mur, le bateau échoue (*merde) sur la plage. Ce constat n’est pas seulement valable pour les verbes glosés par des définitions de type 1, il doit également être étendu aux classes d’incluants pris au sens le plus large (définition de type 3, présentant un spécifieur de manière ou de moyen). Dans ce cas, la majorité de ces termes requiert un sujet agentif qui contrôle le procès : bâfrer « manger gloutonnement et avec excès » vamper « séduire par des allures de vamp » bigler « regarder du coin de l’œil » Dans ces exemples, le procès familier est déterminé par la manifestation du sujet comme contrôlant l’action. En effet, la modalisation du procès exclut un faible degré d’agentivité de la part du sujet. Bien entendu, il ne s’agit pas d’imaginer que l’on puisse manger, séduire ou regarder sans implication du sujet, mais dans ces cas, son engagement actif dans le procès n’est pas une condition indispensable à sa réalisation. Ainsi on admettra : il mange machinalement, par habitude, sans réfléchir Alors que l’on acceptera difficilement363 : * il bâfre machinalement * il bigle sans réfléchir * elle le vampe, sans faire exprès Bâfrer, bigler, vamper sont, pourrions-nous dire, « marqués » par l’intentionnalité du sujet qui réalise le procès, et qui le réalise à sa façon, différemment de la manière la plus attendue. L’intentionnalité, c'est-à-dire la marque de la volonté du « faire » du sujet, se situe ici sur l’action elle-même et a pour résultat de modifier son déroulement « normal », « habituel ». L’inten363 Remarquons que l’on confirme ici l’intérêt de travailler sur corpus attesté en discours. Rien ne s’oppose en langue, à ce que l’on puisse bâfrer machinalement, mais pourtant, bien qu’attentive à l’emploi de ce terme, nous n’avons pu relever aucune occurrence de ce type ou s’en approchant. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 251 tionalité est donc inscrite dans le segment d’énoncé que nous avons appelé spécifieur et, de ce fait, détermine le procès. Le trait sémantique « intensité » du procès, pointé dans le paragraphe précédent, peut alors être interprété comme le symptôme du trait sémantico-syntaxique de l’intentionalité du sujet. Il est d’autres verbes, pour lesquels l’intentionnalité ne se manifeste pas simplement dans les modalités de l’action, mais dans les modalités de prise en charge de l’action par une relation causale. Ce type de verbes se caractérise par une intervention du sujet qui contrôle un changement qui se produit (ou doit se produire) à l’issue de la réalisation du procès, par son intention364. Ce sont des verbes qui sont principalement centrés sur la relation entre le sujet et l’objet (humain ou non humain). Ce rôle agentif-causatif du sujet peut être explicité par le définissant, la finalité du procès étant précisée : • par le spécifieur (définissants de type 3) : emberlificoter « embrouiller (qqn) pour le tromper » démantibuler « démolir de manière à rendre inutilisable » embobiner « tromper par des paroles captieuses » estomaquer « étonner, surprendre par quelque chose de choquant, d’offensant » carotter « extorquer par la ruse » • par un verbe support à valeur aspectuelle (notamment pour les défi- nissants de type 6) : déboussoler « désorienter qqn, faire qu’il ne sache plus où il est » complexer « donner des complexes à qqn » défouler « libérer de ses inhibitions (…) » dépuceler « faire perdre sa virginité » tournebouler « mettre l’esprit de qqn à l’envers » trifouiller « mettre en désordre, en remuant » Nous retrouvons ici les mêmes impossibilités que précédemment, c’est-àdire l’impossibilité de ces procès d’admettre un adverbe qui affaiblit l’implication du sujet dans son déroulement : *emberlificoter qqn par inadvertance, *démantibuler qqch sans faire exprès, ou *dépuceler qqn à son propre insu. L’intentionnalité du sujet n’est pas marquée par la modalisation du procès, mais par son rôle causatif, qui devient un trait permettant de limiter, du point de vue sémantico-syntaxique, la relation d’inclusion présumée entre un verbe marqué et un verbe standard. 364 Pour une description approfondie de ces processus, voir BAUDET S., « Représentation d’état, d’événement et d’action », Langages, n° 100, 1990, p. 45-64 et aussi JACKIEWICZ A., « Causalité et prise en charge énonciative », Études cognitives, n° 3, 1999, p. 249-269. 252 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Le caractère causatif ne se limite pas à ces exemples, et les procès impliquant plus implicitement une relation de causativité sont nombreux : ratiboiser (2) « ruiner qqn au jeu » canuler « importuner qqn par les mêmes propos répétés » défouler « permettre, favoriser chez qqn, la libération de l’agressivité » dégoter (1) « déposséder qqn d’un poste » Tous ces exemples montrent que le changement opéré par la prédication (caractéristique des verbes d’action vs verbes d’état) est toujours subi par l’objet et impulsé, causé, par le sujet qui en est le principal bénéficiaire. Le résultat des procès familiers est principalement orienté vers le sujet, au détriment de l’objet qui se voit transformé, manipulé, détruit, maltraité, qu’il s’agisse d’un objet humain ou non humain. De l’ensemble de ces observations, il ressort que l’intentionnalité du sujet joue comme un trait spécifique (spécifieur) permettant de caractériser les procès familiers, soit que le sujet contrôle le mode de réalisation du procès, soit qu’il en contrôle les autres actants. En quelque sorte, lorsque l’objet est effectué, il l’est d’une certaine façon (minimisant ou intensifiant le procès), sinon, il est affecté par le procès, toujours à son détriment et à l’avantage du sujet. Les procès familiers sont donc différents des procès des verbes standards, en ce qu’ils ne supportent que des structures syntaxiques requérant un sujet fortement agentif, ou agentif-causatif, qui marque de son empreinte la réalisation du procès. Le lexique familier véhicule des propriétés syntaxico-sémantiques, et donc référentielles, qui ne recoupent pas intégralement celles des verbes standards incluants ou quasi-incluants. Soient : (A) il s’est fait zigouiller pendant la guerre / (B) il s’est fait tuer pendant la guerre (A) il asticote sa sœur / (B) il agace sa sœur La prédication A n’induit pas la même focalisation actancielle que la prédication B. La prédication A focalise sur l’implication d’un agent dans la réalisation du procès et son accomplissement (qqn l’a tué volontairement, et peut-être même massacré sauvagement, en tout état de cause il n’a pas été tué par une balle perdue), alors que la prédication B focalise sur l’état du patient comme résultat du procès (il est mort pendant la guerre ; la sœur est agacée par le frère, mais peut l’être par inadvertance). Notre thèse est que les verbes familiers disent « autre chose en le disant différemment », ou pour le moins disent « un autre point de vue sur le monde ». Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 253 Alors que l’alternative synonymique (ou hypéronymique) en milieu homogène rend prégnante en discours les ressemblances, nous pensons avoir montré que la variation registrale s’appuie au contraire sur ce qui fait différence, ce qui fait contraste ; ces différences sont notamment marquées par une forte intentionnalité du sujet qui se manifeste du côté de la focalisation actancielle ou de la modalisation de l’action du verbe. Nous avons montré que les valeurs de sens véhiculées par les verbes familiers et leurs « alternatives » standards respectives (qu’elles soient présentées par le dictionnaire comme synonyme ou incluant) ne sont pas analogues dans l’univers de croyance collectif. Les contrastes sémantiques, syntaxiques (et morphologiques) opèrent comme mode de différenciation lexicale et, à ce titre, le choix du locuteur d’un énoncé plutôt que d’un autre n’est pas simplement lié à un désir de « coloration du discours » mais à une volonté de dire autre chose, de dire autrement le monde. Cela relativise la notion de connotation pragmatique, qui n’existe pas isolément, mais est sous-tendue par des propriétés sémantiques ou syntaxiques. Alors que l’expression de la subjectivité du sujet de l’énonciation est souvent décrite du côté de la connotation, il nous semble au contraire qu’elle vient doubler une intentionnalité et/ou une intensité marquée en langue. C’est pourquoi le trait intentionnalité du sujet de l’énoncé, qui induit le jugement ou la subjectivité du sujet de l’énonciation, permet de construire des catégories référentielles, et il doit être posé comme un trait fonctionnel, pertinent, constitutif du sémème. Le lexique familier permet au locuteur d’accéder à des champs référentiels exclus du lexique non marqué, c’est-à-dire d’accéder à une conceptualisation spécifique du monde. 5.4.3. La variation registrale comme différenciation conceptuelle Nous considérons, comme Gérard Petit365, que les propriétés spécifiques du lexique familier que nous avons pu mettre en évidence opèrent une sorte de conception trivialisante du réel. Nous n’avons pas, à proprement parler, établi de regroupement en champs sémantiques de notre corpus, cependant il est remarquable que les classes des référents évoquées sont celles qui renvoient au quotidien des individus en ce qu’il a de plus banal, de plus rebattu : becter, roupiller, boulonner, tchatcher, etc. Les valeurs associées à becter font écho à celles de l’acte de se nourrir de la façon la plus banale, la plus quelconque qui soit, au point de se teinter d’une touche de péjoration puisque l’étalage de la 365 PETIT G., « La double hybridation de l’unité lexicale », op. cit., p. 151. 254 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER banalité est vécu comme une provocation (une vulgarité, un acte sans distinction). Il devient alors évident que l’on acceptera l'énoncé « y a rien a becter dans mon frigo, je vais becter un kebab », beaucoup plus facilement que l’énoncé « merci pour ce repas, j’ai bien becté ». C’est là un phénomène que nous devions remarquer : si le verbe familier est à ce point interprété du côté de la péjoration, c’est que son « alternative lexicale » non marquée participe, a contrario, d’une vision édulcorée de la réalité. Soient les « paires » : manger/bouffer rire/se bidonner critiquer/criticailler Ce qui fait dissemblance entre chacun des termes de la série, c’est le segment que le dictionnaire présente comme spécifieur (respectivement gloutonnement, beaucoup, sans raison ou pour le plaisir) et qui induit la marque FAM. Autrement dit manger, c’est ingérer de la nourriture ni trop, ni trop peu ; rire c’est manifester avec mesure un état de gaieté et critiquer c’est émettre un jugement toujours fondé et argumenté. Ainsi, avançons-nous que le verbe familier opère une désacralisation du procès là où l’alternative standard véhicule une vision tout à fait idéalisée de ce qui fait la vie sociale. On comprend mieux ici l’assimilation, notamment historique, qu’il peut y avoir entre le lexique familier et la dimension sociale. Selon les représentations collectives, il est probable que l’on considère que l’on bouffe, que l’on se bidonne et que l’on criticaille plus fréquemment dans certains faubourgs que dans les maisons bourgeoises des centre-villes. Les termes non marqués constituent un ensemble lexical qui pourrait également être perçu comme « marqué » du côté de l’idéalisation. Le registre familier est traditionnellement décrit comme référent à une vision péjorative, le standard étant neutre. Or, nous le savons, la neutralité n’existe pas et se situe du côté de l’embellissement ou, pourrait-on dire, d’une exagération positive. Nous n’irons pas jusqu’à renverser totalement le rapport entre marqué et non marqué, mais nous proposons de considérer que le registre familier trouve un « pendant » dans ce que l’on peut maintenant appeler un registre standard qui, loin d’être neutre, soutient une conception standardisée du monde, exactement dans les termes opposés à celle du registre familier, l’un étant admis, l’autre moins. Nous ne cherchons pas à remettre en question l’utilité sociale de cette neutralisation du dire. Nous pensons au contraire que ces restrictions sont autant de codes nécessaires à l’existence d’une organisation collective. Chapitre 5. – Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale 255 Cependant nous voulons montrer que, par l’emploi d’un terme non marqué, le locuteur fait également un choix, celui de se conformer aux règles sociales et de taire toute une part de ce qui fait la vie sociale. Nous soutenons que la valeur référentielle des verbes marqués FAM., comme celle des verbes non marqués, est inscrite dans le lexique, et constitue, pour chacun, une référence originale. A ceci près qu’en présence de termes familiers se crée, dans l’imaginaire des locuteurs, une sorte de paradigme qui tire le terme du côté du réprouvé. Le lexique non marqué ne peut pas tout dire, en termes d’autorisation comme en termes de possibilité. Ainsi, constatons-nous à nouveau que la variation registrale n’est pas « une façon différente de dire la même chose » mais qu’elle permet de dire ce que la norme nécessite de taire. Nous proposons de considérer que la fonctionnalité du registre familier est celle d’une niche, au sens bourdieusien du terme, c'est-à-dire un creux au sein du système, une poche d’air qui justifie son existence tout en l’empêchant d’imploser. Nous l’avons confirmé tout au long de cette étude, si les termes marqués FAM. octroient quelques libertés dans leur forme et dans leur sens, ils ne sont pas pour autant en dehors du système, mais au contraire ils le confortent. Le registre familier, bien loin de bouleverser les codes, renforce ce qui fonde la norme, par induction. Le fait de fonctionner sur la rupture avec ce qui est admis l’entérine paradoxalement, dans la mesure où l’étalon reste toujours la norme. La contestation d’un ordre, qu’il soit sémantique, conceptuel ou morphologique, est en quelque sorte une confirmation de cet ordre. Contrairement à ce que donnent à voir les définitions lexicographiques, c’est l’existence de bouffer qui garantit à manger son statut de procès standard, et non pas simplement l’inverse. Le registre familier justifie l’existence d’un registre standard, et réciproquement. Ainsi, loin de contrevenir à la norme linguistique, le registre familier la soutient, par le fait qu’il s’en démarque. En cela, il constitue cette part du lexique non normée et non pas a-normale, légitimant qu’il trouve sa place au sein du code commun, de la langue commune. Conclusion Simple, le « français familier » ? Tout au long de cette étude des termes marqués FAM. est apparu le caractère hétérogène et complexe de cette part du lexique, dans ses aspects formels, sémantiques et également énonciatifs. Ces constats affaiblissent sérieusement la pertinence des qualifications de « naturel », « ordinaire » ou « spontané », habituellement attribuées au registre familier et permettent d’en proposer une lecture plus fine. Dès les prémisses de notre recherche, nous avons pu remarquer que la dimension diaphasique est quelque peu délaissée, voire confondue avec la variation diastratique. La notion plus précise de registre de langue est alors l’objet de la stylistique ou de la didactique, dans une perspective relativement normative dont les dictionnaires sont le relais (voir chapitre 1). Pourtant nos observations ont montré que la description des phénomènes de familiarité permet une approche singulière tout à fait adaptée pour mettre au jour des faits et des effets de norme. L’analyse de l’attribution de la marque FAM., et de ses relations avec les marques POP. et ARG. (voire VULG.) a confirmé les difficultés de catégorisation des usages non standards, difficultés corrélatives aux imprécisions théoriques. A partir de l’examen des marques d’usages (voir chapitre 3), réalisé en synchronie et en diachronie, nous avons proposé une organisation du lexique prenant en compte la diversité des usages, sur un continuum à trois dimensions : - la dimension diachronique : évolution potentielle du marquage du + au conventionnel, - la dimension diastratique : évolution potentielle du marquage du + diastratique au + diaphasique, - la dimension de spécificité : catégorisation en fonction du degré de disponibilité des termes. 258 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Cette modélisation a l’intérêt : - de substituer une vision hiérarchique des usages, - de souligner l’importance qu’il y a à distinguer entre la dimension diaphasique et la dimension diastratique, - de nous permettre de soutenir l’existence d’un « effet familier » vs des « faits populaires ». Au terme de cette analyse nous avons été en mesure de confirmer la nécessité d’une gradation dans le marquage du lexique non standard gradation qui doit s’effectuer par une marque spécifique (notamment par la marque « TRÈS FAM. »). Ainsi, les marques ARG. et POP. sont-elles réservées à la catégorisation d’usages très spécifiques (technique pour ARG., et classant pour POP.). Un système de marque plus précis rendrait alors compte des évolutions diachroniques, sur le modèle de « D’ABORD ARG. PUIS FAM. » déjà utilisée par le Grand Robert de la langue française. Enfin, nous avons proposé de remplacer l’actuelle dénomination de « marques d’usage » au singulier par « marques d’usages » au pluriel afin de refléter l’hétérogénéité de ces derniers. L’analyse morphosémantique des termes familiers présentée au chapitre 4 avait pour objectif de dégager des caractéristiques formelles susceptibles de produire un effet familier. Elle nous a permis de mettre en évidence un profil composite de la classe des verbes familiers et la faible diagrammaticité (voir § 4.3.3.1.2) qui lui est concomitante, bien que les processus à l’œuvre appartiennent au système morphologique de la langue. Le double rôle sémantique et pragmatique assuré par l’affixation, le glissement vers un sens tropique dans le processus de dérivation, et la remotivation sémantique sur la base de la substance phonique, sont autant de témoins de la complexité et de la diversification des constructions familières. Aussi, contrairement aux idées les plus répandues, la souplesse formelle qu’offre le lexique non standard n’ouvre-t-elle pas vers une possibilité de simplification des formes. Elle révèle, au contraire, la liberté que prend le sujet de l’énonciation dans la manipulation qu’il fait de la langue, rendant les règles de formation assez peu prédictibles. Il apparaît évident qu’il faut être un francophone natif pour avoir une idée du sens de canarder ou de fliquer, qui relève de mécanismes sémantiques subtils bien que conformes au système dérivationnel. Conclusion 259 D’un point de vue formel, la familiarité doit alors être comprise comme la manifestation de la liberté donnée au locuteur de s’approprier des codes linguistiques, de tordre et distordre les règles, jusqu’à les faire siennes, poursuivant un seul objectif : user les potentialités de la langue, pour réduire les « coûts » linguistique (pique-niquer « faire un pique-nique ») d’une part, pour investir le sens, notamment par des composants expressifs (bavasser, criticailler), d’autre part. L’examen sémantique des termes que nous avons exposé au cours du dernier chapitre, a révélé les liens lexicaux que le lexicographe établit entre lexique familier et lexique standard et nous a permis de constater que la « traduction » d’un terme familier par un quasi-synonyme standard est une interprétation discutable de la familiarité lexicale. En effet, nous avons pu dégager de nos observations que le registre familier n’est pas un doublon de la langue standard. Nos conclusions s’opposent ainsi à celles qui considèrent les formes familières comme des formes alternantes, ayant le même contenu référentiel, donc interchangeables dans un contexte donné. Nous avons montré, au contraire, que les potentialités de coréférence de termes familiers et des termes standards sont relativement réduites. Si chialer peut trouver une sorte d’équivalent avec pleurer, aucune correspondance n’existe en lexique standard pour saucissonner, entarter ou baragouiner. L’hypothèse connotative s’avère donc insuffisante pour cerner la notion de familiarité et, plus largement, celle de registre de langue. Il devient alors nécessaire d’en relativiser la portée et d’envisager que le lexique familier est le reflet d’éléments qui s’intègrent à la signification globale du sémème. Contrairement aux idées largement répandues, nous soutenons, au terme de ce travail, que la variété des vocables a une répercussion sur le concept. Le lexique familier s’impose comme un choix paradigmatique permettant de dire « autre chose », non exprimable par le lexique standard. Parce qu’ils comblent des « vides » laissés par le lexique standard, parce qu’ils donnent accès à des concepts tus, les termes familiers rendent compte d’un mode d’appréhension spécifique du monde, à la marge de ce qui peut se définir comme la normalité. Comme l’a montré notre analyse, le registre familier fonctionne comme une sorte de miroir grossissant, qui vient dire le monde dans ce qu’il a de plus trivial, de plus rugueux. Les phénomènes d’affixation évaluative (§ 4.3.2.3), ceux d’hypéronymie que nous avons décrits comme « spécifieurs modificateurs » (§ 5.4.1.1) en sont les manifestations les plus évidentes, autant que les champs lexicaux recouverts par ces termes (évoqués au § 4.3.4.3). 260 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Les lexèmes familiers opèrent en quelque sorte une distorsion, une déviation des champs référentiels, vécue du point de vue de la norme comme une déviance, en cela qu’ils permettent de dire ce qui doit rester cacher, ce que la norme ne peut et ne doit pas dire. En effet, alors que les règles qui font le jeu social impliquent une certaine discrétion dans l’interaction, elles imposent également une retenue dans l’expression. Le lexique standard répond donc à un consensus sémio-culturel, en accord avec le principe de bienséance, entendu comme le reflet des réalités sociales convenables. C’est donc une vision idéalisée du monde qu’il reflète – et non pas neutralisée –, inscrite dans la demi-mesure : manger, pleurer, boire oui mais ni trop, ni trop peu. A contrario, le lexique familier s’impose comme un véritable « putsch » linguistique et donc social qui révèle ce qu’il n’est pas admis de dire, c'est-à-dire ce qui est non normé mais aussi ce qui est a-normal, outrancier, de l’ordre de l’ubris (bâfrer, chialer, picoler ). Le registre familier manifeste alors un non-renoncement à dire, une sorte de retour du refoulé, franchissant, par le biais de formes et de contenus linguistiques, les normes sociales de l’interaction. C’est alors une liberté, avant tout linguistique, que s’octroient, dans certaines circonstances, les locuteurs. Elle se manifeste à tous les niveaux de la langue : - du côté du système, notamment par la souplesse des procédés formels de création lexicale, - du côté du contenu référentiel : référents réprouvés socialement, distorsions des modalités d’action attendues par intensification ou atténuation des procès, - et enfin dans la distribution des rôles actanciels : focalisation sur le sujet de l’énoncé, faisant du procès un acte de revendication de ce que l’on pourrait appeler « la toute puissance du sujet ». Tout se passe comme si la prééminence du « Je » dans le registre familier permettait l’émergence du sujet énonçant par delà le sujet syntaxique. C’est là la clé de la fonction expressive traditionnellement dévolue au registre familier. Il ne s’agit pas simplement de « faire image » par désir pittoresque, mais bien plutôt d’exprimer la subjectivité du sujet qui vient envahir l’énoncé de sa présence. Chacune des caractéristiques propres à la familiarité lexicale que nous avons relevées asserte la liberté que prend le locuteur dans l’acte d’énonciation et qui le conduit à « faire » différemment, à « dire » différemment de ce qui est préconisé. Si l’expressivité familière peut être entendue comme la marque de l’intentionnalité du sujet, c’est en tant qu’elle reflète son intention de se distinguer, c’est-à-dire de parler – donc d’agir – en Conclusion 261 contraste. La prédication familière se révèle une transgression systématique : parfois une transgression formelle, souvent une transgression sémantique, toujours une transgression énonciative. Dès lors, la familiarité lexicale induit la familiarité sociale par la réduction de la distance interlocutive, c'est-à-dire le déplacement des positionnements du « je » et du « tu » dans l’interaction. On comprend d’autant mieux la stigmatisation qui pèse sur ce registre et les contraintes contextuelles qui le régissent. Le lexique familier est le support d’un discours éminemment « autocentré », une sorte de « narcissisme discursif » dans lequel le sujet exprime sa propre vision du monde, faisant fi des conventions sociales et linguistiques. C’est alors un moyen pour le locuteur de prendre le pouvoir dans l’interaction en se donnant le droit de modifier les règles qui font le jeu social, de dire ce qui doit être refoulé, de se positionner au centre de la relation. Nul étonnement alors que l’emploi de ces termes puisse apparaître, dans certaines circonstances, comme une marque d’agressivité, d’impolitesse ou tout simplement de mépris de l’autre. L’effet familier n’est socialement supportable qu’à la condition que soit négocié un accord tacite à transgresser ensemble, cela étant favorisé par la proximité des locuteurs. Autrement dit, l’emploi de termes familiers est toujours une transgression, admise dans certaines situations (notamment entre pairs) et irrecevable dans d’autres (relation hiérarchique ou solennelles). Nous soutenons alors que la familiarité lexicale sous-tend la familiarité sociale. Loin d’être un simple étiquetage lexical, la marque FAM. signale des mécanismes présents de façon sous-jacente en langue, qui produisent un effet dans le discours. La familiarité n’est donc pas un degré d’attention porté sur les usages linguistiques, mais un degré d’attention porté sur les us sociaux. Aussi, dans une interprétation sociolinguistique de la familiarité, nous ne devons pas considérer que les termes familiers eux-mêmes sont des marqueurs sociaux, mais plutôt leur maniement. C’est l’aisance dans la plasticité des usages qui aura un effet socialement classant, bien plus que les usages eux-mêmes. C’est la capacité du locuteur à maîtriser c'est-à-dire à contrôler, à dominer son expression et donc à adapter ses choix linguistiques à la situation d’énonciation qui fait l’objet d’une évaluation sociale et non pas les choix eux-mêmes. Nous sommes maintenant en mesure d’aller au-delà de la compréhension traditionnelle du registre comme tonalité, ton, style ou même comme variation, au profit d’une interprétation fonctionnelle. 262 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Rompant avec les conceptions structuralistes et générativistes, nous affirmons que le registre n’est pas « une façon différente de dire la même chose », mais bien un élargissement des potentialités qu’offre la langue. Le qualificatif de non conventionnel ne renvoie pas tant aux formes linguistiques qui le composent (formes évaluées par rapport à d’autres formes elles, conventionnelles), mais à l’effet qu’elles peuvent produire en discours du fait de leur singularité. Le registre familier est jugé comme non standard car il offre des possibilités exclues par le lexique standard – l’expression de ces possibilités faisant l’objet d’une stigmatisation sociale. Le familier peut alors être considéré comme le reste, ce qui ne se dit pas, ce qui est défendu, malséant. Le lexique familier trouve alors sa pertinence par rapport à un lexique standard et réciproquement, non pas dans une dynamique comparative mais comme possibilités complémentaires offertes par la langue ; l’un véhiculant une vision du monde triviale, l’autre idéalisée. Autrement dit, à l’instar du registre familier on peut dégager un registre standard produisant un effet standard, la limite entre les deux registres jouant comme censure sociale et linguistique. Bibliographie Les dates citées sont celles des éditions consultées. ALEONG S., « Normes linguistiques, normes sociales, une perspective anthropologique », in BEDARD E., MAURAIS J. 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Annexes Annexe 1 : Corpus Petit Robert 2002 - Rappel des conditions d’édification du corpus - Tableau des données Annexe 2 : Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PL 2001 - Tableau 1 : Inventaire des marques d’usages attribuées au corpus par le NPR 2002 et le PL 2001 - Tableau 2 : Inventaire des termes marqués FAM. par le PL 2001 qui font l’objet d’une autre marque d’usages dans le NPR 2002 Annexe 3 : Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PR 1977 - Tableau 1 : Inventaire des marques d’usages attribuées au corpus par le NPR 2002 et le PR 1977 - Tableau 2 : Inventaire des termes marqués FAM. par le PR 1977 qui font l’objet d’une autre marque d’usage dans le NPR 2002. Annexe 4 : Répartition des entrées dictionnairiques en fonction des types de définition observés Classements des entrées du corpus selon les 9 types de définition mis en évidence au chapitre 5. ANNEXE 1 CORPUS PETIT ROBERT 2002 Le corpus sur lequel se fonde l’analyse est issu de la base du dictionnaire généraliste monolingue, le Nouveau Petit Robert, dans sa version électronique 2.1, correspondant à l’édition imprimée de 2002. (voir explication détaillée § 2.2). Ce corpus est constitué de 410 entrées verbales dotées de la marque d’usage FAM. Nous n’avons retenu que les entrées dictionnairiques dont le sens principal est marqué FAM., et avons exclu de notre corpus les sens familiers, polysèmes dérivés (emplois familiers de termes, par extension ou figuré). L’entrée amocher a par exemple été conservée, alors que l’acception familière de angoisser a été rejetée. AMOCHER v. tr FAM. Blesser par des coups. - Détériorer. => abîmer. Il a amoché sa voiture. PRONOM. Il s’est bien amoché. ANGOISSER - 1. V. tr. Inquiéter au point de causer de l'angoisse. => Oppresser, tourmenter; angoissant. PRONOM. Être saisi d'angoisse, devenir anxieux, devenir anxieux. Les français « s’angoissent devant la montée du Sida » (L’Express, 1987) - 2. V. intr. FAM. Éprouver de l'angoisse, se faire du souci. => 2. flipper. Pour payer « l’habillement et le transport, elle angoisse » (L’Express, 1989) ◊ CONTR. Apaiser, calmer, tranquilliser. En revanche, lorsqu’une entrée non marquée présente un sens secondaire marqué FAM., jugé homonymique en synchronie, nous avons retenu ce dernier comme une acception autonome. Ainsi, baliser, « avoir peur », a été intégré à notre corpus. BALISER - 1. V. tr. 1▪ Garnir, jalonner de balises. => balisage. Baliser un port, un chenal, un tracé de route (=> flécher), un aérodrome. - p.p. adj. Chemin balisé, où le parcours à suivre est indiqué d’un trait de peinture sur un arbre, une pierre. 2▪ INFORM. Munir (un texte, une information) de balises. -2. V. Intr. FAM. Avoir peur. De la même façon, un certain nombre d’entrées marquées FAM. en sens principal présentent également des acceptions « secondaires » pouvant être 286 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER considérées en synchronie comme homonymes. Nous les avons alors intégrées à notre corpus, comme deux items indépendants. Ils sont signalés par une numérotation (1) et (2). Par exemple, les deux sens familiers homonymiques de arnaquer apparaissent, dans le corpus, comme arnaquer (1) « escroquer, voler », et arnaquer (2) « arrêter, prendre ». ARNAQUER v.tr. FAM. -1. Escroquer, voler. Commerçant mal honnête qui arnaque le client. Il s’est fait arnaquer ! => estamber, filouter, gruger. -2. Arrêter, prendre. Se faire arnaquer. => alpaguer, épingler. Les 410 items constituant le corpus sont présentés en tableau de 4 colonnes (l’entrée, la catégorie grammaticale, la marque d’usage et la définition). Chacune de ces données nous est fournie par le NPR électronique, sans aucune modification de notre part. Entrées AMOCHER Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Blesser par des coups. - Détériorer. => abîmer. Il a amoché sa voiture. PRONOM. Il s’est bien amoché. ARNAQUER (1) v. tr. FAM. Escroquer, voler. Commerçant malhonnête qui arnaque le client. Il s’est fait arnaquer ! => estamper, filouter, gruger. ARNAQUER (2) v. tr. FAM. Arrêter, prendre. Se faire arnaquer. => alpaguer, épingler. ASTICOTER v. tr. FAM. Agacer, harceler (qqn) pour de petites choses. « Nicole le taquine, l’asticote inutilement » (Martin du Gard) ATTIFER v. tr. FAM. ET PÉJ. Habiller, parer avec une recherche excessive ou d’une manière ridicule. => accoutrer. Il faut voir comment elle attife ses enfants ! - PRONOM. « je ne m’attife pas ainsi qu’un freluquet. » (Rostand). Regarde un peu comment il s’attife ! BAFOUILLER v. intr. FAM. Parler d'une façon embarrassée, incohérente. => bredouiller. L'émotion la fait bafouiller. Par ext. (en parlant d'un moteur). Avoir des ratés. - Cafouiller. - TRANS. Il bafouilla des excuses. BÂFRER v. tr. FAM. Manger gloutonnement et avec excès. =>bouffer. « Ils engloutirent le saucisson, bâfrèrent le canard » (Fallet). Qu’est-ce qu’il bâfre ! => descendre, s’empiffrer. Annexes 287 Entrées Cat. Gram. BAGARRER (SE) (1) v. pron. Marque FAM. Définitions Se bagarrer. 1▪ Se battre. Voyous qui se bagarrent. => se castagner. Il s’est bagarré avec son frère. PAR EXT. Se quereller. Ils se sont bagarrés à propos des élections 2▪ Lutter, se démener (surtout avec il faut). Il va falloir se bagarrer pour obtenir une subvention, pour prendre ce marché (cf. Monter au créneau). Se bagarrer contre la concurrence. BAGARRER (2) v. intr. FAM. Lutter (pour). Il va falloir bagarrer pour l'obtenir. BALADER (1) v. tr. FAM. Promener sans but précis. « des bonnes femmes qui baladaient leurs mômes » (Queneau). PAR EXT. Promener, trainer avec soi, « Pauvre petit Bonty qui balade partout sa bouteille de lait cacheté » (Colette). BALADER (SE) (2) v. pron. FAM. Se promener sans but. => baguenauder, errer, flâner, promener (se). Se balader en forêt. - Faire des excursions touristiques. «On a tout juste quinze jours pour se balader » (Beauvoir). - (avec ellipse du pronom) LOC. FAM. Envoyer balader (qqn, qqch.) : se débarrasser (de qqn, qqch.) sans ménagement ; repousser (cf. envoyer promener ; FAM. envoyer bouler, dinguer, paitre, valser). BALISER v. intr. FAM. Avoir peur. BANQUER v. intr. FAM. Payer => casquer, raquer. BARAGOUINER (1) v. tr. FAM. Parler (une langue) en l'estropiant. Baragouiner le français. « J’entends très bien l’italien ; pour ce qui est de le parler, je baragouine quelques mots » (Flaubert). BARAGOUINER (2) v. intr. FAM. ET PÉJ. Parler une langue qui paraît barbare à ceux qui ne la comprennent pas. Ces étrangers baragouinent entre eux. BARATINER (1) v. intr. FAM. Faire du baratin. BARATINER (2) v. tr. FAM. Essayer d'abuser (qqn) par un baratin. => embobiner. Il commence à baratiner la fille qu’il avait draguée.. BARBER v. tr. FAM. Ennuyer. => assommer, raser. Cela me barbe d’y aller. Vous le barbez avec vos histoires. ◊ Se barber v. pron. S'ennuyer. On s'est barbés toute la journée. => se barbifier. BARBIFIER (1) v. tr. FAM. Raser, faire la barbe à. 288 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées BARBIFIER (2) Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. ET VIEILLI Définitions Ennuyer. => barber, raser. - PRONOM. Se barbifier : s'ennuyer. BARBOTER v. tr. FAM. Voler. On lui a barboté son portefeuille. => chiper, faucher, piquer. BARDER v. impers. FAM. Devenir dangereux, prendre une tournure violente. S'il se met en colère, ça va barder! => se gâter ; fam. chauffer. BARRER (SE) v. pron. FAM. Partir, s'enfuir. => casser (se), tirer (se). Barre-toi! « On m’a dit que la mienne, de femme, elle s’était barrée » (Maurois). LOC. FAM. Etre mal barré, être mal parti, s’annoncer mal. C'est mal barré. Il est mal barré, le pauvre. BASSINER v. tr. FAM. Ennuyer, fatiguer, importuner. => barber, raser ; bassinant. « Tu me bassines avec ton amour » (Daudet). BATIFOLER v. intr. FAM. S'amuser à des jeux folâtres. => s’amuser, folâtrer. - « Faner, c’est retourner du foin en batifolant » (Mme de Sévigné). Personne qui batifole. BAVASSER v. intr. FAM. ET PÉJ. Bavarder. - Dire des médisances. BAZARDER v. tr. FAM. Se débarrasser, se défaire rapidement de (qqch.). => abandonner, liquider, vendre ; FAM. balancer, virer. Il a tout bazardé. « Il rompit avec la vie mondaine, bazarda même son frac » (Montherlant). BÊCHER (1) v. tr. FAM. VX. Critiquer vivement (qqn). => débiner. BÊCHER (2) v. tr. FAM. Être prétentieux et snob à l'égard de (qqn). => snober. Il nous bêche ! BÉCOTER v. tr. FAM. Donner des bécots à (qqn). => embrasser. PRONOM. Se bécoter. S’embrasser. Amoureux qui se bécotent en public. BECTER v. tr. FAM. BEURRER (SE) v. tr. FAM. Manger => bouffer. Il n’y a rien à becter, ici ? Ils ont tout becté. « Je becte, je picte ou magne-toi » (Dauzat). Se beurrer la gueule : se soûler. => se bourrer, se noircir. BIBERONNER v. intr. FAM. Boire souvent et avec excès (du vin, des boissons alcoolisées). => pinter. BICHER (1) v. intr. FAM. VIEILLI Aller bien. Ça biche. => boomer. BICHER (2) v. intr. FAM. Se réjouir. Il biche ! BIDONNER (2) v. tr. FAM. Truquer (un reportage, une émission) en simulant des événements qui ne correspondent à aucune réalité. => bidouiller. - p. p. adj. Une émission bidonnée. Un jeu télévisé, un reportage bidonné. - ABSOLT. Un journaliste qui bidonne. => bluffer. Annexes 289 Entrées Cat. Gram. Marque BIDONNER (SE) (1) v. pron. FAM. BIDOUILLER v. tr. FAM. Définitions Rire beaucoup. => se marrer, se poiler, rigoler. Il y a de quoi se bidonner. Faire fonctionner, arranger en bricolant. Bidouiller un logiciel. - Fig. Truquer => trafiquer. Un scrutin bidouillé. BIGLER (1) v. intr. BIGLER (2) v. tr. FAM. FAM. ET Loucher. Regarder du coin de l'œil => regarder ; zieuter. « Elle biglait le colosse avec une certaine langueur » (Queneau). VIEILLI FAM. BIGOPHONER v. intr. FAM. [cf. BIGOPHONE] BILER (SE) v. pron. FAM. S'inquiéter, se faire de la bile. => faire (s'en faire). Pourquoi se biler? Il passe bientôt ses examens, mais il ne se bile pas beaucoup. « Madame Peloux, ne vous bilez pas » (Colette). BISER v. tr. FAM. Donner une bise à (qqn). => embrasser. BISQUER v. intr. FAM. Éprouver du dépit, de la mauvaise humeur. => rager, râler. Faire bisquer qqn. => enrager (cf. fam. Faire devenir chèvre). Bisque, bisque, rage!, formule employée, notamment par les enfants, pour exciter qqn. BITER ou BITTER v. tr. FAM. Comprendre. « Ma mère hurlait, moi je bitais rien à ce qui se passait » (B. Blier). Je n’y bite rien (=> imbitable). BITURER (SE) v. pron. FAM. S'enivrer => se soûler. BLABLATER v. intr. FAM. ET PÉJ. Tenir des propos sans intérêt, se lancer dans un verbiage creux. BLAGUER v. intr. FAM. Dire des blagues. => mentir, plaisanter. Tu blagues, tu veux rire ? - FIG. Il ne faut pas blaguer avec la santé. => badiner ; FAM. déconner, rigoler. BLAIRER v. tr. FAM. (avec la négation). Aimer, apprécier (qqn). Je ne peux pas le blairer. => pifer, sentir. « Boris ne blairait pas beaucoup les pédérastes » (Sartre). BOMBER v. tr. FAM. Peindre, inscrire à la bombe sur des murs privés ou publics => graffiter, taguer, bombage. BOSSER v. intr. FAM. Travailler. Il bosse dur. => 2. bûcher. Je bosse avec lui depuis un an. - TRANS. Il faut que je bosse mon examen. ◊ CONTR. Glander. 290 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions BOUFFER (1) v. intr. FAM. Manger gloutonnement => bâfrer. Il ne mange pas, il bouffe. ◊ Manger. => becter, boulotter, briffer. INTRANS. Bouffer au resto. - LOC. Avoir envie de bouffer qqn, être furieux contre lui. Je l’aurais bouffée ! Bouffer du curé : être très hostile au clergé. (RÉCIPR.) Se bouffer le nez : se disputer. => s’engueuler BOUFFER (2) v. intr. FAM. (Compl. Personne) Absorber complètement, accaparer. Son travail le bouffe complètement. IL se laisse bouffer par sa femme. BOUFFER (3) v. tr. FAM. Consommer. Une voiture qui bouffe de l’huile. ◊ Avaler. Bouffer des kilomètres : rouler beaucoup en voiture. BOULONNER v. intr. FAM. Travailler. => bosser. Il boulonne dur. BOULOTTER v. FAM. Manger => bouffer BOYAUTER (SE) v. pron. FAM. Rire très fort, se tordre de rire. => bidonner (se) BRAILLER v. intr. FAM. Crier fort, parler ou chanter de façon assourdissante. Il ne parle pas, il braille. TRANS. Brailler une chanson, un slogan. ◊ Pleurer bruyamment (enfants). Bébé qui braille sans arrêt. BRAIRE v. intr. FAM. Faire braire : ennuyer profondément. Tu nous fais braire avec tes histoires (cf. faire suer). BULLER v. intr. FAM. Ne rien faire. Il bulle toute la journée. BUTER v. tr. FAM. Tuer, assassiner avec une arme à feu, dans un mauvais coup, dans un règlement de compte. Il a buté un flic. Se faire buter. ◊ HOM. Buté, butée, butter. CABOTINER v. intr. FAM. Faire le cabotin. CACHETONNER v. intr. FAM. Courir le cachet. « Un comédien raté, cachetonnant dans les bonnes ou les mauvaises comédies de boulevard » (C. Paysan). CAFARDER (1) v. tr. FAM. Dénoncer en faisant le cafard (I,2). => dénoncer, rapporter ; FAM. cafter, moucharder. Il m’a cafardé. ABSOLT. Il a cafardé pour plaire au chef. CAFARDER (2) v. intr. FAM. Avoir le cafard (II, 2), être déprimé (cf. Broyer du noir). CAFOUILLER v. intr. FAM. Agir d'une façon désordonnée, confuse ; marcher mal. => merdoyer, vasouiller. « Ils ne savent pas se conduire, ça cafouille » (Sartre). Ca cafouillait dans ses explications. Annexes 291 Entrées Cat. Gram. Marque Définitions CAFTER v. tr. FAM. Dénoncer. => cafarder (1). Il m’a cafté au prof. - ABSOLT. Un fayot qui cafte. CANARDER v. tr. FAM. Tirer sur (qqn) d'un lieu où l'on est à couvert, comme dans la chasse aux canards. Se faire canarder : se faire tirer dessus. PAR EXT. ABSOLT. Ca commence à canarder de toutes parts. => Tirer. CANER v. intr. FAM. Reculer devant le danger ou la difficulté. => céder, FAM. se dégonfler, flancher. « Il a tourné court, il a cané » (Duhamel) ◊ HOM. Canné, canner. CANNER v. tr. RÉGION. Mettre en boîtes de conserve. Canner de la (CANADA) (emploi critiqué) FAM. viande, des légumes. FAM. Importuner (qqn) par le même propos répété. => fatiguer ; canulant. CANULER v. tr. CARAPATER (SE) v. pron. FAM. S'enfuir, s'en aller vivement. => décamper, sauver (se), FAM. se tirer. CAROTTER (1) v. tr. FAM. Extorquer (qqch. à qqn) par la ruse. => escroquer, soutirer, voler. Il nous a carotté cent euros. « Il carotte des cigares aux Américains » Colette. - Carotter une permission. CAROTTER (2) v. tr. FAM. Extraire du sol une carotte. CASQUER v. intr. FAM. Donner de l'argent, payer. => raquer. Faire casquer qqn. CATASTROPHER v. tr. FAM. Atterrer => abattre, annihiler. - Surtout passif et p.p. Nous sommes catastrophés par la nouvelle. - Adj. Un air catastrophé. CAVALER v. intr. FAM. Courir, fuir, filer. Les cognes « ont manqué me pincer. Je les ai vus. J’ai cavalé, cavalé, cavalé ! » (Hugo). Cavaler après quelqu’un, lui courir après. POP. Se cavaler : s’enfuir. Se déplacer beaucoup sans relâche (=> cavalcade). Il a fallu cavaler pour obtenir ce papier. ◊ Rechercher des aventures érotiques (=> cavaleur). CHAMBARDER v. tr. FAM. Bouleverser de fond en comble, mettre en désordre. On a tout chambardé dans la maison. - FIG. Changer brutalement, détruire. => chambouler, révolutionner. « A les écouter, rien n’est bien et il faudrait chambarder tout : notre façon de travailler, notre manger ». (Genevoix). ◊ CONTR. Conserver, maintenir. 292 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions CHAMBOULER v. tr. FAM. Bouleverser, mettre sens dessus dessous => chambarder. « Chambouler l’échelle des valeurs » (Perret). CHAPARDER v. tr. FAM. Dérober, voler (de petites choses). => chiper, piquer. ABSOLT Chaparder dans les grands magasins CHARCUTER v. tr. FAM. Opérer (qqn) maladroitement. Se faire charcuter par un mauvais chirurgien. - FIG. Charcuter un texte, le défigurer par des suppressions. - PRONOM. Un des malades « a tenté de s’opérer lui-même et s’est abominablement charcuté » (Gide). CHÂTAIGNER v. intr. FAM. Se battre violemment. Ils châtaignaient par plaisir. - PRONOM. Ils se sont châtaignés. => se castagner. ◊ HOM. Châtaignier. CHIADER v. tr. FAM. ET VIEILLI CHIALER v. intr. CHIER (1) v. intr. FAM. Pleurer. FAM. ET Se décharger le ventre des excréments. Déféquer. => faire caca. VULG. CHIER (2) v. intr. Travailler, préparer (un examen). => potasser. Chiader son bac. Chiader une question, l'étudier à fond. => approfondir. P.p. adj. Un problème chiadé, difficile. FAM. ET VULG. FIG. Faire chier qqn, l'embêter. => ennuyer. (cf. faire suer). PAR EXT. Lui causer des ennuis, le faire souffrir. Tu nous fais chier! Fais pas chier ! Ca me fait chier : ça m’ennuie, ça m’est désagréable. On se fait chier ici, on s’ennuie. => s’emmerder. « J’aime mieux me faire chier tout seul que d’être heureux avec les autres » (Desproges). ◊ loc. Envoyer chier qqn, le rembarrer. Chier dans son froc (de peur), Chier dans la colle. - En chier : être dans une situation pénible. Ya pas à chier : c’est évident, c’est inévitable. A chier : très laid, très mauvais. Elle est à chier. Ce film est à chier. Un goût à chier. Il est nul à chier. ◊ IMPERS. Ca va chier (des bulles) : les choses vont se gâter, ça va barder. Ca chie pas : cela n’a pas d’importance. CHIGNER v. intr. FAM. Grogner, pleurnicher. CHIPER v. tr. FAM. Dérober, voler. « on va t’empaumer, on va te chiper tout ce que tu as » (Stendhal). CHLINGUER v. intr. FAM. ET Puer. => empester. « Je pue ils pincent leur VULG. nez ils disent ça chlingue ça fouette » (Duvert). CHOPER (1) v. tr. FAM. VIEILLI Voler => chiper. Annexes 293 Entrées Cat. Gram. Marque Définitions CHOPER (2) v. tr. FAM. Arrêter, prendre (qqn). => pincer. « on te choperait la main dans le sac » (Carco). Se faire choper. CHOPER (3) v. tr. FAM. Attraper. J'ai chopé un bon rhume. => ramasser. CHOUCHOUTTER v. tr. FAM. Dorloter, gâter. Chouchouter ses enfants. => cajoler, choyer. Se faire chouchouter. CHOUINER ou CHOUGNER v. intr. RÉGION. OU Pleurnicher. => chigner. Elle « cessa brusquement de chougner, surprise par cette proposition » (San Antonio). CHOURAVER v. tr. FAM. FAM. Voler. => chiper. « Qui a chouravé ma gamelle ? » (Sarrazin). - ABRÉV. Chourer. Il s’est fait chourer son stylo. COCHONNER v. tr. FAM. Faire (un travail) mal, sans soin, salement. C’est du travail cochonné. => saloper, torcher. ◊ Salir. Je venais de nettoyer, il a tout cochonné ! FAM. Sentir mauvais. => empester, puer. Ça COCOTER ou COCOTTER v. intr. COCUFIER v. tr. FAM. Faire cocu. => tromper. COLLAPSER v. intr. FAM. S’évanouir. J’ai failli collapser en le voyant. COMPLEXER v. tr. FAM. Donner des complexes à qqn. Sa petite taille le complexe. => inhiber, paralyser. CONTREBALANCER v. pron. (S'EN) FAM. Se moquer éperdument de. « Si je ne lui CONTREFICHER (SE) FAM. cocotte, ici ! v. pron. plais pas, c’est son affaire [..] je m’en contrebalance » (Beauvoir). Se moquer complètement (de). => s’en contrebalancer, s’en contrefoutre. Il s’en contrefiche. COPINER v. intr. FAM. Avoir des relations de camaraderie. Copiner avec qqn. CORNAQUER v. tr. FAM. Servir de guide à (qqn). => accompagner, guider, piloter. COUCHAILLER v. intr. FAM. ET PÉJ. Avoir des relations sexuelles occasionnelles. => 1. coucher (II , 3). « Moravagine couchaillait avec elle » (Cendrars). COUILLONNER v. tr. FAM. Tromper, duper. Se faire couillonner. -P.p. adj. « Pauvre papa, empoisonné par ses souvenirs de Verdun et une fois de plus couillonné » (J-L. Bory). COUINER (1) v. intr. FAM. Pousser de petits cris => couinements. Souris qui couine. - PAR EXT. (PERSONNES) Arrêtez de couiner ! => piailler. COUINER (2) v. intr. FAM. Grincer. Porte qui couine. COURSER v. tr. FAM. Poursuivre à la course. - FAM. suivre. Elle s’est fait courser par deux garçons. 294 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions CRACHOUILLER v. intr. et tr. FAM. => crachoter. J’émergeai, « crachouillant une eau qui sentait le roui » (Bazin). CRAMER (1) v. tr. FAM. Brûler légèrement. Cramer un rôti. Cramer du linge en le repassant. => roussir. INTRANS. Les carottes ont cramées. => attaché CRAMER (2) v. intr. FAM. Brûler complètement, se consumer. Toute la bicoque a cramé. CRÂNER v. intr. FAM. Affecter la bravoure, le courage, la décision. => fanfaronner, plastronner, poser (cf. FAM. Jouer les durs). Je ne crânais pas (cf. je m’en menais pas large). - PAR EXT. PÉJ. Prendre un air fat, vaniteux => frimer. Il crane sur sa moto neuve (cf. La ramener, rouler des mécaniques). « Vous avec une boutique, vous rêvez de crâner dans le quartier » (Zola) ◊ CONTR. Poltronnerie. CRAPAHUTER v. intr. FAM. Marcher, progresser dans un terrain accidenté, difficile. CRAPOTER v. intr. FAM. Tirer sur une cigarette sans vraiment fumer, sans avaler la fumée. CRÉCHER v. intr. FAM. Habiter, loger. « Il demanda : Où est-ce que je vais crécher, cette nuit ? » (Sartre). CRISER v. intr. FAM. Perdre le contrôle de ses nerfs, piquer sa crise. CRITICAILLER v. intr. FAM. Critiquer, blâmer sans raison ou pour le plaisir. CROUTER v. tr et intr. FAM. Manger. « Il n’a pas dû déjeuner pour mieux croûter ce soir à nos dépens » (Queneau) CUITER (SE) v. pron. FAM. Prendre une cuite, s'enivrer. => soûler (se) « Tu auras tout le temps de dormir et même de te cuiter » (Vailland). DANSOTER v. intr. FAM. Danser un peu. DEALER v. tr. FAM. Trafiquer, revendre (de la drogue), à petite échelle. DÉBALLONNER (SE) v. pron. FAM. ET PÉJ. Reculer, par manque de courage, devant une action. => se dégonfler. DEBANDER v. intr. FAM. Cesser de bander, d'être en érection. - ça fait débander : ça gâche le plaisir, le désir. ◊ Cesser d’être en action. « Il avait repris tout son souffle… Il débandait plus » (Céline). LOC. FIG. Sans débander : sans interrompre son effort. ◊ CONTR. Bander. DEBARBOUILLER v. tr. FAM. Tirer d’affaire, d’embarras. Laisser-le se débarbouiller tout seul. => se dépêtrer. Annexes 295 Entrées DÉBECTER ou DÉBÉQUETER, DÉBECQUETER Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Dégoûter. « Le vichy-fraise, me débecte » (Queneau). - PAR EXT. Déplaire. Votre comportement me débecte. ça me débecte. ◊ CONTR. Plaire. DEBINER v. tr. DEBINER (SE) v. pron. FAM. Décrier, dénigrer. - PRONOM. « entre littérateurs, on peut s’aimer tout en se débinant » (Renard). FAM. ET Se sauver, s’enfuir, partir. « tous les civils VIEILLI des patelins, qui ont les foies et qui se débinent » (Martin du Gard). Désorienter (qqn), faire qu’il ne sache plus où il est. Son échec l’a déboussolé. - Il est complètement déboussolé. => désemparé, paumé. DEBOUSSOLER v. tr. FAM. DÉBRAGUETTER v. tr. FAM. Ouvrir la braguette de. PRONOM. Se débraguetter. ◊ CONTR. Rebraguetter. DEBRAILLER (SE) v. pron. FAM. Se découvrir la poitrine, d’une manière indécente en ouvrant ses vêtements. Se débrailler en public. - FIG. La conversation se débraille, perd toute retenue, toute décence. DEBRAYER v. intr. FAM. (1937). Arrêter le travail (dans une usine,…), notamment pour protester. (cf. faire grève, se mettre en grève). Les ouvriers ont débrayé ce matin. ◊ CONTR. Embrayer DÉCANILLER v. intr. FAM. S’enfuir, partir. DECARCASSER (SE) v. pron. FAM. Se donner beaucoup de peine pour parvenir à un résultat. => se démener. (cf. se donner du mal ; FAM. se casser le cul). « Je peux bien me décarcasser à faire de l’ironie, elle n’a même pas l’air d’entendre » (Colette). DÉCERVELER v. tr. FAM. Faire sauter la cervelle de (qqn). - ABSOLT. La machine à décerveler du père Ubu. FIG. Rendre stupide. => abrutir, décérébrer. ABSOLT. « La télévision, insidieuse machine à décerveler ». (Leiris). DÉCOMPLEXER v. tr. FAM. Libérer de ses inhibitions, de ses complexes. => décoincer, décontracter, défouler. Décomplexer un intime. Invitele, ça va le décomplexer ! - FIG. Libérer d’une gêne, d’un sentiment d’infériorité. Décomplexer « l’économie marocaine » (Le Monde, 1962). ◊ CONTR. Complexer, inhiber. 296 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions DÉCONNER (1) v. intr. FAM. Dire, faire des bêtises, des absurdités => débloquer, déraisonner. « Ce que je pouvais déconner, pardon, dire des bêtises quand j’étais môme » (Queneau). Il déconne à plein tubes. DECONNER (2) v. intr. FAM. Plaisanter. => blaguer, rigoler. Faut pas déconner avec ces choses là ! Allez, assez déconné, soyons sérieux ! Arrête de déconner ! Sans déconner, ABRÉV. Sans déc’. : sérieusement. DECONNER (3) v. intr. FAM. (Choses). Mal fonctionner. Ma montre déconne complètement. DÉFOULER (1) v. tr. FAM. (Choses). Permettre, favoriser chez (qqn) la libération de l’agressivité, de pulsions ordinairement réprimées. L’automobile « instrument à défouler les citadins emprisonnés » (Elle, 1958). DEFOULER (2) v. tr. FAM. (Personnes). Se DÉFOULER v. pron. Se libérer des contraintes, des tensions. (=> décompresser) ; faire une dépense d’énergie vitale. Se défouler en faisant du sport. Se défouler sur qqn, sur qqch. DEFOURAILLER v. intr. ARG. FAM. Sortir une arme à feu. => dégainer. « Le Texas ranger qui défouraille plus vite que son ombre ». (Le Point, 1987) DÉGLINGUER v. tr. FAM. Disloquer. => abîmer, démantibuler, désarticuler, détraquer. Déglinguer un appareil. - Pronom. Ce réveil se déglingue sans arrêt. P.p. adj. Une bicyclette toute déglinguée. DÉGOBILLER v. tr. FAM. => vomir. Dégobiller son repas. ABSOLT. Il a envie de dégobiller. => dégueuler, gerber. DÉGOISER (1) v. intr. FAM. ET PÉJ. Parler. Il n'a pas fini de dégoiser. DEGOISER (2) v. tr. FAM. ET PÉJ. Débiter. Dégoiser d’interminables discours. Qu’est-ce qu’il dégoise ? => dire. DEGOTER (1) v. tr. FAM. VX. Déposséder (qqn) d’un poste, renvoyer. => FAM. dégommer. DEGOTER (2) v. tr. FAM. ET MOD. => découvrir, trouver. Impossible de le dégotter nulle part. Où avez-vous dégoté ce bouquin ? DÉGROUILLER (SE) v. pron. DÉGUEULASSER v. tr. DEGUEULER v. FAM. (LANG. Se dépêcher. => grouiller (se) magner (se). DES ÉCOLIERS) Allons, dégrouille-toi, ABSOLT. Dégrouille! FAM. Salir énormément. => saloper. Tu as tout dégueulassé. PRONOM. « On va se dégueulasser » (G. Conchon). FAM. ET Vomir. => dégobiller, gerber. VULG. Annexes 297 Entrées Cat. Gram. Marque Définitions DEHOTTER v. intr. FAM. Partir, s’en aller. DEJANTER v. FAM. Devenir un peu fou, avoir un comportement anormal. => débloquer, dérailler. Il a déjanté. Elle déjante complètement. DÉMANTIBULER v. tr. FAM. Démolir de manière à rendre inutilisable ; mettre en pièces. => casser, déglinguer, démonter, disloquer. Démantibuler un meuble. - P.p. adj. « Des charpentes abattues, des bancs boiteux, des stalles démantibulées » (Chateaubriand). ◊ CONTR. Arranger, réparer. DÉMERDER (SE) v. pron. FAM. Se débrouiller. Se démerder tout seul. Ça ne me regarde pas, démerdez-vous! Il se démerde bien : il s'en tire, s'en sort bien, il réussit. « IL était temps qu’il se démerde pour gagner sa croûte » (Queneau). DÉPATOUILLER (SE) v. pron. FAM. Se dépêtrer d'une situation embarrassante. FIG. ET COUR. Se débrouiller. => se démerder. DÉPIAUTER v. tr. FAM. Dépouiller (un animal) de sa peau. => écorcher. Dépiauter un lapin. - PAR EXT. Débarrasser de ce qui recouvre comme d'une peau (papier, etc.). Dépiauter des bonbons. Dépiauter un fruit. => éplucher. FIG. Éplucher (un texte). DEPOITRAILLER (SE) v. pron. FAM. [cf. DEPOITRAILLE, E] DÉPUCELER v. tr. FAM. Faire perdre sa virginité, son pucelage à (qqn). Dépuceler une jeune fille. Etre dépucelée. DESAPER v. tr. FAM. Déshabiller. PRONOM. Se désaper pour se coucher. ◊ CONTR. Se saper. DETALER v. intr. FAM. S’en aller au plus vite. => décamper, déguerpir, s’enfuir. Détaler à toutes jambes, au triple galop. Il « détalait d’une vitesse que ses sandales lui donnaient la fessée » (France). « Les Ribeyrol remontèrent en auto sans perdre une minute et détalèrent » (Duhamel). => filer. 298 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées DINGUER Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. Définitions (Surtout inf., après des v. comme aller, venir, faillir). Tomber, être projeté. => valdinguer, valser. « J’eus un éblouissement et m’en allai dinguer au pied d’un marronnier » (Gide). ◊ Envoyer dinguer : repousser violemment. -FIG. éconduire sans ménagement. => rabrouer. « Si c’était moi qui avais voulu les lui présenter, ce qu’il m’aurait envoyé dinguer » (Proust). => bouler, paître. DOUILLER (1) v. intr. FAM. Payer. C’est encore moi qui vais douiller ! => casquer, raquer. DOUILLER (2) v. intr. FAM. Ca douille : ça coûte cher. => chiffrer. DROGUER v. intr. FAM. ET Faire droguer qqn. => attendre. « Le campagnard ne vous fait droguer que lorsqu’il est sur de votre patience ». VIEILLI (Romains). DROPER v. intr. FAM. Filer, courir très vite. « les agents convoyeurs m’ont fait droper au pas de charge jusqu’à la gare » (Sarrazin). ÉCORNIFLER v. tr. FAM. ET VX. Se procurer çà et là aux dépens d'autrui (une aubaine, de l'argent, un bon repas...). => grappiller, rafler. ÉCRABOUILLER v. tr. FAM. Écraser salement, mettre en bouillie. => broyer. Écrabouiller un escargot. Un camion a failli l’écrabouiller. « Bon fusil, ma foi ! Quel calibre ! CA vous écrabouille la tête sur la pavé » (Zola). EMBERLIFICOTER (1) v. tr. EMBERLIFICOTER (2) v. tr. FAM. Empêtrer. - PRONOM. « Il s’emberlificota dans les jupons, et faillit tomber » (Zola). FAM. Fig. Embrouiller (qqn) pour le tromper. =>embobiner. - PRONOM. S’emberlificoter dans des explications confuses. EMBÊTER (1) v. tr. FAM. Ennuyer. Ce spectacle m'embête. => Raser ; FAM. emmerder. ◊ S’embêter. V. pron. S’ennuyer. => FAM. s’emmerder. « Ce vieux Rouen où je me suis embêté sur tous les pavés » (Flaubert). LOC. S’embêter à cent sous de l’heure, beaucoup. EMBÊTER (2) v. tr. FAM. Contrarier fortement. Ne l'embête pas ! : laisse-le tranquille. => agacer, importuner, tarabuster ; FAM. asticoter, bassiner, tanner (cf. casser les pieds, TRÈS FAM. faire chier). Ca l’embête d’être en retard, qu’il parte demain. « Si c’est pour embêter le gouvernement, vous perdez votre peine » (Romains). ◊ V. pron. Il ne s’embête pas : il a une vie agréable, il n’est pas à plaindre Annexes 299 Entrées EMBÊTER (3) Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Embarrasser. je suis bien embêté de vous répondre. EMBOBINER v. tr. FAM. Tromper par des paroles captieuses. => duper, entortiller. Le vendeur l’a facilement embobiné. EMBRINGUER v. tr. FAM. Engager de façon fâcheuse, embarrassante. => embarquer. « Décidé à ne pas se laisser embringuer dans un cirque ambulant » (Queneau). Il est embringué dans une sale affaire. - PRONOM. « Je suis trop bête de m’embringuer d’un ménage à soutenir ». (Bourget). EMMERDER (1) v. tr. FAM. Importuner (qqn). => agacer ; FAM. embêter, emmieller, emmouscailler, enquiquiner, gonfler (cf. TRÈS FAM. Faire chier). Arrête de m’emmerder. Tu emmerdes tout le monde. Ca m’emmerde de rester là, qu’il parte sans moi. Il est salement emmerdé avec cette histoire. Pronom. S’emmerder avec qqch., à : se donner beaucoup de peine pour (qqch). On ne va pas s’emmerder avec ça, pour si peu, à le réparer. (Emploi négatif) Il ne s’emmerde pas : il ne s’en fait pas, il a de la chance. EMMERDER (2) v. tr. FAM. Ennuyer. => assommer, barber, embêter, raser. La politique et l’opéra m’emmerde.. PRONOM. => s’enquiquiner (cf. se faire chier, suer). « On s’emmerde ici. Si on allait dans une autre crémerie ?) (Maurois). (emploi négatif) On ne s’emmerde pas avec eux ! on s’amuse, il se passe des choses. EMMERDER (3) v. tr. FAM. (en matière de défi) Tenir pour inexistant, négligeable. « Les gens du quartier ? je les emmerde » (Queneau). EMMIELLER v. tr. FAM. (par euphém.) Emmerder (qqn). EMMITOUFLER v. tr. FAM. Envelopper dans des fourrures, des vêtements chauds et moelleux. « Emmitouflée jusqu’aux oreilles dans un châle fané » (Daudet). - PRONOM. Se couvrir chaudement des pieds à la tête. EMMOUSCAILLER v. tr. FAM. VIEILLI Emmerder. ÉMOTIONNER v. tr. FAM. Toucher, agiter par une émotion. => émouvoir. « Je ne dirai pas que cet ouvrage m’émeut, mais il émotionne : mauvais mot, mauvaise chose ». (Le Senne). EMPAUMER v. tr. FAM. ET VIEILLI Posséder (qqn) en trompant, en enjôlant. « Tout malin que tu es, tu te fais empaumer » (B. Clavel). => duper, rouler. 300 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées EMPIFFRER (S’) Cat. Gram. v. pron. Marque FAM. Définitions Manger avec excès, gloutonnement. => se bourrer, se gaver, se goinfrer. Dès qu’il est à table, il s’empiffre. « Il s’empiffrait de nourriture, et repu, s’endormait sur place » (Tharaud) ; EMPILER v. tr. FAM. Duper en volant. => avoir, posséder, rouler. Se faire empiler. EMPLAFONNER v. tr. FAM. (En parlant de véhicules). Heurter violemment (un autre véhicule ou un obstacle). => Emboutir. - PRONOM. Entrer en collision. Les camions se sont emplafonnés. ENDÊVER v. intr. FAM. ET VX . Rager. - Vieilli. Faire endêver quelqu'un : le faire enrager. => tourmenter. « Je la faisais endêver en cachant ses balais » (France). ENGUEULER (1) v. tr. FAM. Adresser des injures, une vive réprimande à (qqn), souvent de façon grossière, pour exprimer son mécontentement. => réprimander. Se faire engueuler par son patron (=> incendier), par ses parents (=> attraper, gronder). « Et le poète soûl engueulait l’univers » (Rimbaud) « Ils engueulent leurs domestiques en flamand » (Baudelaire) - Loc. Engueuler qqn comme du poisson pourri, l’accabler d’injures violentes. ENGUEULER (2) v. pron. FAM. RÉCIPR. Se disputer, se quereller de façon violente. S’engueuler avec qqn. Ils se sont engueulés un bon coup. ENGUIRLANDER v. tr. FAM. (euphém. pour engueuler). Réprimander (qqn). « l’autre s’emporte et l’enguirlande » (Gide). ENQUIQUINER v. tr. FAM. Agacer, ennuyer, importuner (euphémisme pour emmerder dont il a tous les sens figurés). « Les ministres, je m’en sers quand j’en ai besoin. Et puis je les enquiquine » (Duhamel). - PRONOM. Je ne vais pas m’enquiquiner avec ça. ENTARTER v. tr. FAM. Plaquer une tarte à la crème sur le visage (de qqn ; spécialement une personnalité que l’on veut ridiculiser) ENTUBER v. tr. FAM. Duper, escroquer. => 1. avoir, posséder, rouler. Il s'est fait entuber. Il l’a entubé de 2 euros. ÉPOUSTOUFLER v. tr. FAM. Jeter (qqn) dans l'étonnement, la surprise. => ébahir, épater, étonner, stupéfier. Cette nouvelle m’a époustouflé. Tous étaient époustouflés par tant d’audace. => soufflés. Annexes 301 Entrées Cat. Gram. ESBIGNER (s’) v. pron. Marque FAM. ET Définitions Se sauver. => décamper. VIEILLI ESBROUFER v. tr. FAM. En imposer à (qqn) en faisant de l'esbroufe => bluffer, épater. Il cherche à nous esbroufer (moins cour. que faire de l'esbroufe). ESQUINTER (1) v. tr. FAM. Blesser (qqn) ; abîmer (qqch). Il l’a salement esquinté. => amocher. S’esquinter la vue à lire sans lumière. S’esquinter la santé. => ruiner. Esquinter sa voiture, ses livres. => détériorer ; FAM. bousiller. ◊ Fig. critiquer très sévèrement. Esquinter un auteur. Le film a été esquinté par la critique. => éreinter. ESQUINTER (2) v. tr. FAM. Fatiguer extrêmement. => épuiser, éreinter ; FAM. claquer, crever. Ce travail m’esquinte. - PRONOM. « Je ne vais pas m’esquinter à travailler pour engraisser une bande de députés » (Aragon) => tuer. ESTOMAQUER v. tr. FAM. Etonner, surprendre par qqch. de choquant, d’offensant. Sa conduite a estomaquée tout le monde. => scandaliser, suffoquer. ESTOURBIR v. tr. FAM. Assommer. - Fig. Étonner violemment. FARFOUILLER v. intr. FAM. Fouiller en bouleversant tout. => fourgonner, fureter, trifouiller. « Merci de m’avoir permis ainsi de farfouiller dans vos affaires » (Montherlant). FAUTER v. intr. FAM. VIEILLI Se laisser séduire, se donner, en parlant d’une femme, d’une jeune fille. FIGNOLER v. tr. FAM. Exécuter, arranger avec un soin minutieux jusque dans les détails. => finaliser, finir, parfaire, peaufiner, soigner. « il s’en remet sur d’autres le soin de fignoler sa doctrine » (Romains). ABSOLT. Ce n’est pas la peine de fignoler. => raffiner. - travail, devoir fignolé. => léché. Fignoler avec amour. ◊ CONTR. Bâcler. FILOCHER (1) v. intr. FAM. Aller vite, filer. FILOCHER (2) v. tr. FAM. Suivre (qqn) pour l’épier. FLANCHER v. intr. FAM. Céder, faiblir. Le cœur du malade a flanché brusquement. => lâcher. Sa mémoire commence à flancher. Il semblait résolu, mais il a flanché au dernier moment. => abandonner. Fam. se dégonfler (cf. Lâcher pied). Ce n’est pas le moment de flancher ! => FAM. mollir. 302 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées FLANQUER (1) Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Lancer, jeter brutalement ou brusquement. => ficher, foutre. Flanquer un coup, une gifle à qqn. => allonger, appliquer, envoyer. « C’est vrai, il y a des jours où je flanquerais tout en l’air ». (Zola). => bazarder. « Des gens qui jouaient aux cartes et qui se les flanquaient par la figure » (Aragon). Flanquer qqn dehors, un employé à la porte. => congédier, renvoyer. Flanquer qqch. par terre, le faire échouer. Ca a tout flanqué par terre. - PRONOM. Se flaquer par terre : tomber. FLANQUER (2) v. tr. FAM. Donner => coller. Flanquer la frousse à qqn. « Cet excès de belladone lui flanqua seulement une mémorable colique » (Bazin). FLASHER v. intr. FAM. Être très intéressé par, avoir le coup de foudre pour. Flasher sur qqn. FLEMMARDER v. intr. FAM. Paresser, ne rien faire. => buller. « je ne flemmarde pas, Monsieur, je reprends le souffle » (B. Vian). FLINGUER (1) v. tr. FAM. Tirer sur (qqn) avec un flingue, une arme à feu « Le premier qui bouge, je le flingue » (Simonin). - Pronom. Se suicider avec une arme à feu. Si tu pars, je me flingue ! Il y a de quoi se flinguer. FLINGUER (2) v. tr. FAM. Détruire, abîmer (qqch). Flinguer le moteur. => bousiller, fusiller. FLIPPER (1) v. intr. FAM. Etre abattu, déprimé lorsque la drogue a fini son effet. FLIPPER (2) v. intr. FAM. Par ext. Etre déprimé. ◊ Etre angoissé, avoir peur. => baliser. Flipper avant de passer un examen. ça me fait flipper. FLIQUER v. tr. FAM. Exercer une surveillance policière sur. PAR Exercer une surveillance répressive sur (qqn). Fliquer les enfants. EXT. FLOTTER Pleuvoir abondamment. Il a flotté toute la v. impers FAM. FOUINER (1) v. intr. FAM. Se livrer à des recherches méticuleuses. Fouiner dans la bibliothèque. FOUINER (2) v. intr. FAM. PÉJ. Fouiller indiscrètement dans les affaires des autres (comme la fouine qui fourre partout son museau). => fouiller, fureter. Il n'aime pas qu'on vienne fouiner dans ses affaires. « Ils ont fouiné partout, perquisitionné comme ils disent » (Genevois). journée. Annexes 303 Entrées Cat. Gram. Marque Définitions FRIMER v. intr. FAM. Chercher à en imposer, à se faire admirer. => bluffer, craner, esbroufer, fanfaronner, parader, plastronner, se vanter. (cf. Faire de l’épate, de la frime, jeter de la poudre aux yeux). Pas la peine de frimer. FRINGUER v. tr. FAM. Habiller (bien ou mal). => accoutrer, nipper. - PRONOM. Elle se fringue mal. => se saper. P.p. adj. « Paul entra tout fringuant et bien fringué » (Queneau). FRITER (SE) v. pron. FAM. Avoir une altercation plus ou moins vive (avec qqn). « Pascal de Gancieux, très chic, mais se frittait avec le fils de la maison « (Pennac). FUGUER v. intr. FAM. Faire une fugue; s'enfuir du milieu familial. « Il fugua la première fois en apprenant la grossesse de son épouse » (Queffélec). GAFFER (1) v. tr. FAM. Regarder attentivement. => zieuter. Gaffe un peu la fille ! => 1. viser. GAFFER (2) v. intr. FAM. Faire attention (cf. faire gaffe). GALÉRER v. intr. FAM. Se lancer dans des entreprises hasardeuses, souvent sans résultat => ramer. On a drôlement galéré pour trouver ton immeuble. ◊ SPÉCIALT. Vivre de travaux épisodiques et peu rémunérateurs. «il galère dans le privé, de remplacement en remplacement» (Le Nouvel Obs., 25 nov. 1983, p. 82). GAMBERGER (1) V. intr. ARG. FAM. Réfléchir, méditer. GAMBERGER (2) v. tr. ARG. FAM. Calculer, combiner. => manigancer, mijoter. « On ne sait jamais ce qu’elles gambergent » (Queneau) GAMBILLER (1) v. intr. FAM. VX. Remuer les jambes quand elles sont pendantes. => gigoter. GAMBILLER (2) v. intr. FAM. MOD. Danser sur un rythme très vif. Trémousser (se). GÂTIFIER v. intr. FAM. Devenir gâteux ; se comporter comme un gâteux. Il gâtifie avec son petit-fils. => bêtifier. GAZER (1) v. intr. FAM. VIEILLI Aller à toute vitesse, à plein gaz. => filer, foncer. GAZER (2) v. intr. FAM. VIEILLI Aller à souhait, marcher. Ca ne gazera pas. Ca gaze ? => boumer, coller. GERBER (1) v. intr. FAM. Vomir. C’est à gerber, ça me fait gerber : ça me dégoûte. GERBER (2) v. intr. FAM. Partir, s’en aller. Gerbe de là ! 304 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions GIGOTER v. intr. FAM. Remuer vivement les jambes, et, par ext., agiter ses membres, tout son corps. => se trémousser. Enfant, bébé qui gigote. Arrête de gigoter!, => bouger. ◊ Se dit d’un animal et SPÉCIALT, un lièvre) qui agite convulsivement ses pattes avant de mourir. GLANDER v. intr. FAM. Ne rien faire, perdre son temps. On dit aussi glandouiller. J’ai glandé toute la journée. ◊ TRANS. Faire. Qu’est-ce que tu glandes ? => branler, foutre. GLAVIOTER v. intr. FAM. ET [cf. GLAVIOT] VULG. GOBERGER (SE) v. pron. FAM. Prendre ses aises, bien se traiter, faire bombance. « tu vis là, chez moi comme un chanoine, comme un coq en patte, à te goberger » (Flaubert). « Ils se gobergeaient d’oursins » (Martin du Gard). GODAILLER v. intr. FAM. Faire des faux plis (vêtement). => goder. Sa jupe godaille. GOINFRER (SE) v. pron. FAM. Manger comme un goinfre. => bâfrer, se bourrer, s’empiffrer, se gaver. Se goinfrer de pâtisseries. GOURER (SE) v. pron. FAM. Se tromper. Il s’est gouré dans son addition. Tu t’es complètement gouré ! => se planter. « Je me suis un peu gourée de route en chemin » (Queneau). GRAILLER v. tr. FAM. Manger. Rien à grailler ! ABSOLT. Ils sont en train de grailler. => bouffer. GRAILLONNER v. intr. FAM. Tousser pour expectorer des graillons. => cracher. ◊ Parler d'une voix grasse, enrouée. GRATOUILLER ou GRATTOUILLER v. tr. FAM. Gratter légèrement. Faire éprouver une démangeaison à. « Est-ce que ça vous chatouille, oui est-ce que ça vous gratouille ? » (Romains). GRENOUILLER v. intr. FAM. Pratiquer le grenouillage => magouiller. GROGNASSER v. intr. FAM. ET PÉJ. Grogner de façon continuelle. => grognonner GUEULETONNER v. intr. FAM. Faire un gueuleton, bien manger. GUINCHER v. intr. FAM. Danser. INDIFFÉRER v. tr. FAM. Laisser indifférent (qqn). Cela m’indiffère totalement. (cf. laisser froid). « Ces avis indiffèrent ma fille « (Queneau). REM. Ne s’emploie qu’avec un pronom complément. INSUPPORTER v. tr. FAM. ET PAR PLAIS. Être insupportable à. => indisposer. « cette vieille roulure m’insupporte » (H.Batialle). Rem. Ne s’emploie qu’avec un pronom complément. Annexes 305 Entrées JABOTER Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. ET VIEILLI Définitions Bavarder à plusieurs. => cancaner, caqueter. « Les gens de la petite ville jabotaient, plaisantaient volontiers » (Duhamel). JACTER v. intr. FAM. Parler, bavarder. => jacasser, jaspiner. « Elle a mis un doigt contre ses lèvres pour me dire de ne pas jacter » (Mac Orlan). JASPINER v. intr. FAM. ET PÉJ. Bavarder, causer. - TRANS. Jaspiner le jars : parler argot. JUBILER v. intr. FAM. Se réjouir vivement de qqch. Il n’avait pas tant espéré, vous pensez s’il jubile ! SPÉCIALT. Se réjouir des malheurs d’autrui. Il jubile en cachette. => jouir. Dieu « se réjouissait des massacres et jubilait dans les exterminations ». (France). ◊ CONTR. S’affliger, enrager. KIFER (1) v. intr. FAM. Prendre du plaisir. « C’est le seul truc à l’école qui me fait kifer » (Actuel 1990). KIFER (2) v. tr. FAM. Apprécier, aimer bien. LAÏUSSER v. intr. FAM. Faire des laïus. => discourir, pérorer. Laïusser pendant plus d'une heure. LAMPER v. tr. FAM. Boire d'un trait ou à grandes gorgées. => siffler. « il sirotait son vin quand les autres lampaient le leur » (Barbey). LÉZARDER v. intr. FAM. Faire le lézard, paresser au soleil. LIMOGER (1) v. tr. FAM. Relever (un officier général) de son commandement. « Il laissait entendre qu’on avait limogé Percin » (Proust). LIMOGER (2) v. tr. FAM. Frapper (une personne haut placée et particulièrement un haut fonctionnaire) d'une mesure de disgrâce (déplacement d'office, la mise à la retraite…). => destituer, disgracier, révoquer. Limoger un préfet. LOUPER (1) v. tr. FAM. Mal exécuter (un travail, une action). Ne pas réussir (qqch.). => manquer, rater. Elève qui loupe un examen. Acteur qui loupe son entrée. « Riton esquissa le même mouvement, et le loupa » (Queneau). LOUPER (2) v. tr. FAM. Ne pouvoir prendre, laisser échapper. => manquer, rater. Tu vas louper ton train. Louper l'occasion, la commande. « faut pas louper son tour » (Barbusse) - LOC. Il n’en loupe pas une : il a fait la gaffe, la bêtise qu'il ne fallait pas faire. ◊ Ne pas réussir à rencontrer. Je l’ai loupé à la gare. PRONOM. Nous nous sommes loupés de peu. 306 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions LOUPER (3) v. intr. FAM. Rater. ça n’a pas loupé, manqué. LOURDER v. tr. ARG. FAM. Mettre à la porte. => Licencier. - PAR EXT. Se débarrasser de (qqch. ou qqn). => larguer, vider, virer. Il s'est fait lourder par sa petite amie. MÂCHOUILLER v. tr. FAM. Mâchonner ; mâcher sans avaler. « Palaiseau mâchouillait une paille avec l’expression béate d’un ruminant » (Troyat). MAGNER (SE) ou MANIER v. pron. FAM. Se remuer, se dépêcher => se grouiller, se dégrouiller. « On t’attend à la caserne, je te conseille de te manier » (Sartre) Magnezvous ! – Loc. vulg. Se manier, se manier le cul, le pot, le popotin. MAGOUILLER (1) v. intr. FAM. Se livrer à des magouilles. Magouiller pour obtenir un poste. MAGOUILLER (2) v. tr. FAM. Élaborer des magouilles. Qu’est-ce qu’il magouille encore ? => manigancer, traficoter. MARONNER v. intr. FAM. RÉGIONAL. MARRER (SE) v. pron. FAM. Maugréer, exprimer sa colère, son dépit, en grondant, en marmonnant. =>grogner, FAM. rouspéter. Faire maronner qqn, le faire enrager. => bisquer. S’amuser, rire. => rigoler. On s'est bien marré. Il y a de quoi se marrer. « Quelle armée ! Et on parle de chasseurs de Boches ? Laissez moi me marrer » (Dorgelès). (Factitif; avec ellipse de se). Faire marrer qqn. Tu me fais marrer MÉGOTER v. intr. FAM. Lésiner, rechercher les profits dérisoires. Il n’a pas mégoté, il a fait les choses en grand. MENDIGOTER v. FAM. [Cf. MENDIGOT,TE] MERDER (1) v. intr. FAM. Eprouver des difficultés, ne pas savoir répondre. Merder à une interro de maths. => sécher. MERDER (2) v. intr. FAM. (choses) Échouer. => rater, FAM. foirer. L’affaire a merdé. MERDOYER v. intr. FAM. S'embrouiller dans une explication, dans des démarches maladroites. => cafouiller, vasouiller. ; Argot scol. Sécher. - Merder. MORFLER v. tr. ARG. FAM. Recevoir, encaisser (un coup, une punition); subir (un inconvénient). Morfler une beigne. - ABSOLT. COUR. C’est encore moi qui vais morfler. Annexes 307 Entrées Cat. Gram. Marque Définitions MOUCHARDER v. tr. FAM. Surveiller en vue de dénoncer, et, par ext., dénoncer. => cafarder, FAM. cafter, espionner. ◊ ABSOLT. Faire le mouchard. Écolier qui moucharde. => rapporter. MOUFTER ou MOUFETER v. intr. FAM. Broncher, protester. Il a accepté sans moufter. Il n’a pas moufté. Personne ne mouftait.. NIPPER v. tr. FAM. ET => habiller. - PRONOM. Il s’est nippé de neuf. => se saper. « C’est que je suis nippée comme une princesse ! » (Balzac) VIEILLI PARTOUZER v. intr. FAM. Participer à une partouze. « On boit beaucoup, on partouze sans conviction, on fume des joints » (Le Point, 1985). PAUMER v. tr. FAM. Perdre. J’ai paumé le fric. Il a tout paumé au casino. – Pronom. Se perdre. Il s’est paumé en route. PEINTURLURER v. tr. FAM. Peindre avec des couleurs criardes, peu harmonieuses. => barbouiller. « Tout est peinturluré, doré, candélabré. C’est pompeux et mastoc » (Flaubert). PELOTER v. tr. FAM. Caresser, palper, toucher indiscrètement et sensuellement (le corps ou une partie du corps de qqn., qqn). => tripoter. Se faire peloter dans la foule. PRONOM. RÉCIPR. Les amoureux qui se pelotent. ◊ Fig. et vieilli. Flatter. « Les ministres vous pelotent pour que le « journal de doctrine » ne les abîme pas trop » (Romains). PENDOUILLER v. intr. FAM. Pendre d'une manière ridicule, mollement. Avoir une mèche qui pendouille devant les yeux. => pendiller. PETER (1) v. FAM. Faire un pet, lâcher des vents. « Le marquis de Lescous, à la fin du repas, rote et pète comme un sapeur-pompier » (Romains). loc. Envoyer péter qqn. (Vouloir) péter plus haut que le cul, plus haut que son derrière : avoir des ambitions qui passent ses moyens. « Il ne voulait pas péter plus haut qu’il n’avait le derrière » (Queneau) ; Péter dans la soie : avoir des vêtements luxueux ; fig. vivre dans le luxe. 308 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées PETER (2) Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. Définitions Éclater avec bruit. => exploser. « Au tir, cela pétait ferme » (Aragon). Des obus pétaient dans tous les coins. ◊ PAR EXT. Rompre brusquement, se casser. « La capote trop étroite fait des plis circulaires, tous les boutons prêts à péter ». (Dorgelès) => sauter. Ma télé est pétée. - Loc. Manger à s’en faire péter la sous-ventrière, avec excès. Il faut que ça pète ou que ça dise pourquoi : il faut que cela finisse, coûte que coûte. - Si vous hésitez plus longtemps, l’affaire va vous péter dans la main, dans les mains. => échouer, rater. - Péter de : déborder de. Péter de santé. => crever. PETER (3) v. tr. FAM. (par anal. avec cracher, jeter) Péter le feu (du feu, des flammes) : déborder d’entrain, de vitalité. « Il pète du feu, mais il se calmera » (Morand). Ca va péter des flammes : ça va barder. PETER (4) v. tr. FAM. Briser, casser (qqch). « Vous n’auriez pas un lacet de soulier, par hasard, je viens de péter le mien » (Queneau). - Péter la gueule à qqn : lui donner des coups. => casser. Se péter le gueule : tomber. - Se péter (la gueule) : s’enivrer (=> pétée). PETIT-DÉJEUNER v. intr. FAM. Prendre le petit-déjeuner. « Il remontait se confectionner du café et petit-déjeuner [sic] seul » (Queneau). PHOSPHORER v. intr. FAM. Travailler intellectuellement. « Il travaille. Mieux ! Il phosphore, il rupine à bloc » (Queneau). PIAILLER (1) v. intr. FAM. Pousser de petits cris aigus (oiseau). => pépiller. PIAILLER (2) v. intr. FAM. (Personnes) Enfant, marmot qui piaille. => crier . FIG. Criailler, protester. « Les paysans piaillent, voilà tout. mais quant à passer de la criaillerie au fait » (Balzac). PICOLER v. intr. FAM. Boire du vin, de l'alcool. « Papa s’était mis à picoler. Qu’est-ce qu’il descendait comme litrons » (Queneau). PIGEONNER v. tr. FAM. Duper, rouler. Se faire pigeonner => posséder. PIGER (1) v. tr. FAM. VX. Prendre, attraper. « Vous ne voulez donc pas nous dire où vous pigez toute cette monnaie » (Balzac). PIGER (2) v. tr. FAM. MOD. Saisir, comprendre. => 2. entraver. « Ils ont tout tenté pour comprendre… et ils n’y ont rien pigé » (Carco). ABSOLT. Tu piges ? Annexes 309 Entrées PILER Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. Définitions Freiner brutalement. La voiture a pilé au feu rouge. PINAILLER v. intr. FAM. Ergoter sur des vétilles, se perdre dans les subtilités (cf. chercher la petite bête ; couper les cheveux en quatre). PIONCER v. intr. FAM. Dormir. PISSER (1) v. intr. FAM. Uriner (cf. Faire pipi). Avoir envie de pisser. Gosse qui pisse au lit (=> énurésie). Pisser contre un mur. Chien qui pisse contre un réverbère (Cf. Lever la patte). LOC. Il pleut comme vache qui pisse, à verse. C’est comme si on pissait dans un violon : c’est complètement inutile (d’une action, d’une démarche). LOC. FAM. Laisser pisser (le mérinos) : attendre, laisser aller les choses. C’est à pisser de rire, à pisser dans sa culotte, très drôle. Ne plus se sentir pisser : être trop fier de soi. Ca ne pisse pas loin : ça ne vaut pas grand-chose. ◊Pisser sur qqn, sur qqch., lui témoigner du mépris. => compisser. VULG. Je te pisse à la raie (injure). PISSER (2) v. tr. FAM. Évacuer avec l’urine. Pisser du sang. ◊ Laisser s’écouler (un liquide). Son nez pisse du sang. ABSOLT. Ce réservoir pisse l’eau de tous les côtés, fuit. - FIG. Pisser de la copie : rédiger abondamment et médiocrement (cf. Pisseur de copie). « des cuistres, ivres de l’antique, […] qui pissent du Plutarque jour et nuit » (Bernanos). PLANQUER v. tr. FAM. Cacher, mettre à l'abri. Planquer son fric. « Elle planquait un soldat allemand » (Genet). ◊ V. PRON. Se planquer : se cacher pour échapper à un danger, par ext, à une situation fâcheuse. Planquez-vous, les flics arrivent. PLUMER (SE) v. pron. FAM. ET VIEILLI POCHARDER (SE) v. pron. FAM. ET VIEILLI Se mettre au lit, au plumard. => se coucher. « Tu vas te plumer ? » (Sartre). S'enivrer. « Je veux me pocharder ce soir » (Maupassant). POILER (SE) v. pron. FAM. Rire aux éclats. => se bidonner, se gondoler, se marrer. POIREAUTER v. intr. FAM. Attendre. « Jusserand, que la marquis a commencé à faire poireauter » (Duhamel). POIVRER (SE) v. pron. FAM. S’enivrer (=> poivrot). Il est complètement poivré. => ivre. POLITIQUER v. intr. VX. ET FAM. Parler politique. « Les uns se mirent à causer… plusieurs à politiquer et à boire » (Diderot). 310 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées POTASSER Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Étudier avec acharnement. Potasser ses bouquins. PAR EXT. Préparer par un travail assidu. => bûcher, chiader, piocher ; régional. Bloquer. Potasser un examen. « Quand je compare mon discours, improvisé, à celui de Rouanet, qui avait potassé son interprétation ! » (Romains). POUTSER v. tr. (SUISSE) FAM. Nettoyer, astiquer. QUEUTER v. intr. FAM. => louper. Ça a queuté ! RABIBOCHER (1) v. tr. FAM. Réparer d'une manière sommaire ou provisoire. => rafistoler. RABIBOCHER (2) v. tr. FAM. Fig. Réconcilier. - PRONOM. Ils se sont rabibochés. RABIOTER (1) v. intr. FAM. Faire de petits profits supplémentaires. RABIOTER (2) v. tr. FAM. S'approprier, obtenir en supplément. Il a rabioté une portion. RADINER (1) v. intr. FAM. Arriver. => rappliquer. Il radine à toute allure. RADINER (2) v. tr. FAM. Le voilà qui se radine. => se ramener. Ils se sont radinés en vitesse. RAFISTOLER v. tr. FAM. Raccommoder, réparer grossièrement, avec des moyens de fortune. => arranger, bricoler, rapetasser, retaper. « Cet ingénieux employé rafistolait son soulier avec un morceau de ficelle » (Courteline). RAFLER (1) v. tr. FAM. Prendre et emporter promptement sans rien laisser. « Tu les verras rafler […] toutes les meilleures choses […] ils ne regardent pas au prix » (Mac Orlan). - Obtenir, prendre sans rien laisser aux autres. Rafler des prix, des médailles. => gagner. Rafler la mise. RAFLER (2) v. tr. FAM. Voler. « une voleuse qu’ils envoient chez les gens, pour rafler tout ce qui traîne » (Zola). RAFLER (3) v. tr. FAM. Prendre dans une rafle. Des « Juifs que la police raflait à travers toute la France » (Beauvoir). RAGER v. intr. FAM. Enrager => bisquer. « On a beau n’être pas envieux, on rage toujours quand les autres vous écrasent » (Zola). Rager de ne pas pouvoir intervenir. Bisque, bisque, rage ! RAPETASSER v. tr. FAM. Réparer sommairement, grossièrement (un vêtement, etc.). => raccommoder, rafistoler, rapiécer. « une ignorante fille sans cesse occupée à rapetasser des bas » (Balzac). Annexes 311 Entrées RAPPLIQUER Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. Définitions Revenir, venir, arriver. => se ramener. Le voilà qui rapplique. « Les filles n’auront qu’à rappliquer chez nous » (Cocteau). ◊ CONTR. Décaniller, se tirer. RAQUER v. intr. FAM. Payer. Il va falloir raquer. Il faut le faire raquer. - TRANS. Ils ont dû raquer 100 balles pour rentrer. RATIBOISER (1) v. tr. FAM. Rafler au jeu. Prendre, voler. Ils m'ont ratiboisé mille euros. RATIBOISER (2) v. tr. FAM. Ruiner(qqn) au jeu. - P. p. adj. C'est fini, je suis complètement ratiboisé. ◊ Perdre, ruiner (qqn) dans sa santé, sa situation, sa carrière. « Plus on est bon, plus on est vite ratiboisé » (Giono). RATIBOISER (3) v. tr. FAM. Couper très court les cheveux de (qqn.). Le coiffeur t’a ratiboisé. RAVIGOTER v. tr. FAM. Rendre plus vigoureux, redonner de la force, de la vigueur à. => ranimer, raviver, revigorer - ABSOLT. Un petit vin qui ravigote et redonne de l'appétit. REBIFFER (SE) v. pron. FAM. Refuser avec vivacité et aigreur de se laisser mener ou humilier. -=> regimber, se révolter. « Soupe, humilié, se rebiffa ». (Courteline). Se rebiffer contre qqn. « Mon corps se rebiffe sans cesse contre ce que propose mon esprit » (Gide). => se rebeller. REBIQUER v. intr. FAM. Se dresser, se retrousser en faisant un angle. Mèche de cheveux qui rebique. Les pointes de son col rebiquent. REBOUTER (1) v. tr. FAM. VX. Remettre, replacer. REBOUTER (2) v. tr. FAM. Remettre par des moyens empiriques (un membre démis), réduire (une fracture, une foulure, etc.). (=> rebouteux )- « Ils reboutaient c’est-à-dire remettaient les jambes et les bras cassés » (Balzac). REBRAGUETTER v. tr. FAM. Fermer, reboutonner la braguette de (un pantalon). - PRONOM. Se rebraguetter. => se rajuster. RECASER v. tr. FAM. Caser à nouveau (qqn qui a perdu sa place). - PRONOM. Il a pu se recaser ailleurs. REFILER v. tr. FAM. Donner, remettre à un autre, en le trompant, en profitant de son inattention. On lui avait refilé une pièce fausse. On va lui refiler nos rossignols. => fourguer. - PAR EXT. Donner (en général). Il m'a refilé sa grippe. => Passer. REFOUTRE v. tr. TRÈS FAM. Remettre. Ne refous jamais les pieds ici, ne reviens jamais. 312 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Cat. Gram. Marque Définitions RELOOKER v. tr. FAM. Donner une nouvelle apparence, un nouveau look à. Relooker des produits. RELUQUER (1) v. tr. FAM. Regarder du coin de l'œil, avec intérêt et curiosité. => lorgner. Reluquer les filles. RELUQUER (2) v. tr. FAM. Considérer (une chose) avec convoitise; guigner. « Il reluquait la façade comme s’il cherchait un logement à louer » (Simenon). REMPILER v. FAM. Se rengager à la fin de la durée légale du service militaire ou à l’expiration d’un précédent engagement. - P.p. adj. Sousofficier rempilé, qui a fait carrière dans l’armée par une suite de réengagements successifs. « Elles embauchèrent des hommes sûrs, rempilés de la coloniale » (Aragon). RENCOGNER v. tr. FAM. VX. Pousser, repousser dans un coin. => coincer. « Il nous rencogne à la fin, toutes deux, dans la ruelle du lit » (Sade). FIG. LITTÉR. Je ne sais quoi « me rencognait dans ma timidité » (Gide). - PRONOM. MOD. Se rencogner. => se blottir. REQUINQUER (1) v. tr. FAM. Redonner des forces, de l'entrain à (qqn). Cette semaine à la montagne l’a requinqué. => ragaillardir, remonter, retaper. « ça, ça me requinque un peu, cette idée qu’elle se dessèchera petit à petit, qu’elle finira par de la poudre » (Queneau). - ABSOLT. Un verre de vin, ça requinque. REQUINQUER (2) v. pron. FAM. Reprendre des forces, retrouver sa forme, sa bonne humeur. Il s’est bien requinqué. P.p. adj. La voilà toute requinquée. RESQUILLER (1) v. intr. FAM. Entrer, se faufiler sans payer (dans un spectacle, un moyen de transport, etc.). RESQUILLER (2) v. intr. FAM. Obtenir une chose sans y avoir droit, sans rien débourser. => carotter, écornifler. RESQUILLER (3) v. intr. FAM. Passer avant son tour dans une file d’attente. RESQUILLER (4) v. tr. FAM. Obtenir (qqch.) en resquillant. Resquiller une place de cinéma RETAMER (1) v. tr. FAM. Enivrer. Le cognac l’a rétamé. – P. p. adj. Ivre. MOD. Très fatigué. Être complètement rétamé. ◊ Démolir. Se faire rétamer. – (1920) Dépouiller au jeu. RETAMER (2) v. pron. FAM. Tomber. Il s’est rétamé dans l’escalier. REVOULOIR v. tr. FAM. Vouloir de nouveau ou encore. Il reste du gâteau, tu en reveux ? Annexes 313 Entrées RIBOULER Cat. Gram. v. intr. Marque FAM. ET VIEILLI RIGOLER (1) v. intr. FAM. Définitions Ribouler des yeux, des quinquets : regarder en roulant les yeux d'un air stupéfait. « il pourra ribouler des yeux, personne ne s’en inquiètera » (J-R. Bloch). S'amuser, rire => se marrer, rigolade. On a bien rigolé. Je suis sortie « déguisée en homme, histoire de rigoler plutôt » (Proust). « j’ai pas toujours rigolé, mais j’ai vécu » (Sartre). Il n’y a pas de quoi rigoler, ce n’est pas drôle, c’est sérieux. RIGOLER (2) v. intr. FAM. Plaisanter. J’ai dit ça pour rigoler. « Taisezvous maintenant, je rigole pas » (Duvert). Il ne faut pas rigoler avec ça. => badiner. Blaguer, déconner. Tu rigoles ! Tu n’en parles pas sérieusement. RIGOLER (3) v. intr. FAM. Se moquer. Il vaut mieux en rigoler. RÔDAILLER v. intr. FAM. VIEILLI Rôder, traînailler. « Vous n’avez pas vu rôdailler par là une espèce de petit muscadin ? » (Hugo). ROGNER v. intr. FAM. VX. Être en rogne, en colère ; rager. => rognonner. ROGNONNER v. intr. FAM. VX. Grommeler, manifester son mécontentement en bougonnant. => grogner, marmonner, rogner, ronchonner. ROTER (1) v. intr. VULG. OU Faire un rot, des rots. => éructer. « C’est une politesse du pays, il faut roter après le repas » (Flaubert). FAM. ROTER (2) v. intr. VULG. OU FAM. En roter. Supporter une situation pénible (CF. en baver). ROUPILLER v. intr. FAM. Dormir. « On allait roupiller dans l’herbe » (Céline) ROUSCAILLER v. intr. FAM. Réclamer, protester => rouspéter. ROUSPÉTER v. intr. FAM. Protester, réclamer (contre qqch. qui paraît injuste ou vexatoire). => grogner, maugréer, plaindre (se), râler. « Au commencement je rouspétais contre tout le monde » (Barbusse). ROUSTIR v. tr. FAM. Voler (qqch, qqn). SACQUER (2) v. tr. FAM. Ne pas pouvoir sacquer qqn, le détester => sentir, encadrer, encaisser. SACQUER ou SAQUER (1) v. tr. FAM. (de l’express. Rendre son sac). Renvoyer, congédier. « Sacque Guilhermet. Il est très médiocre […] saque (sic) donc Guilhermet » (Montherland). - Noter sévèrement. Le prof l’a sacqué. => sabrer. 314 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées SALOPER (1) Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Faire très mal (un travail); exécuter, réaliser très mal (un objet). => abîmer, gâcher; fam. bousiller, cochonner. « Ah, vous perdez rien joliment la main. Oui, vous salopez vous cochonnez l’ouvrage, à cette heure » (Zola). SALOPER (2) v. tr. FAM. Salir énormément. => dégueulasser. Il a salopé la salle de bain. SANDWICHER v. tr. FAM. Mettre en sandwich ; FIG., serrer, comprimer entre deux choses. SAPER (SE) v. pron. FAM. S’habiller => se fringuer. P. p. adj. Habillé, vêtu. Être bien sapé. SAUCISSONNER v. intr. FAM. Manger, sans couverts ou sans table mise, un repas froid. Saucissonner sur l'herbe : pique-niquer. Les voyageurs saucissonnaient dans le train. SIROTER v. tr. FAM. Boire à petits coups en savourant. => déguster. « Les vrais amateurs sirotent leur vin » (Brillat-Savarin). Siroter son café. SPEEDER v. intr. FAM. Aller vite, se dépêcher. Il va falloir speeder. STARISER v. tr. FAM. Transformer en star, en vedette. (On dit aussi Starifier) TABASSER v. tr. FAM. Battre, rouer de coups, passer à tabac. Elle s’est fait tabasser. - PRONOM. RÉCIPR. Ils se sont tabassés. TALOCHER v. tr. FAM. VIEILLI [cf. TALOCHE] TCHATCHER v. intr. FAM. Parler beaucoup. => bavarder. TOQUER v. intr. RÉGION. OU FAM. Frapper légèrement, discrètement. « Cependant, l’on toque à la porte » (Queneau). FAM. Se toquer de... : avoir une toquade pour TOQUER (SE) v. pron. (qqn). => s’amouracher, s’engourer, s’enticher. « un homme si respectable, sui se toquait d’une petite coureuse » (Zola). TORCHER (1) v. tr. FAM. Essuyer pour nettoyer. « Petit-Pouce venait de torcher la dernière goutte de jus » (Queneau). ◊ FAM. Essuyer les excréments de. Torcher le derrière d’un enfant, torcher un enfant. « Aie donc des mioches, torcheles, mouche-les » (Hugo). FAM. Se torcher le derrière, le cul (VULG), ou ABSOLT. Se torcher. FIG. Je m’en torche : je m’en moque totalement (cf. s’en foutre). TORCHER (2) v. tr. FAM. ET Battre. VIEILLI TORCHONNER v. tr. FAM. Exécuter (un travail) rapidement et sans soin. => bâcler, torcher. P.p. adj. Du travail torchonné, bâclé. Annexes 315 Entrées TOURNEBOULER Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Mettre l’esprit de (qqn) à l'envers, bouleverser. Cette nouvelle l'a tourneboulé. => chambouler, retourner. « Une espèce de manie qui lui tourneboule ainsi l’entendement » (Montaigne). - P.p. adj. Elle était toute tourneboulée par cette nouvelle. TOURNICOTER v. intr. FAM. Tourner, tourniquer. « Une compagnie de recrue tourniquait, tournicotait et pivoter sous les ordres d’un petit sous-off » (Guilloux). TRAFICOTER v. intr. FAM. Trafiquer. Un petit escroc qui traficote. TRANSBAHUTER v. tr. FAM. Transporter d’un lieu dans un autre sans délicatesse. Transbahuter une armoire. « le taxi les transbahuta à vive allure jusqu’aux portes du Fort » (Perec). TRIFOUILLER (1) v. tr. FAM. Mettre en désordre, en remuant; remuer d'une manière incohérente. => tripatouiller, tripoter. Trifouiller des papiers. « Quelques nègres incohérents qui trifouillaient les cendres du bout de leur lance » (Céline). - Manipuler. Trifouiller le poste de radio. TRIFOUILLER (2) v. intr. FAM. (1808). Farfouiller. « On cherche, on fouille, on trifouille » (Verlaine). Ne viens pas trifouiller dans mes affaires. TRIMBALLER v. tr. FAM. Mener, porter partout avec soi (souvent avec l'idée de peine, de difficulté). => traîner, transporter. Cette cage en osier, « je l’ai trimballée des îles Canaries » (Sarraute). « Il fallait trimballer Mme Beurdeley dans les thés, danser avec elle » (Aragon). - PRONOM. Se trimballer en voiture. TRISSER (1) v. intr. FAM. Partir. « un flicard trissa derrière le truand » (Queneau) TRISSER (2) v. pron. FAM. S’en aller, se sauver. => se casser, se débiner. TRUCIDER v. tr. FAM. Tuer. Se faire trucider. TURLUPINER v. MOD. ET FAM. Tourmenter. « turlupiné par sa femme » (Aragon). - ça le turlupine : ça le tracasse. URGER v. intr. FAM. Être urgent, presser. Vite, ça urge! VADROUILLER (1) v. intr. FAM. VX. Traîner dans les rues. VADROUILLER (2) v. intr. FAM. Se promener sans but précis, sans raison. => Traînasser, traîner VALDINGUER v. intr. FAM. Tomber. => dinguer. Envoyer valdinguer qqn, qqch, l’envoyer promener. 316 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées VAMPER Cat. Gram. v. tr. Marque FAM. Définitions Séduire par des allures de vamp. Se faire vamper. VANNER v. tr. FAM. Se moquer de, lancer des vannes à (qqn.) « et ça n’a pas loupé, le skin l’a vanné » (Y. Queffélec). VASER v. impers. FAM. Pleuvoir. Il commence à vaser. VASOUILLER v. intr. FAM. Être hésitant, peu sûr de soi, maladroit. « Je n’ai vasouillé un peu qu’au début » (Romains) => cafouiller, s’embrouiller, merdoyer. ◊ (Choses) Marcher mal. « Cet accouchement vasouille depuis le matin » (Céline). VIANDER v. pron. FAM. Être gravement accidenté. « un motard venait de se viander salement » (Courchay). Ils se sont viandés. VIBRIONNER v. intr. FAM. S'agiter sans cesse. Qu’à-t-il à vibrionner autour de nous? Elle vibrionnait d’un invité à l’autre. => tournicoter. VIOLONER v. intr. FAM. Jouer du violon. - TRANS. Violoner un air. YOYOTER v. intr. FAM. Perdre la tête, divaguer. Il yoyote complètement. - Loc. Yoyoter de la touffe : être fou, dérangé. ZIEUTER v. tr. FAM. Jeter un coup d’œil pour observer (qqch., qqn) => regarder ; lorgner, reluquer. « La môme en tient. Zieute-la. Tu t’rends compte » (Carco). ZIGOUILLER v. tr. FAM. Tuer. « Me voir poursuivi par des monstres, zigouillé, coupé en morceaux » (Gide). ZONER v. intr. FAM. Mener une existence marginale, vivre en zonard. - Par ext. Flâner, traîner sans but. ZOZOTER v. intr. FAM. Zézayer. ANNEXE 2 COMPARAISON DU MARQUAGE DES TERMES DANS LE NOUVEAU PETIT ROBERT 2002 ET LE PETIT LAROUSSE 2001 Sont présentés dans cette annexe : - un inventaire des marques d’usages attribuées aux 410 verbes du corpus, par le NPR 2002 et le PL 2001 (tableau n° 1) - un inventaire des termes marqués FAM. par le PL 2001, qui font l’objet d’une autre marque dans le NPR 2002 (tableau n° 2). Le signe Ø signifie que le terme n’appartient pas à la nomenclature du dictionnaire spécifié. 318 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Tableau 1. - Inventaire des marques d’usages attribuées au corpus par le NPR 2002 et le PL 2001 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 AMOCHER FAM. FAM. ARNAQUER (1) FAM. FAM. ARNAQUER (2) FAM. Ø ASTICOTER FAM. FAM. ATTIFER FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. BAFOUILLER FAM. FAM. BÂFRER FAM. FAM. BAGARRER (1) FAM. FAM. BAGARRER (SE) (2) FAM. non marqué BALADER (1) FAM. FAM. BALADER (SE) (2) FAM. FAM. BALISER FAM. FAM. BANQUER FAM. FAM. BARAGOUINER (1) FAM. ET PÉJ. FAM. BARAGOUINER (2) FAM. ET PÉJ. FAM. BARATINER (1) FAM. FAM. BARATINER (2) FAM. Ø BARBER FAM. FAM. BARBIFIER (1) FAM. FAM., VX. BARBIFIER (2) FAM. VIEILLI FAM. BARBOTER FAM. FAM. BARDER FAM. FAM. BARRER (SE) FAM. FAM. BASSINER FAM. FAM. BATIFOLER FAM. FAM. BAVASSER FAM. ET PÉJ. FAM. PÉJ. BAZARDER FAM. FAM. BÊCHER (1) FAM. VX. Ø BÊCHER (2) FAM. FAM. BÉCOTER FAM. FAM. BECTER FAM. TRÈS FAM. BEURRER (SE) FAM. Ø BIBERONNER FAM. FAM. Annexes 319 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 BICHER (1) FAM. VIEILLI FAM. VIEILLI BICHER (2) FAM. FAM. VIEILLI BIDONNER (1) FAM. FAM. BIDONNER (SE) (2) FAM. FAM. BIDOUILLER FAM. FAM. BIGLER (1) FAM. FAM. BIGLER (2) FAM. VIEILLI FAM. BIGOPHONER FAM. FAM. BILER (SE) FAM. FAM. BISER FAM. FAM. BISQUER FAM. FAM. BITER OU BITTER FAM. Ø BITURER (SE) FAM. FAM. BLABLATER FAM. ET PÉJ. Ø BLAGUER FAM. FAM. BLAIRER FAM. FAM. BOMBER FAM. non marqué BOSSER FAM. FAM. BOUFFER (1) FAM. FAM. BOUFFER (2) FAM. FAM. BOUFFER (3) FAM. FAM. BOULONNER FAM. FAM. BOULOTTER FAM. FAM. BOYAUTER (SE) FAM. FAM., VIEILLI BRAILLER FAM. FAM. BRAIRE FAM. Ø BULLER FAM. FAM. BUTER FAM. ARG. CABOTINER FAM. non marqué CACHETONNER FAM. FAM. CAFARDER (1) FAM. FAM. CAFARDER (2) FAM. FAM. CAFOUILLER FAM. FAM. CAFTER FAM. ARG. SCOL. CANARDER FAM. FAM. CANER FAM. FAM., VIEILLI CANNER RÉGION. (Canada) FAM. Ø 320 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 CANULER FAM. FAM., VIEILLI CARAPATER (SE) FAM. FAM. CAROTTER (1) FAM. FAM. CAROTTER (2) FAM. non marqué CASQUER FAM. FAM. CATASTROPHER FAM. FAM. CAVALER FAM. FAM. CHAMBARDER FAM. FAM. CHAMBOULER FAM. FAM. CHAPARDER FAM. FAM. CHARCUTER FAM. FAM. CHÂTAIGNER FAM. Ø CHIADER FAM. ET VIEILLI ARG. SCOL. CHIALER FAM. FAM. CHIER (1) FAM. ET VULG. VULG. TRÈS FAM. CHIER (2) FAM. ET VULG. VULG. TRÈS FAM. CHIGNER FAM. Ø CHIPER FAM. FAM. CHLINGUER FAM. ET VULG. TRÈS FAM. CHOPER (1) FAM. VIEILLI FAM. CHOPER (2) FAM. FAM. CHOPER (3) FAM. FAM. CHOUCHOUTTER FAM. FAM. CHOUINER RÉGION. OU FAM. FAM. CHOURAVER FAM. FAM. COCHONNER FAM. FAM. COCOTER OU COCOTTER FAM. FAM. COCUFIER FAM. FAM. COLLAPSER FAM. Ø COMPLEXER FAM. non marqué CONTREBALANCER (S'EN) FAM. FAM. CONTREFICHER (SE) FAM. FAM. COPINER FAM. FAM. CORNAQUER FAM. FAM. COUCHAILLER FAM. ET PÉJ. FAM., PÉJ. COUILLONNER FAM. TRÈS FAM. Annexes 321 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 COUINER (1) FAM. non marqué COUINER (2) FAM. FAM. COURSER FAM. FAM. CRACHOUILLER FAM. FAM. CRAMER (1) FAM. Ø CRAMER (2) FAM. FAM. CRÂNER FAM. FAM. CRAPAHUTER FAM. FAM. CRAPOTER FAM. Ø CRÉCHER FAM. FAM. CRISER FAM. Ø CRITICAILLER FAM. FAM., PÉJ. CROUTER FAM. FAM. CUITER (SE) FAM. FAM. DANSOTER FAM. FAM. DEALER FAM. FAM. DÉBALLONNER (SE) FAM. ET PÉJ. FAM. DEBANDER FAM. Ø DÉBARBOUILLER FAM. Ø DÉBECTER FAM. FAM. DEBINER FAM. FAM. DEBINER (SE) FAM. ET VIEILLI FAM. DEBOUSSOLER FAM. FAM. DÉBRAGUETTER FAM. Ø DEBRAILLER (SE) FAM. non marqué DEBRAYER FAM. non marqué DÉCANILLER FAM. FAM. DECARCASSER (SE) FAM. FAM. DÉCERVELER FAM. non marqué DÉCOMPLEXER FAM. non marqué DÉCONNER (1) FAM. TRÈS FAM DÉCONNER (2) FAM. Ø DÉCONNER (3) FAM. TRÈS FAM. DÉFOULER (1) FAM. non marqué DÉFOULER (2) FAM. non marqué DEFOURAILLER ARG. FAM. Ø DÉGLINGUER FAM. FAM. 322 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 DÉGOBLLER FAM. FAM. DÉGOISER (1) FAM. ET PÉJ. FAM, PÉJ. DEGOISER (2) FAM. ET PÉJ. FAM., PÉJ. DEGOTER (1) FAM. VX. Ø DEGOTER (2) FAM. ET MOD. FAM. DÉGROUILLER (SE) FAM. (LANG. DES ÉCOLIERS) FAM. DÉGUEULASSER FAM. Ø DEGUEULER FAM. ET VULG. TRÈS FAM. DEHOTTER FAM. Ø DEJANTER FAM. FAM. DÉMANTIBULER FAM. FAM. DÉMERDER (SE) FAM. TRÈS FAM. DÉPATOUILLER (SE) FAM. FAM. DÉPIAUTER FAM. FAM. DEPOITRAILLER (SE) FAM. Ø DÉPUCELER FAM. FAM. DESAPER FAM. Ø DETALER FAM. FAM. DINGUER FAM. FAM. DOUILLER (1) FAM. FAM. DOUILLER (2) FAM. FAM. DROGUER FAM. ET VIEILLI FAM., VX. DROPER FAM. FAM. ÉCORNIFLER FAM. ET VX. Ø ÉCRABOUILLER FAM. FAM. EMBERLIFICOTER (1) FAM. FAM. EMBERLIFICOTER (2) FAM. FAM. EMBÊTER (1) FAM. FAM. EMBÊTER (2) FAM. FAM. EMBÊTER (3) FAM. Ø EMBOBINER FAM. FAM. EMBRINGUER FAM. FAM. EMMERDER (1) FAM. TRÈS FAM. EMMERDER (2) FAM. Ø EMMIELLER FAM. PAR EUPH. FAM., PAR EUPH. EMMITOUFLER FAM. non marqué Annexes 323 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 EMMOUSCAILLER FAM. VIEILLI FAM., VX., PAR EUPH. ÉMOTIONNER FAM. FAM. EMPAUMER FAM. ET VIEILLI FAM., VIEILLI EMPIFFRER (S’) FAM. FAM. EMPILER FAM. FAM. EMPLAFONNER FAM. FAM. ENDÊVER FAM. ET VX. FAM., VX. ENGUEULER (1) FAM. FAM. ENGUEULER (2) FAM. FAM. ENGUIRLANDER FAM. FAM. ENQUIQUINER FAM. FAM. ENTARTER FAM. Ø ENTUBER FAM. FAM. ÉPOUSTOUFLER FAM. FAM. ESBIGNER (S’) FAM. ET VIEILLI FAM., VIEILLI ESBROUFER FAM. FAM., VIEILLI ESQUINTER (1) FAM. FAM. ESQUINTER (2) FAM. FAM. ESTOMAQUER FAM. FAM. ESTOURBIR FAM. FAM. FARFOUILLER FAM. FAM. FAUTER FAM. VIEILLI FAM., VIEILLI FIGNOLER FAM. FAM. FILOCHER (1) FAM. FAM., VIEILLI FILOCHER (2) FAM. Ø FLANCHER FAM. FAM. FLANQUER (1) FAM. FAM. FLANQUER (2) FAM. FAM. FLASHER FAM. FAM. FLEMMARDER FAM. FAM. FLINGUER (1) FAM. FAM. FLINGUER (2) FAM. FAM. FLIPPER (1) FAM. FAM. FLIPPER (2) FAM. FAM. FLIQUER FAM. FAM. FLOTTER FAM. FAM. FOUINER (1) FAM. FAM. 324 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 FOUINER (2) FAM. PÉJ. FAM. FRIMER FAM. FAM. FRINGUER FAM. FAM. FRITER (SE) FAM. Ø FUGUER FAM. FAM. GAFFER (1) FAM. Ø GAFFER (2) FAM. FAM. (Suisse) GALÉRER FAM. FAM. GAMBERGER (1) ARG. FAM. FAM. GAMBERGER (2) ARG. FAM. Ø GAMBILLER (1) FAM. VX. Ø GAMBILLER (2) FAM. MOD. FAM. GÂTIFIER FAM. FAM. GAZER (1) FAM. VIEILLI FAM. GAZER (2) FAM. VIEILLI FAM. GERBER (1) FAM. TRÈS FAM. GERBER (2) FAM. Ø GIGOTER FAM. FAM. GLANDER FAM. TRÈS FAM. GLAVIOTER FAM. ET VULG. Ø GOBERGER (SE) FAM. FAM., VIEILLI GODAILLER FAM. non marqué GOIFFRER (SE) FAM. FAM. GOURER (SE) FAM. FAM. GRAILLER FAM. FAM. GRAILLONNER FAM. TRÈS FAM. GRATOUILLER FAM. FAM. GRENOUILLER FAM. FAM., PÉJ. GROGNASSER FAM. ET PÉJ. FAM. GUEULETONNER FAM. FAM. GUINCHER FAM. FAM. INDIFFÉRER FAM. non marqué INSUPPORTER FAM. ET PAR PLAIS. FAM. JABOTER FAM. ET VIEILLI Ø JACTER FAM. FAM. JASPINER FAM. ET PÉJ. ARG. JUBILER FAM. non marqué Annexes 325 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 KIFER (1) FAM. Ø KIFER (2) FAM. Ø LAÏUSSER FAM. FAM. LAMPER FAM. FAM. LEZARDER FAM. FAM. LIMOGER (1) FAM. Ø LIMOGER (2) FAM. non marqué LOUPER (1) FAM. FAM. LOUPER (2) FAM. FAM. LOURDER ARG. FAM. FAM. MÂCHOUILLER FAM. FAM. MAGNER (SE) FAM. FAM. MAGOUILLER (1) FAM. FAM. MAGOUILLLER (2) FAM. Ø MARONNER FAM. RÉGION. FAM. MARRER (SE) FAM. FAM. MÉGOTER FAM. FAM. MENDIGOTER FAM. FAM., VX. MERDER (1) FAM. Ø MERDER (2) FAM. TRÈS FAM. MERDOYER FAM. FAM. MORFLER ARG. FAM. FAM. MOUCHARDER FAM. FAM. MOUFTER FAM. FAM. NIPPER FAM. ET VEILLI FAM. PARTOUZER FAM. Ø PAUMER FAM. FAM. PEINTURLURER FAM. FAM. PELOTER FAM. FAM. PENDOUILLER FAM. FAM. PETER (1) FAM. VULG PETER (2) FAM. FAM. PETER (3) FAM. FAM. PETER (4) FAM. FAM. PETIT-DÉJEUNER FAM. FAM. PHOSPOHORER FAM. FAM. PIAILLER (1) FAM. non marqué 326 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 PIAILLER (2) FAM. FAM. PICOLER FAM. FAM. PIGEONNER FAM. FAM. PIGER (1) FAM. VX. non marqué PIGER (2) FAM. MOD. FAM. PILER FAM. FAM. PINAILLER FAM. FAM. PIONCER FAM. FAM. PISSER (1) FAM. TRÈS FAM. PISSER (2) FAM. TRÈS FAM. PLANQUER FAM. FAM. PLUMER (SE) FAM. ET VIEILLI Ø POCHARDER (SE) FAM. ET VIEILLI FAM., VIEILLI POILER (SE) FAM. FAM. POIREAUTER FAM. FAM. POIVRER (SE) FAM. FAM. POLITIQUER VX. FAM. Ø POTASSER FAM. FAM. POUTSER (Suisse) FAM. non marqué QUEUTER FAM. Ø RABIBOCHER (1) FAM. FAM. RABIOTER (1) FAM. Ø RABIOTER (2) FAM. FAM. RABOBOCHER (2) FAM. FAM. RADINER (1) FAM. FAM. RADINER (2) FAM. FAM. RAFISTOLER FAM. FAM. RAFLER (1) FAM. FAM. RAFLER (2) FAM. FAM. RAFLER (3) FAM. Ø RAGER FAM. FAM. RAPETASSER FAM. FAM. RAPPLIQUER FAM. FAM. RAQUER FAM. FAM. RATIBOISER (1) FAM. FAM. RATIBOISER (2) FAM. FAM. RATIBOISER (3) FAM. FAM. Annexes 327 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 RAVIGOTER FAM. FAM. REBIFFER (SE) FAM. FAM. REBIQUER FAM. FAM. REBOUTER (1) FAM. VX. Ø REBOUTER (2) FAM. Ø REBRAGUETTER FAM. Ø RECASER FAM. FAM. REFILER FAM. FAM. REFOUTRE FAM. Ø RELOOKER FAM. FAM. RELUQUER (1) FAM. FAM. RELUQUER (2) FAM. FAM. REMPILER FAM. ARG. MIL. RENCOGNER FAM. VX. FAM., VX. REQUINQUER (1) FAM. FAM. REQUINQUER (2) FAM. FAM. RESQUILLER (1) FAM. FAM. RESQUILLER (2) FAM. FAM. RESQUILLER (3) FAM. Ø RESQUILLER (4) FAM. Ø RETAMER (1) FAM. FAM. RETAMER (2) FAM. Ø REVOULOIR FAM. FAM. RIBOULER FAM. ET VIEILLI FAM., VIEILLI RIGOLER (1) FAM. FAM. RIGOLER (2) FAM. FAM. RIGOLER (3) FAM. Ø RÔDAILLER FAM. VIEILLI FAM. ROGNER FAM. VX. FAM., VX. ROGNONNER FAM. VX. FAM. ROTER (1) VULG. OU FAM. FAM. ROTER (2) VULG. OU FAM. Ø ROUPILLER FAM. FAM. ROUSCAILLER FAM. FAM. ROUSPÉTER FAM. FAM. ROUSTIR FAM. Ø SACQUER FAM. FAM. 328 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 SALOPER (1) FAM. FAM. SALOPER (2) FAM. FAM. SANDWICHER FAM. Ø SAPER (SE) FAM. FAM. SAUCISSONNER FAM. FAM. SIROTER FAM. FAM. SPEEDER FAM. FAM. STARISER FAM. Ø TABASSER FAM. FAM. TALOCHER FAM. VIEILLI FAM., VIEILLI TCHATCHER FAM. FAM. TOQUER RÉGIONAL. OU FAM. Ø TOQUER (SE) FAM. FAM. TORCHER (1) FAM. FAM. TORCHER (2) FAM. ET VEILLI Ø TORCHONNER FAM. FAM. TOURNEBOULER FAM. FAM. TOURNICOTER FAM. FAM. TRAFICOTER FAM. FAM. TRANSBAHUTER FAM. FAM. TRIFOUILLER (1) FAM. FAM. TRIFOUILLER (2) FAM. FAM. TRIMBALLER FAM. FAM. TRISSER (1) FAM. FAM. TRISSER (2) FAM. FAM. TRUCIDER FAM. FAM. TURLUPINER MOD. ET FAM. FAM. URGER FAM. FAM. VADROUILLER (1) FAM. VX. Ø VADROUILLER (2) FAM. FAM. VALDINGUER FAM. FAM. VAMPER FAM. FAM. VANNER FAM. FAM. VASER FAM. Ø VASOUILLER FAM. FAM. VIANDER FAM. FAM. VIBRIONNER FAM. FAM. Annexes 329 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 VIOLONER FAM. Ø YOYOTER FAM. Ø ZIEUTER FAM. FAM. ZIGOUILLER FAM. FAM. ZONER FAM. FAM. ZOZOTER FAM. FAM. 330 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Tableau 2. - Inventaire des termes marqués FAM. par le PL 2001 qui font l’objet d’une autre marque dans le NPR 2002 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 ATTIGER (2) FAM. VIEILLI FAM., VIEILLI BACHOTER non marqué FAM. BACLER (2) COUR. FAM. FAM. BAGUEUNAUDER (2) VX. FAM. BAISOTER Ø FAM. BAMBOCHER non marqué FAM. BAYER VX. FAM. BEDONNER non marqué FAM. BÉMOLISER (2) FIG., FAM. FAM. BÊTIFIER non marqué FAM. BIAISER (2) FIG. FAM. BICHONNER (2) PAR EXT. FAM. BLACKBOULER (2) FAM. FAM. BLINQUER Ø FAM. (BELGIQUE) BLOUSER (2) FIG., FAM. FAM. (V.TR.) BOOSTER Ø FAM. BOUÉLER Ø FAM. (SUISSE) BOUGONNER non marqué FAM. BOUMER POP. FAM. BOUQUINER (2) FAM. FAM. BOUSILLER non marqué FAM. BOXER (2) FAM. FAM. BRICOLER non marqué FAM. BRIEFER ANGLIC. (critique) FAM. BRINGUEBALER VX. OU LITT. FAM. BRINGUER Ø FAM. BRIQUER (2) COUR FAM. BUCHER (2) FAM. FAM. BUSER Ø FAM. (Belgique) CALOTTER Ø FAM., VIEILLI CALTER POP. FAM. CAMER (SE) ARG. FAM. CANCANER non marqué FAM. CANER ARG. FAM. CAUCHEMARDER non marqué FAM. CHAMAILLER (SE) (2) MOD. FAM. Annexes 331 Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 CHAPEAUTER non marqué FAM. CHINER non marqué FAM. CHINOISER non marqué FAM. CHIPOTER non marqué FAM. CICLER Ø FAM. (Suisse) CLABOTER Ø FAM., VIEILLI CLAMSER POP. FAM. CLOCHER (2) MOD. FAM. CLOPINER non marqué FAM. COCOLER Ø FAM. (Suisse) COGITER IRON. FAM., IRON. COMMÉRER Ø FAM., VIEILLI CONCOCTER PLAIS. FAM. CONTREFOUTRE (SE) POP. TRÈS FAM. COPULER non marqué FAM. CRASHER (SE) ANGLIC. FAM. CROTTER (2) FAM. FAM. DEBAGOULER POP. ET VX. FAM., VX. DÉBLATÉRER non marqué FAM. DECAMPER VX. OU PAR PLAIS. FAM. DECOMPRESSER (2) FAM. FAM. DÉGOULINER non marqué FAM. DÉGRINGOLER non marqué FAM. DINDONNER Ø FAM., VX. DISCUTAILLER PÉJ. FAM., PÉJ. ÉCRIVAILLER PÉJ. FAM., PÉJ. ÉCRIVASSER PÉJ. FAM., PÉJ. EMBARDOUFLER Ø FAM. (Suisse) EMBOBELINER (2) FAM. FAM., VIEUX EMÉCHER RARE FAM. ENGROSSER VULG. FAM. EPATER (3) FIG. ET FAM. FAM. FAYOTER ARG. FAM. FICHER (2) FAM. FAM. FILOUTER VIEILLI FAM. FINASSER non marqué FAM. FLIRTER non marqué FAM. FLOUER (2) VX. FAM. FOURGONNER (2) FIG. FAM. FOURGUER ARG. FAM. FOURRAGER non marqué FAM. 332 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 FOUTRE VIEILLI ET TRIVIAL TRÈS FAM. GATTER Ø FAM. (Suisse) GLOUGLOUTER non marqué FAM. GOUAILLER (2) MOD. FAM. GRAGNIFIER Ø FAM. (Québec) GUINDAILLER Ø FAM. (Belgique) HORRIPILER (2) non marqué FAM. JARGONNER non marqué FAM. JOBARDER RARE FAM., VIEUX LAMBINER non marqué FAM. LANTERNER non marqué FAM. LICHER (2) POP. VIEILI FAM., VX. MAGNER Ø FAM. (Québec) MANGEOTTER Ø FAM. MAQUER POP. TRÈS FAM. MARMOTTER non marqué FAM. MATER ARG. FAM. MÉMÉRER Ø FAM. (Québec) MIGNOTER VIEILLI FAM., VX. MOFLER Ø FAM. (Québec) MOYENNER (2) LOC FAM. FAM., VIEILLI NEIGEOTER Ø FAM. NIAISER Ø FAM. PACSER non marqué FAM. PANIQUER non marqué FAM. PANTOUFLER (2) MOD. FAM. PAPOTER non marqué FAM. PATENTER Ø FAM. (Québec) PAUMER ARG. FAM. PEDZER Ø FAM. (Suisse) PEINTURER (2) MOD. FAM. PÉTOUILLER Ø FAM. (Suisse) PIAPATER Ø FAM. PIEUTER (SE) POP. FAM. PIFFER POP. FAM. PINTER POP. FAM. PISTONNER non marqué FAM. PLACARDISER non marqué FAM. PLACOTER Ø FAM. (Québec) PLASTRONNER (2) non marqué FAM. PLEUVASSER, non marqué FAM. Annexes 333 Entrées PLEUVINER, PLEUVOTER, PLUVINER Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 PONTIFIER (2) FIG ET COUR. FAM. POSTILLONNER non marqué FAM. POTINER VX. FAM. POUCER Ø FAM. (Québec) POUPONNER non marqué FAM. POURLÉCHER (SE) (2) MOD. FAM. RABÂCHER non marqué FAM. RACCUSER Ø FAM. (Belgique) RAFFOLER non marqué FAM. RAGAILLARDIR non marqué FAM. RAPAILLER Ø FAM. (Québec) RECALER (2) FAM., COUR. FAM. REMARCHER non marqué FAM. REMBARRER non marqué FAM. REMPOCHER non marqué FAM. RENAUDER POP. FAM., VIEILLI RETÂTER non marqué FAM. RETOQUER ARG. SCOL. FAM. RIMAILLER VIEILLI FAM., VIEILLI RINGARDISER non marqué FAM. RIPAILLER non marqué FAM., VIEILLI RONCHONNER non marqué FAM. ROSSER non marqué FAM. ROYAUMER (SE) Ø FAM. (Suisse) RUPER Ø TRÈS FAM. (Suisse) SCHADER Ø FAM. (Suisse) SHOOTER (SE) ANGLI. (2) FAM. FAM. SILER Ø FAM. (Québec) SNIFFER ARG. FAM. TAPINER ARG. TRÈS FAM. TARABUSTER non marqué FAM. TARTIR ARG. FAM. TAUPER Ø FAM. (Suisse) TIQUER Ø FAM. TOURNAILLER non marqué FAM. TOURNIQUER non marqué FAM. TRACTER Ø FAM. TRAÎNAILLER non marqué FAM. 334 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Petit Robert 2002 Petit Larousse 2001 TRAÎNASSER VX ET PÉJ. FAM. TRAVAILLOTER non marqué FAM. TRIMER non marqué FAM. TRIPOTER non marqué FAM. TRUANDER (2) FAM. FAM. TURBINER POP. ET VIELLI FAM. VAMPIRISER non marqué FAM. VANDALISER non marqué FAM. VESSER VX. FAM., VX. VILLÉGIATURER VIEILLI FAM., VX. VIVOTER non marqué FAM. ANNEXE 3 COMPARAISON DU MARQUAGE DES TERMES DANS LE NOUVEAU PETIT ROBERT 2002 ET LE PETIT ROBERT 1977 Sont présentés dans cette annexe : - un inventaire des marques d’usages attribuées aux 410 verbes du corpus, par le NPR 2002 et le PR 1977 (tableau n° 1) - un inventaire des termes marqués FAM. par le PR 1977, qui font l’objet d’une autre marque dans le NPR 2002 (tableau n° 2). Le signe Ø signifie que le terme n’appartient pas à la nomenclature du dictionnaire spécifié. 336 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Tableau 1. - Inventaire des marques d’usages attribuées au corpus par le NPR 2002 et le PR 1977 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 AMOCHER FAM. POP. ARNAQUER (1) FAM. POP. ARNAQUER (2) FAM. POP. ASTICOTER FAM. FAM. ATTIFER FAM. ET PÉJ. FAM. BAFOUILLER FAM. FAM. BÂFRER FAM. POP. BAGARRER (1) FAM. FAM. BAGARRER (SE) (2) FAM. POP. BALADER (1) FAM. FAM. BALADER (SE) (2) FAM. FAM. BALISER FAM. Ø BANQUER FAM. POP. BARAGOUINER (1) FAM. ET PÉJ. FAM. BARAGOUINER (2) FAM. ET PÉJ. non marqué BARATINER (1) FAM. POP. BARATINER (2) FAM. POP. BARBER FAM. POP ET FAM. BARBIFIER (1) FAM. FAM. BARBIFIER (2) FAM. VIEILLI FAM. VIEILLI BARBOTER FAM. POP. BARDER FAM. POP. BARRER (SE) FAM. POP. BASSINER FAM. POP. BATIFOLER FAM. FAM. BAVASSER FAM. ET PÉJ. Ø BAZARDER FAM. FAM. BÊCHER (1) FAM. VX. FIG. ET FAM. BÊCHER (2) FAM. Ø BÉCOTER FAM. FAM. Annexes 337 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 BECTER FAM. POP. BEURRER (SE) FAM. Ø BIBERONNER FAM. FAM. BICHER (1) FAM. VIEILLI FAM. BICHER (2) FAM. POP. BIDONNER (1) FAM. Ø BIDONNER (SE) (2) FAM. POP. BIDOUILLER FAM. Ø BIGLER (1) FAM. FAM. BIGLER (2) FAM. VIEILLI FAM. BIGOPHONER FAM. Ø BILER (SE) FAM. FAM. BISER FAM. FAM. BISQUER FAM. POP. BITER OU BITTER FAM. Ø BITURER (SE) FAM. POP. BLABLATER FAM. ET PÉJ. Ø BLAGUER FAM. FAM. BLAIRER FAM. POP. BOMBER FAM. Ø BOSSER FAM. POP. BOUFFER (1) FAM. POP. BOUFFER (2) FAM. Ø BOUFFER (3) FAM. FIG. BOULONNER FAM. FAM. BOULOTTER FAM. (2) MOD. ET FAM. BOYAUTER (SE) FAM. Ø BRAILLER FAM. non marqué BRAIRE FAM. Ø BULLER FAM. Ø BUTER FAM. Ø CABOTINER FAM. FAM. CACHETONNER FAM. Ø CAFARDER (1) FAM. non marqué CAFARDER (2) FAM. Ø CAFOUILLER FAM. POP. 338 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 CAFTER FAM. Ø CANARDER FAM. non marqué CANER FAM. FAM. CANNER RÉGION. (CANADA) FAM. Ø CANULER FAM. POP. CARAPATER (SE) FAM. POP. CAROTTER (1) FAM. FAM. CAROTTER (2) FAM. Ø CASQUER FAM. POP. CATASTROPHER FAM. Ø CAVALER FAM. POP. CHAMBARDER FAM. FAM. CHAMBOULER FAM. FAM. CHAPARDER FAM. FAM. CHARCUTER FAM. FAM. CHÂTAIGNER FAM. Ø CHIADER FAM. ET VIEILLI ARG. CHIALER FAM. POP. CHIER (1) FAM. ET VULG. TRÈS VULG. CHIER (2) FAM. ET VULG. TRÈS VULG. CHIGNER FAM. Ø CHIPER FAM. FAM. CHLINGUER FAM. ET VULG. VULG. CHOPER (1) FAM. VIEILLI POP. OU FAM. CHOPER (2) FAM. POP. OU FAM. CHOPER (3) FAM. POP. OU FAM. CHOUCHOUTTER FAM. non marqué CHOUINER RÉGION. OU FAM. Ø CHOURAVER FAM. Ø COCHONNER FAM. FAM. COCOTER FAM. Ø COCUFIER FAM. VULG. COLLAPSER FAM. Ø COMPLEXER FAM. Ø CONTREBALANCER (S'EN) FAM. (3) POP. Annexes 339 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 CONTREFICHER (SE) FAM. POP. COPINER FAM. FAM. CORNAQUER FAM. Ø COUCHAILLER FAM. ET PÉJ. Ø COUILLONNER FAM. non marqué COUINER (1) FAM. FAM. COUINER (2) FAM. Ø COURSER FAM. Ø CRACHOUILLER FAM. Ø CRAMER (1) FAM. non marqué CRAMER (2) FAM. POP. CRÂNER FAM. FAM. CRAPAHUTER FAM. ARG. MILIT. CRAPOTER FAM. Ø CRÉCHER FAM. POP. CRISER FAM. Ø CRITICAILLER FAM. FAM. CROUTER FAM. POP. CUITER (SE) FAM. FAM. DANSOTER FAM. Ø DEALER FAM. Ø DÉBALLONNER (SE) FAM. ET PÉJ. Ø DEBANDER FAM. Ø DÉBARBOUILLER FAM. FAM. DÉBECTER FAM. Ø DEBINER FAM. FAM. DEBINER (SE) FAM. ET VIEILLI FAM. DEBOUSSOLER FAM. Ø DÉBRAGUETTER FAM. Ø DEBRAILLER (SE) FAM. FAM. DEBRAYER FAM. POP. DÉCANILLER FAM. FAM. DECARCASSER (SE) FAM. FAM. DÉCERVELER FAM. Ø DÉCOMPLEXER FAM. Ø DÉCONNER (1) FAM. VULG. 340 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 DÉCONNER (2) FAM. Ø DÉCONNER (3) FAM. Ø DÉFOULER (1) FAM. FAM. DÉFOULER (2) FAM. Ø DEFOURAILLER ARG. FAM. Ø DÉGLINGUER FAM. FAM. DÉGOBILLER FAM. FAM. DÉGOISER (1) FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. DEGOISER (2) FAM. ET PÉJ. FAM. ET PÉJ. DEGOTER (1) FAM. VX. FAM. VX. DEGOTER (2) FAM. MOD. FAM. MOD. DÉGROUILLER (SE) FAM. (LANG. DES ÉCOLIERS) FAM. DÉGUEULASSER FAM. Ø DEGUEULER FAM. ET VULG. POP. ET VULG. DEHOTTER FAM. Ø DEJANTER FAM. Ø DÉMANTIBULER FAM. FAM. DÉMERDER (SE) FAM. VULG. DÉPATOUILLER (SE) FAM. FAM. DÉPIAUTER FAM. FAM. DEPOITRAILLER (SE) FAM. Ø DÉPUCELER FAM. VULG. DESAPER FAM. Ø DETALER FAM. FAM. DINGUER FAM. FAM. DOUILLER (1) FAM. Ø DOUILLER (2) FAM. Ø DROGUER FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI DROPER FAM. Ø ÉCORNIFLER FAM. ET VX. FAM. ÉCRABOUILLER FAM. FAM. EMBERLIFICOTER (1) FAM. FAM. EMBERLIFICOTER (2) FAM. FAM. EMBÊTER (1) FAM. FAM. EMBÊTER (2) FAM. FAM. EMBÊTER (3) FAM. Ø Annexes 341 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 EMBOBINER FAM. FAM. EMBRINGUER FAM. FAM. EMMERDER (1) FAM. VULG. EMMERDER (2) FAM. VULG. EMMERDER (3) FAM. VULG. EMMIELLER FAM. PAR EUPH. POP. EMMITOUFLER FAM. FAM. EMMOUSCAILLER FAM. VIEILLI Ø ÉMOTIONNER FAM. FAM. EMPAUMER FAM. ET VIEILLI FAM. EMPIFFRER (S’) FAM. FAM. EMPILER FAM. FAM. EMPLAFONNER FAM. Ø ENDÊVER FAM. ET VX. FAM. ET VX. ENGUEULER (1) FAM. POP. ENGUEULER (2) FAM. Ø ENGUIRLANDER FAM. FAM. ENQUIQUINER FAM. FAM. ENTARTER FAM. Ø ENTUBER FAM. Ø ÉPOUSTOUFLER FAM. FAM. ESBIGNER (S’) FAM. ET VIEILLI POP. ET VIEILLI ESBROUFER FAM. FAM. ESQUINTER (1) FAM. FAM. ESQUINTER (2) FAM. non marqué ESTOMAQUER FAM. MOD ET FAM. ESTOURBIR FAM. FAM. FARFOUILLER FAM. FAM. FAUTER FAM. VIEILLI FAM. FIGNOLER FAM. FAM. FILOCHER (1) FAM. Ø FILOCHER (2) FAM. Ø FLANCHER FAM. FAM. FLANQUER (1) FAM. FAM. FLANQUER (2) FAM. FAM. FLASHER FAM. Ø 342 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 FLEMMARDER FAM. FAM. FLINGUER (1) FAM. non marqué FLINGUER (2) FAM. Ø FLIPPER (1) FAM. Ø FLIPPER (2) FAM. Ø FLIQUER FAM. Ø FLOTTER FAM. POP. FOUINER (1) FAM. Ø FOUINER (2) FAM. PÉJ. FAM. FRIMER FAM. Ø FRINGUER FAM. POP. FRITER (SE) FAM. Ø FUGUER FAM. Ø GAFFER (1) FAM. POP. GAFFER (2) FAM. Ø GALÉRER FAM. Ø GAMBERGER (1) ARG. FAM. Ø GAMBERGER (2) ARG. FAM. Ø GAMBILLER (1) FAM. VX. FAM. GAMBILLER (2) FAM. MOD. POP. GÂTIFIER FAM. Ø GAZER (1) FAM. VIEILLI FAM. GAZER (2) FAM. VIEILLI PAR EXT. GERBER (1) FAM. Ø GERBER (2) FAM. Ø GIGOTER FAM. FAM. GLANDER FAM. Ø GLAVIOTER FAM. ET VULG. Ø GOBERGER (SE) FAM. non marqué GODAILLER FAM. non marqué GOIFFRER (SE) FAM. FAM. VX. GOURER (SE) FAM. POP. GRAILLER FAM. Ø GRAILLONNER FAM. FAM. GRATOUILLER FAM. Ø GRENOUILLER FAM. Ø Annexes 343 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 GROGNASSER FAM. ET PÉJ. Ø GUEULETONNER FAM. non marqué GUINCHER FAM. POP. INDIFFÉRER FAM. FAM. INSUPPORTER FAM. ET PAR PLAIS. FAM. ET PAR PLAIS. JABOTER FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI JACTER FAM. POP. JASPINER FAM. ET PÉJ. POP. JUBILER FAM. FAM. KIFER (1) FAM. Ø KIFER (2) FAM. Ø LAÏUSSER FAM. FAM. LAMPER FAM. non marqué LEZARDER FAM. FAM. LIMOGER (1) FAM. FAM. LIMOGER (2) FAM. FAM. LOUPER (1) FAM. FAM. LOUPER (2) FAM. FAM. LOURDER ARG. FAM. Ø MÂCHOUILLER FAM. FAM. MAGNER (SE) FAM. non marqué MAGOUILLER (1) FAM. Ø MAGOUILLLER (2) FAM. Ø MARONNER FAM. RÉGION. FAM. MARRER (SE) FAM. POP. MÉGOTER FAM. FAM. MENDIGOTER FAM. POP. MERDER (1) FAM. Ø MERDER (2) FAM. Ø MERDOYER FAM. POP. MORFLER ARG. FAM. Ø MOUCHARDER FAM. FAM. MOUFTER FAM. Ø NIPPER FAM. ET VEILLI FAM. PARTOUZER FAM. Ø PAUMER FAM. POP. 344 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 PEINTURLURER FAM. FAM. PELOTER FAM. FAM. ou POP. PENDOUILLER FAM. FAM. PETER (1) FAM. VULG. PETER (2) FAM. non marqué PETER (3) FAM. Ø PETER (4) FAM. Ø PETIT-DÉJEUNER FAM. Ø PHOSPOHORER FAM. FAM. PIAILLER (1) FAM. FAM. PIAILLER (2) FAM. FAM. PICOLER FAM. POP. PIGEONNER FAM. FAM. PIGER (1) FAM. VX. POP. VX. PIGER (2) FAM. MOD. POP. MOD. PILER FAM. Ø PINAILLER FAM. POP. PIONCER FAM. POP. PISSER (1) FAM. VULG. PISSER (2) FAM. POP. PLANQUER FAM. POP. PLUMER (SE) FAM. ET VIEILLI POP. POCHARDER (SE) FAM. ET VIEILLI POP. ET VIEILLI POILER (SE) FAM. POP. POIREAUTER FAM. FAM. POIVRER (SE) FAM. FAM. POLITIQUER VX. FAM. VX ET FAM. POTASSER FAM. FAM. POUTSER FAM. (suisse) Ø QUEUTER FAM. Ø RABIBOCHER (1) FAM. FAM. RABIOTER (1) FAM. FAM. RABIOTER (2) FAM. FAM. RABOBOCHER (2) FAM. FAM. RADINER (1) FAM. POP. RADINER (2) FAM. POP. Annexes 345 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 RAFISTOLER FAM. FAM. RAFLER (1) FAM. FAM. RAFLER (2) FAM. Ø RAFLER (3) FAM. Ø RAGER FAM. FAM. RAPETASSER FAM. FAM. RAPPLIQUER FAM. POP. RAQUER FAM. POP. RATIBOISER (1) FAM. FAM. RATIBOISER (2) FAM. non marqué RATIBOISER (3) FAM. Ø RAVIGOTER FAM. FAM. REBIFFER (SE) FAM. FAM. REBIQUER FAM. FAM. REBOUTER (1) FAM. VX FAM. VX. REBOUTER (2) FAM. FAM. REBRAGUETTER FAM. Ø RECASER FAM. FAM. REFILER FAM. POP. REFOUTRE FAM. Ø RELOOKER FAM. Ø RELUQUER (1) FAM. non marqué RELUQUER (2) FAM. non marqué REMPILER FAM. ARG. MILIT. RENCOGNER FAM. VX. FAM. REQUINQUER (1) FAM. VX REQUINQUER (2) FAM. MOD (FAM.) RESQUILLER (1) FAM. non marqué RESQUILLER (2) FAM. Ø RESQUILLER (3) FAM. Ø RESQUILLER (4) FAM. non marqué RETAMER (1) FAM. FAM. RETAMER (2) FAM. FAM. REVOULOIR FAM. FAM. RIBOULER FAM. ET VIEILLI FAM. ET VIEILLI RIGOLER (1) FAM. FAM. 346 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 RIGOLER (2) FAM. FAM. RIGOLER (3) FAM. Ø RÔDAILLER FAM. VIEILLI FAM. ROGNER FAM. VX. FAM. ROGNONNER FAM. VX. FAM. ROTER (1) VULG. OU FAM. VULG. ROTER (2) VULG. OU FAM. POP. ET FIG. ROUPILLER FAM. FAM. ROUSCAILLER FAM. MOD. ET FAM. ROUSPÉTER FAM. FAM. ROUSTIR FAM. POP. SACQUER FAM. FAM. SALOPER (1) FAM. POP. SALOPER (2) FAM. Ø SANDWICHER FAM. Ø SAPER (SE) FAM. POP. SAUCISSONNER FAM. FAM. SIROTER FAM. FAM. SPEEDER FAM. Ø STARISER FAM. Ø TABASSER FAM. POP. TALOCHER FAM. VIEILLI FAM. TCHATCHER FAM. Ø TOQUER RÉGIONAL. OU FAM. DIAL. OU FAM. TOQUER (SE) FAM. FAM. TORCHER (1) FAM. POP. TORCHER (2) FAM. ET VEILLI POP. TORCHONNER FAM. (2)FIG. ET FAM. TOURNEBOULER FAM. FAM. TOURNICOTER FAM. FAM. TRAFICOTER FAM. Ø TRANSBAHUTER FAM. FAM. TRIFOUILLER (1) FAM. FAM. TRIFOUILLER (2) FAM. non marqué TRIMBALLER FAM. FAM. TRISSER (1) FAM. POP. Annexes 347 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 TRISSER (2) FAM. Ø TRUCIDER FAM. FAM. TURLUPINER MOD. ET FAM. MOD. ET FAM. URGER FAM. FAM. VADROUILLER (1) FAM. VX. FAM. VADROUILLER (2) FAM. FAM. VALDINGUER FAM. POP. VAMPER FAM. FAM. VANNER FAM. Ø VASER FAM. Ø VASOUILLER FAM. FAM. VIANDER FAM. Ø VIBRIONNER FAM. FAM. VIOLONER FAM. FAM. YOYOTER FAM. Ø ZIEUTER FAM. POP. ZIGOUILLER FAM. POP. ZONER FAM. Ø ZOZOTER FAM. FAM. 348 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Tableau 2. - Inventaire des termes marqués FAM. par le PR 1977 qui font l’objet d’une autre marque dans le NPR 2002 Entrées Nouveau Petit Robert Petit Robert 2002 1977 BAISOTER Ø FAM. ET VIEILLI BEDONNER non marqué FAM. BOUGONNER non marqué FAM. BRIMBALLER VIEILLI FAM. COFFRER (2) FAM. FAM. COURAILLER Ø FAM. DÉBOULER (2) FAM. FAM. DÉCHANTER non marqué FAM. ENSOUTANER Ø FAM. FLOUER VX. FAM. ET VIEILLI GOBICHONNER Ø FAM. JOUAILLER Ø FAM. LAMBINER non marqué FAM. MANGEOTTER Ø FAM. MANUCURER non marqué FAM. ET DIAL MUCHER VX. OU RÉGION. FAM. ET DIAL PATAFIOLER Ø FAM. PATOUILLER (1) FAM. FAM. PATOUILLER (2) non marqué FAM. PLEURNICHER non marqué FAM. RAUGMENTER Ø FAM. RÉVOLVÉRISER IRON. FAM. RONCHONNER non marqué FAM. RUPINER Ø ARG. FAM. SIDERER (2) FAM. FAM. TOUPILLER TECHN. FAM. ANNEXE 4 RÉPARTITION DES ENTRÉES DICTIONNAIRIQUES EN FONCTION DES TYPES DE DÉFINITION OBSERVÉS Type 1 : Définition par définisseur unique 88/410 items Type 2 : Définition par deux ou plusieurs définisseurs 46/410 items Type 3 : Définition par définisseur + spécifieur 105/410 items Type 4 : Définition par deux définisseurs + spécifieur 23/410 items Type 5 : Définition par définisseur et définisseur + spécifieur 14/410 items Type 6 : Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur 92/410 items Type 7 : Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur et définisseur unique 15/410 items Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur et définisseur + spécifieur 13/410 items Type 9 : Définition par renvoi 13/410 items Autres : Définition incluant des éléments morphosémantiques Type 8 : 350 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Type 1 : Définition par définisseur unique DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur BAGARRER (2) lutter (pour) BAGARRER (SE) (1) Se battre BANQUER payer BARBER Ennuyer BARBIFIER (2) ennuyer BARBOTER voler BAVASSER bavarder BECTER manger BEURRER se soûler BICHER (2) se réjouir BIGLER (1) loucher BITER Comprendre BITURER (SE) s'enivrer BOSSER travailler BOUFFER (3) consommer BOULONNER travailler BOULOTTER manger BULLER ne rien faire CAFTER dénoncer CATASTROPHER atterrer CHIALER pleurer CHLINGUER puer CHOPER (1) voler CHOPER (3) attraper CHOUINER pleurnicher CHOURAVER voler COLLAPSER s’évanouir COUINER (2) grincer CROUTER manger DÉBECTER dégoûter DECONNER (2) plaisanter DÉGLINGUER disloquer spécifieur Annexes 351 DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur DÉGOISER (1) parler DEGOISER (2) débiter DÉGROUILLER (SE) se dépêcher DEGUEULER vomir DÉMERDER (SE) se débrouiller DESAPER déshabiller DOUILLER (1) payer EMBETER (1) ennuyer EMBETER (3) embarrasser EMMERDER (1) importuner EMMERDER (2) Ennuyer EMMIELLER emmerder EMMOUSCAILLER Emmerder ENDEVER rager ENGUIRLANDER réprimander ESBIGNER (S’) se sauver ESTOURBIR assommer FLANQUER (2) donner FRINGUER habiller GERBER (1) vomir GOURER (SE) se tromper GRAILLER manger GUINCHER danser LOUPER (2) ne pas pouvoir prendre, laisser échapper LOUPER (3) rater MERDER (2) échouer PAUMER perdre PIONCER dormir PISSER (1) uriner POCHARDER (SE) s'enivrer POIREAUTER attendre POIVRER (SE) s’enivrer RABIBOCHER (2) réconcilier RADINER (1) arriver RAFLER (2) voler RAGER enrager spécifieur (qqn) (qqn) (qqn) (bien ou mal) (choses) 352 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur RAQUER payer REFOUTRE remettre RETAMER (1) enivrer RETAMER (2) tomber RIGOLER (2) plaisanter RIGOLER (3) se moquer ROUPILLER dormir ROUSTIR voler SACQUER (2) détester SAPER (SE) s’habiller TORCHER (2) battre TRAFICOTER trafiquer TRIFOUILLER (2) farfouiller TRISSER (1) partir TRUCIDER tuer TURLUPINER tourmenter VALDINGUER tomber VASER pleuvoir ZIGOUILLER tuer ZOZOTER zézayer spécifieur (qqch, qqn) Annexes 353 Type 2 : Définition par deux ou plusieurs définisseurs DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur spécifieur ARNAQUER (1) escroquer, voler ARNAQUER (2) arrêter, prendre BARRER (SE) partir, s'enfuir BASSINER ennuyer, fatiguer, importuner BLAIRER aimer, apprécier CAVALER courir, fuir, filer CHIER (2) faire chier l'embêter CHIGNER grogner, pleurnicher CHIPER dérober, voler CHOPER (2) arrêter, prendre CHOUCHOUTTER dorloter, gâter COUILLONNER tromper, duper CRÉCHER habiter, loger DEBINER décrier, dénigrer DEBINER (SE) se sauver, s’enfuir, partir DÉCANILLER s’enfuir, partir DEHOTTER partir, s’en aller DINGUER tomber, être projeté ENQUIQUINER agacer, ennuyer, importuner ENTUBER duper, escroquer ESQUINTER (1) blesser abîmer (qqn) (qqch) FAUTER se laisser séduire, se donner, (en parlant d’une femme, d’une jeune fille) FLANCHER céder, faiblir FLEMMARDER paresser, ne rien faire FLINGUER (2) détruire, abîmer GAMBERGER (1) réfléchir, méditer GAMBERGER (2) calculer, combiner (qqn) (qqn) (qqn) (qqch) 354 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur GERBER (2) partir, s’en aller JACTER parler, bavarder JASPINER bavarder, causer MAGNER (SE) se remuer, se dépêcher MARRER (SE) s’amuser, rire MOUFTER broncher, protester PETER (4) briser, casser PIGEONNER duper, rouler PIGER (1) prendre, attraper PIGER (2) saisir, comprendre POUTSER nettoyer, astiquer RAPPLIQUER revenir, venir, arriver REBOUTER (1) remettre, replacer RIGOLER (1) s'amuser, rire RODAILLER rôder, traînailler ROUSCAILLER réclamer, protester SACQUER (1) renvoyer, congédier TOURNICOTER tourner, tourniquer TRISSER (2) s’en aller, se sauver spécifieur (qqch) Annexes 355 Type 3 : Définition par définisseur + spécifieur DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur AMOCHER blesser par des coups ASTICOTER agacer, harceler qqn pour de petites choses BAFOUILLER parler d'une façon embarrassée, incohérente BÂFRER manger gloutonnement et avec excès BALADER (1) promener sans but précis BARAGOUINER (1) parler (une langue) en l'estropiant BARATINER (2) essayer d'abuser (qqn) par un baratin BATIFOLER s'amuser à des jeux folâtres BECHER (1) critiquer (qqn) vivement BIBERONNER boire (du vin, des boissons alcoolisées) souvent et avec excès BICHER (1) aller bien BIDONNER (2) truquer (un reportage, une émission) en simulant des évènements qui ne correspondent à aucune réalité BIDONNER (SE) (1) rire beaucoup BIGLER (2) regarder du coin de l'œil BOUFFER (1) manger gloutonnement BRAIRE ennuyer profondément CAFARDER (1) dénoncer en faisant le cafard CANARDER tirer sur (qqn) d'un lieu où l'on est à couvert, comme dans la chasse aux canards CANER reculer devant le danger ou la difficulté CANULER importuner (qqn) par le même propos répété CAROTTER (1) extorquer (qqch) à qqn par la ruse CHAPARDER dérober, voler (de petites choses) CHARCUTER opérer (qqn) maladroitement CHATAIGNER se battre violemment CHIADER travailler, préparer (un examen, etc.) COCHONNER faire (un travail) mal, sans soin, salement 356 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur COCOTER sentir mauvais CONTREBALANCER (S'EN) se moquer éperdument de CONTREFICHER (SE) se moquer complètement (de) COURSER poursuivre à la course CRAMER (1) brûler légèrement DANSOTER danser un peu DÉBALLONNER (SE) reculer, par manque de courage, devant une action DEBRAILLER (SE) se découvrir la poitrine, d’une manière indécente en ouvrant ses vêtements DECONNER (3) fonctionner mal (choses) DÉGUEULASSER salir énormément DÉPATOUILLER (SE) se dépêtrer d'une situation embarrassante DÉPIAUTER dépouiller (un animal) de sa peau DETALER s’en aller au plus vite DOUILLER (2) coûter cher ÉCORNIFLER se procurer (une aubaine, de l'argent, un bon repas), çà et là aux dépens d'autrui EMBERLIFICOTER (2) embrouiller qqn pour le tromper EMBÊTER (2) contrarier fortement EMBOBINER tromper par des paroles captieuses EMBRINGUER engager de façon fâcheuse, embarrassante EMMITOUFLER envelopper dans des fourrures, des vêtements chauds et moelleux EMPAUMER posséder (qqn) en trompant, en enjôlant EMPIFFRER (S’) manger avec excès, gloutonnement EMPILER duper en volant EMPLAFONNER heurter (en parlant de véhicules) violemment (un autre véhicule ou un obstacle) ESBROUFER en imposer (à qqn) en faisant de l'esbroufe ESQUINTER (2) fatiguer extrêmement FARFOUILLER fouiller en bouleversant tout FILOCHER (2) suivre qqn pour l’épier FLINGUER (1) tirer sur (qqn) avec un flingue, une arme à feu Annexes 357 DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur FLOTTER pleuvoir abondamment FOUINER (2) fouiller indiscrètement, dans les affaires des autres (comme la fouine qui fourre partout son museau) GAFFER (1) regarder attentivement GAMBILLER (2) danser sur un rythme très vif GAZER (1) aller à toute vitesse, à plein gaz GOIFRER (SE) manger comme un goinfre GRAILLONNER tousser pour expectorer des graillons GROGNASSER grogner de façon continuelle JABOTER bavarder à plusieurs JUBILER se réjouir vivement de qqch LAMPER boire d'un trait ou à grandes gorgées MERDOYER s'embrouiller dans une explication, dans des démarches maladroites MORFLER recevoir, encaisser (un coup, une punition) subir (un inconvénient) MOUCHARDER surveiller en vue de dénoncer PEINTURLURER peindre avec des couleurs criardes, peu harmonieuses PENDOUILLER pendre d'une manière ridicule, mollement PETER (2) éclater avec bruit PHOSPHORER travailler intellectuellement PILER freiner brutalement PISSER (2) évacuer avec l’urine POILER (SE) rire aux éclats POTASSER étudier avec acharnement RABIBOCHER (1) réparer d'une manière sommaire ou provisoire RAFLER (3) prendre dans une rafle RAPETASSER réparer (un vêtement, etc.) sommairement, grossièrement RATIBOISER (2) ruiner (qqn) au jeu RATIBOISER (3) couper très court les cheveux de (qqn) REBIFFER (SE) refuser de se laisser mener ou humilier, avec vivacité et aigreur 358 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur RECASER caser (qqn qui a perdu sa place) à nouveau RELUQUER (1) regarder du coin de l'œil, avec intérêt et curiosité REMPILER se rengager à la fin de la durée légale du service militaire ou à l’expiration d’un précédent engagement RESQUILLER (1) entrer, se faufiler sans payer (dans un spectacle, un moyen de transport, etc.) RESQUILLER (2) obtenir une chose sans y avoir droit, sans rien débourser RESQUILLER (3) passer avant son tour dans une file d’attente RESQUILLER (4) obtenir (qqch) en resquillant REVOULOIR vouloir de nouveau ou encore RIBOULER regarder en roulant les yeux d'un air stupéfait SALOPER (2) salir énormément SAUCISSONNER manger un repas froid sans couverts ou sans table mise SE BALADER se promener sans but SIROTER boire à petits coups en savourant TCHATCHER parler beaucoup TOQUER frapper légèrement, discrètement TORCHER (1) essuyer pour nettoyer TORCHONNER exécuter (un travail) rapidement et sans soin TRANSBAHUTER transporter d’un lieu dans un autre sans délicatesse VADROUILLER (1) traîner dans les rues VADROUILLER (2) se promener sans but précis, sans raison VAMPER séduire par des allures de vamp VIBRIONNER s'agiter sans cesse Annexes 359 Type 4 : Définition par deux définisseurs + spécifieur DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur ATTIFER habiller, parer avec une recherche excessive ou d’une manière ridicule BAZARDER se débarrasser, se défaire rapidement de (qqch) BOMBER peindre, inscrire à la bombe sur des murs privés ou publics BRAILLER crier parler ou chanter fort, de façon assourdissante BUTER tuer, assassiner avec une arme à feu, dans un mauvais coup, dans un règlement de compte CRAPAHUTER marcher, progresser dans un terrain accidenté, difficile CRITICAILLER critiquer, blâmer sans raison ou pour le plaisir DEALER trafiquer, revendre (de la drogue), à petite échelle ÉMOTIONNER toucher, agiter par une émotion ENGUEULER (2) se disputer, se quereller de façon violente ESTOMAQUER étonner, surprendre par qqch de choquant, d’offensant FIGNOLER exécuter, arranger avec un soin minutieux jusque dans les détails FLANQUER (1) lancer, jeter brutalement ou brusquement FLIPPER (1) être abattu, déprimé lorsque la drogue a fini son effet PELOTER caresser, palper, toucher indiscrètement et sensuellement (le corps ou une partie du corps de qqn , qqn) RABIOTER (2) s'approprier, obtenir en supplément RAFISTOLER raccommoder, réparer grossièrement, avec des moyens de fortune RAFLER (1) prendre et emporter promptement sans rien laisser REBIQUER se dresser, se retrousser en faisant un angle REFILER donner, remettre à un autre, en le trompant, en profitant de son inattention RENCOGNER pousser, repousser dans un coin ROUSPÉTER protester, réclamer (contre qqch qui paraît injuste ou vexatoire) TRIMBALLER mener, porter partout avec soi (souvent avec l'idée de peine, de difficulté) 360 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Type 5 : Définition par définisseur et définisseur + spécifieur DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur BOUFFER (2) absorber accaparer complètement (compl. personne) CARAPATER (SE) s'enfuir, s'en aller vivement CHAMBOULER bouleverser, mettre sens dessus dessous brûler se consumer complètement filer, courir très vite CRAMER (2) DROPER FILOCHER (1) aller Filer vite, GAZER (2) aller marcher à souhait, GIGOTER remuer agiter vivement, les jambes ses membres, tout son corps KIFER (2) apprécier, aimer bien MACHOUILLER mâchonner mâcher sans avaler RATIBOISER (1) rafler prendre, voler au jeu RELUQUER (2) considérer guigner (une chose) avec convoitise ROGNONNER grommeler manifester son mécontentement en bougonnant SPEEDER aller se dépêcher vite, Annexes 361 Type 6 : Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur BALISER avoir peur BARAGOUINER (2) parler une langue qui paraît barbare à ceux qui ne la comprennent pas BARATINER (1) faire du baratin BARDER devenir dangereux, prendre une tournure violente BECHER (2) être prétentieux et snob à l'égard de (qqn) BÉCOTER donner des bécots à (qqn) BISER donner une bise à (qqn) BISQUER éprouver du dépit, de la mauvaise humeur BLABLATER tenir se lancer des propos sans intérêt dans un verbiage creux BLAGUER dire des blagues CABOTINER faire le cabotin CACHETONNER courir le cachet CAFARDER (2) avoir être le cafard, déprimé CANNER mettre en boîtes de conserve CAROTTER (2) extraire une carotte du sol CHIER (1) se décharger le ventre, des excréments COCUFIER faire cocu COMPLEXER donner des complexes à qqn COPINER avoir des relations de camaraderie CORNAQUER servir de guide à (qqn) COUCHAILLER avoir des relations sexuelles occasionnelles COUINER (1) pousser de petits cris CRANER affecter la bravoure, le courage, la décision CRAPOTER tirer sur une cigarette, sans vraiment fumer, sans avaler la fumée CRISER perdre piquer le contrôle de ses nerfs, sa crise DEBANDER cesser de bander, d'être en érection DEBARBOUILLER tirer d’affaire, d’embarras 362 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur DÉBRAGUETTER ouvrir la braguette de DEBRAYER arrêter le travail (dans une usine, etc.), notamment pour protester DECARCASSER (SE) se donner beaucoup de peine, pour parvenir à un résultat DÉCERVELER faire sauter la cervelle de (qqn) DÉCOMPLEXER libérer de ses inhibitions, de ses complexes DÉCONNER (1) dire, faire des bêtises, des absurdités DÉFOULER (1) permettre, favoriser la libération de l’agressivité, de pulsions ordinairement réprimées (choses) DEFOULER (2) se libérer des contraintes, des tensions (personnes) DEFOURAILLER sortir une arme à feu DEGOTER (1) déposséder renvoyer (qqn), d’un poste DEJANTER devenir fou avoir un comportement un peu anormal DÉPUCELER faire perdre sa virginité, son pucelage à (qqn) EMMERDER (3) tenir pour inexistant, négligeable (en matière de défi) ENGUEULER (1) adresser des injures, une vive réprimande à (qqn), souvent de façon grossière, pour exprimer son mécontentement ENTARTER plaquer une tarte à la crème sur le visage (de qqn ; spécialement une personnalité que l’on veut ridiculiser) ÉPOUSTOUFLER jeter (qqn) dans l'étonnement, la surprise FLASHER être avoir très intéressé, le coup de foudre pour FLIPPER (2) être déprimé FLIQUER exercer (sur qqn) une surveillance policière FOUINER (1) se livrer à des recherches méticuleuses FRIMER chercher à en imposer, à se faire admirer FRITER (SE) avoir une altercation plus ou moins vive (avec qqn) GAFFER (2) faire attention Annexes 363 DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur GALÉRER se lancer dans des entreprises hasardeuses, souvent sans résultat GAMBILLER (1) remuer les jambes quand elles sont pendantes GATIFIER devenir se comporter gâteux ; comme un gâteux GLANDER ne rien faire, perdre son temps GOBERGER (SE) prendre se traiter bien faire ses aises GODAILLER faire des faux plis (vêtement) GRENOUILLER pratiquer le grenouillage INDIFFÉRER laisser indifférent (qqn) INSUPPORTER être insupportable à KIFER (1) prendre du plaisir LAÏUSSER faire des laïus LIMOGER (1) relever (un officier général) de son commandement LIMOGER (2) frapper (une personne haut placée et particulièrement un haut fonctionnaire) d'une mesure de disgrâce (déplacement d'office, la mise à la retraite…) LOUPER (1) exécuter ne pas réussir mal (un travail, une action) (qqch ) LOURDER mettre à la porte MAGOUILLER (1) se livrer à des magouilles MAGOUILLER (2) élaborer des magouilles MERDER (1) éprouver ne pas savoir répondre des difficultés, PARTOUZER participer à une partouze PÉTER (1) faire lâcher un pet, des vents PÉTER (3) déborder d’entrain, de vitalité PETIT-DÉJEUNER prendre le petit-déjeuner PIAILLER (1) pousser (oiseau) des petits cris aigus PICOLER boire du vin, de l'alcool PLUMER (SE) se mettre au lit, au plumard bombance 364 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur POLITIQUER parler politique RABIOTER (1) faire des petits profits supplémentaires RAVIGOTER rendre redonner plus vigoureux de la force, de la vigueur à REBRAGUETTER fermer, reboutonner la braguette de (un pantalon) RELOOKER donner une nouvelle apparence, un nouveau look à REQUINQUER (1) redonner à (qqn) des forces, de l'entrain REQUINQUER (2) reprendre retrouver des forces, sa forme, sa bonne humeur ROTER (1) faire un rot, des rots ROTER (2) supporter une situation pénible SANDWICHER mettre en sandwich STARISER transformer en star, en vedette TOQUER (SE) avoir une toquade pour (qqn) TOURNEBOULER mettre bouleverser l’esprit de (qqn) à l'envers, VASOUILLER être hésitant, peu sûr de soi, maladroit VIANDER être accidenté gravement VIOLONER jouer du violon ZIEUTER jeter un coup d'œil pour observer (qqch, qqn) Annexes 365 Type 7 : Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur et définisseur unique DÉFINI DÉFINISSANT définisseur spécifieur BIDOUILLER faire fonctionner, arranger en bricolant BOYAUTER (SE) rire se tordre de rire très fort, CAFOUILLER agir marcher d'une façon désordonnée, confuse mal CHAMBARDER bouleverser mettre de fond en comble, en désordre DÉMANTIBULER démolir mettre en pièces de manière à rendre inutilisable ÉCRABOUILLER écraser mettre salement, en bouillie FUGUER faire s'enfuir une fugue du milieu familial GRATOUILLER gratter faire éprouver légèrement une démangeaison à GUEULETONNER faire manger un gueuleton bien LÉZARDER faire paresser le lézard au soleil PINAILLER ergoter se perdre sur des vétilles, dans les subtilités REBOUTER (2) remettre réduire (un membre démis), par des moyens empiriques (une fracture, une foulure, etc.) SALOPER (1) faire réaliser très mal (un travail) très mal (un objet) TRIFOUILLER (1) mettre remuer en désordre, en remuant ; d'une manière incohérente ZONER mener vivre une existence marginale en zonard 366 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Type 8 : Définition par définisseur non prédicatif + spécifieur et définisseur + spécifieur DÉFINI DEFINISSANT Définisseur BARBIFIER (1) BILER (SE) spécifieur raser faire la barbe à s'inquiéter, se faire de la bile CASQUER donner payer de l’argent CUITER (SE) prendre s'enivrer une cuite DEBOUSSOLER désorienter faire (qqn) qu’il ne sache plus où il est MARONNER maugréer, exprimer sa colère, son dépit, en grondant, en marmonnant MÉGOTER lésiner, Rechercher les profits dérisoires cacher, mettre à l’abri PLANQUER ROGNER être en rogne, en colère ; rager TABASSER battre, rouer de coups, passer à tabac URGER être urgent, presser VANNER se moquer de, lancer YOYOTER perdre divaguer des vannes à (qqn) la tête Annexes 367 Type 9 : Définition par renvoi DÉFINI DÉFINISSANT Définisseur BIGOPHONER [cf. BIGOPHONE] CRACHOUILLER => crachoter DÉGOBLLER => vomir DEGOTER (2) => découvrir, trouver DEPOITRAILLER (SE) [cf. DEPOITRAILLE, E] DROGUER => attendre GLAVIOTER [cf. GLAVIOT] MENDIGOTER [cf. MENDIGOT,TE] NIPPER => habiller PIAILLER (2) => crier QUEUTER => louper RADINER (2) => se ramener TALOCHER [cf. TALOCHE] spécifieur 368 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Définition incluant des éléments morphosémantiques DÉFINI DÉFINISSANT BARATINER (1) faire du baratin BARATINER (2) essayer d'abuser (qqn), par un baratin BARBIFIER (1) raser, faire la barbe à BAVASSER Bavarder BÉCOTER donner des bécots à (qqn) BIGOPHONER [cf. BIGOPHONE] BILER (SE) s'inquiéter, se faire de la bile BISER donner une bise à (qqn) BLAGUER dire des blagues BOMBER peindre, inscrire à la bombe sur des murs CABOTINER faire le cabotin CACHETONNER courir le cachet CAFARDER (1) dénoncer en faisant le cafard CAFARDER (2) avoir le cafard, être déprimé CANARDER tirer sur (qqn) d'un lieu où l'on est à couvert, comme dans la chasse aux canards CAROTTER (2) extraire une carotte du sol CHIER (2) faire chier (qqn), l’embêter COCUFIER faire cocu COMPLEXER donner des complexes à qqn COURSER poursuivre à la course CRACHOUILLER => crachoter CRISER perdre le contrôle de ses nerfs, piquer sa crise CRITICAILLER critiquer, blâmer privés ou publics sans raison ou pour le plaisir CUITER (SE) prendre une cuite, s'enivrer DÉBANDER cesser de bander, d'être en érection DÉBRAGUETTER ouvrir la braguette de DÉBRAYER arrêter le travail (dans une usine, …), notamment pour protester DÉCERVELER faire sauter la cervelle de (qqn) DÉCOMPLEXER libérer de ses inhibitions, de ses complexes DÉPOITRAILLER (SE) [cf. DEPOITRAILLE, E] DÉPUCELER faire perdre sa virginité, son pucelage à (qqn) Annexes 369 ÉCRABOUILLER écraser salement, mettre en bouillie ÉMOTIONNER toucher, agiter par une émotion ESBROUFER en imposer (à qqn) en faisant de l'esbroufe FARFOUILLER fouiller en bouleversant tout FILOCHER (1) aller vite, filer FLINGUER (1) tirer sur (qqn) avec un flingue, une arme à feu FOUINER (2) fouiller indiscrètement, dans les affaires des autres (comme la fouine qui fourre partout son museau) FUGUER faire une fugue, s'enfuir du milieu familial GATIFIER devenir gâteux ; se comporter comme un gâteux GAZER (1) aller à toute vitesse, à plein gaz GLAVIOTER [cf. GLAVIOT] GOINFRER (SE) manger comme un goinfre GRAILLONNER tousser pour expectorer des graillons GRATOUILLER gratter légèrement, faire éprouver une démangeaison à. GRENOUILLER pratiquer le grenouillage GROGNASSER grogner de façon continuelle GUEULETONNER faire un gueuleton, bien manger INDIFFÉRER laisser indifférent (qqn) INSUPPORTER être insupportable à LAÏUSSER faire des laïus LÉZARDER faire le lézard, paresser au soleil MACHOUILLER mâchonner, mâcher sans avaler MAGOUILLER (1) se livrer à des magouilles MAGOUILLER (2) élaborer des magouilles MENDIGOTER [cf. MENDIGOT,TE] PARTOUZER participer à une partouze PEINTURLURER peindre avec des couleurs criardes, peu harmonieuses PENDOUILLER pendre d'une manière ridicule, mollement PÉTER (1) faire un pet, lâcher des vents PETIT-DÉJEUNER prendre le petit-déjeuner PLUMER (SE) se mettre au lit, au plumard POLITIQUER parler politique RAFLER (3) prendre dans une rafle RAGER Enrager REBRAGUETTER fermer, reboutonner la braguette de (un pantalon) 370 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER RECASER caser (qqn qui a perdu sa place) à nouveau RELOOKER donner une nouvelle apparence, un nouveau look à RENCOGNER pousser, repousser dans un coin RESQUILLER obtenir (qqch) en resquillant RODAILLER rôder, traînailler ROGNER être en rogne, en colère ; rager ROTER (1) faire un rot, des rots SANDWICHER mettre en sandwich STARISER transformer en star, en vedette TABASSER battre, rouer de coups, passer à tabac TALOCHER [cf. TALOCHE] TOQUER (SE) avoir une toquade pour (qqn) TOURNICOTER tourner, tourniquer TRAFICOTER Trafiquer URGER être urgent, presser VAMPER séduire par des allures de vamp VANNER se moquer de, lancer des vannes à (qqn) VIOLONER jouer du violon ZONER mener une existence marginale, vivre en zonard Index des auteurs cités A ALIQUOTSUENGUAS S. 174 ALONSO-RAMOS M. 229 APOTHELOZ D. 171 ; 185 APRESJAN J. 249 AUTHIER J. 51 B BOURDIEU P. 30 ; 255 53 ; BOURQUIN G. 64 ; 71 BOUVEROT D. 41 ; 144 BRUNOT F. 23; 158 BUZON C. 33; 143 71 ; C CADIOT P. 200; 202 CANGUILHEM G. 199 CAPUT J.-P. 59 CARON P. 41 BALLY C. 60; 92 CHEVALIER J.-C. 56 BARTHES R. 34 COHEN M. 62; 63; 145 BAUCHE H. 111 ; 140 ; 141 COHEN J. 198 BAUDET S. 251 COLIN J.-P. BAUTIER E. 87 ; 143 87; 113; 114; 127; 139; 194 BEAUJOT J-P. 36; 54 COLLET-HASSAN M. 56 ; 57 ; 59 ; 62 BENSIMONCHOUKROUN G. 87 COLLINOT A, 19; 20; 239; 245 BENVENISTE E. 38; 198 COMBESSIE J.-C. 17; 31; 87 BERNET C. 113 CORBIN D. BERRENDONNER A. 203 BESSE H. 56 109 ; 110 ; 149 ; 150 ; 151 ; 158 ; 171 ; 172 ; 178 ; 183 ; 187 ; 192 BONHOMME M. 199 CORBIN P. BORRELL A. 64 31 ; 59 ; 69 ; 108, 109 ; 110 ; 211 BERNSTEIN B. 59 CORMIER M. 36 BOUCHERIT A. 53 COSTE D. 83 BOULANGER J-C. 36 ; 69 58 ; 372 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER D GARY-PRIEUR M-N. 9 GAUDIN F. 19 GENOUVRIER E, 59 ; 87 D’ORIA D. 53 GIACOMO M. 61 DAL G. 149 ; 192 GILBERT P. 41; 56; 108 DAMOURETTE J., 59 GIRARDIN C. 50; 51; 108; 224 DANNEQUIN C. 142 ; 143 GLATIGNY M. 43; 53; 54; 69 DELAPLACE D. 203; 241 GOFFMAN E. 81 ; 82 ; 84 DELESALLE S. 212 GOUDAILLIER J.-P. 132 ; 134 DESIRAT C. 59 ; 87 ; 109 GRAMMONT M. 180 DUBOIS J. 16 ; 30 ; 34 ; 35 ; 39 ; 49 ; 52 ; 53 ; 61 ; 90 ; 140 ; 141 ; 153 ; 158 ; 204 ; 238 GRIMALDI E. 33 GROSS G. 240 ; 250 GUESPIN L, 19; 61 GUILBERT L. 24, 141 GUIRAUD P., 60; 71; 72; 126; 134; 147 DUBOIS-CHARLIER F. 158 DUCROT O. 62 DUVAL A. 221 F H HALL E. T. 83 HALLIDAY M. 64 HAUSSMANN F. J. 54; 69 HORDE T. 59 ; 87 ; 109 HOUDEBINE A-M. 29 FONAGY I, 180 FONTANIER P. 187 FOUCAULT M. 35 FOURNIER N. 41 FRADIN B. 174 FRANÇOIS D. 29 ; 63 ; 132 ; 134 ; 137 ; 142 ; 143 ; 147 IBRAHIM A. 201 FRANÇOIS F. 63 IMBS P. FREI H. 223 16 ; 24 ; 38 ; 91 ; 92 ; 124 ; 213 JACKIEWICZ A. 251 JOHNSON M. 195 JOLLIN-BERTOCCHI S. 42 ; 71 ; 88 KERBRATORECCHIONI C. 83 ; 179 ; 243 KLEIBER G. 226 ; 244 KLINKENBERG J.-M. 16 G GADET F. 64; 68; 69; 72; 73; 86; 89; 137; 139; 143; 147 GALISSON R. 36 GARDES-TAMINES J. 95 I-J-K Index 373 L LABOV W. 52 ; 70 ; 73 ; 86 ; 133 ; 142 NESPOULOUS J.-L. 64 NYROP K. 164 OUIMET C. 36 71 ; 89 ; LAGANE R. 16 ; 24 LAKOFF G. 196 LAKS B. 63 LARGUECHE E. 200 LECLERE C. 113 ; 127 ; 194 LEON P. R. 56; 127; 194 LESIGNE H. 140 LODGE R.A. 140 ; 143 LUZZATI D. 86 LYONS J. 227 M MAROUZEAU J. 177 ; 180 ; 182 MARTIN R. 182 ; 214 ; 223 MARTINEZ C. 221 MARTINS-BALTAR M. 186 MAZIERE F. 16; 19; 20; 245 MEUNIER A. 51 MEJRI S. P PAQUETTE J.-M. 64 PERRENOUD P. 87 PETERFALVI J.-M. 179 ; 180 PETIT G., 197 ; 242 ; 253 PICARD D. 81 PICHON E. 59 PICOCHE J. 242 PIGNON J. 141 PILORZ A. 66 PLENAT M. 171 POTTIER B. 223 ; 228 POUGEOISE M. 195 PRANDI M. 202 Q-R QUEMADA B. 18 ; 24 ; 27 ; 41 ; 214 ; 229 ; 231 185 ; 186 RASTIER F. 195 ; 198 MEL'CUK I. 191 REY A., MESSELAAR P.-A. 72 ; 108 ; 144 MITTERAND H. 141 ; 165 ; 204 MOLINIE G. 71 MORIER H. 196 MULLER B. 56 29 ; 31 ; 32 ; 34 ; 35 ; 37 ; 39 ; 41 ; 49 ; 50 ; 52 ; 53 ; 60 ; 64 ; 69 ; 78 ; 94 ; 112 ; 123 ; 127 ; 141 ; 194 ; 205 ; 208 ; 212 REY-DEBOVE J. 16; 31; 74; 94, 123; 141; 145; 188; 208; 210; 213; 217; 222; 229; 230; 233; 240 RIEGEL M. 230 N-O NAMER F. 149; 162; 182; 183 374 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER STOURDZE C. 56 ; 57 ; 62 ; 88 59 ; RIFFATERRE M. 90 RIO-TORTO M. 174 RIOUL R. 229 RIVENC P. 55; 65; 67; 128; 129; 130; 132 ROCHÉ M. 179 TAMBA I. 201 ; 226 ; 244 ROUAYRENC C. 194 TEILLARD F. 70 ROVENTAFRUMUSANI D. 212 TEMPLE M. 149 ; 151 ; 192 ; 266 TODOROV T., 62 ; 180 TOGEBY K., 171 TOURNIER M. 18 S T SAGER J. 209; 277 TROUBETZKOY N. 180 SAINT-GERAND J-P. 41 ; 90 TRUDGILL P. 64 SAUSSURE (de)F. 38 ; 60 ; 151 ; 171 TURPIN B. 137 SAUVAGEOT A., 82 ; 90 SCHAEFFER J.-M. 62 SCHÖN J. 83 ; 95 ; 134 ; 136 ; 138 ; 144 ; 196 ; 198 ; 199 ; 200 ; 243 SCHULZ P. 194 SEGUIN B. 70 ; 41 SÖRES A. 172 SOURDOT M., 134; 137 U-V-W ULLMANN S. 180 ; 204 VANDERHOEFT C. 149 VARGAS C. 50 VIGUIER G., 137 WAGNER R-L. 241 WILLEM D. 247 WIONET C. 40 ; 44 Index des notions 366 A Affectivité (V. Expressivité) Agentivité 250-253 Alternative lexicale (V. Paire lexicale) Autonymie 188 ; 210 ; 222 ; 234-238 B Bienséance 20 ; 36 ; 84 ; 123 ; 244 ; 260 Bon usage 19 ; 22 ; 33-35 ; 40-43 ; 55 ; 58 ; 69 C Catachrèse 195-200 Connivence 136-138 Connotation 13 ; 45 ; 73 ; 89-91 ; 104 ; 165 ; 172-180 ; 202-206 ; 242-255 D Diagrammaticité 154 ; 171 ; 183-187 ; 193 ; 204 ; 258 Diaphasique 9 ; 13 ; 68-75 ; 86-91 ; 99 ; 103-107 ; 111 ; 125 ; 130-144 ; 257258 Diastratique 13 ; 68-75 ; 88-91 ; 103-107 ; 125-128 ; 133-145 ; 174 ; 257-258 Distance interlocutive 11-12 ; 77 ; 83-89 ; 135-136 ; 142-147 ; 261 Doxa 34-38 ; 208-210 366 Les pages auxquelles revoie cet index peuvent traiter de la notion, sans contenir le mot même qui le désigne ici. Par ailleurs, les notions de « marques d’usage(s) », de « registre » et de « familier » ne sont pas indexées, dans la mesure où elles sont l’objet général de ce travail. 376 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER E-F Expressivité 90-92 ; 104 ; 143-147 ; 176-180 ; 204-205 ; 260 Figement 185-188 ; 197 ; 204 Figure tropique (V. catachrèse, métaphore) H-I Homonymie 97 ; 187-189 ; 193 Hypo-hypéronymie 105 ; 216 ; 225-234 ; 238-239 ; 244 ; 253-259 Idéologie 11 ; 16 ; 22 ; 26 ; 34-39 ; 42 ; 61 ; 64 ; 221 Indicateur 73 ; 111 Intégrateur paradigmatique 174 ; 177-182 Intentionnalité 37 ; 60 ; 89 ; 105 ; 127 ; 137 ; 200 ; 250-253 ; 260 L Langue commune 10-11 ; 16-22 ; 30 ; 37-40 ; 50 ; 56 ; 60 ; 67 ; 79 ; 129-137 ; 203 ; 255 M Marqueur 49 ; 73 ; 89-90 ; 136-142 ; 261 Métaphore 44 ; 66-67 ; 96 ; 148 ; 185-202 ; 250 Motivation dérivationnelle 153 ; 165-166 ; 180-182 Mots simples 13 ; 104 ; 148-154 ; 164-169 ; 177-180 ; 204 Mots construits 13 ; 104 ; 148-155 ; 165-169 ; 187 ; 203-205 N Norme(s) —socioculturelle 32-37 ; 50-55 ; 70-71 ; 80-88 ; 209-212 ; 241 ; 255 ; 260 —prescriptive 9 ; 11 ; 17-19 ; 33-55 ; 62-64 ; 81-86 ; 128 ; 201-211 —descriptive 9 ; 15-16 ; 23 ; 30 ; 39 ; 49 ; 52 ; 55 ; 64 ; 80 ; 93 ; 128 —de référence 10 ; 17-20 ; 25 ; 29 ; 31 ; 45 ; 51 ; 59-63 ; 74 ; 210 ; 238 ; 255 Index 377 Néologie 24-25 ; 43-44 ; 48 ; 67 ; 122 ; 184 P Paire lexicale 223 ; 347-254 Péjoration 13 ; 46-48 ; 80-81 ; 147 ; 157 ; 170-182; 201-205 ; 258 ; Substance phonique 177-182 ; 204 ; 258 Politesse 81-84 ; 89-92 ; 142 ; 261 Prédictibilité (V. Diagrammaticité) Processus d’affixation 150 ; 169-179 ; 235-238 ; 259 R-S Remotivation populaire 155 ; 164 ; 180 ; 185 ; 195 ; 258 Style 47 ; 55 ; 60-61 ; 70-73 ; 80 ; 86-90 ; 142 ; 261 Surnorme 57 ; 63 Synonymie 13 ; 89 ; 195 ; 109 ; 171 ; 189 ; 207 ; 220-224 ; 245-253 ; 259 T Théorie des faces 81-84 Transgression 85-87 ; 92 ; 138 ; 261 Table des matières Remerciements.................................................................................................................................... Sommaire .................................................................................................................................... Introduction .................................................................................................................................... 5 7 9 Chapitre 1 – Différenciations lexicales : de la lexicographie à la sociolinguistique .................. 1.1. Dictionnaires, description, prescription et nomenclature................................................ 1.1.1. « Langue commune » et dictionnaires ......................................................................... 1.1.1.1. Un ouvrage de référence normatif ...................................................................... 1.1.1.2. Les évolutions macrostructurelles ………………………………….. ...................... 1.1.1.2.1. Le Dictionnaire de l’Académie, langue de Cour ……………… ................... 1.1.1.2.2. Le Littré, langue d’Histoire ……………………………………....................... 1.1.1.2.3. Le Robert, le Larousse, langue quotidienne …………………..................... 1.1.2. Critères pratiques et théoriques déterminant une nomenclature ….............................. 1.1.2.1. La fréquence comme critère fondamental …………………………....................... 1.1.2.2. Le principe d’autorité ……………………………………………….. ........................ 1.1.2.3. Modernisation vs synchronie ……………............................................................. 1.1.2.4. Des corpus de référence ……………………………………………........................ 1.1.2.5. Les limites des méthodes ……………………………………………. ..................... 1.1.3. Les attentes des publics ……………………………………………………....................... 1.1.3.1. Le dictionnaire, outil didactique ……………………………………. ....................... 1.1.3.2. Le dictionnaire, moyen de cohésion sociale ………………………... .................... 1.1.3.3. Le dictionnaire, produit économique ………………………………. ....................... 1.1.4. Le lexicographe, locuteur et citoyen idéal ……………………………….. ....................... 1.1.4.1. Un outil prescriptif ……..…………………………………………… ......................... 1.1.4.2. Dictionnaire et doxa ………………………………………………… ........................ 1.1.5. Le dictionnaire comme discours …………………………………………. ........................ 1.2. Les marques d’usage, une disqualification lexicale …………………………… ................ 1.2.1. De la différenciation des usages à la formalisation du système de marques ............... 1.2.1.1. Inscription dans la tradition lexicographique ………………………....................... 1.2.1.2. Élargissement des nomenclatures et diversification des usages ……................. 1.2.1.3. Inventaire et description des marques d’usage ……………………...................... 1.2.2. Lexique marqué vs lexique non marqué …………………………………........................ 1.2.2.1. Marques d’usage et hiérarchisation du lexique …………………….. .................... 1.2.2.2. La marque comme jugement sur la langue …………………………..................... 1.3. Les notions de registre et niveau de langue …………………………………… .................. 1.3.1 Différenciations linguistiques et différenciations sociales ……………….. ...................... 1.3.1.1. Une conception qualitative des usages ……………………………... .................... 1.3.1.2. Des notions imprécises ……………………………………………… ...................... 1.3.1.3. Le secours de la sociolinguistique …………………………………........................ 1.3.2. Vers une approche multidimensionnelle du lexique ………………...…......................... 1.3.2.1. La norme comme moyenne quantitafive ……..……………………… ................... 1.3.2.2. L’architecture variationniste ……………...………………………… ....................... 1.3.2.3. Diaphasique, diastratique : une relation d’imbrication ……………....................... 15 16 17 17 18 19 20 21 22 22 23 24 25 26 28 28 30 31 33 33 34 38 39 40 40 42 44 49 50 52 55 56 56 60 62 65 65 68 72 380 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER Chapitre 2 – FAM., familier, familiarité. Problématique, corpus et méthodes d’observation ...... 2.1. La familiarité, entre langue et discours ………………………………………….................... 2.1.1. Marque FAM. et familiarité : quelques généralités ………………...……......................... 2.1.1.1. La marque FAM. dans les préfaces : un avertisseur …………………................... 2.1.1.2. Familier : un terme ambigu …………………………………………. ....................... 2.1.1.3. Familiarité, politesse et codes sociaux ………………………………..................... 2.1.1.4. Familiarité et réduction de la distance interlocutive ………………. ...................... 2.1.2. Problématique ……………………………………………………………............................ 2.1.3. Hypothèses : de l’énoncé au sujet ……………………………………….......................... 2.1.3.1. Marque FAM. et familiarité : une causalité réflexive ………………. ...................... 2.1.3.2. Le registre familier comme indicateur sociologique ? ……………........................ 2.1.3.3. Le registre familier comme indicateur de connotation ? …………........................ 2.1.3.4. Le registre familier comme indicateur d’expressivité ? ……………...................... 2.2. Présentation du corpus et des méthodes d’observation ………………………. ............... 2.2.1. Édification du corpus ……………………………………………………... ......................... 2.2.1.1. Choix de la base de données ………………………………………… .................... 2.2.1.2. Choix du matériaul lexical …………………………………………… ...................... 2.2.1.3. Sélection des items …………………………………………………... ...................... 2.2.1.4. Association de marques ……………………………………………... ...................... 2.2.1.5. Imprécisions typographiques ………………………………………......................... 2.2.1.6. Représentativité du corpus ……….…………………………………. ...................... 2.2.2. Méthodes d’observation des entrées FAM. ……………………………….. ...................... 2.2.2.1. Observation des conditions d’attribution de la maque FAM. ……… ..................... 2.2.2.2. Observation des propriétés formelles ………………………………....................... 2.2.2.3. Observation des caractéristiques sémantiques du lexique familier ..................... 77 77 78 78 79 81 83 85 85 85 88 89 91 93 93 94 95 96 99 100 102 102 103 104 104 Chapitre 3 – Du lexique marqué FAM. à l’« effet familier » ............................................................. 3.1. Retour sur les écueils terminologiques.............................................................................. 3.1.1. Maniement erratique des marques d’usage .................................................................. 3.1.2. Conception évolutive des usages dans les dictionnaires spécialisés............................ 3.2. Confrontation des définitions terminologiques à la distribution des marques lexicographiques 3.2.1. Les marques d’un dictionnaire à l’autre : compraison synchronique ............................. 3.2.1.1. Données comparatives NPR 2002/PL 2001......................................................... 3.2.1.2. Observations des données................................................................................... 3.2.2. Les évolutions diachroniques du marquage .................................................................. 3.2.2.1. Données comparatives......................................................................................... 3.2.2.2. Observations des données................................................................................... 3.2.3. Synthèse des constats................................................................................................... 3.3. Place et rôle du registre familier au sein du lexique général ........................................... 3.3.1. Vers une modélisation du lexique selon le critère de spécialisation des usages .......... 3.3.2. Du fait diastratique à l’effet diaphasique........................................................................ 3.3.2.1. Argoter ou argotiser ?........................................................................................... 3.3.2.2. Le familier, une question de fréquence ? ............................................................. 3.3.2.3. FAM., POP., ARG., des concepts opératoires ?....................................................... 3.3.2.4. Variation intrinsèque ou extrinsèque .................................................................... 3.3.2.5. Conclusions et retour à la lexicographie............................................................... 107 107 108 111 114 114 115 117 120 120 121 124 128 128 133 133 138 139 141 144 Chapitre 4 - Propriétés formelles et effet familier …………………………………. .......................... 4.1. La méthode d’observation ……………………………………………………... ....................... 4.1.1. Pertinence de la morphologie dérivationnelle pour l’analyse des mots construits......... 4.1.2. Le choix d’un matériau synchronique ……………………………………......................... 147 148 148 150 Table des matières 381 4.1.3. L’observation des mots simples ………………………………………….......................... 4.2. Inventaire du corpus …………………………………………………………… ........................ 4.2.1. Les mots construits ………………………………………………………........................... 4.2.1.1. Les modificateurs verbaux …………………………………………......................... 4.2.1.1.1. Les dérivations suffixales ………………………………………..................... 4.2.1.1.2. Les dérivations préfixales ……………………………………… .................... 4.2.1.2. Les modificateurs substantivaux ……………………………………....................... 4.2.1.2.1. Verbes locatifs ………………………………………………….. ..................... 4.2.1.2.2. Verbes instrumentaux …………………………………………. ..................... 4.2.1.2.3. Verbes de production ………………………………………….. ..................... 4.2.1.2.4. Verbes d’action …………………………………………………...................... 4.2.1.2.5. Verbes de transformation ………………………………………..................... 4.2.1.2.6. Verbes de manière ……………………………………………... .................... 4.2.1.2.7. Verbes dérivés de locutions verbales ………………………….. .................. 4.2.1.3. Les remotivations sur bases substantivales ………………………….................... 4.2.2. Les mots simples …………………………………………………………... ....................... 4.2.2.1. Les formes simples non motivées …………………………………… .................... 4.2.2.2. Les formes simples pseudo motivées ………………………………...................... 4.2.2.3. Les emprunts synchroniques ………………………………………... ..................... 4.3. Analyse des caractéristiques formelles ………………………………………... ................... 4.3.1. L’affixation : entre sémantique et énonciation ………………………….. ........................ 4.3.1.1. Les suffixations ………………………………………………………........................ 4.3.1.1.1. Suffixes et traits sémantiques instables ………………………... ................. 4.3.1.1.2. Suffixation quantitative et énonciation péjorative ……………..................... 4.3.1.1.3. Dérivation suffixale et attribution de marque d’usages ……….. ................. 4.3.1.2. Les préfixations ……………………………………………………… ....................... 4.3.1.3. Synthèse sur l’affixation …………………………………………….. ....................... 4.3.2. La substance phonique comme intégrateur de registre …………………. ..................... 4.3.2.1. Les pseudo affixes …………………………………………………… ...................... 4.3.2.2. Le symbolisme phonique ……………………………………………. ...................... 4.3.3. Verbalisation nominale et glissement du sens …………………………... ...................... 4.3.3.1. Processus de construction du sens familier ………………………….................... 4.3.3.1.1. Les règles régulières ……………………………………………. ................... 4.3.3.1.2. Les règles non régulières ………………………………………..................... 4.3.3.2. Les divers processus de figement …………………………………… .................... 4.3.3.2.1. Dérivation verbale et figement d’un sens « extensif » du Vdérivé .. ........... 4.3.3.2.2. Dérivation verbale et figement d’un emploi « figuré » du Nbase .. ............ 4.3.3.2.3. Processus de dérivation verbale et prédication figurative associant le Nbase . 4.3.3.2.4. Dérivation verbale et stabilisation d’une locution figée ……… ................... 4.3.4. Figement du discours, figuration du sens et familiarité …………………. ...................... 4.3.4.1. Au-delà de la métaphore ……………………………………………. ................ 4.3.4.2. La dérivation FAM. comme impertinence prédicative ……………................... 4.3.4.3. La familiarité comme reconfiguration du monde ………………….................. 4.4. Synthèse ………………………………………………………………………….......................... 153 153 153 156 156 157 157 159 159 160 160 161 162 163 164 165 166 167 169 169 169 169 170 172 174 175 176 177 177 179 182 182 183 184 186 186 188 189 191 193 193 195 199 202 Chapitre 5 - Caractérisation sémiotique et sémantique de la familiarité lexicale ... ................... 5.1. La définition dictionnairique ………………………………………………….. ........................ 5.1.1. La définition comme discours normé sur le monde ……………………... ...................... 5.1.2. La définition comme discours normé de la langue ………………………....................... 5.1.3. La définition comme matériel d’analyse …………………………………. ....................... 5.2. Les procédés définitoires ………………………………………………………. ...................... 5.2.1. L’activité définitionnelle …………………………………………………. ........................... 207 208 208 209 211 212 212 382 LANGUE ET REGISTRE(S) : ILLUSTRATION PAR L’INDICE D’USAGE FAMILIER 5.2.2. Limites des typologies traditionnelles ……………………………………......................... 5.2.3. Présentation des procédés définitoires du corpus ……………………….. ..................... 5.3. Discussion des implications théoriques des types définitoires retenus ………. ........... 5.3.1. La définition par définisseur unique ……………………………………............................ 5.3.2. La définition par deux ou plusieurs définisseurs …………………………....................... 5.3.3. La définition par définisseur + spécifieur ………………………………... ........................ 5.3.4. La définition par définisseur non prédicatif + spécifieur ………………... ....................... 5.3.5. Les définitions mixtes …………………………………………………….. ......................... 5.3.6. Les renvois ………………………………………………………………… ......................... 5.3.7. Les éléments morphosémantiques dans la définition …………………… ...................... 5.3.8. Une organisation du lexique « orientée » ………………………………… ...................... 5.4. Familiarité, connotation et registre de langue ………………………………... .................... 5.4.1. Particularités sémantiques des procès FAM. ………………………………...................... 5.4.1.1. Les spécifieurs modificateurs ……………………………………….. ...................... 5.4.1.2. Les spécifieurs « catégorisateurs » …………………………………... ................... 5.4.1.3. Les quasi-synonymes ………………………………………………... ...................... 5.4.2. Propriétés distributionnelles des verbes FAM. …………………………… ....................... 5.4.3. La variation registrale comme différenciation conceptuelle ……………. ....................... 214 216 220 220 224 225 229 231 233 234 237 242 242 242 244 245 247 253 Conclusion .................................................................................................................................... Bibliographie .................................................................................................................................... Annexes .................................................................................................................................... Annexe 1. Corpus Petit Robert 2002 ............................................................................................. Annexe 2. Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PL 2001 ................... Annexe 3. Comparaison du marquage des termes dans le NPR 2002 et le PL 77 ....................... Annexe 4. Répartition des entrées dictionnairiques en fonction des types de définition observés Index des auteurs................................................................................................................................. Index des notions ................................................................................................................................. Tables des matières............................................................................................................................. Liste des tableaux et des figures.......................................................................................................... 257 263 283 285 317 335 349 371 375 379 383 Liste des tableaux et des figures Tableau 1 : Extraits de la liste des abréviations du PL ........................................................................ 46 Tableau 2 : Extraits de la liste des abréviations du NPR..................................................................... 48 Tableau 3 : Comparaison des marques attribuées par le NPR 2002 et le PL 2001 aux items du corpus 116 Tableau 4 : Comparaison des termes marqués FAM. dans le PL 2001 qui ne sont pas marqués FAM. dans le NPR 2002 .................................................................................................................................... 117 Tableau 5 : Comparaison des marques attribuées par le NPR 2002 et le PR 77 aux items du corpus 121 Tableau 6 : Comparaison des termes marqués FAM. dans le PR 77 qui ne sont pas marqués FAM. dans le NPR 2002 .................................................................................................................................... 121 Tableau 7 : Représentativité des procédés de dérivation des mots construits.................................... 155 Tableau 8 : Gloses des suffixes dans le NPR 2002 et le TLFi ............................................................ 170 Tableau 9 : Typologie des procédés définitoires retenus .................................................................... 217 Figure 1 : Organisation du lexique selon Bodo Müller ......................................................................... Figure 2 : Organisation du lexique selon Stourdzé et Collet-Hassan .................................................. Figure 3 : Le lexique comme un soleil ................................................................................................. Figure 4 : Axes des registres et niveaux de langue............................................................................. Figure 5 : Localisation des marques d’usages à partir du schéma de P. Rivenc ................................ Figure 6 : Localisation « des argots » ................................................................................................. Figure 7 : Typologie des formes définitoires selon Martin ................................................................... Figure 8 : Schématisation des relations sémantiques entre défini FAM et définisseur non marqué..... 57 58 65 70 129 135 215 239