Les compétences du Conseil d`Administration d

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Les compétences du Conseil d`Administration d
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Les compétences du Conseil d’Administration d’une société anonyme et les recours fiscaux :
la prudence s’impose !
1. Introduction
Le présent article se limite aux sociétés anonymes et ne prend pas en compte l’analyse des autres
personnes morales telles que les sociétés privées à responsabilité limitée, les associations sans but
lucratif etc. ni, non plus, ne s’interrogera, dans le même cadre, sur les compétences éventuelles d’un
comité de direction.
C’est également de manière volontaire que l’analyse des pouvoirs de représentation d’une société
anonyme seront limités aux actions en justice et, plus particulièrement, à l’introduction d’instance
dont l’objet est une réclamation fiscale.
2. L’arrêt de la Cour de Cassation du 26 février 2009
Cet arrêt confirme l’enseignement de la Cour de Cassation sur deux points essentiels de la gestion
d’une société anonyme.
D’une part, il rappelle la définition de ce qu’il faut entendre par « gestion journalière » (Cass. 17
septembre 1968, Pas. 1969, I, p. 61) et, d’autre part, sur les conséquences en matière de
recevabilité d’une action en justice prise par un « organe de la société » incompétent.
Les faits de la cause peuvent être brièvement relatés.
Une importante société de la place a décidé de contester la légalité de taxes communales pour des
montants significatifs.
La décision d’introduire un recours devant le Tribunal de Première Instance est prise par
l’administrateur-délégué qui en charge deux préposés de la société.
La Cour dans son arrêt constate qu’en application de l’article 525 du Code des Société, la gestion
journalière des affaires de la société, ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne
cette gestion peuvent être délégués à une ou plusieurs personnes, actionnaires ou non, agissant
seules ou conjointement.
Une réclamation fiscale peut être introduite par le délégué à la gestion journalière d’une société,
dans la mesure où le litige peut être considéré comme relevant de cette gestion.
La Cour rappelle alors également l’enseignement de son arrêt de 1968 qui définit que les actes de la
gestion journalière comme ceux qui sont commandés par les besoins de la vie quotidienne de la
société et ceux qui, en raison tant de leur peu d’importance que de la nécessité d’une prompte
solution, ne justifie pas l’intervention du Conseil d’Administration lui-même.
La Cour va casser l’arrêt de la Cour d’Appel qui a admis la recevabilité de l’action parce que, dit la
haute instance, s’il ressort du motif de l’arrêt qu’eu égard à l’ampleur des activités de la société
demanderesse, l’introduction de la réclamation litigieuse était de peu d’importance, la Cour d’Appel
n’a pas examiné si cet acte nécessitait une solution d’une promptitude telle qu’elle ne pouvait
attendre une réunion du Conseil d’Administration.
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En résumé, s’il n’est pas, en fonction des éléments de faits, exclu qu’une réclamation d’une taxation
devant le Tribunal de Première Instance entre dans le champ de la « gestion journalière », il faut,
également, dans ce cas, examiner aussi l’impossibilité, en fonction de l’urgence, de réunir le Conseil
d’Administration pour valider pareille décision.
3. Théories de l’organe et de la représentation de la société
3.1. Généralités et base légale
La société anonyme est gérée par deux organes, obligatoirement prévus par la loi, le Conseil
d’Administration et l’Assemblée Générale.
Le Conseil d’Administration, institué par l’article 517 du Code des Sociétés, a le pouvoir d’accomplir
tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l’objet social de la société (article 522 du Code
des Sociétés).
Le Conseil est un organe collégial comme l’indique l’article 61 du Code des Sociétés.
Le Conseil d’Administration est l’organe de gestion et de représentation de la société anonyme,
notamment pour ce dernier pouvoir, dans ses rapports externes.
La Cour de Cassation a cependant réduit la portée du principe de la représentation de l’organe.
En vertu de l’article 1er du Code des Sociétés, une société est constituée par un contrat au terme
duquel les associés mettent une chose en commun pour exercer une ou plusieurs activités
déterminées dans le but de procurer aux associés un bénéfice patrimonial direct ou indirect.
Cette disposition limite à la fois la capacité de la société et le pouvoir des organes de l’engager
valablement.
Les organes devraient se limiter aux actes qui comportent pour les associés un bénéfice patrimonial
lié à l’objet du contrat de la société (Cass., 30 septembre 2005, Pas. 2005, I, p. 1779).
Il faut en déduire qu’il y a lieu de rechercher une équilibre entre les articles 1er et 517 du Code des
Sociétés pour définir le pouvoir des organes, qui peuvent accomplir tous les actes nécessaires ou
utiles pour autant qu’ils recherchent un bénéfice patrimoniale direct ou indirect au bénéfice de la
société.
3.2. Caractéristiques de l’organe
L’organe est, d’un point de vue pratique, le support nécessaire de l’activité de la personne morale,
de l’expression de sa volonté et, il agit activement et passivement pour mettre en œuvre les moyens
d’action de la société.
L’organe est l’incarnation de la personne morale, il est le mandataire qui accomplit l’acte juridique
au nom et pour compte de la société.
En ce sens l’organe est le mandataire de la société.
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L’organe dispose de pouvoirs délimités par la spécialité de sa fonction (administrateur,
administrateur-délégué ou membre du comité de direction). Cependant, au contraire du
mandataire, l’organe prend lui-même les décisions relatives à la gestion de la personne morale.
Ce qui explique que l’organe n’est en règle général, pas lié par un lien de subordination à l’égard de
la société.
C’est ce qu’exprime l’article 61 du Code des Sociétés lorsqu’il indique que les personnes morales
agissent par leurs organes.
3.3. Les pouvoirs de représentation et les pouvoirs de gestion
C’est suite à la première directive européenne de coordination (68/61/CEE), que la distinction entre,
d’une part, les pouvoirs de représentation et, d’autre part, les pouvoirs de gestion a été introduite
en droit belge.
La gestion, d’une part, concerne le pouvoir de décision dans les relations internes, entre les associés
et leurs mandataires sociaux et, d’autre part, correspond au processus d’élaboration des décisions
sociales.
Le droit de représentation vise les rapports externes de la société, il permet de déterminer quand la
société sera valablement engagée vis-à-vis des tiers.
C’est ce qu’exprime l’article 522 du Code des Sociétés.
En d’autres termes, le Conseil d’Administration dispose des pouvoirs d’administration et de
dispositions, il peut engager complètement mais collégialement la société dans tous les actes
juridiques nécessaires à la réalisation de l’objet social.
Seules les exceptions légales sont formellement réservées à l’Assemblée Générale.
Comme indiqué ci-dessus, c’est l’article 522 du Code des Sociétés qui établit une distinction entre le
pouvoir de gestion et le pouvoir de représentation.
C’est en raison des difficultés d’une représentation plurale que le législateur a admis qu’il puisse
être dérogé au principe de la collégialité dans ce cas.
La représentation pourra alors être assurée par un ou plusieurs administrateurs selon le choix établi
dans les statuts.
Les délégués à la représentation générale, appelés « délégués à la représentation » ont vis-à-vis des
tiers les mêmes prérogatives que le Conseil d’Administration.
Ils engagent valablement la société, même éventuellement au-delà de l’objet social.
La distinction entre les deux pouvoirs semble relativement aisée à comprendre lorsque la décision
est formellement prise antérieurement par le Conseil d’Administration et exécutée par ses
représentants administrateurs ou non.
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Mais l’analyse de la situation pratique se fait beaucoup plus ardue lorsque le Conseil
d’Administration, d’une part, délègue un pouvoir de représentation et, d’autre part, délègue des
compétences particulières.
Il est certain que certains délégués, tels l’administrateur-délégué ou, collégialement, le Comité de
Direction, peuvent recevoir une double délégation concernant la représentation externe et un
pouvoir de décision sur la gestion interne.
Il y a alors confusion entre pouvoir de gestion et pouvoir de représentation, en tout cas pour une
partie du pouvoir du Conseil d’Administration, et cela ne peut qu’entraîner de multiples questions
quant au pouvoir réel de gestion des organes ou personnes ayant reçu un pouvoir de gestion et/ou
de représentation.
La question sera d’autant plus délicate que les restrictions au pouvoir du Conseil d’Administration,
ainsi que la répartition éventuelle des tâches dont les administrateurs seraient convenues, ne sont
pas opposables aux tiers, même dans le cas où elles seraient publiées, et ce en vertu de l’article 522,
§1 in fine du Code des Sociétés.
4. Pouvoir d’agir en justice
L’article 703, al. 1 du Code Judiciaire indique que les personnes morales agissent en justice à
l’intervention de leurs organes compétents.
Les actes doivent être accomplis à l’intervention des organes qui ont le pouvoir de représenter la
personne morale en justice (Cass., 17 janvier 2000, J.L.M.B. 2000, p. 536).
En se fondant d’une part, sur le principe de l’article 703, al. 1 du Code Judiciaire et, d’autre part, sur
la théorie de l’organe, la représentation en justice d’une personne morale est assumée, soit par
l’organe légal agissant dans le cadre de son pouvoir de représentation au sein de la personne
morale, soit par un organe légal statutaire ayant reçu, par la loi, la mission de représenter la
personne morale en justice (Action et représentation en justice des personnes morales, Virginie
Renard ; J.T. 6048 – 12/2002).
S’il est évident que le Conseil d’Administration est compétent pour agir en justice, qu’en est-il du
préposé à la gestion journalière ?
Comme déjà indiqué ci-dessus, l’arrêt de 1968 de la Cour de Cassation a affirmé que les actes de
gestion journalière sont des actes dictés par les besoins de la vie quotidienne de la société
ou ceux qui, en raison de leur peu d’importance et de la nécessité d’une prompte solution,
ne justifient pas l’intervention du Conseil d’Administration lui-même.
Comme le rappelle l’arrêt de la Cour de Cassation de 2009, tout est question d’évaluation
ou, en d’autres termes, d’incertitude…
L’article 522, §2 du Code des Sociétés instaure la prérogative du Conseil d’Administration d’agir
en justice, mais, autorise, néanmoins, une délégation par les statuts à des personnes
expressément visées.
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Il s’agit d’octroyer un pouvoir de représentation limité dans le cadre d’un contrat de
mandat ou de prestation de services.
Ces délégations courantes dans la vie des affaires posent déjà en elles-mêmes des
problèmes de compatibilité avec les dispositions pertinentes du Code des Sociétés tel que
l’article 522, §2 qui ne vise qu’une délégation qu’aux administrateurs et au §1 du même
article, qui donne la compétence résiduaire de la gestion au Conseil d’Administration.
L’article 525 du Code des Sociétés, par ailleurs, autorise la gestion journalière des affaires sociales
ainsi que la représentation de la société dans le cadre de cette gestion.
Le gestionnaire peut être un administrateur ou n’être membre d’aucun organe de la société.
Quant à la portée de la délégation, il s’agit d’une appréciation en fait, notamment, en fonction de la
taille de l’entreprise, il n’en reste pas moins qu’en application de l’article 522, §1 du Code des
Sociétés, c’est le Conseil d’Administration qui garde l’entier pouvoir résiduel des décisions au sein de
la société.
Il faut en retenir que dans son principe il appartient au Conseil d’Administration de prendre la
décision d’ester en justice, d’éventuellement déléguer cette capacité de manière formelle et express
dans les statuts à une autre personne ou organe mais, en tout état de cause, hors les cas limités de
la gestion journalière, cette capacité d’ester en justice n’appartient pas, de manière évidente, à
l’administrateur-délégué.
La position de la section d’administration du conseil d’état est claire : pour que le recours introduit
par une personne morale soit déclaré recevable, la personne morale doit démontrer que c’est bien
l’organe compétent qui a décidé d’introduire ledit recours dans le délai légal de 60 jours à dater de
l’acte attaqué ou a ratifié l’acte dans ce même délai.
La haute juridiction administrative exige ainsi systématiquement la preuve de l’habilitation par un
organe compétent (Conseil d’administration répartition, délégation de pouvoirs et mandats
spéciaux par Patrick De Wolf, J.T. n° 5877-11/1998).
La Cour de Cassation estime qu’il n’est pas nécessaire de produire, devant les juridictions d’ordre
judiciaire, la preuve que la décision d’agir en justice émane effectivement de l’organe compétent ou
de la personne morale (Cass. 9 février 1978, Pas., I, 1978, p. 669 ; Cass. 17 avril 1997, RPS 1998, p.
94) mais, si une partie soutient que la décision d’accomplir un acte de procédure n’a pas été
ordonnée ou approuvée par l’organe compétent de la personne morale, il appartient à cette
dernière de prouver que l’organe compétent a bien pris la décision d’ester en justice (P. Van
Ommeslaghe et X. Dieux, Examen de jurisprudence 1979-1990, RCJB 1992, p. 657).
Enfin, il est nécessaire de distinguer la décision d’intenter une action en justice avec la décision de
donner mandat à un avocat d’introduire la procédure. L’avocat a quant à lui un mandat ad litem qui
fait présumer, de manière réfragable, qu’il a été mandaté pour représenter la société en justice.
Il reste, bien entendu, à savoir s’il a été mandaté par l’organe compétent de la société.
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5. La ratification
Il est toujours, en principe, possible à l’organe compétent, s’il le souhaite, de ratifier a posteriori des
actes posés par un mandataire, en dehors de l’objet d’un mandat initial, ou éventuellement en cas
de dépassement de pouvoirs.
Toutefois, il faudra tenir compte des droits acquis dans l’intervalle par les tiers de bonne foi et ne
pas leur porter préjudice (Com. Charleroi, 15 mai 2006, JLMB 2006, n° 25, p. 1092).
Dans ce cas, les effets de la ratification sont identiques à ceux d’un mandat initialement donné,
même à l’égard de tiers. Elle intervient avec effet rétroactif (Cass. 13 janvier 2003, Pas. 2003, I, p.
112). La société étant censée être engagée ab initio (Civ. Hasselt, 12 avril 2001, R.W. 2004-05, n° 19,
p. 751).
En application des règles générales du mandat (article 1984 e.s. du Code Civil), il semble donc
possible, en principe, de ratifier une décision d’ester en justice prise, éventuellement, sans l’aval de
l’organe compétent.
Cette ratification doit alors intervenir « en temps utile », c’est-à-dire dans le délai légal pour
introduire l’action judiciaire en cause ou tout autre acte de procédure (ob cit. Virginie Renard).
Dès lors, une ratification n’est possible que pour autant qu’elle ne porte pas atteinte aux droits
acquis des tiers et qu’elle intervient « en temps utile ».
C’est ainsi que les ratifications des procédures devant le Conseil d’Etat ne peuvent se faire que dans
le délai de 60 jours pour les actions ordinaires.
Il en est de même devant les juridictions judiciaires. Ainsi la Cour d’Appel de Mons a déclaré un
appel irrecevable car la ratification de la décision d’interjeter appel était intervenue en dehors du
délai légal (Liège, 22 janvier 1998, JLMB 1998, n° 34, p. 1467).
6. En guise de conclusions : un conseil de prudence
En application de l’article 522, §2 du Code des Sociétés, le Conseil d’Administration représente la
société à l’égard de tiers et en justice.
Le même article ajoute que toutefois les statuts peuvent donner qualité à un ou plusieurs
administrateurs pour représenter la société. Cette représentation n’implique pas nécessairement le
pouvoir de prendre, indépendamment du Conseil d’Administration, la décision d’ester en justice.
L’administrateur-délégué, qui n’est pas un organe de la société, peut, dans certaines conditions, agir
en justice mais, pour cela, il faut que l’action soit intimement liée à la gestion quotidienne, définie
de manière restrictive par plusieurs arrêts de la Cour de Cassation et, en plus, les conditions d’action
soient réunies.
C’est pourquoi la Cour de Cassation dans un arrêt du 24 octobre 2002 (JLMB 03/28, p. 907) a décidé
qu’un recours fiscal peut être introduit par le délégué à la gestion journalière d’une personne
morale dans la mesure où le litige peut être considéré comme relevant de cette dernière gestion
mais, comme le rappelle l’arrêt du 26 février 2009, pour autant que les autres conditions relatives
au pouvoir de représentation de l’administrateur-délégué soit remplies.
Cet enseignement vaut également pour les clauses statutaires autorisant la représentation par un
ou plusieurs administrateurs de la société en justice.
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Il est vrai que dans ce dernier cas, la condition de promptitude d’intervention ne sera
vraisemblablement pas exigée, mais, il appartiendra quand même de démontrer que la décision de
gestion d’agir en justice a été prise par l’organe compétent.
Il en est de même pour les mandataires autorisés à agir auprès des administrations.
Il peut être admis qu’un administrateur-délégué ou un mandataire ayant agi de sa propre initiative
peut voir celle-ci ratifiée par l’organe compétent. Mais, cette décision devra être prise dans le délai
imposé par la loi par l’introduction d’une réclamation ou d’une action en justice (Examen de
jurisprudence (1991-2005) des sociétés commerciales par X. Dieux et Y. De Cordt, RCJB 2008, n° 3, p.
505, n° 41).
La représentation des sociétés devant les Cours et Tribunaux de l’ordre judiciaire et administratif
implique une combinaison de règles relevant du droit des sociétés et du droit judiciaire qui suscitent
bien des commentaires et des interrogations dans la doctrine et la jurisprudence. Le praticien
prudent veillera dès lors à faire ratifier, expressément, dans les délais, les décisions d’ester en
justice ou d’introduire des réclamations administratives par l’organe manifestement compétent : le
Conseil d’Administration.
Johan VANDEN EYNDE
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