Inspecter, pourquoi faire ? (PDF - 212 Ko )

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Inspecter, pourquoi faire ? (PDF - 212 Ko )
Le temps de l'inspetion
Présentation
Moment particulier de la vie professionnelle des professeurs de l’Éducation nationale, l’inspection est le moment
de vérité qui permet d’évaluer la qualité de l’enseignement dispensé aux élèves. Mais le temps de l’inspection, c’est
aussi un évènement, vécu par les jeunes professeurs comme un contrôle, leur première rencontre avec leur autorité
hiérarchique du point de vue de la pédagogie.
Je m’amuse parfois à imaginer un retour aux origines de l’inspection : alors, la place de l’inspecteur n’était pas au
fond de la classe, face au professeur mais à côté de lui et face aux élèves. L’inspecteur s’adressait directement aux élèves,
il repérait les meilleurs, vérifiait les savoirs et les compréhensions. Dans la classe, nous ne devons nous intéresser au
professeur qu’en passant par les élèves. Dominique Borne, doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale
évoque les débuts de l’inspection pour rappeler les buts de celle-ci.
Plusieurs professeurs du premier et du second degré témoignent ici de ce moment particulier :
– Cécilia est professeur de mathématiques dans un collège de Stain (93). Elle enseigne depuis trois ans. Son collège
possède un effectif de 600 élèves et 40 professeurs. Cette année, elle a des classes de 6e , 5e et 3e . Elle travaille avec en
moyenne 23 élèves par classe.
– Frédéric est professeur d’histoire-géographie. Il enseigne depuis deux ans et a obtenu le CAPES en 2004. Il a 18 heures
de cours par semaine et c’est sa première année de titularisation. Il enseigne dans deux établissements, un collège rural
situé dans le Vexin français et dans un collège de Cergy-Pontoise en Zone Éducation Prioritaire (ZEP). Il travaille avec
6 classes sur trois niveaux : 6e , 5e et 3e . Ses classes sont composées de 27 élèves en moyenne.
– Guillaume est directeur d’une école primaire dans la grande banlieue de Toulouse (31). C’est sa quatrième année
d’enseignement et cela fait deux ans qu’il est directeur. Son école est située dans un milieu urbain, il y a neuf classes
dans l’école, soit près de deux par niveau.
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Le temps de l'inspetion
L’annonce de l’inspection
La séance d’inspection doit être obligatoirement annoncée au professeur qui va être inspecté. Généralement, l’inspecteur est seul en cours avec le professeur et les élèves. Cependant, le chef d’établissement a le droit d’être présent
au moment de l’inspection. De fait il peut s’imposer à l’inspecteur s’il estime sa présence nécessaire explique un
inspecteur du second degré.
Guillaume, professeur des écoles, a été inspecté au cours de sa 2e année d’enseignement, alors qu’il n’occupait pas encore
des fonctions de direction. La première inspection des professeurs de l’enseignement primaire à généralement lieu lors
de la seconde année d’enseignement. C’est le secrétariat de l’Inspection d’Académie de la Haute Garonne qui l’a averti
de la venue de l’inspecteur.
Cécilia, professeur de mathématiques à Stains (93), a été inspectée dans la première année de sa titularisation. Cette
inspection a été effectuée dans le cadre d’une visite d’établissement. Son inspecteur de discipline venait pour une
inspection spécifique d’un professeur de mathématiques dans l’établissement. Il en a profité, comme c’est fréquemment
le cas, pour y faire plusieurs inspections. Cécilia ne connaissait pas cet inspecteur. Il venait de prendre son poste suite à
sa titularisation en tant qu’inspecteur.
Cette distance entre les inspecteurs et les enseignants est peut-être le facteur qui favorise le plus l’anxiété des nouveaux
enseignants qui n’ont jamais été inspectés. D’une part le fait d’être évalué sur son travail pour la première fois n’est
jamais un exercice simple à aborder. Mais en plus, la méconnaissance de la personne qui va évaluer l’enseignant renforce
la pression de l’instant. Un collègue de Cécilia précise, quant à lui, qu’il n’a jamais été inspecté. Il a eu affaire à son
inspecteur de discipline dans le cadre d’une action commune menée par des professeurs de son établissement. Mais il
n’a jamais eu de rapport personnel avec celui-ci.
Cécilia a été avertie de la venue de l’inspecteur une semaine avant par un document administratif reçu dans son casier.
Son chef d’établissement lui a confirmé à l’oral que l’inspection aurait lieu. J’étais plutôt anxieuse à propos de cette
inspection qui au final c’est très bien déroulée. Je venais d’arriver dans l’établissement en septembre et l’inspection a eu
lieu en décembre explique-t-elle.
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Le temps de l'inspetion
Préparer les élèves à la séance d’inspection?
De l’avis des enseignants comme des inspecteurs, l’attitude des élèves pendant une séance d’inspection est toujours
particulière. La présence d’une personne inconnue pendant le cours modifie leur attitude. De toute manière, les
élèves se comportent différemment du fait de la présence d’une personne étrangère dans la classe explique Guillaume.
Comme beaucoup de professeurs, ce dernier avait averti la classe de la venue de l’inspecteur. Il s’agit surtout de les
préparer, paradoxalement, à se conduire de la manière la plus naturelle possible.
Cécilia avait averti la classe de l’arrivée de l’inspecteur, en précisant qu’il venait pour évaluer le travail du professeur.
Les élèves ont été particulièrement attentifs pendant la séance, bien plus tranquilles que lors d’une séance normale selon elle.
Les inspecteurs quant à eux, sont habitués à ce phénomène. Les élèves s’avèrent moins spontanés en effet en présence
d’une personne qu’ils verront comme étrangère au contexte habituel du cours explique un inspecteur Mais
l’inspecteur expérimenté saura tenir compte de cette donnée dans son évaluation du professeur .
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Le temps de l'inspetion
La séance d’inspection
En théorie, l’inspecteur débute sa séance d’inspection dans la salle de classe. Mais beaucoup d’entre eux portent
également attention au cadre général de l’établissement explique un inspecteur.
L’inspection de Guillaume a eu lieu pendant une demi-séance, soit à peu près une heure trente, en commençant le
matin à neuf heures. Le programme de la matinée de l’inspecteur était particulièrement chargé puisque ce dernier devait
inspecter une collègue de Guillaume dans la matinée également. L’inspecteur a vérifié les documents administratifs, les
cahiers des élèves, le cahier d’appel et le cahier des devoirs.
Le déroulement de l’inspection s’est très bien passé pour Cécilia. Les présentations ont été faites juste avant le cours,
et l’inspecteur lui a précisé qu’il cherchait en plus d’évaluer à donner des conseils. Pendant le cours, l’inspecteur n’est
pas intervenu à l’oral. Rien ne l’en empêche, et tout dépendra de la situation précise un inspecteur. De fait, un
inspecteur interviendra seulement s’il sent le professeur à l’aise face à la classe. Dans un cas contraire, il laissera la séance
se dérouler, afin de ne pas gêner le professeur . L’intervention à l’oral des inspecteurs pendant la séance d’inspection
est cependant rare et correspond souvent à des situations particulières. En cas de manquement aux règles de sécurité,
l’inspecteur sera amené à intervenir, comme la loi le lui oblige évoque un inspecteur.
Au cours de la séance d’inspection de Cécilia, l’inspecteur a demandé à voir quelques cahiers d’élèves, le cahier de
présence et le cahier de texte de la classe.
Au cours de la séance d’inspection, plusieurs critères vont être évalués par l’inspecteur. Les critères d’évaluation sont
laissés de manière fine à l’appréciation de l’inspecteur rappelle un inspecteur. L’inspection appréhende la connaissance scientifique de la discipline du professeur, et l’encadrement que le professeur met en place afin de transmettre le
contenu du cours aux élèves . Si l’exactitude la connaissance de la matière transmise est bien évidemment évaluée, le
cadre de transmission pédagogique est lui aussi contrôlé, bien qu’ici, la latitude du professeur soit plus grande, et ce en
fonction des différents contextes de la classe. Le professeur est entièrement libre de choisir et d’utiliser la méthode pédagogique qui lui paraît adaptée. À lui de montrer que celle-ci permet aux élèves d’appréhender le cours de la meilleure
manière possible explique un inspecteur.
La fin de la séance d’inspection à lieu à la fin du cours. De l’avis d’un inspecteur, la diversité des méthodes d’inspection
reflète souvent une liberté totale de l’inspecteur. Il n’existe pas de culture de l’inspection . Cette situation donne une
grande latitude à l’inspecteur qui peut être amené à évaluer de manière différente en fonction du contexte. En revanche,
on note chez les enseignants des demandes d’éclaircissement sur les méthodes utilisées pour inspecter. Dans bien des cas,
l’impression relevée chez ces derniers est que l’inspection est pour beaucoup une affaire de personne, plus que critères
objectifs.
Certains inspecteurs apportent avec eux lors des séances d’inspection des grilles d’évaluation qui leur permettent de
s’appuyer sur des critères pour contrôler le travail des professeurs. Mais ce n’est en aucun cas une règle. Cette grande
marge de manœuvre quant à la manière d’inspecter est défendue par l’Inspection générale de l’Éducation nationale, et
ce en vertu de la nécessité de prendre en compte la spécificité de l’enseignement de chaque professeur.
Dominique Borne, doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale, évoquait la question de l’évaluation des
professeurs lors des journées des inspecteurs du second degré en 2004. Quand nous observons les enseignements,
nous devons observer dans les classes les élèves et leurs résultats. Le jugement que nous pouvons porter sur les méthodes
adoptées et les contenus transmis comme les conseils que nous donnons aux enseignants sur leurs pratiques ne peuvent
être utile que s’ils tentent d’améliorer l’efficacité de l’enseignement. Ce qui compte, ce n’est pas de déterminer si un
enseignant est bien dans l’épure que nous aimons dessiner comme un idéal ; nous avons trop tendance à porter
des jugements normatifs. La question essentielle est de savoir comment cette séance a permis à ces élèves d’apprendre
et de comprendre. Ce qui est observé ici n’est pas transposable ailleurs parce que le professeur est différent, que les élèves
sont différents c 2008, rue des écoles
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Le temps de l'inspetion
L’entretien post-inspection
Dans la journée, un entretien à lieu entre l’inspecteur et le professeur. Il s’agit d’une discussion dans laquelle l’inspecteur
mentionne les points positifs et négatifs de la séance à laquelle il a pu assister. L’entretien d’une heure en moyenne permet
également au professeur d’exprimer ses divergences de point de vue sur les remarques de l’inspecteur. Cet entretien est
aussi l’occasion pour l’inspecteur de donner quelques conseils, et au professeur d’en demander. Parfois, et c’est de plus
en plus fréquent, l’inspecteur fixera des objectifs à atteindre au professeur en vue d’une future inspection explique un
inspecteur.
Un entretien de presque une heure a eu lieu entre Cécilia et l’inspecteur. Conseils, formations, esprit critique, il s’est agi
en fait d’un dialogue entre les deux.
Dans le cas de Guillaume, l’entretien a duré une heure, et ce sont essentiellement des conseils qui ont été formulés par
l’inspecteur à son encontre. La discussion entre le jeune enseignant a porté sur les aspects pédagogiques du travail de
Guillaume, sa manière de faire passer le cours.
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Le temps de l'inspetion
Le rapport d’inspection et la notation
À la suite de l’entretien, l’inspecteur rédige un rapport auquel sera jointe une note pédagogique. Cette note sur 60
complète pour la notation annuelle une note administrative sur 40, donnée elle par le chef d’établissement. Il n’y a pas
de délai spécifique à la remise du rapport, mais il coïncide au plus tard avec la rentrée scolaire suivante.
Il existe également des rapports d’activité , peu utilisés par les inspecteurs. Ils permettent de donner un avis au
Recteur sur un professeur, en fonction de ses activités professionnelles autres que celles d’enseignants en collège et lycée.
Ces activités hors cours (IUFM, animations diverses) sont reportées et permettent de donner un avis particulier sur
l’activité d’un professeur en vue d’une promotion par exemple.
Cécilia précise que quelques professeurs notent parfois une nette différence entre l’entretien et les éléments retenus dans
le cadre du rapport rendu au Recteur. Suite à cette inspection, sa note a été augmentée.
Pour Guillaume, le rapport d’inspection a été bon. Mais celui-ci doute un peu de ce que l’inspecteur a pu réellement
vérifier pendant la séance. En effet, sur 1h30 d’inspection, Guillaume précise que l’inspecteur est resté au téléphone
pendant trois quarts d’heure pour résoudre des problèmes administratifs. Je me demande ce qu’il a pu évaluer de mon
travail s’interroge Guillaume Mais un inspecteur doit avoir une grande expérience de l’inspection et des différentes
situations de cours. Je veux croire que le peu qu’il a vu l’a convaincu de mon travail .
Pour ce qui est de la notation, Guillaume considère que le système est truqué . Pour lui, la première note issue de
la première inspection est souvent basse (jamais plus de 13), et ce afin de permettre au cours des inspections futures
d’augmenter la note de manière graduelle.
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Le temps de l'inspetion
L’inspection en question
Évaluer dans un cadre plus global
L’inspection, c’est aussi et de plus en plus l’appréciation du rôle du professeur dans son établissement, et par là même
l’évaluation de l’établissement dans un cadre plus général. Vous avez tous compris la nécessité, en complément de
l’appréciation que vous portez sur la façon de dispenser l’enseignement disciplinaire, de regarder l’engagement du
professeur dans le fonctionnement de l’établissement. Le cadre individuel doit être dépassé déclarait Paul Desneuf, le
directeur de l’Encadrement à ses troupes lors des journées nationales des IA-IPR en novembre 2004. Cette tendance à
ne plus se tenir uniquement aux critères d’évaluation classiques du professeur (c’est-à-dire le cours) devrait amener
à revoir les relations qu’entretiennent inspecteurs et professeurs, surtout dans le cadre des équipes pédagogiques des
établissements.
Le problème du rythme de l’inspection
Parmi la communauté des professeurs, les discussions qui tournent autour de l’inspection sont axées sur l’incapacité de
l’inspection à débusquer les professeurs qui devraient être soit placés dans des établissements plus tranquilles, soit
qui devraient être réorientés. Deux professeurs peuvent être évalués à l’identique alors que leur pratique quotidienne
de leur métier est souvent différente en terme de qualité. C’est le rythme des inspections qui est en cause pour certains
professeurs. Une véritable inspection devrait se faire en deux phases. Une première phase en début d’année, une
seconde phase en fin d’année. Ceci permettrait de mesurer de la progression d’un enseignant en vue d’une évaluation ajoute Guillaume. L’inspection devrait avoir lieu pour les enseignants du primaire tous les 5 ans ajoute Guillaume.
Dominique Borne, doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale semble partager cette nécessité. Vos
missions ne sauraient être réellement efficaces si la périodicité de vos passages dans les établissements, qui sont, plus
que le nombre formel d’inspections, la vraie mesure de votre activité, n’augmente pas. Travailler dans les collèges - votre
présence dans les lycées est un peu plus fréquente - tous les 6 ou 7 ans ne permet pas un suivi sérieux de l’enseignement
d’une discipline dit-elle à l’adresse des inspecteurs du second degré. Dans le premier degré, le rythme des inspections
est lui aussi, en fonction des circonscriptions académiques, insuffisant.
Évaluer le travail d’un professeur en une heure ne permet pas d’avoir un regard réel sur son travail quotidien.
Cependant, Paul Desneuf, directeur de l’Encadrement au Ministère note des améliorations dans l’organisation des
inspections. On constate une amélioration de la collaboration entre les IA-IPR (Inspecteurs du second degré) et les
chefs d’établissements concernant l’inspection individuelle. Nombre d’académies ont mené une réflexion positive sur
ce sujet qui a mis en lumière la nécessité de cette collaboration ; qu’il s’agisse, en amont, de la réunion de certains
nombres de documents, d’un échange sur le positionnement du professeur inspecté ; qu’il s’agisse de la présence parfois
du chef d’établissement pendant l’acte d’inspection - à l’exclusion bien entendu, des inspections qui correspondent à
des échéances de carrière - ou qu’il s’agisse, en aval, du suivi d’inspections 1 .
Pour Cécilia, la présence du chef d’établissement pendant l’inspection est en effet parfois nécessaire. Selon elle, il le
faut afin que les élèves de la classe ne perturbent pas les professeurs les moins à l’aise. À défaut, certains professeurs
évoquent le fait que des élèves particulièrement turbulents sont envoyés en salle d’étude pendant l’inspection afin de ne
pas perturber le déroulement de la séance d’inspection.
1.
Journées nationales des IA-IPR novembre 2004
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