Interdiction de contacter un témoin

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Interdiction de contacter un témoin
DÉCISIONS ET CIRCULAIRES RELATIVES AUX US ET COUTUMES
Article 11 Us: Interdiction de contacter un témoin
Principe et application de la règle en matière pénale
Ainsi, selon l’art. 13 des Us et Coutumes (actuel art. 11) du barreau de Genève, l’avocat doit
s’interdire de discuter avec un témoin de sa déposition future et de l’influencer de quelque
manière que ce soit. Cette règle interdit à l’avocat de recevoir un témoin dans son cabinet ou
ailleurs; de s’entretenir ou de correspondre avec lui; il s’agit là d’une démarche inconvenante
contraire aux règles de la profession et aux intérêts de la justice (cf. Raymond PERROT, Le
serment de l’avocat et les Us et Coutumes du barreau de Genève, 2e éd. Genève 1980, p.
67).
Certes, l’application de la règle reste délicate, car un avocat peut devoir apprécier l’opportunité
de faire entendre un témoin à décharge ou de moralité (cf. PERROT, op. cit., p. 67; Edmond
MARTIN-ACHARD, La discipline des professions libérales, RDS 1951 p. 268 a). En ce
domaine, l’avocat doit savoir que l’audition d’un témoin est du ressort exclusif du juge; c’est
pourquoi cette procédure doit être menée sous sa conduite et dans les formes prévues par la
loi. Il faut en conclure que tout entretien d’un avocat avec un témoin, au sujet de la déposition
de ce dernier et hors la présence du juge, est non seulement inutile, mais surtout inadmissible;
en effet, un tel comportement est propre à nuire à la déposition libre et indépendante du
témoin. Dès lors, si, avant un procès, un avocat doit prendre des renseignements auprès d’un
tiers afin d’apprécier les risques inhérents à sa citation éventuelle devant le juge, il doit agir
avec la réserve nécessaire; c’est donc exceptionnellement qu’un avocat interrogera une
personne qui, par la suite, peut être citée comme témoin dans une procédure (cf. Werner
DUBACH, Das Disziplinarrecht der freien Berufe, RDS 1951, p. 72 a et jurisprudence citée).
En matière pénale, la règle de l’article 13 (actuel article 11) des Us et Coutumes du barreau
de Genève devient impérative; en effet, la répression et la nécessité pour le juge d’obtenir un
témoignage sont d’intérêt public (cf. Blaise KNAPP, Intérêt, utilité et ordre publics, Stabilité et
dynamisme du droit dans la jurisprudence du Tribunal fédéral suisse, Bâle 1975 p. 149; ATF
98 Ia 104, 424).
En l’espèce, l’avocat X à qui une faute légère était reprochée a été sanctionné par un
avertissement (ATA 14.2.79, RDAF 1982, p. 58 et ss.).
(Circulaire, Bulletin N° 67, octobre 1982)
***
Exceptions en matière civile et pénale
1. L’avocat doit s’interdire – selon l’art. 13 des Us et Coutumes (actuel art. 11) – de discuter
avec un témoin de sa déposition future et de l’influencer de quelque manière que ce soit. Le
Tribunal administratif (RDAF 1982, pages 58 et ss) a consacré le bien-fondé de cette
interdiction déontologique. Citant, pour partie, les considérants du Tribunal fédéral de l’arrêt
non publié cité par DUBACH, lequel est plus nuancé (RDS 1951, p. 16 a), le Tribunal
administratif souligne que l’interrogatoire d’un témoin doit être l’affaire exclusive du juge et doit
avoir lieu sous sa direction, dans les formes prévues par la loi. Dans son arrêt, le Tribunal
administratif a estimé – non sans émettre timidement une réserve en faveur du témoin à
décharge ou de moralité – que tout entretien d’un avocat avec un témoin est superflu et
inadmissible.
2. Cette position de rigueur est celle de certains commentateurs, notamment Jean LEMAIRE
(Les règles de la profession d’avocat et les usages du barreau de Paris, 3e éd. Paris 1975, p.
394) : «S’entretenir avec des témoins et correspondre avec eux est une démarche
inconvenante, contraire aux règles de la profession et même aux intérêts des parties et de la
justice. Il importe peu que l’avocat n’ait pas eu pour but la tentative coupable de subornation
de témoins et qu’il ait simplement voulu s’assurer de la nature et de la force des preuves.»
3. La règle, en tant qu’elle fait interdiction à l’avocat d’influencer la déposition future d’un
témoin, est évidemment fondée. En revanche, l’interdiction réputée absolue de tout contact
entre l’avocat et le témoin mérite d’être nuancée. D’une part, parce qu’il est de nombreuses
situations où un contact entre l’avocat et le futur témoin est opportun, voire nécessaire. D’autre
part, parce qu’en raison de cette nécessité, des contacts entre l’avocat et le témoin existent
de fait et qu’il n’est pas souhaitable qu’il y ait entre les règles que nous nous donnons et la
pratique une discordance persistante.
A titre d’exemple, on notera :
au plan civil
– l’avocat d’une banque ou d’une société commerciale, avant de rédiger l’état de fait de la
demande, peut être utilement amené à interroger les employés de l’établissement qui seront
ultérieurement appelés à témoigner,
– avant d’intenter une procédure en divorce, l’avocat peut souhaiter rencontrer un parent ou
ami de son client – pourtant futur témoin – à l’effet de s’assurer du caractère insupportable de
la vie commune,
– une initiative judiciaire peut dépendre de la certitude de pouvoir administrer la preuve d’un
fait décisif. Le scrupule de l’avocat peut lui commander de s’en assurer.
au plan pénal
– en matière de révision, la démarche de l’avocat consiste précisément à rechercher, susciter
et recueillir des témoignages,
– l’avocat constitué pour un banqueroutier aura des contacts constants avec les organes de
l’office des faillites qui seront ultérieurement entendus en qualité de témoins,
– l’avocat défenseur de l’auteur présumé d’un délit économique commis dans le cadre de la
gestion d’une société aura, ne serait-ce que pour assurer la continuation de l’activité
commerciale, des contacts constants avec les associés de son client ou ses employés,
– l’avocat aura des contacts réguliers avec les familiers d’un client détenu qu’il se réservera
de faire entendre en qualité de témoins à décharge à la barre.
La conscience de ces nécessités a amené les commentateurs les plus autorisés de nos Us et
Coutumes à nuancer la portée de l’article 13. Ainsi, Raymond PERROT (op. cit. p. 68)
considère que la démarche consistant à prendre contact avec le témoin est inconvenante et
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contraire aux règles de la profession et des intérêts de la justice, mais il réserve une exception
en faveur des témoins qui pourront être entendus dans le cadre d’une procédure de divorce à
l’amiable. Edmond MARTIN-ACHARD, ancien Bâtonnier, (op. cit., page 269 a) considère
admissible le contact avec le témoin dit de moralité dans un procès pénal.
4. Le nombre des exceptions à la règle fait que l’on peut légitimement s’interroger sur
l’opportunité de son maintien. L’obligation de loyauté découlant du serment de l’avocat, les
dispositions du droit positif sanctionnant l’instigation à faux témoignage pourraient apparaître
à d’aucuns comme des garanties suffisantes permettant que l’on renonce à celles que l’article
13 (actuel article 11) des Us et Coutumes instaure. Sans doute pourrait-on considérer qu’elles
le sont.
Mais deux ordres de considérations justifient que l’on ne «libéralise» pas totalement le contact
entre l’avocat et le témoin :
– le risque que deux catégories de témoins soient créées : ceux que l’avocat aura contactés
et les autres. Aux yeux des juges, ceux-là seraient discrédités,
– le risque d’une influence que l’avocat exercerait sans que tel soit son dessein, ou encore
que le témoin se représente faussement qu’il y ait eu la volonté d’exercer une telle influence.
Le principe doit donc être maintenu, mais nuancé par l’accueil d’exceptions. A défaut, l’avocat,
par l’abstention à laquelle il est contraint, peut se trouver en situation de compromettre
injustement les intérêts dont il a la charge.
(Circulaire, Bulletin N° 78, juillet 1984)
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Un avocat a pris l’initiative de charger un détective privé d’interroger des personnes figurant
sur la liste de témoins dont l’audition avait été sollicitée par son adversaire. Ledit avocat a
estimé que, si l’article 13 des Us et Coutumes (actuel art. 11) fait interdiction à l’avocat de
discuter avec un témoin de sa déposition future et de l’influencer de quelque manière que ce
soit, il ne saurait faire obstacle à ce qu’un tiers, en l’occurrence un détective mis en oeuvre par
l’avocat sur requête de son client, le fasse, ne serait-ce que parce qu’une partie est libre de
s’entretenir avec un futur témoin. L’avocat, de surcroît, a invoqué que le recours à un détective
privé pour recueillir des faits et informations est une pratique courante, légitime et nécessaire
qui permet notamment, avant l’introduction d’une procédure, de rassembler des moyens de
preuve et d’apprécier les chances judiciaires de l’action projetée.
L’article 13 des Us et Coutumes précise que «l’avocat doit s’interdire de discuter avec un
témoin de sa déposition future et de l’influencer de quelque manière que ce soit». Cette
disposition consacre donc une double interdiction : celle d’influencer un témoin de quelque
manière que ce soit – c’est une évidence – mais aussi celle de s’entretenir avec lui de sa
déposition future. Cette interdiction n’est pas absolue. Des circonstances exceptionnelles
peuvent justifier que, nonobstant cette règle, l’avocat s’entretienne avec un témoin.
Dans le bulletin de l’Ordre des avocats N° 78 de juillet 1984, une réflexion sur la nécessité
d’aménager des exceptions a été développée, mais l’on ne se trouve pas ici dans une situation
qui eût justifié que l’on dérogeât à la règle. La «ratio legis» de l’article 13 est parfaitement
évidente : même s’il n’a pas l’intention et la volonté d’influencer un témoin, l’avocat qui
s’entretiendrait avec lui de sa déposition future peut orienter, pour partie, le contenu de sa
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déposition. Poser une question, en effet, c’est souvent appeler une réponse déterminée, c’est
déjà révéler à celui que l’on interroge un fait ou une supposition ou encore un argument.
Interroger, c’est dévoiler ce que l’on recherche; c’est donc faire connaître au témoin une thèse
et appeler son adhésion. C’est encore raviver la mémoire du témoin, et nécessairement de
manière sélective, en faisant porter son audition sur tel sujet particulier. Un interrogatoire
efficacement mené façonne la déposition dans le sens souhaité. A ces considérations, s’ajoute
le fait que, selon la nature du rapport des forces intellectuelles, notamment entre celui qui
interroge et celui qui est interrogé, celui-ci sera tenté, consciemment ou inconsciemment, de
répondre au voeux de celui-là. Par courtoisie, par timidité, parfois par peur, un témoin se trouve
en état de sujétion à l’égard de celui qui l’interroge.
L’interdit de l’article 13 est donc fondé qui prohibe l’exercice conscient d’une influence, mais
aussi de créer les circonstances dans lesquelles une telle influence s’exercerait, sans que pour
autant tel soit le but poursuivi. L’opinion ainsi exprimée est celle des commentateurs les plus
autorisés. Ainsi, Raymond PERROT relève que s’entretenir avec un témoin est une démarche
inconvenante et contraire aux règles de la profession et aux intérêts de la justice (op. cit., p.
68). De son coté, Jean LEMAIRE relève que de s’entretenir avec un témoin est une démarche
inconvenante et contraire aux règles de la profession: «Il importe peu que l’avocat n’ait pas eu
pour but la tentative coupable de subornation de témoins et qu’il ait simplement voulu s’assurer
de la nature et de la force des preuves» (op. cit. p. 394). La jurisprudence enfin précise : «Tout
entretien d’un avocat avec un témoin, au sujet de la déposition de ce dernier et hors la
présence du juge, est non seulement inutile mais encore inadmissible; en effet, un tel
comportement est propre à nuire à la déposition libre et indépendante du témoin» (ATA
14.2.1979, RDAF 1982, p. 60).
En l’espèce, l’avocat a agi à la requête de ses clients. C’est toutefois lui, et lui seul, qui a mis
en oeuvre le détective, lui qui a confié le dossier, a défini sa mission et lui a communiqué la
liste des témoins à entendre. L’avocat a agi avec une totale autonomie. La volonté qu’exprime
un client n’a aucun effet contraignant pour son avocat. Il lui appartient de savoir déconseiller
une démarche, de savoir dire non : c’est le signe de son indépendance et souvent son
honneur.
Il est interdit à l’avocat de s’entretenir avec un témoin. L’avocat contourne cette interdiction en
chargeant un tiers de le faire à sa place et selon ses instructions. De s’entretenir avec un
témoin de sa déposition future est un comportement inadmissible, que l’avocat en soit l’auteur
immédiat ou médiat. Le Conseil est enclin à considérer qu’il est plus critiquable pour un avocat
de charger un tiers de s’entretenir avec le témoin de sa déposition future que de le faire luimême. En effet, l’avocat est soumis à une déontologie; il a, de surcroît, prêté serment. On peut
présumer qu’il saura dans son entretien faire preuve de retenue, de loyauté et prendre
d’infinies précautions. Il n’est pas certain qu’un tiers, en l’occurrence un détective privé,
s’astreigne aux mêmes obligations.
L’avocat dont il s’agit, avait allégué que, dès lors que son client aurait pu mandater un détective
privé aux fins d’audition de certains futurs témoins, il ne voyait pas pourquoi il ne pouvait faire,
sur instruction de son client, ce que ce dernier eût pu faire lui-même directement. Le Conseil
a estimé que le raisonnement, selon lequel l’avocat peut faire tout ce que peut faire son propre
client est manifestement faux : en effet, le client, qui est une partie au procès, n’a aucun devoir
particulier envers la justice. Il peut, par exemple, mentir, il peut souhaiter le triomphe d’une
cause qu’il sait injuste, il peut souhaiter de mettre en oeuvre des moyens sans égard à leur
rigueur, il n’est pas tenu à la loyauté des procédés. En tant qu’auxiliaire de la justice, l’avocat
se voit imposer un ensemble d’exigences qui le distingue précisément du justiciable qu’il
défend. L’avocat ne peut ce que peut son client. Ni l’avocat ne peut-il veiller et concourir à ce
que d’autres fassent ce qui lui est interdit.
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Le Conseil retient que la démarche de Me X consacre un manquement à l’interdiction édictée
par l’article 13 (actuel article 11) des Us et Coutumes. Le débat contradictoire est la règle en
matière civile comme en matière pénale. Une cause s’instruit devant le juge et sous son
autorité au vu et au su de l’adversaire qui peut, à chaque instant, porter la contradiction. La
loyauté impose ce principe.
La jurisprudence rappelle que «l’avocat doit savoir que l’audition d’un témoin est du ressort
exclusif du juge; c’est pourquoi cette mesure de procédure doit être menée sous la conduite
et dans les formes prévues par la loi» (RDAF 1982 p. 60).
Me X a admis que son but était de connaître par anticipation la réponse des témoins aux
questions qui leur seraient posées par le Tribunal. C’est donc manifestement la volonté
d’éluder les règles du débat contradictoire et le désir de prendre sur son adversaire un
avantage qui ont fait agir Me X. La loyauté et l’équilibre du débat s’en sont trouvés altérés.
Le Conseil considère qu’à cet égard notamment, le manquement de Me X revêt une gravité
certaine. Dans la modération de sa décision, le Conseil tient compte également de la loyauté
de Me X qui a fourni spontanément au Conseil de l’Ordre un certain nombre d’informations qui
toutes n’étaient pas à sa décharge. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, le Conseil
décide d’adresser un avertissement à Me X.
(Décision du 27 mai 1987)
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Me X, consulté par Monsieur A, renvoyé pour justes motifs de la maison B, a été informé que
cette entreprise avait déposé une plainte pénale contre son client vu les propos que ce dernier
aurait tenus devant le personnel de l’entreprise. Une déclaration de ces propos signée par
divers membres du personnel a été communiquée à Me X. Me X a écrit aux membres du
personnel qui avaient signé la déclaration pour leur demander de se déterminer «de manière
plus précise et immédiate sur la déclaration» qu’ils avaient été «censés avoir signée» et
concluait comme suit : «Vu la gravité des faits, j’attends dans les dix jours dès réception de la
présente votre détermination, soit une rétractation des accusations portées contre Monsieur
A, leur confirmation motivée ou, le cas échéant, toutes autres explications correspondant à la
réalité telle que vous la connaissez». Et Me X d’ajouter «Passé ce délai, je prendrai toutes
mesures adéquates afin d’assurer la défense des intérêts de Monsieur A».
L’article 13 des Us et Coutumes (actuel art. 11) interdit à l’avocat en particulier de correspondre
avec un témoin, car il s’agit-là d’une démarche inconvenante, contraire aux règles de la
profession et aux intérêts de la justice (cf. Raymond PERROT, Le serment de l’avocat et les
Us et Coutumes du barreau de Genève, 2e édition, Genève, 1980, page 67). Il est vrai que
l’application de la règle est parfois délicate, car un avocat peut devoir apprécier l’opportunité
de faire entendre un témoin à décharge ou de moralité (cf. Edmond MARTIN-ACHARD, La
discipline des professions libérales, RDS 1951, page 268a). Mais l’audition d’un témoin reste
du ressort exclusif du juge dans les formes prévues par la procédure. Un entretien ou une
correspondance d’un avocat avec un témoin est susceptible de nuire à une déposition libre et
indépendante du témoin. C’est pourquoi, si, avant un procès, un avocat doit prendre des
renseignements auprès d’un tiers afin apprécier les risques inhérents à citation éventuelle
devant le juge, il doit agir avec la réserve nécessaire. Ce n’est donc qu’exceptionnellement
qu’un avocat interrogera une personne qui, par la suite, peut être citée comme témoin dans
une procédure (cf. Werner DUBACH, Das Disziplinarrecht der freien Berufe, RDS 1951, page
72a et jurisprudence citée).
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L’interdiction de tout contact entre l’avocat et le témoin n’est pas réputée actuellement absolue
et il y a de nombreux exemples où l’avocat peut être amené à avoir des contacts avec des
personnes qui seront ultérieurement appelées à témoigner. Au plan civil, l’initiative judiciaire
peut dépendre de la certitude de pouvoir administrer la preuve d’un fait décisif. Le but de
l’avocat peut lui commander de s’en assurer (cf. supra bulletin N° 78, juillet 1984). Le principe
a ainsi été maintenu par le Conseil de l’Ordre, mais nuancé, surtout si l’avocat, par l’abstention
à laquelle il serait contraint, se trouverait en situation de compromettre injustement les intérêts
dont il a la charge.
La lettre adressée par Me X aux employés de l’entreprise constitue sans aucun doute une
correspondance avec des personnes qu’il pouvait savoir être témoins. Me X avait été informé
que Monsieur B avait déposé une plainte pénale et il tombait sous le sens que les employés
de l’entreprise seraient entendus comme témoins. Me X explique toutefois qu’il voulait
s’assurer que cette déclaration avait bien été signée librement par les employés et il est vrai
que si les faits contenus dans cette déclaration étaient avérés, il aurait considéré que la
position de son client en était affectée.
Même lorsqu’il est admissible qu’un avocat prenne langue avec des personnes qui pourraient
être des témoins, une grande réserve s’impose. Or, en l’espèce, Me X dans son courrier a
adopté des termes menaçants à l’endroit des employés auxquels il s’adressait. En particulier,
il n’est pas admissible qu’un avocat fixe un délai pour une rétractation ou une confirmation des
accusations en menaçant de prendre «toutes mesures adéquates». Cette correspondance
était de nature à influencer le témoin, ce que précisément veut prévenir l’article 13 des Us et
Coutumes tel qu’interprété dans les dernières décisions du Conseil de l’Ordre (cf.
supra bulletin N° 78, juillet 1984).
Me X a commis un manquement qu’il a avoué et semblé regretter. Mais il avance que les
destinataires de la lettre pouvaient répondre selon leur conscience, sans devoir considérer
qu’ils étaient sous la menace. Tel n’est pas l’avis du Conseil. Le manquement de Me X appelle
une sanction.
(Décision du 18 décembre 1991)
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Me Y représente des sociétés défenderesses à la procédure prudhommale. Me X représente
Madame A à la procédure prud’homale, cette dernière ayant émis des prétentions salariales.
La cliente de Me X invoque avoir été licenciée, sans que son salaire lui eût été payé. Les
clientes de Me Y prétendent ne pas être débitrices et l’une d’entre elles entend plaider à titre
reconventionnel contre leur ancienne employée, au motif que cette dernière aurait notamment,
sur ses heures de bureau, pris des leçons d’équitation.
Dans le cadre de la procédure, Me X déposa une pièce, soit une attestation de Madame B,
s’exprimant en ces termes : «Par la présente, je confirme avoir reçu le téléphone de Me Y, me
demandant d’attester par écrit que Madame A avait pris des leçons avec moi en détaillant les
heures et les dates exactes».
L’article 13 (actuel article 11) des Us et Coutumes prévoit l’interdiction faite à l’avocat de
débattre avec un témoin de sa déposition future et de l’influencer de quelque manière que ce
soit. Certains ont vu à juste titre la nécessité de ne pas appliquer de façon absolue l’article 13
des Us et Coutumes, pour tenir compte de situations particulières, où l’avocat, loin d’y être
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interdit, se devait au contraire, pour ménager les règles du mandat, de prendre contact avec
des personnes qui seraient, par la suite, susceptibles d’être témoins.
Le recueil systématique vise notamment les cas suivants :
– L’avocat d’une banque ou d’une société commerciale, avant de rédiger l’état de fait de la
demande, peut être utilement amené à interroger des employés de l’établissement qui seront
ultérieurement appelés à témoigner.
– L’avocat peut souhaiter, avant l’initiation d’une procédure en divorce, rencontrer un parent
ou un ami, pourtant futur témoin, dans le seul but de s’assurer des mérites de la thèse plaidée
par son client.
– L’avocat peut, avant d’entamer une procédure judiciaire, s’assurer de l’existence ou non d’un
fait décisif au triomphe de la cause qu’il soutiendra.
Au plan pénal, les cas d’investigation sur le fait nouveau, en matière de révision, de contacts
avec les organes de l’Office des faillites en cas de banqueroute, de contacts toujours avec les
anciens associés ou les employés de son client, en cas de délit économique, ou bien entendu
de contacts avec des témoins de moralité, ou appartenant à la famille de l’inculpé, sont admis,
comme autant de régimes d’exception à la règle absolue.
Il résulte clairement des principes énoncés ci-dessus qu’en matière civile c’est exclusivement
avant l’ouverture de la procédure que l’avocat peut se considérer, dans certains cas, comme
autorisé à contacter ceux qui pourraient être, un jour, amenés à déposer à la Barre. Dans les
autres cas, c’est la règle absolue de l’article 13 qui doit être appliquée. Il s’agit de respecter la
neutralité du témoignage, qui reste l’apanage exclusif du juge, règle par ailleurs d’ordre public.
Les attestations produites par Me X ont donc été sollicitées et rédigées, non seulement très
largement après l’ouverture de la procédure, mais quelques jours, voire heures, avant la date
de l’audience de comparution personnelle des parties. Son comportement est donc
manifestement fautif et une violation évidente à l’article 13 des Us et Coutumes (actuel art. 11)
a été commise.
(Décision du 3 septembre 1992)
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