CENDRES DE CAILLOUX Biographie de Daniel Danis
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CENDRES DE CAILLOUX Biographie de Daniel Danis
CENDRES DE CAILLOUX Biographie de Daniel Danis Né en 1962, il vit au Saguenay (Québec). Il a écrit : Celle-là Editions Leméac, 1993 Tapuscrit, Théâtre Ouvert, Paris, 1993. Traduction anglaise par Linda Gaboriau, That Woman, 1993. Prix de la Critique, Montréal, 1993. Prix du Gouverneur Général du Canada, 1994. Prix de la meilleure création de langue française, décerné par le Syndicat Professionnel de la Critique Dramatique et Musicale, 1994. Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire Dramatique, France-Culture, réalisation par Georges Peyrou, 1994. Création par Louise Laprade au Théâtre Espace Go, Montréal, 1993. Création par Alain Françon, Théâtre Ouvert, 1994. Création de Cathie Boyd, Cryptic Theatre, Traverse Theatre, Edimburg, 1997. Mise en scène de John Cooper, Theatre Network, Edmonton, 1998. Cendres de cailloux Editions Leméac/Actes Sud-Papiers, 1996. Traduction anglaise par Linda Gaboriau, Stone and Ashes, édition Coach House Press, Toronto, 1995. Traduction écossaise par Tom Mcgrath, Stone and Ashes, Edimburg, Ecosse, 1995. Traduction galloise par Gareth Miles, Lludw’r Garreg’, Cardiff, Pays de Galles, 1997. Bourse à l’écriture du ministère des Affaires culturelles du Québec, 1990. Bourse d’Aide à la Création d’Oeuvres dramatiques, Ministère de la Culture (DTS), France. Prix Tchicaya U Tam’si au concours de manuscrits de Radio-France Internationale, 1992. Premier Prix au concours international de manuscrits du festival de Maubeuge, 1992. Prix Meilleur Texte Original, Soirée des Masques, Montréal, 1994. Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire Dramatique, France-Culture, 1995. Radiodiffusion, Radio-Canada, Réalisation de JeanPierre Saulnier, 1994. Création de Louise Laprade au Théâtre Espace Go, Montréal, 1993. Mise en scène de Dominic Bédard, Théâtre La Rubrique, Jonquière, 1993. 1 Mise en scène de Gil Champagne, Théâtre Blanc, Québec, 1994. Création de Jackie Maxwell, The Factory Lab Theater, Toronto, 1994. Mise en scène d’Olivier Maurin, compagnie Lhoré Dana, France, 1994. Création par Lukas Hemleb, Théâtre de l’Ancre, Belgique, 1995. Mise en scène de Sandhano Scultze, Pink Ink Theater, Vancouver, 1996. Mise en scène par Ian Rowlands, Theatr Y Byd, Cardiff, 1997 Mise en scène de Jackie Doyle, Prime Cut Productions, Belfast, 1997. Mise en scène de Jarvis Hall, Theatre in Exile, Calgary, 1998. Les nuages de Terre, version non définitive Tapuscrit n°76, Théâtre Ouvert, Paris, 1994. Création par Werewere Liking et Daniel Meilleur au Festival Intern. des Francophonies, Limoges, 1994. Le Chant du Dire-Dire Tapuscrit n°83, Théâtre Ouvert, Paris. Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire Dramatique, France-Culture, réalisation par Michel Sidoroff, 1997. Lecture de Joanna McIntyre, The Song of the Saysayer, PlayRites, Alberta Theatre Projects, 1998. Création par René-Richard Cyr au Théâtre Espace Go, Montréal, 1998. Création par Alain Françon, Théâtre National de la Colline, Paris, 1999. Le Pont de pierres et la Peau d’images Editions l’Ecole des Loisirs, Paris, 1996. Création de Jacynthe Potvin, Théâtre du Bic, Rimouski, 1998. Mise en scène de Rosemary Fournier, Gisèle Gréau et J.-Paul Viot, Logomotive Théâtre, 1999. La Langue des Chiens de Roche Tapuscrit n°92, Théâtre Ouvert, Paris, 1998. Spectacle des finissants du Conservatoire d’Art Dramatique à Montréal, mise en scène de Claude Poissant, avant-dernière version, 1998. Mise en chantier par Michel Dydim, Théâtre Ouvert, Paris, octobre 1998. création logomotive SOMMAIRE DE LA PIECE Danse macabre Un port d’attache Laver l’intérieur Comme les cinq doigts de la main L’Amazone sur un quatre-roues L’An zéro Les photos de mes amis Cailloux Côté coeur Une forêt rasée Tape, tape, mon cheval Avoir ses premières fleurs Une oreille à l’écoute d’un caillou Dans le carnet rouge Un chien pas de médaille Un coeur coincé La rencontre manquée Dormir, la tête dans la nature La poussière éternelle Le talisman Un grand cri de désir Le visage du cuivre Un territoire privé Jardin d’odeurs J’haïs Un coeur vierge Un secret d’Amazone Une forêt en mille morceaux Le mystère de la joie On est pas éternels Le carnet rouge Un homme à sec La fin des cailloux Un bloc de glace sous la dent Une rencontre réussie La caravane infernale La langue de la rage Un faire-part Danser avec la vie Daniel Danis ... D....Doublé Le théâtre de D. Danis naît d’une expérience intime. Il puise à la fois dans les récits des autres - «la parole vivante» - (Les citations sont extraites d’une interview de D. Danis recueillie par N. Renaude et E. Durif.) et dans sa propre introspection : «j’ai d’abord fait retour à mon enfance, puis à mon adolescence». L’évocation de cette mémoire affective utilise le théâtre comme moyen d’exploration des relations du visible et de l’invisible, démarche née d’une préoccupation religieuse initiale abandonnée au profit d’un syncrétisme panthéiste pour lequel il est aussi important de vivre dans les rêves que dans la vraie vie, dans une réalité «perméable aux temps et aux distances». La création théâtrale pose la question fondamentale des rapports du corps à la nature cosmique, à la sexualité, au mystérieux voué au mystique, réalisant la fusion du profane et du sacré, aboutissant à un animisme revendiqué par l’auteur-chaman : «je suis en train d’écrire ... je suis en train de vivre peut-être une petite transe ... je vis dans quelque chose qui est double.» Comme les corps en métamorphose dans Cendres de Cailloux. Si D. Danis garde ses distances par rapport au théâtre officiel, il se reconnaît cependant héritier des arts du XXème siècle, de leur refus de la linéarité, de l’éclatement de l’espace et du temps, de la multiplicité des points de vue. Son oeuvre joue du rythme et de la ponctuation comme une partition musicale, disloque l’image comme la peinture moderne, invente un montage cinématographique, superpose les éclairages à la manière de Faulkner et Dos Passos décomposant les événements au travers du prisme des consciences multiples. Cendres de Cailloux est publiée conjointement par Léméac et Acte SudPapiers. "Le point sur le I" de Schwitters Daniel Danis 2 CENDRES DE CAILLOUX Cendres de Cailloux ou le cantique des corps Ainsi Cendres de Cailloux est né d’un collage de deux projets successifs : d’abord un synopsis de film sur les «coups pendables» d’une bande de jeunes, sur lequel s’est greffée l’histoire d’un veuf tentant de se «refaire». Le résultat devait initialement se présenter comme une composition à trois voix déroulées sur trois colonnes rompant la linéarité de la chaîne du langage. Enfin la combinaison des trois monologues a abouti en une pièce de 39 scènes et 4 personnages où le texte s’articule pour être dialogué à la façon d’écho ou de répons. Eclats de mémoires fragmentées, jeu de construction à choix multiples, agencement mosaïque de cases communicantes voire commutables. "Masques se disputant un pendu" de Ensor Le sommaire introducteur déroule donc 39 scènes - 39 marches ? - soit 3 x 13 séquences ou plansséquences portant un titre. Leur relative régularité (1 à 4 pages) est rompue par 2 des scènes finales, paroxystiques, distendues, de 12 et 13 pages. L’ouverture intitulée «danse macabre» trouve son image inversée, son écho dans l’ultime «danser avec la vie». Les personnages n’y apparaissent ni de façon équivalente, ni de façon régulière, leur présence pouvant être uniquement physique ! Au moment où le texte commence, tous les événements se sont déroulés. Ils sont évoqués par 4 voix, 4 discours, 4 mémoires alternativement activées et reconstituées selon plusieurs modes et points de vue : témoignages sur soi ou sur les autres, directs ou mis à distance par la lecture d’un carnet intime. Cette polyphonie fonctionne à la manière d’une psychothérapie, tentative de catharsis au cours de laquelle l’énonciation permet d’assumer le passé pour mieux s’en délivrer. Le temps et l’espace ne s’organisent donc pas de façon conventionnelle. Ici, pas de présentation chronologique : ni achronique, ni anachronique, mais plutôt «polychronique», et la scène théâtrale n’est pas lieu de représentation d’histoires vécues mais lieu de convergence des mémoires évoquant ces histoires. «La pièce se déroule dans un seul lieu qui peut être de l’ordre réaliste, métaphorique ou métaphysique. Il ne faut pas imaginer un lieu qui regroupe l’ensemble "Cendres" de Munch des lieux dont on parle dans le texte. En fait, cet espace permet la rencontre des 4 protagonistes qui viennent raconter leur histoire.» (D. Danis) Comme dans 3 création logomotive DISTRIBUTION Mise en Scène Rosemary FOURNIER Dramaturgie Marie GALHAUT Bertrand GEBIR Scénographie Michel BEURTON Costumes Fanny MANDONNET Couturière Aurélie de CASANOVE Lumière Marc DELAMEZIERE Régie Eric GUILBAUD Jean Baptiste PAPON Affiches Isa ARTUR Photographies SILOE Avec un tableau d’Edward Munch, les personnages, atomes isolés, s’éclairent successivement et renvoient leur propre couleur. Par ordre d’entrée en scène : - Shirley : 33 ans - bibliothécaire - égérie d’une bande masculine, «la gang» - Coco : 30 ans - bûcheron occasionnel - membre de la gang satellite de Shirley - Clermont dit Caillou : 40 ans - veuf dont la femme a été assassinée par un inconnu. - Pascale : 18 ans - fille de Clermont. Shirley, Coco et Pascale vivent leur mémoire grâce aux repères saisonniers, conformément à la tradition rurale. Clermont lui, de manière obsessionnelle, tente de fixer le temps dans son carnet intime au rythme historique des dates, des anniversaires, des durées, tout en créant un calendrier parallèle où l’an zéro veut marquer le début d’une impossible ère nouvelle : il s’enferme dans les grilles schizophrènes de rites dérisoires et d’incantations mécaniques. Cécile BRUNEL Karine DAHACHE Thomas SCHETTING Jean-Paul VIOT Production LOGOMOTIVE THEATRE Co-réalisation THEATRE MAXIME GORKI - Scène nationale de Petit-Quevilly Avec l'aide du Ministère de la Culture et de la Communication - DRAC de HauteNormandie du Conseil Régional de HauteNormandie et de la ville d'ELBEUF sur Seine Daniel Danis "La Mort dans la chambre du malade" de Munch 4 CENDRES DE CAILLOUX Une tragédie "antique" A partir du jeu des mémoires qui s’oralisent est reconstitué l’itinéraire de Clermont et de sa fille. Ils ont quitté la ville où a été tuée leur femme et mère Eléonore, et s’installent dans une communauté rurale où leur présence va briser l’équilibre d’une bande de jeunes plus ou moins désoeuvrés. La gang dominée par Shirley se livre à des violences morbides et des orgies nocturnes. Dès son arrivée, Clermont répare une maison qu’il vide de façon obsessionnelle du tas de cailloux métaphoriques encombrant sa cave, tandis que sa fille la nettoie compulsivement Shirley attirée par la force blessée du nouvel occupant va chercher à le séduire et l’approche par l’intermédiaire de Pascale, le ramenant peu à peu à la vie. Coco refuse cette trahison qui met en péril la cohésion totalitaire de la gang en instaurant l’ouverture et le partage sexuel. Shirley a impudemment annoncé qu’elle humilierait Clermont : soumise à la loi de la bande, elle devra «s’exécuter». Le fatum va s’accomplir ; en simulant sa propre mort, Shirley précipite le dénouement. Clermont désespéré devient autiste devant sa maison qu’il a réduite en cendres, Coco se tire une balle dans la tête, Shirley réaffirme sa rage de vivre. Pascale récitante et témoin pourra peut-être surmonter ses traumatismes. A corps et à cris D’un Québécois retiré loin de la métropole on pourrait attendre un hymne à la nature sauvage. Or, si la forêt ou la rivière restent évoquées, la Nature n’est souvent présente que sous sa forme domestiquée. Le corps de l’homme, lui, jalonne tout le texte et l’écriture en diffuse une sensualité générale. Il est le point de la rencontre conflictuelle entre nature et culture et constitue le lieu où se déroule le combat du désir et de la loi, conformément à l’histoire de l’individu et de l’espèce. Cendres de Cailloux peut donc être abordé sous la triple relation du corps avec l’animalité, la sexualité et les mythologies-magico-religieuses. Corps/Animalité Dès la première lecture l’abondance du lexique corporel ne peut que frapper : une quarantaine de parties du corps différentes sont mentionnées, dont certaines très fréquemment (la peau, la tête, les yeux), et contribuent à ancrer le corps dans la parole. De même un bestiaire sauvage et domestique envahit le texte : exotiques ou indigènes, une trentaine d’espèces, parmi lesquelles se dégagent nettement les figures répétitives et contradictoires du loup et du boeuf. Associées à Clermont, ces deux images le définissent comme un homme à la virilité sauvage castré par le malheur et transformé en bête de somme au labourage stérile : «mon père est une bouteille cassée» dit Pascale. D’autre part l’animalité s’exprime épisodiquement en la personne de Coco prompt à la régression foetale et victime de ses pulsions destructrices à travers «Gulka», la bête qu’il porte en lui, le ronge et le pousse à des actes nocturnes de dévoration réelle ou fantasmée dans cimetières et décharges. Au contraire la sensualité des deux femmes s’exprime de manière plus traditionnellement humanisée. 5 création logomotive Le fil rouge du sang parcourt le texte, métaphorique de la vie et de la mort : si les femmes donnent le sang (menstruel), les hommes le prélèvent, soit sous la forme de la boucherie, du sacrifice (expiatoire ou sexuel) soit sous celle du vampirisme (Clermont au «sang de boeuf» s’approprie celui de sa femme et de sa fille). Corps/Sexualité COCO. J'ai déjà pensé qu'on vit notre vie comme un poisson. Tu viens au monde tu meurs dans une assiette personne en parle Sinon pour dire que c'était un bon poisson. Je pense qu'on apparaît sur la terre que pour une ou deux choses. Le reste, du remplissage. La sexualité imprègne le discours, explicitement ou implicitement. Plusieurs scènes renvoient à des situations amoureuses : Shirley exprime son désir, et l’assouvit : d’abord auto-érotiquement dans un accouplement d’Amazone avec un rocher dans une rivière, puis conjugalement à travers une union librement consentie avec Clermont, qui lui redonne la virginité. Pascale découvre le plaisir avec un camarade d’école, puis le gâchis d’un pseudo-rapport résigné avec Coco. Mais l’amour semble interdit aux hommes : castration de Clermont, qui perd successivement deux femmes, impuissance existentielle de Coco condamné à une sexualité infantile par la bête qui l’habite, vivant par procuration et voyeurisme. Cette omniprésence du sexuel peut se manifester dans le langage plus ou moins directement lors de certaines scènes : médiéval dans la symbiose de Shirley avec les éléments naturels, lyrique dans le duo d’amour édénique de Clermont et Shirley, enfantin dans le récit de Pascale découvrant son corps. Elle peut se révéler aussi dans la crudité des termes proférés par Coco, mais surtout par l’abondance des expressions à double sens (vocabulaire du jardinage, tumescence des objets), des symboles phalliques ou féminins que constituent instruments contondants ou contenants, accompa- "Saint Georges tuant le dragon" de Altdorfer gnés de la thématique du propre et du sale. Daniel Danis 6 CENDRES DE CAILLOUX Corps/Mythologies A propos de D. Danis, Eugène Durif souligne, dans un article publié au Québec, «quelque chose de très archaïque, d’immémorial», qui permet de faire dialoguer des héritages culturels venus de tous âges et de tous lieux. Animisme et chamanisme Dans Cendres de Cailloux les femmes semblent vecteurs de l’énergie vitale : Shirley dialogue avec le cosmos, les éléments («le rocher me dit» (...) «je vais continuer à parler à la terre») et s’unit avec le sol, retrouvant par là le lien perdu avec l’indianité, et la communion avec la terre sacrée. Et c’est Pascale qui reçoit l’injonction finale «danse avec la vie», conclusion positive d’une succession de tentatives de transes plus ou moins abouties par la gang en mal d’hystérie arctique, avatar dégradé d’une tribu de frères de sang aux pratiques chamaniques. Paganisme antique La gang, secte dionysiaque, est le lieu de trans(e)-gressions multiples et violentes : défoulement orgiaque, soûleries à la bière et leur corollaire d’absorptions et excrétions pathologiques, bacchanales, carnavalesques, rage destructrice avide de victimes, vache immolée ou cadavre profané. La bande se manifeste avec la même sauvagerie infantile que celle des jeunes naufragés de Sa Majesté-desMouches de Golding, qui sacrifient un porc et tuent l’un des leurs. Mais elle reste aussi le lieu de l’ordre et des valeurs, contre-société totalitaire où Coco rassemble en lui le comportement le plus déréglé et la fonction la plus normative de gardien de la loi : le voilà désigné représentant du destin, agent du Fatum, exécutant de la volonté des Dieux. Les personnages condensent la mythologie gréco-romaine en endossant des rôles variés : Shirley, déesse-mère, peut successivement apparaître comme Amazone, dominatrice des éléments et des hommes, Diane des forêts, Athéna la chouette, nouvelle Déméter commandant aux saisons, prêtresse de la gang. Clermont-Sisyphe, arrivé de la ville comme Oedipe brisé guidé par sa fille, conjugue la tête de boeuf du Minotaure et les exploits physiques d’Héraklès, et dans les bras de Shirley il deviendra Icare. Coco, «un homme à sec», ne peut qu’être Tantale dans sa stérilité. "L'intrigue" de Ensor 7 création logomotive Les légendes européennes SHIRLEY Toute ma peau se sent comme un arbre déesse. La déesse des bois met un pied à terre. Un tapis d'humus et de branches se déroule jusqu'à la source. Les oiseaux en bec de flûte s'époumonent leurs chants se promènent avec le soleil. Je me penche à la source je bois de l'eau avec mes mains chaudes et sales d'avoir tenu si fort les rênes de mon cheval monté sur des roues. L’énonciation des récits prend parfois l’aspect formel des contes et comptines du fonds populaire du vieux continent : intermèdes de berceuses et rimes enfantines, ou même séquences entières consacrées par Shirley à égrener une litanie de noms de plantes blanches et vierges, nostalgie d’une innocence perdue, sonore comme les noms de villages aimés d’Aragon. Les répétitions et allitérations tiennent par ailleurs de l’inventaire prévertien ou de l’énumération anaphorique de Perec. De même l’héritage médiéval transparaît dans le polymorphisme de Shirley tour à tour géante, dragon, dame blanche, gardienne du jardin d’odeurs et Iseult liée à Clermont-Tristan dans l’envolée céleste de deux coeurs entrelacés comme les rosiers de la légende se rejoignant sur leurs tombes. Comme dans les contes de fées, Shirley, Belle au Bois Dormant, profère «mon prince arrive», et les chiffres magiques (3,7), les marques (tatouages, repères gravés) révèlent aux personnages des signes symboliques éclairant leur avenir. Les femmes - la «ramancheuse», Eléonore la morte, Shirley - adjuvants des héros égarés, prononcent des injonctions protectrices assurant le succès des épreuves, pratiquent la voyance, délivrent des talismans. A la figure positive de la sorcière fait pendant le défoulement de la gang évoluant en mascarade carnavalesque et fête des fous. La face obscure de la magie se dévoile certaines nuits de lune propices à l’éveil des forces occultes convoquées par la gang : ses membres deviennent ogres, monstres, loups-garous, vampires, fantômes, cannibales, nécrophiles, venus des peuples du Nord, et qui aujourd’hui imprègnent la culture populaire nord-américaine en flattant le goût de l’irrationnel né de l’anomie des sociétés Le christianisme modernes. Pour des raisons historiques, le lexique québécois est truffé de références chrétiennes (toponymie, jurons). Mais Cendres de Cailloux comporte en outre son propre vocabulaire religieux. Coco, mort, à l’avant-dernière page, peut ainsi conclure : «tu es cendres et tu retourneras en poussière.» Si Pascale est agneau étymologiquement et symboliquement, Shirley, d’âge christique, femme primordiale pour la gang et Clermont, devient vierge, apparue en mai, pour lui seul. Dans le jardin des délices de leur idylle naissante, elle est l’Eve d’un Clermont adamique. Celui-ci revit le calvaire du Christ : sa souf- Daniel Danis 8 CENDRES DE CAILLOUX france intrinsèque culmine dans un Chemin de Croix où la bande l’humilie, l’attache, le souille, le blesse. Il vit la Passion dans la pseudo-mort de Shirley, et la Résurrection trois jours plus tard, pour disparaître aussitôt par le passage à l’autre monde qu’est l’autisme. Le thème de la nouvelle vie, autre vie, deuxième peau, réincarnation imprègne le texte d’une religiosité diffuse, de même que la présence des signes de croyance que sont bain d’eau lustrale, prière, médaille miraculeuse. Diabolique et blasphémateur : «au nom de Dédé, du fils Coco et du Saint Flagos, amen de Grenouille», Coco enfin assume le rôle faustien et exige de Shirley le paiement de la promesse. "Le Jardin des Délices" de Bosch (extrait) 9 création logomotive Pour ne pas en finir «Je donne mon texte à un arbre qui pousse dans le milieu d’une rivière». Daniel Danis (Daniel l’animiste ?) par sa «danse d’écriture» (E. Durif) explore un univers où se rencontrent indianité, chamanisme alasko-sibérien, légendes nordiques, fureur "bersek", expressionnisme scandinave. La poursuite de tels mythes ne peut que s’accompagner d’une conscience malheureuse témoin d’un impossible retour à l’innocence et spectatrice d’une déliquescence des rapports sociaux. Pascale Elle m'a parlé en prenant ma voix : "Pascale, un jour tu te sentiras forte. Tu iras dans un champ tu arracheras le ciel le traîneras dans la rivière. Tu iras ensuite aux montagnes les jetteras dans la boue. Ensuite tu déchireras la terre avec tes dents. Epuisée de fatigue couchée dans le rien tu feras ton nid. Tranquille. Tranquille." Danis écrit un théâtre politique non dans son acception triviale mais dans le constat aigu d’une époque où «la ville morte» sent la pourriture et la décomposition. Coco rebelle, désenchanté, constate : «on est pas né dans une bonne période. Y a jamais de bonnes périodes.» Puis il met en scène son suicide par une dernière réplique lucide : «La planète est en train de vivre un mauvais quart d’heure. Tiens bon, Coco les temps nouveaux arrivent. C’est toujours comme ça dans les fins de siècle.» Si Félix Leclerc et Gilles Vigneault ont chanté l’immensité hivernale du Québec, ses habitants, eux, cherchent leur identité comme Coco, révolté sans projet : «J’ai de la haine pour un pays qui en finit plus d’être jamais un pays» En fin de compte/conte, Coco assume la parole contemporaine. «Je cherche un rêve un rêve que je pourrais m’inventer une fois pour toutes» Daniel Danis Cendres de Cailloux Daniel Danis «moi j’ai cherché quelqu’un qui soit comme un ange au milieu de ce bordel» Bernard-Marie Koltès La nuit juste avant les forêts 10 CENDRES DE CAILLOUX LEXIQUE QUEBECOIS Source : BERGERON Léandre. Dictionnaire de la langue québécoise, VLB éditeur, Montréal, 1980. DULONG Gaston (sous la direction de), Dictionnaire des canadianismes, Larousse. achaler : agacer, contrarier minoune (une) : un vieux tacot agace-pissette (une) : une femme qui taquine sexuellement moulée (la) : la mouture, le grain moulu pour les animaux arena (une) : un amphithéâtre couvert pour les sports d’hiver moumoune (une) : une personne efféminée baptistaire (un) : des papiers d’identité niaiseux : niais, qui perd son temps à des riens baveux (un) : une personne qui importune pantoute : pas du tout bécosses (les) : toilettes extérieures rudimentaires par après : ensuite blé d’Inde : du maïs pareil : quand même niaisage : imbécilité (ici), perte de temps bobettes (des) : des petites culottes party (un) : une soirée entre amis pour s’amuser boucane (une) : un nuage de poussière peté : extraordinaire brasser : secouer, remuer, agiter broue (la) : la mousse (de la bière) pitoune, pitoune de drave (une) : une bille de bois de flottage câlice : juron plat, platte : pas drôle, ennuyeux carcajou (un) : blaireau d'Amérique pogné(e) : étonné, saisi CEGEP (le) : le collège d’enseignement général et professionnel pogner : prendre char (un) : une voiture quétainerie (une) : chose, objet, action quétaines chum (un) : petit ami, (petit) copain ramancheuse (une) : une rebouteuse coco (le) : la tête crise de cassage (une) : une crise de rage rang (un) : groupe de lopins dans une municipalité rurale identifié par un numéro ou un nom propre. (vivre dans les rangs : loin du village, à la campagne) crisse : juron (vient de Christ) s’encouverter : se blottir sous les couvertures crisser : donner, foutre sacrer patience : ficher la paix crotte (une) : un malheur, un imprévu (crotte ! juron) sacrer le camp : ficher le camp décrisser : partir, décamper senteux (un) : un curieux deux et demi (un) : un appartement (type F2) set carré (un) : danse traditionnelle, figure de quadrille écoeuranterie (une) : une saloperie ski-doo (un) : une motoneige écoeurer : fatiguer, importuner solage (le) : les fondations d’un édifice écornifleux (un) : un curieux tabarnaque : tabernacle (juron) étriver : taquiner, agacer ti-cul : petit bonhomme faire le nono : faire l’imbécile, le clown troller : flirter, draguer fouille-moé : cherche donc ! virailler : tourner de ci de là cramper : braquer, faire tourner, tordre / avoir une érection quétaine : démodé, ringard frette : froid fucké(e) : perdu(e), brisé(e) G.R.C. (la) : la Gendarmerie Royale du Canada gang (la) : la bande (de copains) garrocher : lancer, balancer hostie : juron 11 création logomotive CREATION du 12 au 23 mars 1996 Théâtre Maxime Gorki / Scène nationale de Petit-Quevilly TOURNEE 1996/1997 22, 23 et 24 octobre 1996 à 20h30 Théâtre de l'Echangeur à Bagnolet 01 43 62 71 20 12, 13 et 14 décembre 1996 à 20h30 Les Bains Douches à Elbeuf 02 35 78 46 70 1er février 1997 à 20h30 Espace Philippe Auguste à Vernon 02 32 64 53 16 le 27 mars 1997 à 20h30 Les Vikings à Yvetôt 02 35 56 46 51 LOGOMOTIVE THEATRE La direction artistique de la compagnie est assurée par Rosemary Fournier et JeanPaul Viot, tous deux comédiens et metteurs en scène de formation. La troupe est professionnelle depuis 1977. Elle est subventionnée par Le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC de Haute-Normandie Le Conseil Régional de Haute-Normandie La ville d’Elbeuf sur Seine dans le cadre d’une convention triennale. La compagnie présente régulièrement ses spectacles en France et à l’étranger. Elle est installée depuis 1981 à Elbeuf sur Seine où elle partage aujourd'hui avec le centre de formation du Théâtre des 2 Rives les locaux de l'école régionale de théâtre (Les Bains Douches). Tout en axant principalement son travail de création sur le répertoire contemporain, la compagnie Logomotive Théâtre a su développer une identité originale notamment en interrogeant une pluralité de formes théâtrales (théâtre Nô avec Shiro Daïmon, Odin teatret au Danemark) et en tissant des liens avec des compagnies étrangères. Au carrefour d'influences artistiques venues de l'orient et de l'occident, la compagnie aime appréhender le travail de création dans sa dimension visuelle, sonore et poétique. Répertoire contemporain Derniers chagrins D’après Franz KAKFKA Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1986 du 2 au 8 avril 1997 Théâtre des Deux Rives à Rouen 02 35 70 22 82 10 avril 1997 à 20h30 Théâtre de Lisieux à Lisieux 02 31 61 12 13 Little Palace -Cabaret fantastique-d’après des textes de B. BRECHT Mise en scène de Jean-Paul VIOT, créé en 1989 La nuit juste avant les forêts de Bernard Marie KOLTES Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1991 Fragments Textes de Samuel BECKETT Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1992 Quartett de Heiner MULLER, Mise en scène de Jean-Paul VIOT, créé en 1995 TOURNEE 1997/1998 27 et 28 janvier 1998 Le petit théâtre au Havre 02 35 19 45 64 Cendres de cailloux de Daniel Danis Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1996 Combat de nègre et de chiens de Bernard Marie KOLTES Mise en scène Jean-Paul VIOT, créé en 1997 Les Silences de Monsieur Tarwitz de Patrick LERCH Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1998 3 février 1998 Théâtre de Cherbourg à Cherbourg 02 33 88 55 50 Le pont de pierres et la peau d'images de Daniel Danis Mise en scène Rosemary Fournier, Gisèle Gréau et Jean-Paul Viot, créé en 1999 Autres répertoires abordés TOURNEE 1998/1999 Woyzeck d’après G. BUCHNER Mise en scène J.-J. MAUFRAS, créé en 1980 La chevelure d’après les contes fantastiques de Guy de MAUPASSANT 18 mai 1999 Scène nationale d'Alençon-Flers 02 33 29 16 96 Daniel Danis Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1985 Oedipe Roi de SOPHOCLE, Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1994 12 CENDRES DE CAILLOUX SOMMAIRE 13 BIOGRAPHIE DE DANIEL DANIS 1 DANIEL DANIS .. D ... DOUBLÉ 2 CENDRES DE CAILLOUX OU LE CANTIQUE DES CORPS 3 UNE TRAGÉDIE "ANTIQUE" 5 A CORPS ET À CRIS 5 Corps/Animalité 5 Corps/Sexualité 6 Corps/Mythologies 7 Animisme et chamanisme 7 Paganisme antique 7 Les légendes européennes 8 Le christianisme 8 POUR NE PAS EN FINIR 10 LEXIQUE QUÉBÉCOIS 11 création logomotive DOSSIER REALISE par Marie Galhaut Bertrand Gebir avec la collaboration de Rosemary Fournier Sophie Rousselet CONTACT Sophie Rousselet SOMMAIRE DES ILLUSTRATIONS "LE POINT SUR LE I" DE SCHWITTERS 2 "MASQUES SE DISPUTANT UN PENDU" DE ENSOR 3 "CENDRES" DE MUNCH 3 "LA MORT DANS LA CHAMBRE DU MALADE" DE MUNCH 4 "ST GEORGES TUANT LE DRAGON" DE ALTDORFER 6 "L'INTRIGUE" DE ENSOR 7 "LE JARDIN DES DÉLICES" DE BOSCH (extrait) 9 tél : 02 35 78 46 70 fax : 02 35 78 43 66 Logomotive Théâtre 17 rue Chennevière 76500 Elbeuf sur Seine e.mail : jpviot.club-internet.fr Daniel Danis 14