CENDRES DE CAILLOUX Biographie de Daniel Danis

Transcription

CENDRES DE CAILLOUX Biographie de Daniel Danis
CENDRES DE CAILLOUX
Biographie de Daniel Danis
Né en 1962, il vit au Saguenay (Québec).
Il a écrit :
Celle-là
Editions Leméac, 1993
Tapuscrit, Théâtre Ouvert, Paris, 1993.
Traduction anglaise par Linda Gaboriau, That
Woman, 1993.
Prix de la Critique, Montréal, 1993.
Prix du Gouverneur Général du Canada, 1994.
Prix de la meilleure création de langue française,
décerné par le Syndicat Professionnel de la Critique
Dramatique et Musicale, 1994.
Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire
Dramatique, France-Culture, réalisation par Georges
Peyrou, 1994.
Création par Louise Laprade au Théâtre Espace Go,
Montréal, 1993.
Création par Alain Françon, Théâtre Ouvert, 1994.
Création de Cathie Boyd, Cryptic Theatre, Traverse
Theatre, Edimburg, 1997.
Mise en scène de John Cooper, Theatre Network,
Edmonton, 1998.
Cendres de cailloux
Editions Leméac/Actes Sud-Papiers, 1996.
Traduction anglaise par Linda Gaboriau, Stone and
Ashes, édition Coach House Press, Toronto, 1995.
Traduction écossaise par Tom Mcgrath, Stone and
Ashes, Edimburg, Ecosse, 1995.
Traduction galloise par Gareth Miles, Lludw’r
Garreg’, Cardiff, Pays de Galles, 1997.
Bourse à l’écriture du ministère des Affaires culturelles du Québec, 1990.
Bourse d’Aide à la Création d’Oeuvres dramatiques,
Ministère de la Culture (DTS), France.
Prix Tchicaya U Tam’si au concours de manuscrits
de Radio-France Internationale, 1992.
Premier Prix au concours international de manuscrits du festival de Maubeuge, 1992.
Prix Meilleur Texte Original, Soirée des Masques,
Montréal, 1994.
Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire
Dramatique, France-Culture, 1995.
Radiodiffusion, Radio-Canada, Réalisation de JeanPierre Saulnier, 1994.
Création de Louise Laprade au Théâtre Espace Go,
Montréal, 1993.
Mise en scène de Dominic Bédard, Théâtre La
Rubrique, Jonquière, 1993.
1
Mise en scène de Gil Champagne, Théâtre Blanc,
Québec, 1994.
Création de Jackie Maxwell, The Factory Lab
Theater, Toronto, 1994.
Mise en scène d’Olivier Maurin, compagnie Lhoré
Dana, France, 1994.
Création par Lukas Hemleb, Théâtre de l’Ancre,
Belgique, 1995.
Mise en scène de Sandhano Scultze, Pink Ink
Theater, Vancouver, 1996.
Mise en scène par Ian Rowlands, Theatr Y Byd,
Cardiff, 1997
Mise en scène de Jackie Doyle, Prime Cut Productions, Belfast, 1997.
Mise en scène de Jarvis Hall, Theatre in Exile,
Calgary, 1998.
Les nuages de Terre, version non définitive
Tapuscrit n°76, Théâtre Ouvert, Paris, 1994.
Création par Werewere Liking et Daniel Meilleur au
Festival Intern. des Francophonies, Limoges, 1994.
Le Chant du Dire-Dire
Tapuscrit n°83, Théâtre Ouvert, Paris.
Emission de Lucien Attoun, Nouveau Répertoire
Dramatique, France-Culture, réalisation par Michel
Sidoroff, 1997.
Lecture de Joanna McIntyre, The Song of the Saysayer, PlayRites, Alberta Theatre Projects, 1998.
Création par René-Richard Cyr au Théâtre Espace
Go, Montréal, 1998.
Création par Alain Françon, Théâtre National de la
Colline, Paris, 1999.
Le Pont de pierres et la Peau d’images
Editions l’Ecole des Loisirs, Paris, 1996.
Création de Jacynthe Potvin, Théâtre du Bic,
Rimouski, 1998.
Mise en scène de Rosemary Fournier, Gisèle
Gréau et J.-Paul Viot, Logomotive Théâtre, 1999.
La Langue des Chiens de Roche
Tapuscrit n°92, Théâtre Ouvert, Paris, 1998.
Spectacle des finissants du Conservatoire d’Art
Dramatique à Montréal, mise en scène de Claude
Poissant, avant-dernière version, 1998.
Mise en chantier par Michel Dydim, Théâtre Ouvert,
Paris, octobre 1998.
création logomotive
SOMMAIRE
DE LA PIECE
Danse macabre
Un port d’attache
Laver l’intérieur
Comme les cinq doigts de la main
L’Amazone sur un quatre-roues
L’An zéro
Les photos de mes amis
Cailloux
Côté coeur
Une forêt rasée
Tape, tape, mon cheval
Avoir ses premières fleurs
Une oreille à l’écoute d’un caillou
Dans le carnet rouge
Un chien pas de médaille
Un coeur coincé
La rencontre manquée
Dormir, la tête dans la nature
La poussière éternelle
Le talisman
Un grand cri de désir
Le visage du cuivre
Un territoire privé
Jardin d’odeurs
J’haïs
Un coeur vierge
Un secret d’Amazone
Une forêt en mille morceaux
Le mystère de la joie
On est pas éternels
Le carnet rouge
Un homme à sec
La fin des cailloux
Un bloc de glace sous la dent
Une rencontre réussie
La caravane infernale
La langue de la rage
Un faire-part
Danser avec la vie
Daniel Danis ... D....Doublé
Le théâtre de D. Danis naît d’une expérience intime. Il puise à
la fois dans les récits des autres - «la parole vivante» - (Les citations
sont extraites d’une interview de D. Danis recueillie par N. Renaude
et E. Durif.) et dans sa propre introspection : «j’ai d’abord fait
retour à mon enfance, puis à mon adolescence». L’évocation de
cette mémoire affective utilise le théâtre comme moyen d’exploration des relations du visible et de l’invisible, démarche née d’une
préoccupation religieuse initiale abandonnée au profit d’un syncrétisme panthéiste pour lequel il est aussi important de vivre dans
les rêves que dans la vraie vie, dans une réalité «perméable aux
temps et aux distances».
La création théâtrale pose la question fondamentale des rapports du corps à la nature cosmique, à la sexualité, au mystérieux
voué au mystique, réalisant la fusion du profane et du sacré,
aboutissant à un animisme revendiqué par l’auteur-chaman : «je
suis en train d’écrire ... je suis en train de vivre peut-être une petite
transe ... je vis dans quelque chose qui est double.» Comme les
corps en métamorphose dans Cendres de Cailloux.
Si D. Danis garde ses distances par rapport au théâtre officiel,
il se reconnaît cependant héritier des arts du XXème siècle, de leur
refus de la linéarité, de l’éclatement de l’espace et du temps, de la
multiplicité des points de vue. Son oeuvre joue du rythme et de la
ponctuation comme une partition musicale, disloque l’image comme
la peinture moderne, invente un montage cinématographique,
superpose les éclairages à la manière de Faulkner et Dos Passos décomposant les événements au travers du prisme des consciences
multiples.
Cendres de Cailloux est publiée conjointement par Léméac et Acte SudPapiers.
"Le point sur le I" de Schwitters
Daniel Danis
2
CENDRES DE CAILLOUX
Cendres de Cailloux ou le cantique des corps
Ainsi Cendres de Cailloux est né d’un collage de deux projets successifs : d’abord un synopsis de
film sur les «coups pendables» d’une bande
de jeunes, sur lequel s’est greffée l’histoire
d’un veuf tentant de se «refaire». Le résultat
devait initialement se présenter comme une
composition à trois voix déroulées sur trois
colonnes rompant la linéarité de la chaîne du
langage. Enfin la combinaison des trois monologues a abouti en une pièce de 39 scènes
et 4 personnages où le texte s’articule pour
être dialogué à la façon d’écho ou de répons.
Eclats de mémoires fragmentées, jeu de construction à choix multiples, agencement mosaïque de cases communicantes voire
commutables.
"Masques se disputant un pendu" de Ensor
Le sommaire introducteur déroule donc 39 scènes - 39 marches ? - soit 3 x 13 séquences ou plansséquences portant un titre. Leur relative régularité (1 à 4 pages) est rompue par 2 des scènes finales,
paroxystiques, distendues, de 12 et 13 pages. L’ouverture intitulée «danse macabre» trouve son
image inversée, son écho dans l’ultime «danser avec la vie». Les personnages n’y apparaissent ni de
façon équivalente, ni de façon régulière, leur présence pouvant être uniquement physique !
Au moment où le texte commence, tous les événements se sont déroulés. Ils sont évoqués par 4
voix, 4 discours, 4 mémoires alternativement activées et reconstituées selon plusieurs modes et
points de vue : témoignages sur soi ou sur les autres, directs ou mis à distance par la lecture d’un
carnet intime.
Cette polyphonie fonctionne à la manière d’une
psychothérapie, tentative de catharsis au cours de
laquelle l’énonciation permet d’assumer le passé pour
mieux s’en délivrer. Le temps et l’espace ne s’organisent
donc pas de façon conventionnelle. Ici, pas de présentation chronologique : ni achronique, ni anachronique,
mais plutôt «polychronique», et la scène théâtrale n’est
pas lieu de représentation d’histoires vécues mais lieu
de convergence des mémoires évoquant ces histoires.
«La pièce se déroule dans un seul lieu qui peut être
de l’ordre réaliste, métaphorique ou métaphysique. Il
ne faut pas imaginer un lieu qui regroupe l’ensemble
"Cendres" de Munch
des lieux dont on parle dans le texte. En fait, cet espace
permet la rencontre des 4 protagonistes qui viennent raconter leur histoire.» (D. Danis) Comme dans
3
création logomotive
DISTRIBUTION
Mise en Scène
Rosemary FOURNIER
Dramaturgie
Marie GALHAUT
Bertrand GEBIR
Scénographie Michel BEURTON
Costumes
Fanny MANDONNET
Couturière
Aurélie de CASANOVE
Lumière
Marc DELAMEZIERE
Régie
Eric GUILBAUD
Jean Baptiste PAPON
Affiches
Isa ARTUR
Photographies SILOE
Avec
un tableau d’Edward Munch, les personnages, atomes isolés,
s’éclairent successivement et renvoient leur propre couleur.
Par ordre d’entrée en scène :
- Shirley : 33 ans - bibliothécaire - égérie d’une bande
masculine, «la gang»
- Coco : 30 ans - bûcheron occasionnel - membre de la gang satellite de Shirley
- Clermont dit Caillou : 40 ans - veuf dont la femme a été
assassinée par un inconnu.
- Pascale : 18 ans - fille de Clermont.
Shirley, Coco et Pascale vivent leur mémoire grâce aux repères
saisonniers, conformément à la tradition rurale. Clermont lui, de
manière obsessionnelle, tente de fixer le temps dans son carnet
intime au rythme historique des dates, des anniversaires, des
durées, tout en créant un calendrier parallèle où l’an zéro veut
marquer le début d’une impossible ère nouvelle : il s’enferme dans
les grilles schizophrènes de rites dérisoires et d’incantations
mécaniques.
Cécile BRUNEL
Karine DAHACHE
Thomas SCHETTING
Jean-Paul VIOT
Production
LOGOMOTIVE THEATRE
Co-réalisation
THEATRE MAXIME GORKI - Scène
nationale de Petit-Quevilly
Avec l'aide
du Ministère de la Culture et de la
Communication - DRAC de HauteNormandie
du Conseil Régional de HauteNormandie
et de la ville d'ELBEUF sur Seine
Daniel Danis
"La Mort dans la chambre du malade" de Munch
4
CENDRES DE CAILLOUX
Une tragédie "antique"
A partir du jeu des mémoires qui s’oralisent est reconstitué l’itinéraire de Clermont et de sa fille.
Ils ont quitté la ville où a été tuée leur femme et mère Eléonore, et s’installent dans une communauté
rurale où leur présence va briser l’équilibre d’une bande de jeunes plus ou moins désoeuvrés. La gang
dominée par Shirley se livre à des violences morbides et des orgies nocturnes. Dès son arrivée,
Clermont répare une maison qu’il vide de façon obsessionnelle du tas de cailloux métaphoriques
encombrant sa cave, tandis que sa fille la nettoie compulsivement
Shirley attirée par la force blessée du nouvel occupant va chercher à le séduire et l’approche par
l’intermédiaire de Pascale, le ramenant peu à peu à la vie. Coco refuse cette trahison qui met en péril
la cohésion totalitaire de la gang en instaurant l’ouverture et le partage sexuel. Shirley a impudemment annoncé qu’elle humilierait Clermont : soumise à la loi de la bande, elle devra «s’exécuter». Le
fatum va s’accomplir ; en simulant sa propre mort, Shirley précipite le dénouement. Clermont
désespéré devient autiste devant sa maison qu’il a réduite en cendres, Coco se tire une balle dans la
tête, Shirley réaffirme sa rage de vivre. Pascale récitante et témoin pourra peut-être surmonter ses
traumatismes.
A corps et à cris
D’un Québécois retiré loin de la métropole on pourrait attendre un hymne à la nature sauvage. Or,
si la forêt ou la rivière restent évoquées, la Nature n’est souvent présente que sous sa forme
domestiquée.
Le corps de l’homme, lui, jalonne tout le texte et l’écriture en diffuse une sensualité générale. Il
est le point de la rencontre conflictuelle entre nature et culture et constitue le lieu où se déroule le
combat du désir et de la loi, conformément à l’histoire de l’individu et de l’espèce.
Cendres de Cailloux peut donc être abordé sous la triple relation du corps avec l’animalité, la
sexualité et les mythologies-magico-religieuses.
Corps/Animalité
Dès la première lecture l’abondance du lexique corporel ne peut que frapper : une quarantaine de
parties du corps différentes sont mentionnées, dont certaines très fréquemment (la peau, la tête, les
yeux), et contribuent à ancrer le corps dans la parole. De même un bestiaire sauvage et domestique
envahit le texte : exotiques ou indigènes, une trentaine d’espèces, parmi lesquelles se dégagent
nettement les figures répétitives et contradictoires du loup et du boeuf. Associées à Clermont, ces
deux images le définissent comme un homme à la virilité sauvage castré par le malheur et transformé
en bête de somme au labourage stérile : «mon père est une bouteille cassée» dit Pascale.
D’autre part l’animalité s’exprime épisodiquement en la personne de Coco prompt à la régression
foetale et victime de ses pulsions destructrices à travers «Gulka», la bête qu’il porte en lui, le ronge
et le pousse à des actes nocturnes de dévoration réelle ou fantasmée dans cimetières et décharges.
Au contraire la sensualité des deux femmes s’exprime de manière plus traditionnellement humanisée.
5
création logomotive
Le fil rouge du sang parcourt le texte, métaphorique de la vie
et de la mort : si les femmes donnent le sang (menstruel), les
hommes le prélèvent, soit sous la forme de la boucherie, du
sacrifice (expiatoire ou sexuel) soit sous celle du vampirisme
(Clermont au «sang de boeuf» s’approprie celui de sa femme et de
sa fille).
Corps/Sexualité
COCO.
J'ai déjà pensé
qu'on vit notre vie
comme un poisson.
Tu viens au monde
tu meurs dans une assiette
personne en parle
Sinon pour dire
que c'était un bon poisson.
Je pense qu'on apparaît sur la terre
que pour une ou deux choses.
Le reste, du remplissage.
La sexualité imprègne le discours, explicitement ou implicitement. Plusieurs scènes renvoient à des situations amoureuses :
Shirley exprime son désir, et l’assouvit : d’abord auto-érotiquement
dans un accouplement d’Amazone avec un rocher dans une rivière,
puis conjugalement à travers une union librement consentie avec
Clermont, qui lui redonne la virginité.
Pascale découvre le plaisir avec un camarade d’école, puis le
gâchis d’un pseudo-rapport résigné avec Coco.
Mais l’amour semble interdit aux hommes : castration de
Clermont, qui perd successivement deux femmes, impuissance
existentielle de Coco condamné à une sexualité infantile par la
bête qui l’habite, vivant par procuration et voyeurisme.
Cette omniprésence du sexuel peut se manifester dans le
langage plus ou moins directement lors de certaines scènes :
médiéval dans la symbiose de Shirley avec les éléments naturels,
lyrique dans le duo
d’amour édénique de
Clermont et Shirley, enfantin dans le récit de Pascale
découvrant son corps. Elle
peut se révéler aussi dans
la crudité des termes proférés par Coco, mais surtout par l’abondance des
expressions à double sens
(vocabulaire du jardinage,
tumescence des objets),
des symboles phalliques ou
féminins que constituent
instruments contondants
ou contenants, accompa- "Saint Georges tuant le dragon" de Altdorfer
gnés de la thématique du
propre et du sale.
Daniel Danis
6
CENDRES DE CAILLOUX
Corps/Mythologies
A propos de D. Danis, Eugène Durif souligne, dans un article publié au Québec, «quelque chose de
très archaïque, d’immémorial», qui permet de faire dialoguer des héritages culturels venus de tous
âges et de tous lieux.
Animisme et chamanisme
Dans Cendres de Cailloux les femmes semblent vecteurs de l’énergie vitale : Shirley dialogue avec
le cosmos, les éléments («le rocher me dit» (...) «je vais continuer à parler à la terre») et s’unit avec
le sol, retrouvant par là le lien perdu avec l’indianité, et la communion avec la terre sacrée. Et c’est
Pascale qui reçoit l’injonction finale «danse avec la vie», conclusion positive d’une succession de
tentatives de transes plus ou moins abouties par la gang en mal d’hystérie arctique, avatar dégradé
d’une tribu de frères de sang aux pratiques chamaniques.
Paganisme antique
La gang, secte dionysiaque, est le lieu de trans(e)-gressions multiples et violentes : défoulement
orgiaque, soûleries à la bière et leur corollaire d’absorptions et excrétions pathologiques, bacchanales, carnavalesques, rage destructrice avide de victimes, vache immolée ou cadavre profané. La bande
se manifeste avec la même sauvagerie infantile que celle des jeunes naufragés de Sa Majesté-desMouches de Golding, qui sacrifient un porc et tuent l’un des leurs. Mais elle reste aussi le lieu de l’ordre
et des valeurs, contre-société totalitaire où Coco rassemble en lui le comportement le plus déréglé
et la fonction la plus normative de gardien de la loi : le voilà désigné représentant du destin, agent
du Fatum, exécutant de la volonté des Dieux.
Les personnages condensent la mythologie gréco-romaine en endossant des rôles variés : Shirley,
déesse-mère, peut successivement apparaître comme Amazone, dominatrice des éléments et des
hommes, Diane des forêts, Athéna la chouette, nouvelle Déméter commandant aux saisons, prêtresse
de la gang. Clermont-Sisyphe, arrivé de la ville comme Oedipe brisé guidé par sa fille, conjugue la tête
de boeuf du Minotaure et les exploits physiques d’Héraklès, et dans les bras de Shirley il deviendra
Icare. Coco, «un homme à sec», ne peut qu’être Tantale dans sa stérilité.
"L'intrigue" de Ensor
7
création logomotive
Les légendes européennes
SHIRLEY
Toute ma peau se sent comme un arbre
déesse.
La déesse des bois met un pied à terre.
Un tapis d'humus et de branches
se déroule jusqu'à la source.
Les oiseaux en bec de flûte s'époumonent
leurs chants se promènent avec le
soleil.
Je me penche à la source
je bois de l'eau
avec mes mains chaudes et sales
d'avoir tenu si fort
les rênes de mon cheval monté sur des
roues.
L’énonciation des récits prend parfois l’aspect formel des
contes et comptines du fonds populaire du vieux continent :
intermèdes de berceuses et rimes enfantines, ou même séquences
entières consacrées par Shirley à égrener une litanie de noms de
plantes blanches et vierges, nostalgie d’une innocence perdue,
sonore comme les noms de villages aimés d’Aragon. Les répétitions
et allitérations tiennent par ailleurs de l’inventaire prévertien ou
de l’énumération anaphorique de Perec.
De même l’héritage médiéval transparaît dans le polymorphisme de Shirley tour à tour géante, dragon, dame blanche,
gardienne du jardin d’odeurs et Iseult liée à Clermont-Tristan dans
l’envolée céleste de deux coeurs entrelacés comme les rosiers de la
légende se rejoignant sur leurs tombes. Comme dans les contes de
fées, Shirley, Belle au Bois Dormant, profère «mon prince arrive»,
et les chiffres magiques (3,7), les marques (tatouages, repères
gravés) révèlent aux personnages des signes symboliques éclairant leur avenir. Les femmes - la «ramancheuse», Eléonore la
morte, Shirley - adjuvants des héros égarés, prononcent des
injonctions protectrices assurant le succès des épreuves, pratiquent la voyance, délivrent des talismans. A la figure positive de
la sorcière fait pendant le défoulement de la gang évoluant en
mascarade carnavalesque et fête des fous.
La face obscure de la magie se dévoile certaines nuits de lune
propices à l’éveil des forces occultes convoquées par la gang : ses
membres deviennent ogres, monstres, loups-garous, vampires,
fantômes, cannibales, nécrophiles, venus des peuples du Nord, et
qui aujourd’hui imprègnent la culture populaire nord-américaine
en flattant le goût de l’irrationnel né de l’anomie des sociétés
Le christianisme
modernes.
Pour des raisons historiques, le lexique québécois est truffé de
références chrétiennes (toponymie, jurons). Mais Cendres de Cailloux
comporte en outre son propre vocabulaire religieux. Coco, mort, à
l’avant-dernière page, peut ainsi conclure : «tu es cendres et tu
retourneras en poussière.»
Si Pascale est agneau étymologiquement et symboliquement,
Shirley, d’âge christique, femme primordiale pour la gang et
Clermont, devient vierge, apparue en mai, pour lui seul. Dans le
jardin des délices de leur idylle naissante, elle est l’Eve d’un
Clermont adamique. Celui-ci revit le calvaire du Christ : sa souf-
Daniel Danis
8
CENDRES DE CAILLOUX
france intrinsèque culmine dans un Chemin de Croix où la bande l’humilie, l’attache, le souille, le
blesse. Il vit la Passion dans la pseudo-mort de Shirley, et la Résurrection trois jours plus tard, pour
disparaître aussitôt par le passage à l’autre monde qu’est l’autisme.
Le thème de la nouvelle vie, autre vie, deuxième peau, réincarnation imprègne le texte d’une
religiosité diffuse, de même que la présence des signes de croyance que sont bain d’eau lustrale,
prière, médaille miraculeuse.
Diabolique et blasphémateur : «au nom de Dédé, du fils Coco et du Saint Flagos, amen de
Grenouille», Coco enfin assume le rôle faustien et exige de Shirley le paiement de la promesse.
"Le Jardin des Délices" de Bosch (extrait)
9
création logomotive
Pour ne pas en finir
«Je donne mon texte à un arbre qui pousse dans le milieu d’une
rivière». Daniel Danis (Daniel l’animiste ?) par sa «danse d’écriture»
(E. Durif) explore un univers où se rencontrent indianité, chamanisme alasko-sibérien, légendes nordiques, fureur "bersek", expressionnisme scandinave. La poursuite de tels mythes ne peut
que s’accompagner d’une conscience malheureuse témoin d’un
impossible retour à l’innocence et spectatrice d’une déliquescence
des rapports sociaux.
Pascale
Elle m'a parlé en prenant ma voix :
"Pascale, un jour tu te sentiras forte.
Tu iras dans un champ
tu arracheras le ciel
le traîneras dans la rivière.
Tu iras ensuite aux montagnes
les jetteras dans la boue.
Ensuite
tu déchireras la terre avec tes dents.
Epuisée de fatigue
couchée dans le rien
tu feras ton nid.
Tranquille.
Tranquille."
Danis écrit un théâtre politique non dans son acception triviale
mais dans le constat aigu d’une époque où «la ville morte» sent la
pourriture et la décomposition. Coco rebelle, désenchanté, constate : «on est pas né dans une bonne période. Y a jamais de bonnes
périodes.» Puis il met en scène son suicide par une dernière
réplique lucide :
«La planète est en train de vivre
un mauvais quart d’heure.
Tiens bon, Coco
les temps nouveaux arrivent.
C’est toujours comme ça dans les fins de siècle.»
Si Félix Leclerc et Gilles Vigneault ont chanté l’immensité
hivernale du Québec, ses habitants, eux, cherchent leur identité
comme Coco, révolté sans projet :
«J’ai de la haine pour un pays
qui en finit plus
d’être jamais un pays»
En fin de compte/conte, Coco assume la parole contemporaine.
«Je cherche un rêve
un rêve que je pourrais m’inventer
une fois pour toutes»
Daniel Danis
Cendres de Cailloux
Daniel Danis
«moi j’ai cherché quelqu’un
qui soit comme un ange
au milieu de ce bordel»
Bernard-Marie Koltès
La nuit juste avant les forêts
10
CENDRES DE CAILLOUX
LEXIQUE QUEBECOIS
Source : BERGERON Léandre. Dictionnaire de la langue québécoise, VLB éditeur, Montréal, 1980.
DULONG Gaston (sous la direction de), Dictionnaire des canadianismes, Larousse.
achaler : agacer, contrarier
minoune (une) : un vieux tacot
agace-pissette (une) : une femme qui taquine sexuellement
moulée (la) : la mouture, le grain moulu pour les animaux
arena (une) : un amphithéâtre couvert pour les sports
d’hiver
moumoune (une) : une personne efféminée
baptistaire (un) : des papiers d’identité
niaiseux : niais, qui perd son temps à des riens
baveux (un) : une personne qui importune
pantoute : pas du tout
bécosses (les) : toilettes extérieures rudimentaires
par après : ensuite
blé d’Inde : du maïs
pareil : quand même
niaisage : imbécilité (ici), perte de temps
bobettes (des) : des petites culottes
party (un) : une soirée entre amis pour s’amuser
boucane (une) : un nuage de poussière
peté : extraordinaire
brasser : secouer, remuer, agiter
broue (la) : la mousse (de la bière)
pitoune, pitoune de drave (une) : une bille de bois de
flottage
câlice : juron
plat, platte : pas drôle, ennuyeux
carcajou (un) : blaireau d'Amérique
pogné(e) : étonné, saisi
CEGEP (le) : le collège d’enseignement général et professionnel
pogner : prendre
char (un) : une voiture
quétainerie (une) : chose, objet, action quétaines
chum (un) : petit ami, (petit) copain
ramancheuse (une) : une rebouteuse
coco (le) : la tête
crise de cassage (une) : une crise de rage
rang (un) : groupe de lopins dans une municipalité rurale
identifié par un numéro ou un nom propre. (vivre dans les
rangs : loin du village, à la campagne)
crisse : juron (vient de Christ)
s’encouverter : se blottir sous les couvertures
crisser : donner, foutre
sacrer patience : ficher la paix
crotte (une) : un malheur, un imprévu (crotte ! juron)
sacrer le camp : ficher le camp
décrisser : partir, décamper
senteux (un) : un curieux
deux et demi (un) : un appartement (type F2)
set carré (un) : danse traditionnelle, figure de quadrille
écoeuranterie (une) : une saloperie
ski-doo (un) : une motoneige
écoeurer : fatiguer, importuner
solage (le) : les fondations d’un édifice
écornifleux (un) : un curieux
tabarnaque : tabernacle (juron)
étriver : taquiner, agacer
ti-cul : petit bonhomme
faire le nono : faire l’imbécile, le clown
troller : flirter, draguer
fouille-moé : cherche donc !
virailler : tourner de ci de là
cramper : braquer, faire tourner, tordre / avoir une érection
quétaine : démodé, ringard
frette : froid
fucké(e) : perdu(e), brisé(e)
G.R.C. (la) : la Gendarmerie Royale du Canada
gang (la) : la bande (de copains)
garrocher : lancer, balancer
hostie : juron
11
création logomotive
CREATION
du 12 au 23 mars 1996
Théâtre Maxime Gorki / Scène nationale de Petit-Quevilly
TOURNEE 1996/1997
22, 23 et 24 octobre 1996 à 20h30
Théâtre de l'Echangeur à Bagnolet
01 43 62 71 20
12, 13 et 14 décembre 1996 à 20h30
Les Bains Douches à Elbeuf
02 35 78 46 70
1er février 1997 à 20h30
Espace Philippe Auguste à Vernon
02 32 64 53 16
le 27 mars 1997 à 20h30
Les Vikings à Yvetôt
02 35 56 46 51
LOGOMOTIVE THEATRE
La direction artistique de la compagnie est assurée par Rosemary Fournier et JeanPaul Viot, tous deux comédiens et metteurs en scène de formation. La troupe est
professionnelle depuis 1977.
Elle est subventionnée par
Le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC de Haute-Normandie
Le Conseil Régional de Haute-Normandie
La ville d’Elbeuf sur Seine dans le cadre d’une convention triennale.
La compagnie présente régulièrement ses spectacles en France et à l’étranger. Elle
est installée depuis 1981 à Elbeuf sur Seine où elle partage aujourd'hui avec le
centre de formation du Théâtre des 2 Rives les locaux de l'école régionale de
théâtre (Les Bains Douches).
Tout en axant principalement son travail de création sur le répertoire contemporain, la compagnie Logomotive Théâtre a su développer une identité originale
notamment en interrogeant une pluralité de formes théâtrales (théâtre Nô avec
Shiro Daïmon, Odin teatret au Danemark) et en tissant des liens avec des
compagnies étrangères. Au carrefour d'influences artistiques venues de l'orient et
de l'occident, la compagnie aime appréhender le travail de création dans sa
dimension visuelle, sonore et poétique.
Répertoire contemporain
Derniers chagrins D’après Franz KAKFKA
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1986
du 2 au 8 avril 1997
Théâtre des Deux Rives à Rouen
02 35 70 22 82
10 avril 1997 à 20h30
Théâtre de Lisieux à Lisieux
02 31 61 12 13
Little Palace -Cabaret fantastique-d’après des textes de B. BRECHT
Mise en scène de Jean-Paul VIOT, créé en 1989
La nuit juste avant les forêts de Bernard Marie KOLTES
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1991
Fragments Textes de Samuel BECKETT
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1992
Quartett de Heiner MULLER, Mise en scène de Jean-Paul VIOT, créé en 1995
TOURNEE 1997/1998
27 et 28 janvier 1998
Le petit théâtre au Havre
02 35 19 45 64
Cendres de cailloux de Daniel Danis
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1996
Combat de nègre et de chiens de Bernard Marie KOLTES
Mise en scène Jean-Paul VIOT, créé en 1997
Les Silences de Monsieur Tarwitz de Patrick LERCH
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1998
3 février 1998
Théâtre de Cherbourg à Cherbourg
02 33 88 55 50
Le pont de pierres et la peau d'images de Daniel Danis
Mise en scène Rosemary Fournier, Gisèle Gréau et Jean-Paul Viot, créé en 1999
Autres répertoires abordés
TOURNEE 1998/1999
Woyzeck d’après G. BUCHNER Mise en scène J.-J. MAUFRAS, créé en 1980
La chevelure d’après les contes fantastiques de Guy de MAUPASSANT
18 mai 1999
Scène nationale d'Alençon-Flers
02 33 29 16 96
Daniel Danis
Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1985
Oedipe Roi de SOPHOCLE, Mise en scène Rosemary FOURNIER, créé en 1994
12
CENDRES DE CAILLOUX
SOMMAIRE
13
BIOGRAPHIE DE DANIEL DANIS
1
DANIEL DANIS .. D ... DOUBLÉ
2
CENDRES DE CAILLOUX OU LE CANTIQUE DES CORPS
3
UNE TRAGÉDIE "ANTIQUE"
5
A CORPS ET À CRIS
5
Corps/Animalité
5
Corps/Sexualité
6
Corps/Mythologies
7
Animisme et chamanisme
7
Paganisme antique
7
Les légendes européennes
8
Le christianisme
8
POUR NE PAS EN FINIR
10
LEXIQUE QUÉBÉCOIS
11
création logomotive
DOSSIER REALISE
par
Marie Galhaut
Bertrand Gebir
avec la collaboration de
Rosemary Fournier
Sophie Rousselet
CONTACT
Sophie Rousselet
SOMMAIRE DES ILLUSTRATIONS
"LE POINT SUR LE I" DE SCHWITTERS
2
"MASQUES SE DISPUTANT UN PENDU" DE ENSOR
3
"CENDRES" DE MUNCH
3
"LA MORT DANS LA CHAMBRE DU MALADE" DE MUNCH
4
"ST GEORGES TUANT LE DRAGON" DE ALTDORFER
6
"L'INTRIGUE" DE ENSOR
7
"LE JARDIN DES DÉLICES" DE BOSCH (extrait)
9
tél : 02 35 78 46 70
fax : 02 35 78 43 66
Logomotive Théâtre
17 rue Chennevière
76500 Elbeuf sur Seine
e.mail : jpviot.club-internet.fr
Daniel Danis
14