Intégrez votre image à vos continuation bets

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Intégrez votre image à vos continuation bets
LP59p72-75_Technique-Sharp:LP3 AR pas si simple 22/08/12 20:17 Page72
TECHNIQUE
PAR SHARP
COACH SUR POKER-ACADEMIE.COM
STRATÉGIE POST-FLOP
Intégrez votre image
à vos continuation bets
La mise de continuation est l’une des actions les plus fréquentes au poker, il est donc essentiel de bien
en maîtriser l’usage. Elle est également, du moins en surface, l’une des plus simples à mettre en œuvre.
Et pourtant… Sharp vous emmène au-delà des apparences et des bases du c-bet pour introduire un système
plus complexe intégrant notre image à la table. Après ça, vous ne verrez plus le continuation bet comme avant.
L
a mise de continuation, ou c-bet
en langage simplifié, est l’action
de miser au flop après avoir
gagné la bataille des enchères
pré-flop. C’est une phase de jeu
presque automatique en Limit, qui permet
à l’attaquant de protéger sa range tout en
définissant un peu mieux celle du défenseur.
C’est également une arme redoutable en No
Limit. Il est très difficile pour le défenseur de
suivre cette enchère à une fréquence élevée.
Ce qui rend, dans bien des cas, profitable
pour l’attaquant de miser quelles que
soient ses cartes.
Ainsi, nous sommes en NL100, aux blindes
0,5 €/1 €. Michel ouvre au bouton à 3 et
Claude défend sa petite blinde. La grosse
blinde abandonne le coup. Au flop, il y a
donc 7 au pot. Supposons que
Michel n’ait aucune chance de
remporter le showdown : à
quelle fréquence Claude doit-il
alors abandonner pour rendre
le c-bet profitable ? En fait, ce
résultat varie selon la taille de la
mise, généralement comprise
entre la moitié et la taille du pot. Faisons le
calcul pour une mise de continuation
standard de 5 € (soit x la fréquence
d’abandon) : Claude ne jette pas ses cartes
à une fréquence de (1 - x)%. Autrement
dit, Michel gagne 7 à une fréquence de x%,
POURCENTAGE D’ABANDON REQUIS
EN FONCTION DE LA TAILLE DE LA MISE
Taille de la mise
Pourcentage d’abandon
requis pour un bluff pur
1/2 pot = 3,5
33%
et en perd 5 à la fréquence (1 - x)%. Savoir
si un c-bet est profitable revient donc à
résoudre l’équation suivante : 7x - (1 - x)5
> 0, soit 12x - 5 > 0, soit x > 5/12 = 41,6%
(voir tableau ci-contre).
Et c’est à supposer que Michel ne gagne
jamais lorsqu’il est payé, ce qui est loin
d’être le cas. Il aura également le jeu max
dans sa range ou, s’il est payé, la possibilité
2/3 pot = 4,66
40%
72 LivePoker
Pot = 7
50%
six mains sur dix hors de position et cela
reste même très difficile en position. Si le
défenseur ne veut pas être exploité, il lui faut
donc resserrer sa range de défense passive
pré-flop. Un bon moyen est de basculer une
partie de celle-ci dans sa range de 3-bet.
AVEC PARCIMONIE
Même si, dans l’absolu, une mise de continuation est profitable, un attaquant
qui agit ainsi à une fréquence
de 100% devient à son tour
exploitable. Sa range contient
alors trop de bluffs. En position,
le défenseur peut suivre avec
l’intégralité de la sienne et
attendre l’heure de vérité au
turn ou à la river. Un joueur qui mise
l’intégralité de sa range, quel que soit le
board et sur tous les tours d’enchères,
ne fait pas long feu à une table. Hors de
position, c’est plus difficile, mais le défenseur
peut piéger l’attaquant en payant avec une
range forte pré-flop et en planifiant un
« Si vous êtes perdant,
rneront sur
vos adversaires s’acha
de hyènes
vous comme une meute
e. »
sur une antilope blessé
d’améliorer sa main ou de bluffer au turn
ou à la river. Par conséquent, Claude doit
défendre à des fréquences encore plus élevées
s’il ne veut pas que Michel puisse miser
profitablement l’intégralité de sa range.
Il est pratiquement impossible de défendre
3/4 pot = 5,25
42,9%
check/raise, car il sait que l’attaquant
effectuera un c-bet automatique au flop.
L’élément principal pour ajuster sa fréquence
de c-bet est donc la texture du board. Cette
dernière définit la dangerosité d’un flop:
plus les possibilités de combinaisons sont
élevées plus on dira que la texture est riche
ou mouillée, tandis qu’on parlera dans le cas
contraire d’une texture pauvre ou sèche. Les
chances de succès d’une mise de continuation
dépendent d’ailleurs grandement des trois
premières cartes. Pour classifier les flops, les
trois facteurs déterminants sont, par ordre
d’importance, les suivants…
• La connectivité
Un tableau est connecté si les cartes qui le
composent sont de rangs proches mais différents. 678 est très connecté, TTT ou K72 ne
le sont pas du tout. Plus la connectivité est
forte, plus les combinaisons de quinte ou de
tirage quinte sont nombreuses.
• La hauteur
Les flops à hauteur As ou Roi sont à l’avantage de l’attaquant. Ils impactent plus
fortement sa range et donnent très peu
d’espoir d’amélioration à la défense. Les
flops avec trois cartes moyennes avantagent
la défense. Les flops avec trois petites cartes
n’impactent aucun des joueurs. L’attaquant
conserve l’avantage, car il a toutes les grosses
paires dans sa range de départ.
• La coloration
Les flops unis et bicolores offrent plus de
possibilité à la défense qu’un flop tricolore.
En jouant sur ces trois facteurs, on peut
déterminer les fréquences idéales de mise
de continuation (voir tableau ci-contre).
Photos : Hugues Fournaise
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Retranchez 20% à ces fréquences si vous êtes
hors de position.
LA VIE NE S’ARRÊTE PAS
AU FLOP
Tous les flops ne se valent pas. Face à un
adversaire têtu, certaines textures demandent
de doubler, voire tripler, la mise sur les tours
d’enchères suivants. Cette fois encore, nous
sommes en NL100. Nous ouvrons à 3 en
milieu de parole avec K♠Q♠. La grosse blinde
défend, il y a 6,5 au pot. Flop : 9♠2♦2♥. Le
tableau préconise de 80 à 100% de c-bet, et
c’est effectivement une texture excellente
pour une mise. L’adversaire a très peu de
Deux dans sa range et, à moins qu’il n’ait 99,
il ne peut tenir la pression face à nos potentielles grosses paires.
Le c-bet devrait suffire à faire coucher les
hauteurs As qui nous battent, et les consécutives assorties qui ont de l’équité dans le pot.
Cependant, face à de nombreux profils,
miser sur un seul tour d’enchères est une
proposition perdante. Avec, par exemple 44,
nombreux sont les joueurs qui vont payer
une fois, “pour voir” et parce qu’ils pensent
être assez en avance sur la range adverse. Si
vous abandonnez le combat trop tôt, vous
justifiez a posteriori cette ligne. Au turn, je
continuerai à miser toutes les cartes supé-
LES FRÉQUENCES IDÉALES DE MISE DE CONTINUATION
Connectivité
Hauteur et couleur
Faible
Faible
A, K ou inférieure à 7. Bicolore ou tricolore
Q, J, T. Tricolore. K ou A plus connectés
et/ou bicolore
De 7 à Q plus connectés ou bicolore. Hauteur K
ou A connectés et bicolore ou monocolore
De 7 à Q connectés et/ou bicolore
De 7 à Q connectés et bicolore ou monocolore
Moyenne
Forte
Forte
Fréquence de c-bet en position
Exemples
80/100%
60/80%
2♠2♣T♥, K♣8♠6♦, A♠9♠3♣
J♠9♥2♣, A♥Q♥9♦, 2♦4♠6♣
40/60%
Q♠T♥8♣, T♦9♣6♠, K♦Q♣4♦
20/40%
0/20%
Q♠T♠8♣, 5♠6♦8♣
6♠7♠8♠, 9♣T♣J♥
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TECHNIQUE
rieures au Neuf, en plus des piques qui nous
ouvrent le chemin de la couleur.
Ce serait différent sur un flop A♠8♦3♣.
Si l’adversaire paye la mise de continuation,
il a très souvent un As et il est plus délicat de
faire coucher top paire. À moins d’améliorer
ou d’avoir une lecture solide, j’abandonnerais
ici le combat.
ACCORDER SA FRÉQUENCE
DE C-BET À SON IMAGE
Il y a des jours où tout ce que l’on entreprend
réussit, où nos mises sont par exemple
respectées. À l’opposé, il y en a d’autres où
rien ne marche. On a l’impression que le
reste de la table s’acharne contre nous. Tout
ce que l’on tente est voué à l’échec. Cela
s’explique en grande partie par la chance,
mais le hasard n’explique pas tout. Le poker
est avant tout un jeu interactif. Un même
adversaire ne jouera pas tous les jours de
façon identique. Il s’adapte notamment à
notre image, la façon dont nos rivaux nous
perçoivent. On dira que l’image est bonne si
l’on est considéré comme un joueur solide
ayant plus que de raison une main légitime
lorsqu’il s’engage dans un coup. Et comme
dans la vie, nous ne maîtrisons pas l’image
que nous projetons. Essayons donc de trouver
des critères objectifs pour
mesurer notre image à la
table. Ils sont, selon moi, et
par ordre d’importance…
• Les résultats sur la session
C’est l’élément déterminant
en live et qui reste très
important même sur le Net.
La façon dont vous êtes
perdant ou gagnant importe peu. C’est
irrationnel, seul compte le résultat. Votre
paire d’As a été craquée trois fois de rang à
la river : votre adversaire se convaincra que
vous êtes en tilt et que vous voulez vous
refaire, ou que c’est votre jour de malchance
et que vous êtes bon à prendre. Si au
contraire vous avez monté une pile de
jetons en faisant n’importe quoi, ils se
diront qu’ils font peut-être face au nouveau
durrrr, qu’il est impossible de vous bluffer,
et ils attendront le jeu max pour vous
contrer. Une table de poker, c’est la jungle.
Si vous êtes gagnant, vous êtes un tigre et
inspirez la crainte. Si vous êtes perdant, vos
adversaires s’acharneront sur vous comme
une meute de hyènes sur une antilope blessée.
Notez ainsi votre image entre -3 points
(énorme perdant) et +3 points (vous marchez
sur la table). Sur le Net, ne prenez en compte
que les résultats à la table en question et
notez votre performance entre -2 et +2.
• La fréquence de jeu
Ce paramètre est plus important en ligne,
où beaucoup de joueurs disposent de
trackers affichant les pourcentages suivant
lesquels leurs adversaires s’impliquent dans
les pots. Mais même un joueur peu
observateur saura faire la différence entre
untel qui joue huit coups sur dix et tel autre
qui n’a pas vu un flop depuis une heure. En
cas de décision marginale, il fera plus naturellement confiance au second. En live, les
jugements se font sur des échantillons
beaucoup plus faibles. Si vous avez joué
cinq mains durant la première orbite,
montrer ses cartes après un bluff réussi
heurtent l’ego de la victime. Cet adversaire
aura à cœur de vous rendre la pareille, quitte
à prendre des lignes qui perdent un peu ou
beaucoup en équité. Dégradez un peu votre
image afin de prendre en compte ce facteur.
Retranchez ainsi 1 point, 2 si vous êtes
certain qu’il vous déteste.
• L’historique et votre réputation
Si vous êtes un régulier, une demi-heure sans
jouer un coup n’effacera pas votre réputation de flambeur ou de bluffeur invétéré.
Méfiez-vous doublement sur Internet : un
adversaire peut disposer de vos statistiques
sur des centaines de mains, même si c’est la
première fois que vous le croisez. Modifiez à
nouveau votre image de +/-1 point.
• L’âge et le look
S’il n’y a que des inconnus à la table, ils vous
jugeront selon votre apparence. Un jeune à
capuche aura une image moins bonne qu’un
vieil homme digne. Les Asiatiques sont
perçus plus flambeurs, les femmes plus
sérieuses. Chaque détail compte, le prix de
votre montre ou de vos chaussures est une
indication pour savoir si vous vous êtes assis
pour passer du bon temps ou pour faire de
l’argent. Même en ligne,
la photo d’un caniche en
avatar n’enverra pas la
même image que celle
d’un requin. Ces critères
sont plus subjectifs et
l’on n’est jamais certain
de la perception d’un
inconnu. S’il a passé la
nuit à la table de Vanessa Selbst et Annette
Obrestad, votre rival ne pensera pas
forcément que les femmes ont un jeu serré.
Attribuez ainsi 0,5 point à ces critères.
En compilant ces éléments, il est donc possible
d’atteindre +7 ou -8, 1 point correspondant
à 10% d’ajustement de notre fréquence
de c-bet.
Par exemple, nous sommes nouveaux venus
dans un casino, assis avec 1000 € à une 500,
la table de
« S’il a passé la nuit à
tte Obrestad,
Vanessa Selbst et Anne
pas forcément que
votre rival ne pensera
serré. »
les femmes ont un jeu
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qu’importe que ce soit justifié ou non
– votre adversaire ne connaît pas vos cartes –,
il vous cataloguera comme un joueur large
tant que vous ne lui aurez pas prouvé le
contraire. Faite ainsi varier le score de votre
image entre -2 (Gus Hansen) et +2 (Rocher
de Gibraltar) selon ces critères.
• La rancune personnelle
Gagner un gros pot contre un joueur ou
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soit le montant minimum. Les blindes sont
de 2 €/5 €. Sans avoir encore joué un coup
après deux orbites, nous trouvons A♠J♠ au
cut-off. Deux joueurs complètent, et nous
les isolons avec une relance à 22. Un seul
paye et nous abordons le flop en tête à tête.
Le flop est Q♦T♠4♦, il y a 56 au pot, et le
défenseur checke. Ce flop n’est pas particulièrement favorable à l’attaquant : bicolore,
hauteur Dame et moyennement connecté.
La texture vaut 40 à 60%. On peut ajouter
20% pour notre image sérieuse, qui rend
une mise beaucoup plus profitable. La
bonne fréquence de c-bet est donc autour de
70%. S’il nous paye, notre main a des possi-
bilités d’amélioration. Nous pouvons faire
paire d’As ou de Valets, quinte en ventrale ou
couleur en backdoor. On ne regrettera pas
alors d’avoir mis de l’argent au flop. En
allant à l’abattage, sans amélioration, nous
risquons de perdre contre une petite paire
qui ne peut pas suivre une mise au flop.
Ces arguments font pencher la balance.
Nous misons 37 et remportons le pot.
FACE À PLUSIEURS
ADVERSAIRES
D’après mon expérience, il n’est pas utile de
modifier nos fréquences de c-bet lorsque
nous passons d’un à deux adversaires.
Les probabilités de faire face à un gros jeu
ne sont pas significativement renforcées.
Cette configuration présente également des
avantages. En misant face à deux joueurs,
nous représentons plus de force. Le joueur
au milieu est plus ou moins forcé de jouer
en ligne. Il doit maintenant également se
méfier du troisième concurrent dans le
coup. Et généralement, le dernier défenseur
ne s’accroche pas plus fréquemment au pot
que s’il était en tête à tête.
En revanche, dès lors que quatre joueurs ou
plus voient un flop, le Hold’em devient
essentiellement un jeu de showdown. La
menace de faire face à un gros jeu devient
réelle. Il n’est plus question de miser top
paire pour valeur sur trois tours d’enchères.
Une mise au flop représente une range
beaucoup plus forte et moins large. Nous
devons alors réduire drastiquement notre
fréquence de c-bet. Diminuez-la donc de
30% si vous faites face à trois adversaires et
de 10% par joueur supplémentaire.
Ainsi, en live, toujours à une 500, notre
tapis de départ est de 700 €. Un régulier
ouvre à 20 en premier de parole. Trois
concurrents au style large et passif entrent
dans le coup. Nous défendons de grosse
blinde avec 8♠8♣. Le flop est 9♠8♥4♥, il y
a 102 au pot. Si le premier relanceur est
adepte du c-bet automatique, c’est la situation idéale pour un check/raise. En laissant
l’opportunité aux défenseurs de suivre la
mise de continuation, nous pouvons
espérer piéger beaucoup d’argent au milieu
avant de ramasser le pot en faisant tapis. Si
le régulier est compétent, il va rarement
c-bet avec quatre joueurs et une texture
aussi défavorable. Les autres ont un style
passif et on ne peut guère compter sur eux
pour miser et nous redonner la main.
Beaucoup de cartes au turn peuvent tuer
l’action et dévaluent la force de notre
brelan : un Sept, un Dix ou un cœur. La
meilleure ligne est alors de prendre l’initiative et de miser nous-mêmes. ■
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