CM3_4reluGH_INTERVIEW LDE Raphael Mailharrou

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CM3_4reluGH_INTERVIEW LDE Raphael Mailharrou
INTERVIEW LDE Raphaël MAILHARROU
SP : Raphaël, peux-tu dans un premier temps te présenter ?
RM : Je m’appelle Raphaël Mailharrou, je suis éducateur sportif au sein du Nautic Club Alpes 38, une
structure natation importante basée sur l’agglomération grenobloise. Je suis ancien triathlète et ai
participé au circuit de division 1. C’était il y a 15 ans, et le niveau de la D1 était moins élevé. J’ai passé
mon BEESAN 1er degré il y a 12 ans, puis j’ai commencé par entraîner des groupes avenirs / poussins.
Je suis ensuite monté sur les benjamins, et actuellement les espoirs (ndlr : minime à cadets 2ème
année).
SP : Comment as-tu découvert le triathlon et comment as-tu commencé à entraîner ?
RM : Je me suis mis au triathlon à l’âge de 17/18 ans. C’est venu comme ça, c’était plus un défi sur un
triathlon découverte sur Annecy entre amis et ça m’a bien plu. Je m’y suis donc intéressé de plus
près, j’ai fait des études de STAPS sur Grenoble et j’ai continué avec Echirolles Triathlon pendant 3
ans à un niveau régional. En tant qu’entraîneur de natation j’ai remarqué que certains nageurs
avaient des aptitudes pour courir vite. En début de saison, nous faisions avec d’autres entraîneurs un
travail important de condition physique, avec pas mal de course à pied et des sports collectifs. De fil
en aiguille nous avons invité certains nageurs à participer à des cross (cross des collèges et des
lycées) qu’ils ont vite réussi à remporter grâce à leur condition physique. Puis j’ai repéré 2 ou 3
nageurs qui avaient également des aptitudes pour faire du VTT, du ski de fond. Cela remonte à 6 ou 7
ans maintenant.
SP : En 2013, le groupe dont tu t’occupes connait pas mal de réussite avec 3 sélectionnés en équipe de
France junior (Dorian CONINX, Margot GARABEDIAN et Lucas JACOLIN). Peux-tu nous raconter
comment ce noyau s’est formé autour de toi ?
RM : Historiquement ces 3 sportifs ont été formés dans le même club de natation (le NC Echirolles). Il
y a eu ensuite une fusion avec le GMUC Grenoble, ce qui a donné la structure actuelle dans laquelle
je travaille. Ils ont grosso modo le même parcours, avec pour commencer beaucoup de ski de fond,
de randonnée, de VTT, beaucoup de condition physique. Ceci est un point commun à tous les 3. Ils
sont ensuite sortis du lot car ils ont continué à s’intéresser à tout ce qui gravitait autour de la
natation. Ce n’était pas donné à tout le monde, non seulement d’avoir ces aptitudes physiques et en
plus la motivation de faire autre chose à côté puisque l’entraînement en natation était déjà assez
conséquent en termes de volume. Leur force vient donc d’un mélange entre ce qui est inné, mais
aussi ce qui a été acquis avec beaucoup de travail dans le temps. Nous avons continué à développer
tout cela avec un autre entraîneur au club de natation qui travaille avec moi sur les minimes et plus.
Cependant certains points pourraient être améliorés comme les conditions d’entraînement. De
temps en temps ils doivent nager avec le public, courir la nuit à la frontale car il n’y a pas beaucoup
de terrains éclairés le soir à Grenoble. D’un autre côté on peut aussi penser que ces conditions
certaines fois difficiles les rendent mentalement plus forts, et plus engagés.
SP : Quand as-tu commencé à entraîner Dorian ? Parle-nous de cette rencontre et de votre parcours.
RM : Dorian a aujourd’hui 20 ans, et j’ai commencé à l’entraîner très jeune lorsqu’il est arrivé au club
de natation il y a 11 ou 12 ans. Je l’ai suivi pendant 2 ans en avenir, puis 2 ans en poussin et 2 ans en
benjamin. Le travail de condition physique a déjà débuté à cette époque. Il courait très
régulièrement, chose que l’on voit encore rarement dans les clubs de natation. La relation remonte
donc à longtemps. Je me souviens d’une anecdote datant des années benjamin, où lors d’une
compétition je lui faisais des signes au bord du bassin pour l’encourager… jusqu’au moment où il
s’est s’arrêté pour me demander ce que je voulais lui dire.
En minime, il a changé d’entraîneur pendant 2 ans, puis le groupe a éclaté. J’ai à nouveau entraîné
Dorian à ce moment-là pour préparer les championnats de France. En cadet 1ère année il y a eu fusion
des clubs, il a intégré le groupe élite et cela ne s’est pas très bien passé avec les entraîneurs de son
groupe et les dirigeants.
SP : Sur cette période de « natation », quelle fut sa progression, en termes de charges d’entraînement,
de chrono ? Le projet d’entraînement fort en natation commence à partir de quand ?
RM : en 1ère année benjamin il nageait 4 fois par semaine, en 2ème année, 5 fois. En minime, 6 séances
la 1ère année et 7 la 2ème. Il a participé au trophée Lucien Zins (l’équivalent du championnat de France)
en benjamin, puis il a participé aux championnats de France minimes en juillet 2009. Il s'est qualifié
sur plusieurs finales A et B en NL et 4N. Sur 400 NL par exemple, il a nagé 4’20’’ en série le matin,
puis il a remporté la finale C en 4’16’’ l’après-midi.
En cadet 1, c’est-à-dire en 2010, il est monté entre 8 et 10 séances hebdomadaires avec le groupe
Elite. A ce moment, il a intégré le meilleur niveau national. C’est à partir de ce moment que le projet
en natation est devenu vraiment fort. Il s'est alors qualifié en finale A sur 200 4N (5ème en 2’13’’) et
400 4N (7ème en 4’41’’) lors des championnats de France cadets.
Je me suis vite rendu compte que c’était un nageur de demi-fond. Il a toujours pris du plaisir à nager
longtemps. Nager 4’16’’ au 400 NL en grand bassin en minime 2ème année aux championnats de
France est déjà une belle référence, et en dehors de la natation il gagnait tous les cross qu’il faisait au
collège.
SP : Comment s’est fait le virage vers le triathlon et qu’est ce qui a déclenché cela ?
RM : Je lui avais dit de venir me voir le jour où il arrêterait son projet natation car je m’étais rendu
compte de ses qualités. Finalement, ce tournant est intervenu plus vite que prévu suite à des
difficultés relationnelles avec ses autres entraîneurs, même s’il avait l’idée de se tourner vers le
triathlon depuis un moment. Il ne prenait plus de plaisir à poursuivre son projet en natation. C'était
en avril 2011.
SP : Dorian a fait une entrée remarquée dans le monde du triathlon en remportant les championnats
de France d’aquathlon cadets en 2010. Puis en 2011, sa 1ère année de triathlon, il termine 3ème des
championnats de Frances cadets de triathlon. Comment expliques-tu cette transition très rapide,
puisqu’en 3 ans de triathlon il devient champion d’Europe et champion du monde junior ?
RM : il est vrai qu’avant de commencer le triathlon, il n’avait strictement aucune référence en
athlétisme sur piste, ou en cross FFA. Cependant, depuis assez longtemps, il était impressionnant en
condition physique. Il avait beaucoup de force, il faisait des extensions impressionnantes sans élan.
Les séances de conditions physiques duraient 1h, voire 1h15, et l’on travaillait aussi bien la ceinture
abdominale que le haut du corps. Aussi il était déterminé et allait vraiment très loin dans l’effort. Je
me souviens de séances d’entraînement par deux vraiment très, très dures sous forme de cross fit.
Margot puis Lucas sont passés par là aussi. Ils faisaient des relais : pendant que l’un courait 2
minutes, l’autre était en corde à sauter ou sautait par-dessus des tables de ping-pong, des bancs, les
filets d’un terrain de tennis. Ce travail était réalisé avant d’entrer dans l’eau.
Aussi pendant les stages de natation, ils nageaient, ils faisaient du ski de fond (certaines fois jusqu’à
30 km) puis ils nageaient à nouveau.
Sa progression rapide est due selon moi à ces bases de préparation physique.
SP : A-t-il une semaine type d’entraînement qui se répète ?
RM : On a passé beaucoup de temps ensemble à l’automne pour définir et mettre en place une
semaine type. C’est un travail commun. Mais aussi un exercice complexe : au final je crois qu’elle n’a
jamais été réalisée une seule fois ! C’est assez révélateur de ce qu’est Dorian, d’où il vient, de son
parcours, de ce qu’il a mis en place pour arriver là où il est aujourd’hui. Il est difficile pour nous de
planifier exactement le jour où il fera telle séance, le jour qui sera « off », etc… Quoiqu'il en soit,
c’est généralement 6 séances natation entre 5 à 6 km et 7 à 8 séances course à pied en alternant
toujours un footing / une VMA courte / une séance qui mixe allure de course et VMA longue. Cette
année il a intégré le vélo beaucoup plus tôt ; il n’a jamais coupé complètement avec le vélo
(minimum 1 sortie par semaine), ce qui n’est pas toujours simple dans notre région !
SP : Qu’en est-il de votre relation entraîneur-athlète ? Comment avez-vous échangé lors du stage de 3
semaines qu’il a effectué en février aux Canaries ? Cela était-il plus compliqué ?
RM : En ce qui concerne notre relation entraîneur/athlète, je la trouve efficace. La communication
est omniprésente, et nous prend beaucoup de temps. Dorian échange de lui-même, il me fait plus de
retours que ce que je lui demande. C’est vraiment agréable et intéressant pour moi, cela me permet
d’adapter le planning au jour le jour si cela est nécessaire, et de peaufiner vraiment ses séances.
En ce qui concerne le stage aux Canaries, il était seul au début pendant 10 jours, puis ensuite il s’est
entraîné avec les norvégiens. Sur cette 2ème partie, le programme d’entraînement proposé par
l’entraîneur norvégien, que j’avais contacté en amont, me convenait. Mais pour moi, au-delà du
contenu, le plus important était l’intention qu’il mettait dans les séances (physiologique, technique,
etc…), et mon rôle était alors de le conseiller et le motiver dans la réalisation des séances. Dans un
fonctionnement comme celui-là la communication est ultra importante : on s’envoyait plusieurs SMS
et mails par jour, on s’appelait tous les 2 ou 3 jours. Cela a permis de réduire la charge lors de la 3ème
semaine lorsque la fatigue était importante. Bref c’est un fonctionnement qui était idéal.
SP : En quelques mots, comment te caractérises-tu, que ferais-tu ressortir dans ta façon d’entraîner ?
RM : En tant qu’entraîneur, ma priorité pour la progression de l’athlète c’est vraiment tenir compte
de leurs attentes, d’être constamment à leur écoute et surtout ne pas les freiner dans leurs
performances.
Les athlètes ne se fixent pas de limites et ça, c’est vraiment en eux. Moi ce qui m’intéresse c’est que
techniquement et physiologiquement, ils puissent aller là où ils le souhaitent à l’entraînement et
qu’ils comprennent l’intérêt d’une progression à l’intérieur d’une séance, de la mise en place d’un
élément technique. Ensuite, je ne suis là ni pour les inciter à repousser leurs limites, ni pour les
« brider ». Ce qui m’importe, quand ils nagent, quand ils roulent ou quand ils courent, c’est ce qu’ils
mettent en place, leur posture, ce genre de choses. Ils se connaissent suffisamment pour ne pas en
faire de trop. C'est aussi une question de confiance. Un bon indicateur de leur évolution au quotidien
réside aussi dans l’apparition de blessures, dans leur état de forme, l’envie au quotidien, le plaisir
d’être compétiteur. Malgré tout cela m’arrive de calmer un peu leurs ardeurs, de les gérer en
fonction des charges qui suivent les jours suivants.
SP : L’entraînement polarisé te parle t-il ?
RM : Nous avons beaucoup échangé avec les 3 et surtout Dorian sur ce sujet. Même si tout n’est pas
planifié, j’ai l’impression que l’on se rapproche beaucoup de l’entraînement polarisé au quotidien.
Alors qu’initialement je voyais ce type d’entraînement comme limitant : il faut travailler à telle
intensité ou telle zone, il faut réduire l’allure, etc… Finalement même si je ne comptabilise pas les
entraînements de cette façon (X% à telle allure, etc…), mais ce que je propose se rapproche de
l'entraînement polarisé, avec des intensités faibles sur de longues durées et une partie de la séance à
des intensités supra-maximales. La preuve est l’évolution qu’ils ont eue sur la période hivernale : ils
sont à l’aise sur des séances rapides, voire très rapides, mais dès qu’il faut tenir des séances dans la
durée, cela devient plus difficile. C’est aussi lié à leur passé et leur bagage d’entraînement.
SP : Comment appréhendez-vous la 1ére saison Elite pour Dorian ?
RM : On est soucieux de réaliser une bonne transition entre les catégories juniors et U23. Je veux lui
faire comprendre qu’il n’y a pas de limites et pas de barrières, les intensités et les volumes sont juste
un peu différents. Nous sommes assez optimistes pour la saison en cours vu comment se sont
déroulés les mois d’hiver. Les objectifs à court terme sont les deux coupes d’Europe de Quarteira et
d’Antalya. Voir ce qu’il est capable de faire sur un 10 km avec cette intention de courir vite. Il peut, je
pense, caler un peu par manque d’expérience, mais après une ou deux étapes, il validera j’en suis sûr
un bon 10 km. En ce qui concerne le plus long terme, nous ne l’évoquons que très rarement avec
Dorian : il préfère valider des étapes, se focaliser sur son niveau de performances, et poursuivre les
saisons les unes après les autres de cette façon. C’est aussi pour lui une façon d’éviter de se mettre
une pression inutile.