18 - Analyse référentielle et archéologique
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18 - Analyse référentielle et archéologique
Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur Ennio Floris La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : Vérité et dignité 1- Vico Orateur 11- La chaire de rhétorique e jeune Vico s’était adonné aux études de latin, moins poussé par un souci professionnel que pour répondre à des exigences profondes de culture. Pour gagner sa vie, il espérait pouvoir entrer dans l’administration, après un concours à un poste de secrétaire communal. Il échoua. Ses brillantes capacités en latin étaient devenues si notoires qu’il avait attiré l’attention de M. Caravita, qui lui Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 1 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur proposa la chaire de rhétorique devenue vacante à la mort de son titulaire1. Sans doute était-ce, dans l’échelle universitaire, la dernière place en dignité et en profit, mais suffisante pour lui permettre sans trop de peine et avec honneur d’entrer dans l’âge adulte. Arriviste, il eût assumé cette fonction avec un certain détachement pour mieux briguer un avancement dans sa carrière. Mais il l’exerçait avec un tel sérieux et un tel empressement qu’il trahissait un penchant naturel pour cette discipline. En effet, la rhétorique correspondait au caractère littéraire des études entreprises, mais elle lui offrait aussi la possibilité d’y associer une réflexion philosophique. En outre, ne possédant pas de limites bien établies, elle s’était toujours située entre la dialectique et la philosophie, tout en offrant une possibilité d’expression aux problèmes linguistiques et esthétiques. Vico n’était pas homme, non plus, à se contenter d’enseigner les formes du langage en négligeant les problèmes de contenu. Ses Institutiones oratoriae – résumé de ses cours – montrent bien qu’il se libérait de temps à autre de la « dictée » 1 J.-B. Vico, Autobiografia, A cura de Fubini, Einaudi, Turin, 1965, p. 28. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 2 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur scolaire pour des divagations à caractère philologique et esthétique. Tout nous porte à croire qu’il se contentait de cette chaire à cause de la marge de liberté qu’elle lui offrait. On doit dire cependant que la liberté qu’il cherchait était ambiguë, parce qu’il voulait exercer une fonction philosophique sous le couvert de l’enseignement rhétorique. Philosophe déguisé en rhétoricien, il a été considéré par beaucoup – même aujourd'hui – comme un rhétoricien qui se voulait philosophe ! L’occasion de mettre en relief ce double rôle lui a été fournie par la coutume qui voulait qu’à un professeur de rhétorique fut confiée d’office la charge de tenir les discours d’ouverture de l’année scolaire. Cet honneur lui était sans doute revenu parce qu’il était le dernier des enseignants, mais aussi le mieux préparé à s’exprimer, selon la coutume, en bon latin. En outre, sa discipline le rendait habile à bien parler sans rien dire. Bien que cette tradition eût été interrompue, Vico l’a reprise avec une intention bien arrêtée. De l’art du discours, il possédait une conception fort différente de celle des rhétoriciens, pour qui le discours ne tenait que dans la forme et dans l’élégance du dire. Pour Vico, au contraire, il était la science intégrale de la parole qui analyse les Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 3 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur formes d’expression, susceptible d’offrir aux hommes l’aptitude à bien dire la réalité. C’est l’art qui fait l’orateur2. C'est pourquoi Vico avait saisi dans ces discours d’ouverture l’occasion la plus propice de passer du rhétorique à l’orateur. Une page de l’autobiographie nous fait connaître l’importance qu’il donnait à cette fonction oratoire. Jetant un regard sur la situation culturelle de son temps, Vico avait remarqué qu’un renouveau, tant dans les études classiques qu’en philosophie et en science, mais non dans l’éloquence, avait bien eu lieu3. En effet – écrit-il – « malgré ces efforts, il aurait été impossible d’entendre ces discours inspirés par la sagesse grecque pour la conduite des mœurs, et par la grandeur romaine pour susciter des passions »4. À quoi bon, alors, enseigner la rhétorique si l’orateur n’a plus de J.-B. Vico, Institutiones oratoriae, Opera, a cura di F. Nicolini, Vol. VIII Versi d’occasio-ne e scritti di scuola, Leterza, Bari, 1941, pp. 159-207. 3 Il s’agit du renouveau culturel suscité par D’Andea et Aulisio, Tommaso Cornelio et Lionardo di Capio, Buragna et Lucentorio Pozzio. Giannone, Storia civile del Regno di Napoli, Giacchetti, Prato, 1865, livre XL, chap. 5, pp. 503-505. Voir aussi : B. Croce, Storia del Regno di Napoli, Laterza, Bari, 1958, pp. 171176. 4 J.-B. Vico, Autobiografia, p. 25. Vico semble vouloir souligner un aspect négatif de la réforme juridique d’Aulisio qui aurait, à son avis, insisté sur la philologie aux dépens de l’éloquence. 2 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 4 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur place ? Vico voulut donc combler le vide en se donnant lui-même comme orateur à l’Université. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 5 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur 12- Rhétorique et éloquence ette vocation oratoire ne fut pas seulement le résultat des circonstances. Elle semble jaillir de l’orientation humaniste des études de J.-B. Vico, centrées sur la latinité cicéronienne. Le De oratore est l’œuvre qui a influé d’une façon décisive sur sa conception de la rhétorique. Ce livre montre bien que Cicéron, traducteur et interprète de la pensée grecque, possédait aussi une authentique originalité. Par lui-même, son titre indique la distance que l’auteur voulut prendre visà-vis de ses maîtres, parce que l’art du dire y est nommé par rapport à la pratique oratoire, et non aux paradigmes du discours. Le dialogue des personnages se fonde sur l’opposition entre la rhétorique et l’éloquence : la première est la discipline formelle du « bien dire », l’autre un carrefour pour toutes les disciplines, aussi étendu que la philosophie elle-même. Son rôle serait de rendre compréhensibles tous ces problèmes que les philosophes abordent dans des cercles restreints. La philosophie fonde son argumentation sur la signification des paroles, l’éloSite de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 6 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur quence s’appuie sur l’intelligibilité de la parole comme acte de communication. L’éloquence, après avoir transformé les formes rhétoriques en langage vivant, offre à la philosophie la possibilité de s’approcher du peuple5. La situation culturelle à l’époque de J.-B. Vico avait des points communs avec le contexte historique du De oratore. Deux tendances dominaient alors les études : l’une, rhétorique, issue du baroque, cherchait la persuasion par les artifices de la parole ; l’autre, cartésienne, visait à convaincre par la réduction à l'évidence. Ainsi deux méthodes se côtoyaient, qui séparaient le penser du dire. Cicéron, De Oratore, Belles lettres, Paris, 1971. On trouvera ces idées éparses tout au long de l’œuvre, rapportées par Crassus, l’un des trois personnages du dialogue. À titre indicatif, je citerai le passage suivant : « Exhortons les enfants... à bien pénétrer la grandeur de cet art. Engageons-les à ne pas se contenter des règles, des maîtres, des exercices dont tout le monde fait usage (il s’agit de la rhétorique)... À mon sens, personne ne saurait devenir un orateur accompli, s’il ne possède tout ce que l’esprit humain a conçu de grand et élevé (omnium rerum magnarum atque artium scientiam assecutus) » Liv. I, V-VI, n. 19-20. Au passage, je dirai que Cicéron a opéré un profond bouleversement qui dépassait les limites de la rhétorique pour affecter l’esthétique, lorsqu’il affirme : « Ce n’est pas l’éloquence qui est née de la rhétorique mais la rhétorique qui est née de l'éloquence. » (De Oratore, I, XXXII, 146) C’est l’affirmation de la primauté de la parole sur la langue, de l’intuition sur la raison. Si l’on jette un regard sur la tradition de la culture italienne de Valla à Vico et de Vico à Croce, il est bien possible de dire que les paroles de Cicéron en indiquent le caractère le plus marquant. 5 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 7 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur L’intention première de la démarche philosophique de Vico sera le dépassement de ce divorce. Mais, pour l’heure, le jeune philosophe n’approfondira pas les raisons de cette rupture. Il comprit, cependant, par la lecture de Cicéron, que l’art de la parole séparé de la philosophie ne pouvait qu’entrer en crise. À ses yeux, en effet, une coupure s’était produite dans le rapport unissant les deux fonctions du langage : la signification et la communication. La parole n’avait plus d’autre but que d’être communicative et d’autre signification que l’effet de sa propre communication, elle avait abandonné l’éloquence pour se confiner dans la rhétorique. En définitive, Vico s’en prenait moins aux cartésiens qu’aux rhétoriciens, auxquels il appartenait cependant. Il soulignait l’impasse dans laquelle se trouvaient la philosophie et la rhétorique : si l’une était, en effet, sans contenu, l’autre était toujours aux prises avec les difficultés liées à la persuasion. Toutes les deux étaient abstraites, impuissantes à se situer au niveau du langage concret des hommes. Vico voulut résoudre le problème dans la perspective où Cicéron lui-même l’avait situé. Chez lui l’art du discours, élevé à la dignité Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 8 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur d’éloquence, se mariait à nouveau à la philosophie, qui devait être comprise par tous lorsque le discours, support de la culture, serait devenu oratoire. C’est pourquoi il voulut être orateur, pour créer un discours où la parole de son temps puisse soutenir de nouveau une pensée, et dans lequel la pensée puisse s’incarner dans la parole du peuple. Il souhaitait aussi convaincre les hommes divisés, particulièrement les jeunes, tiraillés entre la rhétorique et la philosophie, de rechercher cette unité de culture. Son discours devait être un exemple et un appel. Mais quel modèle pouvait-il invoquer pour une telle entreprise ? L’orateur, comme le Crassus du dialogue cicéronien, doit tendre à quelque chose de plus grand que le but offert par l’école6. Vico le trouva dans le projet d’homme de la tradition humaniste, conforme à l’idéal de sagesse des grecs et à la grandeur romaine. 6 Cicéron, De Oratore, I, LXII, 264. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 9 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur 13- Sur le sillage de Pic de la Mirandole armi les œuvres de la Renaissance, celle qui offrait à Vico le portrait d’homme selon cet idéal est le De hominis dignitate de Pic de la Mirandole7. Une page de l’Autobiographie éclaire la raison de ce choix. En 1719, J.-B. Vico avait tenu un discours, aujourd’hui perdu, d’une particulière importance, qui marquait la rencontre entre la conception gnoséologique du De antiquissima italorum sapientia et celle, historico-juridique, du De uno, creuset de la Science nouvelle. À propos de ce discours, il raconte que ses adversaires lui avaient fait un procès d’intention, parce qu’il dépassait en prétention Pic de la Mirandole. En effet, la problématique de ce discours était plus vaste que celle contenue dans ses neuf cents thèses. Face à cette accusation, il ne désarma pas, mais il prit à son compte dans le De uno et dans le De constancia le défi lancé par Pic de la Mirandole aux philosophes de son temps8 (8). Pico della Mirandola, De hominis dignitate – Heptaplus – De ente et uno, A cura di E. Garin, Vallecchi, Florence, 1942. Pour une traduction française du De hominis dignitate, P.-M. Cordier, Jean Pic de la Mirandole, Paris, 1957. 8 J.-B. Vico, Autobiografia, p. 47. 7 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 10 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur La lecture actuelle des discours d’ouverture montre, à l’évidence, que J.-B. Vico s’est servi des thèmes contenus dans le De hominis dignitate bien avant cette date. C’est pourquoi ces discours de circonstance lui permirent, derrière les apparences, de relancer le programme de Pic de la Mirandole. Il mit d’autant plus de conviction qu’il ne pardonnait pas aux Modernes d’avoir relégué dans les bibliothèques des couvents la philosophie de l’Académie florentine de Ficino et de Pic de la Mirandole9. 9 J.-B. Vico, Autobiografia, p. 29. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 11 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur 14- Le message du De hominis dignitate vant de relever au cours de cette étude les différents thèmes du De hominis dignitate, il est utile d’en trouver les lignes maîtresses. C’est un des premiers écrits de cet auteur, mort jeune, qui s’inscrit dans la tradition humaniste et exprime une révolte contre la culture ambiante. Lucide dans son analyse de la société, cette brochure contient un message passionnant – et passionné – par l’idéal et par l’esprit prophétique qui l’animent. Il refuse la séparation entre l’homme et la culture, il condamne la justification des études par le profit, il dénonce le triomphe de la forme sur le contenu, de la rhétorique sur la philosophie : en bref, l’atteinte portée à la dignité de l’homme. La Renaissance commençait à donner les signes d’un profond malaise. Triomphante dans la culture des cours et des élites sociales, elle marquait le pas au seuil des Universités, encore régies par la méthode, l’esprit et la pensée du XII° et du XIII° siècles. Les Universités demeuraient encore envoûtées par l’esprit du Moyen-Âge, alors que l’humanisme, par l’opposition qu’il leur maniSite de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 12 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur festait, était resté à l’écart de ce grand courant de pensée. Lorsque Pic de la Mirandole se rendit à la Sorbonne, il découvrit le vide philosophique et théologique de la culture de la Renaissance. Les humanistes et les théologiens scolastiques s’étaient engagés, en effet, dans des controverses à armes inégales qui ne pouvaient que les épuiser. Ils étaient parvenus à s’enfermer, les uns et les autres, dans un univers formel : les théologiens dans la logique, les humanistes dans la rhétorique. Dans son écrit, Pic de la Mirandole dénonce la division de la culture en elle-même et sa vacuité. Sous le couvert de ses paroles apparaît la conviction que l’idéal de l’humanisme était en danger, et, partant, toute culture. Il aurait été impossible d’atteindre le but des humanistes – d’un Valla ou d’un Coluccio Salutati, d’un Bruno ou d’un Petrarca – sans réaliser aussi une philosophie au sujet de cet homme dont la nouvelle culture tirait son nom10. Le De hominis Mon interprétation met l’accent sur la signification philosophique du texte, mais elle rejoint celle de Garin. « Arrivó a polemizzare à favore della tradizione contro il rinnova-mento, ma per concludere con uno sfozo di conciliazione che salvasse le conquiste del passato, non in quello che avevano di trito, ma in quello cha poteva essere ripreso in un più vivo indirizzo di studi » (E. Garin, Giovanni Pico della Mirandola, Arte grafiche, Parma, 1963, p. 21). 10 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 13 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur dignitate est le manifeste de cet idéal, qui est d’autant plus important que Pic de la Mirandole n’est pas le seul à le proclamer. Au même moment d’autres que lui, comme Ficino ou Valla11, avaient fait la même analyse. Dans cette prise de conscience, l’humanisme s’accomplissait comme culture. Pic de la Mirandole en fut le catalyseur et le prophète. Tout en lançant une savante invitation à un colloque de la pensée, il traça aussi les lignes fondamentales d’une philosophie fondée sur la liberté de l’homme. Au cœur du texte il inscrivit ce mot d’ordre : « Connais-toi toi-même ». Bien que les paroles de cette maxime soient aussi anciennes que la religion grecque, le sens en est nouveau. Ce n’est pas l’appel à la prise de conscience de nos propres limites, comme les textes religieux et toute la tradition pythagoricienne et platonicienne l’interprétaient, mais celle de la méditation cosmique de l’homme. En effet, « qui se connaît lui-même, connaît en soi toutes les choses ». Voir aussi, du même auteur : L’umanesimo italiano, Laterza, Bari, 1958, Chap. III. 11 M. Ficino, Théologie platonicienne de l’im-mortalité de l’âme, par R. Marcel, Belles Lettres, Paris, 1964. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 14 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur L’intuition caractérise la démarche philosophique de l’Académie florentine, qui transpose en l’homme la fonction médiatrice et créatrice reconnue au démiurge par Platon. L’homme est la jonction (copula) de deux mondes – immatériel et matériel –12 unis dans l’œuvre de sa propre création. Ce nouveau démiurge n’était, sans doute, que le portrait idéal brossé par ses architectes, ses sculpteurs, ses peintres, tels que Brunelleschi, Donatello et Masaccio, qui faisaient évoluer les hommes dans des espaces et des volumes, au milieu d’objets créés par l’art. La nouveauté de la philosophie de Ficino et de Pic de la Mirandole relève de l’approche du réel sur l’être à partir de l’œuvre des hommes13. À cet égard, la Renaissance est pour eux l’événement exemplaire. Qu’est-ce que l’homme ? À cette interrogation, les philosophes ont tenté de répondre par la catégorie de la nature. Pic de la Mirandole seul – que je sache – renonce à ce terme. Dans une interprétation imagée et presque théâtrale de la Genèse, il fait intervenir l’homme lors de « Mundi copulam, hymeneum », De hominis dignitate, p. 102. 13 Voir, à ce propos, A. Chastel, Marsilio Ficino et l’art, in Archivo di filosofia, 1933. Pour lui, l’originalité de la pensée ficienne relève du fait qu’elle se fonde sur l’expérience artistique du Quattrocento. 12 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 15 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur l’achèvement de l’univers, qui épuise à ce moment précis tous les archétypes possibles. Mais l’homme peut-il pénétrer sur la scène de l’univers s’il ne lui offre pas une nature ? Certes, il le peut, dans la mesure où il s’approprie la nature des êtres, célestes ou terrestres. En cela, il existe dans un acte de libre choix, son essence étant sa propre existence. Son choix n’est pas décisif seulement pour son existence, mais aussi pour l’univers lui-même, qui sera accompli si l’homme devient esprit, ou inachevé s’il se fait sens. Sa dignité réside dans ce rôle de médiation14. Dieu lui-même ne pourra contempler l’accomplissement de son œuvre que dans celle de l’homme. « Statuit tandem optimus optifes ut cui dare nihil proprium poterat commune esse quidquid privatum singulis fuerat... Definita ceteros natura intra praescriptas a nobis leges. Tu nullis angustiia cohercitus pro tuo arbitrio, in cuius manu te posui, tibi illam preefinies... Neque te coelestem neque terrenum, neque mortalem neque immortalem, decimus, ut tui ipsius quasi arbitrarius plastes et fictor, in quam malueris tute formam effingas » (De hominis dignitate, p. 106). 14 Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 16 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur 15- Les discours d’ouverture orsque Vico se penchait sur le De hominis dignitate, il savait bien que les temps avaient profondément changé. Avec ses contemporains, il considérait son siècle comme une ère de lumière (lumi). Cependant il s’était senti attiré par le message pichien, jusqu’à en devenir l’interprète pour son temps, parce qu’il trouvait une continuité entre cette culture et celle du Quattrocento. Il en voyait les indices dans la consommation du divorce entre philosophie et rhétorique, qui n’avait fait que commencer au temps de Pic de la Mirandole. En lui offrant l’idéal de l’humanisme, le De hominis dignitate servit de thème à ses discours qui ne furent que prolongement, approfondissement, adaptation et variation des thèmes contenus dans l’écrit du grand humaniste. Ainsi le colloque que Pic de la Mirandole avait tenté d’organiser pour la paix parmi les philosophes semble avoir lieu deux siècles plus tard dans ses discours, qui en reprennent le programme. Je pense, certes, avec E. Garin que le De hominis dignitate a, dans l’histoire de la philosophie, une place aux côtés du Discours de la méthode de Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 17 Ennio Floris : La rupture cartésienne et la naissance d’une philosophie de la culture dans les œuvres juvéniles de J.-B. Vico Les Discours (1689-1717) : 1- Vico Orateur Descartes et des Novum organon de Bacon15 (15). Mais il convient aussi de reconnaître qu’il parvient au niveau de cette confrontation par Vico, qui en a repris l’initiative et en a relevé le défi. 15 Moyen-Âge et Renaissance, Gallimard, Paris, 1969, p. 81. Site de l’analyse référentielle et archéologique : http://alain.auger.free.fr 18