Traitement de première ligne de la leucémie myéloïde chronique

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Traitement de première ligne de la leucémie myéloïde chronique
d o s s i e r
t h é m a t i q u e
Coordinateur : N. Milpied
Traitement de première
ligne de la leucémie
myéloïde chronique
First line therapy for chronic myeloid leukemia
F. Guilhot*
RÉSUMÉ
♦ Le traitement de la leucémie myéloïde
chronique est de mieux en mieux codifié.
On dispose de nombreuses données
publiées, qu’il s’agisse de résultats
d’essais thérapeutiques, d’analyse de
vastes cohortes ou d’études ancillaires.
Les recommandations récente de
l’European Leukemia Net permettent
maintenant de mieux positionner la
greffe de cellules souches et d’envisager
la place des inhibiteurs de deuxième
génération. La surveillance moléculaire et
l’interprétation des résultats permettent
d’ajuster avec précision les doses
d’inhibiteurs. L’utilisation des dosages
plasmatiques reste à l’étude.
Summary. The treatment of chronic
myeloid leukemia is now well defined.
Outcomes of numerous clinical trials, as
well as retrospective analysis of large
cohorts and ancillary studies are now
available. The recent recommendations
of the European Leukemia Net advise
physicians on how to perform stem
cell transplant and how to treat their
patients with second line tyrosine kinase
inhibitors. The molecular follow-up of
the patients and the use of molecular
analysis are helpful in order to adjust
the doses of tyrosine kinase inhibitors.
The use of tough plasma levels of tyrosine
kinase inhibitors is still under study.
♦ L’inclusion des patients dans les essais
et la constitution des bases de données
sont fortement encouragées.
The inclusion of patients in large clinical
trials as well as the recording of their
data are still required.
Mots-clés : Leucémie myéloïde
chronique – Inhibiteurs de tyrosine kinase –
Recommandations.
Keywords: Chronic myeloid leukemia –
Tyrosine kinase inhibitors – Guidelines.
P
* Service d’hématologie,
Inserm CIC 0802, CHU de Poitiers.
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endant longtemps, le traitement de la leucémie myéloïde chronique (LMC) a reposé
sur l’utilisation de chimiothérapies conventionnelles qui, certes, permettaient d’obtenir des
rémissions hématologiques mais n’apportaient
aucune réponse cytogénétique. Le décès était
inéluctable au bout de 3 à 5 ans. Seule la greffe de
moelle osseuse allogénique permettait d’obtenir
des rémissions prolongées, surtout lorsqu’elle
était pratiquée en phase chronique de la maladie (1). L’interféron a été la première molécule permettant d’obtenir des réponses cytogénétiques,
c’est-à-dire une réduction du nombre de cellules
Ph+ médullaires. Ultérieurement, l’association
interféron α (IFNα)-cytarabine a été sélectionnée
comme le traitement standard. À partir de l’essai
multicentrique français LMC 91, nous avons également pu démontrer qu’il y avait une association
entre l’obtention de la réponse cytogénétique
complète et la survie, conférant à la réponse
cytogénétique le statut de marqueur de substitution (2). L’arrivée de l’imatinib a complètement
bouleversé les modalités de prise en charge de
cette hémopathie. Les essais de phase II testant
l’imatinib à la dose de 400 mg chez les patients
en phase chronique et à une dose de 600 mg ou
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2009
Traitement de première ligne de la leucémie myéloïde chronique
plus chez les patients en phase accélérée ou transformée ont montré le potentiel de cette nouvelle
molécule, qui a ensuite rapidement été évaluée
dans un vaste essai multicentrique de phase III
prospectif de traitement de la phase chronique.
Cet essai, IRIS, a permis de proposer l’imatinib à
la dose de 400 mg en tant que traitement de première intention de la phase chronique de la LMC
(3-5). Bien que les résultats observés sur le long
terme soient excellents, un certain pourcentage
de patients résistent ou rechutent, ce qui justifie
le recours à des traitements de deuxième ligne
avec les inhibiteurs de tyrosine kinase de deuxième génération tels que le dasatinib, le nilotinib
ou, plus récemment, le bosutinib (6).
La prise en charge des patients atteints de LMC,
avec l’arrivée des inhibiteurs de tyrosine kinase,
a justifié l’harmonisation, maintenant internationale, de la prise en charge et du suivi cytogénétique et moléculaire de l’hémopathie. De
nombreuses réunions internationales ont contribué à cette harmonisation, qui a établi des règles
reconnues sur le plan international et proposées
par l’European Leukemia Net (7, 8). Actuellement,
le traitement de première intention de la phase
chronique de la LMC est bien codifié, tandis que les
phases plus avancées de la maladie, et plus particulièrement les phases transformées myéloïdes
ou lymphoïdes, font encore l’objet de travaux
expérimentaux. On pourrait croire que l’utilisation de l’imatinib, molécule simple à prendre (une
gélule le matin au petit déjeuner), aurait résolu
tous les problèmes ou simplifié la prise en charge.
Il n’en est rien. Tous les groupes académiques
100
90
80
Survie (%)
70
60
50
40
Imatinib
IFNα + Ara-C
30
20
10
0
0
12
24
36
48
60
72
Mois après randomisation
Figure. Survie des patients traités par imatinib dans le protocole IRIS.
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2009
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des pays modernes insistent sur la nécessité de
continuer à inclure les patients dans des essais
thérapeutiques. La collaboration est nécessaire
entre les spécialistes des maladies du sang et
leurs confrères, au sein de réseaux bien constitués et en lien avec les laboratoires de biologie
spécialisés pour que le suivi des patients soit de
qualité. En France, l’appartenance au groupe français France intergroupe des leucémies myéloïdes
chroniques (FI-LMC) est clairement encouragée.
TRAITEMENT DE PREMIÈRE LIGNE
DE LA PHASE CHRONIQUE DE LMC
✔ Validation du traitement par imatinib à la
dose de 400 mg
L’essai international IRIS a clairement établi la
supériorité de l’imatinib administré à la dose de
400 mg/j tous les jours sur l’association IFNαcytarabine : les taux de réponse hématologique,
cytogénétique et moléculaire sont significativement supérieurs. Sur un total de 1 106 patients
inclus entre juin 2000 et janvier 2001, 553 ont
reçu l’association IFNα-cytarabine, mais 65 %
d’entre eux ont changé de bras de traitement
pour recevoir l’imatinib en raison d’intolérance
ou d’inefficacité (3, 4). Dans le bras imatinib, sur
les 553 patients inclus, 364 (66 %) continuent
de recevoir l’imatinib après 6 ans de protocole.
Les raisons de l’arrêt du traitement ont été un
effet thérapeutique insuffisant (12 %), le retrait
du consentement (6 %), des effets indésirables
(4 %) ; 3 % des patients ont reçu une greffe de
cellules souches, 3 % avaient des violations
protocolaires, 2 % sont décédés et 1 % ont été
perdus de vue. Pour les patients restant dans
l’étude, la dose journalière moyenne d’imatinib
est de 402 ± 56 mg. Une réponse cytogénétique
complète a été observée pendant l’essai chez
456 patients (82 %), laquelle a été durable
chez 325 patients. Après 6 ans de traitement,
349 patients (63 %) sont toujours en rémission cytogénétique complète avec l’imatinib
400 mg (5). La probabilité d’être en vie sans progression vers les phases accélérée ou blastique
à 6 ans est de 93 %. Chez les patients toujours
sous traitement et en réponse, les taux de progression vers les phases avancées de la maladie
sont respectivement de 1,5 %, 2,8 %, 1,6 %, 0,9 %,
0,5 % et 0 % de la 1re à la 6e année du protocole.
Ainsi, à 6 ans, les survies sans événement, sans
progression et globale ont été respectivement
de 83 %, 93 % et 88 % (figure). Ce protocole a
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Coordinateur : N. Milpied
aussi montré que la survie sans événement à
6 ans dépendait du score de Sokal, avec des taux
de survie sans événement de 67,3 %, 81,3 % et
90,8 % pour les scores à haut risque, risque
intermédiaire et faible risque, respectivement.
Le protocole n’a pas démontré la supériorité
de l’imatinib sur l’association IFNα-cytarabine
lorsque l’analyse est effectuée en intention de
traiter, dès lors qu’un nombre important de
patients ont changé de bras pendant l’essai. C’est
la raison pour laquelle une analyse très précise a
comparé la survie des patients traités par imatinib
dans ce protocole à la survie des patients traités
par IFNα-cytarabine dans le protocole LMC 91 (9).
Les résultats montrent clairement une supériorité
de l’imatinib sur la survie avec, à 3 ans, un avantage significatif pour l’imatinib, avec des taux de
survie sans progression de 90 % pour l’imatinib
et 82 % pour l’IFNα-cytarabine et des taux de
survie de 92 % et 84 %, respectivement. Cette
étude a également montré la relation entre la
réponse cytogénétique et la survie par la méthode
“landmark”. Qu’il s’agisse de l’imatinib ou de
l’association IFNα-cytarabine, les patients qui ont
obtenu une rémission cytogénétique complète ont
eu des probabilités de survie significativement
améliorées. À 3 ans, les taux de survie ont été
de 96 % pour l’imatinib et de 92 % pour IFNαcytarabine (différence non significative).
Ainsi, tous ces résultats montrent que l’imatinib
administré à la dose de 400 mg/j tous les jours
doit être raisonnablement proposé au patient en
tant que traitement de première ligne de la phase
chronique de LMC. Ces données ont été confirmées sur une série indépendante de patients (10).
✔ Des doses plus élevées d’imatinib, les
associations et les dosages plasmatiques sont
à l’étude
La question de la dose d’imatinib a été posée
dans différents essais thérapeutiques. Qu’il
s’agisse de l’essai français SPIRIT comparant
400 mg et 600 mg ou de l’essai TOPS (essai de
Novartis) comparant 400 mg et 800 mg, il n’y
a pas eu après 12 et 24 mois de traitement de
différence significative en termes de réponse
cytogénétique complète ou de réponse moléculaire (11-14). Dans l’essai français, à 12 mois, on a
observé des réponses cytogénétiques complètes
de 57 % et 65 % dans les bras 400 mg et 600 mg,
respectivement et des réponses moléculaires
majeures de 40 % et 52 %, respectivement. Dans
l’essai TOPS, il y avait une réponse moléculaire
majeure plus importante à 3 mois avec la dose
130
de 800 mg (12 % versus 3 %). Mais cette différence s’estompe à 12 mois (40 % versus 46 %).
L’étude européenne de l’European Leukemia Net
(ELN), portant sur 216 patients atteints de LMC,
à score de Sokal élevé, n’a montré qu’une différence modeste et non significative en termes
de réponse cytogénétique complète à 12 mois
(64 % pour 800 mg versus 58 % pour 400 mg)
et de réponse moléculaire majeure à 12 mois
(respectivement 40 % versus 33 %) [15]. En première ligne, l’intérêt d’utiliser des associations
400 mg et chimiothérapie, telle que la cytarabine,
ne paraît pas évident. En revanche, l’association
400 mg et forme pégylée d’IFNα-2a semble prometteuse, avec, là encore pour l’essai SPIRIT, une
différence hautement significative à 12 mois en
termes de réponse moléculaire majeure optimale,
voire de réponse complète. L’intérêt des dosages
plasmatiques d’imatinib a été suggéré avec de
bonnes corrélations entre les concentrations
plasmatiques et la réponse (16, 17). L’arrêt du
traitement par imatinib après 2 ans de rémission
moléculaire complète est possible avec, pour certains patients, l’absence de rechute (18, 19). Un
travail prospectif est en cours au sein du groupe
FI-LMC pour mieux préciser les caractéristiques
cliniques et biologiques des patients pour lesquels le traitement peut être arrêté sans risques.
✔ La surveillance d’un traitement par imatinib
est bien codifiée
Les tableaux I, II et III (p. 132) décrivent les outils
nécessaires à la surveillance d’un patient traité
par imatinib, les définitions des réponses hématologiques, cytogénétiques et moléculaires et
l’évaluation de la réponse proposée par l’ELN
en 2009. Cette nouvelle version introduit une
réponse optimale avec un début de réponse cytogénétique à 3 mois, et souligne l’importance de la
réponse cytogénétique complète à 12 mois et celle
de la réponse moléculaire majeure à 18 mois. Ces
critères sont donc plus stricts ; mais pour décider
s’il y a lieu ou non de modifier la thérapeutique, il
faut prendre en considération la masse tumorale
initiale et donc interpréter les réponses en fonction de la sensibilité de l’hémopathie à l’imatinib,
c’est-à-dire la décroissance de la masse tumorale
régulièrement au cours des 3 à 9 premiers mois.
On peut ainsi estimer que, à 3 mois, si un patient
garde une splénomégalie modeste débordant par
exemple de 1 ou 2 cm le rebord costal gauche et
que, de ce point de vue, il n’est pas considéré en
rémission hématologique, alors que sa masse
tumorale initiale était très importante avec une
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Traitement de première ligne de la leucémie myéloïde chronique
Tableau I. Contrôle de la réponse à l’imatinib.
Au diagnostic, puis tous les 15 jours jusqu’à obtention
et confirmation de la réponse hématologique complète,
puis au moins tous les 3 mois ou à la demande
Hématologique
Cytogénétique
Au diagnostic
À 3 mois
À 6 mois
Tous les 6 mois jusqu’à obtention et confirmation de la réponse
cytogénétique complète, puis tous les 12 mois s’il n’est pas
possible d’effectuer un contrôle moléculaire régulier
Systématiquement en cas d’échec (résistance primaire
ou secondaire) et en cas d’anémie inexpliquée, de leucopénie
ou de thrombocytopénie
Moléculaire (RT-Q-PCR)
Tous les 3 mois, jusqu’à obtention et confirmation d’une réponse
moléculaire majeure, puis au moins tous les 6 mois
En cas de réponse suboptimale ou d’échec
Moléculaire
(recherche de mutation) Systématiquement avant tout changement d’inhibiteur
de tyrosine kinase ou d’autre thérapie
Remarque. Une analyse cytogénétique (marquage chromosomique en bande des cellules métaphasiques de la moelle) est
nécessaire à 3 mois, plus tôt que ce qui a été défini dans les précédentes recommandations, afin de permettre l’anticipation
de la réponse. Une fois les réponses cytogénétique et moléculaire obtenues et confirmées, l’analyse par PCR (RT-Q-PCR)
tous les 6 mois peut suffire chez la plupart des patients.
Tableau II. Définition des réponses hématologique, cytogénétique et moléculaire.
Hématologique Complète (RHC)
Leucocytes < 10 x 109/l
Basophiles < 5 %
Absence de myélocyte, promyélocyte, myéloblaste
à la formule leucocytaire
Nombre de plaquettes < 450 x 109/l
Rate non palpable
Cytogénétique
Complète (RCC)*
Partielle (RCP)
Mineure (RCM)
Minimale (RCmin)
Absence de réponse
Absence de Ph+ métaphasiques
1-35 % Ph+ métaphasiques
36-65 % Ph+ métaphasiques
66-95 % Ph+ métaphasiques
> 95% Ph+ métaphasiques
Moléculaire
Complète (RCM)
Majeure (RMM)
Transcrit BCR-ABL indétectable en PCR quantitative
en temps réel sur 2 échantillons sanguins successifs
de qualité adéquate (sensibilité > 104)
Ratio de BCR-ABL sur ABL (ou autres gènes
de référence) ≤ 0,1 % sur l’échelle internationale
* Si les cellules métaphasiques de la moelle ne peuvent pas être obtenues ou évaluées par technique chromosomique de
bandes, la détermination de la RCC est fondée sur l’analyse des cellules sanguines par technique d’hybridation in situ par
fluorescence (I-FISH), sachant que celle-ci est effectuée au moyen de sondes BCR-ABL1 doublement colorées (D-FISH), et
qu’au moins 200 noyaux sont évalués.
Dans de nombreuses études, les réponses cytogénétiques partielles et les réponses cytogénétiques complètes sont comptabilisées ensemble, et définies comme réponses cytogénétiques majeures.
très forte splénomégalie et un score de Sokal
élevé, il faut continuer le traitement, car il est
logique de considérer que la maladie est sensible à l’imatinib. Il est donc important d’assurer
une surveillance très régulière afin de juger s’il
y a stagnation de la réponse ou non, et donc de
prendre les décisions thérapeutiques en conséquence (20-24).
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TRAITEMENT DE PREMIÈRE LIGNE
DE LA PHASE ACCÉLÉRÉE DE LMC
L’imatinib en première ligne reste recommandé
pour les patients atteints de LMC en phase d’accélération. Mais la dose doit être au minimum de
600 mg, voire de 800 mg. Pour les patients sensibles à l’imatinib, dès lors que la rémission hématologique a été observée, et si l’âge le permet, la
recommandation est de rechercher un donneur
compatible afin de programmer dans les plus
brefs délais une allogreffe de cellules souches
hématopoïétiques. Il n’y a pas lieu d’associer
à l’imatinib en première ligne une quelconque
chimiothérapie pour les phases accélérées (1).
TRAITEMENT DE PREMIÈRE LIGNE
DE LA PHASE TRANSFORMÉE D’EMBLÉE
DE LA LMC
✔ Les formes myéloïdes
Avant l’ère de l’imatinib, la survie des patients
suivis dès la phase de transformation myéloïde
de la LMC était extrêmement mauvaise, de l’ordre
de 3 à 5 mois (25). L’amélioration est venue avec
l’utilisation de l’imatinib 400 mg/j ou 800 mg/j
avec, sur une série de 229 patients (26), des
taux de rémission complète de 15 % et une survie médiane améliorée de l’ordre de 6 à 9 mois.
Par conséquent, l’association d’imatinib à une
chimiothérapie lourde comprenant daunorubicine et cytarabine a été proposée par un groupe
français (27) sur une petite série de 38 patients.
Chez ceux qui avaient une transformation aiguë
myéloïde d’emblée de LMC, on a observé 89,5 %
de rémission complète et 39,5 % de survie à 5 ans.
Si une rémission hématologique complète est
notée à l’issue du traitement d’induction, une
allogreffe de cellules souches hématopoïétiques
est indiquée et doit être réalisée dans les plus
brefs délais.
✔ Les formes lymphoïdes
La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) Ph+
n’est pas fréquente ; sa prévalence augmente
avec l’âge : elle touche 5 % des enfants et 40 %
des adultes. Le pronostic est extrêmement mauvais. Avec les chimiothérapies standard, on peut
espérer au mieux 20 % de survie à 3 ans. Des
études de phase I puis II ont montré l’intérêt de
l’imatinib, avec près de 70 % de réponses hématologiques (28, 29). Malheureusement, un risque
quasi constant de rechute est constaté, d’où
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Tableau III. Évaluation de la réponse à l’imatinib administré en première ligne de phase chronique débutante.
Réponse optimale
Moment
NA*
3 mois
Réponse suboptimale
NA
Échec
Vigilance
NA
Risque élevé
ACCA/Ph+(1)
RHC,
Absence de RCyC
et au minimum RCy mineure (Ph+ > 95 %)
(Ph+ ≤ 65 %)
Réponse moindre qu’une RHC
NA
6 mois
Au minimum RCyP
(Ph+ ≤ 35%)
Moins qu’une RCyP
(Ph+ > 35 %)
Absence de RCy
(Ph+ > 95 %)
NA
12 mois
RCC
RCyP
(Ph+ 1-35 %)
Réponse moindre qu’une RCyP
(Ph+ > 35 %)
Réponse moindre
qu’une RMM(3)
18 mois
RMM(3)
Réponse moindre qu’une RMM(3)
Réponse moindre qu’une RCC
NA
Perte de RMM(3)
Mutations(4)
Perte de RHC
Perte de RCC
Mutations(5)
ACC/Ph+(1)
Toute élévation
des taux de transcrit
ACC/Ph–(2)
Stable
À tout moment
(au cours du traitement) ou en progression RMM(3)
(1) ACC/Ph+ : les Ph+, ACC/Ph+ sont un élément de “vigilance” au diagnostic, tandis que leur apparition au cours du traitement (progression clonale) est un signe d’échec. Deux tests cytogénétiques
successifs sont nécessaires, porteurs de la même ACC sur au moins deux cellules Ph+.
(2) ACC/Ph– : anomalies chromosomiques clonales des cellules Ph–.
(3) RMM : BCR-ABL1:ABL1, ou autres gènes référents, ≤ 0,1 % sur l’échelle internationale.
(4) Mutations BCR-ABL1 KD toujours sensibles à l’imatinib.
(5) Mutations BCR-ABL1 KD peu sensibles à l’imatinib.
* NA : non applicable.
Eu égard aux recommandations antérieures (7), une nouvelle définition de la réponse optimale est introduite. Il est recommandé de définir la réponse suboptimale plus tôt, à 3 mois, en cas de
résistance cytogénétique, ainsi que l’échec à 3 mois en cas de résistance hématologique, et à 6 mois en cas de résistance cytogénétique. La progression clonale (CCA/Ph+) au cours du traitement
est définie comme un échec ; une délétion du bras long du chromosome 9 (del9q+) n’est plus reconnue comme élément de “vigilance”.
l’intérêt d’un traitement d’induction combinant
chimiothérapie et imatinib, par exemple vincristine-dexaméthasone avec imatinib 800 mg/j.
Ce protocole, AFR 07 (30), a permis, sur les
31 patients inclus (dont 13 cas de LAL Ph+), d’observer une rémission complète chez 28 d’entre
eux. Dans cet essai, la fréquence des infections
fongiques était élevée.
Pour améliorer les résultats, on propose maintenant des associations d’inhibiteurs de tyrosine
kinase de deuxième génération et de chimiothérapie. Par exemple, le protocole EWALL, soutenu par l’ELN, propose, pour des patients âgés
de plus de 55 ans, un traitement par une préphase
de dexaméthasone suivie d’une induction utilisant
le dasatinib 140 mg/j, la vincristine à J1, J8, J15 et
J22, et une prophylaxie des localisations neuroméningées (31). Les consolidations utilisent des
suites de chimiothérapie associant méthotrexate
à fortes doses, asparaginase ou cytarabine et
dasatinib 100 mg/j. Ultérieurement, un maintien
de la réponse propose 100 mg/j de dasatinib
associés au purinéthol et au méthotrexate, à
la dexaméthasone et à la vincristine selon des
schémas traditionnels.
Le protocole AFR 09, proposé par le groupe
GRAALL, combinait 4 molécules en induction
132
suivies d’imatinib 600 mg avec cortisone et
des traitements de consolidation (32). Sur les
29 patients évaluables, 21 ont obtenu une rémission complète, la survie globale étant de 66 %
à 1 an.
RECOMMANDATIONS
POUR LE SUIVI BIOLOGIQUE DES PATIENTS
TRAITÉS POUR LMC EN PREMIÈRE LIGNE
Le tableau I résume la stratégie de surveillance
des patients traités par imatinib en première ligne.
La surveillance est assez simple : elle repose sur
un examen clinique régulier et, particulièrement
en cas de grosse rate, il est nécessaire de déterminer le moment où la réponse hématologique
complète, c’est-à-dire un hémogramme normal
et la disparition de la splénomégalie, a été observée. Ce dernier élément est malheureusement
trop souvent oublié. L’échographie abdominale
confirmant la disparition de la splénomégalie
est souhaitable, surtout chez les sujets obèses
pour lesquels la palpation n’est pas simple. Le
tableau I résume surtout la surveillance cytogénétique et moléculaire. L’intérêt d’un contrôle
cytogénétique dès le 3e mois peut être critiqué :
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2009
Traitement de première ligne de la leucémie myéloïde chronique
il permet cependant d’anticiper la réponse qui
sera observée au 6e et au 12e mois. L’analyse en
FISH n’est pas recommandée et ne doit donc pas
être utilisée. Seul le caryotype médullaire reste
considéré comme le standard de surveillance de
l’hémopathie maligne (33-38).
TRAITEMENT DE PREMIÈRE LIGNE
DE LA LMC DE L’ENFANT (39, 40)
Chez l’enfant, l’hémopathie est rare et l’allogreffe
de cellules souches hématopoïétiques a longtemps été considérée comme le meilleur traitement permettant l’éradication de la maladie. Pour
les patients non éligibles pour une allogreffe, un
traitement par IFNα avec ou sans cytosine arabinoside était préconisé. La maladie étant rare (2 à
3 % des cas de leucémie chez l’enfant), l’inscription des patients dans des registres, et surtout
dans des essais thérapeutiques, est évidemment
nécessaire. L’avènement de l’imatinib a également modifié les traitements de première ligne
chez l’enfant. Les essais de phase I-II ont montré
que les doses de 260 à 340 mg/m2, permettant
des concentrations plasmatiques suffisantes pour
un effet antileucémique, étaient à recommander.
L’imatinib a donc été enregistré pour l’enfant.
La question actuelle est de choisir entre l’imatinib
et une allogreffe. Un essai prospectif d’allogreffe
ayant inclus des patients entre 1995 et 2004 a
donné d’excellents résultats pour les patients
greffés en situation allogénique géno-identique,
avec une survie à 5 ans de 87 ± 11 %, tandis que
les patients qui étaient greffés en situation phénoidentique avaient des résultats moins bons, avec
52 ± 9 % de survie, et, en cas de greffe mismatch,
45 ± 16 %. Le délai entre le diagnostic et l’allogreffe influence la survie chez l’enfant, et la greffe
doit être faite, si elle est décidée, dans les 6 mois
qui suivent le diagnostic.
La stratégie actuelle s’oriente par conséquent
vers un traitement initial par imatinib, avec une
surveillance rapprochée pendant les 6 premiers
mois afin de déterminer si le patient est répondeur ou non selon les critères de réponse de
l’ELN décrits pour les sujets adultes. L’absence
d’une réponse satisfaisante à l’imatinib justifie
de procéder à une allogreffe de cellules souches
hématopoïétiques dans les plus brefs délais. Chez
les patients en phase accélérée, le traitement
initial repose sur l’imatinib à une dose plus forte,
de 400 mg/m2 ou de 500 mg/m2 en cas de phase
blastique. Dès l’obtention de la rémission héma-
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2009
tologique, une allogreffe de cellules souches
hématopoïétiques doit être proposée dans les
plus brefs délais.
PLACE DE LA TRANSPLANTATION
ALLOGÉNIQUE DE CELLULES SOUCHES
HÉMATOPOÏÉTIQUES EN 2009
La décision d’allogreffer un patient en première
ligne tient compte de multiples paramètres, et
l’utilisation du score pronostique EBMT, publié
en 1998 puis validé par le CIBMTR en 2004, reste
d’actualité (41, 42). Si une allogreffe doit être
effectuée, l’utilisation de cellules souches déplétées en lymphocytes T n’est pas raisonnable,
du fait des taux de rechute leucémique très
importants. En revanche, une nouvelle approche
utilisant des conditionnements atténués peut
être discutée. Un rapport de l’EBMT fait état,
pour une cohorte de patients greffés avec un
conditionnement atténué entre 1994 et 2002,
d’une survie globale à 3 ans de 70 % pour les
patients qui avaient un score EBMT de 0 à 2.
L’EBMT a actualisé un certain nombre d’analyses de cohortes de patients traités pour les
périodes 1980-1990, 1991-1999 et 2000-2003.
Pour les patients qui avaient un score EBMT de 0
à 1, le risque de décès dû à la transplantation
était passé de 31 % pour la première cohorte et
à 17 % pour la cohorte la plus récente. Un autre
travail intéressant a porté sur 80 patients allogreffés en 2002 avec une probabilité de survie à
5 ans de l’ordre de 88 %. Un accord international
a été conclu pour ne plus proposer l’allogreffe en
première intention dans les phases chroniques
de LMC. Néanmoins, ce traitement est recommandé chez les patients en phase d’accélération
ou en phase de transformation au moment du
diagnostic. Mais l’allogreffe devra être précédée d’une phase de traitement par imatinib à
la dose de 600 mg ou 800 mg, pour réduire la
masse tumorale et amener le patient en bonne
condition, c’est-à-dire en phase chronique ou
en bonne réponse, au moment de l’allogreffe
de cellules souches hématopoïétiques (43, 44).
INHIBITEURS DE DEUXIÈME GÉNÉRATION
EN PREMIÈRE LIGNE
Trois nouvelles molécules (le dasatinib, le nilotinib et le bosutinib), après avoir été testées
chez des patients résistants ou intolérants à
133
d o s s i e r
t h é m a t i q u e
Coordinateur : N. Milpied
l’imatinib sont maintenant en cours d’étude
à la phase initiale de la maladie ; le bosutinib
étant en cours d’étude avec des résultats non
publiés. Le nilotinib a été étudié chez 73 patients
au cours d’un essai de phase II mené par un
groupe italien (45). Les patients ont reçu 400 mg
2 fois par jour pendant une durée de 6 mois
minimum (12 mois pour 71 % d’entre eux). Les
taux de réponse cytogénétique complète et de
réponse moléculaire majeure à 3, 6 et 12 mois
ont été respectivement de 78 %, 96 % et 90 %,
et de 59 %, 66 % et 77 %. La tolérance a été
excellente, avec cependant 16 % de toxicité
hépatique de grade 3 et 4 % d’élévation de
l’amylase. Un groupe de Houston a présenté, à
l’ASH 2008, les résultats d’une étude de phase II
randomisée évaluant le dasatinib à la dose de
100 mg administrée 1 ou 2 fois par jour (46).
Sur les 50 patients inclus, 98 % des patients
évaluables (44 sur 45) ont obtenu une réponse
cytogénétique complète et 12 sur 35 patients
évaluables (34 %), une réponse moléculaire
majeure à 12 mois. Des épanchements pleuraux ont été observés chez 21 % des patients,
de grade 3 ou 4 chez seulement 2 % d’entre eux.
Il y a actuellement 2 grands essais de phase III
comparant le nilotinib ou le dasatinib à l’imatinib ; les résultats préliminaires de ces essais
doivent être présentés au cours du prochain
congrès de l’ASH.
CONCLUSION
Le traitement de première ligne de la LMC, quelle
que soit sa présentation – phases chronique,
accélérée ou transformée ; aiguë, myéloïde chez
l’enfant comme chez l’adulte –, repose sur l’imatinib à la dose de 400 mg à 800 mg en fonction
de la phase de la maladie. Les transformations
aiguës d’emblée lymphoblastiques font encore
l’objet d’essais avec des utilisations prometteuses du dasatinib et de la chimiothérapie.
Dans tous les cas, la surveillance du patient est
bien codifiée, clinique, hématologique et surtout moléculaire. Elle reste très technique. Les
progrès thérapeutiques se poursuivent avec de
nouvelles associations, et des recherches sur les
possibilités d’arrêt du traitement sont en cours.
C’est dire l’importance d’une prise en charge par
les centres académiques, associés au groupe
FI-LMC, l’inclusion des patients dans les essais
thérapeutiques étant toujours d’actualité et
conseillée.
■
134
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Retrouvez l’intégralité des références
bibliographiques sur www.edimark.fr
Correspondances en Onco-hématologie - Vol. IV - n° 3 - juillet-août-septembre 2009