HOMÉLIE DU 2 NOVEMBRE 2003 LA MORT FAIT PARTIE DE LA VIE
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HOMÉLIE DU 2 NOVEMBRE 2003 LA MORT FAIT PARTIE DE LA VIE
HOMÉLIE DU 2 NOVEMBRE 2003 LA MORT FAIT PARTIE DE LA VIE En 1995, Denise Leduc, une personne aux prises avec le cancer, a écrit un poème qui m'avait beaucoup touché: «Comme tu as l'air bien.» Elle y racontait comment des gens lui disaient qu'elle avait l'air bien pour l'empêcher en fin de compte de parler de sa maladie car ils ne savaient pas quoi dire: «Quand vous me rencontrez, vous soulignez mon éclat pour éviter de parler de mes hauts et de mes bas.» Alors, avec une peine profonde au cœur, elle leur disait qu'elle allait bien: «Je suis pourtant si proche... Vous me tenez si loin... Qu'il vaut mieux que je décroche et vous dire: Je vais très bien!» Bouleversant! Elle vivait un deuil profond et plusieurs, en fin de compte, l'isolaient. De fait, nous vivons dans un monde où, dans de nombreux milieux, parmi les sujets tabous, il y a la maladie et, à plus forte raison, la mort; qui n'a pas entendu des phrases du genre: «Ne pleure pas, il est bien!» Ou encore: «Arrête de pleurer; tu sais comment elle est heureuse maintenant!» Il y a même un texte qui fait demander par le défunt à ses proches de ne pas pleurer. À chaque fois que je l'entends, j'aurais le goût de dire: «De quoi se mêle -t-il?» Il y a un certain temps, dans un quotidien, un reportage traitait du deuil. Un psychologue expliquait que les gens de sa profession avaient une nouvelle clientèle qui grandissait sans cesse: des gens qui n'avaient pas vécu leur deuil au moment du décès d'un de leurs proches. Les choses avaient été réglées rapidement, ils avaient refusé d'en parler et, plus tard, deux ans, cinq ans, dix ans après, ils vivent des malaises intérieurs qu'ils ne peuvent s'expliquer et qui au fond, prennent racine dans ce refus du deuil. Il faisait ressortir aussi comment il est important de faire parler les proches du décès d'un des leurs. Par exemple, soulignait-il, il n'en parleront pas la vingtième fois avec la même émotivité que la première fois. On appelle cela le «réconfort»: ce qui signifie littéralement « être fort avec»: grâce à la présence délicate de personnes à l'écoute et empathiques, aider quelqu'un, ébranlé par un deuil, à devenir plus fort intérieurement, «mieux debout» dans son cœur. Il ne s'agit pas tant, du côté des «aidants» de savoir quoi dire que de «savoir être là.» Comme Jésus le fut pour Marthe et Marie lors du décès de Lazare! Quand la mort apparaît dans notre vie, il fait bon d'en parler d'autant plus qu'elle ne survient pas seulement au terme de la vie. Que de fois, dans une vie, nous avons à mourir à quelque chose: un projet, une relation privilégiée, la santé, un style de vie! Le témoignage évoqué au début du texte le démontre bien. La présence réconfortante que nous pouvons apporter à des endeuillés s'inspire aussi d'une conviction profonde qui s'enracine dans notre foi en Dieu: il fait «de la mort une terre fertile pour la vie.» (2) J'aime beaucoup ce qu'on dit dans une préface écrite pour des funérailles: «Par la mort, la vie n'est pas détruite, elle est transformée.» Félix Leclerc a écrit une belle pensée à ce propos: «C'est grand la mort, il y a plein de vie dedans.» Notre foi en la résurrection doit nous stimuler à aider à la personne en deuil à identifier les sources de vie qui peuvent surgir de la mort qu'elle affronte pour la traverser avec une sérénité de plus en plus profonde. Parler de la mort des autres doit aussi nous permettre de mieux mettre en lumière le fait que nous mourrons un jour. L'abbé Pierre, un prêtre français de grande renommée, disait que «le mystère de la mort sera le plus grand moment de notre vie.» Parfois, il semble que nous portons très peu d'attention à notre façon de grand moment de notre vie. Nous vivons quasiment, moi le premier, comme si nous étions pour être éternel sur cette terre! Il ajoutait: «Il est important pour tout homme de construire quelque chose, de laisser derrière lui une oeuvre que d'autres pourraient poursuivre.» (3) En relisant ces propos, quelques questions me sont venues: quel héritage, autre que les biens matériels, laisserons-nous aux personnes qui nous survivront? Qu’en serait-il si nous mourions aujourd'hui car, sans vouloir être macabre, il n'y a personne parmi nous, quel que soit son âge, qui sait s'il va être encore longtemps sur cette terre? Oui, que restera-t-il que nous voudrions voir refleurir, regermer dans le cœur des gens et qui continuera à les rendre profondément heureux, d'autant plus qu'ils demeureront en communion étroite avec nous, mystérieusement, bien sûr, mais réellement? Car, si le Seigneur nous a voulus dans ce monde, c'est pour que nous la marquions par notre manière très personnelle, unique, de rendre les gens heureux et le monde plus beau: une oeuvre que d'autres pourraient poursuivre! Il m'apparaît important que nous fassions le point, à l'occasion, sur cette question quand nous avons à cœur le cœur des gens, particulièrement celui de ceux et celles que nous affectionnons. À quelqu'un qui voulait réfléchir sur cette question et éventuellement effectuer des changements importants dans sa vie, son accompagnateur lui a proposé une démarche très originale: composer son éloge funèbre. Surpris par une telle demande, il l'a quand même rédigé. Une fois l'exercice terminé, il lui fut suggéré de vivre en s'inspirant de ce qu'il avait écrit. Si on nous demandait de composer notre éloge funèbre, qu'écririons-nous pour que notre vie soit une source de plus grande joie pour nous et une source d'espérance pour les autres, maintenant, demain et jusqu'à notre mort. En concluant, je souhaite que nous rencontrions des gens qui sauront être, pour nous, des «anges de réconfort» quand nous vivrons un deuil afin de nous aider à faire de toutes nos formes de mort, des sources de vie. Puissions-nous l'être également pour d'autres. Je souhaite que nous nous préparions sans cesse à faire de notre mort un moment qui permettra à d'autres de se souvenir de nous comme des gens qui se seront efforcés à vivre avec qualité toutes les dimensions de leur vie, ce que j'appelle la «recherche de l'excellence» dans notre manière de vivre comme une personne humaine nourrie par l'exemple de Jésus et sa Parole. Faisons mémoire, en ce deux novembre, de tous nos défunts en rendant grâce au Seigneur pour l'héritage qu'il nous ont laissé; en cherchant sans cesse à vivre ce qui était beau et grand pour eux, nous contribuerons à donner une dimension d'éternité à leur passage sur terre. Élargissons notre prière pour ceux et celles qui, inconnus, sont morts dans la solitude, dont personne n'a réclamé le corps. Que ces hommes et ces femmes, elles aussi, reposent en paix près du Père qui a dû les accueillir avec une délicatesse bien spéciale. (1) Dans l’œil du cyclone. Collectif, éditions «Le Jour», 1995. (2) Vie Liturgique, no. 340, p. 15 (3) Abbé Pierre, Mémoire d'un croyant. Fayard, 1997 Serge Charbonneau, ptre