un siècle de recensements sud-africains

Transcription

un siècle de recensements sud-africains
M@ppemonde
Représenter les lieux et les populations dans une
colonie de peuplement : un siècle de recensements
sud-africains
Frédéric Giraut, Céline Vacchiani-Marcuzzo
Université de Genève, Département de Géographie
Université de Reims, UMR 8504 Géographie-Cités
Résumé.— Depuis plus d’un siècle, l’Afrique du Sud a connu une remarquable série de recensements.
Ceux-ci enregistrent la dynamique du peuplement dans le cadre de catégories socio-spatiales
changeantes et liées aux représentations et projets successifs : coloniaux, d’apartheid et postapartheid. Les premiers recensements proposaient une hiérarchisation des lieux typiques d’une
colonie de peuplement. Le mouvement d’urbanisation, impliquant les populations non européennes,
s’est traduit par l’évolution de la représentation officielle avec une reconnaissance progressive de
localités autochtones. Sur un siècle, la géographie officielle des lieux de peuplement sud-africains est
passée d’une perspective de société de pionniers à une perspective postcoloniale reconnaissant
l'ensemble des communautés à travers leurs espaces.
Afrique du sud • Apartheid • Démographie historique • Dynamique du peuplement • Localités •
Recensement • Urbanisation • Urbanisation fragmentée
Abstract.— The dynamics of population and urbanization in South Africa have been recorded by a
remarkable set of censuses during the 20th century. These censuses indicate a changing hierarchy of
places that is typical of a settler society and of its representations of space and society. Over one
century, the official census places and the pattern of population distribution have shifted from a
selective colonial view of human settlements to an inclusive postcolonial society view closer to the
distribution of the whole population.
Apartheid • Demographic history • Census • Census places • Population patterns • Settlement •
South Africa • Urbanization
Resumen.— Desde mas de un siglo, Africa del sur ha conocido una destacable serie de censos. Estos
registran la dinámica del poblamiento en el marco de las categorías socio-espaciales ligadas a las
representaciones y a los proyectos sucesivos : coloniales, de apartheid y post-apartheid. Los primeros
censos proponían una jerarquizacion de los lugares típicos de una colonia de poblamiento. El
movimiento de urbanización, integrando a las poblaciones no-europeas, se ha traducido por la
evolución de la representación oficial con un reconocimiento progresivo de las localidades autoctonas.
En un siglo, la geografía oficial de los lugares de poblamiento sur-africanos ha saltado de una
perspectiva de sociedad de pioneros a una perspectiva postcolonial reconociendo el conjunto de las
comunidades a través de sus espacios.
Africa del sur • Apartheid • Demografia historica • Dinamica del poblamiento • Localidades •
Censo • Urbanizacion • Urbanizacion fragmentada
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
1
L
’Afrique du Sud compte plus de 50 millions d’habitants dont plus de 60 % sont
citadins. Le pays dispose d’un réseau de villes complet, constitué d’aires
métropolitaines et d’agglomérations secondaires nombreuses et hiérarchisées.
Ce réseau s’est constitué tout au long de l’histoire contemporaine en lien avec la mise
en place et l’évolution de systèmes de peuplement marqués par la colonisation, la
ségrégation, l’industrialisation et les déplacements de population, ceci dans des
contextes mondialisés successifs.
Un remarquable ensemble de recensements de population, datant de la fin de
l’époque coloniale (1904) jusqu’à l’aire post-apartheid actuelle, soit plus d’un siècle,
est disponible pour l’Afrique du Sud. Cependant, ces données statistiques ont été
recueillies et compilées dans une succession de contextes spécifiques : tout d’abord,
l’union d’ex-colonies britanniques dominatrices et de républiques boers dans un
régime, certes indépendant, mais de nature toujours coloniale, puis le régime
d’apartheid et finalement la « nouvelle Afrique du Sud » post-apartheid. On sait que
les opérations de recensements menées à l’échelle nationale avec leurs
classifications sociales et spatiales relèvent de stratégies de contrôle, ceci
particulièrement dans les anciennes colonies de peuplement (settler societies) où la
gestion des communautés différenciées selon leurs origines est un enjeu social,
politique et économique majeur (Bouchard, 2000). Cela a été notamment étudié et
analysé aux États-Unis (Hannah, 2000). Plus généralement, la géographie politique
explore et utilise dans cette perspective les travaux de Michel Foucault sur la
gouvernementalité et ses technologies (2004a et b) pour travailler sur la mise en
œuvre de « géo-pouvoirs » (Toal, 1996 ; Rose-Redwood, 2006). Dans le cas de
l’Afrique du Sud, ce processus a été marqué par des ruptures et des évolutions
notables dans les catégorisations spatiales utilisées, révélatrices des systèmes
politiques et des technologies de gouvernement successifs mais aussi des
représentations de l’espace et de la société à l’œuvre dans une singulière et ancienne
colonie de peuplement (Mbembe, 2000 ; Trigger, Griffiths, 2003) devenue « nation arcen-ciel ». Les ingénieries socio-territoriales racistes et ségrégationnistes ont ainsi
déterminé la construction des données statistiques et des localités au XXe siècle
jusqu’à la fin du régime d’apartheid. Les réformes territoriales radicales qui ont suivi
ont eu pour but d’abolir le régime ségrégationniste et de réinstaller les localités et les
communautés dans une égalité de statut légal. C’est donc la sélection, la
reconnaissance et la hiérarchie des localités de recensement qui ont été au service
du projet social et politique dominant avec ses évolutions coloniales, ses
développements ultérieurs (instauration de l’« apartheid mesquin » puis du « grand
apartheid ») et ses ruptures radicales (abolition de l’apartheid).
Nous proposons, à partir d’une cartographie dynamique, une analyse comparée de
l’évolution effective de la distribution de la population et de celle des localités
officielles. La question centrale pour chaque recensement est la suivante : quelles
sont, au sein du peuplement effectif, les agglomérations qui sont reconnues comme
localités officielles et pourquoi ?
Les résultats et les acquis d’une telle recherche portent, d’une part, sur la
spécificité sud-africaine dans l’évolution des technologies spatiales de contrôle
développées dans les ex-colonies de peuplement et, d’autre part, sur les décalages
entre le peuplement effectif et les représentations de l’espace et de la population
produites par ces technologies.
2
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
1. Méthodologie
La base de données Dysturb (Giraut, Vacchiani-Marcuzzo, 2009) compile, harmonise,
géoréférence et met en relation dans le temps, d’une part, l’ensemble des cartes
politiques et administratives des districts, des aires urbaines et des localités et,
d’autre part, les chiffres de population concernant l’ensemble de ces localités sudafricaines, urbaines ou rurales, depuis 1911. De plus, elle détermine les périmètres et
la constitution des entités urbaines pour chaque recensement, ceci sur des bases
fonctionnelles au-delà des divisions administratives et des définitions officielles
changeantes (encadré 1).
1. L’agglomération urbaine : quelle définition ?
Dans la base de données Dysturb, les localités de
recensement ont été également regroupées par
agglomération fonctionnelle. La double pratique de la
zone tampon intra-urbaine et de la projection de
fragments urbains au-delà des frontières des
bantoustans (fig. 4) crée une importante discontinuité
morphologique typique des agglomérations fonctionnelles sud-africaines, ce qui rend non opérationnelle la
définition morphologique des agglomérations communément admise pour les comparaisons internationales
(Moriconi-Ebrard, 1993, 1994 ; Statistics South Africa,
2001 ; Bretagnolle et al., 2009). Les auteurs de Dysturb
ont d’abord utilisé une première association des villes
centres et des townships liées, association
approximative qui avait été réalisée par François
Moriconi-Ebrard dans les années 1990. Cette
démarche a pu être complétée par le travail de la HRC,
The Two South Africas (1992), puis par un travail
systématique de rapprochement (Vacchiani-Marcuzzo,
2005). Pour finaliser Dysturb, nous avons également
pris en compte les fragments urbains projetés aux
limites des bantoustans et éloignés parfois de plusieurs
dizaines de kilomètres de l’agglomération morphologique.
On peut donner comme exemple la ville de Bloemfontein qui forme une agglomération continue avec son
township Mangaung mais qui dans le contexte sudafricain doit être associée avec Botshabelo, settlement
projeté à plusieurs dizaines de kilomètres dans le
cadre de la politique des forced removals pour former
ce qui devait initialement être une enclave de bantoustan.
La municipalité s’appelle aujourd’hui Mangaung et
regroupe l’ensemble de ces parties d’agglomération.
Il est ainsi possible de retracer l’histoire d’un siècle d’urbanisation et d’évolution de
la distribution de la population et des localités sud-africaines, malgré les changements
de limites administratives, de catégories spatiales et sociales et de statuts conçus
dans le cadre des ingénieries territoriales successives. Les séries de données
démographiques et administratives par localité peuvent donc être traitées sur la
longue durée et réagrégées dans les cadres spatiaux fonctionnels et administratifs
constants, actuels ou anciens. En effet, aux problèmes classiques de changements
de frontières et de dénominations se sont greffés, tout au long du XXe siècle en Afrique
du Sud, des changements de catégories et des distinctions de statuts parmi les
localités. Paradoxalement, les distinctions introduites entre les individus sur des
bases raciales et d’origine, et sur lesquelles s’est fondé l’ordre politique raciste
jusqu’à la fin de l’apartheid, posent peu de problèmes de suivi statistique. En effet,
introduites sous la colonisation, ces distinctions se sont maintenues et se sont même
perfectionnées et rigidifiées durant la période d’apartheid. Les lieux de peuplement
africains furent d’abord exclus du domaine municipal puis systématiquement distincts
des localités blanches jusqu’à la fin du régime d’apartheid. L’égalisation des localités
de recensement est inaugurée à partir du milieu des années 1990, tandis que leur
multiplication avait été amorcée dès le début de la décennie et la réalisation de
recensements pour les homelands. Dans le cadre des recensements, ces distinctions
ont ainsi été utilisées de manière assez permanente avec cependant des
changements de dénominations. Notons le problème de la sous-évaluation de la
population noire durant la politique de « grand apartheid » qui culmine au
recensement de 1985, non retenu dans la base ici proposée pour des questions de
fiabilité des données.
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
3
Les cadres spatiaux, dans lesquels les recensements ont été compilés, sont
beaucoup plus inconstants. En effet, l’exercice de dénombrement s’est effectué dans
des cadres hétérogènes avec d’amples modifications introduites non seulement dans
les délimitations et le nombre des entités jusque dans les années 1970, mais aussi
dans leur nature et leur statut. Jusqu’en 1991, la population considérée comme
urbaine était dénombrée par localité, tandis que la population considérée comme
rurale était dénombrée par district de recensement sans localisation précise.
Dans cet article, les séries de cartes animées (fig. 1 et 2 ; 1) issues de la base
Dysturb sont construites, pour les cartes sur la distribution de la population, en
agrégeant les données sur la population rurale par magisterial district de chaque
recensement, et, pour les cartes sur les localités de recensement, en cartographiant
la liste des localités officielles pour chaque recensement (encadré 2).
2. Données et sources
Les recensements officiels de la population sudafricaine ont été réalisés par les organismes publics
successifs prédécesseurs de l’actuel Statistics South
Africa. Des recensements généraux ont été menés
pour les années 1904 (données par districts et provinces
et non par localités), 1911, 1921, 1936, 1951, 1960, 1970,
1980, 1985, 1991, 1996, 2001, 2011 (non encore publié).
Les données de trois recensements n’ont pas été
intégrées dans la base géoréférencée. Ceci pour des
raisons de fiabilité des données (1985), de lacunes
(1904 et 1985) ou de difficultés dans la traçabilité
longitudinale des localités utilisées (1996). Les neuf
recensements retenus, avec des périodes intercensitaires
d’environ 10 ans, permettent un suivi longitudinal des
localités, des agglomérations et des districts au fur et à
mesure de leurs apparitions et de leurs éventuelles
partitions. Lorsque les chiffres de population étaient
disponibles selon deux modes d’énumération, de jure
et de facto, c’est le mode de facto, plus proche de la
1. Évolution de la population, 1911 - 2001
[http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles
/art12201a.html/giraut_F1.swf]
4
population effective, qui a été préféré.
Pour les noms des localités, l’année de leur création et
celle d’obtention d’un éventuel statut de gouvernement
local la source principale est Raper (2004).
Sources complémentaires pour les homelands
Pour l’année 1991, les données concernant les
homelands dits indépendants TBVC (Transkei,
Bophuthatswana, Venda, Ciskei) proviennent des
recensements qui y ont été menés sous supervision
sud-africaine. Ils présentent pour la première fois des
énumérations, plus ou moins détaillées selon les
homelands, de la population rurale par villages et
townships. En complément, plusieurs études (Graaff,
1986 ; HRC, 1992 ; McCarthy, Bernstein, 1998) et des
rapports réalisés par Statistics South Africa, the South
African Institute of Race Relations et l’Urban
Foundation ont été utilisés pour l’identification des
agglomérations
urbaines
morphologiques
et
fonctionnelles dans les bantoustans.
2. Le maillage administratif, 1911 - 2001
[http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/a
rt12201a.html/giraut_F1.swf]
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
2. La dynamique de la distribution spatiale de la population : de la
division coloniale à la nouvelle Afrique du Sud métropolitaine et
ses marges
Au début du XXe siècle, la distribution de la population sud-africaine renvoie avant tout
à celle de la population rurale d’origine bantoue qui représente plus des deux tiers du
total. La répartition des populations « urbaines » d’origine européenne est donc
quantitativement secondaire.
Ainsi en 1911, le premier recensement général de la population sud-africaine
compte 6 millions d’habitants dont plus de 70 % d’origine bantoue. Cette population
est rurale à 80 % et concentrée dans la partie orientale de la Province du Cap et dans
les Provinces du Natal et du Transvaal. Sa distribution géographique dessine une
vaste ceinture qui inclut le Nord-Ouest, le Nord et l’Est du pays où se situent les
réserves bantoues créées à partir des réduits laissés par les colonisations de
peuplement afrikaner et britannique. Ces réserves couvrent environ 10 % de la
superficie sud-africaine ce qui est confirmé par le Land act de 1913, (elles seront
étendues à 13 % en 1936), soit les deux cinquièmes des terres du Nord et de l’Est.
Au début du siècle, mis à part quelques districts urbains, les districts les plus peuplés
sont ceux de la ceinture des réserves indigènes comme Zoutpansberg dans le Nord
du Transvaal, Umtata dans la partie orientale de la province du Cap ou Ixopo dans le
Natal central. Parallèlement, les communautés liées au peuplement originaire
d’Afrique australe (Khoïkhoï ; San) et aux vagues de colonisations et de migrations
depuis l’Europe (Afrikaners et Anglais) et l’Asie (Indiens et Malais) sont installées
dans les autres parties moins densément peuplées du pays.
Les populations d’origine européenne sont essentiellement urbaines dans les
provinces du Cap et du Natal où elles voisinent avec les populations métisses et
indiennes, et davantage rurales dans l’Orange Free State et le Transvaal où elles sont
concentrées dans des bourgs ou dispersées dans des fermes distinctes des réserves
africaines. Les populations d’origine anglaise et indienne forment la majorité de la
population urbaine et sont également présentes dans les parties rurales de l’excolonie du Natal. Les Afrikaners et Coloureds se répartissent dans différents
environnements : villes, bourgs et campagnes.
Les trois plus grandes villes comprenant centre-ville, banlieues et locations (nom
donné durant la période coloniale et pré-apartheid aux quartiers urbains réservés aux
populations d’origine africaine) sont déjà habitées par les différentes communautés
sud-africaines en 1911. La cité administrative et d’affaires du Cap compte 85 000 Europeans or Whites » et 75 000 « Coloureds » ; la nouvelle cité « champignon » minière
de Johannesburg compte 120 000 « Europeans or Whites », 100 000 « Bantus » et
15 000 « Coloureds and Asians ») ; enfin, le grand port industriel de Durban compte
35 000 « Europeans or Whites », 35 000 « Asians » et 20 000 « Bantus ».
Cette carte de répartition de la population évolue tout au long du siècle sous
l’influence de deux processus : la croissance différentielle des populations et
l’urbanisation massive. La croissance différentielle des populations, avec des soldes
migratoires et naturels différents selon les régions et les communautés, amplifie les
contrastes entre les milieux ruraux denses (les anciennes réserves africaines) et les
campagnes où l’exploitation est d’origine coloniale.
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
5
Malgré la pression démographique, la superficie totale des réserves sera
plafonnée à 13 % du territoire sud-africain. Ainsi la terre réservée en propriété
collective subit une pression extrême sans perspective d’extension pour les cultures
ou les pâturages. Cela a bien sûr alimenté un courant d’exode rural et imposé la figure
du travailleur migrant, créant une forte dépendance des populations africaines rurales
vis-à-vis des revenus salariés externes, majoritairement urbains. Les mouvements
forcés de population et les limitations de mouvements qui ciblent les populations
d’origine africaine ont contribué à renforcer le poids démographique d’ex-réserves
devenues des parties de bantoustans.
La période du « grand apartheid » des années 1970 introduit des changements
majeurs dans la répartition de la population. La politique des homelands ou
bantoustans était conçue et présentée comme une politique de décolonisation interne
avec création de nouveaux États pseudo-indépendants pour les populations d’origine
africaine dans lesquels celles-ci auraient exercé leurs droits politiques. Ces pseudoÉtats étaient créés à partir des réserves indigènes, à superficie constante (13 % du
territoire sud-africain) mais avec quelques modifications mineures pour limiter les très
nombreuses discontinuités territoriales. Avec la mise en place parallèle de nouveaux
sites industriels à la frontière des nouveaux homelands, il s’agissait également d’une
rationalisation du système d’exploitation à l’échelle nationale incluant même le
Lesotho et le Swaziland, États dépendants et voisins (Christopher, 2001). Dans ce
nouveau système, de nouvelles agglomérations « champignons » se développent
aux confins intérieurs des bantoustans, au plus près des villes et des sites industriels
ou miniers voisins. Plus généralement, les déplacements forcés et les restrictions à la
mobilité résidentielle imposées aux populations d’origine africaine contribuent à
renforcer le poids démographique des anciennes réserves devenues homelands.
Malgré — et parfois avec — ces politiques contraignantes qui limitent l’exode rural
et imposent même un certain exode urbain, la continuation de l’urbanisation massive
se traduit par la croissance des aires métropolitaines et urbaines mais aussi par
l’émergence de nouveaux bassins urbains et industriels dans le Nord du Natal minier
et industriel, dans le Nord-Ouest minier de l’Orange Free State ou encore dans
l’Eastern Cape avec la constitution d’une conurbation (East-London/King William’s
Town) débordant largement sur le homeland du Ciskei. Cela illustre la mutation de
l’urbanisation et des formes urbaines avec le développement, dans les bantoustans,
d’implantations suburbaines éloignées des villes sud-africaines et considérées
comme rurales bien qu’effectivement liées à l’urbanisation (Ramutsindela,
Donaldson, 2001 ; Folio, Guyot, 2004).
Au total, de 1911 à 2001, l’Afrique du Sud connaît une phase d’urbanisation intense
avec une forte croissance des agglomérations de plus de 5000 habitants dont la
population totale croît en moyenne de 3,6 % par an sur toute la période. Ces villes
sont ici considérées selon des critères d’agglomération morphologique et
fonctionnelle, indépendants des classifications raciales et spatiales, qui excluent
officiellement des parties d’agglomérations de la population urbaine.
Les deux séries de cartes animées montrent clairement le renforcement des fortes
densités des anciennes réserves indigènes coloniales devenues bantoustans et la
forte concentration dans les principales aires métropolitaines. Ainsi l’Orange Free
State, où ne sont situées que quelques anciennes réserves et aires urbaines,
regroupe 10 % de la population sud-africaine en 1911 et seulement 6 % au début du
6
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
siècle. Sur la même période, l’ancienne province du Natal représente toujours
20 % du total quand le Nord du pays, c’est-à-dire l’ancien Transvaal, avec ses nombreuses ex-réserves et une immense conurbation porte plus de 45 % des 45 millions
d’habitants en 2001 contre seulement 25 % des 6 millions de Sud-Africains en 1911.
XXIe
3. Les localités officielles (census places) : des seuls sites
pionniers à l’ensemble des implantations humaines
La carte des localités de recensement (census places) correspond jusqu’aux années
1970 à celle des entités du gouvernement local, autrement dit, aux communautés
auxquelles il est reconnu un droit d’auto-organisation et donc une certaine autonomie.
Des settlements ruraux et des suburbs permettent cependant d’identifier quelques
localités complémentaires (notamment pour les recensements de 1911 et 1921), bien
souvent appelées à être promues ultérieurement comme siège d’un organe de
gouvernement local par la présence d’une communauté d’origine européenne. Des
localités d’origine africaine furent reconnues comme chefs-lieux, notamment dans les
Transkeian territories mais aussi au Zululand, et donc administrées comme des
chefs-lieux coloniaux avec leur petite colonie de fonctionnaires et à ce titre identifiées
comme des localités officielles.
Les townships dotées de structures propres d’encadrement administratif et les
nouvelles localités promues dans les bantoustans vont constituer, à partir de 1970,
une nouvelle génération de localités dont la reconnaissance accompagne la politique
du « grand apartheid ». En 1991, les recensements séparés de bantoustans
indépendants (Transkei, Bophuthatswana, Venda et Ciskei) introduisent (pour les
deux premiers) l’identification systématique des lieux de peuplement et des
agglomérations africaines rurales comme des localités de recensement. Ils
préfigurent en ce sens la généralisation du recensement des localités rurales à partir
de 1996 et donc dans notre base à partir du recensement de 2001. Une certaine
adéquation entre le semis de localités et les densités de population apparaît donc
enfin, même si les très fortes densités des aires métropolitaines ne se traduisent pas
par un semis de localités proportionnel à leur
Number of census places per census
poids démographique réel (encadré 3).
20 000
La croissance du nombre des localités de
recensement qui correspondent (fig. 3) aux
localités officielles montre clairement la 15 000
mutation post-apartheid intervenue à partir du
milieu des années 1990, quand les localités 10 000
d’origine africaine sont reconnues comme des
localités de recensement individuelles et non
plus comme des éléments indifférenciés de la 5 000
population rurale d’un district. Avant cela, le
graphique indique une croissance lente du
0
1911 1921 1936 1951 1960 1970 1980 1991 1996 2001
nombre de localités officielles correspondant
d’abord à la création ou à la reconnaissance de 3. Nombre de localités de recensements
nouveaux établissements humains pionniers et par recensement
ensuite, lors de la période d’apartheid, à la promotion de quelques townships comme
localités de recensement séparées des cités auxquelles elles appartiennent
fonctionnellement et morphologiquement.
©Mappemonde 2012 (GS)
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
7
3. Constitution de la base des localités
Jusqu’en 1991, les localités retenues dans les recensements correspondent au seul milieu urbain officiel.
C’est-à-dire que la liste officielle des localités est
élaborée en fonction du statut des localités, lui-même
en lien avec l’origine de la localité et sa composition
raciale plus qu’avec sa dimension. L’existence d’un
conseil de gouvernement local était le critère de
définition jusqu’en 1970 : A. Municipalities (dont
Boroughs au Natal et Town and City Councils au
Transvaal) ; B. Village Management Boards dans les
provinces du Cap et de l’Orange Free State ; Village
Councils au Transvaal ; Town Boards au Natal ; C.
Health Committees au Natal et au Transvaal ; Local
Boards au Cap ; D. Local Areas au Cap et au
Transvaal ; Public Health Areas au Natal.
Un certain nombre de localités disparaît sur la période,
il s’agit de villages de colons ou de centres
missionnaires, d’abord identifiés comme des localités à
part entière puis qui ont connu un déclin de leur
population d’origine européenne (cas de certains
centres de mission) ou ont été inclus dans une
municipalité voisine ou dans une banlieue plus
étendue. Parmi les nouvelles localités qui
apparaissent, il s’agit, avant 1970, de villages ou de
banlieues dont la croissance de la population d’origine
européenne se traduit par l’obtention d’un statut de
gouvernement local et donc de qualité urbaine pour les
recensements. La croissance du nombre de localités
urbaines est ainsi très forte entre 1936 et 1951 (de 492
à 722, soit un accroissement de près de 50 %).
Les recensements permettent, de plus, d’identifier un
certain nombre de localités qui n’ont pas un statut
officiel de localité urbaine mais qui sont reprises dans
la base Dysturb (tab. 1). En effet, des listes de villes,
villages et localités rurales accompagnent les premiers
recensements (1911 et 1921). De plus, jusqu’en 1960,
on donne dans les recensements des listes de
banlieues (suburbs) qui ne sont pas des localités
urbaines mais des décompositions des principales
aires métropolitaines. Enfin, des tableaux rétrospectifs
permettent parfois d’avoir accès aux données d’une
localité apparue ultérieurement. Dans la base Dysturb,
nous identifions de telles localités (non officielles au
sens statistique qui ne reconnaît que les localités
urbaines) comme des settlements. Leur population est
également incluse dans le total rural du district
d’appartenance qui regroupe l’ensemble des
populations hors localités urbaines. À partir de 1980,
sont également considérés comme localités officielles
de recensement (urban places), les principales
townships noirs, métis et indiens des villes non dotées
de conseils élus mais reconnues comme localités
urbaines. Il ne s’agit nullement alors d’une concession
démocratique du régime de l’apartheid, mais d’une
comptabilité des localités urbaines noires susceptibles
de faire l’objet de déplacements forcés vers les
homelands dans le cadre du « grand apartheid ». Ainsi,
ce sont plus de 350 black townships qui apparaissent
dans le recensement de 1980. En 1991, deux
homelands « indépendants», le Bophuthatswana et le
Transkei procèdent dans leur recensement à un
décompte exhaustif des localités, autrement dit
l’ensemble de la population de chaque district est
rattaché à une localité. Il n’y a donc plus pour ces
homelands une catégorie rurale indifférenciée qui
regroupe l’ensemble de la population ne relevant pas
d’une localité urbaine.
Ceci est annonciateur des pratiques post-apartheid en
vigueur dans le recensement de 1996 pour lequel un
maillage exhaustif en plus de 12 000 localités est utilisé
et dans celui de 2001 où 2 674 localités (main places)
sont déterminées et précisément délimitées, et se
décomposent en 15 966 subplaces (VacchianiMarcuzzo, 2004). En effet, la nouvelle organisation
administrative et territoriale, orchestrée par le
Municipal Demarcation Board et StatSA, repose sur
sept échelons géographiques différents : 1. État ; 2.
Provinces ; 3. Municipalités de district et aires
métropolitaines ; 4. Municipalités de base et District
Management Areas ; 5. Localités principales (main
places) ; 6. Sous-localités (subplaces) ; 7. Aires
d’énumération. Ces nouveaux découpages emboîtés
sont exhaustifs.
Les correspondances entre les localités de 1991 (ou
avant) et celles de 2001 ont d’abord été
systématiquement recherchées au niveau des
subplaces, puis pour les localités restantes au niveau
des main places. Sur les près de 4 000 localités (3 923)
recensées en 1991 ou avant*, environ 1 430 sont
présentes dans la base mais n’ont pas de
correspondance avec une localité ou une sous-localité
de 2001 et ne sont donc pas géoréférencées. Il s’agit
pour l’essentiel (1 306 sur 1 430) de localités
recensées dans le Transkei et le Bophuthatswana
uniquement en 1991.
*Certaines ont une existence éphémère dans les recensements et
apparaissent pour un ou quelques recensements puis disparaissent
avant le recensement de 1991.
Tableau 1. Nombre de localités de recensements 1911-2001
Localités recensées
Settlements, suburbs
(1911 à 1960) ou
Subplaces (1996 et 2000)
Nombre de localités
8
1911
1921
1936
1951
1960
8
241
16
74
105
366
610
508
796
863
358
369
492
722
758
1970
874
874
1980
1108
1108
1991
3706
3706
1996
2001
12851
15966
12851
15966
855
2674
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
4. Perspectives historiques et politiques sur l’évolution des
ingénieries territoriales : de l’ordre colonial aux agencements postapartheid
La cartographie dynamique des localités officielles au cours du XXe siècle reflète
l’histoire de l’antagonisme entre les implantations coloniales et la distribution effective
de la population. La dense population rurale africaine des réserves coloniales puis
des bantoustans fut considérée, jusque dans les années 1990, de manière
indifférenciée dans le cadre du « reste » (« other ») rural de chacun des districts de
recensement, une fois les populations urbaines isolées de leurs localités officielles.
L’indifférenciation spatiale des populations rurales d’origine africaine s’inscrivait
dans le modèle spatial issu de la colonisation et sophistiqué sous l’apartheid qui
distinguait les localités d’origine coloniale, auxquelles était liée la notion de
citoyenneté, des espaces réservés aux indigènes, ceux-ci étant soumis au régime de
la propriété collective et à la sujétion de leaders considérés comme traditionnels
(Christopher, 1976 ; Mamdani, 1996 ; Schmidt, 1996 ; Houssay-Holzschuch, 1996 ;
Giraut et al., 2005 ; Giraut, 2005).
Le rapprochement entre les cartes des localités de recensement et de la
distribution de la population totale s’effectue donc tardivement, d’abord avec la
reconnaissance de certaines townships urbaines distinctes des autres parties des
villes, puis dans les années 1990, avec la réalisation de quelques recensements
spécifiques pour certains homelands et la fin de l’apartheid et la reconnaissance
officielle de localités non considérées jusque-là.
Au long du XXe siècle, l’évolution de la représentation du peuplement peut ainsi être
vue comme l’expérience du tournant postcolonial avec la reconnaissance tardive de
la participation des populations dites indigènes au processus d’urbanisation et à la
citoyenneté associée.
Dans le cas particulier de l’Afrique du Sud, le régime d’apartheid confronté à la
croissance urbaine a incorporé certains quartiers réservés aux Africains et aux nonBlancs (les townships) dans la nomenclature des localités pour pouvoir prendre en
compte ces fragments de territoires de plus en plus nombreux et les considérer
comme urbains. Cependant, ces quartiers furent comptés séparément du reste des
entités urbaines avec un gouvernement local extra municipal et contrôlé par le
pouvoir central. Ceci participa de la structure fragmentée de la ville d’apartheid
(Davies, 1981 ; Lemon, 1991 ; Gervais-Lambony, 1997 ; Christopher, 2001). De plus,
les mouvements forcés de population du « grand apartheid » projetèrent au-delà des
frontières des homelands de nouveaux fragments liées aux villes et dépendants, mais
cette fois non reconnus comme urbains (fig. 4). Le tout formant un système complexe
et original pour lier ségrégation et exploitation avec un jeu de pass (autorisation de
déplacements contrôlés) sophistiqué.
Cette ingénierie d’apartheid, à la fois censitaire et territoriale, peut être considérée
comme une sophistication du système colonial des locations et des reserves, pour un
usage optimal de la force de travail sans avoir à assurer ses coûts de reproduction.
C’est la thèse de Dan O’Meara (1983) qui interprète l’expérience culturelle et
historique de l’apartheid dans une approche néomarxiste qui souligne la rationalité
économique du système. Cette approche fut développée par Deborah Posel (1997)
qui considère l’apartheid comme la combinaison d’un plan purement idéologique d’un
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
9
point de vue racial, d’une recherche de rationalité économique et de facteurs
contingents. Cependant, d’autres auteurs insistent sur le caractère avant tout
ethnocentrique et sur la dimension culturelle de l’idéologie d’apartheid. Ainsi Thiven
Reddy (2000) range cette idéologie dans le cadre plus général du travail culturel
« d’hégémonie » (d’après l’expression d’Antonio Gramsci) exercé par les Européens
pour la définition d’un « autre » colonial dans les colonies de peuplement. Hermann
Giliomee (2003) revisite, quant à lui, les essais théoriques et la position de différentes
forces politiques de la région dans l’entre-deux-guerres et estime que les fondements
de cette idéologie sont liés au discours missionnaire. Selon ces lectures culturelles et
historiques, l’apartheid est à replacer comme séquence spécifique dans la longue
durée d’une colonie de peuplement et d’exploitation, ce que Bettina Schmidt (1996)
démontre magistralement.
A- The city of apartheid
B- Municipality of apartheid
Red dotted line= bantoustan boundary
Green dotted line=municipal perimeter
©Mappemonde 2012 (GS)
Réalisation: Giraut, 2005
4. La composition de la ville d’apartheid en entités séparées et fragmentées (A) et les statuts
sélectifs des localités de recensement selon les juridictions municipales et des homelands (B).
(Giraut, 2005). [CBD : Central Business District ; Buffer Zone : Zone Tampon]
Avec l’ordre de l’apartheid, la cartographie officielle sud-africaine ignorait la plupart
des lieux dédiés aux populations africaines (Stickler, 1990), qui n’étaient pas non plus
visibles dans les nomenclatures de recensements. C’est ce que le HautCommissariat aux droits de l’Homme a nommé la « deuxième Afrique du Sud ». Des
chercheurs ont cerné et documenté cette Afrique du Sud invisible dans des rapports
ou des articles critiques. Leurs approches allaient de la tentative d’identification et
d’énumération des mouvements forcés de population (Platsky, Walker, 1985) et de
l’ensemble des implantations urbaines africaines (Graaf, 1986), à la discussion sur la
fonction de ces mouvements et localisations (Mabin, 1988). D’autres furent impliqués
dans des études visant à optimiser les politiques de développement incluant les
populations africaines (Simkins, 1983, 1986 ; Urban Foundation, 1990) ou à évaluer
les mérites des différentes localisations pour les développements urbains (Geyer,
1989, 2003).
Aujourd’hui dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les tentatives d’effacement de la
géographie et de la toponymie coloniales et d’apartheid passent par un processus de
changement de noms très controversé (Giraut et al., 2008 ; Guyot, Seethal, 2007 ;
Jenkins, 2007).
10
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
Un dictionnaire des noms de lieux sud-africains dans sa dernière édition (Raper,
2004) s’ouvre très largement à une toponymie africaine en intégrant nombre d’allonymes.
En revanche, il continue d’ignorer une partie de la « deuxième Afrique du Sud » occultée de la cartographie officielle de l’apartheid : townships lointaines, townships ou
concentrations périphériques de bantoustans et squatters camps. Ainsi, n’apparaissent
pas des aires urbaines majeures telles que: Ozizweni, Esikhaweni, KwaMsane, Wembezi,
Ezakheni, Emondlo, toutes au KwaZuluNatal ou Kayaletu dans l’ex-Ciskei ou encore
Ga Luka dans l’ex-Bophuthatswana. Et si le Bushbuckridge (vaste concentration de
population africaine dans une poche d’ex-bantoustans à quelques dizaines de
kilomètres des pôles d’emplois du parc national du Kruger et de la capitale provinciale
Nelspruit) est mentionné, c’est toujours comme la dénomination d’une petite chaîne
qui a donné son nom à un village Bosbokrand ! Quant à Inanda (très vaste quartier
urbain développé en autoconstruction à la périphérie de Durban dans la continuité de
la township de KwaMashu), c’est en tant que mission que la localité apparaît.
Lors de cette période de transition post-apartheid se pose donc avec acuité le
problème de la reconnaissance et de la réintégration de lieux marginalisés (fig. 5),
voire occultés par une certaine géographie officielle.
5. Un dessin des paysages contrastés et des types
d’implantations humaines sud-africaines à la fin de l’apartheid
(Urban Foundation, 1994)
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
11
Dans ce contexte et dans une perspective « post-colonie de peuplement » (« post
settler society »), les recensements post-apartheid ont visé deux objectifs : considérer
toutes les implantations humaines sud-africaines comme des localités de
recensement, et envisager comme aire urbaine l’agrégation de l’ensemble des
fragments urbains liés fonctionnellement. Cette évolution se situe dans un processus
plus large de construction d’un nouveau dispositif de gouvernement local inclusif
(Cameron, 1999 ; Giraut, Maharaj, 2002 ; Ramutsindela, Donaldson, 2001 ; Sutcliffe,
2002 ; South African Cities Network, 2004 ; Maharaj, Narsiah, 2005 ; HoussayHolzschulch, Vacchiani-Marcuzzo, 2009) et de re- ou dé-hiérarchisation des lieux et
des communautés dans l’information géographique officielle. En somme, il s’agit de
produire une nouvelle géographie contre les représentations sociales et politiques
héritées à l’œuvre dans une société divisée d’origine coloniale.
Conclusion
Les recensements sud-africains successifs au cours du XXe siècle, selon les
idéologies et ingénieries territoriales qui ont inspiré leur conception, ont produit une
hiérarchie des lieux et des communautés changeante, typique de l’évolution d’une
société issue d’une colonie de peuplement et de ses représentations spatiales.
La distinction fondamentale entre les localités fondées par les populations d’origine
européenne et les implantations humaines d’origine africaine a produit une « double
Afrique du Sud ». La « deuxième Afrique du Sud », en fait première mais dans l’ombre
de la colonisation (d’où l’expression anglaise « The shadow South Africa »), était
rendue invisible dans la sphère politique du gouvernement local et dans les
représentations officielles de la distribution des localités. L’urbanisation des
populations d’origines non européennes a modifié les représentations officielles et la
hiérarchie des lieux avec la reconnaissance progressive des communautés urbaines
non européennes dans le système hautement ségrégué de la ville d’apartheid.
La fin de l’apartheid a débouché sur une nouvelle représentation de l’espace des
différentes communautés. Cette représentation, désormais inclusive, recense
l’ensemble des implantations humaines comme localités dé-hiérarchisées, mais cela
demeure une représentation toujours différencialiste en termes de communautés.
Sur un siècle, la représentation des localités officielles et de la distribution de la
population a donc évolué d’une vision de colonie de peuplement à une vision
postcoloniale qui inclut l’espace et les lieux anciennement subalternes de la société
coloniale héritée.
Bibliographie
BOUCHARD G. (2000). Genèse des nations et cultures du Nouveau Monde. Essai
d’histoire comparée. Québec : Boréal, 503 p. ISBN : 2-7646-0035-6
BRETAGNOLLE A., PUMAIN D., VACCHIANI-MARCUZZO C. (2009). « The Organization of
Urban Systems ». In COURGEAU D., FRANCK R., LANE D., PUMAIN D., VAN DER
LEEUW S., WEST G., dir., Complexity Perspectives in Innovation and Social
Change. Dordrecht : Springer, coll. « Methods Series, Methodological Prospects
in
the
Social
Science »,
492
p.
ISBN :
978-1-402-09663-1
http://www.springerlink.com/content/v158q7kn88880420/fulltext.pdf
12
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
CAMERON R.G., dir. (1999). The democratisation of South African local government.
A tale of three cities. Pretoria : Van Schaik Publishers, 345 p. ISBN : 9780627024238
CHRISTOPHER A.J. (1976). Southern Africa (Studies in historical geography).
Folkestone : Dawson, coll. « Studies in historical geography », 292 p. ISBN : 07129-0694-0
CHRISTOPHER A.J. (2001). The Atlas of Changing South Africa. London : Routledge,
272 p. ISBN : 0415211786
DAVIES R.J. (1981). « The Spatial Formation of the South African City ». GeoJournal,
n° 2, p. 59-72.
FOLIO F., GUYOT S. (2004). « Les villes du KwaZulu-Natal, entre différenciation et
compétition, quels enjeux territoriaux ? ». L’Espace géographique, n° 4, 307-324.
FOUCAULT (2004a). Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France (19781979). Paris : Gallimard, 355 p. ISBN : 2020324016
FOUCAULT (2004b). Sécurité, territoire, population : cours au Collège de France (19771978). Paris : Gallimard, 432 p. ISBN : 2020307995
GERVAIS-LAMBONY P. (1997). L’Afrique du Sud et les États voisins. Paris : Armand
Colin, coll. « U. Série Géographie », 253 p. ISBN : 2-200-01771-5
GEYER H.S. (1989). « Differential Urbanisation in South Africa and its consequences
for spatial developpement Policy ». African Urban Quarterly, n° 5, p. 275-292.
GEYER H.S. (2003). « Differential Urbanisation in South Africa - A Further
Exploration ». Tijdschrift voor Economische en Sociale Geografie, vol. 94, n° 1,
p. 89-99.
GILIOMEE H., (2003). « The Making of the Apartheid Plan ». Journal of Southern
African Studies, vol. 29, n° 2, p. 373-392.
GIRAUT F. (2005). Fabriquer des territoires. Utopies, modèles et projets. Paris :
Université de Panthéon-Sorbonne, habilitation à diriger des recherches, 308 p.
GIRAUT F., MAHARAJ B. (2002). « Contested terrains. Cities and towns in postApartheid boundaries delimitations ». Geojournal, vol. 57, n° 1/2, p. 15-27.
GIRAUT F., GUYOT S., HOUSSAY-HOLZSCHUCH M. (2005). « La nature, les territoires et
le politique en Afrique du Sud ». Annales HSS, vol. 60, n° 4, p. 695-717.
GIRAUT F., GUYOT S., HOUSSAY-HOLZSCHUCH M. (2008). « Enjeux de mots : les changements toponymiques sud-africains ». Espace géographique, 2, p. 131-150.
GIRAUT F., VACCHIANI-MARCUZZO C. (2009). Territories and Urbanisation in South
Africa. Atlas and geo-historical information system (DYSTURB). Paris : IRD
Éditions, coll. « Cartes et Notices », CD-ROM. ISBN : 978-2-7099-1674-5
GRAAF J.F. de V. (1986). The Present State of urbanisation in the South African
Homelands and some future scenario’s. University of Stellenbosch-Dpt of
Sociology Occasional, paper 11.
GUYOT S., SEETHAL C. (2007). « Identity of place, places of identities : Change of
Place names in Post-Apartheid South Africa ». The South African Geographical
Journal, vol. 89, n° 1, p. 55-63.
HANNAH M.G. (2000). Governmentality and the Mastery of Territory in NineteenthCentury America. Cambridge : Cambridge University Press, 262 p. ISBN : 9780521669498
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202.html
13
HOUSSAY-HOLZSCHUCH M. (1996). Mythologies territoriales en Afrique du Sud, un
essai de géographie culturelle. Paris : Éditions du CNRS, coll. « Espaces et
milieux », 104 p. ISBN : 2-271-05375-7
HOUSSAY-HOLZSCHUCH M., VACCHIANI-MARCUZZO C. (2009). « Un morceau de
territoire en quête de référence : le centre commercial dans les aires
métropolitaines en Afrique du Sud ». In BOUJROUF S., ANTHEAUME B., GIRAUT F.,
LANDEL P.-A., dir., Les Territoires à l’épreuve des normes : référents et
innovations. Contributions croisées sud-africaines, françaises et marocaines.
Marrakech, Grenoble : LERMA, Faculté des lettres et sciences humaines,
Revue Montagnes Méditerranéennes, 528 p. ISBN : 978-9981-916-31-5
HRC - Human Rights Commission (1992). The Two South Africas. A people’s
geography. Johannesburg : HRC.
JENKINS E. (2007). Falling into Place : The Story of Modern South African Place
Names. Cape Town : David Philip Publisher, 228 p. ISBN : 978-0-86486-689-9
LEMON A., dir. (1991). Homes apart : South Africa’s Segregated Cities. London :
Chapman Bloomington, 256 p. ISBN : 978-185396-117-5
MABIN A. (1988). « Households, history and black urbanisation : Response to Graaf ».
Development Southern Africa, vol. 5, n° 3, p. 393-402.
MAC CARTHY J., BERNSTEIN A. (1998). South Africa’s ‘‘Discarded people’’ : Survival ;
adaptation and current challenges. Johannesburg : Centre for Development and
Enterprise, CDE research 9, 36 p.
MAHARAJ B., NARSIAH S. (2005). « La nouvelle géographie régionale de l’Afrique du
Sud post-Apartheid ». In ANTHEAUME B., GIRAUT F., dir., Le territoire est mort,
vive les territoires ! Paris : IRD Éditions, 384 p. ISBN : 2-7099-1574-X
MAMDANI M. (1996). Citizen and Subject. Contemporary Africa and the Legacy of Late
Colonialism. Princeton : Princeton University Press, 353 p. ISBN : 0-691-02793-5
MBEMBE A. (2000). « At the Edge of the World : Boundaries, Territoriality and
Sovereignty in Africa ». Public Culture, vol. 12, n° 1, p. 259-284.
MORICONI-EBRARD F. (1993). L’Urbanisation du monde depuis 1950. Paris :
Anthropos, coll. « Villes », 372 p. ISBN : 2-7178-2559-2
MORICONI-EBRARD F. (1994). Geopolis, Pour comparer les villes du monde. Paris :
Anthropos, coll. « Villes », 246 p. ISBN : 2-7178-2721-8
O’MEARA D. (1983). Volkskapitalism : class, capital and ideology in the development
of Afrikaner nationalism, 1934-1948. Johannesburg : Ravan Press, 281 p. ISBN :
0869751530
PLATZKY L., WALKER C. (1985). The Surplus People : Forced Removals in South
Africa. Johannesburg : Ravan, 446 p. ISBN : 0-86975-255-3
POSEL D. (1997). The Making of Apartheid. 1948-1961 : conflict and compromise.
Oxford : Clarendon Press, coll. « Oxford studies in African affairs », 297 p.
ISBN : 0-19-571515-2
RAMUTSINDELA M., DONALDSON R., dir. (2001). « The Imprint of Bantustans and
Transformation ». The South African Geographical Journal, vol. 83, n° 1.
RAMUTSINDELA M. (2001). Unfrozen Ground : South Africa’s Contested Spaces.
Aldershot : Burlington USA ; Singapore : Ashgate, 102 p. ISBN : 0-7546-1453-0
RAPER P.E. (2004). New Dictionary of South African Place Names. Johannesburg :
Jonathan Ball Publishers, 421 p.
14
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
REDDY T. (2000). Hegemony and Resistance : Contesting identities in South Africa.
Aldershot and Burlington : Ashgate, 256 p. ISBN : 978-0-7546-1205-6
ROSE-REDWOOD R.S. (2006). « Governmentality, Geography, and the Geo-Coded
World». Progress in Human Geography, vol. 30, n° 4, p. 469-486.
SCHMIDT B. (1996). Creating order. Culture as Politics in 19th and 20th Century South
Africa. Den Haag : CIP-Gegevens koninklijke Bibliotheek, 350 p. ISBN : 9072639-49-9
SIMKINS C. E. W. (1983). Four Essays on the past, present and possible future of the
distribution of the black population of South Africa. Cape Town : Southern Africa
Labour and Development Research Unit, University of Cape Town, 187 p.
SIMKINS C.E.W. (1986). Patterns of Urbanisation in South Africa : Past, Present and
Possible Future. Cape Town : University of Cape Town, coll. « Economics
Learning Resource », n° 7, 36 p. ISBN : 9780799210033.
SOUTH AFRICAN CITIES NETWORK (2004). State of the Cities Report.
STATISTICS SOUTH AFRICA (2001). Investigation into appropriate definitions of urban
and rural areas for South Africa : Discussion Document.
STICKLER P.J. (1990). « Invisible towns : a case study in the Cartography of South
Africa ». GeoJournal, vol. 22, n° 3, p. 329-333.
SUTCLIFFE M. (2002). « Creating cities of Hope ». In ANTHEAUME B., GIRAUT F.,
MAHARAJ B., dir., Recompositions territoriales, confronter et innover. Actes des
rencontres scientifiques franco-sud-africaines de l’innovation territoriale.
http://iga.ujf-grenoble.fr/teo/Innovation/introduction.htm
TOAL G. (1996). Critical geopolitics : the politics of writing global space. Minneapolis :
University of Minnesota Press, 328 p. ISBN : 978-0816626038
TRIGGER D., GRIFFITHS G., dir. (2003). Disputed Territories. Land, Culture and Identity
in Settler Societies. Honk Kong : Hong Kong University Press, 326 p. ISBN :
978-9622096486
URBAN FOUNDATION (1990). Population Trends : demographic projections model,
Braamfontein.
URBAN FOUNDATION (1994). Urban debate 2010 : policies for a new urban future :
population trends, Johannesburg.
VACCHIANI-MARCUZZO C. (2004). « Le deuxième recensement de la population de
l’Afrique du Sud post-Apartheid. L’urbanisation cernée, l’informel masqué ».
Cybergeo, n° 276. http://cybergeo.revues.org/2455 ; DOI : 10.4000/cybergeo.2455
VACCHIANI-MARCUZZO C. (2005). Mondialisation et système de villes : les entreprises
étrangères et l’évolution des agglomérations sud-africaines. Paris : Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, thèse de doctorat, 360 p.
Note
1. La cartographie dynamique a été réalisée par Stéphanie Guislain, IRD.
Adresses des auteurs
Frédéric Giraut, Université de Genève, Département de géographie, Fac SES, Unimail, 40 bd Pont
d'Arve, 1211 Geneve 4. Courriel : [email protected]
Céline Vacchiani-Marcuzzo,
[email protected]
Université
de
Reims,
UMR
Géographie-Cités.
M@ppemonde 106 (2012.2) http://mappemonde.mgm.fr/num34/articles/art12202a.html
Courriel :
15

Documents pareils