Rue Vauvenargues, l`état du monde À la Maison du Partage, le répit
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Rue Vauvenargues, l`état du monde À la Maison du Partage, le répit
Reportage photos : Isabelle Eshraghi Tous les soirs à 19 11 30, une équipe de Fraiice Terre d'asile part en maraiide. <(II>, (1 iui point de ralliement, place rlzr Color~el Fabien, où 017 tente de repérer les mineurs, et parrili eux-, les p1u.r vt~lnérables,pour 1 e 1 ~trozivei . rit1 hébergement (le nuit», précise Julien Mactie, le responsable de la plateforme. 3000 € pour le passage Les places sont rares. Ving-cinq en tout, à quelques pas de là, à la Maison du partage, tenue par l'Armée du salut. d u , il.speuilent nzanger lin repas cl~a~itl, prerlt1r.e une douclie. Mais, hélas, or1 Inisse toujours di.^ à à~ingtje~ines rlehorL~», poursuit Julien. C'était vrai en tiovernbre, niais fin déceinbre, alors que Paris grelottait, ce jour-là, Julien était fier : «Ce .soir: Astrid Véron apprend à Souleyrnane la prononciation du "u". il n :v a pas un srzil rrdo d ~ h o r . ~ ~ ~ r lae mise s à l'abri, le 1s ressemblent comme des frères à inlassablement les jours de la semaicontact est établi. La deuxième étanos garçons. Comme eux, ils por- ne ou à prononcer l'imprononçable pe, c'est la rencontre, rue Vauvenartent jeans, sweat, baskets, casquette pour lui, les u '? On croit savoir à peu et capuche. Comme eux, ils ont les près tout du périple de ces enfants gues, avec les intervenants sociaux. (le cheveux coiffés en pétard, ou héris- fuyant la guerre et la misère : les mar- «On leur expliq~leles po.~.~ibi/ités prise en charge, raconte l'un d'entre sés au gel façon "tecktonik ". Ils ont ches forcées, les embarcations de foreux, Sylvain Chapoulet. On reclieille le même rire, la même gouaille, la tune pour re-joindre les côtes. les même insouciance. A l'entrée de la camions, les passeurs, les coups, les les récits (Ir \lie, les éiwntue1.s problèmes de sat~té,si le jeune a laissé plate-forme d'accueil des jeunes camps, la "jungle", la rue. On imaenlpr-eir~tesen Grèce 0 1 1 aillelirs, des mineurs isolés étrangers de I'asso- gine, derrière tous ces sourires, le et éventuellement les dettes qu'il a ciation France Terre d'asile, rue côtoiement permanent de la violenpz1 contracter. Crules Afglirrr~s,par. Vaiivenarg~ies, ils se bousculent, ce, la peur et la mort. ' 7 Irr,SSP1115 jouent des coudes, se font des niches. Ahamad : ccÇa,fait deux ans queje exemple, ont dîl payer IL, 1 entre 3 000 et 4 000 euros. Erlsiiitt. Dans la salle adjacente à l'accueil, vojluge, j 'ai été deux .fois exp111,sé ot~,fa.rele tout à lu DDASS, ait Sarrlrt c'est parfois moins drôle, certains d'Iran.. .» Saïd : d ' a i travaillé trois dorment, la tête dans les mains ou sur ans à Diibai', dans un restaurant, j'a- social, et iI 1 'Aide sociale a I'enfànvais douze ans, c 'était très dur.. . Ils ce (ASE)pour une prise en charge de une table, écroulés de fatigue. Mais c'est au coiirs d'Astrid Véron m 'ont exj~iil.sé,raconte-t-il mimant ses cet enfant potentiellen~enten danger; sans représentcrtit légal.)) qu'on peut les approcher car c'est là mains menottées. Puis je suis allé en Et 1'ASE est débordée : (<Ledélai Et qu'ils viennent toiis les matins pour Iran et là encore j'ai été e.~pulsé.>). d 'instr~lction est [leplusieilr-s n ~ o i s ses mains sont toujours menottées. apprendre le français. Et p1zl.s ça dure. plits le ri.sqtlr est grand qu 'ilspartent ailleurs. Ils sont Rue Vauvenargues, À la Maison du Partage, tléstahilisés par cette uttente. Et lu l'état du monde le répit pression des passeurs et des aittiu.~ On n'obtient que des bribes de atlos e.st.fi~rto>, Là se dessine une singulière carpoursuit Sylvain. tographie du monde : celle de la récit. La faute à la difficulté à comguerre, la répression. la pauvreté, la muniquer, à ce pachto, ce bambara, La Suède, l'Eldorado détresse. Ils viennent de partout : du ce swahili qu'on ne parle pas. Mais Parfois aussi, à une étape ou à unc Mali, de Guinée, de Géqrgie, d e parfois, quand c'est possible, on n'ob- autre du processus, et i l est long et Somalie. du Pakistan d'Eryttirée, tient rien d'autre que cette phrase complexe, 1'ASE ou le parquet de Mauritanie, du Sri Lanka, mais simplement murmurée par Mady, un demande de confirmer que le jeune les trois quarts sont des Afghans. longiligne aux cheveux tressés : ((Je est bien mineur. «Une esaertise Qui peut dire quel voyage a été i3ien.r [le Bénéou, un village à Irr fi-on- osseuse est alors ~)fjectlcéem ~ i i sIn celui de ce jeune Népalais au visage fière rna~rritanienne.Le v q v q e ? Ce marge d'erreur est (le dix-l~zlitnzois)), d'enfant moine, ou de ce Somalien fitt difficile. )) souligne Sylvain. timide recroquevillé sur sa chaise, ou Une des étapes, et parfois pas la Cette histoire d'expertise laisse parde Samar. ce jeune Pakistanais dont dernière, c'est Paris ou plutôt les ticulièrement sceptique Marie-Pierre le cahier ressemble à celui d'un pre- abords de la gare de l'Est, le square Pinaud une autre intervenante sociamier de la classe ? Qui peut dire quel Vuillemin, les berges du canal Saint- le. Elle aussi recueille les récits de vie voyage a été celui de Souleymane, ce Martin où, raconte Sadef : <Gesuis et raconte : «Ils 'agit souvent de migraieune Afghan aui s'acharne à r é d t e r resté huit mois à dormir dehors)). tion b r n n n m i n i l ~ f 'bvt I/I v 1 t ~ 1 . 1 . il f~ I . n ci pcrs d'c;co/e, pas d 'trrgcnt. alors .filmille clkcicle d 'envoj'er le garçon clans crutre p q ) . ~Leur . père lellr a dit : "Th NorvPge 0 1 1 en Slrk~lc,il parait qiic c ' vzieux !"Les pais nordiques. c'est I'Elc milri, nzais on arrive qlranil nz2nle fi en s hiliser ici. Dejanvier à noiwnihre dcrni rlci~1.s uvotls nlis 242 jelitres ci 1 'trhri notarnnzent ci l'hôtel, po~irsuit-elle.Et 3 I'ilnnke précédente. 735 sonr pilss&s l'Esp(7ce .social rl'ir~.vertiorilit>1'Arntée sczllrt.)) :iq «Je veux travailler, vivre...)) ?tefait partie de leur vie. Des jeux les aident à patienter. ~<oVotre dispo.sitij'n 'est pc~s~fifit poirr dut des niois et cles mois, c'pst 11n disj~os d'urgerice. Noti.c hiit c'st qiie ces jeriii soierr f scolarisés, trolrvetit lrrlr place fi~yerou zrne,fan~ill~ rI'clcc11eil)>,soulig Julien Maclle. Rue Vauvenargues, les rêvcs prennent f( ine. Souleymane : «.Je veux a l l ~ àr 1 'écolc Dad : ((Jeveux rester ici e t firir-e en sorte me cotzsrri~it.ezuze vie (.orrtlcte.))Ataulla «deveir.x.fiir~7LIU foot et de la ~iiéraniqir Dad : <deiwi1.x trller dans une école et anr trizvailler et ovoiv une bonne vie )> Mad! (<JeiJeiixuppre~iifreà.fuire hi pairi.)) II faut accompagner les rêves. Cet apr inidi Ii, on a fêté avec un brin de retard No rue Vauvenargues. Julien Mache avait IT une fausse barbe et un chapeau de Père No L'affaire avait été préparée de longue da 11 a fallu acheter des petits cadeaux, les emy queter, les étiqueter, n'oublier persoiine. Tout le monde avait été convoqué pour u importante réunion, disait-on. Rien presque n'avait filtré. Tous les adolescer sont arrivés à 14 heures tapantes. Quand porte de la salle du cours de français s'c enfin ouverte, on a su que c'était la fête. U grande table avait été dressée. Elle était g: nie de gâteaux, de papillotes, de chocolats de biscuits. Et on avait bien sûr pensé au so et au coca. Julien a distribué les cadeaux I par- un, à chacun des soixante-quatorze ad lescents qui étaient réunis. Il y avait de l'attente dans les regards, de l'étonnement à l'appel du prénom. On a vu beaucoup glisser leur cadeau sous le blouson et le serrer contre la poitrine. Il n' tait pas question d'ouvrir le paquet, pas ta de suite.. . Edith Canestri ( 1 À l'accueil rue Vauvenargues. Le 18e dic rizois :Le ministre. Eric Besson, a déclaré en janvier que «tout mineur isolé étranger doit être accueilli». Vous en pensez quoi ? Pierre Henry : 11 reste à le faire passer dans les faits. La prise en charge aujourd'hui des mineurs isolés étrangers repose exclusivement sur les départements via l'Aide sociale à l'enfance (ASE). Avec certains très exposés comme Paris, le Val-de-Marne, la SeineSaint-Denis, le Pas-de- Calais, les Bouches-du-Rhône. Ceux là font déjà beaucoup et appellent à une solidarité financière de la part de 1'Etat. Le seul endroit où il existe une réponse de I'Etat, c'est Paris, avec un budget de trois millions par an, mais il faut batailler pour avoir une reconduction chaque année. Vous accueillez en majorité des mineurs afghans. En général, leur projet est d'aller vers le Nord de l'Europe. Combien restent en France ? . De 15 à 20 %. Notre démarche est de les retirer de la rue. On évalue avec eux leur projet migratoire car ils sont acteurs de leur vie et si leur projet n'est pas de rester ici, nous le respectons. Mais évidemment nous les dissuadons de partir plus loin. Par quels moyens? Nous n'avons pas que dcs Afghans et nous avons à chaque fois des situations particulières. 11 y a celui qui n'a plus de famille, celui qui est exploité dans des réseaux, et enfin, celui qui est demandé par la famille. Dans ce dernier cas et quand c'est possible, nous contactons les parents. Mais il y a des tas d'enjeux et surtout le contrat financier qui a pu être passé entre eux et celui qui est chargé de l'acheminement (dans le cas des Afghans ça peut aller jusqu'à 15 000 euros). Nous essayons de les convaincre, de leur faire savoir que leur enfant est en danger et qu'il faut arrêter le voyage. On y arrive parfois, mais pas toujours. Quand il existe des doutes sur la minorité de ces jeunes réfugiés, 1'ASE ou le parquet demande une expertise osseuse. C'est une démarche que vous contestez. Pourquoi ? Je ne suis pas contre I'expertise par principe. Mais enfin, c'est une pratique qui date des années trente, elle a une marge d'erreur de dix-huit mois. On peut a minima en réclamer une refonte. Ce qui doit étre pris en compte, c'est le critère de "vulnérabilité". Si l'un a 17 ans, 11 mois et 28 jours et l'autre 18 ans et 1 jour, est-ce qu'il y a en un qui est plus en danger que l'autre ? Le doute doit profiter au jeune. En décemhre, aux assises de France Terre d'asile à Lille, vous avez lancé un appel pour une protection européenne des mineurs isolés étrangers. II n'y a aucune politique commune en ce domaine ? Non. il n'v a nas d'unification européenne et les pratiques sont diffcrentes d'un pays à l'autre. Pourtant nous avons des textes internationaux qui nous engagent et bien sûr la convention des droits de l'enfant et la convention de Genève. Pensez, par exemple. que nous ne savons même pas corilbien ils sont. On dit entre 50 000 et 100 000, ça fait de la marge. I I faut déjà harmoniser les principes et notamment le fait qu'on ne peut pas prononcer des mesures privatives de liberté. On ne doit pas les enfermer (ils le sont en Grèce) et dans toute approche, ce qui doit guider, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant. Comment financer tout cela ? Le budget de l'agence Frontex qui a été créée pour aider les Etats européens à enrayer l'iminigration illégale est passé de 18 millions en 2006-à 85 millions d'euros en 2009. A cela s'a-joute un fond global de 205 millions d'euros. Tout cet argent est destiné à la "sécurisation" des frontières. Pendant ce temps. le budget du fonds européen pour les réfugiés est de 98 n~illions.Nous proposons la création d'un fonds européen pour la protection des mineurs isolés étrangers. Aux assises à Lille, j'ai dit qu'il fallait redéployer les crédits affectés à la sécurisation vers un fonds pour les mineurs. C'était un peu par provocation, mais bon, il faut dire que les chiffres parlent d'euxmêmes ! Propos recueillis par Edith Canestrier