Pour redécouvrir François Morellet.

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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
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VIE LOCALE
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PORTRAIT
François Morellet
ou l’esprit décalé
L’artiste inaugure une nouvelle œuvre aux Arcades Rougé
à Cholet, où il est né. Rencontre avec un jeune homme
de 88 ans à l’humour décapant.
C
onfortablement assis sur un sofa cramoisi, son
regard me souhaite la bienvenue avec un rien
de malice dans les yeux. Chiffonné par l’âge,
ses cannes à portée de main, il grogne contre
“tous ces noms propres qui foutent le camp et quelquefois les mots simples aussi…” Contre l’âge et les trous de
mémoire. Mais la fulgurance de l’esprit est là : “il faudra vous
habituer, le peu de temps que l’on sera ensemble. Pour moi les mots,
les phrases, c’est surtout pour jouer avec ! Et quitte à avoir une
sénilité, autant qu’elle soit rigolarde, non ? Mais j’avoue, cela peut
être agaçant pour les autres…” Quand on lui rappelle qu’il fut
au départ, autodidacte, l’humour vole du tac au tac ! “Auto, c’est
trop ! Dites plutôt "vélodidacte" !”
François Morellet, le dit lui-même, il a eu une double vie
Reportage photos sur
www.magazine-racines.fr
François Morellet devant Triple V, une de ses nouvelles œuvres.
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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
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Du jaune au violet, 110 x 220 cm, 1956, collection Musée National
d'Art Moderne – Centre Pompidou, Paris, © Atelier Morellet
jusqu’à l’âge de 50 ans. Commercial et designer de landaus
d’enfants dans l’entreprise familiale Morellet-Guérineau(1), le
jour, peintre le dimanche et les jours fériés. “Dans ma vie, je ne
pense pas avoir pris des décisions comme dans les romans où l’on se
dit, "maintenant, je vais faire ça…". Depuis longtemps je m’amusais
à dessiner des "trucs", mais mon père m’a poussé à faire une licence
de russe. J’avais donc, comme bagage, le russe et la barbouille.”
Celui qui a vendu sa première œuvre à 34 ans, est aujourd’hui
devenu le maître de l’intégration architecturale, de l’abstraction
et du hasard. Toile, bambou, tubes de néon, métal, pierre, il fait
feu de toutes flammes. Dans la lignée des inventeurs de l’art
géométrique, comme Mondrian ou Kandinsky, François Morellet glisse aussi une note d’humour qui sera sa signature. Une
de ses œuvres les plus emblématiques datant de 1960, Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs
d’un annuaire de téléphone, 50 % bleu, 50 % rouge, imprimera sa
marque. Prenant le bottin du Maine-et-Loire, il reporte les
séquences de chiffres sur le tableau sous la forme de carrés
VIE LOCALE
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Lamentable Ø 8m20 blanc, 2006, vue de l'exposition :
Couvent de la Tourette, Eveux, 2009, © Atelier Morellet
bleus ou rouges selon que chaque chiffre est pair ou impair.
Une pixellisation d’avant-garde, alors que l’ordinateur n’existait
pas encore dans le domaine public.
Inaugurant ce mois-ci à Abu Dhabi aux Émirats ArabesUnis, à Ulm en Allemagne, ou prochainement à Cholet, où il
est né, mixant les lettres du slogan de la ville (Cholet l’entreprenante)(2) François Morellet dit avoir choisi un art où “il
mettait le moins possible de lui-même et beaucoup de hasard” : “j’ai
eu un très grand plaisir à faire mes pièges à spectateurs !” Éric Morin,
l’actuel conservateur du Musée d’art et d’histoire de Cholet,
décrypte : “dans tout l’art conceptuel, et dans celui de Morellet, être
un artiste c’est d’abord s’amuser, avoir l’esprit ludique. Il nous invite
à regarder l’œuvre comme quelque chose qui vit, parce que votre
regard s’en empare avec votre vécu pour lui donner une réalité…”
Entre sa maison et son immense jardin, à Cholet, l’artiste
octogénaire “machine, encore et toujours, son aléatoire : dans mon
atelier, là-haut, il y a plein d’idées partout. Je ne pensais pas vivre
si longtemps, j’ai abandonné le rangement…”
Christine Grandin
Le hasard et l’humour
“Dans toute la lignée de l’art construit, il représente
celui qui est allé sans doute le plus loin, qui est le plus
radical. Dans l’art concret, l’art géométrique, normalement il n’y a pas de sentiment, c’est froid. Il atteint
cette rigueur, mais avec de l’humour : c’est vraiment
sa touche à lui. Et aussi ce jeu avec le hasard, qui fait
la beauté et la simplicité de ses œuvres.
Pour moi, c’est un ami plein d’humour, assez provocateur dans la vie. Qui a parfaitement conscience de
la place qu’il a dans l’art contemporain, mais avec
une véritable humilité, ce qui est assez rare. Et c’est
rafraîchissant.”
Alain Katz, ancien conservateur du Musée d’art et d’histoire de Cholet
(1) Devenue ensuite Bébé-Confort à la fin des années 1970.
(2) 10 lignes au hasard suivant les lettres C H O L E T E N T R E P R E N A N T E
Où voir les œuvres de François Morellet ?
• À Cholet : Musée d’art et d’histoire : plusieurs œuvres qui jalonnent son parcours de 1949 à 1997 peintures, sculptures, montages luminocinétiques (néons),
dont une encre sérigraphique sur bois de sa célèbre Répartition aléatoire de 40 000
carrés 50 % rouge et 50 % bleu, suivant les chiffres pairs et impairs de l’annuaire téléphonique du Maine-et-Loire (1960). Du mercredi au dimanche de 10 h à 12 h et
de 14 h à 18 h, 3,20 €. Gratuit le samedi, du 1er octobre au 31 mai.
• À Nantes : Hôtel de la Région, Portail 0°-90°, portail 8°-98°, poutres acier laqué
noir et bleu (10 m x 14 m) ; immeuble des mutuelles Harmonie Atlantique, De
temps en temps, tubes néon et argon (163 m), qui s’allument de manière aléatoire
selon le temps qu’il fait en représentant nuages, soleil ou gouttes de pluie.
• À Paris : Au Louvre, dans l’aile Richelieu, L’esprit d’escalier (2010), baies et oculi,
vitraux revisités de l’escalier Lefuel.
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