Pénalisation des clients de prostitué(e)s : derrière l

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Pénalisation des clients de prostitué(e)s : derrière l
Pénalisation des clients de prostitué(e)s : derrière l'approche
dogmatique, un désastre sanitaire annoncé pour les travailleuses du
sexe et un soutien inespéré aux réseaux mafieux.
Najat Vallaud – Belkacem, en soutenant la pénalisation des clients de prostitué(e)s sur le modèle
suédois, prend une position simpliste, facilement défendable en quelques minutes sur un plateau de
télévision. Elle ne s'encombre pas même de l'expertise nécessaire sur un sujet qui pourtant impacte
directement la santé publique et les droits de milliers de travailleuses du sexe ; sujet qui ne devrait donc
théoriquement pas être de son ressort mais de celui du Ministère de la Santé ou de la Justice.
Les Radicaux de Gauche devraient prendre position contre cette « ligne suédoise ». Tirant son inspiration de
la Suède qui mène depuis des années une politique répressive et prohibitionniste à l'égard des prostitué(e)s,
cette ligne considère les travailleuses du sexe comme un problème et souhaite le résoudre en les rendant
invisibles.
Pourtant, pénaliser les clients de prostitués c’est faire peu de cas de la prévention du sida et des infections
sexuellement transmissibles (IST) et c’est faire peu de cas de la lutte contre les réseaux mafieux, voire d'en
devenir les alliés objectifs.
La pénalisation des clients de prostitué(e)s va à l’encontre de la prévention des IST et du VIH/sida
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Plusieurs institutions nationales et internationales (l'ONU , l'ONUSIDA , l'OMS , le PNUD ou encore
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du Conseil national du sida ) dénoncent les lois réprimant la prostitution comme des obstacles à une
prévention efficace des IST et tout particulièrement du sida.
Le PNUD (Programme des Nations-Unie pour le Développement), dans un récent rapport sur le VIH et le
droit souligne : « Certaines législations pénalisent non seulement le commerce du sexe, mais refusent aussi
aux travailleurs du sexe tous les droits civiques fondamentaux auxquels ils peuvent prétendre. […] De telles
conditions de vie augmentent la vulnérabilité au VIH, il n’est donc pas surprenant de constater que
les travailleurs du sexe sont en général 8 fois plus susceptibles de contracter le VIH que d’autres
adultes. […] Pourtant, la situation pourrait être différente. Lorsque les travailleurs du sexe sont
organisés, lorsqu’ils ne sont pas harcelés par la police et qu’ils sont libres d’avoir accès à des
services de lutte contre le VIH de qualité, leur taux d’IST sont plus bas […] ».
Le Conseil National du Sida fait le même constat. La loi sur la sécurité intérieure instaurant le délit de
racolage passif, en dégradant les conditions de travail des prostitué(e)s, a eu des effets négatifs sur
l’accès à la prévention et aux soins. Le CNS constatait en 2010 : « Par ailleurs, l’évolution de la
législation, en faisant notamment du racolage passif un délit, a conduit à une augmentation extrêmement
importante du nombre de mises en cause de personnes prostituées. Elle a aggravé considérablement leur
vulnérabilité, les a rendues moins visibles dans l’espace public et a compliqué le travail de
prévention mené par les associations. ».
La pénalisation des clients de prostitué(e)s les éloignera encore un peu plus des structures de
prévention, de soin et de dépistage. La pénalisation des clients, entrainant leur raréfaction et donc une
diminution du revenu des prostitué(e)s, rendra très difficile pour les travailleuses du sexe d’imposer le
port du préservatif : outre qu'elles seront isolées dans des endroits où leurs clients n'auront pas peur d'être
inquiétés, elles se verront aussi contrainte d'accepter des relations sexuelles non-protégée, par pression
économique, afin de s'assurer un revenu de subsistance minimal.
Cette proposition est d'autant plus insupportable, qu'en matière de stigmatisation et de répression d'une
population, ce qui constitue le lit rêvé du VIH/sida, les précédents existent et sévissent encore, ici et ailleurs,
pour les homosexuels comme pour les usager(e)s de drogues. Nous ne pourrons pas dire que nous ne
savions pas.
La pénalisation des clients de prostitué(e) va à l’encontre de la lutte contre les réseaux mafieux.
Le rapport du PNUD fait le bilan de la pénalisation des clients de prostitué(e)s en Suède et conclut à
son inefficacité en ce qui concerne la lutte contre les réseaux mafieux : « Depuis son application en 1999, la
loi n’a pas amélioré les conditions de vie des travailleurs du sexe, mais au contraire les a empirées ».
Le rapport, citant la police suédoise, constate que le commerce sexuel est resté globalement au
même niveau. Si la prostitution a disparu de la rue, elle s’est déplacée dans les hôtels, les restaurants, sur
internet et au Danemark. La police suédoise s’inquiète car le commerce sexuel est devenu plus violent
et on constate l’arrivée de femmes étrangères et sans-papiers placées entièrement sous la coupe de
proxénètes. Depuis que cette loi existe, seuls 2 clients ont été condamnés. Surtout, cette loi a renforcé le
pouvoir des réseaux, qui deviennent d'autant plus nécessaires aux prostitué(e)s que celles-ci ont de
plus en plus besoin de leurs “services” (liste de clients par exemple).
On le voit, cette loi passe à côté de ses objectifs affichés.
Nos propositions
Les faits montrent de façon patente l’échec du prohibitionnisme en matière de prostitution, la
pénalisation des clients n’en étant qu’une forme hypocrite. C’est un échec criminel en ce qui concerne
la prévention du sida et des IST, c'est un échec dans la lutte contre les réseaux mafieux.
Pour nous, le principe de base doit être de faire la distinction entre le travail sexuel consenti qui doit
être admis comme n’importe quelle activité économique et la prostitution contrainte qui doit être
vigoureusement combattue. Le PNUD recommande de changer d’approche sur le travail sexuel : « Plutôt
que de punir les adultes consentants engagés dans le travail du sexe, les Etats doivent garantir la sécurité
au travail et offrir aux travailleurs du sexe et à leurs clients un accès à un service d’appui au VIH et autres
services de santé efficace. ». Concernant la pénalisation des clients, le PNUD recommande dans son
rapport d’ « abroger les lois qui interdisent aux adultes consentants d’être clients ou acteurs du commerce
du sexe […]».
Voici donc un ensemble de mesures cohérentes allant dans ce sens et que le PRG devrait soutenir :
- La fin du harcèlement policier : avec interdiction pour les fonctionnaires de police ou les gendarmes
d'utiliser le nombre de préservatifs ou les traitements antirétroviraux dont sont en possession les
prostitué(e)s pour qualifier un délit de racolage, déclaration en nullité de tout arrêté contraignant les
travailleuses du sexe à s'invisibiliser (arrêté préfectoral interdisant le stationnement de camionnettes à Paris,
Lyon ou Bordeaux par exemple), et prise en compte systématique des plaintes pour viol ou agression.
- L’abrogation de la loi pénalisant le racolage public (actif ou passif) comme le recommande la
Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) et l'exigent les associations de lutte
contre le sida.
- La délivrance de titre de séjour aux prostitué(e)s étrangères victimes d’exploitation afin qu’elles
puissent avoir accès à la justice et faire valoir leurs droits comme le recommande la Commission Nationale
Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH).
- La modification de la loi sur le proxénétisme afin de ne plus punir que le proxénétisme de
contrainte. En effet, actuellement, le code pénal punit indifféremment le proxénétisme de contrainte et de
soutien. La loi actuelle permet de poursuivre les compagnons, enfants, parents à charge des prostitué(e)s
ou associatifs qui leur viennent en aide. Le proxénétisme hôtelier devrait également être aboli afin qu’une
prostituée puisse louer un local en sécurité pour exercer son activité sans que son propriétaire puisse être
poursuivi. Par suite, les prostitué(e)s devraient pouvoir légalement s'autogérer, afin de faciliter le travail
de prévention sanitaire des associations, et garantir leur propre sécurité aux travailleuses du sexe.
- La reconnaissance du statut de travailleur(euse)s aux prostitué(e)s leur donnant droit à la sécurité
sociale, à la médecine du travail, à l’assurance chômage, à la retraite et au droit à la formation
professionnelle. Si le droit à la santé et à la sécurité sont fondamentaux pour tou(te)s, il faut savoir que la
situation aujourd'hui est d'autant plus inepte que bon nombre de prostitué(e)s déclarent leurs revenus,
payent des impôts, mais n'ont droit à rien.
Sur les questions de prostitution et de travail du sexe, plus que jamais, en tant que Radicaux de
Gauche, c'est la raison et le pragmatisme qui doivent nous guider devant une telle urgence sanitaire et
sociale. C’est parce que nous sommes de gauche que nous refusons une politique qui contribuera à
accroître la précarité d’une population déjà très fragile. Et c'est précisément parce que nous sommes de
gauche que nous pensons que toutes les mesures répressives en la matière (pénalisation, criminalisation,
prohibition) sont absolument contre-productives, et mettent en danger la vie des prostitué(e)s, en plus
d'ignorer et de mépriser toute l'expertise menées depuis des années par les associations de terrain, les
organisations de lutte contre le sida, les professionnels de santé et les institutions.
Chirinne Ardakani (PRG 91), Jeremy Chambraud – Susini (PRG 75), José De Sousa (PRG 91), Bernard
Ferrand (PRG 91), Pascal Hocante (PRG 91), François Xavier Perrault (PRG 91), Renaud Weber (PRG
67).
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Déclaration politique sur le VIH/sida de l'ONU : Intensifier nos efforts pour éliminer le VIH/sida, ONU, 8 Juin 2011 :
"Notons que de nombreuses stratégies nationales de prévention du VIH ne sont pas adéquatement axées sur les populations dont les
données épidémiologiques montrent qu’elles sont à haut risque, en particulier les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres
hommes, les personnes faisant usage de drogues par voie intraveineuse et les travailleurs du sexe, et notons en outre que chaque
pays devrait définir précisément les populations principalement concernées par l’épidémie et l’action menée pour lutter contre celle-ci,
en fonction du contexte épidémiologique et national"
"UNAIDS Guidance Note on HIV and Sex", ONUSIDA, Mars 2009.
http://www.unaids.org/en/media/unaids/contentassets/documents/unaidspublication/2009/JC2306_UNAIDS-guidance-note-HIV-sexwork_en.pdf
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"Sex Work", Organisation Mondiale de la Santé, http://www.who.int/hiv/topics/sex_work/en/index.html
& "Stratégie mondiale du secteur de la santé sur le VIH/sida 2011-2015", 2011.
http://whqlibdoc.who.int/publications/2011/9789242501650_fre.pdf
"Les lois devraient être passées en revue, et au besoin modifiées, pour réduire la vulnérabilité au VIH, améliorer l’accès aux prestations
de santé et protéger les droits humains. Ces lois antidiscrimination devraient être votées dans tous les domaines, et une attention toute
particulière devrait être donnée aux restrictions concernant les voyages, à l’emploi, à l’homophobie, à la prostitution, à la lutte contre la
consommation de drogues et à la pénalisation de la transmission du VIH. Plutôt que de céder à la pénalisation, il serait préférable
d’adopter de bonnes pratiques de santé publique […]."
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"Les travailleurs du sexe", Programme des Nation Unies pour le développement, Juillet 2012.
http://www.hivlawcommission.org/resources/report/FinalReport-Risks,Rights&Health-FR.pdf
Synthèse de l’avis "VIH et commerce du sexe" : garantir l’accès universel a la prévention et aux soins, Septembre 2010.
http://www.cns.sante.fr/IMG/pdf/cns_synthese_prostitution_20120718.pdf
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