Philippe, prostitué, 24 ans

Transcription

Philippe, prostitué, 24 ans
Témoignage de Philippe,
prostitué, 24 ans
‘‘ C’est le seul boulot
où l’on peut refuser un client
qui ne nous plaît pas. ’’
‘‘J
’ai commencé à me prostituer à 17 ans. J’habitais
Tours et j’allais discuter avec les filles qui faisaient
le trottoir dans le quartier traditionnel de la prostitution. Cela m’intéressait, j’étais intrigué, j’avais envie de ça
depuis longtemps et, un jour, je suis passé à l’acte. La première fois, on est un peu stressé, mais j’ai vite trouvé mes
marques. En fait, il n’y a pas beaucoup de différence entre
faire une passe et la drague qui se pratique dans les lieux
publics de rencontre homo. Je me suis prostitué dans la rue
avant de venir vivre à Paris, où je suis devenu escort-boy sur
Internet. Je suis encore étudiant, mais d’étudiant prostitué je
suis devenu escort-boy qui fait des études.
Depuis deux ans, je gagne moins d’argent. On sent la crise.
J’ai moins d’habitués, et il a fallu revoir les prix à la baisse,
mais je ne descends jamais le rapport complet en dessous
de 90 euros. En moyenne, je gagne 1 000 euros mensuels. Et
puis il y a plus de concurrence, y compris occasionnelle, surtout les fins de mois. Vu mon âge, 24 ans, j’ai créé ma niche
comme “minet”. Mes clients mariés, les “clients du placard”
comme je les appelle, n’aiment pas les escort-boys trop virils,
un homme plus jeune les met plus à l’aise. La prostitution gay
est aussi un milieu où on est vieux très jeune. Moi-même,
je suis vieux pour le milieu, mais je me donne quand même
jusqu’à 35 ans avant de raccrocher.
“Étude” sociologique
Un travail social
Il y a beaucoup de clichés qui circulent sur les clients, il y a de
gros cons – ceux qui refusent de payer le prix indiqué ou qui
sont agressifs –, mais c’est comme ailleurs. Le plus gros cliché
est de croire que les clients profitent tous de l’innocence et
de la précarité des prostitués. Ce genre de relation me donne
un pouvoir sur le client qui est en situation de misère affective
et sexuelle, c’est moi qui fixe le prix et les pratiques. Le travail
dans la rue m’a aussi appris des choses sur ma sexualité, mon
corps, les tabous des clients. Sociologiquement, c’est fascinant de voir ce qui se joue. Il y a des hommes mariés qui ont
succombé à l’injonction hétérosexuelle de la société, ou des
chefs d’entreprise qui passent leur vie à dominer les autres et
cherchent l’inverse quand ils paient un escort-boy. J’ai aussi un
peu vécu à Rome, où les clients sont plus agressifs et presque
tous sont mariés, c’est peut-être ce qui les rend paranos. En
Italie, les prix sont très bas, une passe se négocie entre 50 et
70 euros, contre 100 à 140 euros à Paris. Contrairement aux
escorts femmes, qui tarifient à l’heure, les gays travaillent en
effet à la prestation. Mes prix vont de 70 euros la branlée à 100
euros le rapport complet.
Je vois mes clients réguliers chaque semaine ou tous les
quinze jours, l’après-midi, à la sortie des bureaux, et un peu
le soir, à la maison ou à l’hôtel. Et le personnel de l’hôtel sait
très bien pourquoi on est là ! Parfois, mon client m’invite au
restaurant, parfois il n’y a pas de sexe, comme avec ce client
impuissant à qui je fais des câlins. Mon activité est un travail social. Le sexe est un facilitateur pour prendre confiance
en soi, pour moi comme pour le client. Je donne aussi de
l’écoute, de l’affection. J’aime le sexe, je ne me force jamais,
je le dis au client si cela ne passe pas physiquement avec
lui. C’est bien le seul boulot où on peut refuser un client qui
ne nous plaît pas ! Je ne fais pas plus de cinq à six passes
par semaine pour garder une vie sexuelle privée et gérer ma
libido. Mes colocataires sont tous au courant de mon activité, et mon copain, ou mon amant, aussi. Je ne compte pas
renoncer à l’escorting parce que j’ai un ami, mais, parfois,
cela se passe mal. »
Propos recueillis par Adélaïde RobaulT
Photo : Ulrich Lebeuf/Myop

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