du contrat de sous-traitance industrielle1

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du contrat de sous-traitance industrielle1
Le nouveau « formalisme » du contrat de sous-traitance industrielle1
Par Sophie SOUBELET-CAROIT, SSC Avocats
La loi n°2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation dite « loi HAMON » comporte un ensemble
de dispositions se rapportant aux relations entre professionnels, en particulier dans la recherche d’un
équilibre de leurs relations contractuelles. Aussi la loi HAMON modifie-t-elle également le Code de
commerce, notamment le titre IV « De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et
d’autres pratiques prohibées » du livre IV de ce code, dont le chapitre 1er « De la transparence » s’est vu
enrichi d’un nouvel article L.441-9 issu de l’article 126 de la loi du 17 mars 2014 ainsi rédigé :
« I. ― Une convention écrite est établie, dans le respect des articles L. 441-6 et L. 442-6, pour tout
achat de produits manufacturés, fabriqués à la demande de l'acheteur en vue d'être intégrés dans sa
propre production, dont le montant est supérieur à un seuil fixé par décret. Elle indique les conditions
convenues entre les parties, notamment :
1° L'objet de la convention et les obligations respectives des parties ;
2° Le prix ou les modalités de sa détermination ;
3° Les conditions de facturation et de règlement dans le respect des dispositions législatives
applicables ;
4° Les responsabilités respectives des parties et les garanties, telles que, le cas échéant, les modalités
d'application d'une réserve de propriété ;
5° Les règles régissant la propriété intellectuelle entre les parties, dans le respect des dispositions
législatives applicables, lorsque la nature de la convention le justifie ;
6° La durée de la convention ainsi que les modalités de sa résiliation ;
7° Les modalités de règlement des différends quant à l'exécution de la convention et, si les parties
décident d'y recourir, les modalités de mise en place d'une médiation.
II. ― A défaut de convention écrite conforme au I, les sanctions prévues au II de l'article L. 441-7 sont
applicables. »
La « localisation » de cette nouvelle disposition législative et les travaux parlementaires qui sont à son
origine, éclairent parfaitement sur la volonté du législateur : imposer une formalisation des relations
contractuelles entre donneurs d’ordre et sous-traitants afin d’en favoriser l’équilibre. En réalité, ce texte
découle de l’une des propositions de M. le Sénateur Martial BOURQUIN dans un rapport de mai 2013
consacré aux « relations entre donneurs d’ordre et sous-traitants dans le domaine de l’industrie »2.
Dressant un constat assez pessimiste, du point de vue des sous-traitants, de ces relations, l’auteur du
rapport suggérait de « rendre obligatoire, sous peine de nullité, pour tout contrat dont le montant de la
commande dépasse un certain seuil fixé par décret, la signature d’un contrat écrit comportant des
clauses » dont la liste est assez proche du texte de l’article L.441-9 susvisé. A défaut d’un tel contrat, le
Sénateur envisageait l’application « de plein droit » de contrats-types par filière, adoptés par décret et à
défaut d’un tel contrat-type, l’application des « conditions générales de vente »3.
Si le texte voté en première lecture (par le Sénat), sur amendement proposé par MM. BOURQUIN et
FAUCONNIER, rapporteurs sur le projet de loi, empruntait largement à la proposition issue du rapport de
Contribution issue de la matinée CNIS – AFNeT sur « l’impact de la loi Hamon du 17 mars 2014 sur les contrats de soustraitance industrielle », 16 décembre 2014.
2 Accessible à l’adresse : http://www.economie.gouv.fr/files/2013_rapport_senateur_bourquin.pdf
3 Rapport précité, proposition n°10, annexe 3.
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2013, celui adopté en seconde lecture (par le Sénat) - après avoir été retiré en seconde lecture à
l’Assemblée nationale – fut celui finalement promulgué. Le principe d’une formalisation des contrats de
sous-traitance se trouve confirmé mais les critiques adressées à ce texte dans sa version initiale ont
conduit à en restreindre le champ d’application (§ 1), à en ajuster le contenu (§ 2) et à supprimer le
recours supplétif à des contrats-types par filière au profit de l’application de sanctions administratives
(§ 3).
1. Le champ d’application de l’obligation d’établissement d’un écrit portant contrat de soustraitance industrielle
L’obligation de formalisation est, tout d’abord, déterminée par le prix du contrat dont le seuil doit être fixé
par décret, initialement prévu pour le mois de décembre 2014 mais toujours attendu. L’entrée en vigueur
de cette nouvelle disposition législative s’en trouve différée d’autant. Si le principe apparait simple, sa
mise en œuvre pourrait l’être moins, le texte, pas plus que les débats parlementaires, ne renseignant sur
les modalités de computation de ce seuil (période d’imputation pour les contrats de longue durée, cumul
des commandes passées en exécution d’un même contrat-cadre etc.). Il n’est pas à exclure que le décret
à venir apporte quelques éclairages.
Cette obligation est, ensuite, déterminée par l’objet du contrat qui doit, selon le texte, porter sur « tout
achat de produits manufacturés, fabriqués à la demande de l'acheteur en vue d'être intégrés dans sa
propre production ». Les travaux parlementaires et l’interprétation proposée par la DGCCRF de certaines
dispositions de la loi HAMON, parmi lesquelles l’article L.141-9 du Code de commerce4, confirment
certaines déductions guidées par une simple lecture du texte. Le contrat doit porter sur la fourniture de
produits réalisés selon les spécifications du donneur d’ordre et destinés à être intégrés dans le processus
de production de ce dernier. En d’autres termes, et selon la DGCCRF, ce texte exclurait la vente de
produits standard (ou « sur catalogue ») et les prestations de services sans fourniture, qu’elles portent
sur l’externalisation de fonctions support du donneur d’ordre ou de la sous-traitance de travaux.
Néanmoins, cet éclairage suscite certaines interrogations, en particulier quant à la qualification du « souscontrat » en cause et à la coïncidence des champs d’application respectifs de ce dispositif et de celui de
la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance. En effet, tant la lettre du nouveau texte (« tout achat »,
« l’acheteur ») que l’interprétation qu’en propose la DGCCRF, orientent vers le contrat de vente alors que
l’intention du législateur (en particulier M. BOURQUIN dans son rapport de mai 2013) et le champ
d’application de la loi de 1975, conduiraient à retenir le contrat d’entreprise. L’on peut penser que la
clarification viendra des tribunaux qui pourraient, assez logiquement, retenir cette dernière qualification,
en application de la jurisprudence désormais établie de la Cour de cassation en la matière : les diverses
chambres de la Haute Cour retiennent la qualification de contrat d’entreprise dès lors qu’il y a « travail
spécifique en vertu d’indications particulières » du donneur d’ordre5. A ce titre, le texte nouveau en
désignant des produits « fabriqués à la demande de l’acheteur » fait écho à ce critère prétorien. Or, ainsi
que le relève M. BOURQUIN dans son rapport de 2013, l’enjeu de la qualification n’est pas anodin, qu’il
s’agisse de la détermination du prix, du régime des garanties, de la validité des clauses élusives de
responsabilité etc.
4 DGCCRF, Note d’information n°2014-149 du 6 août 2014 modifiée en octobre 2014 portant sur l’application des dispositions
de la loi relative à la consommation modifiant le livre IV du code de commerce sur les pratiques commerciales restrictives de
concurrence.
5 Par exemple : Cass. civ. 3ème, 5 fév. 1985, BC III, n°23 – Cass. com. 4 juil. 1989, BC IV, n°210 – Cass. civ. 1ère, 14 déc.
1999, BC I, n°340 – Cass. com. 7 nov. 2006, BC IV, n°215.
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2. La forme et le contenu du contrat de sous-traitance industrielle
Le contrat de sous-traitance doit être « écrit ». Celui-ci peut être sur support papier mais également
électronique, le second étant légalement admis en tant qu’équivalent au premier, tant à des fins de preuve
(articles 1316-1 et suivants du Code civil) que de validité de l’acte (articles 1369-7 et suivants du même
code). Et l’on peut penser que l’écrit de l’article L.441-9 dépasse la seule fonction probatoire puisque son
absence est administrativement sanctionnée. Ce formalisme obligatoire fait figure d’exception au principe
du consensualisme prévalant dans les relations contractuelles, en particulier entre professionnels. En
effet, le législateur contraint les parties à « figer » le contenu de leur relation contractuelle, probablement
pour les inciter à le négocier et, en tout état de cause, à permettre un « contrôle » du contenu susceptible
de donner lieu à sanctions administratives (cf. infra § 3).
Le contenu de cette « convention écrite » est, tout d’abord, déterminé par référence à d’autres dispositions
du titre IV susvisé du Code de commerce, et plus précisément ses articles L.441-6 et L.442-6 (ayant l’un
et l’autre donné lieu à quelques ajustements par la loi HAMON). L’on a pu se demander si le renvoi exprès
à ces dispositions, en particulier l’article L.441-6 portant notamment sur les conditions générales de vente,
devait induire le respect de certaines dispositions de ce texte (contenu des CGV, place des CGV dans la
négociation etc.). Se poserait alors la question de la combinaison de ce texte avec l’article L.441-9
nouveau. Plus vraisemblablement, et les travaux parlementaires paraissent guider en ce sens, le
législateur a voulu, par cette référence, insister plus particulièrement sur ces dispositions devant encadrer
toutes relations contractuelles entre professionnels qu’il s’agisse des délais de paiement et modalités de
réception (article L.441-6 I et IV) ou des pratiques restrictives de l’article L.446-2.
L’article L.441-9 énumère ensuite les stipulations que le contrat de sous-traitance devra comporter.
Certaines apparaissent requises en toutes circonstances : l’objet et les obligations respectives des
parties, le prix ou « les modalités de sa détermination », les conditions de facturation et de règlement, les
responsabilités et garanties, la durée et les modalités de résiliation, les modalités de règlement des
différends. D’autres clauses seront, quant à elles, requises, si les parties en décident ainsi (recours à la
médiation) ou si la nature du contrat l’impose (propriété intellectuelle). Ce contenu constitue un
minimum, le terme « notamment » laissant, sans surprise, la liberté aux parties d’aller au-delà dans la
prévision contractuelle. Ce minimum imposé n’étonne pas véritablement dans sa substance, s’agissant
là de clauses usuelles dans nombre de contrats, en particulier entre professionnels. Finalement, il semble
bien que le législateur ait voulu contraindre donneurs d’ordre et sous-traitants à s’interroger et s’accorder,
au moins sur ces clauses. En outre, celles-ci furent visiblement celles qui suscitèrent le plus grand nombre
de « doléances », particulièrement de la part des organisations professionnelles représentatives des
sous-traitants auditionnées par M. BOURQUIN6.
3. Les sanctions de l’obligation d’établissement de « convention écrite »
Renonçant à la nullité de l’acte ou encore à l’application supplétive de contrat-type par filière déterminé
par voie décrétale ou législative, le législateur a finalement opté pour la voie de la sanction administrative
prévue à l’article L. 441-7 II du Code de commerce « à défaut de convention écrite conforme ».
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Rapport précité, p. 50-51.
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Le fait générateur de la sanction peut questionner. L’on peut, sans doute et sans trop d’inquiétude quant
à la caractérisation du grief en cause, considérer que l’absence de convention expose à sanction. La
situation apparait plus incertaine quand il s’agit d’apprécier la conformité de la convention : s’agira-t-il de
s’assurer de la seule présence des clauses minimales requises ou le contrôle ira-t-il jusqu’à apprécier la
teneur même de ces clauses ? La pratique en matière de contrôle de la convention dite récapitulative de
l’article L.441-7 du Code de commerce conduit à considérer qu’un tel contrôle porterait sur l’existence
mais non sur le contenu des clauses en cause, ce qui serait heureux...
Le contrat de sous-traitance industrielle n’a pas échappé au recours accru, par la loi HAMON, à l’amende
administrative pour sanctionner les dispositions du titre IV précité du Code de commerce. D’un montant
maximum de 75 000 euros pour une personne physique et de 375 000 euros pour une personne morale,
l’amende double en cas de « réitération du manquement » dans un délai de deux ans à compter de la
première décision de sanction. L’on peut supposer, sans certitude, que la sanction interviendra au constat
d’une pratique contractuelle défaillante (et non par contrat défaillant) et expose, par principe, les deux
parties au contrat en cause (et non l’une ou l’autre d’entre elles).
Cette amende administrative est mise en œuvre selon les modalités de l’article L.465-2 du Code de
commerce, issu de la loi HAMON et complété d’un décret n°2014-1109 du 30 septembre 2014 (article 35).
Il confie aux agents de la DGCCRF, des DIRECCTE et des DIECCTE, mission de constater les
manquements en cause (par voie de procès-verbal), d’organiser une procédure contradictoire à l’égard
des personnes concernées (par la possibilité d’émettre des observations écrites dans les soixante jours
de la transmission du procès-verbal) puis de prononcer l’amende, éventuellement assortie d’une mesure
de publicité.
Il résulte de ce nouveau dispositif qu’une partie du contentieux de la sous-traitance industrielle relèvera
désormais des juridictions administratives puisque celles-ci auront compétence pour connaitre des
contestations relatives à ces amendes.
Le principe d’un formalisme protecteur de la partie faible au contrat (en l’occurrence le sous-traitant)
s’inspire notamment d’autres conventions imposées entre professionnels (en particulier celle de l’article
L. 441-7 susvisée). Outre les questions que ce texte laisse en suspens, il semble finalement exposer
cette partie faible à la même sanction que l’autre. Plus encore, certaines voix se sont élevées – y compris
parmi les représentants des sous-traitants – pour s’inquiéter d’une appropriation par les donneurs d’ordre
du rôle de rédacteur de ces contrats de sous-traitance sans véritable marge de négociation de leur
cocontractant. A ce titre notons que nombre d’acteurs économiques occupent dans leur filière le rôle de
donneur d’ordre et de sous-traitant...
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