biographie en français
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biographie en français
Artiste : Aladdin Album : « We Were Strong, So We Got Lost » REF CD : VERCD024 Label : Versatile Distribution : Module Date De Sortie : 6 Juin 2011 « See you in the next Vietnam, again… » chante Nicolas Ker dans The Secret Life of Animals, un des 12 morceaux du premier album d’Aladdin, nouvelle entité que le chanteur de Poni Hoax et de Paris mène de front avec Gilbert Cohen, aka Dj Gilb’r, boss de Versatile (Zombie Zombie, i:Cube, Joakim, Etienne Jaumet) et membre de Château Flight (avec i:cube). Hmmm… Lorsque quelqu’un vous donne rendez-vous dans un nouveau Vietnam, ce n’est jamais dans l’idée de vous offrir des vacances ensoleillées - et de fait, par sa fièvre, We were strong, so we got lost a ce parfum de conflit rallumé. C’est, sur trente-huit minutes d’un petit opéra Viet vet sourdement chargé de napalm, les diverses étapes d’une nouvelle guerre d’indépendance. Je t’aime, je te tue. Guerre éclair, disque volontairement court (en révolte avouée contre la majorité des albums contemporains, deux fois trop longs) pour ne rien perdre de l’intensité qui le consume, pour ne pas se perdre ailleurs que dans les venelles de sa propre animalité –Aladdin rampe. Ses chansons ont cette qualité de serpent ou d’iguane, et le paysage dans la bataille qui peu à peu s’installe derrière, son théâtre des opérations si on veut, est une jungle que la voix de Ker traverse, coupe – à moins que ça ne soit l’inverse, que ce soit ces guitares lardées, ces synthés Detroit, un piano dadaïste, une rythmique intense, et ce violon sinueux qui se frayent les uns comme les autres un chemin dans le maquis que tient la voix de Ker, haut perchée, exposée, sexy. Sea of faces… Human landscapes – hummm, vu d’ici, on dirait un territoire sauvage. We were strong, so we got lost… Aladdin ne triche pas, et ce titre au qui perd-gagne vaut autant pour aveu de fierté que pour déclaration d’impuissance. Tout ça écrit à Paris, en un été, sous le coup d’une double blessure amoureuse. Trahison, orgueil, arrogance, mauvaise foi avérée, blessures exhibées, larmes ravalées, narcissisme sont les territoires minés du disque. Deux garçons sont entrés en studio pour s’y réfugier. La persévérance et la rage sont les qualités de cette saison-là en enfer. La colère et l’incompréhension les mènent - et que vivent alors les guerres civiles, si les morceaux surgissent aussi vite, et si les textes en disent autant entre les lignes, maniant les images en employant une langue aussi sibylline et crue, jusqu’à atteindre parfois l’humour des écritures automatiques – et qui sinon Ker songerait à adresser (comme on s’adresse à soi-même) une lettre de reproches à K-maro, un rappeur libano-canadien oublié de tous, et aussitôt la faire suivre d’une confession indéfinie : « I wish I was a little girl again… » Mais c’est précisément là que se poste We were strong so we got lost, insaisissable dans l’art d’orchestrer les collisions de temps et de genre : la façon de chanter de Nicolas Ker a encore évolué, plus Jeffrey Lee Pierce/Ian Curtis que de coutume, exorcisant beaucoup donc. Derrière, la production de Gilbert n’a rien, mais alors rien, de la tarte à la crème de « l’album-rock-habillé-électro », à la dernière seconde, pour sortir ou pour n’oublier personne. Les deux directions (le rock, l’électronique) sont organiquement liées par une même envie de fuir, chez Ker comme chez Gilbert, de se risquer par de-là les formules déposées, oubliant leurs sanctuaires respectifs, s’abandonnant là où le chemin et l’aventure se confondent. Rien n’est programmé dans ce disque, tout revient toujours à l’accident, à la confrontation. Il n’y a pas tant d’albums qui soient aussi nécessaires à la survie physique de ceux qui le composent. Un jour quelqu’un dira pourquoi les « side projects » donnent souvent les disques les plus fous, les plus introspectifs, les plus intimes et les plus libres. Le projet initial d’Aladdin, celui d’avant les blues au cœur, était pour ces deux musiciens qui ont beaucoup en commun sauf – ironie ! - leur culture musicale (l’un vient du rock hanté et de la new wave, Gilbert vient de la House, de la Musique noire, de la techno) de voir si ensemble cette rencontre improbable, plutôt que de tourner au dialogue de sourds, ne pourrait pas donner naissance, croyaient-ils, à une sorte de « Prince Electro » teintée d’hallucinations façon Syd Barret… Qui sous l’effet de la douleur, a pris une toute autre tournure : musique portée vers les abîmes, nerveuse, reptilienne, colérique, qui s’extériorise en fracas sourd, et qui devient totalement impressionnante quand elle trouve, par instant, le calme. Une lutte fascinante entre deux façons d’approcher la musique… des après-midi entières à avancer en territoires inconnus, Aladdin (orthographié comme chez Walt Disney, on appréciera l’humour) termine cette première bataille sur des notes instrumentales, égrenées de loin en loin jusqu’à se perdre dans l’horizon… il n’y a pas d’épilogue. Sans doute parce qu’en amour, il ne saurait y avoir de gagnants, juste des survivants : « and back again, and back again »… P.A.