Revue Œnologie 196 - Union des oenologues de France

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Revue Œnologie 196 - Union des oenologues de France
Groupe national de travail sur les tanins
œnologiques : premiers résultats.
LEMPEREUR Valérie(1), BLATEYRON Lucile(2), LABARBE B.(3), SAUCIER C.(4), KELEBEK H.(4), GLORIES Y.(4)
(1) Coordinatrice groupe Tanin ITV France, 210 boulevard Vermorel, BP 320, 69661 Villefranche sur Saône cedex.
[email protected]
(2) Rapporteur “bactéries” Institut Coopératif du Vin. La Jasse de Maurin. 34978 Lattes cedex.
[email protected]
(3) Rapporteur “couleur” SICAREX Beaujolais, 210 boulevard Vermorel, BP 320, 69661 Villefranche sur Saône cedex.
[email protected]
(4) Faculté d'Œnologie de Bordeaux, Université Victor Segalen Bordeaux 2, 351 cours de la Libération,
33405 Talence cedex. [email protected]
Le tanisage est une pratique ancienne et empirique pour laquelle il existe très peu de données expérimentales. Après être
tombé en désuétude pendant une période de 20 à 30 ans,
l’usage de tanins œnologiques redevient de plus en plus courant. Suite à ces constats faits par l’Union des Œnologues de
France en 1997 auprès de l’ONIVins, la D.G.C.C.R.F. et l’O.I.V.,
un groupe national de travail sur les tanins œnologiques est
créé fin 1998 à la demande de l’ONIVins et coordonné par
ITV France. Différents organismes y participent : expérimentateurs, chercheurs (INRA, D.G.C.C.R.F. et facultés d’œnologie), prescripteurs (U.Œ.F.), revendeurs (UFLIO) ainsi qu’un
représentant de l’I.N.A.O. et de l’O.I.V.
L’objectif est de mettre en place un programme d’expérimentations sur les tanins de manière à mieux cerner leurs
propriétés technologiques réelles et les intérêts œnologiques
qu’ils peuvent présenter. Les six propriétés suivantes sont
travaillées : stabilisation de la couleur, interaction avec les
protéines, activité anti-laccase, effet bactériostatique, activité
anti-radicalaire et maîtrise des odeurs de réduction.
Dans un premier temps, début 1999, les grandes familles
de tanins sont caractérisées par électrophorèse capillaire.
Parmi 19 préparations, un tanin représentatif est sélectionné par origine botanique (tableau 1).
Tableau 1- Nature et codification des tanins œnologiques étudiés
Origine botanique
Famille
Code
Pépins de raisins
Pellicules de raisins
Noix de galle
Quebracho
Chêne
Châtaignier
Proanthocyanidines
Proanthocyanidines
Gallotanins
Proanthocyanidines
Ellagitanins
Ellagitanins
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
A partir des vendanges 1999, des essais en laboratoire, minicuverie et grands volumes sont mis en place dans les différents
organismes d’expérimentation, membres du groupe de
travail. Les protocoles des essais sont communs. Les préparations de tanins œnologiques sont les mêmes. Dans cet article,
les premiers résultats d’essais de deux thématiques sont
développés, l’effet bactériostatique des tanins œnologiques
puis l’effet instantané du tanisage sur la couleur. Les résultats
des autres thématiques seront traités ultérieurement.
L'action des composés phénoliques sur la croissance des
bactéries lactiques demeure mal connue. Les travaux réalisés
par différents auteurs ont montré tantôt un effet inhibiteur
des polyphénols sur le développement des microorganismes (1), tantôt un effet stimulateur par certains
acides galliques (acide coumarique, protocatéchine, etc)
et par des anthocyanes condensées (2).
Les travaux de Vivas et al (3) ont montré que la croissance
de Oenococcus oeni était inhibée par certains des composés
phénoliques susceptibles d'être présents dans les préparations commerciales (procyanidines de pépins, ellagitanins
de bois de chêne).
Il est donc paru important au groupe de travail de déterminer dans quelle mesure l'emploi des tanins œnologiques
pouvait agir sur l'enclenchement et le déroulement de la
fermentation malolactique (FML).
1
Matériel et méthodes
Les vins sur lesquels ces essais ont été réalisés sont des vins
élaborés à la cave expérimentale de l'I.C.V., selon les process
standard de vinification du plan qualité de celle-ci (vendange
foulée-éraflée, sulfitage à 5 g/qt et enzymage à 1 g/qt sur raisin,
macération de 5 jours, pigeages et aérations quotidiens pendant
la macération, 2 mises au propre après macération) à partir
de cépages méditerranéens (tableau 1 page suivante). Sur
l’ensemble des trois millésimes (1999 à 2001), deux vins rouges,
trois vins blancs et un vin rosé ont été utilisés.
Les essais ont été mis en œuvre en fin de fermentation alcoolique, après deux soutirages de mise au propre. Le vin a été
ensemencé en bactéries lactiques lyophilisées, homogénéisé et
réparti en bouteilles de 750 ml. 24 heures après, chaque modalité a fait l'objet du traitement établi par le protocole (ajout de
tanins et/ou sulfitage). Les tanins employés sont les 6 tanins
œnologiques sélectionnés et fournis par le groupe de travail. Les
bouteilles ont été bouchées et stockées dans une pièce thermostatée à 20°C. Chaque modalité a fait l'objet d'une répétition.
Les modalités ont varié selon le millésime et ont permis de tester
l’effet bactériostatique des 6 tanins dans différentes conditions :
les tanins ont d’abord été employés seuls à des doses variant de
20, 50 et 200 g/hl sur des vins ensemencés en bactéries
à 105, 106 et 108 UFC/ml. Dans un second temps le tanin GAL a
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196
V I N I F I C AT I O N
Effet bactériostatique des tanins œnologiques
23
Tableau 1- Profils analytiques des vins employés pour tester l'effet bactériostatique des tanins œnologiques
Blanc 1999
Rouge 1999
Blanc 2000
Rouge 2000
Blanc 2001
Rosé 2001
Cépage
Sucre
Degré
AT
AV
Sauvignon
Syrah
Sauvignon
Syrah
Picpoul
Syrah
1,1
1,4
1,1
1,8
1,0
1,6
11,15
13,26
12,21
12,18
13,70
13,55
3,93
5,16
4,85
3,80
3,75
4,75
0,20
0,33
0,30
0,18
0,31
0,44
SO2 total
90
21
<20
21
<20
29
SO2 libre
3
7
3
9
0
0
pH
3,28
3,47
3,21
3,90
3,55
3,47
Sucre en g/l, Degré en %, Acidité Totale (AT) en g/l de H2SO4, acidité volatile (AV) en g/l de H2SO4, SO2 total et SO2 libre en mg/l de H2SO4
été utilisé à 50 g/hl et 100 g/hl en association avec du SO2
(3 g/hl). Pour chaque essai, une modalité témoin, ensemencée
en bactéries mais ne faisant l'objet d'ajout ni de tanins œnologiques ni de SO2 a été mise en œuvre.
Les suivis des cinétiques fermentaires ont été réalisés par dosage
de l'acide malique et de l'acide lactique par IRTF à la fréquence
de deux fois par semaine.
30
Jours après ensemencement
25
Phase active de FML : phase au cours de laquelle
la dégradation d'acide malique est quantifiable
6
20
la dégradation d'acide malique n'est pas mesurable
15
4
2
Résultats
10
2.1- Vins rouges : peu d’effet des tanins sur
le déroulement de la FML aux doses “normales”
d’emploi
Employés à 20 ou 50 g/hl les 6 tanins testés se révèlent sans
effet notable sur le déroulement de la FML (figure 1).
5
0
4
19
4
4
6
6
PEP
PEL
10
Témoin
6
4
4
6
6
6
QUE
CHE
CHA
10
SO2 :
3 g/hl
GAL
Figure 2a- Tanins employés à 20 g/hl sur un vin ensemencé à
106 germes/ml (1999).
Durée totale de la FML en jours en fonction de la modalité
Syrah 1999
Syrah 1999
Syrah 2000
50
30
Jours après ensemencement
45
40
Phase active de FML
Phase de latence
25
35
30
20
25
4
20
15
15
10
3
3
3
3
13
13
13
QUE
CHE
CHA
10
5
0
30
16
3
20
50
200
13
5
6
Témoin
GAL
SO2 : 3g/hl
QUE
SO2 : 6g/hl
CHE
PEP
CHA
PEL
Figure 1- Effet des tanins œnologiques sur le déroulement de la
fermentation malolactique d'un vin rouge. Vin ensemencé de
105 à 106 germes/ml-1999 et 2000.
0
Témoin
SO2 :
6 g/hl
PEL
GAL
Figure 2b- Tanins employés à 50 g/hl sur un vin ensemencé à
105 germes/ml (2000).
Jours après ensemencement
Il est nécessaire d'employer ces préparations à des doses très élevées
(200 g/hl) par rapport aux utilisations courantes pour voir apparaître un effet bactériostatique net des tanins, excepté des tanins
de pellicule, pour lesquels la cinétique fermentaire est comparable
à celle du témoin (figure 1).
50
Cependant, même dans ces conditions, nous constatons que
seul deux des tanins ont une action plus marquée que le SO2 :
il s'agit des tanins de type noix de galle et pépins de raisins.
30
45
40
50
25
6
20
Employés à 20 g/hl les 6 tanins testés se révèlent sans effet notable
sur le déroulement de la FML (figure 2a). En outre, nous remarquons que l'emploi d'une faible dose de SO2 (3 g/hl) a lui un
effet retardement sur l'enclenchement de la FML très net et très
caractéristique d'une activité bactériostatique.
24
Des effets nets des tanins œnologiques apparaissent pour un
emploi à 50 g/hl (figure 2b). Toutes les modalités tanisées
10
5
0
15
34
15
2.2- Vins blancs et rosés : un effet variable selon
les tanins et la dose.
Phase active de FML
Phase de latence
4
35
4
19
4
10
Témoin
10
6
SO2 :
3 g/hl
25
18
PEP
PEL
GAL
QUE
6
6
CHE
CHA
Figure 2c- Tanins employés à 200 g/hl sur un vin ensemencé à
106 germes/ml (1999).
Figure 2- Effet des tanins œnologiques sur le déroulement de la
fermentation malolactique d'un vin blanc.
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196
25
présentent une durée de phase de latence plus importante que
le témoin (13 jours au lieu de 6 pour le témoin). Cependant
dans aucune de ces situations, l'emploi des tanins œnologiques
ne conduit au blocage complet de la FML.
A 200 g/hl, le tanin “pellicules de raisins” n’a toujours aucun effet
(figure 2c). Tous les autres tanins ont alors un effet notable : cet
effet se traduit soit par allongement de la phase de latence, soit
par le ralentissement de la phase active. Le tanin “noix de galle”
bloque alors la FML sur la totalité de la durée du suivi (50 jours).
Ces deux premières parties de l'étude ont montré que les tanins
œnologiques employés à des doses usuelles en fin de fermentation alcoolique n'avaient aucun effet sur la cinétique fermentaire
des vins rouges. Les résultats obtenus sur vin blanc laissent
apparaître quelques effets pour des doses d'emploi modérées.
Nous avons donc jugé nécessaire de compléter ce travail par
l'évaluation de l'intérêt que pouvait représenter l'emploi des
tanins œnologiques en association avec du SO2 pour bloquer la
FML sur vins blancs et rosés, tout en diminuant la dose de SO2
employée. Pour cela nous avons choisi de travailler avec les
tanins qui présentaient l'effet bactériostatique le plus important :
les tanins de noix de galle.
2.3- Vins blancs et rosés : intérêt d’une combinaison
tanin-SO2 pour bloquer la FML en diminuant
les apports de SO2
Sur les deux vins utilisés pour l'essai nous vérifions qu'employé
seul, le tanin “noix de galle” rallonge la phase de latence lorsqu'il
est utilisé à 100 g/hl. Sur vin rosé (figure 3), cet effet est sensible
dès l'emploi de 50 g/hl, alors que sur vin blanc (figure 3), à cette
dose, il reste sans effet. Cependant dans aucun des cas il ne
bloque la FML lorsqu'il est utilisé seul.
Durée de la FML en Jours après ensemencement
Non faite
Non faite
Vin rosé
70
0
60
0
50
0
40
0
30
0
20
0
10
0
0
Tanisé à
Sulfité
éà
é
avec GAL
GAL à
avec GAL
3 g/hl et
à
100 g/hl
Figure 3- Effet des tanins œnologiques en association avec du SO2 sur
le déroulement de la fermentation malolactique sur un vin
ensemencé à 106 germes/ml (2001).
Lorsqu'il est employé en association à 3 g/hl de SO2, ce tanin
bloque la FML (non faite 3 mois après l’ensemencement) dès
50 g/hl, cet effet est comparable à celui d'un sulfitage à 6 g/hl.
3
26
En association avec 3 g/hl de SO2, les tanins de noix de galle
conduisent pour des doses d’emploi déjà importantes (50 g/hl)
à un blocage de la FML sur blanc et sur rosé. Il reste cependant
important de vérifier si la même dose de SO2 (3 g/hl) employée
seule aurait suffi à bloquer la FML. Dans le cas contraire, ceci implique que ces tanins associés au SO2 permettraient de diminuer
la dose de SO2 nécessaire au blocage d'une FML non désirée.
Cet usage semble plus particulièrement intéressant sur vins rosés
pour lesquels des FML spontanées et non souhaitées sont à
déplorer. C'est pourquoi des essais complémentaires ont été
programmés sur vins rosés pour 2002.
Vin blanc
80
0
Sulfité à
6 g/hl
Sur les vins blancs et rosés, les effets des tanins œnologiques
sont donc plus marqués. Ils sont sensibles dès l'usage de doses
d'emploi plus faibles (50 g/hl) et peuvent conduire, à des doses
importantes (200 g/hl), à un blocage complet de la FML. La préparation pour laquelle ces effets sont les plus importants est la
préparation de tanins de noix de galle. Les conditions plus difficiles rencontrées par les bactéries lactiques sur ces matières premières (notamment pH plus bas : tableau 1) et le plus fort
changement de composition induit par l'ajout de tanins dans
ces vins naturellement peu riches en polyphénols, expliquent
probablement ces résultats.
CONCLUSION
Non faite
90
0
Témoin
mêmes conditions. Cependant, dans aucun des cas étudiés,
nous n'avons constaté de blocage complet de la FML. Ces résultats s'expliquent probablement par le fait que l'ajout de préparations tanniques à des doses usuelles dans des vins rouges ne
modifie que peu la composition quantitative de ceux-ci en composés polyphénoliques, au regard des teneurs respectives de
chacun de ces produits en différents polyphénols et des teneurs
naturelles des vins rouges méditerranéens (M. Moutounet,
communication personnelle).
Commentaires
Ajoutés en fin de fermentation alcoolique, sur des vins rouges
méditerranéens naturellement riches en composés polyphénoliques, les tanins œnologiques n'induisent pas de risques de
mauvais déroulement de la fermentation malolactique lorsqu'ils
sont employés à des doses usuelles et que tout est mis en œuvre
pour assurer une bonne maîtrise de la fermentation malolactique (maîtrise des températures, bonne gestion du SO2, ensemencement en bactéries sélectionnées, maîtrise de l'hygiène....)
(4, 5, 6). Seuls des usages de tanins à des doses importantes
(200 g/hl) peuvent avoir, sur vin rouge, un effet de retardement
de l'enclenchement de la fermentation malolactique dans ces
Les résultats obtenus au cours de ces trois ans d'essais ne
laissent pas apparaître d'effet bactériostatique important
des 6 préparations tanniques testées. Seuls les tanins de
noix de galle présentent un effet qui permette de bloquer
totalement la fermentation malolactique. Cet effet n'est cependant perceptible que dans deux types de situation : soit
en emploi à très forte dose (200 g/hl), soit en emploi sur vin
blanc ou rosé à des doses moindres (à partir de 50 g/hl) et
associé à 3 g/hl de SO2. Les autres tanins (excepté les tanins
de pellicule qui restent toujours sans effet) ne permettent
que de retarder l'enclenchement de la fermentation
malolactique à partir d'une dose d'emploi de 200 g/hl sur
rouge et de 50 g/hl sur blanc.
L'usage des tanins œnologiques, en fin de fermentation
alcoolique, à des doses courantes d'emploi, sur vin rouge, ne
semble donc pas faire courir de risques de blocage de la FML
si ces vins ont été élaborés dans le respect des bonnes pratiques permettant d'assurer la maîtrise de la fermentation
malolactique.
Sur vins blancs et rosés, il reste à vérifier si il est envisageable d'associer certains de ces tanins employés à des doses de
50 g/hl au SO2 afin d'éviter un départ en fermentation
malolactique non contrôlé. Cependant il est important
de prendre en compte les éventuels effets organoleptiques
de cette technique sur les produits finaux.
Remerciement
Les auteurs remercient Jacques Mathieu du Département R&D
ICV, Magali Guitard, Muriel Pourtalier, Amélie Abbal (stagiaires)
pour la réalisation des vinifications et l’ONIVins.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
(1) RIBEREAU-GAYON J., PEYNAUD E., RIBEREAU-GAYON P.,
1975. in Traité d'œnologie. Sciences et techniques du vin.
Tome II, Dunod Ed.
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196
(2) SARAIVA R., 1983. Thèse de Doctorat 3ème cycle , Institut
d'œnologie, Université de Bordeaux II
(5) NIELSEN J.-C., PILATTE E., PRAHL C., 1996. Maîtrise de la
fermentation malolactique par l'ensemencement direct du vin.
(3) DELTEIL D. 2000. La gestion pratique de la fermentation
malolactique des vins rouges méditerranéens. Revue des
Œnologues n°95, 23-26.
Revue Française d'Œnologie n°160.
(6) PILATTE E., 1998. Maîtrise de la fermentation malolactique.
(4) VIVAS N., BELLEMERE L., LONVAUD-FUNEL Aline.,
GLORIES Y., 1995. Revue Française d'Œnologie n°151, 39-45.
E N
Mieux gérer et anticiper. Revue des Œnologues n°88, 21-22.
R É S U M É
…
un effet des tanins œnologiques sur le développement
bactérien est noté dès l'emploi de 50 g/hl de préparation.
Parmi les tanins, celui dont l'effet est systématiquement
le plus important est le tanin de noix de galle.
Au contraire, les tanins de pellicules de raisin restent,
même à d'importantes doses d'emploi, sans effets. L'emploi
des tanins de noix de galle en association
avec du SO2 est apparu une piste intéressante
pour bloquer les FML, en utilisant une dose modérée
de SO2. Des travaux complémentaires sont programmés
pour vérifier l'intérêt véritable de cette technique.
Trois années d'essais ont permis d'étudier
l'effet bactériostatique des 6 tanins œnologiques
sélectionnés par le groupe, sur des vins blancs,
rouges et rosés. Il a été montré, que lorsque les vins rouges
sont élaborés dans le respect des bonnes pratiques
permettant d'assurer la maîtrise de la fermentation
malolactique, l'emploi des tanins œnologiques
en fin de fermentation alcoolique, à des doses courantes
d'usage, est sans effet sur le déroulement
de cette fermentation malolactique.
Seules des doses d'emploi très importantes (200 g/hl)
permettent de retarder l'activité bactérienne.
Dans les mêmes conditions, sur les vins blancs et rosés,
Mots clés : Vinification, tanins œnologiques,
bactérie, fermentation malolactique.
Effets instantanés du tanisage sur la couleur
le vin modèle à la dose de 20 g/hl. Sans attendre, l’échantillon
est clarifié et les absorbances à 420, 520 et 620 nm mesurées.
Les préparations de tanins œnologiques du marché présentent
des couleurs allant du beige clair au marron foncé. Cet
aspect de la couleur est mentionné dans les références officielles internationales (1) et a été précisé récemment (2).
Pour raisonner l’opération de tanisage, le vinificateur doit
se poser au préalable la question de l’impact des préparations de tanins sur la couleur de son vin : à moyen, voire
à long terme, mais aussi à court terme, en fonction du
produit qu’il souhaite élaborer.
Dans cette note préliminaire à notre étude de la stabilisation de la couleur du vin par les tanins œnologiques, nous
essayons de donner des premiers éléments explicatifs et
quantitatifs de l’effet instantané du tanisage sur la couleur
du moût et du vin.
1
1.3- Tanisage sur moût en conditions pratiques
(minicuverie)
Une saignée est réalisée sur une cuve de vendange Gamay
(Beaujolais, 2001) après une macération préfermentaire à chaud
(12 h à 60°C, (4)). Le moût, non sulfité, est réparti dans 7 bonbonnes de 30 litres (une bonbonne témoin et 6 bonbonnes
pour les modalités tanisées). Le tanisage est réalisé à la dose de
50 g/hl. Après homogénéisation de tout le volume de chaque
bonbonne, un échantillon est prélevé et les absorbances à 280,
420, 520 et 620 nm sont rapidement mesurées après clarification
(centrifugation 3 000 g, 15 mn), et dilution pour la mesure
dans l’UV.
2
Protocole expérimental
1.1- Mesure de la couleur des tanins seuls en solution
Les tanins sont soigneusement dissous en milieu hydroalcoolique
(EtOH 12 % vol., acide tartrique 5 g/l, ajustement à pH 3,2 avec
NaOH N) selon une gamme variant de 0,2 à 2 g/l. Chaque solution
est clarifiée par centrifugation (3260 g, 10 mn), puis les absorbances
à 420, 520 et 620 nm sont mesurées par spectrophotométrie sous
un trajet optique de 1 mm. On mesure également l’absorbance
dans l’UV à 280 nm sur chaque solution après dilution au 100ème. Les
valeurs mesurées sont multipliées par la dilution pour donner la
valeur de l’indice des polyphénols totaux (IPT).
Pour chaque longueur d’onde et chaque tanin, un coefficient
d’extinction massique est calculé par ajustement linéaire des
absorbances corrigées sur les concentrations de la gamme. Ce
coefficient (E1%( λ)) correspond à l’absorbance calculée, à λ nm
pour 1 cm, d’une solution théorique de tanin titrant 10 g/l :
c’est une caractéristique spectrale de chaque préparation pour
une longueur d’onde donnée.
1.2- Tanisage sur vin en conditions modèles (laboratoire)
Une solution modèle de vin est préparée en dissolvant, dans le
milieu hydroalcoolique précédent, 250 mg/l d’anthocyanes
purifiées au laboratoire (3) : les absorbances à 420, 520 et 620 nm
sont mesurées. Chaque préparation de tanins est dissoute dans
Résultats et discussion
Les coefficients d’extinction massique, pour chaque type de tanins
et chaque longueur d’onde, sont regroupés dans la figure 1.
6
E1% (λ)
5.5
E1% (280)
450
400
5
4
400
3.5
3.7
350
300
3.7
3.1
250
3
200
2
190
160
150
1
0
PEP
620nm
100
130
100
PEL
520nm
0.5
GAL
420nm
150
50
QUE
280nm
CHE
IC
CHA
0
Figure 1- Coefficients d’extinction massique (E1%) des 6 préparations
de tanins d’origines diverses, à 280, 420, 520 et 620 nm :
PEP = pépins de raisin, PEL = pellicule de raisin, GAL = noix de
galle, QUE = bois exotique de quebracho, CHE = chêne,
CHA = châtaignier. IC = E1%(420) + E1%(520) + E1%(620).
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196
27
2.1- Intérêt de l’IPT
L’absorbance des préparations de tanins dans l’UV diffère selon
l’origine botanique. Les E1%(280) sont compris entre 100 et
200, excepté pour le tanin gallique qui a une valeur assez élevée
(400). Ce sont les noyaux phénoliques, présents dans tous les
tanins, qui sont responsables de cette absorption dans l’UV : la
valeur plus ou moins élevée du paramètre E1% (280) est fonction
non seulement de la pureté du tanin mais aussi de la structure
chimique de ses polymères constitutifs et de sa solubilité. Ainsi,
on ne peut pas dire que la forte valeur du tanin gallique est
entièrement imputable à sa pureté, fût-elle supérieure à celle des
autres préparations : la différence de structure chimique avec les
tanins de raisin, par exemple, peut justifier une grande partie
des écarts rencontrés.
En pratique, l’ajout de tanin œnologique se traduira par une
augmentation de l’IPT du moût (tableau 1) ou du vin, cette augmentation étant dépendante de l’origine botanique choisie et
de la dose employée.
Tableau 1- Augmentation de l’indice des polyphénols totaux (IPT)
lors
d’un
tanisage
à
50
g/hl
sur
moût.
E1%(280) = coefficient d’extinction massique à 280nm.
∆IPTThéo. = augmentation théorique d’IPT pour un tanisage
à la dose prévue, ∆IPTThéo. = dose (g/hl) × E1%(280) / 1000.
∆IPTRéel. = augmentation d’IPT réelle.
R = rapport Réel./Théo.
DoseRéel = dose réellement solubilisée en g/hl (ici, égale 50 × R).
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
E1%(280)
∆IPTThéo.
∆IPTRéel.
R
doseRéel.
150
100
400
130
160
190
7,5
5,0
20,0
6,5
8,0
9,5
7,5
5,0
18,5
5,6
6,7
8,2
99%
99%
93%
85%
84%
86%
49,7
49,5
46,3
42,7
41,9
43,2
De plus, connaissant parfaitement le E1%(280) de la préparation
qu’il utilise, le praticien a la possibilité de contrôler son tanisage
a posteriori : en faisant une mesure d’IPT sur un échantillon
prélevé immédiatement après incorporation et homogénéisation
de sa cuve. Dans l’exemple illustré par ce tableau, on peut considérer que tous les tanins ont été solubilisés correctement (entre
85 % et 99 %).
2.2- Couleur des tanins seuls et effet supposé
sur la couleur le moût / vin modèle (VM)
Les tanins absorbent plus ou moins fortement aux trois
longueurs d’ondes d’intérêt de la bande visible. Le coefficient à
420 nm est particulièrement élevé quelle que soit l’origine
botanique : ceci est à mettre en relation avec la teinte beige à
marron des préparations de tanins, teinte qui suggère que ces
préparations doivent contenir des composés d’oxydation (polymères bruns) en certaine quantité (probablement générés lors du
processus d’extraction).
plus tuilé du produit tanisé risque d’être d’autant plus perceptible
que le vin est peu coloré à l’origine.
2.3- Effets instantanés réellement observés
Les tableaux 2-3 regroupent les paramètres de couleur mesurés dans
l’expérimentation sur VM d’une part, sur moût réel d’autre part.
Tableau 2- Mesures instantanées de couleur (absorbances, intensité
colorante, IC, et teinte, T) sur le vin témoin et sur les vins
tanisés. Origine botanique des tanins : PEP = pépins de raisin,
PEL = pellicule de raisin, GAL = noix de galle, QUE = bois exotique de quebracho, CHE = chêne, CHA = châtaignier.
Témoin
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
A420
A520
A620
IC
T
0,68
0,74
0,77
0,72
0,71
0,75
0,79
1,62
1,72
1,77
1,78
1,70
1,67
1,64
0,14
0,13
0,15
0,14
0,13
0,14
0,16
2,44
2,59
2,69
2,64
2,54
2,56
2,59
0,420
0,430
0,435
0,404
0,418
0,449
0,482
Tableau 3- Mesures instantanées de couleur (absorbances, intensité colorante, IC, et teinte, T) sur le moût témoin et sur les moûts
tanisés. Origine botanique des tanins : PEP = pépins de raisin, PEL = pellicule de raisin, GAL = noix de galle, QUE = bois
exotique de quebracho, CHE = chêne, CHA = châtaignier.
Témoin
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
A420
A520
A620
IC
T
2,56
2,93
2,74
2,60
2,69
2,79
2,83
6,68
7,22
6,88
6,98
6,81
6,78
6,83
0,70
0,81
0,73
0,69
0,73
0,77
0,80
9,94
10,96
10,35
10,27
10,23
10,34
10,46
0,384
0,406
0,398
0,372
0,395
0,412
0,414
Comme prévu, les modalités (moût et VM tanisés) ont bien une
intensité colorante supérieure au témoin. Toutefois, les augmentations sont supérieures à celles attendues compte tenu des
doses employées (20 g/hl et 50 g/hl pour VM et le moût respectivement). De même, la teinte augmente, excepté pour les modalités traitées au tanin gallique, ce qui contredit également les
prévisions que l’on pouvait déduire de l’analyse de la couleur
des tanins seuls.
Ainsi, l’effet instantané du tanisage sur la couleur du moût et du
VM ne résulte pas uniquement de la couleur propre de la préparation de tanin qui viendrait simplement s’additionner : il existe un écart résiduel que nous pouvons quantifier.
Les figures 2 et 3 représentent la proportion de chacune des deux
composantes du gain d’intensité colorante observé. La part résiduelle est toujours assez significative, voire importante, notamment pour GAL et PEP sur moût et GAL et PEL sur VM.
Gain IC-VM
100%
Résiduel
Expliqué
Les préparations de tanins (toutes sauf le tanin gallique) ont un
potentiel de coloration propre voisin de 3,5 à 5 (mesuré par un
coefficient d’intensité colorante, IC (figure 1 page précédente).
28
Au vu de ces données, le tanisage en conditions pratiques
devrait conduire à une augmentation de l’intensité colorante du
moût et du vin modèle d’au plus 0,055 unités d’absorbance
par dizaine de g/hl ajoutés.
50%
C’est une valeur que l’on peut considérer comme faible pour des
vins concentrés mais dont il faudrait tenir compte pour des vins
moins colorés, rosés en particulier. Il n’est pas possible de
donner de valeur maximale pour la modification de teinte
(A420/A520) puisque celle-ci n’est pas additive comme l’intensité colorante : elle dépend de la dose de tanins employée et
aussi de la teinte initiale du vin. Quoi qu’il en soit, la teinte devrait toujours augmenter plus ou moins fortement : le caractère
0%
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
Figure 2- Parts relatives du gain d’intensité colorante (IC) instantané
lors du tanisage du vin modèle. Expliqué = augmentation due
à la couleur de la préparation de tanin. Résiduel = complément
au gain total de la part expliquée. Origine botanique des
tanins : PEP = pépins de raisin, PEL = pellicule de raisin,
GAL = noix de galle, QUE = bois exotique de quebracho,
CHE = chêne, CHA = châtaignier.
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196
Résiduel
100%
Expliqué
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
50%
0%
Remerciements :
Les auteurs remercient l’ONIVins pour avoir financé en partie
cette étude.
(1) O.I.V. 1978. Codex Œnologique International. O.I.V., Paris.
PEP
PEL
GAL
QUE
CHE
CHA
Figure 3- Parts relatives du gain d’intensité colorante (IC) instantané lors
du tanisage sur moût. Expliqué = augmentation due à la couleur de la préparation de tanin. Résiduel = complément au gain
total de la part expliquée. Origine botanique des tanins :
PEP = pépins de raisin, PEL = pellicule de raisin, GAL = noix de
galle, QUE = bois exotique de quebracho, CHE = chêne,
CHA = châtaignier.
En valeur absolue et sur les essais présentés, nous constatons
une augmentation totale maximale d’intensité colorante de
0,200 unités par dizaine de g/hl de tanins ajoutés sur moût et
0,012 sur vin. Il serait souhaitable d’évaluer cette augmentation
sur un large panel de moûts et de vins différents à plusieurs
stades d’élaboration ou d’élevage.
Cette augmentation de couleur résiduelle, non additive, assortie
d’un bleuissement relatif de la teinte (toutefois, observé uniquement pour le tanin gallique), suggère l’intervention d’un phénomène de type copigmentation, largement décrit par ailleurs : il
est notamment connu pour son importance dans la couleur des
fleurs et certainement dans celle des vins jeunes (5, 8) Des travaux sont en cours pour apporter des éléments de nature à
conforter cette hypothèse.
(2) BERTRAND A., CANAL-LLAUBERES Rose-Marie, FEUILLAT M.,
HARDY G., LAMADON F., LONVAUD-FUNEL Aline, PELLERIN P.,
VIVAS N. 2000. Produits et auxiliaires d’élaboration des moûts
et des vins. Editions Feret. Bordeaux.
(3) SOUQUET J.-M., CHEYNIER Véronique, BROSSAUD F.,
MOUTOUNET M. 1996. Polymeric proanthocyanidins from
grape skins. Phytochemistry t2 vol.43, 509-512.
(4) BERGER J.-L, COTTEREAU P. 1999. Elaboration de vins
rouges fruités par macération préfermentaire à chaud, congrès
O.I.V. Mayence 1999.
(5) LIAO H., CAI Y., HASLAM E. 1992. Polyphenol interactions.
Anthocyanins : Co-pigmentation and colour changes in red
wines. J. Sci. Food Agric. 59, 299-305.
(6) WIGAND M.C., DANGLES O., BROUILLARD R. 1992.
Complexation of a fluorescent anthocyanin with purines and
polyphenols. Phytochemistry. vol 31, 4317-4324.
(7) FIGUEIREDO P., ELHABIRI M., TOKI K., SAITO N.,
DANGLES O., BROUILLARD R. 1996. New aspects of anthocyanin complexation. Intramolecular copigmentation as a
means for color loss ? Phytochemistry. vol 41, 301-308.
(8) MISTRY T.V., CAI Y., LILLEY T.H., HASLAM E. 1991.
Polyphenol interactions. Part 5. Anthocyanin co-pigmentation.
J. Chem. Soc (Perkins Trans 2). 1287-1296.
CONCLUSION
Quelle que soit l’origine botanique, les tanins ont un effet
avéré et instantané sur la couleur du moût ou du vin auquel
ils sont ajoutés : augmentation de l’intensité colorante et
modification de la teinte. Nous avons montré que les modifications de couleur étaient dues en partie à la coloration
propre des extraits mais aussi, et pour une part peut-être
supérieure ou égale, à un phénomène d’interaction synergique
des tanins avec les pigments naturellement présents dans le
produit (anthocyanes) : ce phénomène relève vraisemblablement de la copigmentation. Des études sont menées pour
confirmer cette hypothèse et appréhender la relation entre
intensité de ce phénomène avec la nature et la dose du tanin
et surtout le type de produit : moûts et vins plus ou moins
concentrés. Enfin, dans les essais relatifs à l’étude des diverses
propriétés accordées aux tanins œnologiques, les interprétations s’appuyant sur des critères de couleur devront absolument tenir compte des nouveaux éléments qui viennent d’être
exposés. C’est notamment le cas des études sur la stabilisation
de la couleur par tanisage : ce sujet sera abordé dans une
prochaine communication.
E N
R É S U M É
…
L’effet de l’ajout de tanins œnologiques
sur un moût et sur une solution synthétique
(vin modèle) a été mesuré par spectrophotométrie. L’étude
de l’absorption en ultraviolet
à 280 nanomètres montre que les préparations
ont une bonne solubilité. L’analyse des absorbances
à 420, 520 et 620 nanomètres indique
que l’augmentation de la couleur lors d’un tanisage sur
moût est due non seulement à la coloration
propre des tanins, mais également de leur capacité
à renforcer la couleur naturellement présente
qui peut s’expliquer par le phénomène
de copigmentation.
Mots clés : Vinification, tanins, couleur, moût,
vin modèle, copigmentation.
29
Revue Française d’Œnologie - septembre/octobre 2002 - N° 196