La Lettre de l`IPSE
Transcription
La Lettre de l`IPSE
La Lettre de l’IPSE Institut Prospective et Sécurité de l’Europe « Association loi 1901 » Lettre bimestrielle d’information n° 86 - mai/juin 2006 SOMMAIRE EDITORIAL Page 2 : « Des animaux et des hommes » Marie-Christine JAMELIN NOS ACTIVITES Prochaine conférence le 30 juin 2006 à 17h00 « La Géorgie, un enjeu stratégique pour la politique de bon voisinage » Autour de Monsieur Gocha LORDKIPANIDZE Conseiller diplomatique du Premier Ministre de la République de Géorgie SÉNAT (Salle Gaston Monnerville) 15ter rue de Vaugirard - 75006 Paris Métro Odéon (ligne 10 et 4) ou station Luxembourg (RER ligne B) Page 4 : « Elargissement : la Bulgarie, médiateur de paix et de stabilité pour l’Europe ? » Page 5 : « Les dernières élections palestiniennes et israéliennes : quelles conséquences pour la paix ? » Page 7 : « Effets de l’élargissement de l’Union Européenne sur les relations entre l’Afrique et les Pays de l’Europe Centrale et Orientale ? » LES TRIBUNES Page 12 : « Des actions civilo-militaires (ACM) à la coopération civilo-militaire (CIMIC) », colonel François CHAUVANCY Page 14 : « La question du Liban, un laboratoire de réflexion sur les symptômes de la mondialisation », Karim SADER Page 18 : « L’industrie européenne de l’armement terrestre : le domaine des véhicules militaires. En ordre dispersé... ? », Cedric PAULIN NOS LECTURES Page 31 : « La géosociologie de l’Asie centrale du Sud », Géostratégiques n°12, avril 2006 Page 33 : « Face à la guerre », Louis GAUTIER Page 34 : « Demain la francophonie », Dominique WOLTON Page 36 : « Géopolitique du pétrole », Philippe SEBILLE-LOPEZ Page 38 : « L’enjeu turc », Philippe SEBILLE-LOPEZ Page 40 : « Survivre », Jean-François DENIAU Page 42 : « La double défaite du renseignement américain », Franck DANINOS (Collection Géopolitique) Page 45 : Commentaire « Inflexion », Thierry COSTEDOAT Directeur de la Publication : Nicolas LANONIER Rédacteur en Chef : Ghislain FAUQUET EDITORIAL Des animaux et des hommes Doit-on - et peut-on - encore faire une distinction entre l’homme et l’animal ? L’homme n’est-il pas, tout banalement, un animal… un animal pensant, certes, mais un animal tout de même ? Un adage dit « l’homme est un loup pour l’homme ». Ces mots n’ont jamais été aussi vrais : en fin de compte, l’homme est peut-être même pire que le loup ! Parmi ses très nombreuses fables, Jean de La Fontaine a pu écrire « Les animaux malades de la peste ». Et si toutes ses fables parlaient d’animaux, ça n’était que pour mieux définir et mettre en avant les qualités et défauts de l’homme. S’il était encore avec nous aujourd’hui, la simple observation du quotidien lui procurerait mille occasions de publier de nouvelles fables ! Une simple lecture des journaux ou une écoute attentive des informations radio et télévisuelles lui donnerait l’inspiration suffisante pour accroître sensiblement le volume de ses écrits. Certains hommes - pardon je veux dire certains animaux ne seraient-ils pas malades de la rage ou devenus fous ? Quel nom d’animal pourrait-on donner à celui qui ordonne de brûler vifs des volailles, des oiseaux ou de les noyer au nom d’un ‘’principe de précaution’’ et d’une lutte sans merci contre ce qui a fait la une de l’actualité pendant plusieurs mois, ‘’la grippe aviaire’’ ? De même, quel nom pourrait-on donner à ceux qui ont ordonné de décimer des troupeaux entiers de vaches au nom d’une lutte impitoyable contre la maladie de la « vache folle » ou de faire abattre des troupeaux entiers de moutons en vertu d’une guerre sans relâche contre la « tremblante du mouton » ? Ceux-la mêmes qui ont conduit ces actions n’auraient-ils pas été mieux avisés de prendre des mesures en amont des crises, mesures souvent de simple bons sens - qui ne semble hélas plus la chose la mieux partagée au monde ! Quel nom d’animal pourrait-on donner à ceux qui mettent des débris de verre dans le miel des ours des Pyrénées ? Quel nom d’animal pourrait-on donner à ceux qui font avaler de la drogue à leurs chiens avant de les éventrer pour récupérer sans risque mais avec combien de profitabilité leurs produits de mort ? Quel nom d’animal pourrait-on donner à celui qui viole un bébé, torture, brûle et martyrise un autre être humain par simple plaisir ou comme simple loisir ? Quel nom d’animal pourrait-on donner à ceux qui sèment la mort par des actions terroristes, au nom de principes religieux ou prétendus ‘’supérieurs’’ ? En ce début de XXIe siècle, la liste est malheureusement encore très longue … et l’arche de Noé n’y suffirait pas. Je crois qu’en tout état de cause, il serait plus simple de l’appeler seulement « humain », si le terme convenait, ce qui ne me semble pas le cas … Alors gardons « homme » qui définit à lui seul la barbarie, la cruauté, la bêtise !!! du reste du monde ? Comment nommer les médias qui véhiculent ces ragots, comment nommer ceux qui les écoutent ? Enfin, qui peut nous permettre d’appeler « corbeau » l’homme qui dénonce, manipule, déstabilise un pays tout entier et le rend ridicule aux yeux de ses partenaires En fin de compte, ne sommes nous pas tous des « PIGEONS » ? Marie-Christine JAMELIN Avertissement :Les articles n’engagent que leurs auteurs N O S A C T I V I T E S Conférence débat Elargissement : la Bulgarie, médiateur de paix et de stabilité pour l’Europe Invitée par l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE) et les Jeunes Européens Professionnels à répondre à la question : «Quelle Bulgarie dans l’Europe», son Excellence Madame Irina Bokova, ambassadeur de Bulgarie en France, a confirmé que son pays était plus que jamais prêt à rejoindre la grande famille européenne. A quelques jours de la présentation, le 16 mai, du rapport d’évaluation de la Commission Européenne sur l’état de préparation de la Bulgarie et de la Roumanie en vue de leur adhésion à l’Union Européenne normalement prévue pour le 1er janvier 2007, Irina Bokova a su rappeler dans un langage franc et sans détour l’importante signification de cet évènement pour l’Europe. Madame Bokova a insisté sur le fait que, pour la Bulgarie, l’intégration européenne a toujours eu un fort sens politique dépassant l’aspect purement économique. En faisant partie de l’Europe réunifiée, la Bulgarie, forte de son expérience, contribuera à l’établissement de la sécurité et de la stabilité en Europe et notamment dans l’ensemble de la région des Balkans. La Bulgarie peut en effet servir d’exemple dans ce domaine. Le pays, qui n’a jamais connu de conflit ethnique ou religieux dans son histoire, a su construire progressivement une société «pluraliste et tolérante» dans laquelle les différentes minorités sont parfaitement intégrées. Dans un avenir plus ou moins proche il est important que tous les pays de la région des Balkans soient réunis au sein de l’Union européenne. Irina Bokova n’a pas non plus manqué de mentionner les très fortes relations que son pays entretient depuis longtemps avec certains pays d’Europe du Sud-Est ou encore du Caucase, qui font, selon elle, de la Bulgarie un membre très intéressant qui pourra jouer un rôle particulier dans les politiques géostratégiques de l’UE. Madame Bokova estime par ailleurs que les progrès socio-économiques accomplis par la Bulgarie dans le processus de préparation à l’adhésion ont été très importants compte tenu de la transition difficile que le pays a dû surmonter depuis la chute de l’Union soviétique, transition aggravée par le contexte de guerre yougoslave des années 90. En ce qui concerne la réforme du système judiciaire, qui pose notamment encore des problèmes dans le cadre des critères de Copenhague, Mme Bokova a réaffirmé que le gouvernement bulgare continuait chaque jour ses efforts pour améliorer son système législatif de lutte contre la criminalité et la corruption, un nouveau code pénal est également sur le point d’être élaboré. Jean-Michel FLOCH’LAY Président de « Fenêtre sur l’Europe » Dîner débat IPSE Mardi 2 mai 2006 Avec Frédéric ENCEL, Docteur en Géopolitique, Professeur de Relations Internationales, Consultant en risques pays. Les dernières élections palestiniennes et israéliennes : quelles conséquences pour la paix ? Dans le cadre de la présentation de l’ouvrage codirigé avec Eric KESLASSY : « Comprendre le Proche Orient : Une nécessité pour la République » Editions Bréal, 2005, 21 € Les évènements qui se déroulent au Proche-Orient depuis une cinquantaine d’années ne peuvent nous laisser indifférents. Le conflit israélo-palestinien présente en effet un risque majeur pour notre pays : celui de voir importer le conflit sur notre sol (par les islamistes) : Tel est le point essentiel que nous retiendrons des très riches propos tenus par Frédéric ENCEL qui s’est exprimé au cours d’un dîner débat le 2 mai dernier dans le cadre de la présentation de son ouvrage ‘’Comprendre le ProcheOrient : une nécessité pour la République’’. Pour Frédéric ENCEL, paradoxalement, le Proche-Orient n’est pas aussi explosif qu’on le dit. N’en prenons pour simple preuve le fait qu’aucun régime, ni au Proche-Orient, ni au Moyen-Orient n’ait été renversé par la rue depuis plus de trente cinq ans (Egypte-1970). Si la situation qui prévaut dans cette partie du monde ne peut être qualifiée d’explosive, elle est par contre extrêmement complexe et l’objet de subjectivités importantes : il est en effet important de comprendre les populations, sans, bien sûr, excuser les évènements ou les justifier. Avec la liberté de ton qui le caractérise et le rien provocateur qui est le sien, Frédéric ENCEL nous livre les clés de son analyse au travers de sa compréhension d’Ariel SHARON, acteur essentiel des dernières années. Le Premier ministre israélien agit en fin stratège lorsqu’il décide, à l’automne 2003, du retrait des troupes israéliennes de Gaza. Sa vision stratégique est claire : Au-delà du simple respect d’un accord, il cherche à minimiser les risques pour Israël, estimant que son pays a plus de chances de vivre en paix ‘’sans Gaza’’ plutôt qu’ ‘’avec Gaza’’. Et ce choix fait en fonction des seuls intérêts supérieurs de l’Etat n’est pas anodin à un moment où la crédibilité de Yasser ARAFAT chute et où les sympathies du Président BUSH sont affirmées. Ainsi la tension diminue-t-elle réellement sur le terrain pendant quelque temps où prévaut pendant trois à quatre ans un ‘’optimisme relatif’’ … jusqu’aux élections palestiniennes qui marquent le rejet de trente années de corruption et d’inanité, selon Frédéric ENCEL. L’évolution que choisira l’Iran dans les mois à venir est aussi déterminante pour l’avenir de la région. C’est un acteur clé qui, selon Frédéric ENCEL, a le droit, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies de se doter de moyens de défense, à titre préventif, ajoutant cependant que les Israéliens ne permettront jamais à l’Iran d’acquérir l’arme nucléaire. Et l’Europe dans tout cela, quel est son rôle concret ? les participants au dîner débat, force est de constater la faiblesse européenne alors que les risques de ‘’captation’’ identitaire par nos banlieues n’ont jamais été aussi grands ! Le pire est peut-être devant nous ! D’où l’impérative nécessité pour notre République de comprendre le Proche-Orient ! Le constat dressé par le conférencier est plutôt sévère pour l’Europe qui a montré une certaine fermeté et qui possède des moyens, mais n’a ni vision stratégique ni volonté politique : Que veut l’Europe ? On ne le sait pas ! Que propose-t-elle ? Rien ! « L’indifférence aux affaires du monde », c’est bien là le plus dommageable, dit Frédéric ENCEL ! Même si le terme semble excessif et a été largement discuté par la suite avec Jean-Pierre PETIT *** Effets de l’élargissement de l’Union Européenne sur les Relations entre l’Afrique et les Pays de l’Europe Centrale et Orientale Ndlr : Nous retranscrivons ici l’intervention prononcée à l’ambassade de Roumanie en France, le Jeudi 4 mai dernier, par Victor Emmanuel Djomatchoua Toko, Ancien Ambassadeur-Secrétaire Exécutif de l’Union Africaine auprès de l’Union Européenne à Bruxelles et Représentant Spécial à Bruxelles du Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la Sécurité (CI2S). C’était à l’occasion du colloque « Pour une Nouvelle Recherche de Synergie entre l’Afrique et l’Europe Centrale et Orientale (PECO) », co-organisé par le CIFER (Centre International Francophone d’Echanges et de Réflexion, présidé par l’Ambassadeur honoraire du Sénégal, Henri Senghor) et le Partenariat Eurafricain, sous l’égide de son Secrétaire général Joël Broquet. L’IPSE y était représenté par notre Secrétaire-général, Emmanuel Dupuy, qui a présidé les deux tables rondes et assuré la modération du débat. L’IPSE se fera par ailleurs l’écho de la parution des actes de ces très riches débats. ***** Je dois remercier les organisateurs qui ont bien voulu m’inviter à participer à ce colloque sur le thème : « Pour une Nouvelle Recherche de Synergie entre l’Afrique et l’Europe Centrale et Orientale (PECO) ». J’exprime mes hautes appréciations à l’endroit de l’Ambassade de Roumanie pour le cadre si accueillant mis à la disposition du colloque. J’ai eu l’honneur de servir, pendant 25 ans, l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) et l’Union africaine (UA) à Addis-Abéba, et le privilège de les représenter longtemps auprès de l’ONU et de l’UE à New York, Genève et Bruxelles. Cette expérience, qui me colle à la peau, a renforcé en moi une très grande sensibilité pour toute entreprise multilatérale susceptible de créer des synergies d’actions de coopération et de solidarité entre les peuples. J’encourage donc votre heureuse initiative d’avoir organisé la présente rencontre ; raison pour laquelle j’ai accepté volontiers d’être parmi vous et de présenter ma contribution sur le sujet qui m’a été proposé, à savoir: « Effets de l’élargissement de l’Union Européenne(UE) en 2004 sur les relations entre l’Afrique et les pays de l’Europe Centrale et Orientale(PECO) ». Je traiterai de ces effets, davantage sur les relations entre l’Union Européenne et l’Afrique, que sur celles plus directes qui relèvent de la coopération bilatérale entre l’Afrique et les PECO. Je partagerai avec vous quelques réflexions sur la nécessité d’une vison à long terme plus globale et inclusive des relations Europe-Afrique. Et ce, dans la perspective de la redéfinition sans doute nécessaire d’une politique plus rassurante et d’une pratique plus conséquente. Ces réflexions s’articuleront autour de quatre questions : 1) l’élargissement comporte-il des risques pour l’Afrique ? 2) Constitue-t-il, au contraire, un atout pour tous ? 3) Une coopération plus équilibrée et plus attentive est-elle nécessaire et souhaitable ? 4) Dialogue Europe-Afrique : quelles perspectives pour l’avenir ? 1. Elargissement : risques pour l’Afrique ? Avant, pendant et après l’adhésion des PECO à l’UE, il était, et reste généralement présumé que les effets de l’élargissement de l’UE aux PECO seraient sinon désastreux, du moins négatifs pour les pays africains dans le cadre de leurs relations de coopération avec l’Union Européenne. Qu’en est-il 2 ans après cette adhésion? L’admission, au 1er mai 2004, des dix PECO comme nouveaux membres de l’UE étant relativement récente, il paraît assez tôt pour apporter une réponse absolue et complète à cette question bien complexe. Je n’ai donc pas la prétention de le faire. Mais, je voudrais donner mon point de vue en me référant rapidement et essentiellement à des brefs rappels historiques et à certaines opinions qui ont été exprimées ça-et-là sur le sujet. Au tournant décisif où se trouve actuellement l’histoire des relations UE-Afrique, il devient en effet exigeant de les inscrire davantage dans une vision plus intégrante en tenant compte, non pas des égoïsmes étroits, mais de la complémentarité des intérêts bien compris de tous les partenaires. Se fondant sur l’incertitude des perspectives des évolutions intervenues aussi bien en Europe qu’en Afrique, certains observateurs se sont demandés si l’élargissement de l’UE aux PECO n’était pas «un risque», pour l’Afrique en particulier, et «pour le Sud » en général. Ces observateurs se rappellent surtout de l’histoire coloniale et post coloniale très ancienne des relations entre certains pays africains et européens membres de l’UE. A la création, en 1957, de la Communauté Economique Européenne, la quasitotalité de ce qui constitue aujourd’hui les Etats africains faisaient en effet encore partie des empires coloniaux européens. C’était donc tout naturellement, et de fait, que ces territoires des empires furent presque automatiquement intégrés dans les préoccupations de l’UE dès sa naissance. Sont notamment illustratifs à cet égard le Traité de Rome et, surtout, les dispositions portant création du Fonds Européen de Développement (FED) qui constitue le principal instrument d’aide de l’UE à l’Afrique. Aux pays d’Afrique, bénéficiaires traditionnels et historiques des ressources FED, se sont ajoutés les pays des Caraïbes et du Pacifique, dont l’ensemble forme actuellement le Groupe des pays ACP. Ainsi, à la naissance de l’Union Européenne, l’Afrique était considérée comme une partie intégrante de l’Europe. Mais aujourd’hui, un demi-siècle après la décolonisation, qu’en est-il de cette considération? Les crises se sont multipliées sur le continent africain ; l’UE s’est progressivement agrandie, d’abord de 6 à 15 membres, puis s’est même élargie à 25, avec l’adhésion des PECO en 2004. Du coup, le 9e FED, pour la période 2000-2005, a très vite montré ses limites suite aux difficultés rencontrées par les relations UE/Afrique. Ce qui a renforcé les craintes et l’opinion de ceux qui ont prédit les effets négatifs de cette adhésion sur la coopération UE/ Afrique. Désormais, en effet, les bénéficiaires du FED sont au nombre de 70 pays dont 47 africains seulement. Le 9e FED était doté de 13,5 milliards d’euros et assumait par ailleurs environ 10 milliards d’euros du solde des FED précédents. Cette somme qui semblait donc initialement réservée aux 47 pays africains devait être ainsi partagée à tous les 70 bénéficiaires, soit à près du double du nombre des membres africains. D’où la deuxième question : 2. Elargissement : un atout pour tous ? Mais, eu égard à toutes les potentialités qu’offrirait l’élargissement, l’ouverture de l’UE aux PECO et l’existence des facteurs réducteurs des allocations budgétaires n’ouvrentils que des perspectives négatives et pessimistes pour l’Afrique, voire pour le Sud ? Tout, nous semble-t-il, dépend et dépendra de la volonté politique des acteurs et des forces des partenaires en présence. En effet, avant et après l’élargissement, il y avait et il y aura toujours, pensons-nous, des relations entre les PECO et l’Afrique et entre l’Europe et l’Afrique. Il appartiendra donc à chacun des partenaires d’en tirer parti, sans pour autant tourner le dos à l’esprit de solidarité et d’interdépendance. De surcroît, l’élargissement fait de l’Europe un vaste marché d’environ 420 millions de consommateurs. Ce qui aurait pour implications l’augmentation de la croissance due à l’accroissement des investissements, de la production et des échanges dans l’Union et, en conséquence, au sein de ses membres dont les PECO. En raison de ses liens historiques étroits avec l’Europe, l’Afrique pourrait tout aussi bien bénéficier, à terme, des effets de la prospérité et autres avantages de ce vaste espace économique et monétaire et, donc, de l’élargissement de l’UE. Ainsi dans un monde de plus en plus globalisé, le développement du Sud et des pays pauvres ne serait-il pas, en effet, l’une des conditions indispensables à la poursuite de la prospérité des pays développés et riches dont ceux d’Europe ? Mais pour l’instant, il est difficile de palper les résultats de cette théorie de la répartition internationale potentielle des richesses à travers celles des revenus dans les relations Europe/Afrique/PECO. Les résultats escomptés de ce vaste marché sont certes possibles à long terme. Toutefois, en attendant, les acteurs africains s’interrogent sur les effets réels et à court et moyen termes de l’extension de l’UE. A tort ou à raison ou les deux à la fois, ils considèrent les PECO, nouveaux membres de l’UE, comme de très sérieux concurrents dans les secteurs clés du développement de l’Afrique. Dans le très court terme, il s’agit d’abord du secteur d’emploi qui est très concurrentiel, et donc compétitif. L’une des conséquences immédiates qui en résulteront sera l’augmentation du chômage due au freinage des flux migratoires et à la diminution subséquente de la main d’œuvre en provenance d’Afrique sur le marché européen d’emploi. A moyen et court termes, outre celui d’immigration, les autres secteurs fondamentaux qui continueront d’affronter durement la compétition seront ceux des investissements, de commerce et, surtout, d’aide publique au développement. Celle-ci relève en effet principalement du domaine des pouvoirs publics européens, et donc de l’UE par rapport aux ressources FED dont les limites ont été mentionnées plus haut. Ainsi, les Africains craignent que l’UE, n’ayant peut-être ni la volonté politique, ni les moyens financiers suffisants de ses bonnes intentions de coopération en faveur de l’Afrique, ne se détourne de celle-ci au bénéfice des PECO qui ont relativement les mêmes problèmes et préoccupations qu’elle, notamment en matières d’emploi, de chômage et de pauvreté ; ce qui pose un problème de re-équilibrage et soulève une troisième interrogation : 3. Y a-t-il nécessité d’une coopération plus équilibrée ? L’UE devrait, par conséquent, veiller à s’assurer que les pays africains trouvent aussi leur compte dans l’élargissement et que celui-ci ne comporte aucun risque préjudiciable au continent. L’Union européenne, appelée à s’agrandir encore, devrait donc relever le défi, qui serait de faire en sorte que son élargissement, sans être tous azimuts, apporte à l’Europe, aux PECO et à l’Afrique des progrès partagés. Pour ce faire, elle devrait s’attacher à chercher un certain équilibre dans son 10 du NEPAD ne requièrent-elles pas la contribution effective de la communauté internationale dans un cadre plus opérationnel pour un avenir plus prospère pour l’Europe et plus rassurant pour l’Afrique ? D’où la dernière et quatrième question: 4. Dialogue Europe-Afrique : quelles perspectives pour l’avenir ? Conscientes des enjeux pour l’avenir, et outre l’Accord de Partenariats Economiques signé à Cotonou en 2000 par l’UE et le Groupe des pays ACP, l’Afrique et l’Europe ont pertinemment institutionnalisé un nouveau cadre pour leur coopération au niveau le plus élevé. Elles ont ainsi convenu, au Sommet Europe-Afrique d’avril 2000 au Caire, du Dialogue Europe-Afrique qui constitue un processus nouveau de dialogue entre les deux continents. Initialement prometteur malgré les difficiles négociations qui ont précédé son accouchement, ce processus a très vite montré ses limites au niveau de la rencontre au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement. C’était en effet leur forum, mais ce sommet, prévu à Lisbonne en 2003, n’a pu encore se tenir 6 ans après celui du Caire. Cependant, comme ancien serviteur-représentant de l’UA auprès de l’UE, je dois préciser que les Réunions ambassadoriales et ministérielles préparatoires à de tels Sommets ont régulièrement eu lieu, notamment à Bruxelles et à Ouagadougou. Je dois surtout souligner que l’UE et l’UA, à travers leurs Commissions respectives et ces Réunions préparatoires du Dialogue Europe-Afrique, sont engagées dans une collaboration et une coopération actives et prometteuses dans de nombreux domaines. Ces derniers sont consignés dans un plan d’action en huit points principaux arrêtés d’un commun accord par les deux parties. Il s’agit de la prévention des conflits, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, de la dette, de la restitution des biens culturels, de l’intégration économique régionale, des questions d’environnement et de sécheresse, de la sécurité alimentaire, du SIDA et autres pandémies qui minent le continent. Collectivement, les Pays d’Afrique, de l’Europe Centrale et de l’Europe Orientale font désormais partie de cette indispensable aventure multilatérale qu’est le Dialogue EuropeAfrique. Ils doivent y cultiver une solidarité certes nouvelle en raison de l’adhésion récente des PECO. Mais à l’instar des autres membres de l’Union européenne, ces trois groupes de pays ne devraient pas pour autant tourner le dos à leur fructueuse coopération bilatérale traditionnelle qui a fait ses preuves dans un passé non si lointain. Il en va des progrès et des intérêts bien compris et bien partagés de l’Union et de tous ses partenaires. ……………………… Tous droits de reproduction, même partielle, réservés, sauf accord préalable de l’auteur. *** 11 L E S T R I B U N E S Des actions civilo-militaires (ACM) à la coopération civilo-militaire (CIMIC) Depuis les années 1990, les forces armées occidentales ont développé des capacités militaires pour favoriser la sortie de crise dans un pays dévasté par un conflit. En effet, compte tenu du nouvel environnement géostratégique, elles sont de plus en plus contraintes à prendre en considération leur environnement civil souvent pour des raisons humanitaires mais aussi pour restaurer le plus rapidement une normalité pacifiant les esprits et les cœurs... Les crises depuis 1990 combinent plusieurs paramètres : • La protection des populations constitue souvent l’enjeu mis en avant pour les interventions militaires. • Les conditions d’engagement se définissent par une promiscuité des populations et des forces, dans des conflits où certains belligérants ignorent le droit des conflits et respectent rarement la discrimination entre les objectifs civils et militaires. Les populations civiles sont instrumentalisées par les sources d’opposition (tout acteur s’opposant par la violence ou non à la mission d’une force militaire projetée) au détriment des forces occidentales lorsqu’elles sont engagées. • La résolution de conflits de plus en plus complexes fait appel à de nombreux acteurs civils intervenant avant, pendant et après l’action des forces. • La sortie de crise doit être planifiée avant l’engagement. Elle tient compte en particulier de la reconstruction, souvent financée par les démocraties occidentales, du pays concerné et a une forte influence sur les conditions dans lesquelles la campagne militaire sera menée. De simple fonction d’appui direct au bénéfice des forces armées dans leur action au contact avec l’environnement civil, initialement dans le cadre des opérations humanitaires, cette conception des liens à établir entre forces armées et environnement civil s’est désormais élargie à la prise en compte des relations avec l’ensemble des acteurs civils concernés. Ce contexte opérationnel nouveau et les enseignements des conflits depuis 1999 ont conduit les Armées à rédiger une nouvelle doctrine ACM en mars 2005 remplaçant le document de 1997. Les ACM sont désormais dénommées « coopération civilo-militaire » ou CIMIC. La CIMIC désigne la fonction opérationnelle destinée à améliorer l’intégration de la force dans son environnement humain afin de faciliter l’accomplissement de sa mission, le rétablissement d’une situation sécuritaire normale et la gestion de la crise par les autorités civiles (administration, action humanitaire, reprise économique, …). Les activités qu’elle entraîne sont transférées aux acteurs civils aussitôt que possible avec l’objectif de désengager nos forces, limitées, et de les rendre disponibles pour d’autres opérations. La doctrine est globalement interopérable avec celle de l’OTAN. 12 Les objectifs de la coopération civilo-militaire s’inscrivent dans la stratégie globale engagée afin d’atteindre l’état final recherché. Ils visent notamment à : • contribuer à l’atteinte des objectifs politiques en facilitant la coordination entre les différents acteurs civils et militaires et en établissant des liaisons permanentes avec les autorités civiles en charge de la crise ; • renforcer l’action militaire en facilitant l’insertion de la force dans un environnement civil complexe (protection de la force) et en fournissant une expertise du milieu civil aux autres fonctions opérationnelles ; • accélérer la sortie de la crise en fournissant un appui aux acteurs civils de la crise afin que ceux-ci puissent assumer au plus tôt toutes leurs responsabilités ; • préserver les intérêts nationaux en garantissant la prise en compte légitime de nos intérêts et en préparant l’action des acteurs civils français, différence notable avec l’OTAN, qui retient les seuls trois objectifs précédents. Pour conclure, la fonction CIMIC est devenue incontournable dans la résolution des conflits. Elle n’est pas nouvelle. Elle rappelle seulement que les armées agissent dans un environnement où des personnes ne sont pas concernées directement par le conflit. Elles doivent à ce titre être au moins préservées des conséquences des combats. Cela n’est cependant pas suffisant dans un contexte de guérilla comme cela se produit dans les opérations de stabilisation. Dans le cadre général des opérations, il s’agit de donner et de diffuser aux moins motivés les arguments pour ne pas prendre les armes. Ainsi, la CIMIC retire concrètement les raisons de se battre avec les objectifs non exhaustifs suivants : faire appel aux acteurs civils pour la remise en état de l’ensemble du pays, valoriser les élites locales, assurer le minimum vital en alimentation, relancer les services publics dont l’école, soutenir l’économie afin de faire baisser le nombre des inactifs susceptibles de reprendre les armes par désespoir… Elle est renforcée dans son action notamment par la communication « médias » en direction des opinions publiques et par les opérations militaires d’influence (O.M.I.) qui visent à persuader les populations de la zone des opérations de rester au moins neutres. La CIMIC dont l’importance se renforce progressivement dans les engagements militaires est devenue un acteur majeur au profit des forces armées occidentales pour le retour à la normalisation et donc pour une paix durable. François Chauvancy, Colonel (armée de terre) *** 13 La question du Liban, un laboratoire de réflexion sur les symptômes de la mondialisation : La crise politique qui a suivi le récent assassinat de l’ancien premier ministre Rafiq Hariri a fait rejaillir dans l’esprit des libanais les questions fondamentales liées à la guerre. Comme un symbole, l’assassinat de celui qui voulait redonner au Liban son mythique prestige d’antan, à l’image d’un centre ville devenu la vitrine du pays, fit ressortir sous ses édifices toutes les pourritures du conflit civil de 1975 à 1990. Aussi, apparaît l’exigence de voir se faire l’indispensable devoir de mémoire, trop souvent occulté ou devenu tabou au lendemain de la guerre. Celleci s’acheva en 1990 par l’amnistie censée clore les conflits civils. Mais l’amnistie est bien davantage une procédure d’effacement d’une violence qui n’aurait pas du advenir. La question libanaise pose un certain nombre de problématiques qui n’en finissent pas d’animer l’Espace Mondial, et que nous tenterons d’extraire à partir du laboratoire de réflexion que constitue son histoire. Aussi nous nous efforcerons en filigrane de ce survol historique, de mettre la lumière sur la question des effets de la mondialisation marqué par une prépondérance des modes d’affiliations identitaires ou religieuses au détriment des Etats-Nations, ainsi que les phénomènes de communautarisation des sociétés notamment en Europe. En outre, depuis la fin de la guerre froide on assiste à une intensification des conflits intra étatiques marqués par les antagonismes éthnico-religieux et face auxquelles la communauté internationale se retrouve souvent désarmée. Nous sommes donc animés par la conviction que l’étude du cas très complexe de ce conflit pourrait se transposer selon certains degrés à d’autres guerres à base identitaires de l’Ulster au Sri Lanka en passant par les Balkans. Dans 14 tous ces conflits réapparaissent les mêmes thématiques : perte de légitimité du modèle d’Etat Nation, émergence d’un ordre milicien, mode d’affiliation à base éthnico-religieuse, édification de bastion communautaire, et puis de nombreux aspects d’ordres socioéconomique souvent occultés au profit de la grille de lecture identitaire qui simplifie la compréhension de tous ces antagonismes. Sans oublier l’aspect historique marqué par la colonisation qui a eu pour vocation d’exporter au delà de l’Europe le modèle de l’Etat Nation et qui ne cesse de montrer à ce jour ses limites. 1- La remise en question de l’allégeance étatique : Etat Nation versus communautarisme Au Liban, la constitution de 1926 et le pacte national de 1943 ont instauré le communautarisme politique, soit le partage des pouvoirs exécutifs et législatifs au prorata du poids démographique de chacune des dix-sept communautés religieuses. Le pacte national de 1943, non écrit, jette les bases du consensus interlibanais à l’origine de la fondation et de l’indépendance de la république libanaise née du démembrement de l’empire ottoman et de l’agrafage sous le mandat français de la province du Mont Liban (ou Petit Liban) avec la riche plaine de la Bekaa et les villes côtières de Beyrouth, Tyr, Tripoli ou encore Sayda. Mais le grand Liban de 1920 sera moins homogène ethniquement et les tensions seront immédiatement perceptibles. Le pacte de 1943, conclut par le président de la république (maronite) Béchara El Khoury et le président du conseil (sunnite) Riad EL Solh était l’expression d’un compromis entre les aspirations des deux principales communautés religieuses: les musulmans renonçaient à l’union avec la Syrie, c’està-dire à l’insertion dans un ensemble arabe élargi ; les chrétiens acceptaient un Liban « à visage arabe », qui ne serait pas directement protégé par la France. Mais par la suite, ce consensus national va montrer ses limites ainsi que sa fragilité dans un système communautaire dont les failles continuent de produire ses méfaits entravant jusqu’à nos jours l’existence d’une véritable Nation. En effet à l’inverse de l’évolution que le régime communautaire avait subi dans les autres pays arabes, celui-ci s’était manifesté au Liban dans la transformation des communautés en mini-Etats à l’intérieur desquels les Libanais se trouvaient enfermés dans un réseau de penchants, de devoirs et même d’obligations faisant foncièrement obstacle au parfait épanouissement de leur allégeance directe envers l’Etat, dont ils sont pourtant les citoyens nominaux. Ainsi, obliger les Libanais à appartenir à une des dix-sept communautés officiellement reconnues pour vivre en hommes ordinaires capable d’exercer leurs droits civiques et d’accéder aux fonctions publiques ; ne leur octroyer que la cote part affectée à leurs communautés dans la répartition des emplois de l’Etat, c’est sans nul doute remettre en cause les principes d’égalité et de liberté, pilier d’une démocratie authentique. Dans le cas du Liban le régime communautaire voit l’émergence de mentalités différentes, de perceptions parfois opposées de l’identité libanaise, le tout travaillé par des courants politiques dont les contradictions profondes exposent la collectivité libanaise à des crises endémiques (c’est sans compter l’interférence étrangère facteur indissociable de l’histoire de ce jeune pays). Il était fatal, dès lors, qu’au bout de quelques années de la pratique sans freins du confessionnalisme, les chocs en retour déferlent à une cadence effrayante : 1958, 1968, 1969, 1970, 1973 et puis la guerre de 1975 qui aboutira à la signature des accords de Taëf de 1990 qui n’ont été que partiellement appliqués (l’abolition progressive du système communautaire qui en constitue une des grandes lignes n’est toujours pas appliquée). Force est de constater pourtant que l’expérience libanaise constitue une forme exacerbée des conséquences de la mondialisation, face auxquelles le destin tragique de ce pays revêt un caractère d’avertissement à l’égard du phénomène communautaire et du repli identitaire qui ont tendance à s’étendre à travers l’espace mondial. 2- Mondialisation, identité et territoire : une reconfiguration de l’Espace Mondial : Nous l’avons vu, la faillite de l’Etat libanais, et la remise en question de sa légitimité se sont faites au profit d’une structure clanique et complexe (« aassabiya ») autour d’un « za’im » avec des perceptions de l’identité nationale tout aussi hétérogènes. L’Etat perd ainsi le contrôle de ses espaces politiques et économiques, et perd ses propres agents, divisé en clivages communautaires synonyme d’instabilité structurelle. Il faut reconnaître que de tels phénomènes tendent de plus en plus à se généraliser à des degrés divers accompagnant le processus de mondialisation, et constituant par conséquence un potentiel de conflictualité dont nous nous proposons d’analyser les mécanismes. Le débat inter paradigmatique des Relations Internationales a vu apparaître dès la fin des années 1970 la théorie transnationaliste qui rompt avec une vision stato centré qui fut dominante jusqu’à la fin de la Guerre Froide. Embrassant les effets de la mondialisation, cette nouvelle perspective 15 tend à montrer que les relations d’autorité s’exercent de plus en plus en dehors des frontières nationales remettant en question les liens nationaux. Il existe une véritable crise d’allégeance à l’autorité étatique qui engendre la dislocation des cadres nationaux. Dès lors vont apparaître de nouvelles formes de loyauté par un transfert de légitimité d’une collectivité à une autre : il y a réalignement identitaire au profit de groupes infranationaux et supranationaux. Les relations de contrôles qui produisent de l’autorité, des habitudes d’obéissance, ne sont plus l’apanage des seuls Etats-Nations voyant apparaître des solidarités transnationales qui contournent les frontières étatiques, créant au sein d’un même territoire des perceptions multiformes de l’identité nationale. Cette déterritorialisation est sans nul doute un des principaux symptômes de la mondialisation. Celle ci se définit tel un processus par lequel les relations sociales sont dégagées de leur géographie territoriale, le lieu devenant de plus en plus « fantasmagorique ». Les différents théâtres sociaux sont complètement façonnés par des influences très lointaines via les nouvelles technologies d’information tel que Internet. C’est le cas par exemple de certaines banlieues de la région parisienne qui reçoivent des flux d’informations, d’idées et de représentation de la réalité par l’intermédiaire de chaînes satellitaires tel que Al Manar ou Al Jazeera, qui vont donner une primauté à leur appartenance communautaire ou religieuse au détriment de leur appartenance nationale. Ainsi, le jeune « beur » des banlieues s’identifie plus facilement aux jeunes palestiniens contestant l’injustice d’un ordre établi, qu’à son compatriote français qui réside pourtant à quelques kilomètres de lui. Un tel phénomène s’est très souvent illustré au Liban. Lorsque la résistance Palestinienne s’implanta au Liban, elle trouva un soutien important, essentiellement au sein de la 16 société musulmane et du public « arabiste ». Ce soutien résidait sans nul doute dans le fait que l’adhésion aux valeurs du nationalisme arabe est quasiment spontanée pour les musulmans. En revanche, celle-ci nécessite une démarche volontaire du côté chrétien, en particulier pour les maronites qui revendiquent une identité « libaniste » distincte. La présence armée palestinienne va ainsi embrasser la ligne de fracture communautaire suscitant une fois de plus la question fondamentale de la perception identitaire articulée par l’opposition entre chrétiens et musulmans. Plus récemment, lors de la crise qui a suivi l’assassinat de Hariri, les réclamations d’un retrait syrien du Liban, ne firent pas l’unanimité au sein de l’opinion publique, et une grande partie de la population musulmane (essentiellement les chiites) affichèrent un élan de solidarité à l’égard de la Syrie et considérant les Etats-Unis et Israël comme les principaux instigateurs de la crise. Ainsi, le phénomène communautaire qui a marqué l’histoire du Liban a vu des éléments externes (implantation palestinienne, présence syrienne, etc.) se greffer aux clivages inter religieux dictant des alignements en fonction de solidarités claniques et religieuses. Ce processus se retrouve aujourd’hui en Europe, lorsqu’on voit le conflit israélo-palestinien se transposer à l’échelle des communautés juives et musulmanes de France entraînant de véritables tensions qui compromettent la coexistence pacifique entre les groupes. Finalement avec la mondialisation ce sont des conflits, des tensions et des haines géographiquement éloignés qui viennent se projeter via des flux transnationaux, sur le territoire national donnant une certaine primauté aux affiliations identitaires et ce au détriment d’une appartenance nationale menacée par la communautarisation des sociétés. Le monde devient une sphère sociale libérée des frontières nationales. Si bien qu’on ne peut plus se limiter à des visions nationales. A cet aspect social de la mondialisation s’ajoute les éléments d’ordre économique que nous allons présenter et qui là encore contribue à l’affaiblissement du modèle étatique classique. Etat encore jeune à jouer un rôle central dans la prépondérance du communautarisme puis de la dissension nationale. Force est de reconnaître une fois encore que cet aspect de la question libanaise illustre une fois encore une tendance générale de notre actualité accompagnant toujours le processus de mondialisation. Avec l’intensification des échanges internationaux et la rude compétition économique que se livrent les Etats ou les entités régionales, l’Etat obligé de réduire son déficit budgétaire perd la maîtrise de ses mécanismes économique : c’est le déclin de l’Etat Providence. Les individus ressentent de moins en moins la présence de leurs Etats en matière de protection sociale et de sécurité économique. Cette véritable rupture du contrat social inspiré des Modernes contribue corrobore de manière indéniable la crise d’allégeance aux Etats profitant à des modes d’affiliations identitaires. Pour expliquer la faillite de l’Etat libanais, il faut évoquer les querelles économiques qui ont déchiré les élites dirigeantes une fois l’indépendance acquise. Les partisans d’un libéralisme effréné excluant toute intervention de l’Etat dans l’économie vont très vite l’emporter à partir des années 1950. Dès lors le Liban ne se verra plus que comme une plaque tournante du Moyen-Orient, une luxueuse destination touristique et une zone franche commerciale et bancaire. Outre l’impact sur la diversification du secteur économique qu’à engendré cette pratique d’un libre échangisme pur et dur, l’Etat Providence en est ressorti affaibli voire quasi inexistant. Il n’est sans doute plus utile de rappeler combien cet affaiblissement d’un Karim SADER *** 17 L’industrie européenne de l’armement terrestre : le domaine des véhicules militaires. En ordre dispersé… ? Les forces terrestres voient leur importance réaffirmée par rapport aux forces aériennes, notamment du fait des retours d’expérience essentiellement américains des opérations en Afghanistan et en Irak et dans le cadre de « transformation ». Du point de vue technico-opérationnel, il s’agit pour ces forces de maîtriser la mise en réseau des véhicules terrestres, à partir de la numérisation du champ de bataille et de la communication entre l’ensemble des éléments hommes/machines, d’accroître la protection et la survivabilité des véhicules et des soldats, d’améliorer la mobilité terrestre et la fonction « feu ». Enfin, compte tenu de ressources budgétaires contraintes, les matériels en service ou futurs devront être réparés, soutenus et modernisés de manière plus économique qu’auparavant. Aux côtés des legacy forces traditionnelles (dont les véhicules lourds seront en service jusque dans les années 2030) apparaît alors le besoin pour des forces médianes et modulaires : ainsi, une première vague de renouvellement des véhicules est prévue à l’horizon 2015, en faveur de véhicules de 15 à 25 tonnes. Les décisions concernant la production des futurs véhicules médians ou la transformation en véhicules de ce type sont attendues pour 2006-2008, notamment en Allemagne dans le cadre de « Deutsches Heer 2020 » et, avec davantage d’incertitudes en France. Pour le Royaume-Uni, si la décision du renouvellement des véhicules est prise dans le cadre du programme FRES (Future Rapid Effect System) le choix de la production n’est pas encore arrêtée. Nick Witney, directeur général de l’AED, estimait en 2005 que le marché des véhicules blindés de combat (Armoured Fighting Vehicles – AFV) au sein des 25 États membres de l’Union européenne atteindrait environ 10 000 unités au cours des dix prochaines années, soit la moitié du nombre actuel et pour un coût total d’environ 20 à 30 milliards d’euros (donc 2 et 3 milliards d’euros par an, contre un peu plus d’un milliard d’euros par an actuellement selon une estimation de Rheinmetall). L’AED s’est focalisée depuis le début de l’année 2006 sur une stratégie de recherche de coopérations technologiques et a recommandé cinq projets d’études issus de propositions industrielles (vétronique, motorisation hybride, modularité, etc.). Parallèlement au renouvellement du parc des véhicules envisagé par chaque pays, on recense actuellement dans l’Union européenne plus d’une vingtaine de projets nationaux de véhicules blindés (hors chars lourds). Seuls l’Allemagne et les Pays-Bas coopèrent actuellement autour du projet de véhicule BOXER géré par l’OCCAR (programme MRAV). Le secteur européen des armements terrestres est donc constamment décrit comme morcelé, tant du côté de la demande que de l’offre. Ce constat cache cependant des évolutions majeures depuis quelques années : il existe en fait déjà un modèle à deux variantes pour les restructurations, avec BAE Systems et General Dynamics, qui ont conduit plus d’une dizaine de fusions/acquisitions depuis 1997. Pour la France, il s’agit des projets EB5-10-20, dont les caractéristiques militaires ne sont pas encore définies. Pour des précisions quant aux véhicules concernés, cf. European Defence Agency, « European Defence Agency Ministers call for more cooperation on new Armoured Fighting Vehicles », Bruxelles, 23 mai 2005. Pascal Curunet, « Allemagne. Industrie et armements terrestres », Paris, TTU, 2004, p. 26. Cf., entre autres, Burkard Schmitt, « L’armement terrestre doit s’organiser », La Tribune, 14 juin 2005. 18 Globalement, en 2005, le chiffre d’affaires du secteur européen terrestre était de 17,152 milliards d’euros, soit 16,5 % du chiffre d’affaires total des secteurs de la défense et aérospatial représentés par les industriels de l’ASD. En terme d’effectifs, le secteur terrestre représente 96 160 personnes, soit 15,4 % de l’effectif total. La R&D des secteurs terrestres et navals compte pour 17 % des dépenses totales de R&D (avec 79 % pour l’aéronautique et 4 % pour le spatial), sur 13,29 milliards d’euros de dépenses R&D en 2004 (contre 12,8 milliards d’euros en 2003). Au sein des secteurs terrestres et navals, 8 % de leur CA global sont consacrés aux dépenses de R&D, soit 2,14 milliards d’euros et 20 241 personnes. Outre le paysage industriel français en cours de restructuration (et analysé par ailleurs), il reste alors aux côtés de General Dynamics (1.) et de BAE Systems (2.) principalement des industriels allemands (3.), italiens (4.), grecs (5.) et finlandais (6.), qui ont chacun des stratégies propres. 1. L’américain General Dynamics : percée réussie en Europe malgré le coup d’arrêt de 2004 General Dynamics a conduit de 2001 à 2003 une vague intense de restructurations dans l’industrie terrestre européenne, aboutissant à la division European Land Combat Systems, dont le siège social se situe à Vienne. Au terme de ces acquisitions, General Dynamics est devenu le leader dans le domaine terrestre européen : cette business unit compte 3 250 salariés localisés en Espagne (2000 salariés), Suisse (500 salariés), Autriche (450 salariés) et Allemagne (300 salariés). Sur l’ensemble des activités de General Dynamics, les activités Combat System (à la fois aux états-Unis et en Europe) représentent 24 % du CA total (soit 4,2 milliards d’euros en 2005). Si la tentative d’OPA de General Dynamics sur le britannique Alvis au début de l’année 2004 a suscité de fortes craintes d’américanisation du secteur terrestre européen, elle a surtout marqué l’arrêt de la stratégie de prise de contrôle d’entreprises européennes du secteur terrestre. Il n’en demeure pas moins que General Dynamics est désormais fortement présent dans les acquisitions de véhicules blindés en Europe. Depuis 2005, le Portugal (260 Pandur II de Steyr, pour 2007-2009), la Belgique (242 Piranha de Mowag), l’Espagne (avec des Howitzers, 181 Leopard livrés jusqu’en 2009 et 212 Pizarro livrés jusqu’en 2012), l’Allemagne (avec des Duro III de Mowag), le Danemark (avec des Eagle IV de Mowag), l’Irlande (15 Piranha), la République tchèque (199 Pandur II pour 2007-2012) et l’Autriche ont été les clients européens de General Dynamics. Avec Mowag, General Dynamics détient en outre une entreprise fortement expérimentée en matière de modularité et donc d’exportation, ainsi que possiblement utilisable dans le cadre du Future Combat Systems (FCS). Cf. Cédric Paulin, « Armement terrestre français : il est grand temps (de continuer) d’agir ! », mai 2006 (sur le site de la Fondation pour la Recherche Stratégique). Les nouveaux États membres de l’Union européenne ne sont pas pris en compte dans ces deux notes, hormis dans le cadre des coopérations industrielles. European Land Combat Systems correspond à General Dynamics Mowag AG, Santa Bárbara Sistemas, et Steyr Spezialfahrzeug. La direction d’European Land Combat Systems est tenue depuis 2003 par Hans Michael Malzacher, précédemment CEO de Steyr. European Land Combat Systems et Land Systems comptent 10 650 salariés. L’allemand Eisenwerke Kaiserslautern (EWK) a été acquis par la filiale espagnole Santa Barbara Sistemas en octobre 2002. Cette entreprise de 300 salariés construit des ponts et pontons flottants et amphibies. Santa Barbara Sistemas produit le Leopard sous licence allemande. 19 Aux États-Unis mêmes, l’implication de General Dynamics dans le programme FCS a lieu au titre des sous-programmes des huit types de véhicules terrestres, sous-traités depuis décembre 2003 par le Lead System Integrator Boeing et Science Applications International Corporation (SAIC). General Dynamics Land Systems est associé à BAE Systems Land & Armaments (qui est leader du FRES au Royaume-Uni), dans le cadre d’une équipe intégrée pour le design, le développement et les démonstrateurs de véhicules. Enfin, caractéristique importante, aux États-Unis (et au Royaume-Uni) le pas d’une intégration des programmes des véhicules terrestres par l’industrie aéronautique – notamment du fait de l’expérience de cette dernière en matière électronique, qui constitue la valeur ajoutée du FCS – est franchi. Fusions/acquisitions dans l’armement terrestre européen entre 1997 et 2005, aboutissant à deux acteurs majeurs : General Dynamics et BAE Systems GAO, Defense Acquisitions. Future Combat Systems Challenges and Prospects for Success, GAO-05-442T, 16 mars 2005, p. 1. La production des véhicules est prévue pour 2010. Les CA de ces deux entreprises correspondent aux activités terrestres. 20 2. BAE Systems : la concrétisation de sa stratégie mondiale en 2005 Le britanniques Alvis a conduit les restructurations au niveau national et avec la Suède de 1997 à 2003. BAE Systems a in fine repris Alvis en 2004 et a conduit la restructuration majeure à l’échelle transatlantique, par l’acquisition d’United Defense en mars 2005. BAE Systems Land & Armements, désormais en charge de l’ensemble des activités terrestres et de l’action au sol de BAE Systems aux États-Unis, en Suède, en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, compte 10 600 salariés, soit 10,6 % de l’effectif total (dont une moitié, 5 100 salariés, pour BAE Systems Land Systems : Lands Systems Hägglunds, Lands Systems Weapons & Vehicles, Land Sytems Munitions & Ordnance, et en Afrique du Sud, Land Systems OMC. Le reste des effectifs est principalement aux Etats-Unis dans l’ex-United Defense « activités terrestres, c’est-à-dire BAE Systems Armament Systems Division et BAE Systems Ground Systems Division, et en Suède dans BAE Systems Bofors). En terme de chiffre d’affaires, les activités terrestres représentent 8,2 % du total, avec 1 845 millions d’euros de CA (comparés aux 24 % de General Dynamics Combat System). Cependant, la comparabilité des périmètres n’est pas strictement identique : un grand nombre d’activités de la division « Electronics, Intelligence & Support de BAE Systems » (32 900 salariés pour 5 371 millions de CA 2005, soit 23 % du total) sont liées au domaine terrestre. Le chiffre d’affaires lié au terrestre et à l’action au sol est donc supérieur à 1,8 milliard d’euros, sans qu’il soit possible de le déterminer avec plus de précisions, et toutefois encore inférieur à celui de General Dynamics Combat Systems. Globalement, BAE Systems fournit 95 % des équipements terrestres de l’armée britannique, intervient fortement sur le MCO des véhicules britanniques et américains, et est en pointe dans les programmes FRES et FCS. Est-ce un acteur industriel britannique, européen, transatlantique ou mondial ? La forte implantation industrielle et décisionnelle des activités terrestres du groupe britannique aux États-Unis – la direction de BAE Systems Land Systems & Armaments se situe à Arlington en Virginie – correspond à sa stratégie générale, valable pour le terrestre comme pour les autres secteurs : être un leader européen à partir d’une base transatlantique, pénétrer le marché américain et atteindre les premiers rangs mondiaux. Ainsi, les restructurations européennes conduites par l’industriel britannique sont ambiguës et en quelque sorte instrumentales : le rachat d’United Defense en 2005 clôt une vague d’acquisition de treize entreprises américaines depuis 2000, ce qui révèle davantage une stratégie de restructuration transatlantique qu’européenne. Surtout, BAE Systems renforce sa position dans le programme FCS puisque United Defense était l’un des primo-contractants de Boeing pour les véhicules et les robots terrestres, et intervient désormais largement sur le marché de la réparation et de la modernisation des véhicules militaires américains : « It’s been a long trough for combat vehicles for the most part in the ‘90s, and it is time for the repair, the replenishment and the upgrading of those systems », rappelle Thomas Cette division regroupe ainsi les anciennes sociétés suivantes : Marconi Electronic Systems (GB), Hägglunds (Suède), GKN (GB) Alvis (GB), Vickers Defence Systems (GB), Bofors Weapons Systems (Suède), United Defense Industry (US). 500 FV432 Armoured Vehicle pour mars 2006 - fin 2008, dans le cadre du Partnering Agreement signé avec MoD en décembre 2005 ; modernisation attendue des chars Challenger, Warrior, etc. Outre BAE Systems, Land Rovers et Automotive Technik Ltd. (du groupe américain Armor Holdings / Centigon, spécialiste entre autres du blindage) fournissent des véhicules militaires. 60 véhicules de patrouille Pinzgauer d’ATL (ou des versions améliorées du point du vue du blindage) devraient être achetés par l’armée britannique dans le cadre des opérations en Afghanistan. Avec le rachat d’United Defense, BAE Systems devient la première société étrangère à être contractante principale sur des appels d’offres du Pentagone. Le groupe britannique compte ainsi 35 000 salariés américains sur un total de plus de 100 000 salariés. 21 Rabaut, dirigeant le business group BAE Systems Land and Armaments depuis Arlington, en Virginie. En outre, il faut compter avec l’Operation Desert Storm, consommatrice en véhicules et usante pour eux. Stratégique dans une optique de construction d’un groupe terrestre mondial, l’acquisition d’United Defense est aussi très opportune par rapport au seul marché américain. En Europe, BAE Systems bénéficie de la forte capacité de conception modulaire, des possibilités d’exportation et de la nécessité d’entretien et de modernisation des véhicules, déjà bien vendus, d’Hägglunds : la famille des CV90 est en service en Suède, en Norvège, en Suisse, en Finlande, aux Pays-Bas à partir de 2007 (184 CV9035 MkIII suite à un contrat de décembre 2004 et pour une livraison en 2007-2010 ; 74 BvS10 commandés en mars 2005 pour livraison entre janvier 2006 et la mi-2007), et enfin au Danemark (45 CV9035 commandés fin décembre 2005). Au total, cela porte les commandes de CV90 à 1 170 unités, avec la possibilité d’un contrat supplémentaire en Grèce (pour environ 150 véhicules). De même, dans la famille des Bv206/Bv206S/BvS10 (véhicule + remorque), qui existe en plus de 30 variantes, le BV206 a été vendu à 11 000 exemplaires ; quant au BvS10, déjà en service au Royaume-Uni et bientôt aux Pays-Bas, il est en test en Finlande et en France. Pour la Suède, le rachat d’Hägglunds et de Bofors par l’industrie britannique ne signifie pas que ce pays scandinave membre de la LoI abandonne ses prétentions et compétences dans le domaine de l’armement terrestre, dont les véhicules blindés en tant que domaine technologique clé. Du point de vue de sa politique industrielle, il s’agit de mettre effectivement en œuvre la coopération internationale. Facteur déterminant pour l’avenir, BAE Systems est le principal industriel du programme britannique FRES, qui prévoit 3 500 véhicules et de bonnes perspectives à l’exportation, et structurera les forces terrestres britanniques mais aussi l’industrie britannique et les compétences à maîtriser : « Future Rapid Effect System (FRES) is the Army’s highest priority programme and will be the central pillar of a capable, coherent and highly deployable medium force. It plans to deliver a family of network-enabled medium weight armoured vehicles covering a wide range of combat, combat support and combat service support roles. It has an ISD [in-service date] planning assumption for initial variants in the early years of the next decade, with further tranches of vehicles providing incremental Cit. in Rich Tuttle, « Acquisition of UDI seen expanding BAE Systems’ position in U.S. », Aerosapce Daily & Defense Report, 27 juin 2005, p. 12. Nous renvoyons aux communiqués de presse de BAE Systems pour le détail des nombreuses rénovations et modernisations de véhicules américains. Il suffit d’observer les potentialités futures de MCO et modernisation des véhicules américains et/ou de leur remplacement dans le cadre du FCS, alternative loin d’être tranchée (The Army’s Future Combat Systems Program, Statement of J. Michael Gilmore, Assistant Director, before the Subcommittee on Tactical Air and Land Forces / Committee on Armed Services / U.S. House of Representatives, Washington D.C., CBO, 4 avril 2006, 21 p.). Un accord de compensation a été signé à cette occasion entre BAE Systems Land Systems Hägglunds et le ministère néerlandais des Affaires économiques (Joris Janssen Lok, « Swedish defence industry warms to exports as domestic markets cool », Jane’s International Defence Review, mai 2005, p. 61). Cette dernière commande est accompagnée d’une possibilité de MCO et de modernisation des véhicules durant leur cycle de vie, en partenariat entre BAE Systems et l’entreprise danoise Hydrema Export A/S. Les BvS10, d’un tonnage augmenté de 5 tonnes, ont cependant connu une rupture, avec un nouveau châssis, une nouvelle motorisation et un nouveau système de direction. Par ailleurs, Saab est toujours fournisseur du système d’armement du CV90. Joris Janssen Lok, « Swedish defence industry warms to exports as domestic markets cool », Jane’s International Defence Review, mai 2005, pp. 52-61. 22 enhancements to capability thereafter. Production is currently expected to continue into the late 2020s ». A l’image de l’organisation du programme FCS, le MoD mettra en place courant 2006 un intégrateur système, avec des industriels nationaux et étrangers, conduits par BAE Systems. General Dynamics a aussi été retenu par le MoD pour fournir un prototype de châssis, de même que Lockheed Martin pour le blindage électronique, le consortium ThalesBAE Systems-QinetiQ pour les contre-mesures électroniques et le consortium ThalesBoeing pour l’Integrated Survivability. Début 2006, BAE Systems a obtenu le contrat de démonstrateur technologique pour le châssis (Chassis Concept Technology Demonstrator Programme – TDP), avec le soutien de QinetiQ, et celui de réduction des risques associés à l’implémentation des dernières technologiques dans le FRES (FRES Gap Crossing TDP de l’Integrated Technology Acquisition Programme – ITAP). Le programme FRES pourrait aussi structurer les technologies et l’industrie européennes terrestres. En effet, l’ex-Hägglunds est en charge du programme suédois de véhicules chenillés SEP (« Splitterskyddad EnhetsPlattform » – Modular Armoured Tactical System) lancé en 1995, désormais sous la direction de BAE Systems, et coordonnait aussi l’effort industriel de la Finlande, des Pays-Bas, de l’Italie, de la Grèce, de la Suède et de la Turquie sur un projet de véhicule tout-électrique. Les liens entre les programmes suédois SEP et britannique FRES ont été renforcés fin décembre 2005 avec un contrat adjugé par le MoD à BAE Systems AB (anciennement Hägglunds au sein de BAE Systems Land Systems) sur l’évaluation de la maturité technologique du programme SEP en vue d’une utilisation dans le programme FRES. De fait, le démonstrateur du châssis du FRES précédemment évoqué sera basé sur le programme SEP, permettant ainsi aux industriels suédois d’être intégré au projet britannique s’ouvrant par là-même à des coopérations. La Suède diversifie aussi ses coopérations puisque son programme de network-based defence (NBD), particulièrement son architecture LedsystT, est lui basé sur une coopération avec Boeing (et IBM) pour bénéficier de l’expérience du FCS. Les communautés entre les deux programmes, américain FCS et britannique FRES, existent à travers les industriels : pour le FCS, BAE Systems et General Dynamics ont formé un MGVs (Manned Ground Vehicles) Propulsion Product Team, au sein duquel BAE Systems est responsable de cinq variantes de véhicules (sur les huit). L’industriel britannique développera en outre le Traction Drive Subsystems (TDS) des véhicules du FCS, avec QinetiQ et Honeywell, pour le design et la livraison de 45 unités entre octobre 2006 et 2011. Enfin, BAE Systems porte aussi ses efforts sur la robotique terrestre, notamment dans le cadre des deux Armed Robotic Vehicle du FCS, dont les premiers prototypes sont attendus pour 2010. Enfin, sur une base mondiale, BAE Systems se développe par des accords de promotion de ses produits : depuis septembre 2005, un accord existe avec l’entreprise privée turque FNSS Savunma Sistemleri, tenue à 51 % par la holding turque Nurol Holdings et à 49 % par BAE Systems Land Systems OMC, filiale sud-africaine de BAE Systems. Cette filiale sud-africaine tente d’ailleurs déjà de concurrencer les constructeurs européens sur le segment des blindés légers, par exemple dans le cas de l’appel d’offres belge pour un Light Protected Vehicle (LPV). Par le biais de Land Systems OMC, BAE Systems conduit aussi MoD, Defence Industrial Strategy, décembre 2005, p. 80. BAE Systems, « BAE Systems wins two Future Rapid Effect System Technology Demonstrator Programmes », 4 janvier 2006. BAE Systems AB, « Swedish-British industrial cooperation – order for SEP technology for FRES », 28 décembre 2005. 23 en Afrique du Sud la modernisation du Olifant MK1B Main Battle Tanks, pour livraison en 2007. Enfin, en Slovaquie, BAE Systems évalue les opportunités de partenariat avec DMD Groupe, producteur de tourelles de véhicules blindés, ce qui pourrait être un pas de plus de BAE Systems, cette fois-ci vers l’Europe centrale. Ainsi, en matière terrestre, BAE Systems est-il un industriel britannique, américain, européen ou transatlantique ? Il s’agit en fait tout simplement d’une stratégie de conquête tous azimuts du leadership mondial dans le domaine terrestre, entre autres domaines. 3. Le secteur industriel terrestre allemand : deux industriels en attente et s’engageant progressivement dans des partenariats En 2003 l’industrie allemande, après une première vague de restructurations internes, ayant manqué l’occasion d’acquérir l’espagnol Santa Barbara Sistemas en 2001, a abouti à trois grands groupes : Rheinmetall, Krauss Maffei Wegmann et Diehl, ce dernier étant cependant davantage devenu un équipementier. Au final, les deux industriels majeurs, Rheinmetall et Krauss-Maffei Wegmann, ont des profils différents : Rheinmetall, avec 3,45 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 18 548 salariés, est pluri-domaines, intervenant dans le secteur automobile et dans la défense (pour 1,4 milliard d’euros). L’armement terrestre correspond à la division Rheinmetall Land Systems (1 370 salariés, avec quatre implantations en Allemagne, pour 350,5 millions d’euros, soit 10 % du CA total) qui produit tous types de véhicules, et à Rheinmetall Waffe Munition (2 212 salariés, avec six implantations allemandes, une autrichienne et une polonaise, et 392,5 millions d’euros, soit 11 % du CA total), qui produit des armes et des munitions. Du point de vue des véhicules blindés, le groupe allemand prévoit une forte croissance des activités de réparation et de modernisation sur des matériels vendus sur stocks par l’armée allemande à d’autres pays. Hormis l’armement terrestre et les munitions qui correspondent à 53 % de son CA « défense », Rheinmetall est enfin présent dans l’électronique de défense et les systèmes de défense aérienne. Krauss-Maffei Wegmann, avec 600 millions d’euros et 2 500 salariés à Munich et Kassel, est spécialisé sur les véhicules blindés et militaires. Le groupe allemand détient en outre six autres entreprises, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Grèce et aux États-Unis, toutes spécialisées dans les véhicules terrestres (logistique, MCO et/ou production de composants). Le carnet de commandes de KMW s’établit à 3,3 milliards d’euros. Le rapprochement entre Rheinmetall et Krauss-Maffei-Wegmann est couramment envisagé mais sans cesse reporté, du fait de tensions dans l’actionnariat de KMW et de BAE Systems, « BAE Systems evaluates partnership opportunity for DMD Group », 25 novembre 2005. L’éventualité d’un rachat de General Dynamics par BAE Systems a même été avancée, avant que le PDG de BAE Systems ne précise que les achats futurs d’entreprises se situeraient dans une échelle de 40 millions à 1,25 milliard d’euros, soit sur un panel potentiel d’entreprises assez large, non nécessairement sur le territoire américain (Andrew Chutter, « BAE Backs Off U.S. Merger Strategy », Defense News, 6 mars 2006). Le groupe Diehl (10 500 employés et 1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2005 dont 33,1 % dans la défense, correspondant à Diehl VA System) a choisi une stratégie de produits hors intégration de véhicules. Il s’agit donc d’un équipementier terrestre (moteur et transmission) et aéronautique, d’un munitionnaire (munitions guidées laser notamment). Le groupe a maintenu des activités de réparation et des modernisation des véhicules de l’armée allemande et des véhicules américains présents en Europe, à travers sa filiale IWS Industriewerke Saar GmbH, de même que des activités d’intégration de véhicules et engins citernes militaires. Rheinmetall, Annual Report 2005, 2006, p. 56. 24 craintes communes aux deux groupes face à des prises de participations américaines (par General Dynamics, Carlyle, etc.). Pour le directeur des « Systèmes terrestres » de Rheinmetall, « Avec une telle consolidation en Allemagne, nous pourrions jouer un rôle leader et jouer dans la même division que BAE Systems et General Dynamics ». Effectivement, les divisions terrestres et munitions réunies des deux groupes pourraient se monter à environ 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires (sur plus de 4 milliards d’euros de CA total cumulé entre Rheinmetall et KMW). Cette absence de fusion n’empêche cependant pas des coopérations par projets, autour du PUMA et du BOXER. Le PUMA, plus important programme de développement et d’acquisition de l’armée de Terre allemande, est géré à travers la joint venture Projekt System & Management Gmbh (PSM) basée à Kassel : au stade des prototypes et avec une première version dévoilée au public allemand en mai 2006, ces véhicules blindés de près de 40 tonnes sont prévus à 410 unités, pour une production à partir de 2007. Le véhicule blindé de 30 tonnes germano-néerlandais BOXER (programme MRAV en dénomination OCCAR, c’est-à-dire seul programme européen de coopération), après cinq ans de développement, une douzaine de prototypes et la défaillance du Royaume-Uni officialisée en novembre 2004, recevra son éventuelle décision de production en série au cours de l’année 2006. Le programme BOXER est géré par ARTEC, consortium entre les allemands Krauss-Maffei Wegmann et Rheinmetall et le néerlandais Stork. Outre ces deux coopérations majeures pour l’Allemagne, chacun des deux groupes, Rheinmetall et KMW, est aussi engagé dans des coopérations en Europe, notamment avec des industriels français et à nouveau néerlandais, et aussi par le biais d’accords de licences pour le char Leopard en Espagne et en Grèce. Par comparaison avec les industriels français, les divisions terrestres de Rheinmetall et de KMW comptent 3 870 salariés, contre 3 500 en 2003 : GIAT Industries, Panhard & Auverland, ACMAT, Renault Trucks Défense, tous réunis, représentent 3 620 salariés en 2006, avec une décroissance prévue chez GIAT Industries. Rheinmetall, qui avait noué une alliance de coopération avec le français Panhard dans le cadre de la réponse à l’appel d’offres sur le PVP français (in fine remportée par Auverland), poursuit dans ce sens avec le nouveau groupe Panhard & Auverland dans le cadre d’une proposition pour le renouvellement d’environ 2 500 véhicules blindés légers de la Bundeswehr. Pour KMW, une coopération est engagée avec l’industrie néerlandais, avec la création en novembre 2004 de Dutch Defense Vehicule Systems (40 salariés) dans le cadre de la production du véhicule blindé Fennek aux Pays-Bas. Cette coopération germanonéerlandaise est en outre renforcée à travers le BOXER. Enfin, surtout, KMW a signé en avril 2006 un MoU avec GIAT Industries pour concevoir, jusqu’au prototype à l’horizon 2010, une famille de blindés médians. Apparaît alors, aux côtés du BOXER en coopération européenne formalisée et aux côtés des communautés entre le SEP et les véhicules du FRES, une troisième possibilité de coopération européenne sur les véhicules blindés. (suite page 28) Dernièrement, cf. T. M., « Krauss-Maffei Wegmann envisage de se rapprocher de Rheinmetall », Les Echos, 28 février 2006. Parmi les causes des échecs récurrents d’un rapprochement, le rôle de leader que veut jouer KMW, et notamment son actionnaire privé majoritaire, la famille Böde (avec 51 % des parts), paraît bloquant, tout comme la difficulté que connaît Siemens, actionnaire à 49 % de KMW, à se désengager du groupe. Klaus Sander, cit. in « EADS dément son intéret pour Krauss Maffei », TTU, 10 mai 2006, n° 583, p. 5. Ajoutons que Diehl a des alliances avec Nammo AS (producteur de munitions), Raufoss, SAAB (Celsius) et Patria Industries. 25 Communiqué de presse LA FRANCE, L'EUROPE, L'OTAN Le 7 mars 1966, le Général de Gaulle annonçait le retrait des armées françaises des structures militaires de l’OTAN. Depuis cette décision, l’atlantisme est vilipendé. Et pourtant… La France via l’OTAN est engagée en Afghanistan. Sur le vaste front de la lutte contre l’islamo-terrorisme et la prolifération des armes de destruction massive, les Français sont aux côtés de leurs alliés. Etats-majors et services de renseignement opèrent en étroite liaison avec leurs homologues américains. La France aurait-elle donc réintégré l’OTAN ? Est-elle jamais sortie de l’Organisation atlantique ? Pourquoi ces pudeurs? Les faits commandent. Ces choix appellent l’attention sur les dissonances cognitives françaises. L’opposition verbale aux Etats-Unis, la stigmatisation de l’atlantisme et les envolées lyriques ne correspondent pas aux réalités stratégiques et géopolitiques. Prise au plus haut niveau, la décision de participer pleinement à la « nouvelle OTAN » s’inscrit dans une vision ambitieuse de l’Europe, au cœur des équilibres panoccidentaux. Risques, menaces et défis doivent être relevés. « Hic et nunc ». La transformation de l’OTAN en une alliance euro-américaine et de souples articulations entre Washington, Bruxelles et Moscou y contribueront. L’AUTEUR : Professeur agrégé, Jean-Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de Géopolitique (Paris VIII), spécialisé dans les questions de défense européenne et atlantique. Ancien auditeur de l’IHEDN, il est Lauréat du Prix scientifique de l’IHEDN 2003 (catégorie DEA). « La France, l’Europe, l’OTAN » est le second ouvrage de l'auteur publié aux Editions Unicomm. Son « Dictionnaire géopolitique de la défense européenne » est sorti en mai 2005 dans la Collection Abécédaire Société - Défense européenne. L’ouvrage est préfacé par Pierre Lellouche, Député de Paris, Président de l'Assemblée interparlementaire de l'OTAN. LES EDITIONS UNICOMM : spécialisées dans la publication d’annuaires sur les Parlements français et européen et de dossiers thématiques à l’attention des élus, elles publient également, depuis 2001, une série d’ouvrages consacrés à la défense. Ces ouvrages donnent la parole aux professionnels du secteur qui exposent d’une manière claire et sans faux-fuyants les enjeux réels d’une défense européenne au moment où le contexte international nécessite plus que jamais la création d’une Europe de la défense commune. DICTIONNAIRE GÉOPOLITIQUE DE LA DÉFENSE EUROPÉENNE Parution : 9 mai 2006 Prix : 18 € En vente en librairie et aux Editions UNICOMM. 94 rue Saint-Dominique 75007 PARIS • Tél. : 33 (0)1 43 17 31 31 • Fax : 33 (0)1 43 17 31 30 • Mél : [email protected] SARL au capital de 7 623 € • SIRET 388 672 909 00032 • Code APE 221A • TVA intracommunautaire FR 72388672909 V i e n t d e p a r a î t r e « France-OTAN : vers un rapprochement doctrinal ? Au-delà du 40e anniversaire de la crise franco-atlantique » André DUMOULIN (directeur) collection RMES n°2, éditions Bruylant, Bruxelles, 2006, 322 pages. Préface de l’amiral Jean DUFOURCQ. Disponible en librairie ou via le site www.bruylant.be Cet ouvrage collectif réalisé dans le cadre du Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES) profite du quarantième anniversaire du départ de la France de l’organisation intégrée de l’OTAN pour engager une analyse pluridimensionnelle des différents paramètres de la sécurité de l’hexagone en partant du paysage otanien. Il ne s’agit en aucune manière d’aborder une nouvelle fois les aspects historiques de la crise de 1966 autour de la décision souveraine de Charles de Gaulle de faire sortir le pays de l’organisation militaire. Il s’agit plutôt d’examiner la démarche française actuelle – dans ses différentes composantes, dans ses questionnements, dans ses contradictions – face à l’évolution récente de l’OTAN et indirectement son relationnel avec la PESD. Pour ce faire, l’essai a été structuré en deux grandes parties : les socles posturaux (géopolitique, géostratégie, transatlantisme, triangulation France –OTAN -UE) et les rapprochements doctrinaux (conventionnel, opératoire, nucléaire, terrorisme, technologique et industriel, élargissement, zone Méditerranée). « France-OTAN » tente de vérifier puis de déterminer à quel degré la France est aujourd’hui engagée dans un rapprochement doctrinal avec l’OTAN, au-delà du discours convenu sur la complémentarité certes parfois compétitive - entre l’Alliance et l’UE : Paris misant politiquement sur la seconde organisation dans le long terme, tout en se crédibilisant militairement dans le court terme avec la plus puissante alliance militaire que le monde ait jamais connue. C’est tout en nuance que des tentatives de réponses ont été ici élaborées à quelques mois du sommet de l’OTAN à Riga, grâce à des contributions provenant d’un réseau pluraliste de professeurs et de doctorants belges travaillant sur la politique de défense nationale et multinationale de leur grand voisin du sud. André Dumoulin (dir.), Attaché à l’Ecole royale militaire (Bruxelles), Maître de conférences à l’Université de Bruxelles et à l’Université de Liège, Membre du RMES ([email protected]). (suite de la page 25) Enfin, l’Allemagne s’est engagée dans un effort de R&T en faveur de la robotique terrestre (unmanned ground vehicles – UGV), visible à travers le premier European LandRobot Trial (ELROB) qui s’est tenu à Hammelburg en mai 2006. Il s’agit pour le moment d’évaluer les possibilités technologiques et les besoins opérationnels. C’est en dernier lieu une certaine vigueur du point de vue des équipementiers qui caractérise l’Allemagne, avec, outre Diehl, Renk, ZF, MTU, Glenzer, Freundenberg, etc. 4. Le secteur italien de l’armement terrestre : pas d’évolution majeure attendue Le secteur italien de l’armement terrestre a un chiffre d’affaires global de 300 à 400 millions d’euros. Pour les véhicules blindés, le constructeur de poids lourds et véhicules utilitaires IVECO (du groupe FIAT) capte 95 % du marché italien et a réussi à obtenir plusieurs contrats importants à l’exportation : Espagne, Allemagne, Royaume-Uni (avec un contrat de 400+400 véhicules en 2003 et la fourniture du châssis du Panther britannique, véhicule de commandement et de liaison actuellement en test et qualification), Belgique (avec un contrat de 300 véhicules légers en 2004), États-Unis (à travers des véhicules de la division ASTRA IVECO). En 2004, IVECO Defence Vehicles SpA a vendu plus de 1 900 véhicules militaires. Sur le segment des plates-formes de véhicules légers et moyens, IVECO fait ainsi figure de concurrent très sérieux pour les autres industriels européens : l’entreprise privilégie les synergies entre le secteur civil et militaire, en employant au maximum des composants civils sur étagères (COTS) sur le Light Multirole Vehicles et les Medium Multirole Vehicles. En outre, le groupe italien a su prendre le tournant en matière de maintenance et réparation des véhicules blindés, activités qui s’accroîtront dans le futur. L’utilisation du réseau de maintenance civile informatisée d’IVECO a ainsi permis à l’armée italienne au Kosovo d’organiser le soutien des véhicules Puma. L’industriel italien est aussi associé depuis 1985 à Oto Melara S.p.A., filiale de Finmeccanica avec 256 millions de chiffre d’affaires en 2005 et 1 345 salariés (soit globalement 2,3 % de l’activité Finmeccanica) : cette filiale produit, entre autres dans le domaine terrestre, des systèmes d’artillerie, des tourelles et des systèmes d’armes pour plusieurs familles de véhicules italiens (Ariete, Dardo, Centauro, Puma, PZH2000 Howitzers sous licence de Krauss-Maffei Wegmann), ainsi qu’espagnols et polonais. Pour Finmeccanica, la stratégie dans le secteur terrestre est surtout d’attendre et d’observer l’éventuelle relance de ce dernier à partir des programmes FCS et FRES, et de la demande en blindés médians fortement numérisés. 5. Le secteur industriel terrestre grec : la recherche de la croissance au niveau national et chez ses voisins Le plus important producteur grec terrestre, ELVO (178 millions d’euros de CA en 2004), est tenu depuis 2000 à 57 % par l’État grec et à 43 % par le groupe Mytilineos Holdings S.A. (avec une option jusqu’à 60 % en cas de nouvelle étape de privatisation du capital). En outre, Mytilineos Holdings S.A., détient 66 % de l’entreprise Metka, spécialisée Cf. http://www.elrob2006.org/. IVECO, Annual Report 2004, 2005, p. 40. Le total des véhicules commerciaux vendus par IVECO en 2004 est de 162 301. Finmeccanica, 2005 Consolidated Financial Statements, 2006, p. 63. 28 dans la construction électrono-mécanique et métallique mais aussi positionnée sur le secteur des véhicules blindés à roues ou chenillés pour 23 % de son chiffre d’affaires sur 2005-2009 (soit 29 millions d’euros en 2005). A l’international ELVO coopère principalement avec Krauss-Maffei Wegmann dans l’optique de la production sur son site de Volos de 170 Leopard 2 destinés à l’armée de Terre grecque et avec Rheinmetall Landsysteme pour 12 véhicules de reconnaissance basés sur le châssis du Leopard. L’entreprise grecque assure l’intégration et le test des chars, à partir de l’industrie grecque (500 fournisseurs requis, principalement dans le nord de la Grèce) et d’éléments allemands (la transmission ZF par exemple). Le ministère de la Défense nationale grec prévoit une obligation de participation de l’industrie grecque dans les programmes de défense à hauteur de 35% de la valeur ajoutée produite (contre 10 à 15 % actuellement). L’industrie grecque terrestre est en cours de modernisation, avec des investissements structurels d’un montant de 40 millions d’euros de 2005 à 2008, des nouveaux bâtiments, une nouvelle ligne de production à Thessalonique, une piste d’essai et une infrastructure de compatibilité électro-magnétique (CEM), jusqu’alors inexistante en Grèce. C’est ainsi l’inverse d’une diminution des duplications industrielles qui s’observe ici, avec une stratégie d’expansion d’ELVO dans les Balkans, en Europe centrale et vers Chypre, notamment pour la modernisation et le MCO des véhicules blindés existants. 6. Le cas finlandais : quelle évolution de Patria en Europe ? La situation de Patria est liée à son actionnaire étatique principal, l’État finlandais détenant 73,2 % de l’entreprise. Le poids de ces deux actionnaires, l’un étatique l’autre privé, en l’occurrence EADS (pour le reste des parts), est de nature à protéger l’entreprise de tout rachat rapide et surtout hostile. Sa place et sa stratégie dans le mouvement des restructurations pourraient néanmoins compter. En effet, l’entreprise a su acquérir à la fois des filiales en Pologne (Patria Polska) et en République tchèque (Patria Praha), pays où les grands groupes terrestres ne sont pas encore intervenus, et a su développer une joint venture en matière terrestre avec BAE Systems AB (ex-Hägglunds) en Finlande : Patria Hägglunds OY pour la production des mortiers AMOS et des CV9030 IFV pour les forces finlandaises. Patria, qui effectue 167 millions d’euros de chiffre d’affaires dans le secteur terrestre (sur un total de 317 millions d’euros), peut constituer une voie d’entrée potentielle en Europe centrale. On soulignera finalement que Patria a mis en place avec le véhicule AMV une structure modulaire similaire à celles de Mowag et d’Hägglunds. Le finlandais, encore indépendant par rapport aux deux acteurs principaux, BAE Systems et General Dynamics, pourrait être une cible et un moyen de contrebalancer ces derniers aux yeux des autres groupes européens, soit équivalents en chiffre d’affaires (EADS, Thales), soit spécialisés sur le terrestre (Rheinmetall, KMW, GIAT Industries). D’une certaine manière, les situations de Patria et du français GIAT Industries sont proches, notamment en ce que leur évolution pourrait être signe d’une étape dans les restructurations européennes. Aux côtés des acquisitions conduites par l’américain General Dynamics qui a réussi sa percée sur le marché européen et par le britannique BAE Systems, qui a réussi dans sa stratégie transatlantique voire mondiale, les deux ayant mené une stratégie de chassécroisé transatlantique, il reste donc un certain nombre d’acteurs industriels européens En outre, ELBO co-produit avec Rheinmetall Waffe Munition 170 sous-systèmes d’arme destinés aux Leopard. De manière régulière, ELBO travaille avec Volvo, General Dynamics, DaimlerChrysler, Mercedes, Scania, MAN, etc. 29 indépendants et diversement engagés dans des coopérations par projet. Celles-ci sont cependant en attente de décisions politiques, notamment pour les phases de production. C’est peut-être après ces décisions que des alliances et des fusions davantage structurelles verront alors le jour. Au final, trois coopérations européennes, toutes différentes dans leurs implications et généralement asymétriques, se font jour : sur le BOXER (avec l’Allemagne et les Pays-Bas, en gestion OCCAR, la plus ancienne mais modeste), sur le FRES (avec des apports suédois issus du SEP et des partenariats industriels européens et américains), sur les technologies d’un blindé médian (avec la France et l’Allemagne). Par ailleurs, le programme américain FCS (qui utilise certaines capacités de Mowag via General Dynamics et est regardé par Finmeccanica) fait figure de concurrent et pourrait jouer le rôle de « JSF terrestre ». Une consolidation plus directement européenne est donc toujours attendue, qui devra être fondée sur des coopérations technologiques, des besoins opérationnels quasi-identiques et pourquoi pas ?, in fine, des programmes communs. Cédric Paulin Chargé de recherche à la Fondation pour la Recherche Stratégique *** 30 N O S L E C T U R E S « La géosociologie de l’Asie centrale du Sud » Géostratégiques, Avril 2006, n°12, 262pages, 15 euros. L’Asie centrale du Sud : géosociologie, Grand jeu et « révolution » Dans la livraison du mois d’avril de sa revue Géostratégiques, l’Institut international d’études stratégiques (IIES. www.strategicsinternational.com), sous la direction d’Ali Rastbeen, s’attache à nous présenter une géosociologie de l’Asie centrale du Sud. Cet espace à haute valeur stratégique comprend 14 pays dont la présence est plus ou moins affirmée dans les relations internationales : l’Afghanistan, le Bangladesh, le Bhoutan, l’Inde, l’Iran, le Kazakhstan, le Kirghizstan , les Maldives, le Népal, l’Ouzbékistan, le Pakistan, le SriLanka, le Tadjikistan et le Turkménistan. La « géosociologie », nous explique Jean-Paul CHARNAY dans une contribution conceptuelle originale et stimulante « entend étudier par une approche multidisciplinaire, la considération de l’évolution des stratifications sociales des diverses entités nationales, ethniques et civilisationnelles, dans leurs revendications, leurs tensions et leurs conflits. Il s’agit d’une interférence des mécanismes sociaux sur le contenu des recompositions territoriales, sur les enjeux sociaux, économiques et religieux qui transforment les structures mentales et sociales, les projections et les cultures des sociétés (…) » (p. 11) Des concepts et des modes de raisonnement stratégique spécifiques découlent de ces dernières. Les divers auteurs se penchent donc sur les défis des Etats de la région et sur leurs stratégies de développement. Carrefour entre l’Europe, l’orient, l’Asie, le Moyen-Orient, le sous-continent indien et le monde slave, l’Asie centrale du Sud, le « cœur de l’île mondiale » (« heartland ») de Halford MACKINDER, est depuis la fin de la Guerre froide une zone stratégique hautement convoitée, les préoccupations énergétiques étant au cœur des diplomaties américaine, russe chinoise, iranienne et indienne. La lutte sourde entre R et Américains demeure la principale rivalité dans une région marquée par les poussées de la Chine. Le 11 septembre a encore accru l’importance économique, politique et militaire de la région, la lutte contre le terrorisme international (la guerre en Afghanistan) ayant constituée une occasion pour les Etats-Unis d’y pénétrer plus avant. L’endiguement de la région est en effet un élément crucial de la stratégie américaine du Grand Moyen-Orient. Les R et les Chinois doivent dans ce cadre être contrés. Les « 31 L’article se concentre sur l’Asie « point principal d’application des Etats-Unis ». L’auteur analyse la méthodologie, les enjeux et les résultats de ces « révolutions». Washington organise des prises de pouvoir et l’installation de régimes qui lui sont favorables via diverses organisations spécialement chargées de cette activité. Des organisations non gouvernementales (Freedom house, National Endowment for Democracy, Open Society, German Marshall Fund, US National Democratic Institute, International Republican Institute et George Soros Fundation) contrôlées par les Etats-Unis utilisent la corruption et la fraude lors d’une consultation électorale, phénomènes communs dans l’espace ex-soviétique où les dirigeants tous issus des anciennes structures soviétiques ont l’habitude de «bourrer les urnes ». L’objectif est de misé sur le mécontentement populaire qui viendrait se surajouter à un profond dégoût lié au caractère autocratique et népotique des régimes, à l’effondrement du niveau de vie des populations, aux privatisations frauduleuses. Les ONG protestent contre le bourrage des urnes et suscitent ainsi des manifestations populaires qui tournent à l’émeute et entraînent le désaveu populaire et institutionnel des dirigeants. Les Etats-Unis déclenchent des révolutions de couleur seulement dans un second temps. Ils tentent en effet d’abord d’attirer vers eux les dirigeants en place. C’est le cas des ALIEV père et fils en Azerbaïdjan et dans une moindre mesure Noursoultan NAZARBAEV au Kazakhstan. Des révolutions de couleur ont par contre eu lieu en Georgie et en Ukraine. En Asie centrale, le Kirghizstan, dont 32 la position géographique pour le transit d’hydrocarbures est stratégique, a lui aussi fait l’objet de cette guerre politique, lors des élections législatives de mars 2005. Un gouvernement favorable à Washington a ainsi été mis en place. Les tentatives de répliquer ce mécanisme trois mois plus tard se sont soldées par un échec en Ouzbékistan où le gouvernement à porté un coup d’arrêt à cette forme de contestation (la révolte d’Andijan en mai 2005 a notamment été réprimé dans le sang). Face à ces poussées américaines, les Russes, dans un premier temps déstabilisés, sont parvenus à mobiliser leurs réseaux en se rapprochant notamment de la Chine via l’organisation de Shanghai comprenant des membres centrasiatiques. Ils ont aussi répliqué en lançant une douloureuse « guerre du gaz » (augmentation des prix du gaz touchant la Moldavie, l’Ukraine, la Géorgie et les Etats baltes). Le « jeu » pour la domination du « heartland » se poursuit donc … et les islamistes présents et actifs en Asie centrale pourraient bien s’inviter dans la partie… Plusieurs intellectuels et/ou praticiens des relations internationales de haut niveau sont une nouvelle fois intervenus dans l’élaboration de cette livraison très stimulante. Ils ont réussi à nous convaincre de l’importance stratégique de cette région pour le futur de notre planète. En effet, comme l’écrit Ali RASTBEEN « l’Asie centrale est un pont économique et stratégique pour de nombreux acteurs, qui constitue, aujourd’hui et dans le cadre de la mondialisation une possibilité de contester l’omniprésence américaine sur la scène internationale et de mettre fin à son interventionnisme politique et militaire et son agressivité sur les régions à fort potentiel économique » (p.10). Mathieu ARMET Etudiant au Centre d’Etudes Diplomatiques et Stratégiques (CEDS). Membre de l’IPSE « Face à la guerre » de Louis GAUTIER, Editions La Table Ronde (2006) Dans son ouvrage, l’auteur se veut exhaustif sur les problèmes de la guerre et de la paix intéressant au premier chef la France et l’Europe. Aucun aspect des questions de défense n’est passé sous silence ni enlevé de son contexte. L’analyse plonge au fond de la réflexion stratégique, historique et contemporaine pour en arriver à des concepts d’actualité et en prospective. Cela amène l’auteur à développer plusieurs thèses dont la sienne, mais il n’en passe aucune sous silence, y compris celles qui lui sont opposées et il indique même à ses contradicteurs les voies pour contre-attaquer la thèse qu’il défend. Il y a ainsi lieu de saluer l’honnêteté et le rationalisme intellectuels de l’auteur ainsi que sa maîtrise du sujet. La langue, diraient certains, à force d’être précise, les mots choisis avec soin au premier chef, devient parfois absconse. Ce n’est pas un ouvrage de vulgarisation ; c’est un ouvrage de réflexion, ce dont la France notamment a besoin et ce dont on manque. Cela veut dire que nous n’avons aucune chance de considérer que cet ouvrage doit être proposé dans un point de vente de gare. En synthèse, l’auteur est persuadé que l’action de force, la guerre, demeure et demeurera d’actualité. Il signale que deux nations en Europe maintiennent un effort de défense conséquent, la France et la Grande-Bretagne, mais que désormais, la menace militaire est aux frontières externes de l’Europe, ce qui rend inefficaces les efforts d’une seule nation européenne. Il dénonce l’OTAN comme un système américain visant à priver l’Europe-puissance qu’il appelle de tous ses vœux, de tout moyen militaire efficace. Il prône donc une Europe de la Défense, qu’en regard de l’échec du traité constitutionnel, il veut mettre en place avant l’élaboration d’une structure politique. De même que l’économie a entraîné une construction politique à l’origine de l’Europe, la Défense, avec ceux qu’elle concerne en Europe, fera progresser l’élaboration d’une politique étrangère commune. L’auteur est résolument pour une arme nucléaire française dans une option de dissuasion, mais sans exclure l’emploi aux très bas niveaux et voudrait un partage de la décision avec les Européens responsables. L’auteur toujours, appelle à la fondation de « Thing-tank » au niveau européen, puisqu’au niveau français, il s’avère qu’il est impossible de les créer ou qu’à peine créés, ces centres de réflexion sont noyés dans d’autres considérations que la réflexion stratégique. L’ouvrage est abondamment référencé, ce qui l’amène à figurer dans la base d’une bibliothèque dédiée à la stratégie militaire. Henri PARIS, Général (e.r.) Président de la Fédération des Officiers de Réserve Républicains (FORR) *** 33 « Demain la francophonie » Dominique Wolton, Paris, éditions Flammarion, 2006, 195 pages, 15 euros Le sociologue Dominique Wolton, que l’on ne présente plus, tant sa plume alerte nous a guidé sur les chemins d’avenir de cette francophonie, enjeu politique majeur, nous livre - en cette année du centenaire de la naissance du chantre de la négritude et l’ardant défenseur du projet francophone Léopold Sédar Senghor, à quelques mois de la tenue du XIe Sommet de la francophonie à Bucarest et alors que le festival « Francofffonies ! - festival francophone en France » débute en mars et battra jusqu’en octobre au coeur de la diversité culturelle -enfin reconnue comme enjeu majeur pour une mondialisation plus humaniste - un brillant plaidoyer pour ce formidable outil collectif pour mieux appréhender la diversité culturelle, l’intégration, la solidarité et le respect des identités plurielles qu’est l’enjeu linguistique dans les Relations internationales. Demain la Francophonie ! Et si nous y étions déjà ? Car Dominique Wolton nous rappelle à travers tous les chapitres de ce livre ambitieux, qui se veut aussi un mode d’emploi, que la francophonie est surtout une utopie concrète qui transcende bien des frontières idéologiques, à condition d’en combattre les idées reçues et d’en faire un levier politique, par exemple pour la politique extérieure de la France… Le Directeur de la revue Hermès, décrit ainsi scrupuleusement quels sont les principaux fronts sur lesquels la francophonie évolue, entre réalités institutionnelles - à l’image d’un géopolitique complexe marquée par l’interdépendance-, richesse d’un réseau associatif militant marqué par sa jeunesse et hélas ! atermoiement fréquents d’une classe politique, volontiers défaitiste et prompte à classer la francophonie comme un souvenir honteux de la puissance passée de la France. 34 Hier la francophilie, aujourd’hui la francophonie, demain la francophère ! Voila en substance la synthèse qu’il faudrait retenir de cet ouvrage pour mieux nous préparer aux enjeux du futur. Un des mérites de cet ouvrage est de replacer la francophonie dans le contexte actuel. De ce fait c’est avant toute chose, un laboratoire politique dans lequel l’on peut puiser tous les remèdes qui pèsent sur nos sociétés marqués, entre autre, par le mythe de la société de l’information, comme l’auteur nous le rappelle inexorablement depuis la parution de « Penser la communication » (1997). Fraternité, laïcité, humanisme, solidarité entre les peuples, intégration républicaine, diversité culturelle, dialogue des civilisations… ne sont que quelques unes des caractéristiques les plus prégnantes de cette réalité qui illustrent parfaitement ce « savoir-être » francophone, qui avec 175 millions de locuteurs francophones affirmés, féconde plus de 710 millions d’habitants dans 63 pays dans le monde. L’auteur termine son ouvrage en rappelant aussi ce que la francophonie n’est pas. Ni repli identitaire sur soi, ni nostalgie d’un passée révolu, qui comporte zones d’ombres et éléments positifs..., et encore moins substitut à l’intégration européenne. La « francophonie puissance » se veut ainsi le témoignage vivant qu’un autre monde est possible. Dans ce sens, l’auteur appelle de ses voeux, pour la jeunesse de demain, d’ambitieuses réformes mentales et pratiques, qui verraient les technologies de l’information et de la communication se mettre au service de la francophonie dans l’Europe, dont incontestablement la France doit rester un des moteurs, alors même que le français, pourtant langue officielle tant au sein de l’Onu que de l’UE, y semble plus en péril que jamais, comme le laisserait à penser le terme qui peut sembler équivoque pour certains de « l’union dans la diversité ». suite à la formidable victoire obtenue à l’Unesco en octobre dernier, que dans une forme d’exception culturelle qui confine plus à l’exclusion, que d’aucuns nous acculent à subir en silence depuis quelques années. Dominique Wolton rappelle in fine qu’en se mobilisant en réseau, la francophonie peut devenir enfin une communauté d’esprit et d’actes dont l’avenir s’inscrit plus au pluriel et dans la diversité, Alors demain tous francophones pour bâtir un monde plus juste et des rapports entre les peuples plus équilibrés ? Emmanuel DUPUY *** 35 « Géopolitique du pétrole » Philippe Sébille Lopez, éditions Armand Colin, Paris, 2006, 479 pages, 27 euros. Depuis les années 1930, on entend dire souvent que le pétrole c’est 10% d’économie et 90% de politique. Le choc pétrolier du début des années 1970, plusieurs guerres livrés pour et par le pétrole, ainsi que le prix du brut qui « flambe » depuis 2004, notamment sous la pression de tensions géopolitiques, semblent confirmer cette formule. Le baril a même dépassé le prix record de 70 dollars, mettant ainsi en exergue les enjeux considérables et les tensions sur les marchés pétroliers. Cette géopolitique des hydrocarbures révèle le poids déterminant sur la scène internationale des acteurs traditionnels, compagnies et pays producteurs, mais aussi des nouveaux venus dans le club des grands pays consommateurs. Plus que jamais, les grands enjeux de la sécurité des approvisionnements et des infrastructures sont déterminants. Car les menaces terroristes s’ajoutent désormais aux capacités incertaines des différents acteurs à répondre à la demande croissante pour cette énergie qui fait tourner le monde depuis plus d’un siècle. Philippe Sébille-Lopez, consultant spécialiste en géopolitique et en analyse risque pays au sein du cabinet Géopolia qu’il a fondé, livre un texte éclairant d’un regard global l’évolution des relations internationales à travers ces géopolitiques du pétrole, qui peuvent expliquer et/ou préfigurer bien des conflits. L’intérêt majeur de cet ouvrage unique en son genre réside dans le lien subtil que l’auteur, fin connaisseur de ces questions, nous propose d’analyser entre une description fine des enjeux planétaires de puissances et affirmations politiques régionales, et leur poursuite à travers un tour du monde des zones majeures de production, le long de ces « routes du pétrole » où se déroulent de grandes manœuvres, plus stratégiques que jamais entre acteurs étatiques, compagnies pétrolières transnationales et intérêts politiques et financiers mondialisés. Les enjeux en cours, du Venezuela à la Russie, de la Caspienne au golfe arabopersique, de la Méditerranée au golfe de Guinée, qui intègrent bien sûr les Etats-Unis et la Chine, dépassent en effet, largement les seules conséquences immédiates au plan économique liée à la flambée des cours. Ils se prolongent avec la sécurité des approvisionnements à partir des zones de production, jusqu’aux grands pays consommateurs. Ces questions expliquent autant qu’elles préfigurent l’instabilité politique et militaire croissante qui agite certaines zones de la planète. La fin inévitable de la manne pétrolière requiert aussi une réflexion prospective que nous propose l’auteur, au terme d’une analyse complète des rapports de forces politiques et économiques, qui oscille entre politiques étrangères officielles et diplomaties parallèles parfaitement huilées. 36 Pressions, tensions, menaces, tractations, nouvelles alliances, ruptures et conflits potentiels : les motivations complexes de ces acteurs multiples sont ainsi parfaitement expliquées, cartes et chiffres récents à l’appui. Emmanuel DUPUY 37 « L’enjeu turc » Didier Billion, éditions Armand Colin, Paris, mai 2006, 320 pages La Turquie fascine autant qu’elle inquiète. La promesse d’une adhésion future à l’Union européenne a ravivé les passions séculaires d’un débat qui, pour être constructif se doit d’être juste et équilibré. Parfois, hélas ! , ce dernier a pris les habits d’une confrontation idéologique figée ou pour certains, l’Occident devrait se fermer à l’Orient et vice-versa, la religion musulmane s’affronter intrinsèquement aux valeurs judéo-chrétiennes, l’humanisme étant définitivement minée par l’intégrisme. A cela s’ajoute l’épineuse question de la géographie et le jeu des alliances stratégiques et militaires qui fondent des interrogations forcément complexes sur la société turque actuelle. Fruit d’un engagement de longue date et d’une connaissance fine de la réalité sociologique, historique, économique, géographique, religieuse, démographique et bien évidemment géopolitique, Didier Billion, Directeur-adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) relève le défi de définir précisément les termes de ce débat stratégique qui engage l’Europe sur sa propre identité, ses valeurs et la portée de son projet politique. L’attrait de cet ouvrage vient sans doute du fait qu’il n’élude rien de l’ampleur des formidables défis et des obstacles posés par l’ouverture des pourparlers d’adhésion en octobre 2005. L’auteur démontre ainsi à travers 320 pages circonstanciées que nombre des questions participant à cette légitime interrogation, puisent dans une certaine forme de déterminisme historique et d’argumentations géographiques sujettes au débat, justement… Aussi, pour mieux comprendre l’enjeu turc, s’agit-il de concevoir, en premier lieu, le continuum qui lie l’Empire Romain 38 d’Orient à la République kémaliste en passant par la domination ottomane, qui fait de la Turquie une « région intermédiaire », carrefour autant symbolique que territorial de l’Eurasie, entre mixité des influences culturelles et religieuses. A cela s’ajoute, une réalité stratégique gage de stabilité régionale, eu égard notamment à l’indispensable besoin de sécurité des approvisionnements énergétiques, que de la maîtrise des ressources rares (en premier lieu desquels aquifères), la lutte contre les proliférations et la gestion des flux migratoires. Dès lors, après avoir préalablement évoqué les questions qui conditionnent le débat sur l’adhésion turque à l’espace et politique européen, depuis 1963, entre réalités et interprétations de l’argument géographique, de la prise en compte des éléments historiques, institutionnels, culturels, religieux, de l’exigence démocratique et des enjeux chiffrés du poids démographique, cet ouvrage a l’insigne mérite de nous faire poser les bonnes questions. Le propos de Didier Billion insiste ainsi sur le dépassement de l’enjeu de « l’européanité » de la Turquie pour mieux s’interroger sur nos propres valeurs, qui verraient la laïcité et l’universalisme être implicitement mis en cause par une certaine forme de régression communautariste et de repli sur une identité commune européenne hésitante car marquée justement par sa diversité. Une fois le décor planté en vue d’un processus d’adhésion à plus ou moins longue échéance - d’ici sans doute une dizaine d’années - reste-t-il encore à dessiner précisément les contours de cette société turque méconnue et fantasmée, cependant marquée par un indéniable potentiel économique, une puissance militaire vitale à la stabilité régionale et un patriotisme légitimité par une conception assumée de la Puissance - d’autant plus légitime qu’elle transcende l’ensemble de la société turque, contrairement à bien des pays européens... L’enjeu turc serait-il ainsi le miroir pas si déformant que cela - de nos propres difficultés à concevoir collectivement le contenu, le calendrier comme les frontières du projet européen - au sens propre autant que figuré ? Il est ainsi réaffirmé dans ses pages éloquentes que la place de la Turquie dans une Europe qui se sera de toutes manières déjà élargie d’ici 2015 dépend ainsi indiscutablement de notre propre capacité à choisir entre l’option de l’Europe politique, acteur stratégique international et celle de l’espace économique, vaste zone de libre échange. C’est justement, comme le rappelle Didier Billion ce qui fait défaut pour l’heure à l’Union européenne. Car, un des éléments essentiels qui conditionne le débat est celui déterminant du temps. En effet, le regard que l’on porte aujourd’hui sur la candidature turque, avec ses ornières, ne sera vraisemblablement pas le même que celui d’une Turquie qui devra évoluer et se réformer au gré de l’assimilation de l’acquis communautaire. Ce qui ne sera pas, comme le rappelle l’auteur, un long fleuve tranquille. Le débat qui se doit d’être contradictoire, dépassionné et argumenté est ainsi lancé et cet ouvrage l’y encourage sereinement sans faux semblants ni caricatures... Emmanuel DUPUY *** 39 « Survivre » Jean-François Deniau, Editions « Plon » Quelle vie ! Ou plutôt quelles vies ont été celles de Jean François Deniau! Puisque naguère, il publiait ses « Mémoires de 7 vies », décrivant ses résurrections et ses réincarnations successives en nous laissant comprendre qu’après tout, il était toujours possible de vaincre la mort, à la seule condition de « croire et oser ». « Survivre » n’est pas un nouveau recueil de ses mémoires. « Des mémoires, c’est une chronologie, un rappel systématique d’événements vécus, de personnages rencontrés… Je laisse quelques souvenirs monter, d’enfance et d’aventures » nous dit l’auteur en avantpropos. Toutes ses vies, Jean François Deniau les a croquées à pleines dents, aux quatre coins du monde, côtoyant « la mort de près », au milieu de toutes les guerres, de toutes les souffrances physiques et morales que l’homme, dans ses ivresses de pouvoir et d’argent, est capable d’inventer et d’imposer aux autres. « Survivre »…, toujours en lignes élégantes et fortes, le récit se pare souvent des atours de l’épopée: … aux abords de la Khyber Pass, «Avec le colonel commandant les Khyber Rifles, nous nous arrêtons sur une petite colline juste avant la frontière, avec vue sur l’Afghanistan. Nous nous installons, Alain Boinet, le colonel et moi, dans trois grands fauteuils d’osier face au panorama. Thé. »… « Au-dessus de nos têtes, le sifflement des obus nous oblige à élever la voix. Je dois donc élever un peu la voix aussi – pas trop, gardons notre sang froid-… ». Nous ne sommes pas dans un roman de Kipling, nous sommes en 1987. Jean François Deniau n’a jamais voulu être roi! « Survivre »…, le verbe devient parfois cri de colère, de révolte et dénonce l’hypocrisie :… à « Sarajevo, quand l’Europe a perdu son âme … La « culture des Nations unies» est une sorte de neutralisme nordique où on vit avec bonne conscience des guerres des autres sans y participer. Prendre un risque est mal vu»... à Srebrenica qui sera « écrasée…C’est un exemple dramatique, en pleine paix, et sans doute unique, de massacre sous contrôle international, au cœur de l’Europe ». Quelles leçons de courage nous sont données dans tous ces vécus, de la jungle indochinoise au désert de Mauritanie, en passant par les montagnes afghanes et balkaniques, par les rues déchiquetées de Beyrouth mais aussi par les couloirs de Bruxelles et les cabinets ministériels de Paris. L’histoire de l’homme politique, de l’écrivain académicien, de l’ambassadeur de France, du marin, s’inscrit et s’implique dans chaque intensité de l’histoire du monde et celle de notre pays. Se souvient-on que Jean François Deniau rédigea le préambule du Traité de Rome ? « Et personne n’a osé ni même pensé s’attaquer à mon paragraphe final qui introduit pour la première fois dans un traité international le mot « idéal » ! ». Pour la plupart d’entre-nous, tous ces soubresauts du monde ne représentent déjà plus que le souvenir de gros titres dans les journaux, trop rapidement estompés par les 40 derniers flashs du vingt heures. Il faut avoir connu les affres de l’abandon pour ne pas oublier la main qui a été tendue : « …la réponse d’un chef d’Etat, ancien guérillero, interviewé à la télévision française : - Vous connaissez Deniau ? - Si je connais Deniau ! Il était avec nous quand personne n’était avec nous. » En ces temps où nous dit-on, nos concitoyens sont moroses et ne croient plus en leur classe politique, où les valeurs de notre société semblent se déliter dans les recours insultants, les contestations violentes, les abus de confiance et les discours délétères, il nous est rappelé comme à ceux qui en revendiquent le titre, ce que suppose la fonction de « Grand Commis de l’Etat », avec une majuscule à chaque mot. Le monde, l’Europe, la France a tant besoin de cette race de serviteurs. Il est certes plus facile et confortable de succomber aux tentations du renom et de la gloire corrompue des âmes grises. Mais navigateur lui même, Jean François Deniau sait combien il est difficile de garder son cap dans les déferlantes de la bassesse, de la trahison et de la démission. En le lisant, la devise d’un autre Grand Capitaine, Jean de Lattre de Tassigny, nous vient à l’esprit : « Ne pas subir ». « Survivre »…, le ton se fait humble devant la maladie :… « J’ai peur de la nuit qui n’a pas de nom », mais ne désarme pas :… « Je ne pense qu’à retrouver la mer… la vie est trop courte, à peine le temps de se retourner… et il faut abandonner. N’abandonnons pas ». Quelle espérance aussi, pour « Tant d’hommes [qui] commencent à mourir si jeunes même s’ils ont l’air vivants »… « La volonté d’espoir quand il n’y a pas d’espoir, s’appelle l’espérance ». « Survivre »…, les mots sont tendres lorsque la nostalgie affleure :… « Le bonheur prend toujours la forme d’une île au loin » ou que le précepte du poète nous est rappelé : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour ». A n’en pas douter, l’ouvrage de Jean-François Deniau est à méditer, par ceux qui se veulent être les architectes de notre futur, par chacun d’entre-nous dans les coups de tabac de la vie. Jean-Pierre GAULT Consultant à L’International Investigative Training Assistance Program (I.C.I.T.A.P.) US Deparment of Justice et au CI2S (Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la Sécurité) *** 41 « La double défaite du renseignement américain » Franck DANINOS, Collection Géopolitique, Editions Ellipses, Paris, 2006, 320 pages, 23 € Jean-Pierre Pochon, ancien directeur du renseignement de la D.G.S.E. à qui nous devons la préface de cet ouvrage, résume fort bien la problématique posée ici : « Au-delà de l’analyse d’un échec imputé de manière symbolique aux services américains en raison de leur puissance, ce livre pose avec beaucoup de pertinence les questions du positionnement du renseignement, de ses limites et de son utilisation politique dans nos démocraties. » En quoi, concrètement, pouvonsnous parler de « défaite » du renseignement américain concernant les attentats du 11 septembre 2001 et la “crise irakienne”? L’auteur de cet ouvrage, Franck DANINOS, diplômé de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales, journaliste et chercheur associé au Centre Français de Recherche sur le Renseignement, estime que l’échec sera récurrent en la matière « jusqu’à ce qu’un seul seuil soit franchi : celui où la dialectique de l’« échec du renseignement » sera dominée par le caractère inévitable des attentats.” Les cibles des services de renseignement sont devenues « plus diffuses, plus mobiles, plus improbables ». La nouvelle génération de djihadistes mêle stratégie et objectifs, et, aux yeux d’Oussama Ben Laden et d’Ayman Al-Zarkawi l’Irak sera la concrétisation de ce qu’aurait dû être l’Afghanistan. Ce que les Etats-Unis nomment désormais le “9-11” (comprendre le 11 septembres 2001) ne put être pressenti 42 pour diverses raisons : faiblesse du « renseignement stratégique » (définir l’existence, la nature et l’évolution d’une menace) spécialement dans le domaine du terrorisme islamique à vocation internationale, mais surtout inefficacité de la communication entre la C.I.A. et le F.B.I., ainsi que le privilège du renseignement technique par rapport au renseignement humain. Les services de renseignement doivent par conséquent être perfectionnés : nouvelles technologies en ce qui concerne l’aspect opérationnel mais aussi remodelage organisationnel. L’accent est, de fait, mis sur la coordination et surtout la coopération entre les différents services dans le but d’un réel partage d’informations ; le F.B.I. sera ainsi transformé en une force de renseignement effective. Ceci aboutit également à la création du sous-secrétariat à la Défense pour le renseignement. La loi votée aux Etats-Unis en décembre 2004 instaure un directeur du renseignement national pour chapeauter les quelques seize agences existantes et conseiller directement le Président (rôle anciennement dévolu au directeur de la C.I.A.). L’auteur met en évidence le rôle du renseignement au sein de la « doctrine Bush », formulé en 2002 et 2006 dans le National Security Strategy, et place surtout en exergue ce qu’il nomme le nouveau « paradigme » du Renseignement, défini à travers les relations entre la politique et le renseignement. En effet, le renseignement anglosaxon tend vers une réelle politisation depuis 2001. Les couples George BUSHGeorge TENET et Tony BLAIR-John SCARLETT (directeur du MI-6) démontrent les liens étroits entre le pouvoir exécutif et les directeurs des agences de renseignement. De facto, les politiques se déchargent sur le renseignement d’une certaine part de responsabilités face au terrorisme. La justesse de l’analyse reside dans l’établissement de ce nouveau paradigme du renseignement où l’initiative politique prime : les gouvernements « tirent vers eux le renseignement plutôt que le contraire ». En théorie aucun sens ne devrait être privilégié ; or, depuis le 11 septembre 2001, ceci n’est plus respecté. Le D.N.I., Directeur du renseignement national des Etats-Unis pourrait devenir le lien objectif entre politique et renseignement, à condition que les nouvelles structures de renseignement acquèrent la crédibilité dans les faits. Cette plongée dans l’univers passionnant du renseignement a le mérite de clarifier les relations « politique/ renseignement » mais également « renseignement/médias ». Nous ne pouvons ignorer l’impact de l’opinion publique ; ainsi, force est de constater la nécessité de créer un cadre défini afin que médias et renseignement communiquent (dans le but d’éviter les « fuites» une solution pourrait être de spécialiser certains journalistes). L’originalité de l’ouvrage tient aussi dans le fait que l’auteur cite, pour la première fois, le responsable actuel du renseignement français sur ce qu’il pensait des supposées armes de destruction massives (A.D.M.) de Saddam Hussein. Résumée rapidement, cette évaluation de la menace serait sensiblement proche de celle des agences de renseignement américaines de 2002. Au moment du déclenchement de la guerre en Irak, il est à noter que ni Jacques Chirac ni Gerhard Schröder n’ont affirmé que Saddam Hussein ne détenait pas d’A.D.M.. Le différend résidait dans les moyens de résoudre le problème de la menace irakienne : prouver les infractions irakiennes était un rôle dévolu aux inspecteurs internationaux, et non aux services de renseignement nordaméricains. La guerre anglo-américaine en Irak marqua une évolution sensible de l’environnement géostratégique mondial, dans le sens où il y eut légitimation d’un droit à la guerre « préemptive » s’appuyant, in fine, sur l’existence de preuves matérielles démontrant l’imminence d’une menace. Les informations obtenues par les services de renseignement ne constituaient pas des preuves mais bel et bien une justification de la menace. Selon Franck DANINOS « Une guerre préventive est donc nécessairement une « guerre annoncée », et elle va de paire avec la publicité du renseignement. » Le cas irakien servira de « jurisprudence » afin que la supposée présence d’ADM (Armes de Destruction Massive) justifie le déclenchement de guerres préventives. Or jamais, avant le « crise irakienne », les résultats du travail des services de renseignement n’avaient été à ce point publics. Les services de renseignement furent « victimes de leur idéal de discrétion », c’est pourquoi nous assistons à la création 43 En résumé, le maître mot de toutes les améliorations induites par le constat d’échecs des services de renseignement américains sera la « transparence ». d’organismes de contrôle des services de renseignement, dans un souci d’intégrité aux yeux de l’opinion publique. Julie Parriot Doctorante en criminologie, Université de Lausanne *** 44 COMMENTAIRE « INFLEXIONS » Le dernier numéro de la revue «INFLEXIONS » outre sa propension à proposer à ses lecteurs les écrits de rédacteurs de grande qualité permet également d’aborder des thèmes éthiques dont la prégnance est chaque jour un peu plus d’actualité. Si l’implosion du bloc soviétique fut, en cette fin du XXe siècle, une révolution majeure dans l’approche des relations internationales et notamment en ce qui concerne les rapports entre puissances majeures, elle est aussi le point de départ d’une déstructuration de l’ordre jusque là établi sous le couvert de l’équilibre de la terreur. En cela, l’affranchissement de leurs tutelles antérieures par un certain nombre d’états, l’éclatement d’autres entités étatiques au travers de la nouvelle prise en compte de critères ethniques, religieux, socio – économiques en est le symbole le plus véritable. La multiplication de conflits régionaux ou de micro-conflits, l’intégration dans le jeu des relations internationales de nouveaux acteurs qu’ils soient parfaitement respectables (nouveaux états, sociétés multinationales) ou, au contraire, des organisations criminelles transnationales à caractère mafieux ou politico-mafieux n’a rendu que plus délicat la perception pertinente de situations locales et complexe l’engagement de forces dans le cadre d’opérations de maintien de la paix ou d’actions civilo-militaires. Cette complexification a eu, bien évidemment et très légitimement, des incidences majeures pour tout ce qui concerne les approches intellectuelles et pratiques dont doivent faire preuve les décideurs politiques mais aussi les acteurs militaires dans leur perception, leur analyse et leur conduite de l’action face à tel ou tel problème. L’approche nouvelle au droit international s’inscrit tout à fait dans ce cadre ; le comité de rédaction de la revue « INFLEXIONS » a donc été très pertinent dans sa démarche sur ce thème. Certes, comme le dit très justement, Odile ROYNETTE, « l’époque contemporaine a été le théâtre d’un effort sans précédent pour moraliser la guerre ». Il n’en demeure pas moins que la majeure partie du siècle précédent aura connu des affrontements de « puissances à puissances » et de « blocs à blocs » que se soient lors de conflits généralisés menés par des puissances majeures et s’appuyant sur des alliances ou dans le cadre d’une «guerre froide » dont les décideurs, le potentiel et la structuration des forces mais aussi leurs conditions d’engagement étaient parfaitement connus ; période au cours de laquelle des conflits de basse intensité (localisés dans le volume, le temps et les modalités opérationnelles) ne pouvaient être déclenchés par des belligérants que dès lors qu’ils servaient les intérêts de l’une ou l’autre des deux puissances dominantes dans le cadre d’un rapport de force planétaire. Les choses étaient donc politiquement et stratégiquement bien définies et les conditions d’engagement sur le terrain tacitement bien fixées dans le cadre de cette démarche afin que chaque partie sache jusqu’où aller sans toutefois dépasser la « ligne rouge » de l’inacceptable pour la partie adverse. Aujourd’hui, dans bien des cas, cette approche est caduque. Et les forces occidentales régulièrement mises à contribution dans le cadre de missions onusiennes en sont devenues les témoins mais aussi les acteurs permanents. La nature des conflits est tout à fait différente de part leurs causes qui deviennent multiples, sont parfois difficilement identifiables de premier abord et ne s’inscrivent plus dans ce scénario général antérieur, redoutable par ses conséquences mais intellectuellement 45 confortable dès lors que chaque partie maîtrisait une « partition connue ». De plus, la diversité et la fluctuation que connaissent les objectifs politiques affichés par les belligérants lors de ces conflits mais aussi le retour à certaines formes de barbarismes depuis plusieurs dizaines d’années étrangères à nos conceptions occidentales de la vie et des droits de l’homme ne fait qu’accroître nos difficultés à analyser des situations qui échappent à toute rationalité et s’adaptent difficilement à notre cartésianisme. La remarque de Jean Luc COTARD selon laquelle « la guerre peut blesser et tuer autrement que par le feu » semble chaque jour un peu plus d’une criante actualité. Rappelons nous les tragédies d’hier en Bosnie Herzégovine ou au Rwanda et ceux d’aujourd’hui au Darfour. Le rapport au droit est donc devenu une impérieuse nécessité pour ne pas perdre son âme dans des engagements complexes, difficiles voire psychologiquement traumatisants. Certes, cette démarche n’est pas nouvelle et aura été permanente au cours du XXe siècle comme le rappelle fort opportunément Jean Marc de GIULI dans son très intéressant témoignage. Celui-ci consacré à l’indispensable adaptation suivie (comme cela a notamment été le cas pour l’Armée Française) en ce domaine au regard des évolutions permanentes constatées dans la nature des conflits, leurs formes, leurs méthodologies opérationnelles et les difficultés pour une armée « conventionnelle » à s’y adapter rapidement, efficacement et sans pour cela violer les règles élémentaires d’un état de droit, fondement de nos démocraties n’en est que d’autant plus pertinent. Cette démarche est d’autant plus délicate qu’avec une présence sans cesse plus affirmée des médias (presse écrite, radiophonique ou télévisée), la perception de l’engagement qu’en a le citoyen est immédiate et privilégie beaucoup plus une approche affective basée sur le sensationnel que dictée par la raison ; avec, bien évidemment, toutes les conséquences que cela peut avoir sur son comportement en terme citoyen mais aussi politique. La contribution d’Agnès LEJBOWICZ quant à « l’usage de la culture de la force et la culture de la paix » illustre de manière tout à fait pertinente cette évolution. Ce, tant en ce qui concerne l’institution étatique et la représentation que nous nous en faisons notamment pour ce qui concerne la sécurité et la défense mais aussi au regard de l’évolution de la nature des conflits et des crises avec, notamment, le développement permanent des conflits de basse intensité. Son propos est d’autant plus réaliste qu’elle aborde sans « langue de bois » les causes réelles de ceux-ci qui sont généralement assez éloignées de démarches politiques ou philosophiques complaisamment affichées devant les médias et ne sont en fait que la continuation de rapports de force et de luttes d’influences entre factions rivales pour l’appropriation de richesses premières (champ de pétroles, mines d’or ou de diamants,…), le contrôle de trafics financièrement très intéressants (production ou trafics de produits stupéfiants,…) ou la mise « sous tutelle » de zones économiques bien identifiées. C’est une évidence de dire comme elle le fait très justement que la « violence est voulue, entretenue, elle rapporte » et ce n’est pas être cynique que de considérer que, dans ce cadre là, les factions font la guerre et terrorisent souvent les populations civiles pour amasser des fortunes considérables au travers de leur main mise effective sur l’ensemble des activités de quelques natures que ce soit (licites ou illicites) dans des régions entières, la prise de contrôle armé de populations par la mise sous tutelle de l’ensemble des structures sociales et politique existantes. La défense des valeurs telles que nous les connaissons et 46 les respectons (état de droit, démocratie, droits de l’homme, ..) demeure donc ainsi à mille lieux de leurs préoccupations réelles. Nous sommes donc ici entrés dans un monde de « grands prédateurs » au sein duquel le « dominant » par l’application d’une violence brutale, systématique et planifiée devient le maître du jeu. Bien entendu, il est également important de mentionner, comme le fait le Colonel Patrick DESTREMEAU en ce qui concerne le cas de la Côte d’Ivoire, l’importance du rôle 47 On a encore pu constater récemment, au travers d’actions en justice concernant le dossier rwandais, combien cette juste immixtion du droit international dans les opérations de maintien de la paix était source de procédures juridiques complexes. L’article de Madame Line SOURBIER – PINTER consacré à « obéir et se faire obéir » est donc un enchaînement parfaitement logique à cet impératif nouveau. Discipline et exercice de l’autorité ont ainsi, depuis de nombreuses années, connu une évolution sensible comment tend à en témoigner le code du soldat (1999) avec le « il obéit aux ordres, dans le respect des lois, des coutumes de la guerre et des conventions internationales » mais également dans l’instruction du 02 septembre 2001 portant application du règlement de discipline générale dans les armées. En tout cela, et au regard de l’évolution des engagements, de la nature évolutive des menaces (terrorisme, guérillas à caractère mafieux, ..) la revue « Inflexions » peut devenir un lieu d’échanges très utile entre les différents acteurs qu’ils soient militaires ou civils et permettre d’enrichir l’approche de chacun de la richesse intellectuelle que voudra bien lui apporter l’autre. Thierry COSTEDOAT Directeur Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la Sécurité (CI2S) (www.ci2s.org) 48 NOTES 49 QUI SOMMES NOUS ? Un monde plus complexe Rôle de l’IPSE : préparer l’avenir L’Europe en ce début de XXIe siècle connaît un contexte géostratégique et géopolitique mouvant. A la menace clairement définie, massive et de nature territoriale à laquelle elle a été confrontée durant le siècle dernier, succèdent une multitude de risques, dont notamment le terrorisme. Si la guerre entendue au sens classique n’a pas totalement déserté certaines franges de l’Europe, elle ne la menace plus directement et globalement. La distinction entre ordre interne et ordre international, entre violence publique et violence privée semble désormais plus difficile à établir qu’autrefois. Des risques sans cesse plus nombreux préoccupent aujourd’hui les citoyens : ils sont liés aux questions d’environnement, d’alimentation, de santé, de la violence quotidienne, de l’incivilité, etc. Si le bilan européen est largement positif, il n’en existe pas moins un déficit de communication qui n’a pas permis de valoriser les réalisations aux yeux des concitoyens. L’idée d’Europe, un modèle L’Europe, bien qu’elle soit un symbole de paix et de stabilité depuis 50 ans, reste en construction lorsqu’il s’agit de formuler un projet de destin commun pour des Etats plusieurs fois millénaires et souverains, forts de leurs richesses culturelle et sociale. Les intérêts communs doivent l’emporter finalement sur ceux particuliers en donnant la priorité au dialogue et à l’échange, contribuant ainsi à prévenir les situations conflictuelles. Dans ce cadre, depuis 1988, l’IPSE s’est fixé pour rôle de sensibiliser et rassembler les Français qui souhaitent participer à la préservation de la paix en Europe. Il veut également rapprocher autant que faire se peut les citoyens européens afin de trouver les réponses collectives aux nouveaux défis. Il essaie enfin de mobiliser les énergies en vue de réaffirmer les valeurs européennes et susciter la réflexion sur des thèmes de dimension communautaire et de sécurité internationale. L’IPSE organise des conférences en collaboration avec les associations européennes ayant des objectifs communs et complémentaires, publie des articles dans des revues spécialisées et la presse à grande diffusion, édite une lettre d’information destinée au monde politique, diplomatique, économique, universitaire, … *** Composition du bureau de l’IPSE Président : Jean-Pierre PETIT Vice-présidents : Pierre GILLES 50 Maurice GAUTIER Secrétaire général : Trésorier : Emmanuel DUPUY Marie-Christine JAMELIN ..................................................................................................................................................................... Institut Prospective et Sécurité de l'Europe IPSE BULLETIN D’ADHÉSION 2006 NOM et Prénom .............................................................................................. Profession ........................................................................................................ Adresse professionnelle .................................................................................. .......................................................................................................................... Téléphone ..................................... Portable .................................... Fax ................................... Email ............................................................................................................... Adresse personnelle ........................................................................................ .......................................................................................................................... Téléphone ..................................... Fax ..................................... Email ............................................................................................................... • Je demande à être inscrit(e) à l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (I.P.S.E.) en tant que (1)................................................................................................... et je joins ma cotisation pour l’année 2006 (2). Date et signature (1) à remplir • Bienfaiteur : 100 € • Sociétaire membre : 60 € • Membre actif : 40 € • Etudiant : 20 € (2) Les chèques sont à libeller à l’ordre de : IPSE et à retourner à : IPSE - 24, rue Jules Guesde 75014 PARIS. Tél. : 01 42 79 88 45 e-mail : [email protected] I P nstitut rospective IPSE - 24, rue Jules Guesde - 75014 Paris Tél. : 01 42 79 88 45 e-mail : [email protected] et S écurité de l’ E urope ISSN : 1638/4903