le fac-similé

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le fac-similé
Culture Cinéma
0123
Mercredi 22 novembre 2006
27
Sous le masque du monstre,
un grand film mutant
« The Host », de Bong Joon-ho
Le cinéaste coréen
détourne les archétypes
hollywoodiens et mélange
épouvante, faits divers
et comédie
éoul, Corée du Sud. Issu d’une
mutation génétique causée par
le déversement de produits
toxiques dans la rivière traversant la ville, un monstre amphibien et carnivore a élu domicile dans les
égouts et sème la mort et la désolation
parmi les humains. Il tient notamment
captive une adolescente, enlevée sous les
yeux de son père, modeste vendeur de
calamars grillés. La famille va se liguer,
en dépit des obstacles mis sur son chemin
par les autorités locales qui suspectent le
père d’avoir été contaminé par un virus
propagé par le monstre, pour l’arracher
des griffes du redoutable prédateur.
Une fois lu ce pathétique résumé d’un
film fantastique à la monstruosité tout
ordinaire, le lecteur qui ne souffre pas d’addiction particulière au genre sera sans doute curieux de savoir pour quelle bonne raison il devrait aller voir ce film. Contre toute attente, ces raisons sont nombreuses.
D’abord, The Host a battu à domicile un
record absolu, avec 14 millions d’entrées.
Ensuite, son réalisateur fait partie de ces
rares cinéastes qui parviennent à renouer
avec la vocation du cinéma à fédérer tous
les publics : son troisième long métrage
renouvelle à ce titre une formule à l’œuvre
dans ses précédents films avec le manga et
le polar (Barking Dogs Never Bite, 2000 ;
Memories of Murder, 2003), où l’humour
noir et le goût de la trivialité dominent.
The Host vaut enfin et surtout pour luimême, grâce à une mise en scène époustouflante, carnavalesque, au sens que
conférait à ce terme le théoricien russe de
la littérature Mikhaïl Bakhtine dans son
étude sur Rabelais. S’il est superflu de relire Esthétique et théorie du roman avant
S
d’aller voir The Host, on serait néanmoins
surpris des correspondances entre les
conceptions de l’historien sur le roman et
celles qu’entretient le cinéaste sur son
art, depuis l’influence de la culture populaire jusqu’à la diversité polyphonique
des langages, en passant par le renversement opéré par le rire, la stylisation parodique, la subversion du discours univoque, la forme comme perpétuel devenir.
Les exemples abondent dans le film de
cette ouverture aux quatre vents des styles
et des influences, et de la manière de les
mettre cul par-dessus tête dans une entreprise à la fois libre et joyeuse. The Host
mélange ainsi, sans que son récit en pâtisse une seconde, le film de monstre et le réalisme du fait divers, le pamphlet anti-impérialiste et la comédie à l’italienne, la parabole kafkaïenne et la fable humaniste.
Délicat prodige
Nourri de références aux archétypes
américains du genre (de King Kong à
Alien, en passant par Les Dents de la mer),
The Host accomplit ce délicat prodige de
les saboter sans se réduire à une parodie.
Sa créature en est un bon exemple, qui se
révèle à la fois effrayante machine à tuer
et baderne pataude qui se coince la tête
dans les maisons.
La célérité avec laquelle cette bête
nous est dévoilée est encore une preuve
de l’inclination du réalisateur à retourner
les canons du genre comme un gant. L’affaire est pliée en trois brèves séquences
d’ouverture, deux flash-back très courts
consacrés à la genèse du monstre précédant la scène où ledit monstre massacre
le petit peuple en baguenaude sur la rive.
Cette absence de suspense suggère
qu’on est avec cette bête en territoire
connu. Les badauds ne lui jettent-ils pas
des cannettes de bière à la tête quand ils
la voient apparaître dans l’eau ? La gageure relevée par Bong Jong-ho consiste
donc à utiliser cette bête comme un pur
signifiant du cinéma de genre américain,
tout en lui redonnant les lettres de noblesse d’un grand mythe national et populaire résistant au syncrétisme hollywoodien.
Pour ce faire, The Host, davantage qu’un
film de mutant, se devait de devenir ce
qu’il est : un grand film mutant. a
Jacques Mandelbaum
Film coréen. Avec Song Kang-ho, Byun Heebong, Ko A-sung. (1 h 59.)
La caméra comme thérapie familiale
Daniel Mesguich, et au cinéma avec Francis Girod, Hervé Palud, ou Luc Besson,
qui devient son mari.
Mais Maïwenn ne se contente pas d’interpréter. Elle crée aussi, et trouve sa voie
élective dans l’exploration, haute en couleurs, de sa propre vie. Celle-ci fait d’abord
l’objet d’un one-woman-show à succès
(Le Pois chiche créé en 2001 au Café de la
Gare), puis d’un court métrage qu’elle
interprète aux côtés de sa fille Shana Besson (I’m a actrice, 2004). Pardonnez-moi
explore le même filon, à la manière d’un
psychodrame qui revêt tour à tour les oripeaux de la tragédie et de la farce.
Maïwenn y interprète Violette, une jeune
actrice enceinte qui, caméra au poing, décide de consacrer un film à sa famille pour
que son enfant n’hérite pas de sa névrose.
Les limites de l’exercice
La mise en abyme s’ajoutant ici à l’autofiction, le principe directeur de ce vraifaux film de famille repose donc sur la
capacité du cinéma à faire éclater la vérité
de la névrose familiale. Violette utilise à
Surenchère de violence
pour James Bond
IL Y EUT déjà un Casino Royale, en 1967,
produit par Charles Feldman, concocté
par une demi-douzaine de scénaristes et
filmé par six cinéastes avec un générique
princier où Ursula Andress côtoyait Woody Allen et Orson Welles. Il s’agissait d’un
pastiche où l’agent 007 (interprété par
David Niven) se révélait homo et où M.,
son patron, perdait sa moumoute. Mais le
producteur de la série (Albert Broccoli)
n’avait jamais pu acquérir les droits du
roman de Ian Fleming, son tout premier.
C’est désormais chose faite par ses successeurs, et ce Casino Royale, cru 2006, peut
se présenter comme le vingt et unième
authentique James Bond (exception faite
d’une adaptation à la télévision).
Authentique ? Encore faut-il manier
ce concept avec précaution. Car s’il est
patent que, dans le livre, l’agent secret britannique en gestation n’avait pas encore
tout à fait le profil du personnage culte,
les scénaristes de cet ultime opus l’ont
modernisé à tel point qu’il est ici quasi
méconnaissable.
C’est Daniel Craig, un blond aux yeux
bleus (pourquoi pas ?), qui hérite du rôle,
en faisant passer l’essentiel de la panoplie du personnage par pertes et profits :
peu de gadgets (sinon le Medipac qui le
fait échapper à un empoisonnement),
remplacement des bimbos en bikini par
des révolutionnaires ougandais. L’image
sophistiquée et ironique du gentleman
élégant et flegmatique disparaît, pour faire place à un baroudeur buté ressemblant à Steve McQueen, aventurier de la
working class tout en biceps et peu à l’aise
dans le smoking en alpaga.
Le prégénérique, en noir et blanc, le
dépeint comme un Rambo qui écrabouille
la racaille avec ses poings d’acier. Le
temps de se rappeler que l’Américain
Quentin Tarantino avait posé sa candidature pour mettre en scène les fracassants
exploits de cet espion délesté de ses tics et
rites british, et nous voilà au cœur de la
mission : peu soucieux des bienséances
(M. est à deux doigts de le licencier), 007
va filer de Madagascar à la Cité des doges,
via Miami et le Monténégro, afin de
démasquer un banquier asthmatique et
joueur de poker qui finance un réseau terroriste.
Brute misanthrope, petite frappe
expert en close combat et couvert d’estafilades, le héros reste amateur de Martinivodka mais n’a plus de James Bond que
le nom. Il n’en rechigne pas moins à faire
du spectacle : poursuite d’un porteur de
bombe adepte du free running sur un
chantier de grues et de poutrelles, course
à la Bip-Bip et le coyote sur le tarmac
d’un aéroport menacé d’attentat, ultime
tentative de récupération d’une mallette
dans un palais vénitien qui s’écroule
dans la lagune.
Torture sur une chaise percée
Au fil des castagnes, 007 aura séduit
une brune torride et sera tombé amoureux
d’une farouche employée du Trésor : les
James-Bondettes ne sont plus des créatures alanguies mais des poupées qui disent
non… avant de rendre souffle et de boire la
tasse. Dans ce frénétique inventaire de cascades avec séance de torture sur une chaise percée, même la partie de cartes est
interrompue par un massacre sanglant.
Bien au goût du jour, cette surenchère
de violence fait mesurer l’évolution des
stratégies. De John F. Kennedy (qui s’habillait comme Sean Connery) à George
W. Bush, on est passé de la crainte d’un
complot soviéto-communiste à l’obsession du cocktail terrorisme-chaos financier. Le cerveau du mal reste un balafré
de l’Est, les méchants restent basanés, le
plus huppé des agents secrets de Sa
Majesté cogne désormais comme
Arnold Schwarzenegger. a
J.-L. D.
Film américain. Avec Daniel Craig, Eva Green,
Judi Dench, Mads Mikkelsen, Giancarlo Giannini,
Simon Abkarian. (2 h 18.)
www
Sur lemonde.fr : retrouvez les critiques
des films sortis sur les écrans depuis un mois.
Daniel Craig, un nouveau 007
voulu « plus réaliste »
« The Host » a réalisé 14 millions d’entrées en Corée , record absolu. DR
« Pardonnez-moi », de Maïwenn
A L’INSTAR de Christine Angot en littérature, Maïwenn nous introduit avec ce
film aux troubles délices de l’autofiction,
genre qui ne se distingue en définitive de
la fiction que par la publicité plus ou
moins délibérée qui est conférée à la nature autobiographique du matériau dont
l’œuvre s’inspire. Cette petite différence
fait pourtant toute la différence, et c’est
grâce à elle qu’Ingmar Bergman, qui n’a
jamais filmé que sa vie intime, échappe à
l’infamie pathétique qui caractérise une
part notable de la production dite « autofictionnelle », dont l’essor n’est sûrement pas par hasard concomitant de
celui de la télé-réalité.
Il faut donc brièvement présenter
mademoiselle Maïwenn, pour éclairer
les tenants et les aboutissants de ce film.
Née en 1976, elle est la fille de l’actrice
Catherine Le Besco, qui la destine très tôt
aux planches, vocation qu’elle partage
avec son frère et sa sœur, l’actrice et réalisatrice Isild Le Besco. Débutant dès l’âge
de 5 ans, Maïwenn joue plus tard au théâtre sous la direction d’Antoine Vitez et de
« Casino Royale », de Martin Campbell
LONDRES
CORRESPONDANT
cette fin toutes les ressources qu’autorise
son statut de chasseuse de vérité, depuis le
traquenard jusqu’à la provocation, en passant par la crise d’hystérie. Elle révèle de la
sorte, et il est vrai sans s’épargner, un père
brutal et démissionnaire (Pascal Gregory), une mère égocentrique et manipulatrice (Marie-France Pisier), et au passage le
père naturel de sa petite sœur qui se manifeste sur le tard (Aurélien Recoing).
Tout cela, bien agité, donne lieu à quelques mémorables morceaux de bravoure,
dévoile un tempérament de comédienne
volcanique doublée d’une réalisatrice
finaude, et instille un doute permanent
sur ce qui appartient au témoignage ou à
la fiction. L’utilisation complaisante du
motif du règlement de compte, associée à
la naïveté, réelle ou feinte, qui consiste à
faire croire que le cinéma est un instrument de thérapie familiale, accusent néanmoins les limites de l’exercice. a
J. M.
Film français. Avec Maïwenn, Pascal Greggory,
Aurélien Recoing, Marie-France Pisier. (1 h 28.)
Depuis quarante-quatre ans, James
Bond est, au cinéma, la marque lucrative
d’un produit inégal. Avec Casino Royale,
ses producteurs ont tenté de la réinventer par un retour aux origines. Rien de
mieux pour cela que d’adapter le premier
roman de Ian Fleming (1953), celui qui
raconte la naissance du héros. C’est un
récit d’initiation, où le Bond d’avant
Bond, espion brutal et tueur faillible et
solitaire, gagne durement, par le meurtre et le sang, ses galons d’agent « double zéro ».
Pour incarner cette renaissance, il fallait un nouveau Bond. Les producteurs
ont vite porté leur choix sur Daniel
Craig, acteur britannique respecté (on l’a
vu dans Munich, de Steven Spielberg),
qui, après avoir dit non, fut conquis par
le script et un Bond « totalement atypique ». Avec son visage de boxeur, son
regard bleu acier et ses pectoraux impeccables, Craig, 38 ans, impose un Bond, à
la fois viril et sexy. La rudesse des bagarres mortelles qu’il affronte offre à l’ancien petit gars de Liverpool une interprétation intensément « physique ».
« La technologie prenait trop le pas sur
le personnage, explique Michael Wilson,
coproducteur du film avec Barbara Broccoli. Nous avons voulu ramener Bond sur
terre dans un film plus réaliste. » Le héros
saigne, transpire, souffre. Il commet des
erreurs et tombe amoureux. Casino Royale est un film sombre, violent, à l’image
du monde d’aujourd’hui, où la torture
infligée à Bond, reprise du roman de Fleming, évoque irrésistiblement la nudité
des prisonniers irakiens d’Abou Ghraib.
L’annonce du choix de Daniel Craig
avait suscité parmi les fans de Bond un
début de campagne de protestation sur
Internet : l’acteur était jugé « trop
blond », « trop petit », « trop différent »
de ses devanciers. Aujourd’hui, la majorité des critiques britanniques saluent sa
performance. Quelques-uns rechignent
en regrettant l’humour, la suavité et l’élégante légèreté des Bond d’antan.
« Qu’est-ce qu’un Bond sans des yeux qui
pétillent ? », demande un journaliste du
quotidien The Independent. Le public,
lui, semble prêt à suivre : dès le premier
jour d’exploitation, Casino Royale a battu le record de recettes pour un 007. a
Jean-Pierre Langellier
LES AUTRES FILMS
Adaptation pour l’écran, dirigée
par Ariane Mnouchkine, du spectacle du Théâtre du Soleil, créé en
2003, Le Dernier Caravansérail
tend, en prenant appui sur de nombreux témoignages, à composer
une vaste fresque socio-romanesque dédiée aux réfugiés, immigrés
clandestins et autres « déplacés »
condamnés à errer à travers le
monde. Louable dessein. Hélas !
Le Dernier Caravansérail est aussi
peu homérique – en dépit de son
sous-titre, Odyssées, et de sa durée,
4 h 30 – que cinématographique,
morne succession de tableaux ina-
nimés qui relèvent plutôt du
recueil d’images édifiantes, d’une
colossale naïveté. Les meilleures
intentions ne peuvent, dans le cas
présent, pallier l’absence de
vision(s) et de souffle lyrique, sans
lesquels nulle épopée n’est viable.
Parallèlement à sa sortie dans une
salle parisienne, le film paraît en
DVD chez Arte Vidéo. a
Jé. P.
Film français d’Ariane Mnouchkine.
Avec la troupe du Théâtre du Soleil.
(4 h 30.)
Saw3
C’est le troisième volet d’une
série à succès qui a remis à la
mode l’épouvante gore, fondée
sur la représentation réaliste
d’une violence extrême, à peine
tempérée par l’ironie. Saw 3
cumule une réelle brutalité graphique avec une dimension ludique (qui distingue ces films des
productions gore des années
1970), faisant partie intégrante
d’un récit qui ressemble davantage à un dispositif d’art contemporain. A l’image des silhouettes de
jeux vidéo, les protagonistes de la
série « Saw » sont contraints d’effectuer un parcours précis, semé
de pièges atroces et d’épreuves au
sadisme inventif, comme autant
de stations d’un parcours virtuel
à énigmes. Ce nouvel avatar surclasse sans peine le précédent,
qui était signé du même réalisa-
teur, handicapé par des artifices
de scénario et un montage hystérique. L’intérêt relatif de Saw 3,
plus structuré, mais aussi indiscutablement plus violent (le film est
interdit aux moins de 18 ans),
réside dans la façon dont le jeu
s’articule ici avec un nihilisme
impensable il y a quelques années
dans le cinéma hollywoodien de
série. a
Dans le cadre du programme
« Le Louvre invite Toni Morrison »
Étranger chez soi
Rétrospective
Charles Burnett
The Outsider
Du 23 au 25 novembre 11 films
J.-F. R.
Film américain de Darren Lynn Bousman. Avec Tobin Bell, Shawnee Smith,
Angus McFayden. (1 h 47.)
Perhaps Love, Trust The Man,
Allez Yallah ! : les critiques de ces
films paraîtront dans une prochaine édition.
Première rétrospective en France
des films du cinéaste indépendant
afro-américain Charles Burnett
Nightjohn © D.R.
LeDernier
Caravansérail
Informations
01 40 20 55 55 ou www.louvre.fr
Réservations
01 40 20 55 00