Monsieur Jean-Louis DEBRE Président du Conseil Constitutionnel

Transcription

Monsieur Jean-Louis DEBRE Président du Conseil Constitutionnel
CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL FORCE OUVRIÈRE
141, avenue du Maine – 75680 PARIS Cedex 14
Tel : 01 40 52 82 00 - Fax : 01 40 52 82 02
Monsieur Jean-Louis DEBRE
Président du Conseil Constitutionnel
2, rue Montpensier
75001 PARIS
Paris, le 29 mai 2013
JCM/PH/AAA
Monsieur le Président,
Mon organisation a eu connaissance de la saisine de votre Conseil par des
Parlementaires portant sur deux points de l’article 1er du projet de loi relative à la sécurisation de
l’emploi (points I-A-2° et II-2° de l’article 1er) adoptée par l’Assemblée nationale le 24 avril dernier.
L’analyse du contenu de ces saisines montre que, sous couvert de remettre en cause la
constitutionnalité de ces deux points du projet de loi, les parlementaires signataires des saisines ont
entendu critiquer le principe même de la possibilité de signer des accords de branche comportant une
clause de désignation, aussi bien en matière de prévoyance collective que de remboursement de frais
de santé mettant ainsi notamment en opposition le principe de libre concurrence avec celui de liberté de
négociation.
En préambule de cette contribution, permettez-moi de vous rappeler que FORCE OUVRIERE n’est pas
signataire de l’ANI du 11 janvier 2013, pour plusieurs motifs autres que l’article 1er.
Ce courrier traite uniquement de la problématique des clauses de désignation ce qui pour FORCE
OUVRIERE n’emporte pas acquiescement des autres dispositions contenues dans le projet de loi.
Cela m’amène à considérer qu’il est nécessaire de rappeler à votre Conseil notre attachement profond à
la faculté offerte depuis presque 20 ans par le Code de la sécurité sociale aux partenaires sociaux de
désigner, dans certaines circonstances seulement, un ou plusieurs organismes gérant les garanties
collectives complémentaires. C’est cette faculté prévue aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 912-1 du Code
de la sécurité sociale qui fonde une partie du système complémentaire de protection sociale de notre
pays depuis 1945.
Le projet de loi dont certaines dispositions sont soumises à votre examen par les parlementaires ne
remet pas en cause cette faculté ; il la complète, en l’assortissant d’une exigence de mise en
concurrence préalable respectant des conditions de transparence, d’impartialité et d’égalité.
L’objet de son article 1er est la généralisation de la couverture complémentaire santé à tous les salariés.
Il renvoie à la négociation collective la définition des modalités de mise en place de cette couverture
financée conjointement par les salariés et les employeurs, et notamment les modalités de choix de
l’organisme assureur, élément déterminant du système complémentaire de santé ainsi créé.
Le droit de négociation collective, affirmé par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution de 1946, fait
partie des droits et libertés que la Constitution garantit, et cela au même titre que l’article 34 de
la Constitution qui confie au législateur le pouvoir de fixer les principes fondamentaux des droits du
travail et syndical ainsi que de la sécurité sociale.
L’article L. 2221-1 du Code du travail prévoit que la détermination des relations collectives entre
employeurs et salariés, y compris les garanties sociales et donc la protection sociale, relève du champ
de compétence de la négociation collective.
En particulier, elle s’exerce dans les cas où la mutualisation des risques au niveau d’une branche
s’impose pour répondre à l’objectif d’intérêt général de solidarité, pour désigner le ou les organismes
assureurs auxquels l’adhésion des entreprises relevant de cette branche est obligatoire, conformément
à l’article L. 912-1 cité plus haut. Ce même article stipule que les clauses de désignation doivent être
revues tous les cinq ans maximum, il ne peut en aucun cas être fait allusion à des rentes de situation.
La mutualisation des risques au niveau de la branche, notamment dans les professions composées
de TPE, est un outil d’égalité pour les salariés qui permet d’obtenir le meilleur rapport entre
la qualité des garanties et le niveau des cotisations. Elle est un outil équitable et solidaire qui lisse les
écarts pouvant exister au sein de la branche entre entreprises de petite taille, entreprises de taille
moyenne et grandes entreprises et fiabilise ainsi durablement la couverture. Elle garantit la portabilité
des droits pour les salariés des secteurs d'activité à employeurs multiples (bâtiment, artisanat...),
permettant ainsi une meilleure mobilité au sein de la branche, nécessaire au développement de l'activité.
L’avis de l’Autorité de la Concurrence du 29 mars 2013 sollicitée par l’APAC ne prend en compte que
l’aspect mercantile de la vente d’un produit, alors que la négociation collective en termes de couverture
complémentaire de santé et de prévoyance répond à un objectif d’intérêt général et fait partie intégrante
du dialogue social.
Les faits montrent que les désignations santé au sein des branches contribuent à l’élévation du niveau
de couverture grâce à l'action résolue des partenaires sociaux en matière de mutualisation des risques
et de pilotage du régime : actions de prévention adaptées aux problématiques professionnelles et à la
démographie de la population assurée, suivi des garanties, stabilité des cotisations, … La protection
santé devient un élément d’attractivité de la profession en tant qu’élément de rémunération des salariés
de la branche, négociée comme la grille des salaires au niveau de celle-ci. Fondamentalement, la
couverture santé a pour objectif l’amélioration des conditions de travail.
Cet objectif de solidarité a clairement un intérêt collectif primant sur les intérêts individuels, qui ne doit
pas être remis en cause.
Enfin, les arguments développés dans les saisines omettent de préciser qu’il a été jugé plusieurs fois
que les clauses de désignation, même quand elles s’accompagnent d’une clause de migration, sont
conformes à la libre concurrence et à la liberté d’entreprendre (voir notamment les arrêts du Conseil
d’Etat, de la Cour de cassation et de la CJUE). Ils omettent aussi de souligner que le projet de loi
modifie le Code de la mutualité et le Code des assurances pour permettre aux organismes que ces
codes régissent de disposer des mêmes prérogatives et d’être soumis aux mêmes obligations que ceux
régis par le Code de la sécurité sociale, ce afin de pouvoir satisfaire toutes les exigences des cahiers
des charges lors des mises en concurrence.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez au contenu du présent courrier et espère que le
Conseil sera sensible à mon rappel des valeurs fondamentales du système français de protection
sociale, dont la négociation collective est un élément essentiel.
Veuillez agréer, Monsieur Le Président, l’expression de mes salutations respectueuses.
Jean-Claude MAILLY
Secrétaire Général

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