L`émergence d`un véritable cluster horloger

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L`émergence d`un véritable cluster horloger
ACTUEL
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VALAIS
L’émergence d’un véritable
cluster horloger
Attractif. La Vallée du Rhône aligne les nouvelles entreprises et implantations liées aux
mouvements et aux marques. Swatch y emploie plus de 500 personnes et les marques
West End ou Calcio sont des succès dans le monde.
FRANÇOIS PRAZ
D
écomplexée: voilà
bien ce qui semble
être le qualificatif qui
convient le mieux à
l’activité horlogère telle qu’on
la pratique en Valais. Il va de
soi qu’il n’était de toute manière pas question pour ce canton de s’aligner sur les grands
noms de ce secteur qui sont
établis depuis parfois plus de
deux cents ans à Genève ou
dans le Jura.
Cette zone excentrée a par
conséquent exploité au maximum ses propres atouts. Même
si cet aspect est largement méconnu, l’horlogerie y est en réalité présente depuis près de
quatre décennies. Le pittoresque village d’Isérables a ainsi
accueilli ses premiers ateliers
dès les années 1960. Il s’agissait de structures délocalisées
PME Magazine / février 2007
par des entreprises de l’Arc jurassien en raison de la maind’œuvre bon marché que l’on
trouvait sur place.
A ce premier avantage s’est
ajoutée au fil des ans l’acquisition par le personnel d’un niveau de connaissances techniques général intéressant. Ces
paramètres expliquent d’un
point de vue historique que
cette activité ait pu perdurer
en Valais durant une période
assez longue.
Depuis le début de l’ère Swatch,
le secteur s’est diversifié d’une
manière étonnante dans la région. Au fil des ans, des rapprochements se sont opérés et
de nouveaux acteurs sont apparus (dont certains ont connu
une croissance plutôt impressionnante). Le Valais possède
désormais un embryon de cluster horloger. Qui sont les figures principales?
DISTRIBUTION
121TIME, MARTIGNY
Depuis fin 2003, 121TIME que
dirige FRÉDÉRIC POLLI illustre le
côté audacieux de l’horlogerie
dans le Valais. Celle qui s’appelait jusqu’à récemment Factory 121 a en effet bouleversé
les règles en commercialisant
ses montres exclusivement sur
son site permettant de créer
une montre soi-même. Plus
de 5 millions de combinaisons
sont possibles. Vendues à un
prix moyen de 370 francs, ces
pièces sont toutefois sur un segment où la concurrence étrangère est farouche.
Pour se démarquer, la stratégie de 121TIME consiste à proposer un service, ainsi qu’un
rapport qualité-prix d’usine.
L’assemblage est quant à lui assuré au fur et à mesure par
Rhodanus (voir ci-après). «Nous
visons 100 000 montres par
année d’ici à trois ans. Cela va
passer par la conquête du marché américain, beaucoup plus
porteur en matière d’achats online, et par la mise en place de
partenariats commerciaux et
financiers», commente Frédéric Polli. Dernier fait marquant,
le lancement de la «SpinMaster», une collection empreinte
d’une très forte personnalité.
Le contraire eût été surprenant
lorsque l’on sait qu’elle est le
fruit d’une collaboration avec
le patineur volant Stéphane
Lambiel.
EXPORT
WEST END WATCH CO, LEYTRON
Reprise en 2001 d’une entreprise jurassienne par la famille
Monnat et des partenaires, cette
marque a été créée en 1886 à
Bombay par le représentant
Photos: DR
WEST END WATCH. Vente annuelle:
50 000 montres à mouvements mécaniques.
Prix: entre 120 et 750 francs (vendues en
Suisse sur le Net).
MONNAT-CHARMILLOT. Production annuelle:
150 000 mouvements mécaniques.
MONN-TIME. Montres à quartz.
Prix: 200 à 400 francs.
HODANUS. Composants de montres.
Naters R
Production annuelle: 700 000 pièces.
70 collaborateurs.
Sion
Leytron
Riddes
Martigny
121TIME. Objectif de vente:
100 000 montres par an.
Prix moyen: 370 francs.
ISA SWISS MOVEMENT.
Vente annuelle: 45 millions
de mouvements à quartz.
20 à 25 collaborateurs.
d’une firme de Saint-Imier.
Vendues à 50 000 exemplaires
par an, ces montres mécaniques
de gamme moyenne (120 à 750
francs) sont un véritable mythe
en Inde, en Arabie saoudite ou
dans l’Himalaya.
Mais les ventes actuelles restent modestes en comparaison
avec celles que la manufacture
réalisait autrefois: en 1977,
1,2 million d’unités étaient
vendues. Depuis 1886, ce sont
au total 15 millions de montres
qui ont été écoulées. Comme
le précise JÉRÔME MONNAT:
«En 2005, nous avons réussi à
assainir West End. Nous cherchons désormais à reconquérir nos marchés historiques
grâce à un meilleur positionnement. Mais nous ne pouvons pas monter trop en
gamme, sous peine de perdre
notre ancienne clientèle.»
MODE
CALCIO, SION
en Valais avec la marque Calcio à Sion. Son concept repose
sur l’estampillage aux couleurs
des grands clubs de football de
montres à quartz de gamme
moyenne (entre 50 et 100
francs pour les consommateurs). Les supporters des clubs
de football sont la première
clientèle de cette marque créée
en 1998 par VICTOR BRUZZO, le
fondateur d’Indtec (voir ciaprès). Actuellement, ce sont
150 000 exemplaires vendus
par an.
QUARTZ
MONN-TIME, NATERS
La Monn-Time est née à Naters en juin 2005, montre à
quartz (mouvement ETA)
conçue par Rhodanus qui, pour
l’instant, est surtout vendue à
un tarif préférentiel sur Internet. La stratégie consiste à développer un réseau de distributeurs indépendants. Il existe
actuellement quatre collections
pour hommes et autant pour
femmes. Chaque modèle est
CALCIO. Vente annuelle: 150 000 montres à quartz.
Prix: 50 à 100 francs.
SWATCH GROUP. Centre de montage pour Swatch.
Entre 500 et 600 collaborateurs.
MIMOTEC. Production de micromoules métalliques.
Chiffre d’affaires: 4 à 6 millions. 25 collaborateurs.
INDTEC. Filiale de Calcio. 93 collaborateurs.
LAURENT FRIES COMPLICATION. Montres de haut
de gamme.
disponible en près de dix versions. Le prix de ces montres
varie entre 200 et 400 francs.
A signaler que l’ancienne
championne de tennis Gabriela
Sabatini possède sa propre
ligne.
SWATCH
SWATCH GROUP, SION
La filiale de Swatch Group à
Sion remonte à 1973. Il s’agit
d’un centre de montage pour
Swatch qui emploie entre
500 et 600 personnes. ETA ne
communique pas davantage
d’éléments concernant sa capacité de production, ni ses projets de développement.
JOINT-VENTURE
ISA SWISS MOVEMENT,
MARTIGNY
Cette société jurassienne a été
lancée en 1959 par les laboratoires Voumard Machines. Elle
est spécialisée dans la conception de mouvements à quartz,
des meilleur marché aux plus
exclusifs. Depuis 1995, elle a
signé un accord de joint-venture avec Tian Jin Watch Factory en Chine.
La production du groupe a ainsi
grimpé à 45 millions de mouvements par an. La filiale valaisanne compte entre 20 et 25
collaborateurs. Elle s’occupe
plus particulièrement de l’assemblage des mouvements de
chronographes. En plus de petits mouvements haut de
gamme, elle se concentre sur
trois séries: «Yachting» (pour
le monde de la voile), «Soccer» (montres d’arbitres) et
«Tide» (avec indicateurs de marées). Elle fabrique également
plusieurs calibres et de nombreux autres mouvements ISA.
MICROMOULES
MIMOTEC, SION
Societé co-créée en 1996 par
son directeur actuel, HUBERT
LORENZ, Mimotec a fait breveter une technique de micromoules métalliques qui permet
de fabriquer des pièces
▲
L’horlogerie dans sa version
marketée a aussi droit de cité
MGI HORLOGERIE.
Assemblage de montres.
25 collaborateurs.
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ACTUEL
DR
F. Mamin
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WEST END WATCH. La marque a été créée en 1886 à Bombay
par le représentant d’une entreprise de Saint-Imier. Ces montres sont
un véritable mythe en Arabie saoudite ou en Inde.
canique de haut de gamme. Sa
croissance (4 à 6 millions de
francs de chiffre d’affaires) se
poursuit grâce notamment au
lancement d’une production
sous licence qui s’effectue directement chez ses clients.
INDTEC, SION
S. Bittel
▲
d’une finesse et d’une précision inégalables par les procédés traditionnels. Ces trois dernières années, cette entreprise
a doublé ses effectifs (avec désormais 25 collaborateurs). Elle
fournit toute l’horlogerie mé-
«Nous nous
lançons sur
l’immense
marché
américain. Il est
plus porteur en
achats en ligne.»
FRÉDÉRIC POLLI,
121TIME, Martigny
PME Magazine / février 2007
L’entité sédunoise qui fabrique
la Calcio emploie 93 personnes
en Valais et près de 60 dans le
Jura français. Elle est la propriété du groupe horloger SFT
Holding qui, avec 100 millions
de pièces annuelles, est le troisième producteur mondial de
mouvements à quartz derrière
Citizen et Seiko. Le groupe avait
fait sensation en annonçant
fin 2002 qu’il allait produire
ses propres mouvements mécaniques automatiques pour
pallier le désistement d’ETA.
Afin d’assumer cette ambition,
VICTOR BRUZZO, son fondateur,
a misé sur les technologies de
Mimotec qu’il avait financé à
ses débuts.
La perte d’un gros contrat dans
la téléphonie et la concurrence
des nouveaux producteurs chinois ont entraîné 13 licenciements en avril 2006. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit
d’un global player qui va conti-
INDTEC. L’entreprise basée à Sion est le troisième producteur
mondial de mouvements à quartz derrière Citizen et Seiko.
nuer à compter au niveau international.
ASSEMBLEURS
ATELIER MONNAT-CHARMILLOT,
LEYTRON
Installée à Leytron, la plus ancienne entreprise horlogère valaisanne est spécialisée dans
l’assemblage de mouvements
mécaniques. Monnat & Charmillot travaille en sous-traitance pour de grands noms de
l’horlogerie de luxe, ainsi que
pour West End.
Au total, ce sont près de 150 000
mouvements mécaniques qui
sortent de ses ateliers chaque
année. Dans les mois à venir,
l’atelier envisage de renforcer
son implication dans le mouvement de montre mécanique
simple et à complications.
RHODANUS, NATERS
Créée en 1973 à Naters, dans
le Haut-Valais, cette entreprise
active dans l’assemblage de
montres et la vente de composants horlogers emploie 70
personnes. Annuellement, ce
sont 700 000 pièces qui sortent
de son usine.
Rhodanus possède en plus sa
propre marque. Depuis 1988,
cinq actionnaires principaux
(dont JÉRÔME MONNAT de West
End) l’ont reprise à l’enseigne
de Rhodanus Microtechnic.
Cette firme propose aussi à ses
clients la production de modèles personnalisés.
REMODE
MGI HORLOGERIE, RIDDES
Cet atelier a été créé il y a onze
ans par JULIEN MANGHI. Il s’est
spécialisé dans l’horlogerie liée
à la mode. Il travaille en fait
pour une société bâloise qui
livre les grands noms de ce secteur, italiens surtout (Gucci,
Armani). Les montres qui sont
assemblées par les 25 collaborateurs de cette entreprise du
Valais central sont composées
à 60% de pièces helvétiques.
«Nous ne réalisons toutefois
pas d’emboîtage car, sur notre
créneau, cela ne serait pas
viable: en effet, tous les six mois,
les modèles changent», ajoute
Julien Manghi.
UNIQUE
LAURENT FRIES COMPLICATION,
SION
En Valais est assemblée une
pièce unique que certaines re-
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MIMOTEC. L’entreprise a breveté une technique de micromoules
lui permettant de travailler des pièces avec une précision inégalable.
vues et les sites spécialisés considèrent comme une F1 de la
montre: la Richard Mille. Depuis avril 2006, LAURENT FRIES
s’est installé à Sion où il procède au montage de ces gardetemps mécaniques d’exception.
Né en 1979, ce Sierrois d’ori-
gine a fait ses classes à Porrentruy. Durant six ans, il s’est perfectionné dans son domaine
avant de rejoindre Tag Heuer
puis Renaud & Papi au Locle. Il
y est alors devenu le chef d’une
équipe de dix horlogers.
Avant son arrivée, cette manufacture avait été rachetée
par Audemard Piguet à hauteur de 80%. Les 20% de l’activité restants de Renaud &
Papi sont depuis lors orientés
vers la clientèle privée. C’est
à cette époque que Laurent
Fries a commencé à travailler
sur les montres Richard Mille.
Grâce à des contacts devenus
privilégiés avec le propriétaire
de la marque éponyme, il a
donc décidé en 2006 de se lancer en indépendant, tout en
conservant une proche collaboration avec son ancien employeur du Locle (certains de
ses ex-collaborateurs continuent de travailler pour Richard Mille là-bas).
Aujourd’hui, il assemble mensuellement deux exemplaires
de ces montres et il en assure
également la maintenance. Au
niveau des synergies régionales, Renaud & Papi a fait
appel aux services de Mimotec pour certaines pièces dans
le cadre de la recherche et du
développement.
Dans un futur proche, Laurent Fries envisage d’engager
deux collaborateurs, cela aussitôt qu’une clientèle additionnelle viendra se greffer sur
ses commanditaires actuels.
«Le Valais me sort de l’isolement»
bien. Actuellement, les délais
d’attente sont d’ailleurs de plusieurs mois. Il s’agit d’un marché de type plutôt organique,
où la clientèle se constitue de
façon naturelle, mais la promotion de ce produit est néanmoins très importante.
Qu’est-ce qui vous a donné
l’envie de vous réinstaller dans
votre canton d’origine?
Comment percevez-vous
Richard Mille et sa marque?
Le caractère exclusif de
vos réalisations s’explique-t-il
en partie par le niveau de
finition et par l’utilisation de
matériaux high-tech?
LAURENT FRIES. Sa société assemble la marque Richard Mille.
Une sorte de F1 de l’horlogerie.
Richard Mille est un homme
très exigeant qui est passionné
de belles mécaniques. De là est
partie son idée de réaliser une
montre de très haut de gamme
qui s’inspire de l’esthétique des
moteurs des Ferrari.
Plusieurs années ont été nécessaires pour mettre au point
ce prototype. Quant à l’inves-
tissement, il faut en général
compter quelques dizaines de
millions de francs pour lancer
une marque de ce genre.
Comment se porte la marque
actuellement?
Richard Mille a de nombreux
contacts dans ce milieu, et ces
garde-temps se vendent fort
Richard Mille est en permanence en quête de performance.
En lançant l’horlogerie contemporaine, il a contribué à améliorer la recherche, cela en utilisant entre autres des alliages
spécialement conçus pour la
fabrication de montres. Nos platines sont par exemple taillées
dans un carbone multi-strates
de quelques milliers de couches
que Renaud & Papi maîtrise
avec brio. PME
PME Magazine / février 2007
Photos: DR
Il y a plusieurs paramètres qui
sont entrés en ligne de compte.
Le premier est bien sûr le plaisir de pouvoir pratiquer ma
profession dans un cadre aussi
privilégié. En effet, mon atelier se situe dans une ancienne
laiterie, où sont réunis des indépendants de différentes
branches. Les côtoyer me permet de sortir un peu de l’isolement qui est, par tradition,
inhérent à mon métier.
Le second facteur est le recours possible à des outils de
communication qui abolissent
les distances et qui me permettent d’œuvrer sans difficulté avec les structures avec
lesquelles je travaille dans
d’autres régions.

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