Y a-t-il une grammaire de l`oral?

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Y a-t-il une grammaire de l`oral?
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Y a-t-il une grammaire de l’oral?
Réflexions sur l’enseignement de l’anglais oral
Jean ALBRESPIT
Maître de Conférences,
Université de Bordeaux,
équipe TELEM (EA 4195)
Le terme de « grammaire de l’oral » est utilisé de façon assez sporadique, me semble-t-il
dans la littérature traitant de l’oral, mais la référence à cette notion semble devenir plus
fréquente dans des textes récents. On en trouve mention dans des documents officiels émanant
de l’inspection (La place de l’oral dans les enseignements : de l’école primaire au lycée, texte
paru en 2000 dans le Rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale) et dans
quelques ouvrages : A Grammar of Speech de David Brazil, 1995 et la Grammaire Orale de
l’anglais, de Ruth Huart, 2002.
Dans les programmes d’enseignement à l’université, le terme de « grammaire de l’oral »
apparaît rarement. L’enseignement de l’oral repose essentiellement sur la compréhension
orale, l’étude de la phonétique et de la phonologie, l’acquisition de l’A.P.I., l’accentuation des
mots et dans le meilleur des cas, l’enseignement rationnel de l’intonation, l’analyse du
discours oral, la connaissance des variétés d’anglais. Mais même lorsque ces domaines sont
bien représentés, il est rare qu’ils soient associés et qu’un ensemble de cours articulés soit
proposé. En anglais, la création de l’épreuve de phonologie à l’agrégation, en intégrant non
seulement une transcription phonétique mais aussi une réflexion sur le connected speech
(c’est-à-dire les phénomènes d’élision, d’assimilation, de liaison, de palatalisation, de
compression, de dévoisement des consonnes sonores propres à l’enchaînement en discours),
sur les schémas accentuels des polysyllabes et des composés, sur l’intonation a relancé un
regain d’intérêt pour des phénomènes qui ne sont pas du strict ressort de la phonologie
articulatoire.
La première question que l’on pourrait se poser est la suivante : existe-il une « grammaire
de l’oral » dans la tradition de l’enseignement ? La réponse, du moins en ce qui concerne
l’enseignement supérieur est non : il existe bien sûr un enseignement de l’oral mais « à la
marge », rarement considéré comme un ensemble cohérent, presque jamais associé à d’autres
disciplines, à commencer par la « voisine », la linguistique.
A l’université, l’oral est trop souvent considéré comme une matière « sans contenu »,
uniquement technique. L’idée assez communément répandue est qu’une exposition à la
langue en labo suffit. Cette conception est évidemment erronée. Pas plus que la lecture d’un
roman ne transforme un étudiant en spécialiste de littérature, l’exposition à la langue ne peut
suffire à transformer un étudiant en locuteur parfait.
Or les phénomènes oraux apparaissent souvent comme disparates, inorganisés, comme un
chaos dans lequel on ne peut définir des principes organisateurs qu’au prix d’une batterie de
règles (pour l’accentuation par exemple) suivies d’un nombre considérable d’exceptions.
Si une grammaire de l’oral existe, elle doit pouvoir permettre de dégager des régularités
assez puissantes pour servir à l’apprentissage et à la correction des erreurs.
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Je vais tenter d’avancer quelques arguments pour tenter de définir ce que peut être une
grammaire de l’oral et quels sous-domaines elle peut inclure.
Il est en tout cas plus facile de définir ce que n’est pas une grammaire de l’oral : elle ne
concerne pas la correction grammaticale (syntaxique) qui est, sans vouloir jouer sur les mots,
la grammaire à l’oral mais n’est pas la grammaire orale. Cela ne veut pas dire que les rapports
entre écrit et oral doivent être réfutés. Au contraire, l’apprentissage de l’oral a besoin de
support écrit, l’oral doit pouvoir être représenté sous forme de symboles phonétiques. Un
apprenant de L2 doit apprendre à oraliser l’écrit et donc acquérir les règles de correspondance
entre écrit et oral. L’orthographe et les conventions écrites sont un énorme frein à
l’apprentissage, mais sont un écueil incontournable : l’écrit qui devrait être une représentation
de l’oral se retrouve, particulièrement en anglais, institué en code à part. Les propositions de
simplification émanant de la Simplified Spelling Society ne sont pas prêtes d’être appliquées.
Cependant l’oral est aussi un objet d’étude en soi. Deux visions opposées peuvent être
identifiées, celle de Mary-Annick Morel & Laurent Danon-Boileau :
De l’oral à l’écrit, il y a un monde. La différence est si grande que la description du
français oral ressemble plus souvent à celle d’une langue exotique qu’à la grammaire du
français écrit telle que nous la connaissons. (Morel, Mary-Annick & Danon-Boileau,
Laurent, Grammaire de l'intonation. L'exemple du français oral. Gap: Ophrys, 1998.)
et celle de Renée Birks (2001), reprenant F. Gadet :
Nous partons du principe, exposé par Françoise Gadet, que si l’oral n’est pas l’écrit, la
langue est un « système unique à deux manifestations » ; et que, même si les distinctions
ne sont pas négligeables, « la grosse majorité des phénomènes grammaticaux est
commune aux deux plans […], les formes divergentes ne sont pas suffisantes pour
conduire à poser deux systèmes ». Il faut bien sûr faire la différence entre oral spontané,
écrit oralisé (informations), interviews ou discours. (Birks Renée, « Quelle grammaire
pour quel apprenant ? Priorité à la grammaire de l’oral », Revue de Didactologie des
langues-cultures 2001/2, N°122, p. 229-239.)
Si l’on émet l’hypothèse d’une grammaire de l’oral, doit-on la considérer dans toutes ses
dimensions pour l’enseignement ? La question reste posée pour le secondaire ; une étude
systématique de l’oral dans le supérieur doit prendre en compte les aspects spécifiques de
l’oral en phonologie et phonétique articulatoire, en lexicologie, en analyse du discours. Mais
avant de poursuivre cette interrogation, il est nécessaire de se pencher sur une définition de la
grammaire et de l’oral.
Qu’est-ce qu’une grammaire ?
Le terme de grammaire peut être interprété de deux façons différentes :
We use the term « grammar » with a systematic ambiguity. On the one hand, the term
refers to the explicit theory constructed by the linguist and proposed as a description of
the speaker’s competence. On the one hand, the term refers to the explicit theory
constructed by the linguist and proposed as a description of the speaker’s performance.
On the other hand, we use the term to refer to this competence itself. (Noam Chomsky &
Morris Halle, The Sound Pattern of English, 1968)
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Une grammaire linguistique n’est pas uniquement descriptive et jamais prescriptive. Elle
s’intéresse à des domaines larges : syntaxe, lexicologie, néologie, morphologie, sémantique,
pragmatique, types de discours, diachronie, étymologie…
Si une grammaire de l’oral peut être définie, alors on doit pouvoir proposer un ensemble de
règles permettant la prédiction, et donc la généralisation. Le système de la langue doit être
assez stable pour autoriser une représentation mentale et produire des modèles qui permettent
la création de formes nouvelles par analogie. Une grammaire doit aussi pouvoir isoler des
unités discrètes, ce qui est difficile mais pas impossible dans le domaine de l’intonation.
Qu’est-ce que l’oral ?
Au minimum, des sons et des bruits, mais aussi de façon large des gestes, des
manifestations paralinguistiques, un contact direct avec un interlocuteur et toutes les
interférences d’ordre psychologique qui peuvent l’accompagner. L’oral est aussi lié à des
facteurs tels que des restrictions mémorielles, la distraction, l’attention partagée, les
problèmes de calques phonologiques, les échecs dans la compréhension, l’interaction sociale
et les problèmes de représentation de l’individu. L’oralité est aussi caractérisée par les
problèmes de segmentation : pauses, accents de mots, rythme, découpage en « chunks ».
L’évolution rapide de la langue orale et en particulier du vocabulaire oral, les variétés
d’anglais constituent des paramètres supplémentaires. Pour résumer, il y a une grande
complexité, soulignée par J.C. Wells :
Its phonetics is idiosyncratic, including various characteristics that are unusual from the
point of view of universals: a large and elaborate vowel system, including complex
processes of length alternation and weakening (compete-competitive-competition); a
consonant system that includes dental fricatives ([T, ð]) and voiced sibilants ([z, ʒ, ʤ]),
which are problematic for many learners; words stress placement that is free, i.e. arbitrary
and frequently unpredictable; and an intonation system that seems to be more complex
and to have a much higher functional load than that of most other languages. (J.C. Wells,
Goals in teaching English pronunciation)1
Encore une fois, cette complexité ne doit pas être prétexte à l’abandon de toute tentative de
proposition de principes d’explication.
Quel anglais choisir comme référence?
L’anglais de référence est de façon générale le RP (received pronunciation). Il convient
dans un premier temps de définir ce qu’est le RP, parlé par moins de 3 pour cent des
anglophones britanniques.
La normalisation date du 18e siècle. L’accent est lié à la classe sociale, au prestige, celui de
la bonne société londonienne. Un des théoriciens de cette normalisation, James Buchanan,
écrit :
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http://www.phon.ucl.ac.uk/home/wells/poznan03_wells.pdf
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And yet ... there was not one English dictionary, by which we could thoroughly regulate
our pronunciation. (1757-Linguae Britannicae or a New English Dictionary, London, A.
Millar.)
Yet any endeavor to stem the torrent of inveterate habit in pronunciation, will prove
utterly abortive, without being corroborated by the concurrent sanction of able and
judicious teachers, and stamped with the prevalent authority of the polite and learned.
(1762-The British Grammar, London, A. Millar.6)
I found it expedient, therefore, to denote every word as it actually came from the mouths
of the best speakers, who, for ease or elegance, have receded from the written
orthography, and expelled all harsh and troublesome contacts, according to the manner of
the polite and learned of every language. (1766-An Essay Toward Establishing a
Standard for an Elegant and Uniform Pronunciation. London, E. and C. Dilly)
For the manner of pronouncing, which is usual among the polite and learned, who are
natives of the metropolis, is, in every country, the standard; ...(1770-A Plan of an English
Grammar School Education, London, E. and C. Dilly.)
(citations extraites de: Bert Emsley, “James Buchanan and the Eighteenth Century
Regulation of English Usage”, PMLA, Vol. 48, No. 4. Dec., 1933, pp. 1154-1166.)
A la fin du 19e siècle, l’accent fut appelé “received pronunciation” ou RP. Cet accent a été
très vite associé aux Public Schools, à Oxford et Cambridge (d’où les appellations de Oxford
accent, King’s ou Queen’s accent, public School accent). Il était utilisé de façon privilégiée
par les services de l’Etat, les services diplomatiques, l’Eglise anglicane. La BBC adopta le RP
en 1920 lors de sa création (d’où également l’étiquette de BBC accent).
Il est à noter que le « pur RP » est relativement rare car il est le plus souvent coloré par des
accents régionaux et subit des influences telles que le Estuary English.
Le RP, comme toutes les variétés d’anglais, est aussi affecté par l’évolution rapide des
formes orales.
La perception de l’accent joue un rôle dans son évolution. Le RP « pur » est ressenti
comme « posh », « upper class », « distant », alors que le RP modifié est décrit comme étant
« warm, customer-friendly, and down to earth »2.
La tendance au changement s’accompagne aussi de réticences ; la perception de ce qui est
étranger est vu souvent comme un envahissement, en particulier l’américanisation de la
langue.
Le nombre de formes dialectales est en augmentation en partie grâce à l’apport des
communautés immigrées : par exemple, en plus du « Liverpool English » (Scouse), il y a des
variantes : Caribbean Scouse, African-Scouse, Indian-Scouse, Chinese Scouse, Hindi Scouse ;
à Cardiff, des accents Cardiff-Arabic, Cardiff-Hindi.
La perception de la grammaire de l’oral
La grammaire se conçoit par réflexe comme avant tout une grammaire de l’écrit. La langue
parlée est considérée comme un objet instable, difficile à saisir. Cette conception est résumée
ainsi par Halliday :
Traditionally, grammar has always been a grammar of written language :a
process/product distinction is a relevant one for linguists because it corresponds to that
between our experience of speech and our experience of writing: writing exists wheras
speech happens. (Halliday, 1985, Introduction to Functional Grammar)
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Source BBC: http://www.bbc.co.uk/voices/yourvoice/feature2_4.shtml
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Lorsque le terme “oral grammar” est utilisé, c’est bien souvent pour mesurer les écarts par
rapport à la norme désirable. Nous citons ci-dessous le programme d’un cours de la East
Tenessee State University:
Nervous? You aren’t the only one! Below is a chart with several of the most common
“mistakes” speakers make in oral grammar. Also included are problems in speech
production and “powerless language” that often hinder speakers’ ability to communicate
effectively.
Area
Examples
I don't see nobody
I don't have no money
I can't hardly wait
We might could go
Redundancy
I feel like that it would be okay
I got me a new car
You can buy you a watch
ain't, fixin' to
Slang
yep / yeah
"off the hook"
Subject-Verb Agreement They talks too fast
He be late
ideal for idea
Usage
good for well (and vice versa)
them for those
He brung it
Verb Forms
I should have wrote it
I seen it coming
hit for it
Diction
axe for ask
'cept for except
'member for remember
goin' for going
nucular for nuclear
birfday for birthday
Double Negatives
Speech Production
Powerless Language
Low Volume
Rapid Speech
Lack of Clarity
Verbal Hedges (“sort of,” “kind of”)
Intensifiers (“really,” “you know”)
Hesitations (“um,” “er”)
It is important to note that correctness in oral grammar is relative, and that effective
speakers know how to “code switch” depending upon their audience and environment.
Code switching is a process in which a speaker shifts from one dialect or speaking style
to another. For instance, the words and pronunciation you use when talking to a
grandparent at Thanksgiving dinner may be very different from the style and language
you should use when addressing an audience in a professional setting.
(http://209.85.129.104/search?q=cache:_ukMORg1t0J:www.etsu.edu/academicaffairs/wcc/documents/Oral_Comm_2007.pdf+%22oral+grammar%22
&hl=en&ct=clnk&cd=16&gl=fr)
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Du tableau ci-dessus, on doit surtout retenir l’importance de la notion de « code switching »
et la nécessité de pratiquer et développer chez les apprenants l’aptitude au changement de
code. L’importance de la connaissance des variétés d’anglais et l’aptitude à changer de
registre est soulignée par le document suivant pécisant les objectifs de l’enseignement de
l’anglais au Royaume Uni (The Secondary National Strategy, KS3 for English) :
“Every kind of English has a grammar. Traditionally, grammar was associated with
standard English because schools saw grammar teaching mainly as a means of teaching
standard English. This is no longer so (as explained elsewhere), but the linkage lives on
in popular thought. In fact, every dialect has a grammar, in the sense of a set of
conventions which its speakers follow, and which sometimes distinguish insiders from
outsiders. For example, those who say Nobody done nothing are following the dictates of
their grammar just as much as those who use the standard forms: Nobody did anything. It
is important not to refer to non-standard forms as 'mistakes' or as 'incorrect' because this
is offensive to the large proportion (perhaps 90%) of the population who normally use
these forms; and in any case, it is simply wrong to assume that these forms are failed
attempts at producing the standard forms. To its credit, the National Curriculum applies
this principle by referring to "non-standard usages" or "dialectal variation" rather than
errors; and the KS3 Framework includes the following teaching objective for Year 8”
This is not to say that 'anything goes' in grammar. On the contrary, the KS3 strategy also
stresses that language varies with place, time and purpose, so what is good grammar in
one place is bad grammar in another. For example, Us books was here may be good
grammar in casual speech, but it is bad grammar in formal writing; and conversely, Our
books were here may be bad grammar in casual speech. The aim is to expand the
children's grammatical choices so that they can function effectively in any situation, if
necessary switching between standard and non-standard. (The Secondary National
Strategy, KS3 for English, (KS3 - the UK terminology for ages 12-14, i.e. Years 7, 8 and
9.) http://www.phon.ucl.ac.uk/home/dick/kal/what.htm)
Background:
• The variety of languages called English will continue to grow through electronic and
multi media communication.
• British English is one form of a continuously changing world language.
Issues:
• The term grammar, which carries previous centuries' prescriptive overtones, is too
narrow to be useful for the 21st century.
• Pupils need to be taught explicitly about their language and should experience the
enjoyment of knowing about, understanding and using the formal and informal variations
of English they will encounter in life (Grammar in the Secondary National Strategy:
(http://www.standards.dfes.gov.uk/secondary/keystage3/all/respub/en_grammar)
Une situation complexe
Le matériau oral est instable. Les changements peuvent se faire sur une échelle de temps
relativement brève : par exemple, en RP, la perte de la diphtongue /ʊə/ devenue /ɔ:/ (poor) ;
en position finale l’allongement de la voyelle : /ɪ/ ⇒ /i/ (happy, very) ou la transformation de
la diphtongue /əʊ/ devant /l/ : /əʊ/ + /l/ ⇒ /ɔʊ/ (cold, goal). En Estuary English on peut
noter le phénomène de « /l/ vocalization » : /l/ + voyelle est prononcé /ʊ/ (beautiful, milk). En
anglais américain, dans le parler urbain de certaines villes (Chicago, Philadelphie entre
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autres), certaines voyelles relâchées changent de qualité : block prononcé comme black,
steady comme study. D’après des observateurs tels que William Labov3, les accents se
renforcent plutôt que de se fondre dans une lingua franca.
Phénomènes de l’oral
Accentuation
L’étude de l’accentuation en France est dominée par l’approche de Lionel Guierre. Cette
approche détermine la place de l’accent en fonction de la terminaison et de la présence ou pas
d’un préfixe séparable. Elle s’appuie aussi fortement sur la graphie. Il s’agit de donner des
règles de lecture des mots, en particulier des polysyllabes.
L’accentuation en anglais suit des principes d’organisation stables ; il serait faux de penser
que l’accentuation est un fouillis de cas particuliers irréductibles. On peut adopter différentes
perspectives explicatives pour l’enseignement :
1) raisonner en termes de règles et de prototypie. On essaie de trouver des règles aussi
puissantes que possibles (règle de l’ion par exemple) et on établit une liste d’exceptions.
2) raisonner en termes de productivité. On ne conserve que les règles les plus productives,
ainsi que les exceptions les plus courantes et on fait passer par pertes et profits les mots
« rares ». On peut par exemple sélectionner les terminaisons contraignantes les plus
productives de l’anglais :
-ate
-efy/ify
-ety/ity
-ic/ics/ical
-ible/igible
-e/i/u/y +V +(Vn) + (Cn) + (e)#
(900 items, 18 exceptions)
(100 items, no exception)
(800 items, no exception)
(1600 items, 17 exceptions)
(150 items, no exception)
(3600 items, 34 exceptions)
(more simply called rule of –ion and likes)
(Tableau: Ives Trevian, 1998)
Rythme et prosodie
La prosodie est centrale dans la cohésion du discours. Elle concerne l’intonation, le rythme,
le tempo, les pauses, la sonorité.
Des tendances se dégagent, mais il est rare de constater des oppositions tranchées.
Considérer que l’anglais est « stress-timed4 », correspond plus à une tendance qu’à une réalité
3
William Labov : American Accent Undergoing Great Vowel Shift. W Labov est interviewé sur NPR par Robert
Siegel. http://www.npr.org/templates/story/story.php?storyId=5220090
4
« stressed syllables are said to occur at roughly equal time intervals, with non-stressed syllables being
‘stretched’ or ‘squashed together’ in order to occupy the time between stresses »
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objective. Certains spécialistes penchent plutôt vers une analyse en termes de “full-vowel
timing”: “a reduced-vowelled syllable following a full-vowelled syllable ‘borrows time’ from
it, so that together they are roughly equal to a full- vowelled syllable forming a rhythm unit on
its own” (Cruttenden 1997:22)
Une grammaire de l’oral doit prendre en compte l’accent de mot et l’insertion des mots
dans un énoncé oral (contours intonatifs).
Intonation
L'intonation ne peut s'étudier en séparant forme et fonction communicative. Un bon
exemple des fonctions de l’intonation est donnée sur le blog de Wells5. L’analyse qu’il
propose fait appel aux notions d’ancienne et de nouvelle information (thème et rhème) et
montre, à partir de phrases banales, l’importance de l’interdépendance entre intonation et sens
(\/ représente un ton descendant-montant ; \ un ton descendant) :
As I got off the tram on my way home yesterday, the recorded announcement went as
follows.
\/This tram | is for 'Elmer’s \End.
The \/next stop | will be 'Morden \Road.
Deconstruction of the intonation patterns:
You know this is a tram, so the concept tram is ‘given’. We focus instead on the contrast
(therefore fall-rise tone) between this tram, whose destination we shall now tell you, and
other trams that may be going to other places. We declare (therefore fall tone) its
destination.
You know you’re at a tram stop. So the concept stop is given. We focus instead on the
contrast (fall-rise) between the next one and this one or other ones. We declare (fall) its
identity.
Analyse du discours oral : segmentation du continu
Il s’agit de développer la capacité à reconnaître les éléments discontinus dans le flot
continu de la parole, à travailler sur du « connected speech » authentique avec des étudiants, à
identifier les formes faibles.
Un certain nombre de signaux donnent la possibilité d’isoler les unités constituées par les
Tone Units : hauteur plus grande en début d’énoncé oral, anacrusis, pauses, accélération ou
ralentissement, variations allophoniques (great ape v. grey tape /greɪteɪp/ Dans le cas de great
ape, le /t/ final est une occlusive « brève » - « unrealeased stop »), alors qu’avec grey tape, le
/t/ initial est l’allophone aspiré /th/). Le découpage est souvent différent du français, par
exemple le nom du joueur de rugby Mike Catt prononcé comme my cat par un commentateur
sportif français.
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http://www.phon.ucl.ac.uk/home/wells/blog.htm
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Conclusion
Une grammaire ou des grammaires ? L’idéal serait d’avoir une grammaire intégrant tous les
phénomènes de l’oral et mettant en lumière le haut degré de cohérence du système. La
répétition sans analyse ni compréhension n’est pas suffisante en L2 enseignée hors pays
anglophone. Qu’est-ce qui est vraiment essentiel ? Si l’on veut définir un minimum exigible,
un phonological core, on peut retenir l’accentuation de mots, le rythme avec l’alternance
syllabes accentuées et syllabes non accentuées et au moins le ton descendant, le ton montant
et le ton descendant-montant. Mais il ne peut y avoir de grammaire de l’oral purement
formelle. La relation entre les locuteurs produisant le discours, les phénomènes liés à
l’énonciation, la dimension cognitive, les rapports affectifs, l’intention de communication
sont indissociables de l’étude des phénomènes oraux.
Références
Birks Renée, « Quelle grammaire pour quel apprenant ? Priorité à la grammaire de l’oral »,
Revue de Didactologie des langues-cultures 2001/2, N°122, p. 229-239.
Brazil, David. A Grammar of Speech. Oxford, OUP, 1995
Trevian, Ives « Variants and Phonetic Changes in Lexemes with Irregular Realisations : is the
English Language overcoming its Phonological Conflicts ? » In Pierre Busuttil (dir.),
Points d’interrogation, P.U.P., 1998
Cahiers Charles V, n° 19, 1995 « Linguistique et Didactique », articles de Wendy Half,
Danielle Bailly et Marie-Aude Ligozat.
Chomsky, Noam & Halle, Morris, The Sound Pattern of English, New York, Harper & Row,
1968
Couper-Kuhlen, Elizabeth, English Speech Rhythm, Amsterdam and Philadelphia, John
Benjamins, 1993.
Cruttenden, Alan, Intonation. Cambridge, 1997.
David Crystal, Prosodic Systems and Intonation in English. Cambridge, CUP, 1969.
Foulkes, Paul & Docherty, Gerard, Urban Voices. London, Arnold, 1999.
Gadet, Françoise, Le français ordinaire. Paris, Armand Colin, 1989.
Guierre, Lionel, Règles et exercices de prononciation anglaise. Paris, Colin-Longman, 1987.
Halliday, M.A.K, Introduction to Functional Grammar. London, Arnold, 1985
Jenkins, Jennifer, The Phonology of English as an International Language. Oxford, OUP,
2000.
Morel, Mary-Annick & Danon-Boileau, Laurent, Grammaire de l'intonation. L'exemple du
français oral. Gap: Ophrys, 1998.
Trevian, Ives, « Variants and Phonetic Changes in Lexemes with Irregular Realisations : is the
English Language overcoming its Phonological Conflicts ? » In Pierre Busuttil (dir.),
Points d’interrogation, P.U.P., 1998
Wennerstrom, Ann, The Music of Everyday Speech. Oxford, OUP, 2001.
Wichmann, Anne, Intonation in Text and Discourse. London, Longman, 2000.
La BBC propose un site dédié aux variétés de l’anglais :
http://www.bbc.co.uk/voices/
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http://www.bbc.co.uk/radio4/routesofenglish/storysofar/programme1_6.shtml
Des remarques, des réflexions phonologiques sur l’anglais actuel peuvent être trouvées sur le
« phonetic blog » de J.- C. Wells :
http://www.phon.ucl.ac.uk/home/wells/blog.htm
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