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Robert Doisneau
Les clins d’œil au quotidien
« La qualité d'un photographe doit être l'espoir du miracle contre toute
logique. » Robert Doisneau.
Doisneau est le photographe des instants minuscules, du quotidien
élémentaire dont il sait extirper avec son humour fraternel les petites
pépites prises à la sauvette, comme un voleur de beauté. Si proche de
Prévert, mais pas seulement celui qui hante les rues et les détails
urbains, « Doisneau des villes et aussi Doisneau des champs », il
braconne l’inattendu, le rêve, le doux sourire sans jamais se moquer de
ses modèles.
Il a la dextérité du chasseur de papillons pour capturer les instants qui
passent, il piège les sourires du monde.
« Lorsqu'il travaille à la sauvette, c'est avec un humour fraternel et sans
aucun complexe de supériorité qu'il dispose son miroir à alouette, sa
piègerie de braconnier. » (Prévert).
Il a su avec malice faire sortir bien des petits oiseaux de son appareil
photo, sans même dire attention, toujours dans la surprise, l’inattendu,
pour servir de « marchepied aux rêves », et capter le regard de ses
sujets, regard intérieur y compris.
Il était grand amateur de calembours : « La seule différence entre Victor
Hugo et Robert Doisneau est que le second aime et pratique les
calembours. » Jean-Loup Sieff.
Bon, il n’a pas écrit la légende des siècles, mais la transhumance des
humains dans leur vie humble, dans son abécédaire de la tendresse
acidulée, sans une once de méchanceté.
Et déjà pour cela merci Monsieur Doisneau.
Ce n’est pas pour rien que Jean Dieuzaide, pour inaugurer en 1974 ce
fabuleux navire des mémoires photographiques qu’est le Château d’eau
à Toulouse, l’avait choisi pour parrain en quelque sorte, et une
exposition légendaire s’ensuivit, rendant enfin hommage à celui alors un
peu méprisé par le milieu photographique, le jugeant pas assez sérieux
et trop anecdotique, comme si la vraie vie pouvait être anecdotique.
Rieur, ne se prenant pas au sérieux, Il dit sans arrêt : « Moi, la
photographie, j'y connais rien du tout. », mais la photographie connaît
bien Doisneau et l’a rencontré souvent au détour de bien des images.
D’ailleurs ils se tutoient et s’échangent de bien bonnes histoires à se
taper sur le ventre et sur l’âme.
Ce bonhomme blagueur à l’œil vif a pourtant réalisé quelques-unes des
images marquantes de son époque, et il est devenu une sorte de trésor
national en France.
À partir de ses quelque quatre cents mille négatifs, il a fait un territoire du
tendre et de l’espiègle des gens, fait un véritable album de famille des
Français.
Comme un mineur de fond de l’or des visages et des situations, il a
ramené au jour des pépites.
« Oui, j'ai dérobé un trésor, mais au fond, je ne l'ai qu'emprunté. Je vais
rendre ce trésor que les gens transportaient avec eux sans en être
conscients ». Robert Doisneau.
Et il a promené sur les gens un grand regard de bienveillance, ne les
mettant jamais en mauvaises postures, ne se moquant jamais
méchamment, juste dénonçant quelques travers. Jamais de
spectaculaire, jamais de pathos, juste la capture des regards avec leurs
ombres, leurs joies, leurs tragiques.
"Les gens regardent droit dans l'objectif, ils vous envoient comme ça, en
pleine poire, ce regard qui est le seul héritage qu'on laisse derrière soi."
Robert Doisneau.
Lui l’amoureux des blagues carambar, de l’Almanach Vermot le plus
débridé se voulait libre, gouailleur, immédiat, refusant la désolation, le
désespoir.
Il en aura fait des voyages de bistrot en bistrot, de rue en rue, pour
guetter la vie comme un garnement guette les moments propices des
larcins. Lui a volé les visages, comme un compère, un frère déluré de la
vie et des gens.
Parfois il met en scène avec des acolytes la scène qu’il veut, le piège
qu’il tend aux promeneurs, aux bons bourgeois, aux chiens qui
s’étonnent.
Il aime la vie instantanée, et aussi provoquer le hasard par le crochepied de sa fantaisie.
Il faisait en fait « la photo buissonnière », mettant en scène son petit
monde en se marrant gentiment des bons tours faits à la disparition des
choses.
Pour lui le comble de la misère était « la stupeur devant l’irréparable. ».
Il ne pouvait se résigner, lui l’homme du rire et surtout du savoir-rire de
soi.
« Toute ma vie je me suis amusé, je me suis fabriqué mon petit
théâtre. » Robert Doisneau.
Et ce petit théâtre contient une grande partie de l’humanité.
La vie donc en instantané, comme lui homme de l’instant :
Et c'était comme si la vie, en instantané, avait fait le portrait de
Doisneau.
Simple échange de bons procédés.
Depuis déjà longtemps, Robert Doisneau fait de si belles et simplement
étonnantes images, et toujours à l'occasion des Noces et Banquets de
l'amour et de l'humour de la vie. Jacques Prévert (Automne 1975)
Il avait bien des points communs avec André Hardellet, doux piéton de la
vie et du bal chez Temporel. Mais plus encore avec Prévert, fustigeant
l’ordre, le sport, « La musique militaire, la justice militaire et la cantine
militaire. » ; les académiciens, mais pas les ratons laveurs de son ami
Prévert. Ses amis Blaise Cendrars, Maurice Baquet, étaient ses
complices.
Car Robert Doisneau plus qu’un photographe est un complice, notre
complice de la vie qui va.
Certes maintenant il remplit un peu trop l’espace, un peu trop surestimé
certes, et une indigestion de baisers plus ou moins spontanés nous
lasse, mais il est désarmant par sa malice photographique et sa poésie
proche de Prévert donc il semble l’équivalent en photographie.
Il est bien plus que ce « charmant photographe » fossilisé actuellement.
Il est un témoin, si riche en diversité, qu’il demeure insaisissable.
À l’affût du monde.
Le petit théâtre d’une vie
Robert Doisneau est né en 1912 à Gentilly, en banlieue parisienne.
Et il était tellement malicieux qu’il est décédé un premier avril, le 1er avril
à Montrouge, Paris.
Il parle de sa « Jeunesse grise derrière les rideaux de macramé d'une
famille petite-bourgeoise. »
Il étudie les Arts graphiques à l’école Estienne et obtient son diplôme de
graveur et de lithographe en 1929. Il entre dans la vie active en
dessinant des étiquettes pharmaceutiques.
En 1931, Robert Doisneau rencontre Jane avec qui il se mariera deux
ans plus tard; il devient aussi cette même année l’opérateur d’André
Vigneau où il découvrira la Nouvelle Objectivité photographique.
Il découvre le monde de la création artistique qui l'animera désormais.
En 1934, Renault de Boulogne-Billancourt, l’embauche comme
photographe industriel, Robert Doisneau, du fait de retards répétés, se
fait renvoyer cinq ans plus tard, en 1939. Désormais sans emploi, il tente
de devenir photographe illustrateur indépendant.
Robert Doisneau rencontre, peu avant le début de la Seconde Guerre
mondiale Charles Rado, le fondateur de l’agence Rapho. Son premier
reportage, sur le canoë en Dordogne, fut interrompu par la déclaration
de guerre et la mobilisation générale.
La guerre éclate alors mettant un frein brutal à ses projets.
Après guerre Robert Doisneau devient photographe indépendant en
intégrant officiellement, en 1946, l’agence de photographie Rapho.
Il se mit alors à produire et réaliser de nombreux reportages
photographiques sur des sujets très divers : l’actualité parisienne, le
Paris populaire, des sujets sur la province ou l’étranger (URSS, ÉtatsUnis, Yougoslavie,…). Certains de ses reportages paraîtront dans des
magazines comme Life, Paris Match, Réalités, Point de Vue, Regards,
etc.
En 1947, il rencontre Robert Giraud, chez l'antiquaire Romi, c’est alors le
début d'une longue amitié et d'une fructueuse collaboration. Doisneau
publiera une trentaine d’albums, dont La Banlieue de Paris, avec des
textes de Blaise Cendrars, en 1949. Il travaillera un temps pour Vogue,
de 1948 à 1953 en qualité de collaborateur permanent.
Sur son site officiel on peut lire cette belle définition de son travail :
« Il s’en va circulant obstinément « là où il n'y a rien à voir », privilégiant
les moments furtifs, les bonheurs minuscules éclairés par les rayons du
soleil sur le bitume des villes. »
Quand il meurt en avril 1994, il laisse derrière lui quelque 450 000
négatifs qui racontent son époque avec un amusement tendre et
bienveillant qui ne doit toutefois pas masquer la profondeur de la
réflexion, la réelle insolence face au pouvoir et à l'autorité et l'irréductible
esprit d'indépendance.
Doisneau la malice
Avec ses frères nocturnes comme Robert Giraud, l'antiquaire Romi, et
ses copains de comptoirs inconnus ou célèbres comme Jacques Prévert,
Robert Doisneau a écrit une poésie populaire qui a trouvé un immense
retentissement, voire exagéré tant cela éclipse ses collègues plus
exigeants.
Mais comme la poésie de Prévert s’est partout répandue, les images de
Doisneau ont été postérisé à l’infini. Elles finissent par nous hanter ou
nous détourner. Mais ce bonhomme malicieux au plus-que-parfait de
l’objectif demeure une nappe phréatique de souvenirs et de nostalgie où
il est bon de se retremper les jours de sécheresse des âmes, de canicule
accablante des sentiments perdus dans sa fraîcheur.
Lui l’arpenteur des pavés parisiens, discret, effacé, jouant avec le hasard
et la chance, autant à l’aise avec les poètes qu’avec les ivrognes,
Doisneau a écrit le roman-fleuve de la mémoire d’une époque.
Il guette toute la vie qui bouge, pêcheur de sensations et d’émotions.
« Je suis un pêcheur d’images » disait-il.
Patient, il a consacré sa vie à la quête obstinée des petits moments de
bonheur de la vie quotidienne.
Parfois aussi on frise le roman-photo, mais qu’importe.
Et dans ses innombrables images, on voit une trajectoire fidèle, unique
Son amour des gens, surtout les gens de peu, font notre passé et notre
histoire : les gamins de Paris et de banlieue, les ouvriers de chez
Renault, la Libération de Paris, les Halles, la mode, les concierges, les
bouquinistes, les tatoués, les clochards, les accordéonistes, les gentils
garnements qui tirent les sonnettes des gens endormis, et les baisers
comme s’il en pleuvait encore et encore.
Comment faire le portrait d’un oiseau demandait Prévert, comment faire
le portrait,ou plutôt l’autoportrait du monde, dira Doisneau. Simplement
comme ceci :
« On dessine un cadre et on attend avec une espèce d'espoir
complètement fou, irraisonnée. Il se passe toujours quelque chose... »
Doisneau.
Et puis finalement Doisneau n’a-t-il pas fait son autoportrait en faisant les
portraits des gens :
« Dans le fond j'ai toujours fait des autoportraits et si j'ai beaucoup de
pitié c'est parce que j'ai pitié de moi et que je m'aime bien tout compte
fait et que j'aime ces gens-là et que le petit moment de bonheur qu'ils ont
volé dans leur vie, pourquoi ne pas l'immobiliser ? »
Alors avec ses copains qui le guident dans l’exploration des rues et des
zincs qu’il va connaître « la vraie vie », celle qui est cachée aux gens
biens.
« J'ai connu grâce à mes copains tout un monde de bricoleurs de toutes
sortes. » Sa porte des Lilas à lui, comme celle de Brassens, fut la vie qui
grouille, qui rit, qui pleure. Et sans une once de méchanceté, il nous la
redonne, depuis les aubes agitées des Halles jusqu’aux mots rugueux
de l’ami Blaise Cendrars, dont le Transsibérien faisait souvent halte dans
les rues de Paris.
Sans se prendre vraiment au sérieux, il se moque du monde et de lui :
« La photo est-elle un art ? « L'observation visuelle qui remet en
question l'ordre des valeurs amène à considérer avec indifférence les
vieilles étiquettes. Aussi je ne me suis jamais posé cette question. »
Lui il s’immerge simplement, fraternellement parmi les gens, il se fait
publier, il fait partie du paysage, de leurs quotidiens :
« L'art de Doisneau c'est avant tout de faire oublier qui il est. Et de nous
obliger à le redécouvrir chaque fois, lui, Robert Doisneau, ce très grand
artiste inconnu. » Jean-Claude Carrière.
Certes Doisneau n’est pas un inconnu.
Doisneau est le plus connu des photographes de sa génération, sans
doute à tort, car il n’a pas la candeur de Boubat, la lucidité de Brassaï, le
génie d’Henri Cartier-Bresson, la profondeur de Kertész , la limpidité de
Ronis, et les posters ou les calendriers dégoulinent de ses photos
apprêtées, de baisers plus ou moins spontanés..
Mais pour tous ces clins d’œil au quotidien, son âme de poulbot qui tire
les sonnettes de la bienséance, il demeure sympathique et précieux.
La tendre nostalgie du bon vieux temps qui sourd de ses images a sans
doute un côté un peu franchouillard. Mais il est si attachant, si simple.
De plus il écrit fort bien et son livre de souvenirs est un régal.
Photos de comptoir ? Non, même s’il savait avec son appareil photo
parler l’argot, côtoyer comme dans un village les voisins, les amis,
humblement comme on partage un verre au comptoir de la vie.
Ainsi parlant des Halles :
« J'y avais beaucoup d'amis, dans cette sorte de village j'étais
photographe inoffensif considéré comme un doux maniaque, aussi je ne
peux rien comprendre aux conceptions des technocrates imbibés de
géométrie. Les buts vers lesquels ils tendent s'appellent rentabilité,
spécialisation, division du travail, efficience.
Tout ceci va diamétralement à l'inverse de ce que je venais chercher
dans les nuits des Halles, j'y trouvais l'image même... »
Malicieux photographe, poète espiègle ; sensible aux conditions sociales
des humbles et des anonymes, il est un peu le Prévert de la
photographie.
Ivre de Paris, livres de Paris, Doisneau est complicité. Il choisit ses
écrivains en tant que copains et comme lui plein d’humour tendre.
Techniquement ce qui frappe est son art du cadrage et sa faculté à saisir
l’instant, quitte parfois à le mettre en scène.
Doisneau a su nous raconter bien de jolies petites histoires.
« L'image doit être une graine qui va germer dans l'esprit de l'autre. Ai-je
réussi à refiler ma fausse monnaie ? Je ne suis pas sûr. Mes petites
histoires, va-t-on les écouter ? J'ai eu plaisir à les faire. » Doisneau.
Gil Pressnitzer
Sources
Site officiel Robert Doisneau : http://www.robert-doisneau.com/fr/
BIBLIOGRAPHIE Succincte
Le Bestiaire de la tapisserie du moyen âge. Genève, Éditions Pierre
Cailler. Texte de Jean Lurçat, photographies de Robert Doisneau1947 :
La Banlieue de Paris - Blaise Cendrars et Robert Doisneau - Éditions
Seghers, 1949
Le Paris de Robert Doisneau et Max-Pol Fouchet, Les Éditeurs français
réunis, Paris, 1974.
Un certain Robert Doisneau, Éditions du Chêne, Paris, Paris, 1986.
La Vie de famille (texte de Daniel Pennac), Hoëbeke, Paris, 1993.
Doisneau 40/44 (texte de Pascal Ory), Hoëbeke, Paris, 1994.
Robert Doisneau ou la Vie d’un photographe (texte de Peter Hamilton),
Hoëbeke, Paris, 1995.
Mes Parisiens, Nathan, Paris, 1997
Doisneau, Rue Jacques Prévert, Hoëbeke, Paris, 1999.
Pour la liberté de la Presse - Reporters sans frontières, 2000
Les doigts pleins d’encre (texte de Cavanna), Hoëbeke, Paris, 19892013.
La compagnie des zincs (texte de François Carradec), Seghers, Paris,
1991.
La transhumance de Robert Doisneau, Actes Sud, 1999
Doisneau, Les grandes vacances, texte de Daniel Pennac, Hoëbeke,
2004
Doisneau rencontre Cendrars - Éditions Buchet-Chastel, 2006
Paris Doisneau, Flammarion,2009
Doisneau, Paris Les Halles, Flammarion, 2011
Robert Doisneau: «Pêcheur d'images», Quentin Bajac, Découvertes
Gallimard, 2012
Doisneau, Brigitte Ollier, Hazan, 2013