Le Progrès Illustré L`HOMME
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Le Progrès Illustré L`HOMME
Le Progrès Illustré puisque cela vous amuse, causons de mes catout plein d'antiquité; et, doucement, la main dans la main, les yeux au ciel, où s'allumaient prices et de vos bonnes fortunes... Cela sera ça et là les étoiles, ils l'entraient par la voie tout à fait délicat! bordée de sépulcres, où leurs pas résonnaient Mais alors un brusque revirement se fit en lui. sur les grandes pierres qu'avaient foulées, deux Il eut honte, et de Vignoble instinct dont il n'amille ans auparavant, les sandales romaines. vait pas su dominer l'impulsion, et de la lâcheté Or, ce jour-là, quand ils furent arrivés auprès qu'il venait "do commettre en offensant cette du tombeau de Gecilia Metella : femme qui se donnait généreusement à lui. — Mariette, dit-il, pardon I... J'étais fou, en Ah ! mon pauvre Olivier, dit tout à coup effet... Et je sens bien, maintenant, qu'il y a Mariette, je n'ai pas de chance I... Moi qui me quelque chose de sacrilège à parler, en ce lieu, promettais tant déplaisir à faire cette promeà cette place où nous nous sommes aimés, d'aunade 1... Je ne l'aime plus, la campagne romaine, tres amours que du nôtre!... c'est fini!... Elle lui tendit sa main qu'il baisa, et ils se — Le fait est, répondit Olivier, que les envimirent à causer de choses et d'autres, théâtres rons do Paris sont autrement jolis. do Paris, musique, romans, sur un ton léger de Cent mètres plus loin, ils rencontrèrent un marivaudage mondain. Mais, en môme temps, groupe do jeunes gens qui parlaient français; ils s'observaient l'un Vautre avec la perspicacité trois ou quatre belles filles brunes, grandes et que leur donnait l'expérience qu'ils avaient droites comme des cariatides, les accompaacquise, lui, de la femme, elle, de l'homme; et gnaient. C'étaient des pensionnaires dt? la Villa ils commençaient à se voir, non pas tels qu'ils Medicis, des peintres, qui se promenaient avec s'étaient semblé en se retrouvant, mais tels que leurs modèles, ils riaient, embrassaientles belles la vie les avait faits, depuis le temps déjà loinfilles aux yeux stupides, chantaient des chantain de leur séparation.-11 parut à Mariette que sons d'atelier, disaient des calembours absurdes; son ami était devenu sceptique, moqueur et puis l'exubérante gaieté de la vingtième année blasé, que l'esprit de critique et d'ironie avait s'éteignait brusquement : les coq-à-l'àne cétari en lui la source des généreux enthousiasmes; daient la place à des réflexions .sur l'art; ils Olivier crut s'apercevoir, de son côté, que la devenaient graves tout à coup et répétaient, en petite institutrice, depuis sa métamorphose en se montrant au loin les collines d'Albano et de grande dame, avait perdu de son naturel, qu'elle Frascati : « Que c'est beau! que c'est beau! » ne gardait plus cette réserve pudique, ce charme Après quoi, ils se remettaient à rire bruyam:VinnocencG et de naïveté, qui donnait, jadis, ment et à échanger des gaudrioles, en lutinant quelque chose de presque virginal et de si touleurs compagnes. Mariette et Olivier les sui:hant à sa jeune maîtresse : et ce fut une dévirent des yeux jusqu'à ce qu'ils eurent disparu ception pour tous les deux de constater combien au tournant du chemin ; puis, sans rien dire, ils les années avaient ôté de ressemblance à l'image échangèrent un long regard. Et ce regard signi.déale qu'ils conservaient l'un do l'autre. fiait : Voilà pourtant comme nous étions!... Qu'y a-t-il donc de changé en nous? Le déjeuner fini, Mariette et Olivier s'allèrent La nuit étant arrivée, ils se firent conduire au promener par la ville. Ils entrèrent au Vatican 3t s'étonnèrent de ne plus sentir la religieuse -restaurant qu'on trouve après avoir passé le Ponte-Molle, sur la gauche du chemin qui mène émotion qu'ils éprouvaient, au moment de pénéau rocher des Nasons. Ils y étaient venus soutrer dans le sanctuaire do Raphaël et de Michelvent, en bande joyeuse, avec leurs amis, faire Ange. Ils visitèrent la Sixtine, les Stanze et les de petites fêtes où Y Asti spumante leur mettait Loges. au cœur quelque chose de la gaieté des vins de — Eh bien, dit Mariette en sortant, tu ne dis France. Ils dînèrent en tête-à-tête dans un cabirien. net dont ils reconnurent, fanée et vieillie, la — Que veux-tu que je dise?... Je vais te scantenture de perse semée de bouquets blancs et daliser, si je t'avouo que je ne trouve plus cela roses, sur fond bleu. Au dessert, Olivier deaussi beau... manda à Mariette si d'aventure elle se rappelait — Tiens, dit-elle, c'est curieux... J'ai eu la une chanson d'autrefois, qu'il avait beaucoup la môme impression... Vois-tu, mon cher, nous aimée. Elle se mit à la lui chanter ; mais il leur étions des cœurs simples, dans ce temps-là, et sembla aussitôt que la gaieté des paroles et do nous ne le sommes plus... la musique sonnait faux à leurs oreilles. — Peut-être bien... — Tu pleures? dit-il, en voyant que de grosElle soupira légèrement et ajouta après un ses-larmes roulaient dans les yeux de son silence : amie. — C'est dommage! c'était bon d'admirer... Et, la déception que l'art venait de leur cau— Ce n'est rien, dit-elle, je pense à ce pauvre ser s'ajoutant à celle qu'ils s'étaient déjà inlliHenri.,. gée à eux-mêmes, le malaise vague dont ils C'était l'auteur de la chanson, un de leurs commençaient.à souffrir augmenta. meilleurs camarades, mort poitrinaire à vingtcinq ans. Ils prirent une voiture et se firent conduire sur la Via Appia, à l'heure où le soleil déclinant — Tu pleures ! s'écria Mariette à son tour, à l'horizon colore de tons plus chauds le marbre tandis que les paupières de son amant se gondes tombeaux antiques et allonge démesurément flaient. Qu'est-ce que tu as ? Vombre des aqueducs. Au temps de leurs — Ne fais pas attention... Je pense aussi à amours, Olivier venait quelquefois, après une Henri..". journée de travail, rejoindre Manette qui l'atlisse mentaient l'un à l'autre ; car c'était sur tendait sur un banc du Pincio, et l'on sortait de eux-mêmes, non sur leur ami disparu, qu'ils •la ville, on cherchait à travers champs quelque pleuraient. Alors ils se levèrent et partirent. coin de prairie tapissé d'asphodèles, pour s'as— Rentrons, veux-tu ? dit Olivier. Ils parcouseoir l'un près de l'autre et contempler dans une rurent, sans échanger une parole, la distance exLase muette ce spectacle, le plus grand, penqui les. séparait de leur chambre, de la chambre saient ils, qui pût être au monde. pleine de fleurs où ils s'étaient aimés et où ils projetaient, quelques heures auparavant, de Puis, lorsque le soleil avait disparu, là-bas, s'aimer encore et d'être heureux comme ils du côté de la mer et d'Ostie, ils revenaient côte l'avaient été. Mais ce fut du pas lent dont on k côte, graves,- recueillis, pénétrés de la souaccompagne un mort au cimetière qu'ils firent veraine beauté du lieu et de la scène. Olivier cette dernière étape de leur pèlerinage d'amour. récitait en marchant des vers qu'elle se répétait Une mélancolie subtile s'était insinuée dans tout iout bas, où bien ils parlaient des dieux de Rome, leur être ; l'effort qu'ils venaient de faire pour qu'ils sentaient partout présents autour d'eux, ressusciter leur jeunesse et retrouver la fraî-* du radieux Apollon, dont ils venaient de voir le cheur de leurs anciennes amours, n'abrutissait :har enflammé, de la chaste Diane, dont le croisqu'à un morne, qu'à un universel désenchantesant mil ce et pâle commençait de briller au-desment. sus des montsde la Sabine; leurs âmes, enivrées par la splendeur des formes et la magie de la L'amour, Part, la nature, eux-mêmes, tout couleur, devenaient païennes, dans ce milieu leur avait successivement fourni, pendant cette vivre dans ce milieu nouveau, où rien n'éveillait des souvenirs cuisants. Au fond d'elle-même, elle espérait bien qu'un jour ou Vautre son père la ramènerait en Franco, ou bien que Henri viendrait la chercher. 11 le lui avait dit : elle était sûre qu'il le ferait. XIV Chénerol était rentré chez lui; son retour n'avait pas été tout à fait aussi agréable qu'il l'eût espéré. D'abord, sa fille l'avait assez mal reçu. Les bruits qui couraient avaient trouvé, on ne sait comment, leur chemin jusqu'aux oreilles de M mc Rodange. Qui avait parlé? Gomment avaitelle écouté? Les petites confidences secrètes, lesparlages à domi-voix, sur des poufs rapprochés dans des coins de salons mondains, avaient sans doute favorisé des propos qu'elle eût moins que personne dû entendre. Mais le monde va, si singulièrement de nos'jours, que les choses les plus extraordinaires se trouvent dites sans que personne en sourcille. Certaines méchantes langues prétendent qu'il en a toujours été de même... Peut-être; cependant, les enfants parlent ou laissent parler de leurs parents avec une liberté plus grande, semblerait-il, qu'on ne le faisait autrefois. Chénerol s'était présenté devant sa fille avec an écrin, de l'air aimable d'un père qui rapporte un cadeau ; le petit nez palpitant et les sourcils rapprochés de Marguerite, le baiser sec qu'elle lui jeta comme une pichenette, apprirent bientôt au voyageur que les apparences n'étaient plus à sauTer. Certain regard railleur de son pincesans-rire de gendre acheva de l'édifier; il battit prudemment en retraite, trop heureux d'éviter un* explication encore prématurée. Henri s'était préparc à une scène pénible. Chénerol sut s'arranger à merveille pour l'éviter; il prit en souriant d'un air distrait la clef de son bureau, que lui présentait son fils, posa quelques questions relatives aux affaires, approuva tout ce qui avait été fait et, sans allusion aucune à l'événement qui changeait le cours de sa vie, retourna à ses habitudes. Au cercle, on le regardait d'un air mi-narquois, mi-interrogateur; il n'y parut point prendre .garde. Comme on lui connaissait la lame fine et la riposte acérée, on le laissa tranquille. Tout marchait à souhait ou à peu près. Villeroy avait fourni à sa femme le prétexte d'une instance en divorce ; celle-ci avait quitté l'hôtel du boulevard de Courcelles pour un joli petit appartement du quartier Marbœuf ; l'affaire suivait son cours, et ce n'était plus qu'une question de temps. Chénerol aurait dû être content, et il ne l'était pas. Le regard sérieux de son fils le suivait partout, même dans des endroits dont Henri n'avait pasla moindrenolion; l'expression de ses yeux, jadis jeunes et rieurs, maintenant graves comme ceux d'un homme mûr, pesait sur le père, pareille à un reproche. Un soir, se trouvant seuls après le dîner, ils s'étaient approchés du billard et avaient commencé une partie pour se donner une contenance; souvent, ne trouvant rien à se dire, ils étaient embarrassés de se trouver ensemble. Chénerol était beaucoup plus fort que son fils; mais, ce jour-là, il jouait sans entrain et sans attention. Après avoir manqué deux ou trois coups faciles pendant que Henri marquait ses points, obtenus sans grande peine, Chénerol dit d'un air indifférent : . • — Tu sais que mon mariage aura lieu en décembre? promenade funeste, dos sujrls de déconvenue, do regret ou de tristesse. Quand ils furent, arrivés à la porte, ils se regardèrent, chacun d'eux espérant trouver dans les yeux de Vautre une> lueur qui le réconfortât : mais il faisait nuit dans leurs yeux comme au fond de leurs àmos, et ils restèrent là, immobiles, sentant h chaque seconde qui s'écoulait quelque chose d'infranchissable s'élever entre eux et les séparer à jamais, — Demain, mon ami, dit enfin la marquise en lui tendant la main. Je suis lasse !... — Gomme vous voudrez, répondit-il ; moi aussi, je suis las... Bonsoir, Mariette !... — Adieu, Olivier!... Et ce fut tout. Le lendemain, Olivier s'éveilla tard. Le garçon de l'hôtel lui remit une lettre. Elle était de Mariette et portait : <( Lorsque vous recevrez ce mot, je serai partie... Nous nous sommes trompés, mon ami, en demandant à notre tendresse d'autrefois quelque chose d'autre ou de meilleur qu'un souvenir. Gardons pieusement cette rose fanée et ne cherchons pas à la faire refleurir. Je ne suis plus la Mariette que vous avez chérie et vous n'êtes plus l'Olivier que j'ai tant aimé. Je vous prends à témoin que nous nous sommes cherchés et que nous ne nous sommes plus retrouvés. Quelque chose nous manque à tous deux que rien ne remplace : l'ingénuité du cœur et la jeunesse. C'est pourquoi nous avons fait une tentative vaine en essayant d'être heureux de nouveau l'un par l'autre, comme au temps où nous étions naïfs et où nous avions vingt ans : l'amour ne se recommence pas. r> Georges Duruy. • L'HOMME-BICYCLE I C'était un garçon de la Provence, nommé Mar k s . On sait que cette région produit en quantité des hommes d'une force extraordinaire, des lutteurs et des phénomènes de toute sorte ; et c'est au point qu'un homme-serpent qui ne serait pas du Midi n'aurait, pour ainsi dire, aucune chance d'arriver à une situation quelconque. Non seulement Marius en était, et de père en fils depuis de nombreuses générations, mais encore il se montra dès son jeune âge doué d'une façon exceptionnelle pour les exercices du corps. Le bicycle jouissait à cette époque d'une vogue fabuleuse, et il avait fini par remplacera peu près complètement tous les autres genres de locomotion. Il faisait partie intégrante de l'éducation des jeunes gens de la bourgeoisie.; le lycées et les collèges avaient des professeurs de bicycle, et la seconde partie du baccalauréat es lettres comportait un examende bicycle dans le oonrs de la Faculté. On donna un bicycle à Marius lorsqu'il eut atteint sa quatrième année. En l'apercevant, et sans qu'on lui eût fourni. la moindre indication, Marius sauta sur l'instrument, et, au bout de cinq minutes, aucun des mystères du bicycle ne lui était étranger. Sa famille fut émerveillée et comprit aussitôt qu'il serait un jour l'un des maîtres de ce sport. Et, au lieu de contrarier sa vocation, comme les parents n'ont que trop coutume, le père de Marius laissa son fils s'abandonner à ses instincts naturels. L'enfant était d'ailleurs d'une rare intelligence, et, tout en cultivant le bicycle avec ferveur, il ne dédaigna pas les exercices purement intellectuels. Entre deux records, il apprenait la lecture ou un peu d'arithmétique, et il n'avait pas seize ans, qu'il savait déjà lire, écrire et compter, comme s'il n'eut fait que cela toute sa vie. Les succès les plus flatteurs récompensèrent ses hautes capacités. Ce fut lui qui gagna en 1900 la grande course de Paris-Kamtchatka organisée par la presse française en l'honneur de la fin du siècle. Toutes les nations avaient 3 envoyé d^s représonlants à celte épreuve solennelle : les Anglais n'arrivèrent qu'en seepmh* ligne, dislancés par Marius do plus de quinze cents lieues, et ce succès magnifique augmenie encore le prestige de la Provence dans l'opinior. publique. Avoir le jeune méridional, monté sur son bicycle, on eût juré que le bicycle et lui ne faisaient qu'une seule et même personne ; et c'était une question que l'on pouvait se poser, de savoir si c'était Marius qui conduisait son bicycle ou le bicycle qui entraînait Marius, tant leurs mouvements communs étaient aisés, amples et harmonieux. Vous connaissez cette histoire d'u î acrobate fameux qui arrive un jour sur les mains dans la salle à manger familiale. En l'apercevant, sa fille murmure : a Oh 1 papa marche les pieds en l'air et la tôle en bas. Il doit être préoccupé. » Ainsi, lorsque Marius n'était pas sur son bicycle, il avait un air gauche et emprunté : il lui manquait visiblement quelque chose. 11 en était même venu à ce point qu'il avait besoin de cet instrument pour accomplir les actions les plus simples de la vie, pour passer d'une pièce à l'autre do son appartement, pour s'aller mettre à table, et il ne dormait d'un sommeil paisible qu'avoc son bicycle entre les jambes. Cependant, à l'âge de vingt ans, ayant épuisé toutes les joies que les bicycles de ce monde peuvent procurer, il fut saisi de mélancolie. 11 murmurait : e Je suis le plus fort dcsbicyclistcs connus ; tout ce qu'on peut faire avec un bicycle, je l'ai accompli et au delà. J'ai parcouru les cinq parties du monde, j'ai étonné mes contemporains. J'ai vidé la coupe des triomphes. Que me reste-t-il à faire? Oh! l'humanité est bien bornée ! » Et il poussait de longs soupirs sur la vanité de toutes choses. Un matin, après avoir ruminé ces tristes réflections, il monta machinalement sur son bicycle et s'élança dans là campagne. II Il ne tarda pas à éprouver une sensation étrange. Il avait beau rouler avec une rapidité vertigineuse, il n'avait plus la notion de l'effort ni de la fatigue. Il lui semblait que le bicycle entrait pour ainsi dire on lui, devenait une partie intégrante de son individu. Ses mains dirigeaient le gouvernail machinalement, comme si c'eût été un de ses propres doigts, ses pieds et les pédales étaient confondus au point qu'il ne savait plus où finissait sa chair et où commenaçait le bicycle. Ayant heurté un caillou pointu avec une roue, il eut le même mal que s'il avait marché pieds nus sur des pierres. o Voilà qui est particulier ! » s'écriait-il. Il modéra son allure, s'arrêta et essaya de descendre. Mais alors il crut que la folie s'emparait do lui ou qu'il était victimo de quelque cauchemar inouï. Il voulut se pincer le bout de l'oreille avec les doigts pour se réveiller, ainsi que c'est la mode en Provence, mais ses mains no purent se détacher du gouvernail. Il voulut retirer ses pieds des pédales : ses pieds restèrent implacablement fixés. Il tenta do hausser son séant : son séant et le siège du bicycle étaient inséparables l'un de l'autre. En proie aux plus bizarres pressentiments, tourmenté d'une inquiétude inexprimable. Marius rentra chez lui et expliqua à sa famille le phénomène surnaturel dont il était le jouet. Ses parents se moquèrent d'abord de lui, supposant une de ces farces comme les méridionaux ont l'habitude de s'en faire entre eux, « Descends de ton bicycle, eh ! feignant 1 » lui crièrent ses petits frères. 11 fallut que Marius versât d'abondantes larmes pour qu'on commençât à prendre son aventure au sérieux. -**• « Tel tu t'es empêtré là-dessusI lui dit son père. Attends, je vais te retirer de là, nigaud. » Mais, quelque effort que fit le père de Marius, il fut incapable de disjoindre son fils et le bicycle. Alors, comprenant qu'il se passait quelque chose de fantastique, touie la famille se mit à genoux et adressa des prières au ciel en san- Henri se sentit froid au cœur : rien n'était franchise. Henri, si tu avais cette idée... avant, plus prévu, et mémo plus désirable; mais Vanou bien si elle t'es venue... depuis. Gela ne fait nonce officielle de l'événement lui faisait presrien du tout, tu comprends, -mais j'aimerais que peur. Il ne sut que répondre et regarda son pourtant à le savoir. père, attendant la suite de cette communicaIl avait posé la main sur l'épaule de son fils tion. et le regardait dans les yeux avec une certaine Chénerol se pencha sur le billard, parfaiteinquiétude : ce père très peu père se tourmenment maître de lui-môme en apparence, et fit, tait de la pensée qu'il avait peut-être, sans le coup sur coup, cinq carambolages ; ayant manvouloir, chassé son fils de la maison paternelle. qué le sixième, il mit du blanc et attendit que — J'y pensais avant, mon père, repartit son fils eût joué. La main de Henri tremblait, Henri en lui rendant un regard d'une pareille car il envoya sa bille rouler sur le parquet. Un franchise. peu honteux, il la ramassa et attendit... Chénerol, avec un très léger soupir d'aise, laissa retomber sa main. Un mouvement machi— Eh bien? fit Chénerol, nerveux malgré son nal le poussait vers le billard; il s'arrêta : assurance. Henri gardait lo silence, très embarrassé, un — Et... quelle est l'élue? fit-il avec une bonne peu irrité de l'insistance de son père, grâce hésitante. — As-tu quelque objection à me présenter? Henri no répondit pas. 11 reprit : reprit celui-ci pendant qu'un peu de rouge mon-, — Je la connais? tait à ses pommettes. — C'est Madeleine Villeroy, dit le jeun* — Je ne me le permettrais pas, répondit vive- homme d'une voix grave. ment le jeune homme. Chénerol pâlit autant que le permettait son teint mat et peu coloré. Tout à coup,âl eut l'intuition que jamais occasion plus favorable ne se présenterait pour — Diable! fit-il pour toute réponse. parler do Madeleine, et il continua, s'efforçant — T u n e vois pas d'objection, j'espère? du de prendre un ton léger : Henri avec uno certaine âpreté cachée. — Moi? Certes non! Mais... — Si tu voulais, père, nous pourrions faire coup double. Il s'arrêta : que pouvait-il ajouter? — Eh bien? Chénerol le regarda, stupéfait.On a beau s'ètro marié à vingt et un ans, on a beaucoup plus de — Cela n'ira peut-être pas tout seul! mal à s'imaginer que son enfant, à peine plus Chénerol, en achevant cette phrase, alla replaâgé, soit désireux de faire de même. cer la queue qu'il tenait à la main; il-revint ensuite vers son fils et s'assit sur un dos larges —r Tu veux te marier, toi? demanda-t-il, un divans qui longeaient le mur. demi-sourire aux lèvres. — Pourquoi? fit Henri. Henri répondit par un signe de tête. — Pauvre petit 1 fit Chénerol, d'un ton mirailleur, mi-sérieux. Tu es bien jeune !... Oui. je (A suivre.) sais ce que tu vas me dire; n'en prends pas la peine : c'est inutile. Dis-moi seulement en toute