Entretien avec Maurice Frydland Entretien avec Maurice Frydland

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Entretien avec Maurice Frydland Entretien avec Maurice Frydland
Hommage
à Claude Miller
Entretien avec
Maurice
Frydland
Luc Béraud
Le bureau
Et voilà comment se brise une amitié de plus de quarante ans.
Et même si c’était prévisible, ça reste brusque et violent.
Maintenant, il va me falloir vivre sans savoir qu’ici ou là le regard, l’écoute, l’affection de Claude vont venir
tempérer mes indignations ou mes emportements. Car c’était un des traits de son caractère complexe que de calmer
les choses. Combien de fois, pour avoir la paix, pour préserver sa tranquillité, il a fait semblant d’être d’accord avec
moi. La bagarre n’était pas son goût. Il réservait sa violence pour ses films.
Si, dans la vie courante, il montrait de la mesure et parfois même une certaine indifférence, c’était pour s’en passer
dans ses films. Car ses films sont des œuvres de l’excès, du dépassement, de la transgression. Ses personnages sont
immodérés, insolents, extrêmes et déraisonnables mais, comme lui, tapis sous des allures urbaines et polies.
Dites-lui que je l’aime et Le Sourire, qui sont ses films les plus personnels, où il laisse le plus libre cours à sa violence
et à sa démesure, sont ceux qui ont le moins bien marché. Pourtant, ce sont ceux que je préfère parce qu’ils lui
ressemblent le plus. Je sais combien dans Dites-lui il a glissé de souvenirs d’enfance et Le Sourire est une projection
autobiographique.
D’ailleurs, je me souviens qu’il m’avait proposé qu’on l’écrive ensemble. Nous avons fait quelques séances et puis,
un jour, il m’a dit qu’il pensait qu’il devait continuer seul. Écrire, c’est se jeter dans le vide sans protection et, comme
il savait à quoi il voulait arriver, il craignait que de le faire à deux soit une manière de se rassurer, de se protéger.
Comme cette fois où, pour La java – ce grand film qu’il n’a jamais pu faire, nous avions mission, pour une scène,
d’écrire un dialogue pornographique. Comme nous le faisions quand nous écrivions, on construisait ensemble mais
on écrivait séparément. Et quand nous avons dû confronter nos écrits, Claude m’a tendu sa feuille car il n’osait pas
me la lire… Pudeur de l’homme mais déchaînement de l’artiste.
Ensemble, on citait souvent cette phrase de Pierre-Henri Roché reprise par Truffaut dans Les Deux Anglaises :
« Les chiens sont lâchés. » Écrire pour Claude consistait à lâcher les chiens !
Pour évoquer cette énergie qu’il a investie jusqu’au bout pour mener à terme son Thérèse Desqueyroux, je peux
vous dire qu’il est entré dans le coma qui l’a emporté une douzaine d’heures après qu’il eut contrôlé le travail de
l’affichiste, fait l’entretien pour le press-book et connu le destin de son film à Cannes. Le film achevé, prêt à être
communiqué au public, il pouvait s’en aller.
Beau courage et belle opiniâtreté.
C’est pourquoi, en plus d’un grand cinéaste et d’une belle personne, je pleure aujourd’hui un de ces êtres qui
donnent du goût à la vie.
11 avril 2012
Notre ami Maurice Frydland, cofondateur du
Groupe 25 Images et des Rencontres internationales
de télévision de Reims, où nous avons découvert des
œuvres venues d’ailleurs et des séries passionnantes,
nous a fait part de son désir de quitter le bureau du
Groupe 25 Images au prétexte que, ne tournant plus
de films, il n’y avait plus sa place.
Nous le regrettons. Maurice reste néanmoins membre
du Groupe.
Il se consacre désormais à l’écriture et n’a rien perdu de sa liberté de penser.
Cette décision est l’occasion pour nous de revenir sur sa longue pratique de réalisateur au sein de la
télévision publique et privée.
Groupe 25 Images : Maurice, tu as traversé une partie de
l’histoire de la télévision, que penses-tu de ce qu’elle est devenue
aujourd’hui ?
Maurice Frydland : Personne ne pouvait prévoir que la télévision
deviendrait ce qu’elle est et qu’elle prendrait une telle importance.
La grande période de son expansion, ce sont les années 70. Entre
1960 et 1970, grâce à la redevance, la télévision s’est développée.
Grâce aux réseaux des télécoms, on a pu couvrir la France de
relais pour en permettre l’accès pour tous. On a pu supprimer
tous les trous noirs. Un paysan au fond de la Creuse pouvait alors
recevoir la télévision avec au moins deux chaînes, si ce n’est trois.
Donc jusqu’en 1974, on peut vraiment parler d’une période
d’expansion et de richesse des programmes. À partir de cette date,
on a vu cette tendance s’évanouir, puis réapparaître durant la
« mini-période d’âge d’or » de 1981 à 1985 à Antenne 2 avec la
présence de Pierre Desgraupes à la tête de la chaîne.
GR25I : Et de Claude de Givray à TF1, non ?
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M. F. : De Givray a fait la jonction entre la télévision publique
et la télévision privée. Il était un créateur, il avait une vision
très personnelle, il considérait que la fiction télévisuelle, c’était
l’équivalent de la série B du Hollywood dans les années 40.
C’est à partir de là qu’on a vu l’explosion du polar sur TF1 et plus
tard sur le service public, qui s’est mis à courir derrière elle.
A l’époque, il n’y avait pas de CSA, pas d’organisme de régulation.
Ça a fonctionné comme ça jusqu’en 1974. On avait des bons
représentants gaullistes à la tête des chaînes. C’était Jean-Louis
Guillaud sur la première chaîne, Claude Contamine sur la
deuxième, et un autre sur la troisième. C’était parfois des gens très
bien. Il y avait aussi un homme adorable et très cultivé que j’aimais
beaucoup en tant que directeur des documentaires et du cinéma,
Yves Jaigu, récemment disparu. Il avait une haute idée du service
public et de la télévision. Il faisait travailler tous les réalisateurs
« communistes » parce qu’ils avaient du talent. (Rire) Et aussi
parce que ces réalisateurs s’appelaient Stellio Lorenzi, Jean-Pierre
Marchand…
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GR25I : Et c’est à partir de ce moment que tu as commencé a
travailler avec Françoise Verny comme coscénariste ?
L'arme au bleu avec Jean-Michel Dupuis, Pierre Arditi, Maurice Vaudaux, Richard Anconina (1981)
GR25I : Pierre Bouteiller a dit dans un livre qu’il y avait un accord
tacite entre le pouvoir politique et les directeurs des chaînes : « Vous
nous laissez l’information et nous vous cédons les programmes de
distraction et la fiction…».
M. F. : Oui absolument, et ça je l’ai vécu. Il y avait quand même
une exception, c’était 5 Colonnes à la une. Cette émission présentée
par « les trois Pierre » : Dumayet, Desgraupes, Lazareff, avec Igor
Barrère. C’était les seuls, dans les années 60, à faire des reportages
sur la guerre d’Algérie, les seuls qui pouvaient mettre le doigt là ou
ça faisait mal. Après 1968, les directeurs de chaîne convoquaient
des réalisateurs et des journalistes un par un pour leur demander
s’ils avaient participé à Mai 68. S’ils répondaient « oui », ils étaient
blacklistés pendant des années. Personnellement pendant dix-huit
mois, j’ai eu beaucoup de mal à travailler.
GR25I : Quand est-ce que tu as commencé à travailler pour la
télévision ?
M. F. : J’ai commencé sous l’ORTF grâce à Jacques Thibault.
Gaulliste de gauche, il voulait absolument casser le monopole de
certains syndicats qui entretenaient un corporatisme très puissant à
la télévision. Des gens comme nous, ayant toutes les compétences
mais étant complètement extérieurs à la télévision, ne pouvions
pas travailler. Une des émissions qui a cassé ce monopole en allant
chercher tous les réalisateurs à l’extérieur, c’était Dim, Dam, Dom.
Gérard Pirès, Claude Miller ont ainsi débarqué sur l’émission…
GR25I : Tu peux dater cette période ?
M. F. : Oui, c’était en 1966, 1967. C’est comme ça que je suis
rentré dans le monde de la télévision, grâce à des circuits, à des
copains, mais ça se passe toujours comme ca. Et puis il y a eu
la grande crise de 1968. La télé est restée muette pendant toute
cette période. En 1969, Pompidou a voulu faire un effort, et il
a libéralisé la télévision. Chaban-Delmas était alors Premier
ministre, souvenez-vous du fameux discours sur la nouvelle société
écrit par Jacques Delors. Il a fait appel à Pierre Desgraupes, c’était
un geste très fort puisqu’il avait fait partie des grévistes de 68,
il était donc sur la liste noire. Il s’est alors retrouvé à la tête de
TF1 avec son ami Pierre Dumayet. Comme un bonheur ne vient
jamais seul, il a eu l’idée géniale de faire appel à Olivier Todd pour
présenter une émission phare de l’époque qui s’appelait Panorama.
C’était l’émission hebdomadaire d’actualité, comme on peut avoir
Envoyé spécial aujourd’hui. Todd, qui a été débauché de Libération
à l’époque, a dirigé l’émission pendant dix-huit mois. Il a fait
appel à des jeunes gauchistes comme moi. On travaillait tous pour
Panorama ! On roulait des mécaniques dans les couloirs parce
que c’était l’une des émissions les plus regardées. Ça a été un vrai
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coup de tonnerre. On avait fait un portrait de Georges Marchais,
de Roland Leroy qui était directeur de L’Humanité et membre
du bureau politique, et de Paul Laurent, un des secrétaires du
PC et qui était le père de l’actuel Pierre Laurent, patron du PC.
Ils avaient chacun environ 17 minutes d’antenne, ce qui était une
véritable révolution. Ça a donc été le premier bol d’air.
Mais dès 1972, Pompidou met brutalement fin à l’expérience
Chaban-Delmas de la nouvelle société. Delors est renvoyé à ses
brillantes études. La télévision se referme comme une huître.
Desgraupes, Dumayet et les autres sont débarqués et ils vont
tous rester blacklistés jusqu’en 1981, avec l’arrivée de Mitterrand
aux affaires. Je ne savais pas du tout quoi faire, comment réagir.
Je rencontre alors un ami, Bernard Bouthier qui a beaucoup
travaillé avec Pascale Breugnot. C’était son éminence grise, un
type très talentueux. A cette époque, il y avait une émission qui
me faisait rêver, c’était Les cent livres, réalisée par Claude Santelli
et Françoise Verny. Alors je lui demande comment il a fait pour
travailler pour Les Cent Livres. Il me dit c’est très simple, tu appelles
Françoise Verny, tu vas voir c’est quelqu’un de très ouvert, elle te
recevra. (Rire). Je prends mon courage à deux mains, et un jour
à 9 heures du matin je l’appelle chez elle et je lui parle de l’objet
de mon appel. Elle me dit « pas de problème, vous êtes libre cette
après-midi vers 16 heures ?Passez me voir chez Grasset, rue des
Saints-Pères ». De mon côté, j’avais préparé quelques sujets sur
lesquels j’avais envie de faire Les Cent Livres. Je pensais à Aragon,
à Diderot. J’arrive donc rue des Saints-Pères et je découvre cette
femme, très sympathique avec une poignée de main incroyable.
Je lui raconte alors mon parcours, l’assistanat au cinéma, tous les
gens que j’ai connus, de Bluwal à François Villiers… Puis je lui
parle de mon trajet à la télévision, le grand reportage, le magazine.
Là, elle me dit que ça l’intéresse et me demande ce que je veux faire
aux Cent Livres. Je lui parle de mes deux projets. Elle me prévient
tout de suite que Diderot, c’est la chasse gardée de Santelli et
qu’Aragon ce n’est pas mal mais que la négociation des droits avec
Gallimard sera compliquée. Mais elle me dit, en ce début de mois
de septembre, qu’elle a une émission qui est programmée, qui
doit être tournée en novembre, que l’équipe est formée mais qu’il
manque le réalisateur. C’était une émission sur Chateaubriand
et Mémoires d’outre-tombe. Elle me demande si ça m’intéresse.
Je dis « bien sûr, c’est formidable ». Je n’avais alors jamais ouvert
un livre de Chateaubriand de toute ma vie, elle décroche son
téléphone et appelle Claude Santelli au Studio Pathé. Elle lui dit
alors : « Claude, j’ai trouvé un jeune réalisateur qui connaît tout
de Chateaubriand et qui va nous faire un Mémoires d’outre-tombe
formidable ! » (rire)
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M. F. : On s’est tout de suite très bien entendus. Elle était éditrice,
directrice littéraire chez Grasset. Elle avait fait Normale Sup et
était agrégée de philosophie, très croyante. Elle a contribué à la
naissance de trois réalisateurs de la télévision. Le premier c’est
Serge Moati, le deuxième Michel Favart et le troisième, c’est moi.
Elle nous a vraiment mis le pied à l’étrier. Elle m’a demandé si
je voulais faire de la fiction. J’ai dit oui, bien sûr. Elle m’a dit
alors voilà, je te propose trois livres, tu en choisis un et on va en
faire une fiction. Il y avait un Mauriac, Le Mystère Frontenac, un
Maupassant et un Zola. J’ai choisi le Mauriac. Elle m’a demandé pourquoi. J’ai répondu que ce livre évoquait une enfance que je
n’avais jamais eue et je lui raconte ce que j’avais vécu pendant
la guerre. Là, elle tombe de sa chaise, et me propose un contrat
pour que j’écrive mon histoire. Je lui ai dit que j’étais incapable de
parler de moi et encore moins d’écrire mes souvenirs. Ce qui est
drôle, c’est que je suis en train de le faire maintenant, quarante ans
après. Donc je lui raconte ma guerre, ma rencontre avec la peur,
les gens qui m’ont aidé. Le périple d’un enfant juif qui passe de
famille en famille, séparé de ses parents et de sa sœur, et qui perd
son identité… Et je lui explique que Le Mystère Frontenac, c’est
l’enfance dont j’ai toujours rêvé.
GR25I : Mais justement, dans quel cadre institutionnel, ces
décisions se prenaient-elles ? Quel poste occupait-elle au sein de
l’organigramme de l’ORTF de l’époque ?
M. F. : Aucun. Ça se passait uniquement sur un plan relationnel.
Elle était extérieure à l’ORTF.
GR25I : Quand tu dis qu’elle était productrice, elle était directrice
de collection, plutôt, non ?
M. F. : Oui, aujourd’hui on l’appellerait comme ca. Elle ne
produisait pas, elle proposait. Mais à l’époque, ces gens avaient
l’étiquette de producteur.
GR25I : Donc c’était une chercheuse d’idées et de talents pour le
compte de l’ORTF.
M. F. : Exactement. Elle recevait un cachet de producteur/auteur.
C’est comme ça que ça se passait. Et elle accédait aux droits
d’auteur de la SGDL.
GR25I : Donc, les réalisateurs allaient voir le directeur de
collection, en l’occurrence Françoise Verny, pour proposer des
sujets ?
… entretien avec Maurice Frydland …
M. F. : Certaines personnes avaient décrété ça, ils ne voulaient pas
que les réalisateurs soient scénaristes ! Ça date de l’éclatement de
l’ORTF en 1974.
GR25I : Mais les trente réalisateurs dont tu parles étaient quand
même à l’origine de leurs projets et pouvaient quand même choisir
leur scénariste, non ?
M. F. : Oui, dans l’ensemble, mais pas toujours. Des gens comme
Jean Cosmos n’étaient pas choisis par les réalisateurs. Cosmos,
scénariste de L’Homme du Picardie. Loursais, l’homme des
Cinq dernières minutes, était son propre producteur, son propre
réalisateur. C’était les rois du pétrole à l’époque. C’était eux qui
choisissaient les réalisateurs.
GR25I : Enfin … Bluwal choisissait…
M. F. : Bluwal, Santelli, c’était des gens à part. Bluwal, c’était un
espèce de monstre sacré qui était l’ORTF à lui tout seul! J’étais son
assistant à l’époque.
GR25I : Continuons sur la pratique du réalisateur. Donc, tu
écris le scénario avec Françoise. Ensuite ? Tu choisis tes acteurs ?
Tu rends des comptes à qui ?
M. F. : Après, tu es le patron absolu de ce que tu fais. C’est comme
au cinéma. Tu ne rends de comptes à personne. Tu ne discutes
qu’avec ton scénariste. Moi, j’ai fait ma première distribution
avec Françoise. On discutait beaucoup, mais j’avais carte blanche.
Elle ne m’aurait jamais imposé un acteur.
GR25I : Tu tournais en combien de jours à l’époque ?
M. F. : C’est drôle, ça n’était pas tellement plus long
qu’aujourd’hui, 23 ou 24 jours. C’est d’autant plus intéressant que
je dirais que maintenant les gens ont proportionnellement plus
de temps de tournage que moi je n’en avais à l’époque. Quand je
faisais des nuits je travaillais avec des projecteurs à arc qu’il fallait
« charbonner » régulièrement. Ça prenait du temps. Tu ne pouvais
pas faire beaucoup de plans, la nuit.
GR25I : Il y avait beaucoup de personnel pour les mettre en
œuvre.
M. F. : C’est vrai. Ils étaient quatre pour porter un arc de 225
ampères. C’était très encombrant et très lourd, mais ça générait
une magnifique lumière.
GR25I : C’était tourné en décors naturels, en studio ?
M. F. : En l’occurrence, c’était elle qui appelait les gens plutôt que
le contraire. D’abord, on était très peu de réalisateurs à l’époque,
cent cinquante au maximum, tous genres confondus : les directs,
les journaux, le sport, etc. Et tu avais les réalisateurs qui faisaient
de la fiction et qui étaient issus de l’école des Buttes-Chaumont.
C’est-à-dire qu’ils s’étaient fait les griffes sur les grands directs,
Bluwal, Badel, Santelli… mais ils étaient peu nombreux, une
trentaine environ.
GR25I : Revenons à toi. On te propose donc de faire Le Mystère
Frontenac.
M. F. : Je fais donc le film, que j’écris avec Françoise. Mais à
l’époque on n’avait pas le droit de cosigner l’adaptation en tant
que réalisateur.
GR25I : Pourquoi ?
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… entretien avec Maurice Frydland …
M. F. : Ça dépendait. Tu pouvais avoir un budget pour le studio
si tu ne trouvais pas le décor naturel. Tu avais des décorateurs, des
ensembliers, des accessoiristes qui travaillaient ensemble. C’était
des équipes lourdes, comme au cinéma ! 50, 60 personnes.
M. F. : Tu plaisantes, il devait y avoir un nouveau film par
semaine ! Et seulement pour Antenne 2. C’était d’autres unités
de programme sur la trois, mais leurs films étaient tournés en
région. Les films France 3 se faisaient avec de plus petits moyens.
On commençait à voir apparaître quelques privés mais c’était
essentiellement des productions de la SFP. C’est à la suite de
L’Epingle noire et devant le succès de la série qu’on va me proposer
de faire Docteur Cornelius. Gallo avait de grandes ambitions pour
ce projet. Il avait des envies de Polanski, de Tavernier, qui refusent
tous les deux.
GR25I : Aujourd’hui, on reparle du « tout-série ». On s’aperçoit
que ce n’est pas une nouveauté, puisque toi tu avais fait L’Epingle
noire
M. F. : Mais même bien avant moi ! Michel Drach avait fait
Les Compagnons de Jehu. Oui, les séries existaient déjà dans les
années 70
GR25I : C’était combien d’épisodes, L’Epingle noire (1982) ?
GR25I : Il y avait déjà cette idée d’aller chercher des réalisateurs
de cinéma. C’était déjà plus chic que de faire travailler les gens de
télévision ?!
M. F. : C’était 6 fois 52 minutes. C’est donc un format très
ancien.
GR25I : Est-ce que tu avais le sentiment que ta place, tes
prérogatives de réalisateur avaient changé quand tu as fait cette
série ou c’était toujours le même système ?
M. F. : Non, j’étais le patron absolu. Jean-Pierre Gallo était mon
producteur à la chaîne, je n’avais pas de producteur à la SFP…
GR25I : … Tu parles de la SFP...
M. F. : Oui. Il y a eu toute cette structure où les chaînes avaient
entre leurs mains les producteurs délégués et artistiques pour
les documentaires, les variétés, la fiction. Pour ce qui est de la
fiction, c’était « l’âge d’or », de 1981 à 1985. À cette période,
Desgraupes était directeur général d’Antenne 2 et il y avait deux
types remarquables, des réalisateurs, qui dirigeaient la fiction,
Jean-Pierre Gallo et Jacques Trébouta. Il y avait aussi Jean Capin,
qui, lui, était responsable de tout le côté polar.
GR25I : Revenons à la série dans les années 70- 80. Est-ce que les
décisions se prenaient de la même façon qu’au temps du Mystère
Frontenac ?
M. F. : Tout à fait. Si quelqu’un avait une idée, il y allait. Il n’y
avait pas d’unité de programme, ça n’existait pas.
GR25I : Il y avait des gens dans les chaînes qui disaient : nous,
on a envie de faire des adaptations, des polars… ? Mais revenons
à L’Epingle noire…
M. F. : Ce n’est pas moi qui ai apporté l’idée de L’Epingle noire.
C’est encore une anecdote très étonnante. Il existait dans la
tradition de l’époque ce qu’on appelait le feuilleton de Noël, un
feuilleton de prestige. Et cette année-là, le feuilleton qui avait été
choisi, c’était L’Epingle noire, tiré d’un livre écrit par Dominique
de Saint-Alban. A l’origine, c’est Jean-Pierre Gallo qui devait
le réaliser et pas du tout moi. Là-dessus, Pierre Desgraupes est
nommé patron d’Antenne 2, et il a tout de suite appelé ses amis
Gallo et Trébouta en leur disant : « Vous allez venir avec moi.
Je vais créer des unités de programme, et vous allez vous occuper
de la fiction ! » A cette période, ils étaient tous les deux au zénith
de leur carrière de réalisateurs.
comme elle avait été définie par la commission Moinot, on
aurait eu la plus belle télévision du monde. C’était une télévision
d’utopistes, c’était formidable !
GR25I : La mise en place d’unités de programme, c’est donc une
idée de Desgraupes.
GR25I : Desgraupes a donc suivi ses recommandations.
M. F. : Absolument. Cette idée vient du rapport Moinot.
La commission Moinot, qui s’était réunie juste après la victoire de
Mitterrand en mai 1981, avait planché pendant un mois et demi
sur la question de comment réorganiser la télévision. Dans cette
commission siégeaient des gens comme Failevic, Santelli, Gallo,
Trébouta, des producteurs et des administratifs de l’époque de
la télévision. L’idée des unités de programme vient de là. Cette
idée d’avoir des producteurs exécutifs à l’intérieur des chaînes, qui
seraient des créateurs, responsables d’un certain nombre d’heures
d’antenne. C’était ça, la grande idée : les créateurs devenaient des
décisionnaires. Toute la commission Moinot était composée de
créateurs. Moi, ça me rendait dingue de ne pas avoir été choisi !
Mais je n’étais pas un réalisateur assez prestigieux à l’époque.
GR25I : Cette idée qu’il fallait des unités de programme dirigées
par des créateurs qui donnent l’impulsion sur la création de la
fiction, ça vient donc de Desgraupes et de cette commission
Moinot ?
M. F. : Oui, ça vient de la gauche. C’est Mitterrand qui avait eu
l’idée de mettre en place cette commission Moinot.
GR25I : Qui était monsieur Moinot ?
M. F. : Grand résistant, haut fonctionnaire, écrivain, membre
de l’Académie française, il était l’un des adjoints de Malraux aux
affaires culturelles. C’était une sorte d’éminence grise des affaires
culturelles, je crois que sous son égide, si on avait fait la télévision
M. F. : Oui, totalement. La preuve en est qu’il a nommé trois
créateurs à la tête des unités de programme. Jean Capin n’était
pas réalisateur, mais il avait été aussi secrétaire général de la
compagnie Jean-Louis Barrault et il était romancier et scénariste.
Un administrateur travaillait avec eux. Il leur administrait un
budget et, à la fin de l’année, ils devaient livrer un certain nombre
d’heures de fiction. Entre les trois, ils avaient une liberté absolue.
Personne d’autre n’intervenait sur les choix. Gallo, choisi par
Desgraupes comme l’un des patrons, commençait tout juste à
préparer L’Epingle noire. Il a dû chercher un réalisateur pour lui
succéder. Moi, de mon côté, je venais de terminer le film L’Arme
au bleu, qui avait fait beaucoup de bruit à l’époque. Ce film
racontait l’histoire d’une patrouille pendant la guerre d’Algérie.
Les acteurs qui formaient la patrouille s’appelaient Pierre Arditi,
Richard Anconina, Jean-Michel Dupuis (rire). Donc quelques
acteurs connus déjà à cette époque. J’ai tourné ce film pendant
l’hiver 1980-1981. Jean Capin, responsable du film, était mort
de trouille, et me disait sans cesse : « Ne dis surtout pas que tu fais
un film sur la guerre d’Algérie. » J’étais censé tourner un conte
de Noël dans le Sud tunisien. C’est Desgraupes qui un dimanche
matin a contacté Gallo pour lui demander s’il me connaissait, il
venait de voir mon film sur la guerre d’Algérie. L’ayant trouvé très
intéressant, il a conseillé à son ami Gallo de m’appeler pour me
proposer de faire L’Epingle noire.
GR25I : Tu as une idée du volume de la fiction que les directeurs
de programme devaient remettre à la fin l’année ? Un par mois ?
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GR25I : Donc Docteur Cornelius se met en place…
M. F. : … dans les mêmes conditions de liberté. Gallo qui visionnait
les rushes, m’appelait pour discuter avec moi de quelques points
artistiques mais jamais pour m’imposer des choses.
GR25I : Les unités de programmes vont perdurer jusqu’à
quand ?
M. F. : Je dirais qu’elles ont duré en l’état durant tout le règne
de Desgraupes, c’est sûr… mais ça a dû se prolonger un peu plus
longtemps. Il y avait des réalisateurs comme toi (Philippe Venault),
et tu as en quelque sorte dirigé une unité de programme. Tu as été
le dernier échantillon, l’un des derniers dirigeants d’unité. En fait,
ça a dû finir avec Didier Decoin en 1995.
GR25I : Maurice, toi qui connais bien les télévisions étrangères
et je parle en particulier de la télévision anglaise, le système que
tu décris dans ces années-là, n’est-il pas un peu similaire au
système de la BBC ? Des unités de programme. Et à côté de ça,
la SFP, un gros studio qui avait tout les défauts du monde mais
où travaillaient des gens talentueux, un savoir-faire, des costumes,
des décors… qui avait une « excellence », qui est tombée avec
l’arrivée des producteurs indépendants.
M. F. : Je pense que tu as parfaitement raison. Quels que soient
les défauts de la SFP, quand elle décrochait un budget auprès
d’une chaîne pour faire un film, une fois qu’elle avait récupéré ses
frais généraux, tout l’argent allait dans la réalisation. Personne ne
s’achetait des voitures de sport au passage.
GR25I : On ne peut pas vraiment reprocher aux producteurs de
télévision actuels de rouler en Ferrari… si ?
M. F. : Oh il y en a certains qui ne s’en privent pas (rires).
Le mystérieux Docteur Cornélius avec Gérard Desarthe, Hugues Quester, Caroline Sihol (1984)
L'Epingle noire avec Caroline Chaniolleau, Maurice Vaudaux, Gérard Desarthe, Pierre Arditi (1982)
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M. F. : C’est parti de là ! C’était l’idée en l’air, mais à cette époque
les réalisateurs de cinéma ne voulaient pas faire de la télévision.
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Le Mystérieux Dr Cornélius - Michel Carré, Mauice et François Luciani
GR25I : On va se mettre à dos tous nos producteurs ! (rires)
M. F. : C’est moi qui le dis.
GR25I : En tout cas, on avait envie de savoir comment la
place du réalisateur dans le processus créatif s’était modifiée.
C’est pour ça que tu es là aujourd’hui. Pour nous inviter à réfléchir
sur cette question et à voir comment tout ça s’est passé, comment
les créateurs ont disparu de toutes les instances décisionnaires …
Donc, après Desgraupes, qui dirigeait Antenne 2 et FR3 ?
M. F. : Après lui, il y a eu des gens comme Jean-Claude Héberlé,
mais des gens très éphémères. Ça durait quinze jours à chaque
fois… Après il y a eu Jean Drucker pendant trois ans, je crois.
Mais les unités de programmes commençaient à se porter très
mal… En fait, je dirais que le dernier représentant des créateurs
qui s’est occupé de fiction et qui a laissé son empreinte, c’est
Didier Decoin (1995). Ensuite, les producteurs et les écoles de
commerce sont arrivés au pouvoir. Parmi les producteurs, il y a
eu tout de même des gens des gens intelligents. Nicolas Traube a
décidé des choses intéressantes. Avec un vrai talent.
GR25I : Bien sûr. Mais on peut quand même s’interroger sur
les raisons qui ont poussé les dirigeants de chaîne à vider toutes
les instances décisionnaires de la fiction du moindre créateur.
A quelques petites exceptions près. Sous Didier Decoin, quand tu
faisais des Burma, tu avais encore le sentiment d’œuvrer dans la
liberté complète ? Pour le choix de tes acteurs ?
M. F. : C’était pareil pour tout, pour Les Cinq dernières minutes,
les Maigret, il y avait l’acteur principal et après tu faisais ce que tu
voulais pour la distribution.
GR25I : Et pourtant, il y avait de la publicité, les audimats et les
courbes d’audience…
M. F. : Oui, c’est très vieux l’audimat. Quand j’ai fait ma première
fiction en 1975, il y avait déjà des courbes d’audience. C’était
gardé top secret. À mon avis les audimats ont du apparaître à la
télévision dans les années 70, mais personne n’en parlait.
GR25I : Ne sont-ils pas apparus réellement quand ont commencé
les privatisations ?
M. F. : Non l’ORTF faisait déjà des audimats. Et déjà à cette
époque ils en tenaient compte, c’est évident. Pourquoi en faire
si tu n’en tiens pas compte ? Cette machine infernale… Je me
souviens d’une personne qui avait pitché un projet qui avait l’air
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super, une sorte d’Autant en emporte le vent des temps modernes,
et la personne qui était à la direction l’a tout de suite arrêté en lui
disant qu’ils avaient diffusé Autant en emporte le vent quelques
jours avant et que ça avait fait un très mauvais taux d’audience.
Consternant ! Mais je dirais que le virage brutal de la télévision
s’est fait avec la vente de TF1 en 1987. La privatisation a été
une catastrophe pour la télévision. On ne se rendait pas compte
des conséquences que ça allait avoir. Parce que à ce moment-là,
TF1 n’avait plus de ressources, elle ne pouvait vivre que de la
pub. Il fallait que la chaîne fasse entrer le plus d’argent possible,
il fallait que toute émission fabriquée soit rentable. Il s’est passé
le contraire de ce qui a eu lieu en Angleterre. D’abord, on n’a
pas amputé la BBC d’une chaîne. Il y a toujours eu BBC 1,
BBC2 et BBC3, les trois chaînes publiques. Quand une nouvelle
chaîne privée a été créée, soumise à la publicité et aux rentrées
publicitaires, ITV, c’était ce que les Anglais appellent une
syndication, c’est-à-dire un ensemble de chaînes qui pouvait être
reçues par toutes les régions anglaises, le pays de Galles, l’Ecosse,
l’Angleterre et l’Irlande. C’était une sorte de FR3 décentralisée.
Le seul moyen pour eux d’exister, c’était de faire aussi bien que
les chaînes publiques en terme de programmes. En France, ça a
été totalement différent. On a amputé d’une chaîne un service
public qui marchait très bien. À partir de là, le service public a été
complètement déstabilisé. Contrairement à la Grande-Bretagne,
où les gens sont nommés pour au moins cinq ans à la tête de la
BBC, il n’y a plus jamais eu de vraie politique du service public
en France.
GR25I : Mais Desgraupes avait été nommé par la Haute
Autorité.
M. F. : Oui, mais une fois que Desgraupes a été viré, la Haute
Autorité a été supprimée. Par la suite, les dirigeants étaient
nommés par des autorités étranges, bizarres. Quand TF1 a été
rachetée par Bouygues, on a mis à la tête de la chaîne un homme
qui s’appelait Le Lay et qui ne connaissait rien à la télévision.
Il s’est rapidement mis au parfum en s’entourant de gens qui lui
ont expliqué comment ça fonctionnait. C’est devenu rapidement
une affaire commerciale rentable. Comme ils avaient beaucoup
d’argent, ils ont investi dans des programmes que les gens
regardaient beaucoup, comme le football, les grosses variétés. La
fiction passait complètement à la trappe.
GR25I : Tu dirais que la mainmise du diffuseur sur la création
date de cette période?
M. F. : Ça a commencé là, oui. Quand un producteur arrivait
pour vendre un projet à la chaîne, il fallait qu’il ait au moins
trois réalisateurs dans sa besace. C’était la chaîne qui le choisissait.
On parle ici de TF1 d’abord, mais cette pratique a glissé vers le
service public.
GR25I : Pourquoi ?
M. F. : Contrairement au phénomène anglo-saxon, où la télévision
privée, en termes de qualité, courait après le service public, en
France le service public était en train de dépérir fasse à TF1.
La télévision commerciale a très vite pris le dessus. On se souvient
des indices d’écoute de TF1 qui tournaient autour de 35, 40 % de
part d’audience. Tout les gens qui arrivaient sur le service public
se disaient : « Si TF1 arrive à si bien fonctionner, il faut peut-être
qu’on fasse la même chose. »
GR25I : Le service public était vraiment un tremplin de la
pratique culturelle. L’organisation rêvée d’un service public idéal,
ça serait comment pour toi ?
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M. F. : Je pense qu’il faudrait revenir aux unités de programmes,
réhabiliter la création en replaçant des créateurs au centre des
décisions. Actuellement, les scénaristes sont aussi mal lotis que
nous, aussi mal aimés que nous, réalisateurs. Un exemple :
quand j’étais en désaccord avec Gallo ou Capin ou avec d’autres
dirigeants sur un acteur qu’ils essayaient de m’imposer pour un
film, je leur répondais que c’était impossible de travailler s’il n’y
avait pas un minimum de feeling entre le réalisateur et l’acteur.
Si tu n’es pas devant des gens idiots, ils comprennent ce genre
d’arguments. Gallo, réalisateur, acceptait sans problème.
Pour les gens de ma génération et peut être encore pour la vôtre, le
réalisateur avait l’aura d’un créateur, c’était quelqu’un qui mettait
en partition des rêves. La nouvelle génération de réalisateurs
ne participe plus à la création d’un rêve. Etre réalisateur, c’est
devenu une sorte de raison sociale. On accède à un statut de
responsabilité.
GR25I : Tu dis souvent, en référence aux séries américaines, que
le réalisateur est devenu un flic qui règle la circulation. C’est ce
qui nous attend ?
M. F. : Malheureusement, je pense. Voilà, mais, tout de même,
sur certaines séries, les réalisateurs peuvent laisser leur marque,
même aux Etats-Unis.
GR25I : Le problème, en France, c’est peut-être la place du
réalisateur en amont.
M. F. : Je pense que c’est le point principal qu’il faut changer si
on veut faire bouger les choses. Quand une chaîne a un projet,
elle devrait contacter pratiquement en même temps le réalisateur
et le scénariste. Mais le problème est que les chaînes trouvent
qu’on est déjà trop payés. C’est un faux problème. Ça implique
juste que le réalisateur ne travaille pas pendant trois mois mais
pendant huit mois. Il faut absolument que les producteurs nous
aident et défendent cette position-là. Pour l’instant, personne
n’est prêt à le faire.
GR25I : Dans le cadre des négociations que les producteurs et
France Télévisions ont entamées sur les dédommagements dans
le cadre de la charte de développement, il serait toujours hors de
question pour les chaînes d’indemniser un réalisateur.
M. F. : C’est le scénariste qui règne sur le projet aujourd‘hui,
contrairement à ce qu’il dit. Mais c’est vrai aussi que certains
réalisateurs ont donné le fouet pour se faire battre. J’étais très
choqué en voyant des camarades préparer deux films en même
temps, et le nombre de réalisateurs qui ne mettent pas un pied en
repérage et qui découvrent les décors le jour où ils arrivent sur le
tournage. Il y a un malaise du côté des réalisateurs. Je pense que
l’un des problèmes en France, c’est qu’on a mal défini le poste.
Chez nous, le réalisateur de direct a les mêmes prérogatives que
le réalisateur d’un unitaire de fiction. Ce qui n’est pas le cas à
l’étranger. Ceux qui font du direct ne sont pas considérés comme
tels, ils n’ont aucun droit sur l’image, ce sont des techniciens
supérieurs chargés de la mise en image. Nous, en fiction, nous
sommes des metteurs en scène !
… entretien avec Maurice Frydland.
cette idée qu’au fond, un film, c’est du son et de l’image. À force
d’avoir tout misé sur le scénario comme objet tangible, et comme
support sur lequel on peut directement exercer le pouvoir, on
s’est perdu en route. Alors que, aujourd’hui, les jeunes fabriquent
des films, des histoires, mais le scénario n’est pas forcément leur
priorité. Oui, c’est une sorte de folie de l’image et du son qui
prime, et non plus l’écrit. C’est ça. Alors quand on discute de
la fiction en télévision, ils n’ont plus de culture de « l’image ».
D’où la mise à l’écart progressive du réalisateur. On ne nous parle
que du sujet, du scénario, de l’histoire. La question c’est aussi
comment envisager les films dans d’autres économies, avec de
nouvelles façons de faire.
M. F. : Une série américaine qui a fait un bide mais qui
reste magnifique, c’est La Caravane de l’étrange. Le partipris esthétique, la lumière de cette série étaient somptueux.
Il faut oser faire les choses … L’un des problèmes de la télévision
française, c’est qu’elle n’ose plus rien. On reste dans une
routine, dans des productions classiques sans aucune vague.
On prend toujours les mêmes acteurs, les mêmes scénarios. On
refuse de prendre le public par la main pour l’emmener ailleurs.
GR25I : Et pourtant, on a enlevé la publicité pour se libérer de la
contrainte d’audience.
M. F. : La publicité n’a jamais été un obstacle. Si tu fais des
choses de qualité qui marchent, tu as tous les annonceurs derrière
toi. C’est un faux problème. Ce sont nos responsables qui n’y
connaissent rien et qui s’inventent des excuses telles que le
scénario tout puissant.
GR25I : Comment expliques-tu ce paradoxe qui est que depuis
que la publicité a été supprimée sur France Télévisions, on n’a
jamais autant prêté d’attention au taux d’audience ?
M. F. : Parce que les gens qui sont à la tête des chaînes aujourd’hui
se moquent complètement de la création. Ils font passer la
question « combien vais-je faire d’audience ? » à la place de « estce que c’est formidable, nouveau, intéressant, impertinent ? »
Ils sont pétrifiés…
Entretien fait à Paris le 5 avril 2012.
GR25I : Il y a une autre fiction qui se développe en marge de
celles que nous connaissons, où l’image est reine. Sur le Web,
notamment. C’est une autre culture. Les créateurs vont vite,
pensent les histoires en termes d’images avant de les penser en
termes d’écrit. Je me demande si au fond, ils ne sont pas en train
de réinventer la nouvelle vague. On n’arrête pas de parler de
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