Edito Tournez manège ! Entretien avec Jean

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Edito Tournez manège ! Entretien avec Jean
147 rue Blomet - 75015 Paris
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des Réalisateurs
Mai 2010
Dans ce numéro :
Christiane Spièro au Panthéon
Dominique Baron Edito, Tournez Manège !
Le bureau Les réalisateurs face à la crise
Laurent Jaoui
Billets d'humeur
C'est quoi un téléaste ? Pas terrible l'humeur ! p. 2
p. 3
p. 4
p. 7
p. 8
ITW Jean-Xavier de Lestrade
Luc Béraud et Michel Favart p. 10
Edito
Tournez manège !
La lettre
4 avril 2007. Paris. Discours de campagne du candidat Nicolas
Sarkozy, devant les acteurs de la Culture :
« (…) Je veux que les nominations aux fonctions culturelles les plus
importantes de ce pays se fassent sur des critères de compétences et de
hauteur de vue, et non pas sur des critères de proximité avec le pouvoir
politique en place. Les candidats à ces nominations seront auditionnés
publiquement par le Parlement et celui-ci pourra mettre son veto à leur
nomination (…) ».
4 avril 2010, trois ans plus tard, la question du jour, dans tous les
média :
Qui Nicolas Sarkozy va t-il nommer de façon autocrate pour
succéder au PDG de France Télévisions ?
La « secret story » du moment bouscule la « ferme des célébrités »
audiovisuelles, remplie de candidats à tous les postes bientôt
disponibles, sous les yeux d’un ministre de la Culture plutôt
légitime et issu de l’audiovisuel, mais qui vient pourtant de déclarer
qu’il ne s’en mêlerait pas. Un comble…
Lire l'édito page 3
Communiqués
Vive la fiction ! FTV maltraite les réalisateurs
Bonne chance au CSA ! Avis de Sorties
Télévision, la Saison Papiers de nuit
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Letitcast
Le Grec 2 Des Gens qui Passent
Entretien avec
Jean-Xavier de Lestrade
p. 28
p. 29
p. 6
p. 30
p. 32
Ont collaboré tout particulièrement à cette lettre
Gilles Abrant, Dominique Attal,
Dominique Baron, Luc Béraud,
Philippe Carrese, Lise Delahaut,
Michel Favart, Laurent Jaoui, Alain Nahum.
La Lettre des Réalisateurs n° 24
Luc et moi avons été très impressionnés par Parcours meurtrier
d’une mère ordinaire : l’affaire Courjault, de Jean-Xavier de
Lestrade.
C’est un film d’une force exceptionnelle, qui a le grand mérite, en
employant les possibilités de la « fiction », de nous présenter l’un
des crimes les plus odieux, et de modifier notre jugement en une
heure quarante-sept de projection.
Nous avons eu envie, Luc et moi, de rencontrer Jean-Xavier de
Lestrade, d’autant que, Un coupable idéal, et The Staircase, qu’il a
réalisés en 2001 et 2004, sont des films que nous ne sommes pas
près d’oublier.
La rencontre a duré plus de trois heures, et nous avons choisi
d’évoquer toute la carrière de Jean-Xavier.
Lire l'interview page 10
Christiane Spièro au Panthéon !
Le bureau
Tournez manège !
Le bureau
« (…) Je veux que les nominations aux fonctions culturelles les plus importantes de ce pays se fassent sur des critères
de compétences et de hauteur de vue, et non pas sur des critères de proximité avec le pouvoir politique en place.
Les candidats à ces nominations seront auditionnés publiquement par le Parlement et celui-ci pourra mettre son veto à leur
nomination (…) ».
4 avril 2010, trois ans plus tard, la question du jour, dans tous les média :
Qui Nicolas Sarkozy va t-il nommer de façon autocrate pour succéder au PDG de France Télévisions ?
La « secret story »du moment bouscule la « ferme des célébrités » audiovisuelles, remplie de candidats à tous les postes
bientôt disponibles, sous les yeux d’un ministre de la Culture plutôt légitime et issu de l’audiovisuel, mais qui vient
pourtant de déclarer qu’il ne s’en mêlerait pas. Un comble…
La France est la seule démocratie européenne à appliquer ce mode de nomination venu d’un autre âge, dont nous
pouvons, au fil des mois en voir tous les inconvénients.
Bruits de couloirs, complots, trahisons, valse des prétendants, démobilisation à tous les étages. On pourrait en rire, si
les conséquences de cette comédie du pouvoir n’étaient pas si concrètement tragiques pour nos professions.
Des autres objectifs de la Réforme voulues par notre Président, les résultats sont plus que contrastés. D’un côté, le
budget de la Création a été provisoirement préservé, ce qui, par ces temps de crise mondiale n’est pas négligeable.
Et la publicité « officielle » a bien disparu des écrans après 20 heures.
Mais, d’un autre côté, les gentils « parrains » se sont multipliés et la publicité clandestine, par le biais du placement
de produit a été légalisée, ouvrant la porte à des dérives bien plus graves pour les auteurs et les spectateurs.
Nous devions être libérés du dictat de l’Audimat, mais on n’a jamais autant parlé d’audiences sur France Télévisions
que depuis la Réforme. Les discussions sur les courbes et les chiffres ont remplacé dans les couloirs de la chaîne les
conversations sur les contenus et le fond.
Dans le même temps, cette réforme qui par contre coup devait donner un bol d’air au Privé, a totalement raté son
coup. La baisse des investissements sur TF1 et M6 s’est faite cruellement sentir.
© Christophe Monier - Macha Méril remet l'Insigne des Arts et Lettres à Christiane Spièro, dans les salons de la SACD.
La médaille des Arts et Lettres, gérée par le ministère de la Culture, récompense des artistes distingués pour leur création
artistique ou littéraire et par la contribution qu'ils ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde.
Cet ordre tire son prestige de deux éléments essentiels : la qualité de ses membres, et des contingents annuels très réduits.
Même si elle le réfute avec modestie, c’est donc un grand honneur pour Christiane d’avoir été élue dans cette famille restreinte.
Car contrairement aux énormes trains spéciaux de Légions d’Honneur attribués aux milliers de candidats annuels, cette distinction
culturelle ne se demande pas. On la mérite !
Comme Christiane, qui est une femme d’une grande culture, réalisatrice et scénariste de talent. Elle a su nous faire rire et pleurer dans
son premier film Les copains de la Marne, nous faire peur dans Meurtres sans risque, nous émouvoir profondément dans son petit chefd’œuvre S’il vous plaît (avec Annie Girardot), nous parler comme personne de l’amour dans Talgo…
Elle est aussi une militante appuyée de la cause des opprimés, comme dans le scénario qu’elle a écrit sur Le procès de Bobigny, réalisé
par François Luciani, traitant du combat de Gisèle Halimi pour l’IVG.
D’après nos espions, elle est aussi une épouse et une maman exquise.
Enfin nous savons, à la SACD où elle fut ministre des affaires sociales et co-présidente Télévision au conseil d'administration, et
au Groupe 25 images, dont elle est membre combattante, qu’elle est aussi une femme attentive à la défense de son métier et à la
transmission de son savoir.
Voilà pourquoi nous sommes très heureux, et fiers, au Groupe 25 images, que Christiane voit ainsi couronnée la première partie de
sa carrière d’humble artiste !
Et nous l’embrassons.
2 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
Les chiffres de la Ficam (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia), du CNC, de
l’URSSAF et de Pôle Emploi, sont implacables :
Le volume horaire de la production de Fiction TV baisse à nouveau de 25% au premier trimestre 2010, soit
une baisse de 41% entre 2008 et 2010. Elle est, de plus, condamnée au « low cost mcmc » (même chose pour moins
cher), alors qu’elle gérait déjà difficilement un sous-financement chronique. Et cette obsession du Low cost touche
autant le Privé que France Télévisions.
L’interminable valse hésitation autour de la nomination du Président de France Télévisions vient aggraver cette
situation de crise. La fiction est un domaine où le long terme est essentiel. Entre la conception et la mise à l’antenne
des œuvres, on doit compter en terme de semestres, et même d’années. Une fiction forte nécessite stabilité, réactivité
et vision d’avenir. A la place de ça, nous naviguons dans un brouillard de plus en plus opaque et étouffant.
Aujourd’hui, la dégradation budgétaire du Privé, l’interventionnisme croissant de l’état, le guichet unique et « l’usine
à gaz » de la fiction, déguisée en plateforme démocratique et créative, ont installé une situation à la limite du
supportable pour les producteurs indépendants, les scénaristes, et réalisateurs, de plus en plus intermittents, et qui
n’espèrent plus qu’une chose : que le futur PDG de France Télévisions soit un professionnel qui les connaisse, les
reconnaisse, et les écoute…
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 3
Edito
4 avril 2007. Paris. Discours de campagne du candidat Nicolas Sarkozy, devant les acteurs de la Culture :
Laurent Jaoui
Comment un réalisateur, dans l’exercice de son métier, la perçoit-il ?
Tout d’abord, de la plus frontale des manières : en ayant moins de travail, en lanternant des mois, voire des
années pour qu’aboutissent ses projets, en subissant restructurations et leurs lots d’annulations successives,
en voyant un certain nombre de ses prérogatives disparaître au fil des années. (Je citerai, en exemple,
l’augmentation des castings de comédiens faits en amont par les producteurs sur les projets).
Sans être paranoïaque, le réalisateur est ressenti de plus en plus comme un empêcheur de tourner en rond,
celui à qui il va bien falloir, au final, déléguer le pouvoir et qui va mettre les uns et les autres face à des
réalités peu agréables. Son exigence peut vite être perçue comme du caprice, son désir de cohérence comme
de l’intransigeance, sa volonté d’améliorer la qualité du film comme une coûteuse obstination. Avec ce
genre de considération, il est tentant d’engager des caractères dociles venant juste assurer un rôle technique
de directeur de plateau diplomate et conciliant.
Pourtant, si l’on se réfère aux réussites passées, on voit que l’affirmation de la personnalité des réalisateurs
aux commandes de ces films a été maîtresse dans la qualité des œuvres produites.
Une crise générationnelle
Une crise technologique
On peut tous constater une baisse de l’image de marque de la fiction
française vis-à-vis des jeunes générations, donc de l’audience.
Avec la mise en place de la TNT, l’apparition de la VOD, de la
consommation des images sur Internet, la multiplication des
tuyaux a été phénoménale et la concurrence s’est accrue d’autant.
On assiste à la remise en question des positions acquises et à la perte
des monopoles. Cette abondance et la demande de programmes
à bas prix pour remplir les tuyaux ont aussi pour corollaire une
dévalorisation de la fiction. On trouve soudain qu’elle coûte trop
cher et on se tourne vers les créateurs pour imaginer des solutions.
On rêve tout haut au « low cost », en voyant de moins en moins
l’intérêt de créer des œuvres qui s’amortiront dans la durée. Les
réalisateurs, sur le terrain, sont, là aussi, les premiers à ressentir
l’effet d’étranglement des cordons qui se resserrent. Ils doivent,
encore, intégrer de plus en plus vite les avancées techniques leur
permettant de gagner en productivité. Faute de formation adéquate,
ils prennent le risque de créer des fictions formellement dépassées.
Ces générations, habituées dès leur plus jeune âge à regarder des
séries américaines, ont grandi et leurs goûts se sont formés dans
ce sens-là. D’autre part, les plus jeunes « consomment » l’image
différemment et sur différents supports. L’évolution est donc loin
d’être terminée.
Pour les réalisateurs, cela pose la question des sujets à traiter, de
leurs formes, de l’accès des jeunes réalisateurs au métier et de la
formation permanente.
Une crise économique
Nous sommes dans une période de bouleversement du fameux
paysage audiovisuel français, dans lequel de nouveaux équilibres
se cherchent. La réforme du service public, l’arrivée de nouvelles
équipes à TF1, les renégociations des obligations. Tous ces
événements et d’autres encore sont des facteurs d’instabilité… Il
devient difficile d’avoir une vision à long terme et donc de travailler
sereinement à son métier. D’autre part, le modèle marchand
mondialisé frappe à nos portes et l’Europe, étrangement, joue un
rôle de fer de lance dans cette croisade. On peut se demander quel
modèle culturel les commissaires européens proposent exactement à
leurs citoyens. L’arrivée des placements de produits dans les fictions
qui, en mettant l’annonceur au cœur même de œuvres, entraînent
des effets pervers dont les réalisateurs seront les premiers à subir
les conséquences. De plus, la recherche d’un modèle exportable
mondialement de fiction mobilise les énergies, polarise les débats
et affaiblit au passage la position du réalisateur dont l’apport est, à
tort, considéré comme secondaire.
4 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
TROIS FAÇONS D’EN SORTIR
Il peut y avoir des solutions qui risquent d’aggraver le mal. Cette
obsession absolue de la série à l’américaine, devenue la référence
ultime, va continuer à enfoncer notre profession dans la crise.
Là où la majorité des décideurs voit le « tout-série » comme la
planche de salut ou même le Saint Graal, nous y voyons une cause
majeure du déclin de la création française et un appauvrissement
des métiers qui en vivent. Il n’y a pas de supériorité d’un format
sur un autre, on peut faire des œuvres de grande qualité dans tous
les formats. Mais mathématiquement, à périmètre égal, plus de
séries, cela signifie moins de sujets traités, moins de techniciens de
l’audiovisuel, de comédiens, moins de sociétés de production. En
bref, un déclin de notre métier. Alors, que faire ? Quelle peut être
notre réaction face à ce monde en pleine mutation ?
La notion d'« exception culturelle » est une invention française.
Elle est autant valable dans le domaine de la télévision que dans
celui du cinéma. Il y a d’ailleurs des leçons à tirer de la façon dont
le cinéma français résiste tant bien que mal à l’envahissement de
ses écrans par les films américains. La défense de cette exception
culturelle est très importante. Elle consiste à s’attacher à des valeurs,
et à les appuyer au plan politique. C’est un sujet qui transcende
les partis. Aujourd’hui, grâce à un service public fort, la création
française est très diverse. Même si elle manque encore d’audace sur
le traitement de l’actualité récente, notre fiction aborde une grande
variété de sujets, d’époques, de genres et sous de très nombreux
formats. D’ailleurs, on peut remarquer que cette diversité est
bien plus importante que dans le cinéma français. Nous avons un
vivier d’auteurs (scénaristes et réalisateurs) très performants. Les
techniques de fabrication se sont considérablement améliorées, et
si les historiens faisaient une étude sur la fiction télévisuelle récente,
on constaterait que c’est une période de très riche création. Une
des pistes que nous proposons pour réduire le fossé générationnel
est de créer un outil semblable à celui du programme « Cinéma à
l’école ». Notre projet, « Teletek éducation », est une plate-forme
qui permettra aux auteurs, scénaristes et réalisateurs, de présenter
leurs œuvres devant les élèves des collèges et des lycées, dans le
double but d’exploiter notre patrimoine et de renouer avec un
public qui s’éloigne de la fiction française.
Se servir des avancées technologiques
plutôt que les subir
Dans ce qui se présente comme les nouveaux modes de
consommation des images et des sons, on peut voir plusieurs
éléments plus encourageants qu’il n’y paraît à première vue. VOD,
Catch Up TV, multidiffusion, DVD, TNT, tous ces phénomènes
qui n’ont pas fini de bouleverser notre paysage audiovisuel ont un
point commun : ils multiplient les possibilités de voir les œuvres et
de les rediffuser. Or les programmes les plus rediffusables sont les
œuvres de fiction. Auparavant, les téléfilms ou les séries passaient
une fois à l’antenne, parfois deux, en cas de bon score, et plus
rarement trois fois. Dans 95% des cas, ils n’étaient jamais rediffusés.
Quand on connaît leur coût à la minute, on voit que ces fictions
étaient sous-exploitées et peu rentabilisées. Du coup, cyniquement,
certains producteurs étaient peu enclins à créer des œuvres pérennes.
Aujourd’hui, toutes ces nouvelles façons de les « consommer »
peuvent leur donner une vie bien plus longue. Seulement, la
problématique, pour les auteurs, est la faible rémunération des
passages de leurs œuvres sur les nouveaux réseaux. Une nouvelle
économie numérique reste à créer, tant pour la télévision que le
cinéma et la musique. Les solutions proposées pour ces derniers sont
encore balbutiantes et certaines ne font qu’aggraver la situation.
La fiction télévisuelle n’ayant pas contractuellement les mêmes
problèmes d’exclusivité et de calendrier, on pourrait envisager
entre producteurs, diffuseurs et organisations représentatives de
comédiens, des accords qui redessinent en profondeur les espaces
de rediffusion, particulièrement en journée. La loi du marché
paraît bien souvent faussée, mais nous avons tout intérêt à faciliter
ces multidiffusions pour valoriser notre patrimoine.
D’autre part, l’évolution de la taille des écrans, de la qualité de
la restitution sonore, le déploiement de la HD, peut-être demain
de la 3D, tout cela concourt à atténuer la frontière entre cinéma
et télévision. Plus que jamais, la qualité sera perceptible pour le
spectateur, et, comme on dit, « l’argent se verra à l’image ». Il est
donc logique de vouloir investir dans des films de qualité et durables,
au contraire de ce que le discours ambiant laisse entendre.
Par ailleurs, si les avancées technologiques bouleversent tous les
corps de métier et fait évoluer le métier de réalisateur, une réflexion
commune sur l’usage de ces nouvelles techniques nous permettrait
d’améliorer nos façons de travailler. Malheureusement, force est
de constater que chacun a tendance à vouloir trouver des solutions
dans son coin.
Aller vers des solutions communes plutôt
que défendre nos prés carrés
Le décloisonnement et la coordination devraient être les maîtres
mots à l’époque du média global. La multiplication des canaux
et l’abondance de l’offre posent évidemment la question du choix.
Donc, de la promotion des œuvres. Cette question de la promotion
des œuvres, qui se posait peu il y a une quinzaine d’années, est
devenue une préoccupation cruciale. Une bonne promotion va
de pair avec une bonne exploitation. Un travail intelligent de
marketing doit se faire en amont et en aval. En amont, pour que
tous les acteurs de la chaîne sachent quel film on va faire, quel
est son potentiel, quels en sont les risques et les atouts. En aval,
pour savoir quelles sont ses possibilités d’exploitation et comment
il peut rencontrer son public. Il est important, aussi, d’avoir un
retour d’expérience pour analyser pourquoi on est au-dessus ou en
dessous de nos espérances. Certes, ces études sont de plus en plus
menées, mais elles restent encore trop confidentielles. Un film, c’est
une équipe. Chacun devrait s’enrichir des expériences communes.
Ainsi, pour nous, les réalisateurs, il convient, entre autres, de
renforcer les liens du trio producteur/scénariste/réalisateur pour
proposer un projet artistique cohérent et défendu en commun. Il
s’agit aussi, autant qu’il nous est possible, de participer à toutes les
phases de conception, d’élaboration et de diffusion du film tant
dans sa partie artistique que dans sa promotion. Enfin, persuadés
de notre connaissance et de notre maîtrise des œuvres, nous voulons
réaffirmer notre place incontournable tout au long du processus.
CONCLUSION
Le travail de création ne peut s’exercer que dans un environnement
serein. Pour avoir confiance dans son avenir, chaque partie doit
envisager des perspectives ouvertes. Cette période de mutation
est propice à tous les stress, à toutes les angoisses et, afin d’éviter
le repli sur soi-même et pour aller de l’avant, nous devons tous
rechercher une certaine stabilité et retrouver nos marques. Face
à un univers technologique en pleine effervescence, nous avons
besoin d’avoir des règles de fonctionnement transparentes et
pérennes. Une nouvelle organisation est à mettre en place, mais
elle ne peut l’être sous forme pyramidale. Elle doit respecter les
propositions de tous les acteurs du secteur et se construire dans le
dialogue. Dans cette ouverture, les réalisateurs ont un rôle majeur
à jouer. Or ils ressentent, à tort ou à raison, que ce rôle leur est de
plus en plus contesté.
Ce texte a été remis au Club Galilée par Laurent Jaoui, dans le
cadre de la mission qui lui a été confiée par Frédéric Mitterrand,
Ministre de la Culture, sur la crise et la relance de la Fiction.
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 5
Les réalisateurs face à la crise…
Les réalisateurs face à la crise…
Revendiquer nos points forts plutôt qu’en
avoir honte
Le Joli Mai ! Très attendue,
télévision française,
la saison
2010
est (enfin) parue.
Dix-neuvième opus d’une collection unique qui
construit, année après année, une mémoire critique
de notre télévision, la saison, en 418 pages et 150
illustrations, propose l’analyse raisonnée d’une
année de télévision, passant au crible d’une critique
libre et sans complaisance plus de 300 fictions et
documentaires.
C’est un ouvrage indispensable pour les professionnels,
les enseignants et étudiants en audiovisuel ainsi que
pour les téléspectateurs exigeants.
Pour défendre des programmes de qualité, la saison
considère le petit écran, à l’égal du grand, comme un
champ de création à part entière.
C’est aussi un outil de résistance contre la facilité, la
banalisation et le formatage de certains programmes ;
« critiquer c’est résister », rappelait Serge Daney.
Cet ovni de l’édition est conçu et rédigé par une vaillante
équipe de critiques, tous bénévoles, critiques de télévision, critiques de cinéma, professeurs, universitaires.
On trouve aussi dans la saison une liste des programmes inédits de l’année, un index des réalisateurs, scénaristes
et musiciens dont les programmes sont analysées, un éphéméride du Paf (L’Écume des jours), l’hommage aux
disparus (Adieu l’ami) et une chronique des festivals (Que la fête commence).
Panorama impressionnant et indispensable, la saison qui prend tout son sens dans la durée, fêtera l’année prochaine
son vingtième opus.
Cette collection unique est un formidable outil de mémoire.
On trouve la saison, au prix de 35 euros, dans les librairies spécialisées comme :
Tekhnê, 7 rue des Carmes, 75005 Paris (tél. : 01 43 54 70 84)
Dixit, 3 rue La Bruyère, 75009 Paris (tél : 01 49 70 03 33)
On peut aussi la commander chez l’éditeur, L’Harmattan, 16 rue de l’Ecole Polytechnique, 75005 Paris.
6 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
C'est quoi un téléaste ?
Dominique Baron
En 1995, Pierre Boutron réalisa Fiesta, qui valut à Jean-Louis Trintignant d’être nommé au César 96 du
meilleur comédien. Un critique de Libé, dont je préfère avoir oublié le nom, pontifia à l’époque que ce film
était raté parce que son auteur n’était qu’un « téléaste »…
Je pense que ce mot, terrible sous son apparence anodine, fut inventé ce jour-là. L’appréciation était
dégradante quand on connaît la carrière de Pierre Boutron, et que l’on se souvient de l’interprétation
magistrale de Trintignant en colonel franquiste, homosexuel décadent, qui se moque du fascisme qu’il est
censé incarner ! À l'époque, j'ai écrit à Libé pour protester contre cette forme de ratonnade verbale, et je
n'ai jamais eu de réponse…
Je venais de finir mon 4ème film de « téléaste », Le garçon sur la colline,
qui a failli se produire au cinéma. J’ai compris alors que la diaspora
cinéma redoutait et excommuniait la fiction télé, en utilisant le
bras armé de la critique aux ordres des bulles de champagne et des
tapis rouges ou, quand ce n’est pas le cas, inféodée à son envie de
lâcher de belles formules humoristiques ou cinglantes, en une sorte
de compétition intellectuelle entre individus ou journaux.
En oubliant totalement que des auteurs se sont battus, souvent
pendant des années, pour faire leur film. A l’image d’un valeureux
téléaste ou cinéaste (quelle est la différence ?!) qui, pour faire son
film, traverserait une forêt impénétrable, échappant aux pièges à
loups, aux tirs de chasseurs ivres et incultes, aux tornades qui font
tomber des arbres, aux monstres de la nuit, aux usuriers cachés dans
d’accueillants chalets en bois, pour apercevoir enfin la lumière de la
salle de cinéma à l’orée de la sombre futaie… et se faire flinguer par
un « sniper » de la plume, au moment de rejoindre les spectateurs
dans cet abri tant désiré !…
Jean Aurenche m’a dit un jour en riant, lorsque j’ai eu la chance et
l'honneur de travailler brièvement avec lui en 1990 : « Les critiques
ne sont pas totalement des êtres humains, au sens où les vautours
ne sont pas tout à fait des oiseaux… »
Il connaissait son sujet, lui qui s’était fait durement éreinter par la
nouvelle vague.
Depuis la fin du 20ème siècle, la télévision finance presque
entièrement le cinéma commercial porteur d’audience, notamment
les « comédies pop-corn ». Mais cette dépendance croissante n’a pas
empêché un certain mépris de gagner l’intelligentsia du cinéma,
qui fait de la fiction un repoussoir, contrairement à de nombreux
pays anglophones, scandinaves, asiatiques, où la fiction télé est un
tremplin pour ses auteurs, et non un ghetto ! Hélas, la fiction noble
paye la note des unitaires au rabais, et des séries franco-françaises
formatées pour une audience maxi avec la blonde décolletée taille
basse et le gendre idéal, à deux pas de la télé-réalité qui se trouve
juste de l’autre côté de la frontière.
Alors, indépendamment des coups de bec et griffes parfois injustes
assénés par certains rapaces à plume, il faut aussi se poser la question
de ce que les cinéastes (tant demandés par certains responsables de
chaînes), sont capables de faire à la télévision, quand ils n’ont que
20 jours de tournage, les contraintes scénaristiques, et le budget
misérable d’un Inspecteur Derrick ?…
Comme l’exprimait à quelques mots près Bernard Stora, cinéaste
et « téléaste », lors d’un débat France Culture aux dernières
RITV (Rencontre internationales de télévision) de Reims en
2008 (financièrement assassinées depuis par des anti-téléastes
incompétents) : « Certains téléfilms mériteraient plus de sortir en
salle que, hélas, beaucoup de films que l’on y voit ! »…
Alors, mesdames et messieurs les vautours de permanence,
interrogez-vous sur le pourcentage de films de cinéma ratés, qui
ont parfois dévoré le double, le triple, ou dix fois le budget d’un
téléfilm réussi… Et si vous revenez dans le territoire de la critique
objective et curieuse de fiction télé, heureusement occupé avec
dignité par certains de vos confrères, ne parlez que des téléfilms qui
vous plaisent. Cela leur évitera d’être assimilés à tous ceux que vous
n’aimez pas, que nous n’aimons pas, et qui ne sont que la résultante
de l’asservissement des commandes aux décisions éditoriales
imposées par la drogue de l’audience…
Et n’oubliez pas de mentionner, lorsque vous faîtes une critique
élogieuse de l’Arnacœur, qui triomphe en salles, que son réalisateur,
Pascal Chaumeil, est un « téléaste », un pur produit de cette fiction
télé tant décriée…
Rappelez-vous aussi que Duel, le premier Spielberg, Diary of a
young man, Kes, Riff-Raff, et d’autres films de Ken Loach, étaient
réalisés à l’origine pour la télévision. Il y en a des centaines d’autres
de par le monde…
En revanche, puisque la « démocritique » est de règle, vous avez le
droit de nous dire que nous n’avons pas le talent de Ken Loach, et
que nos lois audiovisuelles protègent le cinéma plus que partout
ailleurs (pour combien de temps encore ?).
Comme nous pouvons vous dire que Le masque et la plume (France
Inter) ou Le Cercle (Canal Plus) sont des émissions critiques
passionnantes…
Sans rancune.
Dominique Baron, téléaste iconoclaste
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 7
Billets d'humeur
La saison nouvelle est arrivée !
Billet d'humeur (pas terrible l'humeur)
Philippe Carrese
ou se les prendre et se les mordre (mais c’est pas facile…)
On nous bassine depuis pas mal de temps avec un discours grandiloquent sur la création, le service public, la télévision
de qualité, la différence. On nous ferait presque la morale (je dis « on »… « on » se reconnaîtra ; ou pas, d’ailleurs).
Alors, nous, petits soldats de la création télévisée, nous appliquons à faire avancer la machine, mais avec la très désagréable
impression qu’« on » freine des quatre fers pour que cette machine ne puisse pas rouler (le même « on », toujours ; « on » est
un concept typiquement français ; pour donner une idée, « on » n’a jamais autant été hystérique sur les résultats Audimat que
depuis que ceux-ci ne sont plus d’actualité).
Dans ce contexte et devant cette demande (demande séduisante : faire de la télévision de qualité, originale…), nous
arrivons quelquefois à produire et à réaliser des téléfilms ambitieux, hors des sentiers battus, autour de récits inédits.
Bon… Je ne raconte pas l’énergie déployée pour aboutir au terme de ces expériences, mais ça fait partie du jeu, et ce jeu créatif
en vaut vraiment la chandelle.
Que penseriez-vous, par exemple, d’un long-métrage unitaire
racontant dans un film choral (donc un film au casting riche et
à la narration originale) les péripéties de personnages perdus dans
la Débâcle de 1940 (donc un film d’époque), coincés dans une
forteresse d’altitude (donc un film dépaysant avec de très belles
images de montagne) qui inventent le fonctionnement européen
avec quelques années d’avance sur l’histoire (donc un film
développant une thématique très actuelle) au-travers d’une fable
tragi-comique en forme de huis clos pendant l’attaque de l’armée
italienne (donc un film de guerre, d’action et à suspense) ?
Pour les Luxembourgeois perdus dans la tourmente, nous aurions
l’immense chance d’avoir Feodor Atkine (si si, le « Manuel » de
Talons Aiguilles, d’Almodovar) et Marie Kremer (l’institutrice d’Un
village français ). Pour jouer les rabbins polonais en déroute, Olivier
Sitruk (Coco Chanel, L’Appât…) et Wojciech Pszoniak (mais oui,
l’acteur qui jouait Robespierre dans le Danton de Wajda). Pour les
rôles italiens, nous retrouverions les comédiens de Nanni Moretti
(Luisa de Santis, Paolo Fosso) ou des têtes d’affiche de la péninsule
(Stefano Cassetti, l’inoubliable Roberto Succo, ou Mia Benedetta,
comédienne romaine en vogue). Et pour le trio de chasseurs
alpins qui gardent la citadelle perchée et son dédale de couloirs
angoissants, Arthur Jugnot (Les Bronzés, Je vous trouve très beau),
Damien Jouillerot (Effroyables jardins, Les fautes d’orthographe) et
Patrick Bosso (ben oui, le Patrick Bosso gendarme dans Bienvenue
chez les chtis, l’humoriste qui fait près de 40% d’audience sur TF1
avec Mes deux maris), ici dans son premier grand rôle dramatique,
une vraie révélation.
La musique du générique serait composée et interprétée par Emily
Loizeau, la musique originale du film serait interprétée par le
Quatuor Manfred, composée par Raphaël Imbert, les effets spéciaux
seraient signés Mac Guff…
© Comic Strip - L'Arche de Babel - Olivier Sitruk et Wojciech Pszoniak
L’Arche de Babel d’un oubli définitif. Ce téléfilm devait être
programmé en deuxième partie de soirée le 9 mai, journée de
l’Europe. Pas totalement satisfaisant comme horaire de diffusion,
mais déjà un grand pas. Nous avons pu enfin annoncer à tous ceux
qui s’étaient généreusement impliqués dans l’aventure, comédiens,
musiciens, techniciens, prestataires, qu’une issue honorable était
en vue. Puis, nous l’avons appris presque par hasard, ce téléfilm à
l’origine commandé pour être un « prime » du samedi soir 20 h 30
a finalement été programmé l’après-midi du samedi 8 mai, vers
15 h 30 (à l’heure de Derrick, approximativement). Un inédit à
15 h 30, un samedi de printemps… Bon. D’ac’.
Que dire ?… Pas grand-chose. Simplement constater que je ne suis
même pas étonné. C’est déjà un miracle que ce film soit diffusé, je
ne vais pas me plaindre.
Et me rappeler peut-être aussi qu’il y a vingt-cinq ans, la direction
parisienne de France 3 était déjà passée à côté des Nuls, concept
développé avec le succès qu’on sait par les équipes de Canal + à
partir de Bzzz, ma première série télévisée bricolée pour une antenne
régionale de la chaîne.
On est raccord. Et « on » est raccord.
Philippe Carrese, réalisateur, auteur, le 2 mai 2010
L’Arche de Babel, réalisé par Philippe Carrese, produit
par Thierry Aflalou Comic Strip productions, scénario
original Philippe Carrese – Dominique Lombardi, en
coproduction avec France 3, diffusé le samedi 8 mai à 15 h 20.
Avec Patrick Bosso, Arthur Jugnot, Damien Jouillerot, Féodor
Atkine, Marie Kremer, Wojitek Psoniak, Olivier Sitruk, Stefano
Cassetti, Mia Benedetta, Luisa de Santis, Paolo Fosso, Luigi Filotico,
Eric Fraticelli, Jacques Leporati, Jeremias Nussbaum, Jean-Jerome
Esposito, Antoine Cœssens.
Une fois achevée, cette fiction serait sélectionnée dans des festivals
européens : à Rome pour le festival de la fiction, à Igualada pour
le festival du téléfilm européen, à Autrans pour le festival du film
de montagne… Ce film serait acheté par les Italiens de la RAI, ce
film serait une belle histoire cinématographique, professionnelle,
humaine…
Commandé par Patrick Pechoux (courageux directeur des
programmes malheureusement décédé à quelques semaines du
tournage), et à qui il est dédié, L’Arche de Babel est le premier
téléfilm initié depuis la province pour France 3 par une modeste
société de production loin des grands groupes de la capitale. L’Arche
de Babel a été développé, produit, tourné, finalisé en HD et son 5.1.
Superbe expérience, beau résultat. Et après…
Après, c’est là qu’on se les prend et qu’on se les mord (si on est resté
assez souple après tous ces efforts).
Ce film est resté dans un tiroir (bien au fond) chez France
Télévisions pendant trois ans, avec pour seule raison invoquée la
présence de quelques sous-titrages. Les dialogues en italien et les
phrases en yiddish (trois minutes trente de sous-titrage en tout et
pour tout, j’ai mesuré) feraient fuir le téléspectateur de la chaîne,
sans doute considéré comme trop abruti pour pouvoir à la fois lire
et regarder les images. Et à toutes nos interrogations, à toutes nos
questions sur des raisons plus recevables quant à la mise au rebut
de cette production, « on » n’a jamais répondu que par quelques
borborygmes méprisants (quand on a bien voulu nous répondre).
Que n’avions-nous pris Victor Lanoux ou Mimi Mathy comme
vedettes, que n’avions-nous pas fait Les Experts à Guingamp (…à
Guingamp ?) plutôt qu’un « vrai film qui ne ressemble pas à un
téléfilm » (ça aussi, je l’ai entendu).
© Comic Strip - L'Arche de Babel - Damien Jouillerot et Arthur Jugnot
8 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
Un récent changement de direction à la tête de la chaîne a sauvé
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 9
Billets d'humeur
Rappeler aussi que mon précédent téléfilm, Liberata, première
fiction finalisé en haute définition dans le cadre d’une production
pour France Télévisions, prix spécial du jury au Festival de SaintTropez en 2005, prix SACD 2006, grand prix de la fiction HD au
Satis 2006, téléfilm kinescopé et sorti en salle, n’a jamais été diffusé
sur l’antenne nationale de France 3, même pas à 3 heures du matin
entre deux documentaires animaliers, alors qu’il avait été préacheté
par la chaîne, sur le même prétexte imbécile d’un manque d’intérêt
du téléspectateur moyen pour les films en partie sous-titrés.
Luc Béraud et Michel Favart
Luc et moi avons été très impressionnés par Parcours meurtrier d’une mère
ordinaire : l’affaire Courjault, de Jean-Xavier de Lestrade. C’est un film d’une force
exceptionnelle, qui a le grand mérite, en employant les possibilités de la « fiction »,
de nous présenter l’un des crimes les plus odieux, et de modifier notre jugement
en une heure quarante-sept de projection.
Nous avons eu envie, Luc et moi, de rencontrer Jean-Xavier de Lestrade, d’autant
que, Un coupable idéal, et The Staircase, qu’il a réalisés en 2001 et 2004, sont des
films que nous ne sommes pas près d’oublier.
La rencontre a duré plus de trois heures, et nous avons choisi d’évoquer toute la
carrière de Jean-Xavier.
Michel Favart
L.B. : Par rapport à ta formation de journaliste, comment sont
venus le cinéma et la télévision ?
voir ce qui restait et filmer la vie des gens, filmer des histoires.
C’était une école incroyable, l’école du réel.
J.X.D.L. : J’ai grandi dans un petit coteau du sud-ouest du Gers,
à côté de Marciac. A perte de vue on voit des collines, les Pyrénées
au fond, mes parents cultivaient la terre et pour aller au cinéma le
plus proche il fallait faire 40 kilomètres. Donc j’ai grandi là, assez
isolé, avec des bouquins mais une envie vers 12-13 ans de vouloir
raconter des histoires avec des images et des sons, sans avoir la
moindre idée de comment ça se faisait. J’ai un frère jumeau, on
faisait ensemble plein de jeux liés à l’imaginaire, et on a réussi à
convaincre nos parents de nous acheter une caméra Super 8 pour
notre quatorzième anniversaire. A partir de là on a commencé à
filmer ce qu’on avait sous les yeux, tout et n’importe quoi. On a
commencé par la nature, les arbres et peu à peu on s’est mis à faire
des petits scénarios, des petites choses mais avec une innocence
totale, sans chercher à faire du cinéma.
M. F. : Tu étais ton propre caméraman, tu faisais tout, avec ton
frère comme au temps du Super 8 ?
M. F. : Tu te souviens un peu des films qui t’ont marqué ?
J.X.D.L. : Oui, lorsque j’étais interne au lycée, je me souviens
avoir fait le mur et fait du stop pour aller à Tarbes au cinéma voir
Taxi Driver. Je n’avais pas l’âge et il a fallu tricher au guichet pour
pouvoir entrer. Ça c’est un souvenir très marquant.
L.B. : Tu nous racontes un parcours de cinéphile, mais on peut dire
que tu as commencé dans le métier par une démarche de citoyen, de
quelqu’un d’engagé qui veut témoigner, porter un regard sur une
réalité, sur la justice… Est-ce que tu es passé par le droit ?
J.X.D.L. : Ça me paraissait tellement inaccessible, le cinéma...
Donc, j’ai commencé par faire une maîtrise de droit en quatre ans
à Toulouse et à Bordeaux. Et ce n’est pas totalement par hasard,
car ça m’intéressait. Parce que le droit, c’est toujours des histoires !
Des histoires de désirs, de passions contrariées. Quand le droit
intervient, en général c’est qu’il y a eu un conflit, que deux individus
ne sont pas d’accord et qu’il s’est passé des choses. Il y a plusieurs
manières de lire un arrêt de la Cour de cassation et moi je trouvais
toujours un intérêt à chercher ce qui avait pu motiver tel ou tel
conflit, comment c’était venu, sachant que je n’allais pas m’engager
dans une profession juridique.
M. F. : Tu avais dans la tête de faire du journalisme ou du
cinéma ?
© Maha Productions/Fleur Arens Tournage de Sur Ta Joue Ennemie - Jean Xavier de Lestrade
10 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
J.X.D.L. : Après la maîtrise de droit, j’ai pensé que ce serait bien de
faire l’IDHEC… Or l’IDHEC allait devenir la FEMIS. Ils étaient
déjà en train de déménager et je me suis dit c’est trop stupide de
faire la dernière année de l’IDHEC, attendons un an pour faire
la première année de la FEMIS. Et entre-temps il y avait une très
bonne école de journalisme, le CFJ à Paris, qui faisait aussi une
formation à la caméra. Il y avait là un prof qui était très ouvert
au cinéma et je suis parti là-dedans. Mais ce n’était pas vraiment
une volonté de faire du journalisme, l’idée restait quand même
de raconter des histoires. Et la vie des gens, c’est des histoires de
toute façon. Donc j’ai fait le CFJ et en en sortant, avec mon frère
jumeau et un copain de promo, Jean-Yves Cauchard, on a créé une
société qui s’appelait Tribulations, en hommage à Jules Verne : Les
tribulations d’un Chinois en Chine (Rires). C’était à la fin des années
80, les chaînes s’ouvraient, La 5 s’était créée. Il y avait un jeune
homme assez dynamique, Patrick de Carolis, qui avait créé un
nouveau magazine, Reporters. On lui avait bien plu et il nous avait
signé un contrat, on devait lui fournir une heure de magazine par
mois. Donc pendant trois ans, j’ai voyagé dans le monde entier. Pas
pour être là sur l’événement : moi, ce qui m’intéressait, c’était une
fois que l’événement était passé, revenir un an ou six mois après,
J.X.D.L. : Oui, souvent on partait à deux. Il y en a un qui filmait,
un qui faisait le son puis en général celui qui filmait assumait ensuite
le montage.
L.B. : Et quelle caméra c’était ?
J.X.D.L. : C’était le début des Betacam. Des grosses caméras vidéo
mais qui donnaient une vraie légèreté de tournage par rapport à du
16 mn.
M. F. : C’était donc du magazine ?
J.X.D.L. : Un format soit de 7 minutes soit de 13. Mon premier
film où j’ai pris le temps d’avoir une vision plus documentaire, c’est
Viols et châtiments.
M. F. : Un film que personne n’a vu ! Sur Wikipédia ils disent :
« Jamais diffusé » ! (Rires). Parce que c’était trop dur, c’est ça ?
J.X.D.L. : Oui, parce que ça fait partie des sujets tabous de la
société... En 1993 j’avais lu qu’en France les deux tiers des détenus
condamnés pour une peine supérieure à 5 ans étaient des délinquants
sexuels.
L. B., M. F. : Les deux tiers ?!?…
J.X.D.L. : Plus de 60% ? Et ça, personne n’en parle. On parle de
truands, de criminalité, d’assassins, mais en fait, la loi qui avait
changé en 1980 avait fait passer la qualification du viol de délit
à crime et on commençait à condamner les violeurs à des peines
de prison lourdes. Tout à coup on s’est aperçu qu’en France il y
avait quand même 5 000 plaintes pour viol tous les ans, en pensant
qu’il y en avait en réalité au moins 30 000. Et dans les centres de
détention, là où on met les gens qui sont condamnés à des peines
lourdes, c’était entre 50 et 60% des détenus qui y étaient pour
crimes sexuels. Et ça, il faut s’y intéresser. Pourquoi ces types sont
là et pourquoi souvent on les relâche et ils récidivent ? À France 2
ils trouvaient ça très intéressant mais, ils voulaient un film où la
parole des délinquants était encadrée par celle des psychiatres, des
magistrats, des avoscats... Et mon idée c’était, au contraire, d’être
directement confronté à cette parole. De trouver des condamnés
qui soient à la fois capables et qui acceptent, à visage découvert, de
raconter leur parcours. Donc qui avaient suffisamment de recul,
qui avaient fait un travail thérapeutique et qui pouvaient en parler.
Ça avait été une enquête très longue, mais j’avais trouvé deux
délinquants qui prenaient le risque de raconter leur histoire même
si après on allait les reconnaître dans la prison. Il y en avait un
troisième qui était sorti et vivait en couple avec une femme. Il avait
été condamné pour une douzaine de viols.
M. F. : Mais il était ressorti, il avait purgé sa peine ?
J.X.D.L. : Il avait purgé ses peines. Parce qu’il était entré et ressorti,
c’est ça qui était intéressant… Dans les quarante-cinq premières
minutes du film, il n’y avait que leur parole. Faces à la caméra, ils se
racontaient. En fait, je pense que je n’avais pas mesuré la violence
que c’était pour des femmes, et pour d’autres, d’entendre quelqu’un
qui raconte ça, qui raconte son parcours, même s’ils ne racontaient
pas les faits. Et il y a je ne sais plus qui à France 2 qui a dit : « Ça,
jamais, ce n’est pas possible. »
L.B. : Donc la formation, c’est cette école de journalisme et très
vite, sur le terrain. Pas d’école de cinéma.
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 11
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
M. F. : Un public defender, c’est un procureur ?
© Maha Productions - Jean-Xavier de Lestrade à Cuzco au Pérou en 1988
J.X.D.L. : Non, le terrain. Et au départ je travaillais avec une
monteuse, Milka Assaf, elle avait fait l’IDHEC. Elle avait fait
plusieurs courts-métrages, elle était passionnée par le cinéma et c’est
vrai qu’elle me poussait à monter, à tourner, dans le sens du cinéma.
Avec pour objectif permanent celui de raconter une histoire avec le
choix des cadres, le choix du montage, j’ai beaucoup appris avec elle.
Elle me disait : « Là, il manque des plans », et c’est vrai que c’était la
suite de la formation idéale.
M. F. : Après tu as fait deux films sur des génocides.
Comme on ne les a pas vus, venons-en à ce qui fait ta notoriété…
Un coupable idéal.
L.B. : Comment tu t’es retrouvé aux États-unis, comment tu as
trouvé le cas, est-ce qu’il y avait une veille, des gens chargés de te
prévenir ? Parce qu’il y a un précédent, tu te souviens de ce film de
Reichenbach…
J.X.D.L. : Houston, Texas. Que j’avais vu, qui a été tourné à la fin des
années 70, ça c’est un des films effectivement qui m’avaient frappé.
L.B. : Mais je crois me souvenir que l’équipe était sur place en train
de tourner un documentaire sur je ne sais quoi quand est arrivé ce
fait divers. Coup de bol ! Et alors est-ce que c’est la même chose...
J.X.D.L. : Exactement la même chose et je pense que ce genre
d’histoire on peut mettre dix ans à la chercher et ne pas la trouver.
Je devais faire pour France 2 un documentaire sur ces cabinets
d’avocats spécialisés dans les histoires d’assurance où finalement les
gens peuvent se retourner à tout moment… ils ont un accident et
il y a toujours un responsable autre qu’eux-mêmes. Il y avait un cas
célèbre à ce moment-là. Une femme avait commandé un café dans
un drive thru de McDonald. On le lui avait servi. Mais le café était
tellement chaud qu’elle l’avait lâché et elle s’était brûlé les cuisses.
Elle a obtenu 4 millions de dédommagement parce que le café était
trop chaud. Il n’était pas à température normale et le serveur ne lui
avait pas dit : « Attention madame ! » Je trouvais ça assez passionnant,
car cela conduit à une forme de déresponsabilisation du citoyen, ça
permet de trouver un moyen pour dire que c’est toujours la faute de
quelqu’un d’autre.
L.B. : Et ça entraîne les spécifications des modes d’emploi : « Ne
mettez pas votre chien à sécher dans le micro-ondes. » (Rires)
J.X.D.L. : J’avais donc trouvé un cabinet d’avocats très compétent
et sérieux à Jacksonville et pendant quinze jours en repérages avec
Denis Poncet, le producteur, on voyait des affaires, des histoires
et on sentait que ça allait prendre beaucoup plus de temps que ce
12 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
J.X.D.L. : Non, c’est un avocat commis d’office qui travaille dans
un cabinet financé par de l’argent public où ils ont donc un statut
de fonctionnaire. Mais ils ne travaillent que pour les gens qui n’ont
pas les moyens de se payer un avocat privé parce que leurs revenus
sont en dessous d’un certain seuil… Il appelle donc son copain qui
nous donne rendez-vous après une « petite audience » qu’il a dans
une salle du tribunal de Jacksonville. J’y vais et je vois cet avocat,
Patrick McGuinness en train de demander au juge que le gamin qui
est à ses côtés soit transféré d’une cellule pour adulte à une cellule de
mineur, parce qu’il a moins de seize ans. Et je comprends que le juge
lui dit que ce n’est pas possible parce que le crime qu’il a commis est
un crime d’adulte. Il est accusé d’avoir tué quelqu’un à bout portant,
donc : crime d’adulte, prison d’adulte. Et je regarde le gamin, c’était
un adolescent noir avec son vêtement de prisonnier orange, les
menottes aux mains et aux pieds, qui avait l’air vraiment terrorisé
d’être là. J’étais fasciné par ce gosse, je me disais qu’entre ce qui était
décrit par le juge et ce que je voyais… Et à un moment donné il s’est
tourné vers le public, il cherchait ses parents des yeux. Pendant une
demi-seconde, comme je le regardais fixement, nos regards se sont
croisés. Et c’est très étrange, ça arrive assez peu dans la vie, mais là
j’étais… profondément saisi et bouleversé par la terreur intérieure
qui habitait ce gamin. Et on sort de là, je me présente à l’avocat,
on va boire un café et je lui dis : « Je ne sais rien de l’affaire, mais
vraiment, le sentiment que j’ai, c’est que cet adolescent est terrorisé,
j’ai du mal à croire qu’il ait pu commettre un tel crime... » et lui
me répond : « Je n’en suis qu’au début, je découvre, ça fait un mois
qu’on est dessus, mais effectivement il y a beaucoup de trous. Et je
lui dis : « Mais c’est ça qu’il faut filmer, c’est cette histoire-là ! » Et
comme on s’entend assez bien, c’était un vendredi, pour le week-end
il me donne à lire le dossier criminel, il me fait confiance.
pas me contenter de ça, que ce n’était pas du tout comme ça que je
voulais filmer. Isabelle Razavet avait rejoint le film et ça c’est aussi
une vraie différence par rapport à mon travail précédent. Sur les
autres films, jusque-là, c’était toujours moi ou mon frère qui filmait.
Et là j’avais envie d’avoir plus de recul, de pouvoir avoir le sentiment
d’être à une autre place et de travailler avec quelqu’un dont l’image
est vraiment la spécificité.
M. F. : Tu as réussi à trouver de l’argent, comment ça s’est passé ?
J.X.D.L. : Il y avait urgence, mais on a décidé de ne rien dire à
France 2. On avait un contrat pour cette histoire de film sur
l’assurance et l’argent qui était censé servir à ce film, on l’a pris pour
tourner au moins tout le début. Je me suis dit, si ça fait un beau film
personne ne dira rien.
M. F. : Oui, mais il y avait un changement, non pas d’ambition
mais financier. Tu passais d’un tournage à une seule caméra à autre
chose !
J.X.D.L. : Oui, pour ce qui est du procès à deux caméras mais pour
tout ce qui le précédait, il n’y avait qu’Isabelle Razavet et moi, au
son. Je ne fais pas du son comme un ingénieur du son, mais pour
faire ces choses-là, ça allait.
M. F. : Il n’y avait donc pas de projecteur ?
J.X.D.L. : Il n’y avait rien, que de la lumière naturelle.
L.B. : Même pas un petit poly, une petite feuille de Canson blanc ?
J.X.D.L. : Si, parfois on prenait un petit réflecteur, un bout d’alu
pour un petit reflet mais vraiment très minime. S’il y avait une lampe
de bureau, on la rapprochait un peu mais ça restait dans le contexte
du mobilier familier. Pour moi, ça faisait un vrai changement de
travailler avec quelqu’un comme Isabelle qui a une approche du
cadre extrêmement rigoureuse. Là je me suis aperçu de ce que c’était
que d’avoir un feeling pour filmer et j’aime beaucoup ça. Je trouve
que c’est un rapport avec les personnages qui est très fort, il y a une
forme de sensualité à filmer les gens. Au départ on a décidé qu’on
n’utiliserait qu’un certain type de focale et l’idée, c’était de se dire on
va essayer de filmer un peu comme des personnages de fiction.
L.B. : Quelles focales ?
J.X.D.L. : On décide deux valeurs de cadre et on ne filme qu’avec
ces deux valeurs-là.
L.B. : Et il y avait du matériel électrique, des projecteurs ?
M. F. : Américain et gros plan ?
J.X.D.L. : On avait pris une caisse de fluos, dont on ne s’est jamais
servi. Parce que ça c’était un débat avec Isabelle, moi, ce dont j’ai
envie c’est qu’on puisse toujours se débrouiller pour utiliser la
lumière naturelle, que les gens n’aient pas ce sentiment d’intrusion...
Ils peuvent s’habituer à la caméra, à nous, à notre présence… Mais la
perche sous le nez, c’est difficile à oublier, donc utilisons des micros
HF. Et dès qu’on commence à installer de l’éclairage, ça veut dire
qu’on s’arrête, qu’on regarde, qu’on cherche quelque chose d’un peu
esthétique et forcément ça modifie le rapport avec les gens, c’est un
autre film. Il y a des films qui se font très bien et qui sont très beaux
J.X.D.L. : Voilà, on se limite à cette grammaire-là. A la base, l’idée
c’était : on règle le zoom sur l’équivalent d’un 50. Et on reste sur
cette focale, sauf si à un moment c’est vraiment pas adapté, mais
c’était ce regard-là et cette distance-là. La manière dont on filme
implique une distance par rapport aux gens. En vidéo surtout, il
y a une telle paresse avec le zoom que les opérateurs ne bougent
plus ! Or une des bases essentielles du documentaire, c’est la distance
que vous entretenez avec les personnages que vous filmez, avec votre
sujet. Et cette distance-là se matérialise de manière très concrète avec
le « où se place la caméra ». Là, la caméra n’était quasiment jamais
sur pied, sauf pendant le procès, mais pour filmer c’était à l’épaule,
quelque chose de physique, qu’on sente que quelqu’un filme. Quand
on dit on est au 50 et qu’on s’y tient, si on veut faire un gros plan
on se rapproche, on ne se sert pas du zoom. Ça, c’étaient des choses
dont on avait beaucoup discuté. Avec Isabelle on avait aussi fait des
schémas de la salle d’audience et on a déterminé les positions de
caméra, comment filmer. J’avais donné ça au juge, tous les dessins,
en fonction des différents moments du procès.
M. F. : Mais il avait droit de faire ça ?
J.X.D.L. : Pas vraiment. Mais le contact était passé et je lui ai rendu
le dossier le lundi matin. Mais en le lisant, effectivement, on ne
pouvait pas dire qu’il était complètement innocent mais on voyait
bien que la police n’avait pas fait son travail ou qu’elle l’avait très mal
fait. Alors j’ai laissé tomber l’histoire des assurances … Et comme on
avait une caméra sur place, j’ai commencé à filmer…
M. F. : Pourquoi tu les a donnés au juge ?
L.B. : Il n’y avait pas de caméraman, c’était toi qui filmais ?
J.X.D.L. : Parce que c’était lui qui devait donner l’autorisation
de franchir la limite. Dans une salle de tribunal, il y a le lieu pour
le public, derrière une barrière et, au-delà, le lieu de l’audience.
Et ce lieu-là, il est un peu sacré, tabou, personne d’autre que les
professionnels n’y entre. Donc l’idée c’était de franchir ce lieu,
surtout de placer une caméra entre le box – l’endroit où les témoins
viennent s’asseoir pour témoigner – et les jurés, donc forcément très
présente à un mètre d’eux et ça, cette position de caméra, posait des
problèmes au juge.
J.X.D.L. : Oui. Au début avec une caméra vidéo et deux micros HF.
J’ai commencé à filmer un peu l’avocat, son travail, les parents... C’est
un sentiment très étrange, très particulier. Cette histoire demandait
à être racontée et je me suis retrouvé à l’endroit du conteur.
M. F. : Et alors tu as eu tout de suite les autorisations d’aller où tu
voulais, de filmer qui tu voulais ?
J.X.D.L. : Non, le plus long ça a été de pouvoir filmer à l’intérieur
de la salle d’audience et le procès. Il y a une loi qui permet de poser
une caméra là où se place le public. En Amérique, ça dépend des
Etats mais là, en Floride, on peut, les News font ça d’habitude, ils
posent leur trépied et ils prennent quelques images.
M. F. : Quand tu lui as expliqué que tu filmerais avec un 50 mm et
expliqué les places de caméra, le juge, ça l’a intéressé ?
L.B. : Tu as le droit de zoomer, de faire des gros plans ?
J.X.D.L. : Oui, mais tu ne peux pas poser de micro, tu dois te servir
d’un micro canon. Et dès qu’on a décidé de faire le film et de filmer
le procès, je suis allé voir le juge et je lui ai dit que je ne pouvais
avec tout ça, mais là, moi je ne voulais pas. Au départ, Isabelle était
très malheureuse parce qu’elle a l’habitude d’éclairer…
© Maha Productions - Patrick Mc Guiness
J.X.D.L. : Au début, non, mais il a fini par comprendre que ce
qu’on voulait faire, c’était d’abord très différent de ce dont il avait
l’habitude, mais surtout à la fois sérieux, compétent et ambitieux.
Après, ce qu’il ne voulait pas comprendre et ce que personne ne
comprenait à Jacksonville, c’est pourquoi on filmait cette histoire
sans aucun intérêt.
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 13
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
qu’on imaginait. Et je commençais à être un peu dépité, lorsqu’un
des avocats de ce cabinet me propose d’appeler un copain public
defender, qui a toujours des bonnes histoires à raconter...
J.X.D.L. : Il m’a demandé pourquoi je voulais filmer cette histoire.
Je n’ai pas dit que je pensais que ce gamin, Brenton Butler, était
innocent. Je lui ai dit qu’on faisait un film sur le processus de la
justice américaine, donc on voulait filmer un procès banal. Cette
histoire nous semblait exemplaire, un adolescent noir qui a tué une
femme blanche, le procès allait durer quelques jours, ce n’était pas
une trop longue histoire, c’était précisément ce quotidien de la justice
qu’on voulait filmer. Alors ils se sont dit : « Après tout, pourquoi
pas. » Mais le juge ou le procureur étaient tellement persuadés… Ce
crime avait un seul témoin oculaire et pas n’importe lequel : le mari
de la victime, qui avait très bien vu l’agresseur et qui avait identifié
Brenton comme le criminel. Ensuite Brenton avait signé des aveux.
Une fois qu’on a ça, le procès est plié avant d’avoir commencé. Mais
le juge et le procureur ne se doutaient pas de ce qui allait se passer
pendant le procès, ni de la manière dont ça allait se passer.
M. F. : Mais le fait qu’ils acceptent une caméra, ce qui est la preuve
d’une certaine ouverture d’esprit, ça a dû peser dans le déroulement
des débats, par rapport à quelque chose d’aussi mal engagé. Ce jeune
garçon te doit une fière chandelle, parce que ça ne se serait pas passé
comme ça s’il n’y avait pas eu de caméra.
J.X.D.L. : C’est difficile de répondre à cette question. On ne va
pas refaire l’histoire, mais c’est vrai que ça a joué dans deux sens. Je
pense à Patrick McGuinness et Anne Finnell, les deux avocats du
public defender, le fait qu’il y ait une équipe qui suive leur boulot…
L.B. : Et le fait d’être français, qu’est-ce que ça change ?
J.X.D.L. : Je pense que le juge a accepté parce qu’on était français, il
se méfiait moins. Si ça avait été des Américains, peut-être que... Mais
là, vous êtes français, vous filmez la justice américaine, ils ne sont
pas allés chercher plus loin. Je pense que ça a joué à notre avantage
et là, novembre 2000, première élection de Bush, les Français sont
encore en odeur de sainteté. (Rires) Il n’y avait pas de souci et pour
les avocats, des Français qui venaient de Paris, qui avaient traversé
l’Océan pour s’intéresser à leur travail, forcément ils se sentaient
honorés. Et même s’ils font un très bon travail, je pense que le fait
d’être filmés, ils sont allés un cran au-dessus, partout.
M. F. : Est-ce que, du coup, la durée du procès a été plus longue
que prévu ?
J.X.D.L. : Non, elle est restée à onze jours.
emploi du temps, celui de Denis Poncet et le mien. C’est eux qui
organisaient les invitations : « Alors là on va inviter Untel, on ne
peut pas avoir Julia Roberts, mais sa sœur, elle est agent, c’est très
important, elle connaît Untel, à la sortie on lui donne 5 VHS pour
qu’elle les distribue. » « Le fils de Robert Redford, il va venir à la
projection de l’Egyptian Theater, lui aussi il faut prévoir 5 cassettes
à la sortie, je vais te le présenter. » C’est du lobbying. Et le fils de
Robert Redford, il a eu les cassettes, il les a montrées à son père et son
père a appelé son agent qui nous a convoqués pour le lendemain de
la cérémonie pour nous dire : « Robert veut faire ce film en fiction,
il veut jouer McGuiness. » (Rires)
© Maha Productions - Brenton Bulter en prison parlant avec ses parents
L.B. : Oui, ça je voudrais qu’on en reparle tout à l’heure, parce que
ça va rejoindre d’autres de tes films, sur la façon de représenter, de
passer du documentaire à la fiction.
L.B. : Il y a eu combien de jours de tournage en tout et combien
d’heures de rushes ?
passé à 20 h 50, donc pour eux, l’idée du prime, c’était forcément
du doublage.
M. F. : Le film suivant c’est Staircase, Soupçons, c’est un film
américain ou c’est un film français ?
J.X.D.L. : En fait, on a tourné peu pour un film comme ça. Mais
c’est toujours pareil avec les avocats : quand le procès est loin, ils
font des petites choses. Mais quand le procès arrive, là ils se mettent
en action. Donc le tournage s’est essentiellement concentré sur les 6
semaines qui précédaient, plus les 2 semaines du procès.
L.B. : Avec ce film, tu reçois un oscar ensuite tu as carte blanche, tu
deviens une espèce de dieu vivant ?
J.X.D.L. : Les deux. En fait, c’est ce que je disais tout à l’heure.
France 2 se retrouve quand même avec un film sur lequel elle
avait mis à la base l’équivalent de 110 000 euros et qui a un oscar
avec une réputation internationale. Et là HBO aussitôt me donne
35 000 dollars pour trouver un autre sujet. Sheila Nevins était à
l’époque la grande papesse du documentaire aux États-Unis, c’est
elle qui dirigeait le département de HBO… ça c’est quand même
une leçon, je n’ai jamais vu ça en France… La première fois qu’elle
me reçoit à son bureau, elle avait vu le film, la version de France 2,
et elle me dit : « Jean-Xavier, vraiment, il faut que je vous dise
merci. Vous m’avez fait un cadeau formidable. Je ne savais pas que
quelqu’un pouvait filmer une histoire banale, qu’on voit tous les
jours ici aux États-unis, de cette manière-là. J’ai découvert quelque
chose. » Un diffuseur en France...
© Maha Productions - Brenton Bulter en prison parlant avec son père
L.B. : Ces 5-6 semaines, c’était combien de temps après ta première
rencontre avec l’avocat ?
J.X.D.L. : Trois mois après, je crois. On était revenu une ou deux
fois à Jacksonville, on avait filmé des petites réunions, des auditions
de témoins... On est toujours anxieux de rater des choses quand on
n’est pas là. On leur avait dit : « Ne faites rien ! (Rires). S’il se passe
quelque chose, vous appelez, on prend l’avion ! »
L.B. : Et alors, on se retrouve avec combien d’heures de rushes ?
J.X.D.L. : Cent quatre-vingts heures.
L.B. : Pour un film qui fait une heure quarante-cinq…
M. F. : Il y a deux versions, non ? Une cinéma et...
J.X.D.L. : Oui, une première version pour France 2 qui fait une
heure cinquante-six, et la deuxième version avec HBO qui a mis un
peu d’argent. On a pu remonter le film qui en fait dure cinq minutes
de moins, une heure cinquante et une.
L.B. : Et le montage, est-ce que tu fais une version papier ? Tu
montes d’abord avec des ciseaux et du scotch ou tu es sur ton image
directement ?
J.X.D.L. : Je suis sur l’image. Avant le montage, j’ai vu tous les rushes
dans mon bureau. J’ai pris des notes que j’ai confrontées au cahier
où j’avais noté les impressions fortes du tournage. On n’a pas entré
tous les rushes dans la machine, on a entré une soixantaine d’heures
environ que j’avais sélectionnées. On a travaillé à partir de ça pour
faire un montage à plat, chronologique, du tournage. Séquence par
séquence. Et ensuite, il a fallu construire la dramaturgie et je me suis
dit que ce serait intéressant de rentrer très vite dans le procès et de
jouer avec des sortes de flash-backs, d’aller-retours entre l’enquête
avant et dedans. C’était du tricotage et là on coupait, on gagnait
du temps, c’est comme ça qu’on a construit la dramaturgie du film.
C’est très classique, mais j’aime bien monter séquence par séquence,
d’abord travailler chaque scène comme une entité à part entière, sans
monter dans la continuité, comme on le fait en fiction.
J.X.D.L. : Alors, c’est toujours pareil, je pense que c’est spécifique
à la France, quand il arrive quelque chose comme ça, vous avez une
grande partie de la profession qui se comporte d’une manière assez
ambiguë. Au lieu de se féliciter qu’un documentariste français ait
réussi à avoir un oscar et qu’après tout ça doit être un boost pour
tout le monde et que c’est possible de faire des choses, c’est plutôt
l’inverse. Ils pensent plutôt, sans vraiment le dire : « Est-ce qu’il l’a
vraiment mérité ? » (Rires)...
L.B. : « C’est pas si bien que ça ! »
J.X.D.L. : Oui, c’est un peu ça ! (Rires) « Le film est bien, mais
enfin, de là à lui donner un Oscar... », ou alors ceux qui pensent que
le film est formidable : « Maintenant il est totalement inaccessible,
on ne peut plus travailler avec lui. » (Rires)
L.B. : C’est bien connu on appelle ça l’effet césar. Un technicien qui
a un césar, c’est deux ans de chômage !
L.B. : On te dit : ça va ! (Rires)
J.X.D.L. : Oui, au mieux !
L.B. : Tu fais Citizen Kane, on te dit : ça va !
J.X.D.L. : Alors qu’avec les Américains c’est totalement différent.
Pour avoir un oscar, on s’aperçoit qu’il faut vraiment batailler, qu’il
faut s’engager dans une vraie campagne électorale. Il faut être sur
place, il faut organiser des projections, à des endroits choisis, en
invitant des gens stratégiques et en faisant en sorte qu’ils soient là !
J.X.D.L. : C’est une autre culture, il y a un autre respect. Et donc
eux, ils ont réagi en disant : « Ce film, c’est formidable pour nous,
mais là on voudrait un autre film dans lequel on soit dès le départ.
On va investir, il faut trouver une autre histoire qui soit un peu le
« pendant » d’Un coupable idéal. »
M. F. : Vous le saviez, ça, vous aviez le mode d’emploi ?
M. F. : Et ils t’ont payé 35 000 dollars pour faire une recherche ?
J.X.D.L. : Non, mais HBO l’avait, il avait loué les services d’une
agence de presse et il y avait trois personnes qui géraient notre
J.X.D.L. : Ce n’était pas pour me payer moi, c’était un budget
donné à la production pour faire la recherche.
L.B. : Doubler les voix plutôt que sous-titrer pour la version
française, c’est une demande de France 2 ?
© Maha Productions - Brenton Butler -
14 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
J.X.D.L. : C’est une exigence de France 2. Parce que le film est
© Maha Productions - Jean-Xavier de Lestrade et Denis Poncet à la Cérémonie des Oscar en 2002.
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 15
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
M. F. : Si tu étais intéressé par cette histoire et que tu voulais faire un
film, c’est que tu avais un sentiment – qui s’est révélé juste – qu’on
était en train d’arriver à une erreur judiciaire. Est-ce que le juge a pu
penser que tu avais une idée préconçue ?
M. F. : Ça faisait partie de ton cahier des charges ?
© Maha Productions - Le corps de Mme Stephen
J.X.D.L. : Oui. Je me suis dit... qu’est-ce qui est à l’opposé ? Lui,
c’était un adolescent, d’une minorité, pas d’argent, public defender,
crime sordide et crapuleux lié à la drogue, prenons l’inverse. Je voulais
en plus une histoire dans une famille. Ce qui m’intéressait, c’est
aussi l’effet du crime sur une cellule familiale, voir la décomposition
d’une famille, ou pas. Et c’est vrai qu’avec des données aussi précises
on n’a pas reçu des milliers d’affaires parce qu’il n’y en a pas tant
que ça. Mais je me souviens m’être déplacé en Géorgie, où il y avait
le cas d’une femme issue du milieu politique, qui avait été connue
localement et qui avait tué son fils malade. Ça entrait un peu dans
ce que je voulais.
M. F. : C’était un cas d’euthanasie.
© Maha Productions - The Staircase
M. F. : Il y a deux titres, Staircase en français c’est L’escalier, pourquoi
le titre français est Soupçons ? Soupçons, c’est Hitchcock.
L.B. : Et L’escalier, c’est Stanley Donen.
J.X.D.L. : Parce qu’en anglais ce qui marchait bien c’était le jeu de
mots. Staircase, c’est « L’Escalier », mais c’est aussi « L’Affaire des
marches ». Donc il y avait quand même une ambiguïté, tout de suite,
dans Staircase, on était dans une affaire juridique, une affaire où il
s’était passé des choses. Tu dis L’Escalier, ça peut être une comédie
romantique où deux amoureux se retrouvent dans un escalier. Alors
je ne sais plus qui a trouvé ça. C’est à Canal, il fallait trouver un titre
qui soit un peu polar, mystère.
M. F. : Ce qui m’a frappé aussi, c’est le titre de votre maison de
production...
J.X.D.L. : Maha ? Ça veut dire : « L’homme qui nage à contrecourant ».
L.B. : Alors donc ils te donnent un budget pour chercher quelque
chose…
J.X.D.L. : Oui, mais ils voulaient un sujet américain. Au départ,
je n’étais pas trop favorable, je me suis dit : « Cette histoire, je suis
tombé dessus par hasard, on nous aurait donné de l’argent pour
trouver, on se serait planté. On aurait pu ne jamais trouver. Est-ce
que là je vais trouver quelque chose ? » Et en même temps c’était une
forme de défi. J’étais assez curieux. Se dire, « si on a les moyens, si on
s’organise, est-ce que c’est possible de trouver une histoire. Après tout
on n’a rien demandé… 35 000 dollars, allons-y ! » Donc on avait une
productrice américaine à Paris, Allyson Luchak, qui était en réseau
avec une vingtaine de personnes aux États-Unis, des procureurs,
des avocats, des journalistes spécialisés dans les affaires judiciaires.
On a passé des petites annonces dans des journaux professionnels.
L.B. : Ce réseau, il existait avant ta commande ?
16 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
J.X.D.L. : Oui. J’ai fait l’aller-retour pour prospecter, voir si ça
pouvait être ça, mais non, ça ne correspondait pas. Et l’affaire
de Michael Peterson est arrivée au bout de trois ou quatre mois,
d’une journaliste qui était basée à Charlotte, la plus grande ville de
Caroline du Nord, et qui nous envoie un courriel : « Je viens d’avoir
au téléphone un très bon avocat, je le connais, c’est quelqu’un de
bien. Il a une très bonne une affaire, un écrivain qui s’était présenté
pour devenir maire de Durham qui est accusé d’avoir tué sa femme.
Lui prétend que c’est un accident, l’affaire est mystérieuse. »
C’était ça, le mail, juste ça. J’ai dit : « On appelle l’avocat tout de
suite ! » Avant d’aller les voir on a envoyé Un coupable idéal, qui
était une carte de visite, et après l’avoir vu ils ont dit : « On veut
vous rencontrer. » Et en rencontrant Michael Peterson, c’est un
peu le même effet qu’avec Brenton Butler, coupable ou innocent,
je n’en sais rien mais, après trois heures passées avec lui, je trouve
que c’est un personnage shakespearien. Ce type peut vous raconter
une histoire et c’est une autre histoire qu’il vous raconte en même
temps. C’était ce sentiment-là. Un côté un peu insaisissable, je dis :
« C’est un personnage à filmer, si on arrive à le filmer, on va avoir
des surprises, il va se passer des choses. »
que leur témoignage soit filmé. S’ils ne disent rien, c’est un accord
tacite. En revanche, pour les jurés, oui, il faut l’accord de chacun.
M. F. : Et donc tout le monde était d’accord.
J.X.D.L. : Pour les jurés on l’a fait après. Parce qu’à l’avance, ne
sachant pas ce qui allait se passer pendant le procès, ils n’auraient
jamais dit oui. Mais comme il s’est finalement bien passé de leur
point de vue, ils ont l’impression d’avoir rendu justice, il n’y avait
aucun risque.
M. F. : Il y a des gens qui ont refusé ?
J.X.D.L. : Moi je voulais absolument qu’on soit aussi proche du
procureur qu’on l’était de l’avocat, et le procureur ne pouvait pas
dire non. Tout le monde avait dit oui jusque-là, sauf qu’il s’est avéré
qu’on a filmé deux/trois courtes séquences et après il a dit : « Non
ce n’est pas possible, je ne peux pas vous ouvrir les portes, je veux
bien faire une interview quand vous voulez, mais sinon, non. » Donc
ça j’ai regretté, même si on a ses positions à travers son attitude
pendant le procès, mais les discussions à l’intérieur de l’équipe du
procureur auraient été assez intéressantes à voir et à filmer.
L.B. : En tant qu’homme de spectacle, ça t’aurait plu d’y assister
mais reconnais qu’en tant que citoyen il y a des moments et des
choses pour lesquelles il ne faut pas qu’il y ait de témoins… ou tu
penses le contraire, que toute chose de justice doit être écoutable ?
J.X.D.L. : Non, toute chose de justice ne peut pas être écoutable,
certainement pas. Mais là, à partir du moment où on faisait le film,
c’était bien d’avoir une approche impartiale. Moi-même j’avais
proposé deux équipes distinctes qui soient logées à 10 kilomètres
l’une de l’autre. Une qui suit le procureur, qui n’est en contact
qu’avec lui, et une avec la défense. Et ces équipes ne communiquent
pas. On coordonne simplement sur un point de vue logistique.
M. F. : Et toi tu fais partie des deux équipes ?
J.X.D.L. : On n’est jamais arrivé jusque-là, ils ont refusé. Mais j’avais
proposé au procureur « ce qu’on filme chez vous, dès que c’est fini, je
mets la cassette dans la boîte et je vous la donne. Vous la gardez dans
un coffre et vous nous la rendez à la fin du procès ».
M. F. : Mais alors, pourquoi ça ne s’est pas fait ?
M. F. : Une question que je me suis posée en voyant le film, on ne
parle pas de ses livres…
J.X.D.L. : Il avait peur que ce qu’on filme dans son bureau on puisse
le montrer à la défense.
J.X.D.L. : Ce n’est pas de la grande littérature. Il y en a un qui a été
traduit en français (A Time of War)… Il est très passionnant et c’est
un bon livre. C’est ça que je veux dire, ce n’est pas un grand écrivain
mais en Caroline du Nord c’est quelqu’un qui a beaucoup voyagé,
qui a une grande culture, qui connaît très bien Proust, par exemple.
Des Américains qui ont lu La Recherche, il n’y en a pas tant que ça et
qui sont capables de sortir un nom de premier et troisième cru classé
de Bordeaux, ce sont des personnages.
M. F. : Et l’équipe était plus importante que pour Un coupable
idéal ? Il y avait de la lumière d’appoint, deux caméras ?
L.B. : Donc la chose t’intéresse. L’avocat dont tu parles, c’est David
Rodolph – George Clooney – mais 1,20 mètre, il a l’air tout petit...
J.X.D.L. : Plus proche d’Al Pacino…
L.B. : On ne t’a pas encore posé cette question : il faut obtenir
l’autorisation de chaque personne qui apparaît à l’écran, là, pour
Un coupable idéal, tous les témoins et les jurés t’avaient donné leur
autorisation ?
J.X.D.L. : Pas les témoins, parce qu’il y a une règle, comme c’est un
lieu public et que les caméras sont apparentes, s’ils ne veulent pas
être filmés ils doivent expressément dire au juge qu’ils ne veulent pas
J.X.D.L. : Non, là, le seul luxe supplémentaire, c’est qu’il y a un
ingénieur son tout le temps.
c’est le fait que quand les policiers font la perquisition, il y a avec
eux un médecin-légiste et son premier constat c’est de dire : « Oui,
c’est cohérent avec une chute dans l’escalier, les blessures que je vois
sont cohérentes avec cette chute » et il signe le rapport préliminaire.
L’enquêteur lit ça, il y a beaucoup de sang quand même, et il décide
une perquisition au cours de laquelle ils trouvent des photos porno
d’hommes dans son ordinateur, des choses sur la bisexualité du mari.
Et c’est ça qui a déclenché l’enquête. C’est-à-dire que dans leur vision
de la société ou leur vision du monde, ce n’était pas possible qu’un
couple puisse vivre normalement, sans violence, avec quelqu’un qui
allait rencontrer des jeunes garçons dans un motel.
L.B. : Ou si c’était possible, ce n’était pas tolérable comme
message…
J.X.D.L. : Il faut dire au public : « Voilà comment ça se termine, ces
histoires-là. Ça se termine dans la violence. Nous, on ne peut pas le
tolérer en tant que société. Moi, procureur représentant de la loi, je
suis là aussi pour dire les valeurs morales de cette société. Et moi je
ne tolère pas ça. »
M. F. : Une chose est très frappante – et tu l’as gardée au montage
–, les gens sentent que la caméra est là et ils s’adressent à elle presque
directement, genre « ça c’est formidable pour vous, vous allez faire un
film étonnant. » À un moment donné, quand on découvre l’affaire
Ratcliff qui montre que des faits identiques ont eu lieu dix-huit ans
avant, David se tourne vers la caméra et dit : « Ça c’est bon pour
vous ! Votre film va être meilleur avec ça ! »
L.B. : Ça explique à quel point la caméra est présente, en même
temps ils l’oublient et en même temps ils savent qu’elle est là.
J.X.D.L. : Effectivement, je voulais absolument qu’on garde ça,
parce que toutes les histoires qu’on veut bien raconter : oui oui,
on filme mais on ne change rien au réel, tout ça c’est évidemment
faux.
M. F. : Est-ce que tu t’étais fixé les mêmes règles pour filmer ou tu
avais décidé de changer ?
J.X.D.L. : Non, c’était quand même la même idée avec Isabelle
Razavet, essayer de garder à peu près la même optique, d’utiliser
un regard de 50 mm, la caméra plutôt à l’épaule, assez physique, on
suit. On était partis un peu sur le même dispositif.
L.B. : Bon mais d’abord, c’est beaucoup plus varié que le précédent
et la durée était prévue comme ça ou c’est le film qui l’a décidé ?
J.X.D.L. : C’est le film qui l’a décidé. Et ce qui est très étonnant,
c’est que HBO a montré beaucoup d’enthousiasme au départ pour
L.B. : Et toujours Isabelle Razavet à l’image… Parce que la lumière
est magnifique.
J.X.D.L. : Oui. Elle a un sens… elle est très douée pour filmer
quelqu’un là où on est, tout de suite elle voit la direction des
lumières, où mettre la caméra. Où ce sera bien d’attraper quelque
chose qui façonne un visage, qui le structure.
L.B. : Le film est une charge, un portrait accablant de la justice
américaine. C’est une justice de classe, d’argent et de stratégie ?
J.X.D.L. : De tout cela à la fois. Et c’est ce qui m’avait frappé et
pourquoi je pensais que le film était nécessaire car je n’ai pas d’intérêt
pour le fait divers en tant que tel. Un fait divers ne m’intéresse pas
s’il ne porte pas en lui l’image d’une société, s’il ne raconte pas
d’histoires sur nous. Et là, ce qui a déclenché le désir de faire le film,
© Maha Productions - The Staircase
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 17
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
J.X.D.L. : Non, c’est elle qui l’a constitué. Un réseau de veille. Et,
toutes les semaines, on recevait des affaires, des histoires et moi j’avais
une idée quand même assez précise, il fallait que ce soit le négatif,
l’envers de l’affaire de Brenton Butler, celle d’un coupable idéal.
L.B. : Bah, encore un oscar… (Rires)
J.X.D.L. : Non, je ne sais pas mais il y a eu un enthousiasme mou
et Denis Poncet en a eu marre, il a appelé Canal + qui nous a reçus
en quarante-huit heures et une semaine après on avait le contrat.
Rétrospectivement, ça a été une chance inouïe de le faire avec
Canal + , parce que au départ le film était prévu comme Un coupable
idéal, un film d’d’une heure quarante-cinq et plus on tournait plus
je me disais que ce ne serait pas possible, ça serait trop court. La
richesse du film est dans ses détails, c’est dans sa complexité, dans
sa subtilité.
M. F. : Il y a eu combien de temps de tournage ?
J.X.D.L. : Le tournage c’est vingt-deux mois pour sept cent
cinquante heures de rushes.
était fini, j’ai pris mon cahier où j’avais toutes les notes, je me suis
demandé à quoi allait ressembler ce film et j’ai passé la nuit dans
l’avion à structurer. Et le matin j’ai dit à Denis « voilà, le film, à
l’heure qu’il est, pour moi, c’est huit fois cinquante minutes ». Il me
répond : « Tu es fou, personne ne diffusera ça ! C’est impossible,
ça correspond à rien, encore si c’était cinq fois, ça peut être diffusé
sur une semaine mais huit fois, en termes de programmation, de
rythme... » J’ai dit : « Oui, mais c’est comme ça ! C’est pas moi, c’est
le film ! » Et là, c’est vrai que quand on est aussi producteur, c’est
une chance. Ailleurs, personne n’aurait sans doute accepté. Et on est
allé voir Canal avec un montage d’une heure trente de séquences. Je
leur ai montré. Ils ont réfléchi vingt-quatre heures, se sont concertés
(Christine Cauquelin, Arielle Saracco et Rodolphe Belmer) et ils ont
accepté : « Ok, on prend le risque, on fait un coup. On ne l’a jamais
fait. Du doc, du réel, feuilletonné huit fois cinquante minutes, on
prend le risque. » Et je leur en suis toujours très reconnaissant !
laissée aller à voter coupable. » Dans la stratégie de ne pas donner la
parole à Peterson, ses avocats ont peut être commis une erreur...
L.B. : Le film d’après, c’est le film de cinéma. Donc c’était ton désir
de cinéphile, tu avais un certain renom, ça s’est monté facilement ?
Avance sur recettes ?
J.X.D.L. : Disons pas trop difficilement. L’avance, deux régions,
puis Canal +, un petit peu de France Télévisions, tout le monde a
joué le jeu en disant : « Il veut faire son film, le sujet est risqué, il
n’y a pas grand monde qui va se précipiter au cinéma pour voir ça,
mais il a l’air d’y tenir beaucoup, on va lui donner un peu d’argent
pour le faire. »
© Maha Productions - Michael Peterson avec ses avocats
M. F. : Le sujet vient d’où ?
J.X.D.L. : D’un fait divers qui s’est passé en Normandie.
L.B. : Et HBO a suivi ?
L.B. : Tu connaissais Gilles Taurand ou tu as démarché un scénariste
de renom ?
J.X.D.L. : Dix-sept allers-retours, on a loué deux grands appartements
à Durham pendant deux ans. C’est un gros budget, mais à la fin du
tournage, on avait dépensé tout l’argent américain et de Canal, parce
que évidemment eux ils avaient donné pour financer un film d’une
heure cinquante, c’est quand même pas les mêmes budgets, donc on
n’avait plus rien.
J.X.D.L. : Non, HBO nous a dit : « On ne peut pas le faire, on
sait que vous allez être malheureux si vous faites une version pour
nous, alors tant qu’à être malheureux, autant que vous le fassiez
pour quelqu’un qui va vous donner plus d’argent. » Et ils nous
ont présentés aux gens d’ABC pour faire un prime. Et ABC nous a
donné 1 million de dollars pour faire quatre-vingt-dix minutes pour
un prime pour eux.
J.X.D.L. : Je ne le connaissais pas. J’aimais beaucoup certains films
de Téchiné écrits avec lui, et je sentais que chez lui il y avait une
certaine sensibilité, qu’on pouvait s’accorder. Je lui ai envoyé un
mail et le hasard a fait que vingt-quatre heures avant, il venait de
finir de visionner Staircase. Il m’a répondu : « Il faut qu’on se voie
tout de suite. » Il avait trouvé le film formidable et il était curieux de
savoir ce que j’avais dans la tête.
M. F. : Quand même, vu ta notoriété, vous aviez des préventes ?
M. F. : Et c’est toi qui l’a fait ou c’est quelqu’un d’autre ?
M. F. : Et le fait divers racontait quoi ?
J.X.D.L. : Non, parce qu’on ne voulait pas le faire, j’avais dit à Denis
d’attendre. J’ai senti assez vite que le film allait partir d’une manière
bizarre. J’ai pensé qu’il ne fallait pas se lier avec des préventes d’un
film d’une heure trente si à l’arrivée il ne faisait pas ça du tout. Parce
qu’après on serait obligé de faire un film d’une heure trente pour
eux… De toute façon, si le film est bon, il se vendra.
J.X.D.L. : C’est moi, je suis allé à New York, ça a été une expérience…
très intéressante.
M. F. : Mais avec des allers-retours à Paris ?
L.B. : Donc vous vous êtes endettés pour faire tout le montage et
les finitions.
J.X.D.L. : En fait, le montage a duré un an, avec deux monteurs et
un troisième qui s’est associé parce que Sophie Brunet, avec qui j’ai
monté depuis le tout début, était engagée pour monter un film de
Tavernier (Holly Lola), elle a donc quitté un peu avant la fin. Et il
y avait un monteur américain – Scott Stevenson – qui, lui, montait
précisément la partie du procès.
M. F. : Et qui a pris la décision des six heures quarante, Canal ou
HBO ?
J.X.D.L. : Non, c’est moi, dans l’avion en rentrant. Le tournage
M. F. : … de raconter la même histoire de deux façons différentes.
J.X.D.L. : Mais alors là, pour le coup, vous êtes à côté du monteur,
à côté duquel quelqu’un scripte tout ce qui se fait à l’écran et le soir
c’est envoyé à un superviseur. En général, il y a un ou deux avocats
qui sont dans un canapé derrière, à regarder ce qui est légalement
possible ou non. Et puis toutes les semaines il y a quelqu’un du
département publicité qui vient voir les endroits où on a prévu les
coupures, parce que c’est un programme de deux heures mais il y a
quatre-vint-huit minutes de film et trente-deux minutes de pubs.
Donc ça fait onze segments, il y a dix coupures. « À quel moment on
coupe ? Là on a un écran avec beaucoup de pubs de voitures, alors où
est-ce qu’on peut les mettre ? Vous n’avez pas des plans de voitures
à un endroit qui susciterait.. »
M. F. : Et ça a duré combien de temps, le montage américain ?
J.X.D.L. : Deux mois et demi. Parce que je suis arrivé là-bas avec
un premier montage fait avec Sophie Brunet et j’ai dit : « Voilà,
je voudrais que ça soit ça », mais en fait après le plus gros de la
discussion tourne essentiellement sur le moment des coupures pub
et sur le rythme de chacun des segments. En fait vous ne montez pas
un film, mais onze petits films !
L.B. : Et HBO ne l’a pas diffusé ?
J.X.D.L. : Non, c’est Sundance Channel ensuite qui a diffusé les
huit épisodes.
M. F. : Et le film a gagné son pari d’audience et financier ?
J.X.D.L. : D’audience oui, sur ABC, la version d’une heure trente a
fait 22 millions de télespectateurs. En revanche, même si la version
en épisodes s’est encore plus vendue à l’étranger qu’Un coupable,
chaque fois l’audience a été moyenne.
© Maha Productions - Les larmes de Michael Peterson - The Staircase
18 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
© Maha Productions - The Staircase
M. F. : Et sur Canal, ça a marché, ils étaient contents ?
J.X.D.L. : Ça a marché mais pas plus que la case habituelle.
M. F. : Et comment ils l’ont diffusé ?
J.X.D.L. : Deux épisodes tous les jeudis soir pendant un mois. Un
peu comme ils font avec leurs séries américaines, à l’époque c’était le
jeudi et ils diffusaient 24 Heures.
L.B. : Ça a été entièrement doublé ? En lipping, pas de voice over ?
J.X.D.L. : Un vrai doublage, mais tu pouvais choisir ta version, VO
sous-titrée ou doublée…
M. F. : C’est toi aussi qui as fait la version doublée ?
J.X.D.L. : J’ai fait le casting des comédiens, un peu assisté aux
premiers enregistrements, mais ça faisait tellement mal au cœur que
j’ai ensuite un peu lâché l’affaire ! (Rires). C’est terrible mais je me
disais, tant qu’on a le choix, c’est bon. Sauf qu’après j’ai regardé les
chiffres et 80% des gens l’ont regardé en VF.
J.X.D.L. : C’était un gamin, en Normandie, qui à 14 ans, un
mercredi après-midi, sans raison, enfin sans raison raisonnable...
avec un fusil de chasse, va successivement tuer son père, sa mère et
blesser sa sœur (il pense l’avoir tuée). Et dans l’histoire réelle, en plus
il tue un petit frère de 4 ans. Mais c’est une énigme totale. On ne sait
pas pourquoi. Il y a une enquête sociale, une expertise psychiatrique.
C’est un gamin qui était intégré, famille apparemment normale, pas
d’histoires de violences, psychologiques, physiques, rien. Et ça, ça
m’avait frappé. Comment quelqu’un comme ça peut commettre
cet acte-là et surtout, une fois qu’il l’a commis, que peut-il se
passer après pour lui ? Quelle réparation possible, imaginable ? Le
pardon, la culpabilité, on peut se poser plein de questions et puis
finalement la seule personne qui soit capable de lui redonner une
forme d’humanité, c’est la seule survivante du crime, c’est la sœur.
Donc que peut-il se passer ensuite pour ces deux naufragés de la vie
qui ont été à ce point frappés par une tragédie ?
M. F. : Tu as rencontré l’un ou l’autre ?
L.B. : Et le coffret DVD s’est bien vendu ?
J.X.D.L. : Non et le film finalement ne parle pas tant du fait divers.
Le film démarre, le gamin sort de prison et on n’apprend pas grandchose des faits. Mais c’est surtout l’histoire entre lui et sa sœur…
Qu’est-ce qui peut rester, qu’est-ce qui peut se réparer ou pas.
J.X.D.L. : Chez Montparnasse, ils étaient un peu déçus, ils avaient
fait un premier tirage à 18 000 et au bout du compte ils en ont
vendu 13 000 ou 14 000 exemplaires, ce qui n’est pas mal quand
même !
L.B. : Ce passage d’un sujet documentaire que tu maîtrises très bien
– la justice en train de travailler – à la fiction, est-ce que tu as eu des
difficultés, des choses que tu ne maîtrisais plus ? Est-ce que tu penses
avoir réussi le passage à la fiction ?
M. F. : Ce qui est frappant dans Staircase, c’est que les avocats ont
décidé de ne pas faire parler Michael Peterson. Ils ne lui ont pas
donné la parole et la force du film c’est que toi, au contraire, tu
lui donnes la parole. Et se pose la question : si les jurés avaient vu
l’équivalent de ce que tu nous montres, est-ce que ça aurait changé
quelque chose ?
Et as-tu l’intention d’en faire d’autres ?
J.X.D.L. : J’ai pu m’entretenir avec une jurée, quinze mois après le
procès. Et elle m’a dit : « Si j’avais vu le film avant, je ne me serais pas
J.X.D.L. : L’intention d’en refaire, oui. Maintenant, moi, j’ai été
très surpris par la machine du cinéma.
M. F. : C’est un tournage léger, non ?
J.X.D.L. : Non... tourné en Scope, chaque mouvement de caméra
est à répéter trois ou quatre fois, il faut être très précis, la lumière...
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 19
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
qu’on fasse bien notre film, alors que quand je suis allé voir France 2,
ils ont traîné pendant plusieurs mois…
L.B. : De la manipulation ! Mais justement ce qui est formidable
dans ton film c’est que ça n’en est pas.
L.B. : Les comédiens, tu as eu le choix, il y a des moments où il y a
eu des difficultés ?
M. F. : L’affaire Courjault, comment tu l’appréhendes ? Tu regardes
la télé, tu vois des images et...
J.X.D.L. : C’est mon choix, j’ai fait un casting assez long. J’ai vu
plein de gens. Finalement, les focales, filmer, la grammaire ou la
syntaxe, ça ne m’inquiétait pas beaucoup. Ce qui m’inquiétait,
c’était le rapport aux comédiens.
J.X.D.L. : Oui, voilà. Mais je connaissais très peu, j’étais à Las
Vegas sur la série de Sin City Law, comme concepteur de la série
(et producteur) quand ça a éclaté. Je suis vaguement au courant
et un mois avant le procès quelqu’un m’en parle et je me dis que
cette histoire est fascinante, il y a plein d’ingrédients dedans qui me
passionnent depuis longtemps. Donc, qu’est-ce qu’on peut faire ?
M. F. : Parce que tu passes du métier d’observateur privilégié à celui
d’instigateur, enfin de créateur.
J.X.D.L. : Oui, donner l’impulsion aux choses. Et alors finalement,
je me suis rendu compte que la manière dont moi j’avais tourné les
documentaires, ça avait développé chez moi un regard, une attention
extrêmement particulière aux gens, à ce qu’ils ressentent, à ce qu’ils
sont. Évidemment, dans les documentaires, on ne fait jamais de
direction d’acteurs, ça n’a pas de sens, mais on est tout le temps en
rapport avec des gens et au fond, ce qui est important, c’est d’être
capable de se connecter à eux. Et finalement avec les comédiens,
ce que j’ai découvert, c’est que si on sait les regarder, si on est
extrêmement attentif et s’ils sentent un regard aigu et quelqu’un
qui sait ou qui les devine, qui ne les juge pas mais qui est généreux
avec eux, finalement après, le reste peut être relativement simple.
Moi, j’ai travaillé avec des jeunes comédiens, prêts à écouter, qui ne
faisaient pas le bazar, qui n’étaient pas caractériels, qui n’avaient pas
de conditions extravagantes. Bon, après, il y a d’autres situations où
j’aurais peut-être été plus mal à l’aise. Mais en tout cas, finalement,
ce que je redoutais beaucoup, c’est peut être finalement là où j’ai pris
le plus de plaisir.
L.B. : C’est-à-dire ?
J.X.D.L. : Le rapport aux comédiens, le travail sur les personnages.
La subtilité que ça pouvait être, comment on peut arriver à amener
quelqu’un non pas à être ce que tu veux qu’il soit vraiment, mais
qu’il sorte de lui un personnage que personne n’a imaginé et qui
devient le personnage de ton film. Évidemment, ça n’arrive pas tout
le temps, mais parfois, quand ça arrive, il y a des moments où c’est
magnifique.
M. F. : Et le titre ?
J.X.D.L. : Sur ta joue ennemie ça vient d’un poème de Mallarmé « Sur
ta joue ennemie je goûterai le fard pleuré par tes paupières, pour voir
s’il sait donner... » c’est le poème qu’il cite à la fin, après l’agression,
quand il est assis dans la librairie.
© Maha Productions/Fleur Arens - Tournage Sur Ta Joue Ennemie
20 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
© Maha Productions/Fleur Arens - Sur Ta Joue Ennemie
M. F. : Qu’il lit au libraire ?
J.X.D.L. : Oui. Mais je pense que le défaut du film est peut-être
d’avoir été trop pensé. La courbe dramaturgique de ce gamin, c’est
d’être passé de la pensée philosophique (au début il commence
sur l’absurde, une pensée structurée, verbalisée) à une pensée plus
sensuelle, plus intuitive, plus en rapport avec la vie (car c’est bien ce
dont il s’agit avec la poésie). Il a recouvré cette capacité à ressentir
donc peut-être à aimer, qui est peut être une définition de l’humain.
Mais tout ça, c’est des trucs intellectuels, je pense que le spectateur
passe à côté de ça.
M. F. : Oui mais enfin, c’est quand même ça qui te guide dans ton
travail de création, ce n’est pas négligeable.
J.X.D.L. : Oui, tu sais pourquoi tu fais les choses.
L.B. : Et ça donne une finalité à ton travail ! A ton mouvement de
caméra, à ce que tu vas dire à ton comédien, etc.
J.X.D.L. : Oui, bien sûr, mais je pense que la vraie différence, c’est
que dans le documentaire tu veux que les choses te surprennent. Tu
attends que la vie te surprenne et en même temps tu veux toujours
anticiper pour ne pas être surpris, au sens où tu ne peux pas filmer
ta surprise. Donc tu es là en train d’essayer de faire entrer la surprise
dans un cadre, d’anticiper. Tu es toujours à l’affût, c’est un peu
comme un chasseur qui étudie le gibier qu’il chasse pour essayer de
le pister. Sachant qu’il passe tous les matins à 6 heures à cet endroit
précis, il va se mettre là parce qu’il a bien étudié la chose. Et dans la
fiction, c’est tout à fait le contraire. Tu passes des semaines entières à
tout préparer, calibrer, faire en sorte que les choses puissent se passer
de telle manière chaque jour. Donc, surtout ne pas être surpris. Et
en fait, ce qui est le plus fascinant, c’est justement que le meilleur
© Maha Productions/Fleur Arens - Sur Ta Joue Ennemie - Nicolas Giraud
vient quand il surgit quelque chose qui n’est pas préparé, qui sort
du calibrage, de ce qui a été pensé. Et j’estime que c’est un défaut
de débutant de ne pas avoir suffisamment été généreux avec ce
qui pouvait surgir des choses de manière un peu plus spontanée,
un peu plus naturelle. Mais avec le Scope, c’est pas simple, il faut
millimétrer, c’est un truc de dingue.
M. F. : On passe à Parcours meurtrier d’une mère ordinaire : l’affaire
Courjault…
L.B. : On a lu dans la presse que tu avais engagé deux sténos pour
prendre toutes les paroles du procès, 800 pages, et, de là, tu as fait
un scénario de 70 pages.
M. F. : Pourquoi tu n’as pas directement filmé le procès ?
J.X.D.L. : J’ai fait la demande, tout en sachant qu’on ne me
donnerait pas l’autorisation. S’intéresser au projet, c’était déjà très
vite se dire que je ne pouvais pas filmer le procès.
L.B. : Parce qu’on est en France et qu’on ne peut pas.
J.X.D.L. : Parfois il y a des dérogations qui sont données, mais il y
a une loi qui l’interdit.
L.B. : Et Klaus Barbie ?
J.X.D.L. : Il y a des choses qui sont filmées dans des tribunaux, ça
arrive maintenant une ou deux fois par an, ils donnent l’autorisation
mais sur des procès qui ne sont pas du tout médiatisés, sur lesquels
il n’y a pas d’enjeu. Donc je savais que ça ne serait pas possible.
D’une certaine manière, il y avait déjà le ver dans le fruit, alors que
je m’étais plus ou moins promis de ne jamais faire ce que j’ai fait là,
c’est-à-dire faire un mélange de la fiction et du documentaire. Les
premiers docu-fictions que j’avais vus, je trouvais ça...
M. F. : Qu’est-ce qui te passionnait depuis longtemps ?
J.X.D.L. : Cette complexité de l’être humain.
L.B. : Le déni de grossesse ?
J.X.D.L. : Voir une mère de famille qui, selon les témoignages, est
une mère dévouée qui, même si elle est réservée, timide, fait preuve
de générosité envers les autres. On est à l’opposé d’une image de
criminelle.
M. F. : Dans un milieu bourgeois...
J.X.D.L. : Dans un milieu en plus où ils ne manquent de rien. Lui
est ingénieur, il est assez bien payé, pas de problèmes matériels, rien.
On est là-dedans, et chez cette mère dévouée, on rencontre aussi une
image maternelle archaïque, quelque chose qui porte une terrible
violence... Qu’est-ce qui est plus violent comme image qu’une mère
qui accouche toute seule et qui au moment où son bébé est sorti
d’elle-même, lui met la main sur le visage et l’écrase jusqu’à ce qu’il
ne respire plus. Y a-t-il une image plus violente que celle-là ? On
touche à un des tabous extrêmes de la société. Une mère ne tue pas
son enfant, enfin, pas aujourd’hui, en tout cas, c’est fini, ça.
M. F. : Tu as assisté au procès en entier, physiquement ?
J.X.D.L. : Ça reprenait un peu le fil de Sur ta joue ennemie où
on avait un gamin qui avait commis un crime insensé. Comment
chez ce garçon qui était apparemment tout à fait normal, avec une
gueule angélique, qui jouait au foot avec ses copains, qui se marrait,
comment il prend un fusil de chasse et tue ses parents ? C’est-àdire que, contrairement à ce que dit le président dans le film, les
faits ne sont pas blancs ou noirs, jamais. Et chez Michael Peterson,
c’est la même chose qui m’intéressait. Un homme complexe, qui
reste énigmatique. On est tous pétris de contradictions, de choses
pas forcément avouables, mais ça ne fait pas de nous des criminels.
© Maha Productions/Fleur Arens - Sur Ta Joue Ennemie - Robinson Stevenin et Fanny Valette
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 21
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
L.B. : … la direction d’acteurs…
L.B. : Tu avais la sténo du procès réel que tu as récupérée ou tu l’as
fait faire ?
J.X.D.L. : Non, ça n’existe pas. Le greffier prend juste l’ordre des
témoins. La loi interdit que l’institution judiciaire écrive la totalité.
M. F. : C’est extraordinaire, ça ! Quelqu’un d’autre peut le faire mais
l’institution ne peut pas ?!
L.B. : Mais les procès de Pétain ou d’autres, non plus ?
J.X.D.L. : Si, alors, pour un procès exceptionnel, il y a des choses
qui ont été faites, mais qui sont en dehors du système.
L.B. : Le procès a eu lieu en juin 2009, et le film diffusé en décembre
2009, c’est-à-dire six mois plus tard ! Donc, l’autorisation est venue
assez vite ? C’est le ministre qui te l’a donnée ?
J.X.D.L. : Non, en fait, c’est le président du tribunal. Je suis allé le
voir avant, je lui ai demandé si on pouvait amener des sténotypistes et
prendre l’intégralité du procès. Il a regardé son Code de procédures
et il a lu qu’il était interdit d’enregistrer par le son, par l’image...
« mais il n’y a rien sur l’écrit, vous pouvez le faire ». (Rires)
M. F. : Mais enfin, il a dû demander l’autorisation aux magistrats ?
J.X.D.L. : Non, parce que c’est un débat public. Ce qui est dit
derrière, dans son bureau, ça lui appartient, c’est de l’ordre du privé.
Mais quand c’est public, il y a des journalistes dans la salle, il y a du
public donc ce qui est prononcé publiquement, on peut l’utiliser
ensuite. Moi, ce que je voulais, c’était l’accord de Jean-Louis
Courjault et de sa femme.
L.B. : Tu l’as rencontrée elle ?
J.X.D.L. : Non. On s’est parlé par l’intermédiaire de son avocate.
Mais je dois dire qu’elle n’était pas du tout enthousiaste à ce qu’on
fasse le film, c’est son mari qui l’a convaincue. Il a d’abord dû se
convaincre lui-même et il lui a dit : « Écoute, on est obligés d’en
passer par là, c’est une nécessité. On doit le subir. Parce que des
choses seront faites et elles seront mal faites. Là, il y a des gens
compétents, rigoureux... »
© Maha Productions/Fleur Arens - Sur Ta Joue Ennemie
22 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
vitre il y a une barre en fer qui est entre la vitre et le rebord. Quand la
personne est assise, il y a la barre sur le visage. Ce n’était pas possible
donc on l’a fait enlever.
L.B. : À quoi sert cette vitre ?
J.X.D.L. : Normalement, elle sert dans les deux sens, à protéger
l’accusé mais aussi à l’empêcher de fuir. Parce que dans un tribunal
d’assises personne n’a d’arme et, dans le box, tu pourrais sauter
facilement.
M. F. : C’est tourné dans le vrai tribunal ? Vous avez obtenu
facilement l’autorisation de tourner au véritable endroit ?
© Maha Productions/Fleur Arens - Sur Ta Joue Ennemie - Fanny Valette
faire du café et j’ai regardé un peu sa vidéothèque et il y avait Un
coupable idéal.
L.B. : Tu as fait un casting au faciès… pourquoi ?
J.X.D.L. : Sur les personnages de Jean-Louis et Véronique Courjault
et du président, qui me semblaient les trois personnages clés du
procès, autant qu’ils aient une ressemblance avec les vrais. C’est-àdire chercher quelqu’un qui puisse permettre au spectateur de faire la
projection, mais en même temps de se dire « oui je sais que celle que
je regarde n’est pas la vraie parce que la vraie, elle n’est pas comme
ça ». Elle lui ressemble suffisamment pour qu’on puisse sentir que
c’est elle, mais il n’y a pas d’ambiguïté.
L.B. : Oui, pour elle... d’ailleurs la comédienne est géniale. Mais
celui qui fait Courjault, il est plus proche. Amain Rimoux, qui fait
Me Leclerc, il est vraiment très ressemblant... Et après le psychiatre,
etc.
J.X.D.L. : C’est-à-dire, étant donné qu’on utilisait des vrais gens,
parce que là aussi, on a une forme de responsabilité, on livre des vrais
gens. Non seulement on utilise leurs paroles, ça c’est public, mais on
leur met aussi des têtes. Autant ils ne peuvent pas nous attaquer sur
le texte, puisqu’ils l’ont dit, mais ils peuvent dire : « Mais attendez,
je ne suis pas du tout content de la tête que vous me faites ! Je
vous attaque pour diffamation, je n’ai pas du tout cette tête-là ! »
Enfin, c’est vrai que c’est un exercice un peu bizarre. Je voulais qu’il
y ait une forme de ressemblance parce qu’on est quand même assez
proches du réel et en même temps que ça reste une représentation
du réel.
J.X.D.L. : Oui, parce que le président du tribunal a pensé qu’on
ferait de toute manière le film, alors autant pouvoir jeter un œil sur
la manière dont il se tourne !
L.B. : Et cette histoire de vitre. Vous l’avez découverte pendant les
repérages, le simple, le double et le triple reflet ?
J.X.D.L. : La première réaction c’est de penser que ça va être une
galère monstrueuse parce qu’on allait avoir des reflets partout. Est-ce
qu’il ne fallait pas tout enlever ? Et immédiatement tu comprends
que cette vitre, pendant le procès c’était ce qui séparait Véronique
Courjault des autres, la maintenait dans une cage en verre. Tu la
voyais, mais il y avait quelque chose entre elle et toi, et forcément je
me suis dit que c’était une vraie métaphore de sa vie. Pendant toute
sa vie il y a eu quelque chose entre elle et les autres, quelque chose
d’invisible.
L.B. : Et ça, tu t’en rendais compte pendant que tu assistais au
procès ?
J.X.D.L. : Non, c’est pendant les repérages, on a passé des heures
avec Isabelle Razavet à essayer de voir d’où et comment on pouvait
éclairer. On n’avait jamais imaginé qu’il y avait des reflets de l’autre
côté. C’est en entrant dans le box, avec quelqu’un pour faire la
doublure, qu’en faisant des photos des différents axes on s’est dit :
« Dans cet axe il y a un reflet, là il y en a deux, et là si on se met
comme ça, on peut arriver à trois. Si on s’efforce à faire quelque
chose de très précis, on arrive même à mettre le mari dans le cadre. »
Et là ça a ouvert les possibilités, tout à coup ça devenait beaucoup
plus passionnant. Parce qu’on a eu l’idée d’y aller petit à petit : au
début, on filme un peu d’extérieur puis on s’approche d’elle et on
passe avec elle. Et il y a toutes ces facettes.
M. F. : Et il y a combien de caméras ?
M. F. : Le procès, c’est combien de jours de tournage ?
J.X.D.L. : Huit jours.
L.B. : Huit jours ? Et donc salle pleine, tu n’as même pas ton
assistant qui te dit : « Dans ces axes, on n’aura pas besoin des 80
figurants... »
J.X.D.L. : Si, parce qu’on ne pouvait pas les payer tout le temps.
M. F. : Alors comment vous avez fait ?
J.X.D.L. : Avec Isabelle Razavet, on a fait un découpage. On a bossé
pendant trois semaines, séquence par séquence, toutes les positions
de caméra et c’est la migraine absolue garantie, parce que le même
décor, ce n’est vraiment pas excitant du tout pour filmer. Enfin...
M. F. : Il connaissait tes films ?
L.B. : ... et la vitre dont tu te sers de façon formidable, enfin toi et
ta cadreuse, elle était là ?
J.X.D.L. : Quand je suis allé chez lui, à un moment donné il est allé
J.X.D.L. : Elle était là. En fait cette vitre existe, mais en dessous de la
© Maha Productions c - Parcours meurtrier d'une mère ordinaire
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 23
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
Et là, on avait vraiment le cas extraordinaire de cette femme qui
avait commis un crime insupportable, plusieurs fois répété, et elle
ne s’est jamais exprimée là-dessus. Elle en était incapable. D’ailleurs,
si j’étudie un peu le dossier, elle ne s’est jamais exprimée sur ellemême, jamais. Au cours de son procès, sa vie est en jeu, elle va
être forcée de dire des choses. Cette parole-là, je ne peux pas la
filmer mais je pense qu’il est nécessaire qu’on la conserve, qu’on
la préserve. Donc la démarche était d’abord de recueillir la parole
et ensuite de se dire que le procès allait ouvrir vraiment sur une
forme de débat de société qui va au-delà du déni de grossesse, qui
va sur des questions comme ce que c’est que devenir mère, que
ce n’est pas aussi simple et aussi naturel que le discours officiel…
Il y a des femmes qui attendent leur premier enfant... leur bébé sort
d’elle-même et leur première réaction c’est de dire : « Mais qu’est-ce
que c’est ça ? Ça sort vraiment de moi ? » Et ça elles ne peuvent pas
le dire, personne ne comprend ça. Et pourtant c’est assez fréquent.
Donc, c’est traiter de toutes ces choses-là avec l’idée de préserver
cette parole, préserver la parole de chacun mais de manière précise,
de manière intégrale et ensuite de faire un travail de scénariste. Sauf
que cette parole, on la raccourcit évidemment, on la coupe, on fait
le travail des ciseaux mais on préserve son rythme, on préserve son
vocabulaire.
M. F. : Tout le temps ?
J.X.D.L. : Oui, parce qu’on n’avait pas beaucoup de temps. Moi
j’aurais préféré tourner quatre ou cinq jours de plus avec une seule
caméra.
L.B. : Et tu avais deux caméras qui se doublaient sur une longue
focale et une courte ?
J.X.D.L. : Non, on essayait des choses comme ça mais dans le box,
étant donné l’histoire des reflets, c’était impossible. On l’a fait un
peu sur les témoins mais en fait c’était plutôt une caméra sur elle et
une caméra sur le président. C’était plus simple.
L.B. : Il y a beaucoup de plans larges, pour qu’on voie la distance
qu’il y a les uns par rapport aux autres.
J.X.D.L. : Ça me semblait essentiel. Montrer le rapport de distance,
les gens se parlent à une certaine distance. Et ça, c’était compliqué
à filmer, la distance. J’aurais voulu tourner presque chaque scène en
plan-séquence. C’est impossible quand les gens sont si loin. On l’a
fait vraiment une fois, où il y a un plan séquence qui fait quatre
minutes huit secondes, ce qui est assez rare à la télévision. C’est le
plan qui démarre derrière le dos de l’accusée pendant que le président
lui parle, puis l’avocat général parle ensuite à son avocate qui lui
parle... donc on reste tout le temps dans son dos, on joue avec son
reflet, la profondeur de champ et tout. Et ça, c’était techniquement
le sommet, l’idéal. Si on avait pu en faire plus, pas toujours dans son
dos comme ça, mais avec d’autres personnages...
L.B. : Et comment tu dirigeais les comédiens ? Ils avaient vu des
images ?
M. F. : Est-ce qu’ils avaient lu les 800 pages ?
J.X.D.L. : Alix Poisson, qui fait Véronique Courjault, est la seule
à qui j’ai donné l’intégralité du procès qu’elle a lu, en entier. C’est
une comédienne qui a fait le Conservatoire, elle a une formation
classique et n’a presque joué qu’au théâtre, ce qui, compte tenu de
son talent, est, pour moi, très surprenant... Elle n’avait jusque-là joué
qu’un petit rôle…
J.X.D.L. : Pas beaucoup parce qu’on n’avait pas le temps, il y a des
jours où on a tourné douze ou treize minutes utiles, enfin c’était un
truc de dingue !
M. F. : Elle avait vu des images ?
L.B. : Et donc tu avais fait avec Isabelle Razavet un découpage
numéroté, 453 plans, « allez, plan 12, plan 145… »
J.X.D.L. : Très peu. On lui a montré pas mal de croquis faits pendant
le procès. Et je dois dire que finalement, elle lui ressemble, elle n’est
pas si éloignée que ça de la vraie…
J.X.D.L. : Oui, parce qu’on avait très peu de temps et ça c’est
dommage, parce que c’est terrifiant de devoir préparer à ce point les
choses. On avait une heure sup tous les jours, mais on savait qu’à
partir du P.A.T à 9 heures du matin jusqu’à 19 heures il ne fallait
pas se poser de question sur la place de la caméra. Si on commençait
à discuter de ça, c’était foutu.
L.B. : Et tu la dirigeais comment ?
J.X.D.L. : L’envie de faire le film était aussi de se confronter à
quelque chose. Quand on tourne un documentaire personne ne
va questionner la crédibilité du réel. Les robes de Freda Black, les
maquillages de Freda Black (l’assistante du procureur dans Staircase)
au sein d’une fiction, ça ne passe pas, on n’y croit pas. Elle a les yeux
très maquillés chaque fois, chaque jour elle change de robe... Sur elle,
on trouve ça fabuleux, c’est formidable. Voilà, il y a plein de choses
que l’on trouve fabuleux dans le monde réel mais on le transposerait
dans une fiction, ça serait mauvais !
L.B. : La lumière était faite une fois pour toutes ? Ou elle refaisait
les faces ?
J.X.D.L. : Elle refaisait. Au départ, je lui avais dit : « On fait la
lumière une fois pour toutes » (Rires) elle m’avait dit : « Oui oui,
c’est le style du film, il faut faire la lumière une fois pour toutes,
après il ne faut plus y toucher. C’est très bien, comme ça on a un
chef électro et une petite main. » Résultat, il y a eu le chef électro et
deux électros et ça bougeait tout le temps.
M. F. : On dit toujours que le vrai n’est pas toujours vraisemblable.
L.B. : Alors comment tu t’y es pris avec Alix Poisson ?
J.X.D.L. : Pour la comédienne, c’était lui dire, ça ne sert à rien que je
te raconte comment Véronique Courjault parle exactement ou tous
les gestes qu’elle fait, parce qu’il ne s’agit pas pour toi de devenir
Véronique Courjault. Simplement prends-le comme un texte. Tu
es au théâtre, voilà ses paroles. Imprègne-toi du texte, travaille làdessus, travaille sur ce qui agit en toi. Et ensuite on verra. Je veux
voir comment ces mots-là, une fois que tu les auras digérés et qu’ils
auront pris possession de toi, comment ça va agir sur ton corps,
sur ton visage, sur tes émotions. C’était ça, le truc. C’était essayer
d’une manière détournée de recréer une forme de réel et filmer la
comédienne là-dedans. Et ce qui est formidable, c’est qu’elle a
complètement joué le jeu, elle a accepté de lâcher prise.
M. F. : Et tu avais fait un casting important ? Tu as vu beaucoup de
comédiennes ?
24 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
M. F. : Et après, il y a eu beaucoup de prises ?
L.B. : Elle va sûrement en faire d’autres.
J.X.D.L. : Non seulement pas vraisemblable mais souvent ça sonne
faux. Et quand j’ai tourné la fiction, mon obsession c’était de dire :
« Mais comment arrive-t-on à créer, à partir du faux quelque chose
qui soit vrai, à créer une émotion qui soit sincère, authentique, dans
laquelle le spectateur peut finalement totalement s’investir, comme si
c’était du vrai » Et ça, c’est la magie du cinéma. Mais là on est entre
les deux, on s’est dit qu’on partait du réel mais si on voulait chercher
à copier le réel, on allait se planter. Et c’est toujours très mauvais.
C’est souvent le problème du docu-fiction quand ils essaient de
copier du réel, ou de faire du faux réel, c’est nul.
© Maha Productions - Parcours meurtrier d'une mère ordinaire - Alix Poisson
J.X.D.L. : Oui c’était souvent très simple, il y avait quelques tables,
il n’y avait pas de décor, aucun déplacement ni rien. On avait quand
même mis une sorte de barre, d’ailleurs c’était très impressionnant,
chaque comédien était impressionné. Ils se levaient, ils se mettaient
devant tout le monde... Donc on a fait ça mais après avec elle, toutes
les scènes entre elle et le président, on les a répétées plusieurs fois
avant le tournage pour essayer de trouver...
J.X.D.L. : J’en ai vu pas mal, mais pas trop non plus parce qu’entre
celles... Je ne voulais pas de visage connu, pas de gens qui avaient
fait trop de télé pour ne pas qu’il y ait d’ambiguïté non plus, un
visage neuf donc plutôt des gens du théâtre. Et Nathalie Chéron, la
directrice de casting, est venue les deux premiers jours du procès. Et
elle a tout de suite eu quelques idées.
M. F. : Et ça t’énervait ?
© Maha Productions - Parcours meurtrier d'une mère ordinaire - Alix Poisson
L.B. : Dont Alix Poisson ?
J.X.D.L. : Oui, mais pas immédiatement. Au naturel, elle est
blonde et ne ressemble pas du tout à Véronique Courjault. Au
départ, quand je l’ai vue dans mon bureau... elle s’était mis de la
bombe pour se noircir les cheveux, je me suis dit ça m’étonnerait
que ça aille mais aux essais j’ai perçu que les mots... Dans les essais
que j’ai fait passer aux comédiennes, puisque le scénario n’était pas
écrit, je leur ai demandé d’apprendre 4 pages du procès, c’était un
échange entre le président et Véronique Courjault. Et dans l’essai,
j’ai senti que les mots sur elle... agissaient. Elle se laissait porter par
le texte, ça lui donnait des émotions qui n’étaient peut-être pas les
émotions de Véronique Courjault… mais des émotions qui moi me
touchaient, qui me semblaient sincères, authentiques. Je me suis dit
que si on arrivait à ça, au moins avec elle et avec le mari, le pari est
déjà grandement gagné.
M. F. : Vous avez répété avant le tournage ?
J.X.D.L. : On a répété une fois avec tout le monde ensemble dans
une grande salle. Tous les comédiens ont pu venir, ils ont joué le
jeu, ça permettait aussi que tout le monde se connaisse et de faire
partie d’un même projet, de discuter même du film, de quoi ça
traitait, des personnages des uns des autres, et ça c’était bien.
L.B. : Et alors vous l’avez joué en une heure et demie ?
J.X.D.L. : Non, ça nous a pris une journée.
L.B. : Tu intervenais, tu disais : « Non non non, levez-vous, toi
là-bas... »
J.X.D.L. : En même temps, je sais que c’est pour le bien du film.
L.B. : Et à quel moment a été prise la décision d’ajouter des
interviews, les « vrais gens »...
J.X.D.L. : Depuis le début. Et j’avais leur accord.
L.B. : Et tu les as tourné avant ou après le scénario ? Quand tu es
passé de 800 à 70 pages…
J.X.D.L. : On les a faits quand on a pu. J’aurais voulu les faire une
fois le scénario terminé mais non, ça n’a pas été possible. Sauf JeanLouis Courjault. On a fait une interview avec lui deux semaines
après la fin du procès, je voulais avoir quelque chose à chaud. Et
ensuite on l’a fait le lendemain de la fin du tournage de la fiction.
C’est à dire quatre mois après, pour voir s’il avait d’autres réflexions,
un peu plus de recul. Et les deux interviews sont mélangées.
M. F. : Pour France 3, c’était une fiction ou un documentaire ?
J.X.D.L. : Un documentaire. Sauf qu’évidemment on s’est retrouvé
avec huit jours de tournage parce que c’est un budget docu. Et donc
un timing qui partait de la date de diffusion le 7 décembre, on avait
un rétro planning jusqu’au 1er juillet. Les transcriptions, on les a
eues le 2 ou le 3 juillet. On a commencé à travailler tout de suite sur
le scénario. Ça n’a l’air de rien, 800 pages à réduire... Et finalement
le scénario était fini le 25 septembre et le tournage a commencé le
5 octobre.
L.B. : C’est tourné en Super 16 ?
J.X.D.L. : Non, avec une caméra numérique, la Varicam. Et là,
l’idée aussi, on n’a pas pu filmer le réel. Si on avait filmé le réel, voilà
où on aurait mis les caméras et on n’aurait pas pu bouger, ça aurait
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 25
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
J.X.D.L. : On a filmé avec deux caméras.
L.B. : Mais l’histoire de Carlos qui veut empêcher le film… enfin
quand même, c’est un type sans scrupules qui veut se faire de la
pub, une crapule notoire...
J.X.D.L. : Voilà, Robert Redford voit le film et dit qu’il va en faire
un film de fiction. Donc il demande à sa production de négocier,
d’acheter le droit image, le droit de représentation. Les Américains
appellent ça the liferights, les droits de la vie. Et donc ça se négocie,
ça passe par des avocats et c’est des gros contrats.
J.X.D.L. : Ça, j’attends de voir si ça peut se juger, s’il peut être
gagnant ou pas.
L.B. : Est-ce que les droits du jeune Noir sont moins chers que ceux
du président du tribunal ?...
L.B. : Pour Staircase, est-ce que l’avocat a été payé ?
L.B. : J’ai encore une question : l’affaire Philibert, Être ou avoir...
J.X.D.L. : Oui, les droits d’auteur de la personne filmée...
J.X.D.L. : Non, rien.
J.X.D.L. : Oui, ça c’était toute une négociation. Les parents, avec
leur avocat, voulaient absolument que les droits du jeune Noir
soient plus chers que les droits de l’avocat en disant que c’était
quand même lui qui avait souffert le plus. Oui, mais enfin, lui il
ne dit rien dans l’affaire… On commence à négocier et dans ces
contrats normalement sont stipulées des choses très précises sur ce
qu’il est possible de faire. McGuinness fume tout le temps, il fume
dans sa voiture, il boit du gin, et pour l’image de Redford, ça, il n’en
était pas question. En général, on part d’un personnage un peu lisse
et le comédien veut en rajouter pour le rendre plus singulier... Là,
on était dans quelque chose de totalement inverse et Redford tenait
absolument à son image de sourire dentifrice et nous, avec Denis,
on dit : « Mais non, ce n’est pas possible, on ne peut pas faire ça
du personnage... Il ne peut pas devenir comme ça ! Ce n’est pas
vrai ! »
L.B. : Et c’était entendu, il y a eu un contrat de fait ?
J.X.D.L. : Il y en a eu un au tout début avec lui et avec Michael
Peterson, pour que ce soit clair qu’il n’y aurait jamais un dollar
versé pour quoi que ce soit.
L.B. : C’était avant l’affaire Philibert ou après ?
J.X.D.L. : Je ne sais plus, car on l’a fait pour nous protéger parce
que je sentais qu’on risquait peut-être aux États-Unis de nous dire :
« Mais attendez, vous avez filmé partout, vous avez été payés... ou
vous avez payé pour avoir accès à ça ? » Non, ça devait être très
clair.
L.B. : Alors vous avez dit c’est à prendre ou à laisser ?
J.X.D.L. : Oui. J’ai dit : « Écoutez non, là, on est dans la vie… »
M. F. : Et Michael Peterson, il a vu le film ? Et ses avocats ? Quels
retours il y a eu ?
L.B. : C’est vous qui n’avez pas voulu alors ?
© Maha Productions - Parcours meurtrier d'une mère ordinaire
été sur pied. Puisqu’on a accès à la fiction, essayons d’utiliser aussi
les outils de la fiction qui permettent de dire : « Je peux mettre la
caméra où je veux. Normalement on ne peut pas investir librement
le lieu, alors essayons de le tourner comme un documentaire, mais
en me mettant où je veux. » Donc tout est fait caméra à l’épaule, je
voulais un peu qu’on sente la proximité... Tout ça, après, on voit si
ça marche ou si ça ne marche pas. Il y a des moments je trouve que
ça marche très bien, à d’autres c’est moins justifié mais quand ça
bouge un peu, qu’on se rapproche, on sent bien que c’est quelqu’un
qui filme. Ça peut être légèrement maladroit ou complètement
vissé. Mais c’est des choses qui étaient réfléchies à l’avance.
L.B. : Et pendant le procès, les choses dehors, c’est du cinéma
direct ?
J.X.D.L. : Oui. Pendant le procès, on avait une caméra, on filmait
les journalistes, le public, les petits plateaux, Dominique Verdeilhan,
de France 2…
L.B. : Et le film a eu un gros succès, d’audience et de critiques ?
J.X.D.L. : Critiques, oui. Beaucoup de gens, des journalistes aussi,
étaient assez partagés sur l’idée et finalement, en le voyant, le fait
qu’on sache aussi que ce sont des phrases authentiques, qu’on
ne triche pas, en disant : « Ce n’est pas du réel mais ce que vous
entendez... c’est les mots qui ont été prononcés, ça a une valeur
documentaire. »
M. F. : C’est un grand film !
L.B. : Je voulais te poser des questions concernant le droit. Tu as vu
l’histoire avec le film de Raoul Peck sur l’affaire Villemin et, en ce
moment, Carlos par rapport au film d’Assayas, le terroriste qui veut
26 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
J.X.D.L. : Et en plus, il y a la deuxième avocate, Anne Finnell, qui
est homosexuelle. Et c’est quelque chose d’important, alors que ça
n’est pas dit dans le film. C’est important parce que c’est quelqu’un
qui a dû affirmer une forme de différence. Jacksonville, c’est aussi
le nord de la Floride, c’est une grande ville mais tout le monde se
connaît. Et ça se savait et dernièrement, elle se présentait pour être
juge et elle ne peut pas être juge à cause de ça. Et pour Redford,
il était hors de question qu’elle le soit, donc il fallait lui inventer
une histoire de couple... Et la somme négociée variait selon que le
personnage était homosexuel ou pas. Tout ça était dans les contrats,
en train de se faire...
J.X.D.L. : L’avocat, la première fois qu’il l’a vu, il a été effondré.
Parce que, tout à coup, il a vu les erreurs qu’il a commises.
L.B. : Les erreurs de stratégie ou il a vu ce dévoiement de la
justice ?
J.X.D.L. : Non, les erreurs stratégiques. Il était tellement dans
l’énergie, il pensait tellement gagner que de toute façon il se disait
qu’ils seraient plus forts qu’eux.
M. F. : Et puis on comprend que la défense dispose de beaucoup
d’argent.
M. F. : Ce n’était pas toi qui devais faire le film ? Ils vous achetaient
un droit moral ?
J.X.D.L. : Oui, et quand ils perdent, alors là c’est un monde qui
s’écroule. Et quand l’avocat voit le film il dit : « Merde… y a des trucs
que j’ai ratés. J’ai raté parce que j’étais persuadé qu’effectivement on
était plus malins qu’eux et qu’on les aurait à la fin », mais non.
J.X.D.L. : Oui, mais en fait ça les intéressait aussi sur un point de
vue marketing. Le film aurait été basé sur une histoire vraie, à partir
d’un documentaire oscarisé. Il y a déjà un coût, un oscar qui est
dans la machine !
L.B. : Mais alors il aurait pu faire ce que veut faire Carlos, faire
interdire le film. Les contrats étaient blindés ?
L.B. : Et finalement, pourquoi ça ne s’est pas fait ?
J.X.D.L. : Oui, mais Carlos, il y a une fiction qui est faite et il n’est
pas dedans, alors que là lui, il ne peut pas nier, il ne peut pas dire
qu’il n’était pas d’accord !
J.X.D.L. : Parce que Redford voulait tous les droits de contrôle.
M. F. : Et vous, vous aviez une responsabilité morale sur ce qu’il
s’était passé. C’est vous qui n’avez pas donné les droits ?
J.X.D.L. : Exactement, moi je ne voulais absolument pas que les
gens parlent de cette affaire en disant que c’était n’importe quoi !
Après, on a eu une des patronnes d’Universal qui a appelé parce que
Julia Roberts pouvait faire le film. « Oui, mais le personnage est
masculin ! – Ce n’est pas grave, elle va jouer... les deux personnages.
On n’en fait qu’un, on garde la trame, elle a gagné un Oscar avec
Erwin Brockovich... – Mais c’est impossible, on ne peut pas s’emparer
de la vie des gens comme ça et en faire n’importe quoi ! » Bon,
L’affaire Villemin dans le fond, Raoul Peck a sans doute raison…
L.B. : Et Michael Peterson a vu le film ?
J.X.D.L. : Il n’a pas pu le voir. Il a été incarcéré tout de suite et il
n’a pas accès au DVD en prison.
L.B. : Pas de DVD en prison, ça craint !
© Maha Productions - Parcours meurtrier d'une mère ordinaire
Entretien réalisé à Paris le 14 janvier 2010
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 27
Entretien avec Jean-Xavier de Lestrade
un droit de regard... C’est quoi, tes réflexions par rapport à ça ? Tu
avais raconté à Luchon ce truc formidable quand Redford voulait
faire un film d’après Un coupable idéal…
Le bureau
Vive la fiction !
J'ai le scénario de cette décennie !
C'est mon producteur qui dit qu'il n'a jamais rien lu de si « formidable » (sic).
Seulement voilà, il faut le présenter par tranches…
L'histoire commence en Hongrie, il y a soixante ans environ, et s'achève demain.
Pour ce qui est du début, Budapest années 50, on présentera les séquences à Paule Zajdermann, puis la suite semble être du ressort de
François Hitter, mais comme à un moment, dans un suspense insoutenable, mon héros sauve un enfant, c'est France Camus qui sera
chargée des séquences…
Arrive l'instant où mon super-héros se sépare de son épouse, pique la femme de son copain et divorce ensuite.
Le 19 janvier, un billet d'humeur inspiré par le nouvel organigramme de la fiction à France Télévisions...
Le 17 février, une demande de dédommagements à France Télévisions pour les réalisateurs dont les projets ont été arrêtés.
Le 25 mars pour souhaiter Bonne chance au C.S.A. !
Bonne chance au C.S.A. !
Mercredi dernier, au nom du droit moral, le Groupe 25 Images s’est associé à un communiqué s’opposant à la signalétique imposée par le
CSA quant au placement de produits.
Nous tenons à préciser que ce problème de signalétique n’est que l'un des aspects d’un problème plus vaste. Notre Groupe a toujours
défendu la même position concernant le placement de produits dans les œuvres de fiction à la télévision : Nous sommes contre.
Il lui faut aussi partager la garde des enfants dont un des fils fait des frasques en scooter, mais heureusement mon héros rencontre le grand
amour, séquences suivies par Fanny Rondeau et Viviane Zingg, car, dans ce scénario génial, il y a aussi l'ombre d'un drame.
On nous oppose, comme une fatalité à laquelle il faudrait se soumettre, les directives européennes révisant l’interdiction de placement de
produits et datant du 11/12/2007*. Or il faut remarquer que, malgré la scandaleuse pression des commissaires européens, chaque Etat
conserve le droit d’adapter ces directives et certains pays font clairement de la résistance.
Mon héros veut être invité aux États-Unis par son alter ego US, il n'y arrive pas et use de stratagèmes désopilants, c'est à nouveau Fanny
Rondeau qui suivra les gags de ces séquences.
En France, le gouvernement a décidé de transposer cette directive et de l’inscrire dans la loi sur l’audiovisuel en laissant au CSA la
responsabilité des conditions de son application.
Vous l'avez compris, ce projet est ambitieux nous allons vers une coproduction internationale, c'est Jean-François Luccioni qui
supervisera.
Nous disons « Bonne chance au CSA », parce que ces sages vont devoir arbitrer entre des positions si contradictoires que n’importe qui y
perdrait la raison.
Mais comme tout ce petit monde n'arrive pas à s'entendre sur notre développement, il a été décidé qu'après avoir entendu leurs avis et
répondu à leurs remarques, c'est Vincent Meslet qui tranchera.
Première contradiction : la réforme de la télévision de service public avait un premier but clairement affiché. Supprimer la publicité sur le
service public. Ce qui a été fait dans une première étape, après 20 heures. Tout en maintenant cette disposition, le CSA est chargé de trouver
une façon de réintroduire la publicité à l’intérieur même des œuvres. Tout le monde peut constater le côté aberrant de la situation.
À propos, le titre du scénario ? L'Irrésistible ascension de Nicolas S…
France Télévisions maltraite les réalisateurs de fictions.
A la suite de la restructuration de France Télévisions en entreprise unique, de très nombreux projets ont été annulés.
Un budget d’indemnisation a été négocié pour dédommager les producteurs et les scénaristes, mais rien n’a été prévu pour les
réalisateurs.
Deuxième contradiction : le CSA doit faire en sorte que le spectateur soit averti de la présence de cette publicité à l’intérieur des œuvres,
qui serait sinon assimilée à de la publicité clandestine. Cet avertissement, s’il est trop visible, vient en contradiction avec le respect du droit
moral comme le dénonce le communiqué récemment signé. Si, par contre, cet avertissement est trop discret, il ne remplit pas son rôle.
Il existe en psychanalyse une notion qu’on appelle la « double contrainte » ou « injonction paradoxale ». On demande à la même personne
de faire en même temps une chose et son contraire. Les « injonctions paradoxales » sont les meilleures manières de conduire l’individu à
la dépression.
C’est pourquoi, encore une fois, nous souhaitons bonne chance au CSA.
Contraints de signer le plus souvent leurs contrats une fois le tournage commencé, et ce en contradiction avec les dispositions légales en
vigueur, ils ne sont donc pas protégés, pas plus qu’ils ne le sont lors des changements de ligne éditoriale qui interviennent en moyenne
tous les dix-huit mois au gré de la valse des décideurs.
France Télévisions reste sourde à nos demandes de compensation et emploie des arguments fallacieux pour ne pas faire face à ses
responsabilités, alors qu’elle s’est engagée à le faire pour les producteurs et les scénaristes.
Comment peut-on accepter que, seul parmi les auteurs, le réalisateur soit tenu à l’écart de toute forme de réparation ?
Depuis la récente réorganisation, la direction de la fiction de France Télévisions, responsable de plus de 150 films par an, est devenue par
son système pyramidal la plus puissante au monde. Cela lui crée des devoirs envers une profession qu’elle semble méconnaître et donc
négliger.
* Site du CSA : La directive 2007/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant la directive 89/552/CEE du Conseil visant à la coordination
de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle (directive « Services de
médias audiovisuels ») pose, en son article 3 octies, le principe de la prohibition du placement de produit sur l’ensemble des services de médias audiovisuels. Cependant, cette
pratique est, sauf à ce que l’Etat membre en décide autrement, admissible dans certains cas limitativement énumérés.
Le législateur français a décidé d’user de cette possibilité. L’article 14-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa rédaction
issue de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, charge le Conseil supérieur de l’audiovisuel de fixer les conditions dans lesquelles les programmes des services de communication
audiovisuelle peuvent comporter du placement de produit.
A cette fin, le Conseil a mené une large concertation avec les professionnels concernés dans le cadre d’une série d’auditions. Ces rencontres ont permis de mesurer les attentes
et les craintes que suscite l’autorisation de cette forme de communication commerciale, notamment en ce qui concerne la nécessaire préservation de la liberté de création.
Par ailleurs, la multiplication des séries confiées à une seule équipe de tournage, l’absence d’attention portée à la répartition raisonnable
du travail et la stagnation du volume de production ont plongé les réalisateurs dans une crise sans précédent.
La formule Protection par les ASSEDIC est avancée de manière récurrente sans que personne ne s’avise de constater que le montant des
allocations chômage a fondu au fil des réformes successives et que les périodes d’indemnisation ont considérablement été réduites, au
point que nombre de réalisateurs, dépourvus de toute protection sociale, sont obligés de vivre d’expédients.
Décidés à ne plus se laisser maltraiter, les réalisateurs sont contraints de prendre la profession à témoin pour se faire entendre et demander
des comptes à France Télévisions.
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Relations presse
Michael Morlon - Tél : 06 60 45 65 69 - 01 55 50 22 20 - [email protected]
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 29
Les communiqués
Les Communiqués
Trois communiqués parus depuis le début de l'année :
Avis de Sorties
Avis de sorties
Sur le site www.groupe25images.fr
Alain Nahum
Papiers de nuit 2
Extrait de la nouvelle
série de photos
« Nous sommes tous des
Don Quichotte des rues
à la recherche d'utopies...
et d'un emploi ! »
L'Association est ouverte aux réalisatrices et réalisateurs de films de télévision
Chères amies, chers amis...
Vous appréciez la lettre, vous appréciez l'action du
Groupe 25 Images, parfois vous trouvez que nous
n'en faisons pas assez ou vous ne vous reconnaissez pas
toujours à travers nos actions, alors venez vous faire
entendre, venez enrichir notre réflexion.
Que vous travailliez pour les chaînes du service public
ou dans le privé, nous avons besoin de votre expérience,
de vos points de vue.
Rejoignez-nous, pour renforcer la place du réalisateur,
pour qu'il soit au cœur de la création, de la production,
en sa qualité de maître d'œuvre, dans le cadre d'une
fiction novatrice diversifiée où le formatage ne doit pas
être le maître mot.
Le Groupe 25 Images n'est pas un syndicat, c'est un lieu
d'échange.
Plus nous serons nombreux, plus nous serons entendus.
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Le Bureau
Interview de Pascal Chaumeil à propos de l'Arnacœur
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30 • La Lettre des Réalisateurs n° 24
La Lettre des Réalisateurs n° 24 • 31
Avis de Sorties
Le Grec, ligne de dope
par notre ami Al Coutelis
Des comme lui il n'y en a plus : le Grec, un flic anachronique, mi Jean
Gabin, mi Robert Mitchum, se bat contre les travers d'une société
pourrie.
Théophanos Papoutsonoukadar, dit « le Grec », réalise un coup de filet
dans les milieux islamistes, filet où il trouve un poisson étonnant : Marcel
Guérini, truand converti à l'islam, avec qui il s'entraînait à la lutte il y a
des années.
Ce dernier lui remet un carnet couvert d'informations codées : des noms,
horaires, quantités de livraisons de drogues pour des sportifs de haut niveau.
Avec un comparse de Guérini, capturé alors qu'il tentait récupérer le carnet,
le Grec entreprend de remonter ce réseau de drogue un peu spécial…
Et le flic à la fois idéaliste et désabusé de citer Aldous Huxley :
« Les dictatures du monde entier ne remercieront jamais assez l'Angleterre
d'avoir inventé le football »…
Mais peu importe, car pour le Grec ce qui compte c'est la Justice. Et il la
fera tout seul s'il le faut.
Un polar serré comme un expresso, proche dans le style et l'ambiance
du culte Alack Sinner de Muñoz et Sampayo, rehaussé d'un argot à
la française pas piqué des vers...
En plus de son dessin chargé en émotion, Al Coutelis nous y livre
ses réflexions désabusées sur notre société et ses dérives.
Paru chez Glénat
Des gens qui passent
Un film d'Alain Nahum
D'après Un cirque passe de Patrick Modiano - Ed. Gallimard
Scénario de Jacques Santamaria
Sur une musique de Jean-Marie Sénia
Produit par JNP France Films
Avec Laura Smet, Théo Frilet, Hippolyte Girardot...
Première adaptation pour la télévision d'une œuvre de Patrick Modiano.
Paris, 1961. Jean, étudiant en lettres, croise Marie dans un
commissariat où il était convoqué pour une raison qui lui échappe.
Secrète et mystérieuse, la jeune fille semble déjà marquée par la vie.
Elle affabule, brouille les pistes, cherche visiblement à fuir quelque chose.
Jean accepte de lui venir en aide et l’héberge dans le grand appartement
familial déserté qu’il partage avec Grabley, un ami de son père.
Voulant rompre avec son milieu, Marie fait passer Jean pour son
jeune frère auprès de ses relations, Pierre Ansart et Jacques de Bavière.
Peu à peu, des liens se créent entre Marie et Jean, malgré les différences,
malgré les risques...
Alain Nahum a travaillé en pensant au cinéma des années 60 et à
la façon dont les films étaient réalisés à l’époque, afin de pouvoir
rendre au mieux le Paris de ces années-là.
Sortie en DVD le 31 mai 2010
La Lettre des Réalisateurs n° 24
Edité par Doriane Films
Photographie d'Orélie Grimaldi