Hommage Maurice Frydland

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Hommage Maurice Frydland
Hommage
Christiane Spièro
Du courage pour chaque jour. C’est ce que tu nous as
donné, Maurice, à nous, tes collègues.
Tu as su nous montrer comment quitter notre solitude
et notre angoisse de réalisateur pour être forts
ensemble. Ne plus être solitaires mais solidaires.
Discuter, échanger, réfléchir à notre métier, aux
meilleurs projets mais aussi au devenir de la télévision.
En 2002, tu écrivais dans la Revue Esprit : « Pourquoi
la fiction télé est-elle valorisée dans les autres pays et
pas dans l’Hexagone ? Pourquoi les meilleurs cinéastes
britanniques, de Ken Loach à Stephan Frears, sont-ils
au départ des hommes de télévision ? »
Tu as voulu pour nous le meilleur. Tu nous as aidés à
avoir de l’ambition sans arrogance.
D’abord en créant Les Rencontres internationales
de télévision à Reims en 1988 avec Jacques Baudou,
qui furent pendant vingt et un ans le grand rendezvous des films mais aussi des séries internationales, à
l’heure ou aucun festival de séries n’existait en France.
Rappelons-nous, Les Soprano, Six feet under,
À la Maison-Blanche, Cold Case et beaucoup d’autres
succès mondiaux furent découverts à Reims.
Pendant vingt et un ans, il y fut projeté en avantpremières les films et séries britanniques, américaines,
canadiennes, allemandes, italiennes, espagnoles,
australiennes, danoises et suédoises, norvégiennes
et finlandaises, tchèques, japonaises, chinoises,
brésiliennes, mexicaines… et bien sûr le meilleur de la
production télévisuelle française.
Dans ce cadre amical des Rencontres de Reims qui
portaient bien leur nom, nous avons avec mes copains
réalisateurs, scénaristes, comédiens, compositeurs,
débattu tard dans la nuit en découvrant les grandes
séries britanniques ou nord-européennes. Comment
nous donner cette liberté ? Cette singularité ?
C’est à Reims, en 1999, qu’est né, sous ta houlette,
l’idée du Groupe 25 Images.
Et dès la deuxième réunion du Groupe, j’ai le souvenir
de la grande salle du premier de la Maison des auteurs
archipleine, les réalisateurs serrés et même assis par
terre.
Oui, nous n’étions pas « solitaires ensemble », mais
« solidaires ».
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La Lettre des Réalisateurs n° 36
Maurice Frydland
Du courage pour chaque jour !
Dominique Attal, Philippe Venault
Entretien
Voyant que notre télévision s’exportait peu et mal, tu
as eu l’idée de créer La Teletek. Tu as monté de toutes
pièces des échanges avec les Instituts français et les
universités, à New York, Pékin et Montréal.
Tu as aussi, bien avant Série Séries ou Série Mania, fait
venir des réalisateurs et scénaristes étrangers pour
parler de leurs films, avec des rencontres à la Maison
des auteurs.
Maurice, tu as fait école, tu as été imité et c’est tant
mieux. C’est le cas de tous les novateurs.
Bien sûr, au Groupe 25 Images, nous n’oublions pas
que tu fais partie des quelques grands réalisateurs qui
ont mené la télévision à l’âge adulte. Et que, même si
la télévision fait fi du passé, il nous reste en mémoire
L’arme au bleu, Le mystérieux docteur Cornélius,
L’épingle noire, les Nestor Burma, etc.
Et nous qui t’avons connu, fréquenté, aimé, nous
savons comment tu as, jusqu’à la fin de ta vie, travaillé
à des projets, nourri des rêves, qui auraient dû devenir
des films si la maladie en avait décidé autrement.
Une vie de Montaigne. Tu aimais tant Les essais de
Montaigne qu’ils t’avaient accompagnés bien enfouis
dans la poche de ton treillis, lorsque tu étais trouffion.
Une vie de Jean Zay, ministre de l’Education nationale
et des Beaux-Arts sous le Front populaire, grand
résistant tué par la Milice.
Et depuis peu, tu t’étais enfin résolu à entreprendre
l’écriture de tes mémoires. Un récit sur ton histoire
d’enfant juif caché, séparé de tes parents. Histoire
douloureuse dont tu parlais très peu.
Oui, Maurice, tu étais un grand monsieur pudique et
tu nous manques.
Nous avons souhaité publier à nouveau cet entretien qui résume à la fois le parcours
de Maurice disparu le 12 mai 2016 et celui de la télévision française.
Voici ce que nous écrivions en 2012 :
Notre ami Maurice Frydland, cofondateur du Groupe 25 Images et des
Rencontres internationales de télévision de Reims, où nous avons découvert des
œuvres venues d’ailleurs et des séries passionnantes, nous a fait part de son désir
de quitter le bureau du Groupe 25 Images au prétexte que, ne tournant plus de films,
il n’y avait plus sa place. Nous le regrettons. Maurice reste néanmoins membre
du Groupe. Il se consacre désormais à l’écriture et n’a rien perdu de sa liberté de
penser.Cette décision est l’occasion pour nous de revenir sur sa longue pratique de
réalisateur au sein de la télévision publique et privée.
Groupe 25 Images : Maurice, tu as traversé une partie de
l’histoire de la télévision, que penses-tu de ce qu’elle est
devenue aujourd’hui ?
Marie-Jo Corajoud-Frydland, a été très
touchée par les nombreux messages,
publications et hommages rendus à
Maurice.
Elle remercie chaleureusement tous
ceux qui se sont manifestés et qui lui
ont fait l'amitié de témoigner.
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Maurice Frydland : Personne ne pouvait prévoir que la
télévision deviendrait ce qu’elle est et qu’elle prendrait une
telle importance. La grande période de son expansion, ce sont
les années 70. Entre 1960 et 1970, grâce à la redevance, la
télévision s’est développée. Grâce aux réseaux des télécoms,
on a pu couvrir la France de relais pour en permettre l’accès
pour tous. On a pu supprimer tous les trous noirs. Un paysan
au fond de la Creuse pouvait alors recevoir la télévision
avec au moins deux chaînes, si ce n’est trois. Donc jusqu’en
1974, on peut vraiment parler d’une période d’expansion
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et de richesse des programmes. À partir de cette date, on
a vu cette tendance s’évanouir, puis réapparaître durant la
« mini-période d’âge d’or » de 1981 à 1985 à Antenne 2 avec
la présence de Pierre Desgraupes à la tête de la chaîne.
G. 25 I. : Et de Claude de Givray à TF1, non ?
M. F. : De Givray a fait la jonction entre la télévision publique
et la télévision privée. Il était un créateur, il avait une vision
très personnelle, il considérait que la fiction télévisuelle, c’était
l’équivalent de la série B du Hollywood dans les années 40.
C’est à partir de là qu’on a vu l’explosion du polar sur TF1 et
plus tard sur le service public, qui s’est mis à courir derrière
elle. A l’époque, il n’y avait pas de CSA, pas d’organisme de
régulation. Ça a fonctionné comme ça jusqu’en 1974.
La Lettre des Réalisateurs n° 36
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…entretien avec Maurice Frydland…
On avait des bons représentants gaullistes à la tête des
chaînes. C’était Jean-Louis Guillaud sur la première chaîne,
Claude Contamine sur la deuxième, et un autre sur la
troisième. C’était parfois des gens très bien. Il y avait aussi
un homme adorable et très cultivé que j’aimais beaucoup
en tant que directeur des documentaires et du cinéma,
Yves Jaigu, récemment disparu. Il avait une haute idée du
service public et de la télévision. Il faisait travailler tous les
réalisateurs « communistes » parce qu’ils avaient du talent.
(Rire) Et aussi parce que ces réalisateurs s’appelaient Stellio
Lorenzi, Jean-Pierre Marchand…
G. 25 I. : Pierre Bouteiller a dit dans un livre qu’il y avait un
accord tacite entre le pouvoir politique et les directeurs des
chaînes : « Vous nous laissez l’information et nous vous
cédons les programmes de distraction et la fiction… »
M. F. : Oui absolument, et ça je l’ai vécu. Il y avait quand
même une exception, c’était 5 Colonnes à la une.
Cette émission présentée par « les trois Pierre » : Dumayet,
Desgraupes, Lazareff, avec Igor Barrère. C’était les seuls, dans
les années 60, à faire des reportages sur la guerre d’Algérie,
les seuls qui pouvaient mettre le doigt là ou ça faisait mal.
Après 1968, les directeurs de chaîne convoquaient des
réalisateurs et des journalistes un par un pour leur demander
s’ils avaient participé à Mai 68. S’ils répondaient « oui », ils
étaient blacklistés pendant des années. Personnellement
pendant dix-huit mois, j’ai eu beaucoup de mal à travailler.
G. 25 I. : Quand est-ce que tu as commencé à travailler pour
la télévision ?
M. F. : J’ai commencé sous l’ORTF grâce à Jacques Thibault.
Gaulliste de gauche, il voulait absolument casser le monopole
de certains syndicats qui entretenaient un corporatisme très
puissant à la télévision. Des gens comme nous, ayant toutes
les compétences mais étant complètement extérieurs à la
télévision, ne pouvions pas travailler. Une des émissions qui
ont cassé ce monopole en allant chercher tous les réalisateurs
à l’extérieur, c’était Dim, Dam, Dom. Gérard Pirès, Claude
Miller ont ainsi débarqué sur l’émission…
G. 25 I. : Tu peux dater cette période ?
M. F. : Oui, c’était en 1966, 1967. C’est comme ça que je suis
entré dans le monde de la télévision, grâce à des circuits, à
des copains, mais ça se passe toujours comme ca. Et puis
il y a eu la grande crise de 1968. La télé est restée muette
pendant toute cette période. En 1969, Pompidou a voulu faire
un effort, et il a libéralisé la télévision. Chaban-Delmas était
alors Premier ministre, souvenez-vous du fameux discours
sur la nouvelle société écrit par Jacques Delors. Il a fait appel
à Pierre Desgraupes, c’était un geste très fort puisqu’il avait
fait partie des grévistes de 68, il était donc sur la liste noire.
Il s’est alors retrouvé à la tête de TF1 avec son ami Pierre
Dumayet. Comme un bonheur ne vient jamais seul, il a eu
l’idée géniale de faire appel à Olivier Todd pour présenter
une émission phare de l’époque qui s’appelait Panorama.
C’était l’émission hebdomadaire d’actualité, comme on peut
avoir Envoyé spécial aujourd’hui. Todd, qui a été débauché
de Libération à l’époque, a dirigé l’émission pendant dix-huit
mois. Il a fait appel à des jeunes gauchistes comme moi.
On travaillait tous pour Panorama ! On roulait des mécaniques
dans les couloirs parce que c’était l’une des émissions les plus
regardées. Ça a été un vrai coup de tonnerre. On avait fait
un portrait de Georges Marchais, de Roland Leroy qui était
directeur de L’Humanité et membre du bureau politique, et
de Paul Laurent, un des secrétaires du PC et qui était le père
de l’actuel Pierre Laurent, patron du PC. Ils avaient chacun
environ dix-sept minutes d’antenne, ce qui était une véritable
révolution. Ça a donc été le premier bol d’air.
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La Lettre des Réalisateurs n° 36
Mais dès 1972, Pompidou met brutalement fin à l’expérience
Chaban-Delmas de la nouvelle société. Delors est renvoyé à
ses brillantes études. La télévision se referme comme une
huître. Desgraupes, Dumayet et les autres sont débarqués et
ils vont tous rester blacklistés jusqu’en 1981, avec l’arrivée
de Mitterrand aux affaires. Je ne savais pas du tout quoi faire,
comment réagir. Je rencontre alors un ami, Bernard Bouthier
qui a beaucoup travaillé avec Pascale Breugnot. C’était son
éminence grise, un type très talentueux. A cette époque, il y
avait une émission qui me faisait rêver, c’était Les cent livres,
réalisée par Claude Santelli et Françoise Verny. Alors je lui
demande comment il a fait pour travailler pour Les cent livres.
Il me dit c’est très simple, tu appelles Françoise Verny, tu
vas voir c’est quelqu’un de très ouvert, elle te recevra. (Rire).
Je prends mon courage à deux mains, et un jour à 9 heures
du matin je l’appelle chez elle et je lui parle de l’objet de mon
appel. Elle me dit « pas de problème, vous êtes libre cet aprèsmidi vers 16 heures ? Passez me voir chez Grasset, rue des
Saints-Pères ». De mon côté, j’avais préparé quelques sujets
sur lesquels j’avais envie de faire Les cent livres. Je pensais
à Aragon, à Diderot. J’arrive donc rue des Saints-Pères et je
découvre cette femme, très sympathique avec une poignée
de main incroyable. Je lui raconte alors mon parcours,
l’assistanat au cinéma, tous les gens que j’ai connus, de
Bluwal à François Villiers… Puis je lui parle de mon trajet à
la télévision, le grand reportage, le magazine. Là, elle me dit
que ça l’intéresse et me demande ce que je veux faire aux
Cent Livres. Je lui parle de mes deux projets. Elle me prévient
tout de suite que Diderot, c’est la chasse gardée de Santelli
et qu’Aragon ce n’est pas mal mais que la négociation des
droits avec Gallimard sera compliquée. Mais elle me dit, en
ce début de mois de septembre, qu’elle a une émission qui
est programmée, qui doit être tournée en novembre, que
l’équipe est formée mais qu’il manque le réalisateur. C’était
une émission sur Chateaubriand et Mémoires d’outre-tombe.
Elle me demande si ça m’intéresse. Je dis « bien sûr, c’est
formidable ». Je n’avais alors jamais ouvert un livre de
Chateaubriand de toute ma vie, elle décroche son téléphone
et appelle Claude Santelli au Studio Pathé. Elle lui dit alors :
« Claude, j’ai trouvé un jeune réalisateur qui connaît tout
de Chateaubriand et qui va nous faire un Mémoires d’outretombe formidable ! » (rire)
G. 25 I. : Et c’est à partir de ce moment que tu as commencé
a travailler avec Françoise Verny comme coscénariste ?
M. F. : On s’est tout de suite très bien entendus. Elle était
éditrice, directrice littéraire chez Grasset. Elle avait fait
Normale sup et était agrégée de philosophie, très croyante.
Elle a contribué à la naissance de trois réalisateurs de la
télévision. Le premier c’est Serge Moati, le deuxième, Michel
Favart et le troisième, c’est moi. Elle nous a vraiment mis le
pied à l’étrier. Elle m’a demandé si je voulais faire de la fiction.
J’ai dit oui, bien sûr. Elle m’a dit alors voilà, je te propose
trois livres, tu en choisis un et on va en faire une fiction. Il y
avait un Mauriac, Le mystère Frontenac, un Maupassant et
un Zola. J’ai choisi le Mauriac. Elle m’a demandé pourquoi.
J’ai répondu que ce livre évoquait une enfance que je n’avais
jamais eue et je lui raconte ce que j’avais vécu pendant la
guerre. Là, elle tombe de sa chaise, et me propose un contrat
pour que j’écrive mon histoire. Je lui ai dit que j’étais incapable
de parler de moi et encore moins d’écrire mes souvenirs.
Ce qui est drôle, c’est que je suis en train de le faire
maintenant, quarante ans après. Donc je lui raconte ma
guerre, ma rencontre avec la peur, les gens qui m’ont aidé.
Le périple d’un enfant juif qui passe de famille en famille,
séparé de ses parents et de sa sœur, et qui perd son identité…
Et je lui explique que Le mystère Frontenac, c’est l’enfance
dont j’ai toujours rêvé.
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L'arme au bleu avec Jean-Michel Dupuis, Pierre Arditi, Maurice Vaudaux, Richard Anconina (1981)
G. 25 I. : Mais justement, dans quel cadre institutionnel ces
décisions se prenaient-elles ? Quel poste occupait-elle au sein
de l’organigramme de l’ORTF de l’époque ?
M. F. : Aucun. Ça se passait uniquement sur un plan
relationnel. Elle était extérieure à l’ORTF.
G. 25 I. : Quand tu dis qu’elle était productrice, elle était
directrice de collection, plutôt, non ?
M. F. : Oui, aujourd’hui on l’appellerait comme ca. Elle ne
produisait pas, elle proposait. Mais à l’époque, ces gens
avaient l’étiquette de producteur.
G. 25 I. : Donc c’était une chercheuse d’idées et de talents
pour le compte de l’ORTF.
M. F. : Exactement. Elle recevait un cachet de producteur/
auteur. C’est comme ça que ça se passait. Et elle accédait aux
droits d’auteur de la SGDL.
G. 25 I. : Donc, les réalisateurs allaient voir le directeur de
collection, en l’occurrence Françoise Verny, pour proposer des
sujets ?
M. F. : En l’occurrence, c’était elle qui appelait les gens plutôt
que le contraire. D’abord, on était très peu de réalisateurs
à l’époque, cent cinquante au maximum, tous genres
confondus : les directs, les journaux, le sport, etc. Et tu avais
les réalisateurs qui faisaient de la fiction et qui étaient issus
de l’école des Buttes-Chaumont. C’est-à-dire qu’ils s’étaient
fait les griffes sur les grands directs, Bluwal, Badel, Santelli…
mais ils étaient peu nombreux, une trentaine environ.
G. 25 I. : Revenons à toi. On te propose donc de faire
Le mystère Frontenac.
M. F. : Je fais donc le film, que j’écris avec Françoise. Mais à
l’époque on n’avait pas le droit de cosigner l’adaptation en
tant que réalisateur.
G. 25 I. : Pourquoi ?
M. F. : Certaines personnes avaient décrété ça, ils ne voulaient
pas que les réalisateurs soient scénaristes ! Ça date de
l’éclatement de l’ORTF en 1974.
G. 25 I. : Mais les trente réalisateurs dont tu parles étaient
quand même à l’origine de leurs projets et pouvaient quand
même choisir leur scénariste, non ?
M. F. : Oui, dans l’ensemble, mais pas toujours.
Des gens comme Jean Cosmos n’étaient pas choisis par les
réalisateurs. Cosmos, scénariste de L’homme du Picardie.
Loursais, l’homme des Cinq dernières minutes, était son
propre producteur, son propre réalisateur. C’était les rois
du pétrole à l’époque. C’étaient eux qui choisissaient les
réalisateurs.
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G. 25 I. : Enfin… Bluwal choisissait…
M. F. : Bluwal, Santelli, c’était des gens à part. Bluwal, c’était
un espèce de monstre sacré qui était l’ORTF à lui tout seul!
J’étais son assistant à l’époque.
G. 25 I. : Continuons sur la pratique du réalisateur.
Donc, tu écris le scénario avec Françoise. Ensuite ? Tu choisis
tes acteurs ? Tu rends des comptes à qui ?
M. F. : Après, tu es le patron absolu de ce que tu fais. C’est
comme au cinéma. Tu ne rends de comptes à personne.
Tu ne discutes qu’avec ton scénariste. Moi, j’ai fait ma
première distribution avec Françoise. On discutait beaucoup,
mais j’avais carte blanche. Elle ne m’aurait jamais imposé
un acteur.
G. 25 I. : Tu tournais en combien de jours à l’époque ?
M. F. : C’est drôle, ça n’était pas tellement plus long
qu’aujourd’hui, 23 ou 24 jours. C’est d’autant plus intéressant
que je dirais que maintenant les gens ont proportionnellement
plus de temps de tournage que moi je n’en avais à l’époque.
Quand je faisais des nuits je travaillais avec des projecteurs
à arc qu’il fallait « charbonner » régulièrement. Ça prenait du
temps. Tu ne pouvais pas faire beaucoup de plans, la nuit.
G. 25 I. : Il y avait beaucoup de personnel pour les mettre en
œuvre.
M. F. : C’est vrai. Ils étaient quatre pour porter un arc de
225 ampères. C’était très encombrant et très lourd, mais ça
générait une magnifique lumière.
G. 25 I. : C’était tourné en décors naturels, en studio ?
M. F. : Ça dépendait. Tu pouvais avoir un budget pour
le studio si tu ne trouvais pas le décor naturel. Tu avais
des décorateurs, des ensembliers, des accessoiristes qui
travaillaient ensemble. C’était des équipes lourdes, comme
au cinéma ! 50, 60 personnes.
G. 25 I. : Aujourd’hui, on reparle du « tout-série ».
On s’aperçoit que ce n’est pas une nouveauté, puisque toi tu
avais fait L’épingle noire
M. F. : Mais même bien avant moi ! Michel Drach avait fait
Les compagnons de Jehu. Oui, les séries existaient déjà dans
les années 70
G. 25 I. : C’était combien d’épisodes, L’épingle noire (1982) ?
M. F. : C’était 6 x 52 minutes. C’est donc un format très
ancien.
G. 25 I. : Est-ce que tu avais le sentiment que ta place, tes
prérogatives de réalisateur avaient changé quand tu as fait
cette série ou c’était toujours le même système ?
La Lettre des Réalisateurs n° 36
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…entretien avec Maurice Frydland…
Gallo avait de grandes ambitions pour ce projet. Il avait des
envies de Polanski, de Tavernier, qui refusent tous les deux.
G. 25 I. : Il y avait déjà cette idée d’aller chercher des
réalisateurs de cinéma. C’était déjà plus chic que de faire
travailler les gens de télévision ?!
M. F. : C’est parti de là ! C’était l’idée en l’air, mais à cette
époque les réalisateurs de cinéma ne voulaient pas faire de
la télévision.
G. 25 I. : Donc Docteur Cornelius se met en place…
L'Epingle noire avec Caroline Chaniolleau, Maurice Vaudaux, Gérard Desarthe, Pierre Arditi (1982)
M. F. : Non, j’étais le patron absolu. Jean-Pierre Gallo était
mon producteur à la chaîne, je n’avais pas de producteur à
la SFP…
G. 25 I. : … Tu parles de la SFP...
M. F. : Oui. Il y a eu toute cette structure où les chaînes avaient
entre leurs mains les producteurs délégués et artistiques pour
les documentaires, les variétés, la fiction. Pour ce qui est de la
fiction, c’était l’« âge d’or », de 1981 à 1985. À cette période,
Desgraupes était directeur général d’Antenne 2 et il y avait
deux types remarquables, des réalisateurs, qui dirigeaient la
fiction, Jean-Pierre Gallo et Jacques Trébouta. Il y avait aussi
Jean Capin, qui, lui, était responsable de tout le côté polar.
G. 25 I. : Revenons à la série dans les années 70- 80. Est-ce
que les décisions se prenaient de la même façon qu’au temps
du Mystère Frontenac ?
M. F. : Tout à fait. Si quelqu’un avait une idée, il y allait. Il n’y
avait pas d’unité de programme, ça n’existait pas.
G. 25 I. : Il y avait des gens dans les chaînes qui disaient :
nous, on a envie de faire des adaptations, des polars ?
Mais revenons à L’épingle noire…
M. F. : Ce n’est pas moi qui ai apporté l’idée de L’épingle noire.
C’est encore une anecdote très étonnante. Il existait dans la
tradition de l’époque ce qu’on appelait le feuilleton de Noël,
un feuilleton de prestige. Et cette année-là, le feuilleton qui
avait été choisi, c’était L’épingle noire, tiré d’un livre écrit par
Dominique de Saint-Alban. A l’origine, c’est Jean-Pierre Gallo
qui devait le réaliser et pas du tout moi. Là-dessus, Pierre
Desgraupes est nommé patron d’Antenne 2, et il a tout de
suite appelé ses amis Gallo et Trébouta en leur disant : « Vous
allez venir avec moi. Je vais créer des unités de programme,
et vous allez vous occuper de la fiction ! » A cette période, ils
étaient tous les deux au zénith de leur carrière de réalisateurs.
G. 25 I. : La mise en place d’unités de programme, c’est donc
une idée de Desgraupes.
M. F. : Absolument. Cette idée vient du rapport Moinot.
La commission Moinot, qui s’était réunie juste après la
victoire de Mitterrand en mai 1981, avait planché pendant
un mois et demi sur la question de comment réorganiser
la télévision. Dans cette commission siégeaient des gens
comme Failevic, Santelli, Gallo, Trébouta, des producteurs
et des administratifs de l’époque de la télévision. L’idée
des unités de programme vient de là. Cette idée d’avoir
des producteurs exécutifs à l’intérieur des chaînes, qui
seraient des créateurs, responsables d’un certain nombre
d’heures d’antenne. C’était ça, la grande idée : les créateurs
devenaient des décisionnaires. Toute la commission Moinot
était composée de créateurs. Moi, ça me rendait dingue de ne
pas avoir été choisi ! Mais je n’étais pas un réalisateur assez
prestigieux à l’époque.
8 •
La Lettre des Réalisateurs n° 36
G. 25 I. : Cette idée qu’il fallait des unités de programme
dirigées par des créateurs qui donnent l’impulsion sur la
création de la fiction, ça vient donc de Desgraupes et de cette
commission Moinot ?
M. F. : Oui, ça vient de la gauche. C’est Mitterrand qui avait eu
l’idée de mettre en place cette commission Moinot.
G. 25 I. : Qui était M. Moinot ?
M. F. : Grand résistant, haut fonctionnaire, écrivain, membre
de l’Académie française, il était l’un des adjoints de Malraux
aux affaires culturelles. C’était une sorte d’éminence grise des
affaires culturelles, je crois que sous son égide, si on avait fait
la télévision comme elle avait été définie par la commission
Moinot, on aurait eu la plus belle télévision du monde. C’était
une télévision d’utopistes, c’était formidable !
G. 25 I. : Desgraupes a donc suivi ses recommandations.
M. F. : Oui, totalement. La preuve en est qu’il a nommé trois
créateurs à la tête des unités de programme. Jean Capin n’était
pas réalisateur, mais il avait été aussi secrétaire général de
la compagnie Jean-Louis Barrault et il était romancier et
scénariste. Un administrateur travaillait avec eux. Il leur
administrait un budget et, à la fin de l’année, ils devaient
livrer un certain nombre d’heures de fiction. Entre les trois,
ils avaient une liberté absolue. Personne d’autre n’intervenait
sur les choix. Gallo, choisi par Desgraupes comme l’un des
patrons, commençait tout juste à préparer L’épingle noire.
Il a dû chercher un réalisateur pour lui succéder. Moi, de mon
côté, je venais de terminer le film L’arme au bleu, qui avait
fait beaucoup de bruit à l’époque. Ce film racontait l’histoire
d’une patrouille pendant la guerre d’Algérie. Les acteurs qui
formaient la patrouille s’appelaient Pierre Arditi, Richard
Anconina, Jean-Michel Dupuis (rire). Donc quelques acteurs
connus déjà à cette époque. J’ai tourné ce film pendant l’hiver
1980-1981. Jean Capin, responsable du film, était mort de
trouille, et me disait sans cesse : « Ne dis surtout pas que tu
fais un film sur la guerre d’Algérie. » J’étais censé tourner un
conte de Noël dans le Sud tunisien. C’est Desgraupes qui un
dimanche matin a contacté Gallo pour lui demander s’il me
connaissait, il venait de voir mon film sur la guerre d’Algérie.
L’ayant trouvé très intéressant, il a conseillé à son ami Gallo
de m’appeler pour me proposer de faire L’épingle noire.
G. 25 I. : Tu as une idée du volume de la fiction que les
directeurs de programme devaient remettre à la fin l’année ?
Un par mois ?
M. F. : Tu plaisantes, il devait y avoir un nouveau film par
semaine ! Et seulement pour Antenne 2. C’était d’autres
unités de programme sur la 3, mais leurs films étaient
tournés en région. Les films France 3 se faisaient avec de plus
petits moyens. On commençait à voir apparaître quelques
privés mais c’était essentiellement des productions de la
SFP. C’est à la suite de L’épingle noire et devant le succès
de la série qu’on va me proposer de faire Docteur Cornelius.
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M. F. : … dans les mêmes conditions de liberté. Gallo qui
visionnait les rushes, m’appelait pour discuter avec moi de
quelques points artistiques mais jamais pour m’imposer des
choses.
G. 25 I. : Les unités de programmes vont perdurer jusqu’à
quand ?
M. F. : Je dirais qu’elles ont duré en l’état durant tout le règne
de Desgraupes, c’est sûr… mais ça a dû se prolonger un peu
plus longtemps. Il y avait des réalisateurs comme toi, et tu
as en quelque sorte dirigé une unité de programme. Tu as
été le dernier échantillon, l’un des derniers dirigeants d’unité.
En fait, ça a dû finir avec Didier Decoin en 1995.
G. 25 I. : Maurice, toi qui connais bien les télévisions étrangères
et je parle en particulier de la télévision anglaise, le système
que tu décris dans ces années-là, n’est-il pas un peu similaire
au système de la BBC ? Des unités de programme. Et à côté de
ça, la SFP, un gros studio qui avait tout les défauts du monde
mais où travaillaient des gens talentueux, un savoir-faire, des
costumes, des décors… qui avait une « excellence », qui est
tombée avec l’arrivée des producteurs indépendants.
M. F. : Je pense que tu as parfaitement raison. Quels que
soient les défauts de la SFP, quand elle décrochait un budget
auprès d’une chaîne pour faire un film, une fois qu’elle avait
récupéré ses frais généraux, tout l’argent allait dans la
réalisation. Personne ne s’achetait des voitures de sport au
passage.
G. 25 I. : On ne peut pas vraiment reprocher aux producteurs
de télévision actuels de rouler en Ferrari… si ?
M. F. : Oh il y en a certains qui ne s’en privent pas (rires).
G. 25 I. : On va se mettre à dos tous nos producteurs ! (rires)
M. F. : C’est moi qui le dis.
G. 25 I. : En tout cas, on avait envie de savoir comment la
place du réalisateur dans le processus créatif s’était modifiée.
C’est pour ça que tu es là aujourd’hui. Pour nous inviter à
réfléchir sur cette question et à voir comment tout ça s’est
passé, comment les créateurs ont disparu de toutes les
instances décisionnaires … Donc, après Desgraupes, qui
dirigeait Antenne 2 et FR3 ?
M. F. : Après lui, il y a eu des gens comme Jean-Claude
Héberlé, mais des gens très éphémères. Ça durait quinze jours
à chaque fois… Après il y a eu Jean Drucker pendant trois
ans, je crois. Mais les unités de programmes commençaient
à se porter très mal… En fait, je dirais que le dernier
représentant des créateurs qui s’est occupé de fiction et qui
a laissé son empreinte, c’est Didier Decoin (1995). Ensuite,
les producteurs et les écoles de commerce sont arrivés au
pouvoir. Parmi les producteurs, il y a eu tout de même des
gens des gens intelligents. Nicolas Traube a décidé des choses
intéressantes. Avec un vrai talent.
G. 25 I. : Bien sûr. Mais on peut quand même s’interroger
sur les raisons qui ont poussé les dirigeants de chaîne à
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vider toutes les instances décisionnaires de la fiction du
moindre créateur. A quelques petites exceptions près.
Sous Didier Decoin, quand tu faisais des Burma, tu avais
encore le sentiment d’œuvrer dans la liberté complète ? Pour
le choix de tes acteurs ?
M. F. : C’était pareil pour tout, pour Les cinq dernières minutes,
les Maigret, il y avait l’acteur principal et après tu faisais ce
que tu voulais pour la distribution.
G. 25 I. : Et pourtant, il y avait de la publicité, les audimats et
les courbes d’audience…
M. F. : Oui, c’est très vieux l’audimat. Quand j’ai fait ma
première fiction en 1975, il y avait déjà des courbes
d’audience. C’était gardé top secret. À mon avis les audimats
ont du apparaître à la télévision dans les années 70, mais
personne n’en parlait.
G. 25 I. : Ne sont-ils pas apparus réellement quand ont
commencé les privatisations ?
M. F. : Non l’ORTF faisait déjà des audimats. Et déjà à cette
époque ils en tenaient compte, c’est évident. Pourquoi en
faire si tu n’en tiens pas compte ? Cette machine infernale…
Je me souviens d’une personne qui avait pitché un projet qui
avait l’air super, une sorte d’Autant en emporte le vent des
temps modernes, et la personne qui était à la direction l’a
tout de suite arrêté en lui disant qu’ils avaient diffusé Autant
en emporte le vent quelques jours avant et que ça avait fait
un très mauvais taux d’audience. Consternant ! Mais je dirais
que le virage brutal de la télévision s’est fait avec la vente de
TF1 en 1987. La privatisation a été une catastrophe pour la
télévision. On ne se rendait pas compte des conséquences
que ça allait avoir. Parce que à ce moment-là, TF1 n’avait plus
de ressources, elle ne pouvait vivre que de la pub. Il fallait que
la chaîne fasse entrer le plus d’argent possible et que toute
émission fabriquée soit rentable. Il s’est passé le contraire de
ce qui a eu lieu en Angleterre. D’abord, on n’a pas amputé la
BBC d’une chaîne. Il y a toujours eu BBC 1, BBC2 et BBC3, les
trois chaînes publiques. Quand une nouvelle chaîne privée a
été créée, soumise à la publicité et aux rentrées publicitaires,
ITV, c’était ce que les Anglais appellent une syndication,
c’est-à-dire un ensemble de chaînes qui pouvait être reçues
par toutes les régions anglaises, le pays de Galles, l’Ecosse,
l’Angleterre et l’Irlande. C’était une sorte de FR3 décentralisée.
Le seul moyen pour eux d’exister, c’était de faire aussi bien que
les chaînes publiques en termes de programmes. En France,
ça a été totalement différent. On a amputé d’une chaîne un
service public qui marchait très bien. À partir de là, le service
public a été complètement déstabilisé. Contrairement à la
Grande-Bretagne, où les gens sont nommés pour au moins
cinq ans à la tête de la BBC, il n’y a plus jamais eu de vraie
politique du service public en France.
G. 25 I. : Mais Desgraupes avait été nommé par la Haute
Autorité.
M. F. : Oui, mais une fois que Desgraupes a été viré, la Haute
Autorité a été supprimée. Par la suite, les dirigeants étaient
nommés par des autorités étranges, bizarres. Quand TF1 a
été rachetée par Bouygues, on a mis à la tête de la chaîne un
homme qui s’appelait Le Lay et qui ne connaissait rien à la
télévision. Il s’est rapidement mis au parfum en s’entourant
de gens qui lui ont expliqué comment ça fonctionnait.
C’est devenu rapidement une affaire commerciale rentable.
Comme ils avaient beaucoup d’argent, ils ont investi dans
des programmes que les gens regardaient beaucoup,
comme le football, les grosses variétés. La fiction passait
complètement à la trappe.
La Lettre des Réalisateurs n° 36
•9
…entretien avec Maurice Frydland
G. 25 I. : Tu dirais que la mainmise du diffuseur sur la création
date de cette période?
M. F. : Ça a commencé là, oui. Quand un producteur arrivait
pour vendre un projet à la chaîne, il fallait qu’il ait au moins
trois réalisateurs dans sa besace. C’était la chaîne qui le
choisissait. On parle ici de TF1 d’abord, mais cette pratique a
glissé vers le service public.
G. 25 I. : Pourquoi ?
M. F. : Contrairement au phénomène anglo-saxon, où la
télévision privée, en termes de qualité, courait après le
service public, en France le service public était en train de
dépérir fasse à TF1. La télévision commerciale a très vite
pris le dessus. On se souvient des indices d’écoute de TF1 qui
tournaient autour de 35, 40 % de part d’audience. Tout les
gens qui arrivaient sur le service public se disaient : « Si TF1
arrive à si bien fonctionner, il faut peut-être qu’on fasse la
même chose. »
G. 25 I. : Le service public était vraiment un tremplin de la
pratique culturelle. L’organisation rêvée d’un service public
idéal, ça serait comment pour toi ?
M. F. : Je pense qu’il faudrait revenir aux unités de programmes,
réhabiliter la création en replaçant des créateurs au centre
des décisions. Actuellement, les scénaristes sont aussi mal
lotis que nous, aussi mal aimés que nous, réalisateurs.
Un exemple : quand j’étais en désaccord avec Gallo ou Capin
ou avec d’autres dirigeants sur un acteur qu’ils essayaient
de m’imposer pour un film, je leur répondais que c’était
impossible de travailler s’il n’y avait pas un minimum de
feeling entre le réalisateur et l’acteur. Si tu n’es pas devant
des gens idiots, ils comprennent ce genre d’arguments. Gallo,
réalisateur, acceptait sans problème.
Pour les gens de ma génération et peut-être encore pour
la vôtre, le réalisateur avait l’aura d’un créateur, c’était
quelqu’un qui mettait en partition des rêves. La nouvelle
génération de réalisateurs ne participe plus à la création
d’un rêve. Etre réalisateur, c’est devenu une sorte de raison
sociale. On accède à un statut de responsabilité.
G. 25 I. : Tu dis souvent, en référence aux séries américaines,
que le réalisateur est devenu un flic qui règle la circulation.
C’est ce qui nous attend ?
M. F. : Malheureusement, je pense. Voilà, mais, tout de
même, sur certaines séries, les réalisateurs peuvent laisser
leur marque, même aux Etats-Unis.
G. 25 I. : Le problème, en France, c’est peut-être la place du
réalisateur en amont.
M. F. : Je pense que c’est le point principal qu’il faut changer
si on veut faire bouger les choses. Quand une chaîne a un
projet, elle devrait contacter pratiquement en même temps
le réalisateur et le scénariste. Mais le problème est que les
chaînes trouvent qu’on est déjà trop payés. C’est un faux
problème. Ça implique juste que le réalisateur ne travaille
pas pendant trois mois mais pendant huit mois. Il faut
absolument que les producteurs nous aident et défendent
cette position-là. Pour l’instant, personne n’est prêt à le faire.
G. 25 I. : Dans le cadre des négociations que les producteurs
et France Télévisions ont entamées sur les dédommagements
dans le cadre de la charte de développement, il serait toujours
hors de question pour les chaînes d’indemniser un réalisateur.
M. F. : C’est le scénariste qui règne sur le projet aujourd’hui,
contrairement à ce qu’il dit. Mais c’est vrai aussi que certains
réalisateurs ont donné le fouet pour se faire battre. J’étais
très choqué en voyant des camarades préparer deux films en
même temps, et le nombre de réalisateurs qui ne mettent
pas un pied en repérages et qui découvrent les décors le jour
où ils arrivent sur le tournage. Il y a un malaise du côté des
réalisateurs. Je pense que l’un des problèmes en France, c’est
qu’on a mal défini le poste. Chez nous, le réalisateur de direct
a les mêmes prérogatives que le réalisateur d’un unitaire de
fiction. Ce qui n’est pas le cas à l’étranger. Ceux qui font du
direct ne sont pas considérés comme tels, ils n’ont aucun droit
sur l’image, ce sont des techniciens supérieurs chargés de la
mise en image. Nous, en fiction, nous sommes des metteurs
en scène !
G. 25 I. : Il y a une autre fiction qui se développe en marge de
celles que nous connaissons, où l’image est reine. Sur le Web,
notamment. C’est une autre culture. Les créateurs vont vite,
pensent les histoires en termes d’images avant de les penser
en termes d’écrit. Je me demande si au fond ils ne sont pas en
train de réinventer la nouvelle vague. On n’arrête pas de parler
de cette idée qu’au fond, un film, c’est du son et de l’image.
À force d’avoir tout misé sur le scénario comme objet tangible,
et comme support sur lequel on peut directement exercer le
pouvoir, on s’est perdu en route. Alors que, aujourd’hui, les
jeunes fabriquent des films, des histoires, mais le scénario
n’est pas forcément leur priorité. Oui, c’est une sorte de folie
de l’image et du son qui prime, et non plus l’écrit. C’est ça.
Alors quand on discute de la fiction en télévision, ils n’ont plus
de culture de l’« image ». D’où la mise à l’écart progressive
du réalisateur. On ne nous parle que du sujet, du scénario, de
l’histoire. La question, c’est aussi comment envisager les films
dans d’autres économies, avec de nouvelles façons de faire.
M. F. : Une série américaine qui a fait un bide mais qui reste
magnifique, c’est La caravane de l’étrange. Le parti-pris
esthétique, la lumière de cette série étaient somptueux. Il faut
oser faire les choses … L’un des problèmes de la télévision
française, c’est qu’elle n’ose plus rien. On reste dans une routine,
dans des productions classiques sans aucune vague. On prend
toujours les mêmes acteurs, les mêmes scénarios. On refuse de
prendre le public par la main pour l’emmener ailleurs.
G. 25 I. : Et pourtant, on a enlevé la publicité pour se libérer de
la contrainte d’audience.
M. F. : La publicité n’a jamais été un obstacle. Si tu fais des
choses de qualité qui marchent, tu as tous les annonceurs
derrière toi. C’est un faux problème. Ce sont nos responsables
qui n’y connaissent rien et qui s’inventent des excuses telles que
le scénario tout-puissant.
G. 25 I. : Comment expliques-tu ce paradoxe qui est que depuis
que la publicité a été supprimée sur France Télévisions, on n’a
jamais autant prêté d’attention au taux d’audience ?
M. F. : Parce que les gens qui sont à la tête des chaînes
aujourd’hui se moquent complètement de la création. Ils font
passer la question « combien vais-je faire d’audience ? » à la
place de « est-ce que c’est formidable, nouveau, intéressant,
impertinent ? » Ils sont pétrifiés…
Entretien réalisé à Paris le 5 avril 2012
Les Ritv ont été initiées en 1988 par
Maurice Frydland et Jacques Baudou
21 ans de films à Reims :
Des professionnels et des représentants du grand public qui ont
départagé et récompensé des fictions du monde entier.
370 films en compétition
300 films dans le cadre des rétrospectives
210 films dans le cadre des hommages
Une cinquantaine d'avant-premières
Soit près de 900 films en 21 éditions de RITV !
Les séries : Carnivàle, Veronica Mars, Nip/Tuck, Cold case, The
Sopranos, New York 911, Six feet under, A la Maison Blanche,
L’hôpital et ses fantômes, Blackpool, Queer as folk, Cambridge
Spies, Invasion, The Long Firm, Supernatural, Solisterna, The
Nine, Minuit le soir, Pushing daisies et bien d’autres encore ont
été présentées en avant-première à Reims.
NHK, ZDF, BBC, TVE, Channel Four, RTBF, ITV, toutes ces chaînes
on été fidèles aux Rencontres et pendant deux décennies ont
présenté le meilleur de leurs productions à Reims.
Pendant 21 ans, les RITV ont proposé également de découvrir,
lors de rétrospectives, des fictions diffusées sur les télévisions du
monde entier : ce fût le cas pour la Télévision britannique (1988),
espagnole (1989), allemande (1990), italienne (1991), russe
(1992), danoise et suédoise (1994), norvégienne et finlandaise
(1995), tchèque (1997), australienne (1998), canadienne
(1999), japonaise (2000), chinoise (2003), brésilienne (2005),
mexicaine (2006).
Des films de tous les continents.
Ils ont été primés à Reims depuis 1988 (liste non exhaustive) :
Jeanne Balibar, Antonia Bird, Barbara Bobulova, Ruth Caleb,
Fanny Cottençon, Mireille Darc, Julie Depardieu, Claire Devers,
Nicole Garcia, Domiziana Giordano, Li Hong, Catherine Jacob,
Francesca Joseph, Claire Nadeau, Vanessa Redgrave, Marie
Rivière, Noella Smith, Janet Mc Teer, Lotta Tejle, Danièle
Thompson, Margarethe von Trotta, Zara Turner, Petra Katharina
Wagner, Victoria Wood, Zuzana Zemanova, Yuan Zhibo ...
Gilles Béhat, Allan J .W Bell, Heinz Bennent, Pierre-Yves Bernard,
Roland Blanche, Julien Boisselier, Heinrich Breoer, David Chase,
Bernard-Pierre Donnadieu, Lisandro Duque, Michel Favart, Albert
Finney, Tim Fywell, Ricardo Franco, Vibeke Gad, Louis Gardel,
David Green, Robert Guédiguian, Douglas Henshall, Harry Hook,
Marc Jolivet, Simon Cellan Jones, Nicolas Jorelle, Geir Hansteen
Jorgensen, Sylvain Joubert, Gerard Kearns, Peter Kosminsky,
Jean-Louis Lorenzi, François Luciani, Leif Magnusson, Teboho
Mahlatsi, Alexander Masters, Matthew McNulty, Christopher
Menaul, Lars Molin, Elijah Moshinsky, Marc Munden, Florent
Pagny, Claude Rich, Roland Suso Richter, Daniel Russo, Geoffroy
Sax, Peter Smith, Michael Schottenberg, Jacques Spiesser,
Norman Stone, Peter O'Toole, David Thewlis, Daniel Vigne,
Lars von Trier, Bernard Verley, David Wheatley, Bernard Wicki...
Ils nous ont fait l'honneur de présider le jury professionnel :
Nina Companeez, Michèle Cotta, Caroline Huppert, Macha Méril,
Françoise Xénakis.
Alexandre Adler, Hervé Baslé, Marcel Bluwal, François de Closets,
Maurice Failevic, Jean-Louis Foulquier, Claude Klotz, Philippe
Meyer, Serge Moati, Jean-Michel Ribes, Patrick Rotman, Claude
Santelli, Pierre Santini, Jean Vautrin, Henri Virlogeux, Martin
Winckler...
Teletek 2005 - Colloque à Université des Médias à Pékin - www.teletek.fr/evenements
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