Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation

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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation
UNIVERSITE LUMIERE LYON 2 - 2006-2007
IEP de Lyon
Courrier International Réflexions sur le
concept de distanciation identitaire
Mémoire de fin d’études
Etudiant : Martin PASQUIER, 4è année
section Politique et Comunication, < >
Maître de mémoire : Bernard LAMIZET, maître de conférences
à l’IEP de Lyon < [email protected] >
Date de soutenance : 6 septembre 2007
Deuxième jury : Julie GRANDHAYE, ENS de Lyon < [email protected]
Table des matières
REMERCIEMENTS . .
Introduction . .
Définition de l’objet de l’étude . .
Choix du sujet . .
Cadre théorique de l’étude . .
Une histoire politique du journalisme, XIX-Xxe (Mulhmann) . .
Du journalisme en démocratie (Muhlmann)
..
La sémiologie . .
Annonce du plan . .
Première partie : Description de Courrier, de son histoire et de ses acteurs . .
Introduction . .
1. L’histoiredeCourrier International . .
La naissance . .
Les conflits des années 1990 . .
Un petit frère portugais et un cousin japonais . .
2. Les acteurs de Courrier International . .
La rédaction . .
La rédaction du site web . .
La révision . .
La traduction . .
Les maquettistes . .
L’iconographie . .
Les services commerciaux et administratifs . .
L’Agence Courrier . .
Conclusion . .
Seconde partie : Courrier International, un “métamédia” . .
Introduction . .
1. Le concept de « Metamedia » . .
Création et définition du concept de métamédia . .
Le second degré du journalisme . .
2. Sémiologie de la sélection . .
Le concept de sélection . .
Les chapeaux . .
Les dossiers de couverture . .
3. Le conflit . .
Une représentation du conflit . .
La mise en page du conflit . .
Conclusion . .
Troisième partie : La distanciation identitaire . .
Introduction . .
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1. Un espace public en mutation . .
La mondialisation, deuxième principe fondateur de Courrier International . .
L’élargissement de l’espace public . .
L’expérience de la « rationalité élargie » (Kant) . .
Une communauté de lecteurs curieux . .
2. Aspects techniques . .
Définition du concept de distanciation chez Géraldine Muhlmann . .
La page “France” . .
La place de la page “France” . .
Une déconstruction qui rend possible l’action politique . .
3. Rôle du journaliste . .
Résolution du problème de la désappartenance du journaliste . .
Le journaliste de Courrier International . .
4. Implication de la distanciation . .
Le monde comme référent principal . .
Le spectateur devient acteur . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Écrits des journalistes « décentreurs » . .
Cadre théorique . .
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REMERCIEMENTS
REMERCIEMENTS
Merci à l’ensemble du personnel de Courrier International, qui a eu la gentillesse et le temps de
répondre à mes questions, et qui m’a fourni de précieux documents pour constituer ce mémoire.
Je tiens à remercier tout spécialement :
Philippe Thureau-Dangin, directeur de la publication,
Nathalie Pingaud, rédactrice en chef technique et maître de stage Lidwine Kervella,
iconographe,
Denis Scudeller, responsable informatique,
La rédaction en chef,
Merci également à l’IEP et à l’ENS de Lyon et notamment :
Nicolas Lavergne, ancien chargé de TD à l’IEP,
Bernard Lamizet, maître de mémoire
Julie Grandhaye, professeur de russe à l’ENS
Merci enfin à la librairie Compagnie et aux personnes qui m’ont aidé à rédiger ou à relire ce
mémoire
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation Contemporaine de
l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Jean-Marc, responsible de fabrication (papier, encre), montre la version imprimerie des
affiches publicitaires pour un hors-série
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Introduction
Nous nous proposons en guise d’introduction de raconter brièvement l’histoire de Courrier
International, objet de notre étude. Nous mettrons ensuite en avant les motifs qui m’ont
incité à choisir de traiter de Courrier International pour ce mémoire de fin d’études. Dans
un troisième temps, nous préciserons le cadre théorique utilisé. Enfin, nous annoncerons
le plan général du mémoire, plan qui répondra à une problématique que nous formulerons
en fin d’introduction.
Définition de l’objet de l’étude
L’histoire commence à Paris, en automne 1990. Quatre amis épluchent la presse. Ils passent
des heures à parcourir les journaux du monde entier. Le monde justement, un sujet trop
peu abordé par les titres français. Dès avant la chute du mur de Berlin, leur est venue l’idée
de créer un hebdomadaire entièrement tourné vers l’international. Plutôt que d’écrire euxmêmes, ils décident de composer leur journal avec une sélection d’articles traduits de la
presse étrangère. Une première inimaginable dans un monde de la presse où tout journaliste
se targue d’apposer sa signature…
L’idée est novatrice. Le 8 novembre 1990, le tout premier numéro de Courrier
international est dans les kiosques. Le magazine trouve vite son premier public. Dès le
second numéro, 40 000 exemplaires sont vendus. Parmi les lecteurs, on trouve beaucoup
de jeunes diplômés, ainsi que des personnes liées d’une façon ou d’une autre aux affaires
internationales, qu’ils soient d’anciens expatriés ou des cadres travaillant directement avec
des partenaires étrangers. Ce lectorat est séduit par une actualité scrutée chaque semaine
à l’échelle de la planète et par le pluralisme des opinions de la presse mondiale, décidément
d’une richesse insoupçonnée si l’on s’en tient à la presse française.
Plus tard, l’équipe de Courrier International fera vite de l’Internet un outil de travail pour
lire la presse mondiale, en publiant, entre autre, un guide de la presse mondiale en ligne, qui
livre rapidement les différentes clés de comprehension des journaux étrangers. En octobre
1996, à l’heure du 56K, c’est le premier magazine français à ouvrir un site Web. Au fil des
années, l’hebdomadaire se bâtit une expérience unique de la presse internationale en ligne,
n’hésitant pas à traduire des articles du Laos ou de l’Afghanistan.
En quinze ans d’existence, on peut recenser les signatures de plus de 20 000
journalistes et quelque 1 300 publications citées : les plus grands quotidiens comme The
New YorkTimes (Etats-Unis), l’Asahi Shimbun (Japon), ou le Frankfurter Allgemeine Zeitung
(Allemagne) mais aussi des titres plus modestes qui apportent un regard different voire
discordant sur l’actualité.
Le corpus du mémoire est donc constitué de quelques hebdomadaires utilisés pour
l’analyse sémiotique, ainsi que de quelques pages internet du site de Courrier International.
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Introduction
Choix du sujet
Le choix d’étudier ce média atypique s’est imposé presque de lui-même à mon histoire
personnelle, celle d’un enfant d’expatriés, qui a vécu un tiers de sa vie hors de France, en
Europe (Bulgarie, Allemagne) et en Asie Centrale (Ouzbékistan, Kazakhstan). La situation
d’expatriation dans des pays lointains, à une époque où l’Internet ne permettait pas
d’être connectés en permanence au monde et à des représentations par les journalistes,
restreignait considérablement l’offre de médias sur place. “Le Monde” arrivait ainsi avec
deux semaines de décalage, et les journaux televisés francophones captés sur place
n’étaient tout simplement pas destinés à un public d’expatriés à priori plus concerné par les
événements internationaux que par les micro-trottoirs sur le mauvais temps.
Les événements nationaux semblaient alors se dérouler sur une autre planète, et
avaient pour moi quelque chose de lointain, dans tous les sens du terme, littéralement
insignifiants. Le regard proposé alors par les médias français allait peu au-delà des
frontières, phénomène qui saute aux yeux lors de l’étude comparative des flux en analyse
sémiotique, nous aurons l’occasion d’y revenir plus tard. Le regard franco-centré des
journaux me semblait dénué de sens. L’éducation que l’on reçoit en vivant à l’étranger
pousse à la curiosité, à la découverte, au choc culturel permanent, c’est dire si le caractère
anecdotique et chauvin des médias me semblait intellectuellement asséchant.
La découverte de la pluralité des regards proposés par Courrier International a donc
été un véritable soulagement, je retrouvais dans les pages de l’hebdomadaire la même
distanciation identitaire qui caractérise souvent les expatriés : des repères différents, un
recul quasi-physique par rapport au pays d’origine et une forme de désinteressement des
affaires purement nationales. Nous avons adopté Courrier International très tôt, cette forme
de médiation symbolique nous permettait de garder un lien avec la France (via les articles
étrangers de la page France), mais pas d’un point de vue franco-français, et tout en ayant
un panorama des événements internationaux alternatif grâce au traitement écléctique de
l’information que propose l’hebdomadaire. Découvrir des conflits sous un autre angle, faire
éclater la légitimité suposée des grands journaux en proposant des voix discordantes, voilà
ce qui me plaisait dans Courrier International.
1
J’ai de plus eu l’opportunité d’effectuer mon stage long à Courrier International. Cela
m’a permis de mieux comprendre le processus de production du journal, de la selection des
articles jusqu’à la mise en page par les maquettistes. La rédaction elle-même ferait un sujet
d’étude intéressant, les journalistes qui y travaillent n’ont pas été formés dans les écoles
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de journalisme françaises, et beaucoup sont étrangers . De plus, mis à part les grands
pays pour qui un poste de journaliste permanent est nécessaire (Etats-Unis, Russie, Chine,
Allemagne etc.), tous les autres ont un journaliste non permanent (rémunéré en piges)
appelé ‘vigie’, qui surveille depuis son pays la presse nationale et qui signale tout article
susceptible d’intéresser les lecteurs de Courrier International. Ces vigies, des étrangers
francophones, constituent les “petites voix” dont l’hebdomadaire est si fier, et permettent ce
regard si particulier que l’on retrouve tout au long des pages et des articles : ni totalement
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Stage effectué dans le cadre des études à l’IEP de janvier à mai 2006. Par la suite, j’ai été employé comme pigiste de manière
occasionnelle jusqu’en janvier 2007.
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La page Pologne est confiée à Iwona Ostapkowicz, Hidenobu Suzuki, ancien de Libération, est chef de service Asie.
Cependant, il n’y a pas de journaliste étranger ou d’origine étrangère à la tête du journal (parmi les rédacteurs en chef notamment).
Si l’on prend la liste des rédacteurs, on recense 30 journalistes étrangers contre 25 Français.
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
étranger, ni vraiment Français. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point plus loin dans
notre etude.
La problématique de la distanciation identitaire, précisée plus loin, est donc
physiquement très présent à l’intérieur même de la rédaction de Courrier International.
L’équipe est habitué à jongler avec ses identités, les conflits qui peuvent naître du
‘choc culturel permanent’ que sont les locaux du journal sont l’âme même de Courrier
International. C’est donc de la rencontre entre ce lieu riche en regards différents et de mes
questionnements d’expatrié en quête d’identité qu’est né ce projet de mémoire.
Miklos (Hongrie) planche avec son invitée
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Cadre théorique de l’étude
L’idée de rédiger mon mémoire de fin d’étude sur Courrier International est aussi explicable
par les nombreux travaux effectués dans le cadre de la section Politique et Communication
de l’IEP.
Les ouvrages que nous avons pu lire sur le journalisme m’ont donné des grilles de
lecture supplémentaires pour étudier le concept d’identité à Courrier International. Les
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ouvrages de Géraldine Muhlmann m’ont particulièrement aide à mettre des mots sur des
réflexions encore floues.
Une histoire politique du journalisme, XIX-Xxe
(Mulhmann)
Le premier, Une histoire politique du journalisme aux XIXe et XXe siècles, prend le parti de
s’appuyer sur quelques grandes figures du journalisme (Albert Londres, Edward R. Murrow
ou encore George Orwell) pour tracer un portrait du « grand journaliste » qui est surtout un
rassembleur. Avec les progrès de l’alphabétisation et des moyens de communications, la
signification du journal change. L’espace public s’élargit, il ne se limite plus à l’élite éclairée
de la Révolution française décrite par Habermas. Le journalisme est désormais une source
d’information pour le plus grand nombre, et le journaliste acquiert une stature politique
particulière, particulièrement exposée et dont les liens avec le lectorat d’une part et le réel
dont il traite d’autre part sont très particuliers.
Géraldine Muhlmann postule que cette particularité, c’est la figure du « témoinambassadeur ». Le grand reporter, symbole de la naissance de la presse moderne, est en
effet à la fois témoin du réel qu’il rapporte quotidiennement, et « l’ambassadeur du genre
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Géraldine Muhlmann, est agrégée de science politique ; elle est aussi agrégée de philosophie et diplômée de l’école de
journalisme de la New York University.
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PASQUIER Martin_2007
Introduction
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humain » , qui est presque, on le verra plus loin, l’œil organique du Leviathan que serait le
corps du peuple, le représentant de tous qui voit pour eux. C’est en ce sens que le grand
reporter est rassembleur.
Géraldine Muhlmann, à travers la galerie de portrait qu’elle dresse, donne une image
très « communautaire » du journalisme : le rédacteur, de par son appartenance même au
« corps » pour lequel il va écrire, travaille pour eux et par eux, par ce symbolique commun
qu’il partage avec eux. Albert Londres décrit dans Chez les fous ou Au bagne ses carnets
de voyages des humanités différentes, étranges et complètement étrangères au public.
Le lectorat, via la symbolique utilisée par Londres, voit une représentation de quelque
chose d’autre, de tout à fait autre au point de choquer. Il s’agit presque d’une xénophobie
à prendre au pied de la lettre, sans connotation idéologique, cette peur de l’autre trace les
contours d’une partie de l’identité du lectorat « par défaut ». On peut dire que le lecteur, à
défaut de savoir ce qu’il est, sait ce qu’il n’est pas (ou sait ce qu’il ne veux pas être, ce qu’il
reconnaît comme définitevement autre).
Cette première demonstration m’a semblé convaincante, et la seconde partie de
l’ouvrage présentait une alternative tout à fait intéressante au journaliste “rassembleur” si
l’on se souvient de certaines des caractéristiques de Courrier International. Cette alternative
est un journalisme tout à fait autre, et dont la volonté n’est pas de rassembler/rassurer.
Au contraire, Géraldine Muhlmann forge le concept de décentrement pour parler d’un
journalisme qui ne se voudra pas prisonnier de son public. Le journaliste, qui par l’expression
de sa subjectivité (articles aux formes littéraires moins classiques, forte présence du “je”,
questionnement frequent de l’ambiguïté du rapport de l’auteur à son sujet) rejette l’emprise
du public, peut alors délivrer une symbolique nuance, pleine de doute, d’interrogations non
pas sur le sujet en tant que tel, mais sur la façon don’t l’auteur est en train d’aborder le sujet,
sur les contradictions que soulève cette rencontre avec une altérité.
L’auteur effectue donc un décentrement, selon le terme de Géraldine Muhlmann, en
tentant de se regarder, lui, à travers le regard de l’autre. C’est cette phase compliquée
du décentrement (car comme nous le soulignions, il est impossible de concevoir une
décentrement complet, ou comment être soi et hors de soi au même moment) que nous
mettrons en lien avec Courrier International, qui par l’utilisation de symboliques autres
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(l’article du New York Times sur Cécilia S., le point de vue embarqué l’Hebdo dans un
HLM), résout certaines apories.
Du journalisme en démocratie (Muhlmann)
Le deuxième ouvrage de Géraldine Muhlmann s’intéresse à la place du journalisme
aujourd’hui, son approche est philosophique. Du journalisme en démocratiemontre que
la position du journaliste en démocratie est déterminante car elle permet de réaliser le
rassemblement de la communauté politique et d'y entretenir des conflits. La question à
laquelle renvoie le journalisme, c'est celle du rôle du spectateur en politique. Que veut dire
4
L’expression est de Sylvain Venayre, maître de conférences en Histoire contemporaine à l’Université Paris-I, dans un compte-
rendu du livre de G. Muhlmann.
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Cet hebdomadaire (sic) suisse avait installé pour plusieurs semaines certains de ses journalistes dans un HLM lors de la
crise des banlieues.
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
voir et faire voir le monde au présent ? Quel est le sens politique d'une telle activité ? Au
journalisme est finalement assignée une double tâche : faire vivre du conflit et tisser du
commun au sein de la communauté politique. À travers la question du journalisme, ce que
l'auteur explore, c'est donc l'énigme de la démocratie : la coexistence de deux scènes,
celle des actions et celle des représentations, la seconde offrant une issue symbolique
aux conflits qui agitent la première. Nous nous servirons des réflexions de Muhlmann pour
alimenter notre étude de Courrier International, cet « OVNI » du journalisme, selon son
propre directeur, qui pourrait bien être la solution de l’équation démocratie & journalisme.
Uni
Eric Maurice, chef de service Europe de l’Ouest, s’occupe aussi de la page Royaume-
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La sémiologie
Techniquement, nous utiliserons la sémiologie et plus précisément quelques exercices
d’analyse sémiotique pour lire entre les lignes du journal. La sémiologie connaît une phase
émergente dans les secteurs de la communication, du marketing et des medias. Cette
discipline peu connue consiste à analyser le sens porté par des signes linguistiques ou
iconographiques que nous utilisons chaque jour. Dans le domaine du journalisme, où les
codes visuels, textuels et interactifs sont des matériaux essentiels, la sémiologie apporte des
outils d’analyse pertinents. Le terme de “sémiologie” est défini par Ferdinand de Saussure
comme “la science de tous les systèmes de signes (opu de symboles) grâce auxquels les
hommes communiquent entre eux”. C’est donc une discipline fille de la linguistique. La
sémiotique de Pierce, de son côté, est la théorie de l’analyse du discours, de la signification
et des procédures d’anayse permettant de décrire des systèmes de signification. Ceux-ci
peuvent être verbaux, visuels ou iconiques, et nous aurons l’occasion de les aborder tous
dans ce mémoire. C’est donc à la structure même de l’hebdomadaire que nous allons nous
intéresser, car on ne peut pas étudier l’objet culturel qu’est Courrier International sans se
référer à l’activité humaine qui l’a originé.
Cette phase doit nous permettre de déceler le sens des textes. La construction du
texte répond à une certaine logique, lire Courrier International avec les lunettes de cette
discipline va consister à rechercher la loi de cet assemblage de sens. Nous verrons alors
qu’une tension se degage de la confrontation entre le savoir commun et ce que le texte dit
effectivement. Nous devons pouvoir aboutir à la découverte d’un ensemble de valeurs qui,
si elles n’apparaissent pas clairement à la première lecture, n’en existent pas moins.
Annonce du plan
Nous proposons de suivre le plan suivant. Dans un premier temps, nous revisiterons
l’histoire de Courrier Inernational, puis nous décrirons les différents acteurs participant à
la réalisation du journal. Nous utiliserons le concept de métamédia pour parler de Courrier
International, la définition théorique et technique de ce concept sera l’objet de la seconde
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Introduction
partie. Enfin, nous réfléchirons dans la troisième et dernière partie aux implications politiques
et culturelles de ce concept.
Ce cheminement intellectuel espère apporter des éléments de réponses à la
problématique de la distanciation identitaire que Courrier International éprouve ou peut faire
éprouver.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Philippe Thureau-Dangin, directeur de la rédaction, entre deux écrans Mac conçus
extra-large pour pouvoir afficher en entier les pages de l’hebdomadaire lors de la mise en
page
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Première partie : Description de
Courrier, de son histoire et de ses
acteurs
Introduction
J’ai tenu à décrire de manière détaillé en première partie l’organisation et le fonctionnement
de l’acteur Courrier International. Le stage long que j’y ai effectué permet de donner le cadre
de cette étude : l’histoire d’une véritable entreprise de presse, et de ses acteurs. Ces repères
doivent pouvoir, je l’espère, souligner la réalité de mon objet d’études, un hebdomadaire
atypique, au succès jamais démenti en 15 ans d’existence. Cette première partie s’appuiera
donc moins sur les concepts découverts en section Politique et Communication de l’IEP que
sur de longues recherches personnelles (pour l’aspect historique de Courrier International)
ainsi qu’une observation poussée des acteurs et de leur mode de fonctionnement en
rédaction.
Nous envisagerons d’abord l’histoire de Courrier International dans le temps court,
c’est à dire depuis sa naissance physique en 1990, ainsi que les moments forts de son
développement, ces moments qui ont façonné la réputation du journal. Dans un second
temps, nous décrirons minutieusement le processus de fabrication de l’hebdomadaire en
présentant ses acteurs.
1. L’histoiredeCourrier International
La naissance
Au cours de ces quinze ans, le monde a considérablement changé, l’actualité est
devenue plus proche de nous grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la
communication, et Courrier International a affirmé son rôle dans le paysage de la presse
française.
Dès janvier 1991, avec la Guerre du Golfe, l’hebdomadaire prouve sa pertinence. Alors
que CNN et les grands journaux des pays alliés ne donnent souvent qu’un son de cloche,
Courrier International publie des articles de la presse irakienne et des grands journaux
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Première partie : Description de Courrier, de son histoire et de ses acteurs
panarabes, donnant un point de vue différent sur ce conflit qui restera un point sombre dans
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l’histoire des grands médias occidentaux.
Quelques mois plus tard, l’onde de choc de l’effondrement du Mur de Berlin atteint
Moscou. Le coup d’Etat raté d’août 1991 signe la chute du communisme et de l’URSS.
Courrier International publie des articles du monde entier consacrés à cet événement capital
et ouvre, pendant le putsch, ses colonnes aux publications russes censurées, prenant une
fois de plus le parti de l’audace.
Les conflits des années 1990
Plus près de la France, l’actualité est tout aussi grave, notamment en Algérie. En mai 1994,
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alors que la guerre civile fait rage , le journal publie neuf textes d’intellectuels algériens
assassinés. Au cours de la décennie 90, il suivra aussi les guerres balkaniques, publiant
souvent les articles de ceux qui résistent dans Sarajevo.
En avril 1999, l’armée serbe envahit le Kosovo et détruit les locaux de Koha Ditore,
quotidien albanophone de Pristina : Courrier International propose à son rédacteur en chef
de publier une édition spéciale en français, afin de rendre compte des atrocités commises
au Kosovo.
Courrier International confirme ainsi son rôle d’hygiaphone de la presse mondiale, dans
le sens où il prête sa structure physique et sa renomée à des journalistes et articles du
monde entier, surtout dans le cas de crises susceptibles de “bailloner” une partie de l’opinion.
Nous détaillerons plus loin cette fonction de porte-voix. Le journal se veut également attentif
aux innovations technologiques et au débat écologique. Et même aux questions de société,
comme l’immortalité ou encore le statut des adolescentes à travers le monde.
Un petit frère portugais et un cousin japonais
Une nouvelle page de l’histoire s’écrit le 4 avril 2005, avec la sortie du premier numéro
de Courrier internacional, une version portugaise du journal éditée par le groupe Impresa.
Le concept de l’hebdomadaire a pris corps dans un autre pays, pour la première fois. Un
précédent lancement en Allemagne au milieu des années 1990 avait échoué, le journal
n’avait pas réussi à trouver son public dans une Allemagne réunifiée mais pleine de doutes.
Le mouvement est désormais lancé, puisque le 17 novembre 2005, Courrier Japon
voit le jour. C’est un bimensuel, édité par le groupe nippon Kodansha, pour lequel Courrier
international fournit certains textes et dessins. Ce cousin japonais est moins proche que le
petit frère portugais, qui lui reprend la quasi-intégralité des textes de la version française
(“originale”!) de Courrier International, seules les pages ‘France’ étant remplacées par des
pages ‘Portugal’ vu par la presse étrangère.
D’après Philippe Thureau-Dangin, directeur de la publication, « la faculté du journal à
expliquer le monde à travers de multiples prismes répond à une attente forte. Face à une
actualité globale délivrée en continu par les chaînes d’information, Courrier international fait
entendre d’autres voix, celles de la presse de tous les continents, sans exclusive ».
6
Les médias occidentaux, CNN en tête, avaient produit toute une imagerie de guerre propre, sans références aux dommages
collatéraux ou aux problèmes mentaux des soldats US.
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La guerre civile en Algérie a fait environ 100 000 morts entre 1991 et la rédition des principaux groupes islamiques armés en 2002.
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Couverture de Courrier International
Couverture de Courrier Japon
Couverture de Courrier Internacional
2. Les acteurs de Courrier International
La direction de Courrier International, qui gère les questions de stratégies et de financement,
participe activement au contenu même du journal. Si Philippe Thureau-Dangin, le directeur
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Première partie : Description de Courrier, de son histoire et de ses acteurs
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de la publication, relit chaque article avant de la “baffer” , son rôle est surtout celui d’un chef
d’entreprise qui vend une production en tenant compte de diverses ressources. A ce titre
là, il doit savoir se tirer du rythme hebdomadaire de parution pour pouvoir se concentrer
sur l’efficacité à long terme. C’est de son bureau que proviennent les innovations majeures
du journal, celles qui vont en faire une publication dynamique voire audacieuse, comme
la parution de temps à autres de suppléments Courrier in English ou Courrier en espanol
9
, la décision de créer un espace de blog sur le site internet de Courrier International ou
encore le fait d’inviter un rédacteur en chef étranger en difficulté à diriger un numéro de
l’hebdomadaire.
La question des droits d’auteurs est aussi l’une des tâches de la direction, les articles
tirés de la presse étrangère ainsi que les dessins de presse (illustrations, tableaux,
caricatures) sont protégés par différents régimes de propriété intellectuelle. Ces droits
peuvent se négocier par article (Courrier International paie une fois le droit de traduire
et publier tel article) ou par abonnement. Certaines sources (The Economist, ABC, La
Repubblica) sont en effet utilisées régulièrement, et l’abonnement permet d’utiliser n’importe
quelle quantité d’articles.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Phillipe Thureau Dangin dirige la en conférence hebdomadaire de rédaction. A sa
droite, Hidénobu Suzuki, chef de service Asie
Côté iconographique, les droits photos se négocient avec les principales agences
d’images (MaxPPP, Corbis, AFP, AP, Reuters, Gamma), les dessinateurs de presse sont
généralement syndiqués autour d’un agent. Les droits de ces oeuvres intellectuelles varient,
certaines publications ayant au sein de la rédaction la réputation d’être hors de prix tandis
que d’autres sont plus abordables.
La rédaction
La rédaction est organisée par zones géographiques, chaque rédacteur lit quotidiennement
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la presse de sa zone , sélectionne et défend les articles qu'il lui semble pertinent de faire
paraître, en sachant que le voisin va aussi avoir son mot à dire, le nombre de pages,
déterminé grosso modo par le nombres d’emplacements vendus aux annonceurs chaque
semaine, ne permettant évidemment pas de publier tous les articles retenus.
Chaque grande zone (Europe de l'Ouest, Amérique Latine, Asie du Sud-Est etc.) a son
chef de service, qui doit gérer l'équilibre des pages consacrées à sa région, savoir parler
de plusieurs pays, éviter que la section ne soit uniquement politique ou sociale, ou encore
proposer des dossiers de couverture à monter.
Les trois rédacteurs en chefs s’occupent quant à eux de l’équilibre général du journal,
et leur expérience leur permet de trancher entre deux couvertures possibles. Deux types
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« baffer », dans le jargon des journalistes, vient de BAF, ou bon à flasher. Un page « bonne à flasher » a été revue par la direction,
elle peut être envoyée à l’imprimerie.
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Ces suppléments paraissent sur 5 semaines d’affilée, et proposent dans un carnet détachable la version originale de certains
articles du numéro, avec une explication pour certaines expressions idiomatiques.
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Pour donner un ordre d’idée, 3 journalistes permanents aidés de quelques pigistes s’occupent de la Russie et de l’Europe de l’Est,
3 journalistes pour l’Amérique du Nord etc.
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
de grands dossiers (ceux qui font la couverture) existent : ceux à caractère géographique
(sur un pays, une région) et ceux à caractère thématique (les jeunes diplômés, le clonage),
proposés par les rédacteurs intéressés et mis sous la supervision d’un rédacteur en chef.
Toute la difficulté pour les rédacteurs est d’avoir en tête les intérêts des autres journalistes
en épluchant leur presse : le rédacteur lusophone trouvera peut-être un article intéressant
pour le sujet ‘jeunes diplômés’ dans la presse portugaise ou brésilienne. Chaque rédacteur
doit pouvoir apporter sa pierre à l’édifice des dossiers.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Perrick, Philippe et Isabelle, rédacteurs pour le site web
La rédaction du site web
Le site Internet est une mine d’information. Outre le contenu du journal, intégralement
diffusé (les archives sont cependant payantes, ce système se généralise pour la presse
de manière générale), les journalistes du site Internet rédigent chaque jour des newsletters
11
ou des dossiers . Au nombre de dix, ils arrivent très tôt le matin. En écoutant la radio,
ils savent quels seront les sujets d’actualité à développer. Ce sont des journalistes à part
entière. Ils sélectionnent dans la presse étrangère plusieurs articles autour du même thème,
selon leurs préférences individuelles. Comme, par exemple, le premier tour des élections
présidentielles au Chili. Marco Schütz, le rédacteur en chef Internet donne son accord.
Lorsque le sujet est défini et les articles choisis, ils rédigent une brève, ou une synthèse et
la diffusent sur le site. La rapidité est une règle d’or pour ces « journalistes électroniques
». C’est aussi en faisant un détour par le site web que l’on se rend compte de la grande
différence entre les journalistes “classiques” et ceux de Courrier International : ces derniers
sont en fait des agrégateurs de contenus !
Le site de Courrier International s’est récemment ouvert aux bloggeurs. Après des
débats animés (quelle est la légitimité des bloggeurs à avoir un espace virtuel égal à
celui de journalistes ?), il a été décidé de créer un espace blogs sur le site même de
courrierinternational.com, les premières publicités internes incitait les internautes à “devenir
citoyen-journaliste sur courrierinternational.com” ! Nous voyons ici la quintessence du métier
de Courrier International, qui se justifie ainsi : “ A Courrier international, notre métier est
de proposer une sélection des meilleurs articles de la presse mondiale. Pour les blogs,
nous avons des ambitions similaires. Et c’est normal, car les meilleurs blogs contribuent à
réinventer le journalisme ! ». Tout est dit !
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Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Discussions entre les « révizors »
La révision
Les cinq correcteurs permanents relisent les versions traduites puis éditées de la version
papier et de tous les articles rédigés du site web. Ils connaissent parfaitement toutes les
11
La rubrique « eurotopîcs » propose ainsi chaque jour « les points de vue de la presse européenne » en trois langues : français,
anglais et allemand.
16
PASQUIER Martin_2007
Première partie : Description de Courrier, de son histoire et de ses acteurs
règles typographiques, et sont naturellement de fins connaisseurs de la langue française.
Ce sont aussi les derniers à partir puisqu’après les corrections grammaticales effectuées
avant la mise en page, une seconde correction “visuelle” à lieu une fois que les maquettistes
ont mis en page l’article. Il s’agit alors de corriger les erreurs de blocs (lignes orphelines,
respect de la charte typographique pour la titraille) mais aussi de donner leur avis sur la
traduction de certains idiomes et titres. Leur travail est considérable puisqu’une bonne moitié
de la rédaction n’a pas pour langue maternelle le français, d’où des retouches nécessaires
et parfois nombreuses !
Dans les bureaux de la traduction
La traduction
Sept langues sont traduites par la douzaine de spécialistes du service traduction : l’anglais,
l’espagnol, le roumain, l’allemand, le russe, le japonais et le vietnamien. Seule Danièle
Renon, journaliste de la rubrique Allemagne, Autriche et Suisse alémanique, traduit parfois
elle-même les quelques articles qu’elle sélectionne. Les autres langues sont traduites, en
externe, par des pigistes spécialisés ou des cabinets de traductions, qui sont rémunérés à
la prestation. Les délais peuvent être plus longs pour certaines langues rares. Dans tous les
cas, l’équipe de la révision jette un oeil aux traductions qui sont éditées par les rédacteurs
(une fois le papier choisi revenu de traduction, c’est au rédacteur d’en éditer les titres,
intertitres et notes. C’est aussi à lui de le couper si besoin est).
Nous aurons l’occasion de reparler plus loin de la traduction et des problèmes qui
peuvent surgir lors de cette étape du processus de fabrication de Courrier International par
rapport à notre sujet de mémoire.
PASQUIER Martin_2007
17
Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Les maquettistes
Ce sont les maquettistes qui donnent littéralement corps au journal. La couverture, illustrée
12
par un dessin de presse ou une photo, est sélectionnée dans des journaux étrangers .
La mise en page, la typographie, l’insertion des encarts publicitaires, sont réalisés par ce
service. Le mardi, jour de bouclage, est la journée la plus typique du service, avec délais
d’imprimerie à respecter et dernières traductions à corriger.
L’envoi à l’imprimerie fonctionne sur le système des cahiers, un exemplaire de Courrier
International étant techniquement un ensemble composé de 3 ou 4 cahiers (de 16 pages).
Le service maquette a donc un emploi du temps hebdomadaire réglé par la livraison étalée
de ces cahiers prêts à imprimer. Tout doit être prêt pour 22h maximum le mardi soir, de
façon à ce que le journal soit imprimé dans la nuit et distribué le lendemain pour une
vente dès le jeudi matin. Philippe Thureau-Dangin, le directeur de la publication, reste alors
rituellement auprès de Sophie-Anne Delhomme, la directrice artistique, afin de mettre au
point les derniers détails techniques et de sélectionner la “Une” du journal qui paraîtra le
jeudi.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Philippe Thureau-Dangin et Nathalie Pingaud, rédactrice en chef technique, jugent les
différentes ‘unes’ possibles proposées par Sophie-Anne Delhomme, directrice artistique.
La couverture, extrêmement importante pour la visibilité du journal lors de sa mise en
vente dans les kiosques, fait toujours l’objet de longs débats au sein de la redaction. La
Une, que ce soit en raison de l’illustration ou de la phrase d’accroche, est toujours préparée
quelques minutes seulement avant l’envoi final à l’imprimeur… et c’est généralement à
ce moment là qu’on comprend pourquoi le directeur de la publication est directeur de
la publication, il faut un dosage précis d’audace, de pragmatisme et surtout un ‘nez’
journalistique pour être sûr d’être juste ce qu’il faut en avance sur la longueur d’onde
médiatique ambiante !
L’iconographie
Le service iconographie sélectionne les dessins de presse et les photos présents à l’intérieur
de l’hebdomadaire, ou sur le site Internet. Courrier International puise ses iconographies
chez les grandes agences photographiques, mais publie parfois aussi des portfolios ou des
reportages photo d’auteurs independants.
L’identité visuelle d’un journal est un élément clé de sa réussite, au même titre que
sa maquette. Le service iconographie de Courrier International fonctionne sur le même
principe que le journal : le meilleur de l’actualité vue par une sélection (nous aurons le temps
d’étudier de manière plus précise les sélections opérées par Courrier) de photographies
(mélange d’agences et d’indépendants) et de dessins. Courrier International est d’ailleurs
régulièrement récompensé pour ses couvertures lors de concours de presse.
Courrier a aussi fait un choix en matière d’iconographies : la première partie du
magazine, consacrée à l’actualité des zones géographiques, est illustrée par des dessins
de presse, alors que la seconde partie (articles “froids” moins liés à l’actualité, reportages,
enquêtes…) est accompagnée de photographies. Ce choix n’est pas sans conséquences :
12
18
Courrier International a récemment organisé à Paris une exposition avec les meilleures couvertures de la presse étrangère.
PASQUIER Martin_2007
Première partie : Description de Courrier, de son histoire et de ses acteurs
la première partie du journal, quels que soient les thèmes de l’actualité abordés, est truffée
de dessins à caractère humoristique, une manière subtile de contrebalancer le sérieux des
articles. La seconde partie, en revanche, avec ses photos de reportages, ses portfolios, ses
archives, parfois, rappelle intensément le sujet don’t il est question, l’accentuant même.
Les services commerciaux et administratifs
Le service marketing est dirigé par Pascale Latour, directrice, Mathilde Melot, assistante, et
Sophie Gerbaud, chef de produit. Elles s’occupent essentiellement des abonnements, ce
service tente de conquérir à long terme les lecteurs. Et de motiver les Français vivant ou
travaillant à l’étranger, par exemple, à s’abonner sur Internet pour avoir accès rapidement
à l’intégralité de l’édition en cours. Ce sont elles aussi s’occupent du marché peu connu
mais prestigieux des copagnies aériennes, un moyen peu onéreux d’être sous les yeux d’un
public à priori concerné par l’étranger!
Le service administratif gère le bon fonctionnement de tous ces services, tant sur le plan
des ressources humaines, du comité d’entreprise que sur le plan commercial. Stéphanie
Davoust, contrôleur de gestion, établit les budgets, observe et analyse les ventes du mois
et les compare à celles de l’année précédente. Chantal Fangier, directrice financière et
administrative, vérifie et contrôle les différentes dépenses de Courrier international, au
sein même de l’entreprise (envois postaux, appels téléphoniques, dépenses diverses) ou à
l’extérieur (frais de fabrication du journal, etc).
L’Agence Courrier
Il ne faut pas oublier que depuis 1994, Courrier international a développé un service
parallèle d’information : l’Agence Courrier international. Encore peu connu, ce service
propose néanmoins des services de veille et d’information à partir de la presse étrangère.
Médias, sites Internet, entreprises (Areva) et institutions (Fondation Alzheimer) ont recours
à l’agence pour leur département étranger ou pour leurs publications professionnelles,
internes ou a destination des clients et fournisseurs. L’objectif est d’apporter un éclairage
international original à propos d’un thème particulier, comme l’économie, la santé publique,
le marketing, l’actualité scientifique et culturelle, entre autres. Cette agence dispose ainsi
13
d’un accès à plus de 800 journaux dans le monde, ainsi qu’à différentes bases de données .
C’est une façon d’amortir financièrement le coût des abonnements, et de conquérir un
lectorat de personnes actives.
Conclusion
Nous voilà donc familiarisés avec Courrier International, ses acteurs et une partie de son
histoire. Nous proposons désormais d’entrer dans le vif du sujet et de voir comment,
techniquement, les journalistes opèrent chaque semaine pour produire ce que l’on peut
appeler un métamédia.
13
L’Agence Courrier a notamment un abonnement à LexiNexis, ce site est un fournisseur d’informations fonctionnant comme une
agence de presse.
PASQUIER Martin_2007
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
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Conférence du jeudi : la rédaction fait le bilan des ventes des derniers numéros, décide
des dossiers de couvertures pour les numéros à venir, et discute des projets de l’entreprise
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PASQUIER Martin_2007
Seconde partie : Courrier International, un “métamédia”
Seconde partie : Courrier International,
un “métamédia”
Introduction
Nous proposons donc de forger dans cette deusième partie un concept pour désigner ce
nouveau type de journalisme que propose Courrier : le métamédia. Courrier International
peut être qualifié ainsi car il est avant tout une voix sur les médias internationaux. Nous
étudierons d’abord comment l’histoire des idées a permis d’atteindre ce second degré
du journalisme, puis techniquement, la manière dont se construit le métamédia Courrier
International.
1. Le concept de « Metamedia »
Création et définition du concept de métamédia
e
Jusqu’au 17-18 siècles, ce que l’on apprend avec la rhétorique, c’est à fabriquer des
discours, pas à comprendre celui des autres, on se concentre sur la « grammaire du bon
usage ». Le regard porté sur son propre discours sert à mieux le construire, pas à le
comprendre. De même, si les revues de presse se sont institutionnalisées, c’est moins dans
un souci de compréhension des autres journaux que dans le but de juger ces journaux
(pouvant être concurrents).
Le concept de « métamédia » que nous nous proposons de forger et d’utiliser pour
qualifier Courrier International, est donc récent. C’est le résultat d’un long processus de
distanciation par rapport au discours des médias.
Dans le temps long, la naissance de la scientificité de la critique des médias est à
mettre au compte des années 50. Les écoles de journalisme que l’on connaît aujourd’hui
se développent (CFJ, ESJ), les sciences et théories de l’information et de la communication
naissent des réflexions suscitées par les nouvelles techniques de communication. La
14
normalisation d’un champ au sens où Bourdieu l’entend est en route, normalisation qui
va aboutir à la signature d’une charte professionnelle des journalistes et de conventions
collectives structurantes. L’identité du journaliste se renforce et se voit protégée.
14
Le concept de champ chez Bourdieu structure le domaine d’une discipline et englobe les pratiques de pouvoir et les
contradictions qui s’y déroulent.
PASQUIER Martin_2007
21
Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Parrallèlement à cela, les sciences de l’information et de la communication
apparaissent, et le journalisme, alors identifié comme pratique sociale, devient un
champ d’interrogations scientifiques. Et toujours en même temps, le secteur des médias
s’industrialise, les nouvelles technologies de l’information et de la communication se
développent.
Le second degré du journalisme
C’est donc à la naissance d’un véritable « second degré » du journalisme auquel nous
assistons avec Courrier International, fruit d’une longue maturation qui éclot comme par
miracle à la toute fin de la guerre froide. Ce cycle long est à mettre en parallèle avec celui des
sciences du langage, initié par les travaux de Saussure en 1880 : les écoles normales vont
‘normaliser’ les enseignants, la linguistique fait des progrès… le concept de métalangage est
approfondi, aussi nous nous permettons de l’appliquer au monde médiatique et à Courrier
International en particulier sous la forme de « métamédia ».
Donc d’un côté, la maturation des sciences du langage avec Saussure notamment,
précise le concept de métalangage en définissant le signe de manière simple. De l’autre
e
la maturation de la presse depuis le 19 , avec quelques grandes dates à retenir (1850 :
invention de la rotative ; 1945 signature des conventions collectives, 1960 : création des
écoles de journalisme). D’où la possibilité de parler de la notion de métamédia, grâce à cette
distance critique, à ce recul et à ces réflexions sur le rôle du journalisme.
Au même moment, en 1962 sort « l’Espace Public » d’Habermas, première vraie
approche théorique de l’information et de la communication, bien qu’elle ne parle pas tant
de l’information et de la communication que du débat public et de ses modalités.
La position de second degré de Courrier International est donc préparée par les
évolutions parallèles des sciences de l’information et de la communication et du journalisme.
On reconnaît le symbolique, le langage, comme objet de science. D’où le concept de
métamédia, qui ne rend pas compte (ou pas que) des événements réels, mais dont le réel
principal est l’information élaborée par les autres journaux.
Ce sont bien ces journaux qui sont l’objet de la critique, pas les politiques ou les
évènements traités. Courrier International regroupe alors un ensemble d’énonciateurs et de
traducteurs qui produisent un réel à comprendre de deux façons : l’événement traité ET ce
que les journaux étrangers disent de l’événement en question. Impossible de dissocier ces
deux réels !
Agnès (pages Chine) ne manque jamais de travail !
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
2. Sémiologie de la sélection
Le concept de sélection
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PASQUIER Martin_2007
Seconde partie : Courrier International, un “métamédia”
On peut donc avancer que Courrier International est dans une position de métamédia, c’est
à dire que c’est une voix médiatique sur le monde des médias. Cette affirmation est soutenue
tout d’abord par le principe même de Courrier, que l’on retrouve d’ailleurs comme leitmotiv de
15
la version web : sélectionner le meilleur (nous verrons par la suite comment affiner et définir
ce « meilleur », notamment car le concept de métamédia implique une fonction d’évaluation)
de la presse internationale pour mieux saisir un monde complexe et globalisé… ou ses
représentants !
Cette prise de position osée dans un paysage journalistique français trop tourné sur
lui-même est présente dès le début de la version papier : la première page après celle du
sommaire est celle des sources. Nous avons en un coup d’œil le panel de la presse mondiale
dans lequel Courrier International a puisé les articles parus dans le numéro en question.
On en compte une soixantaine par semaine, des plus gros (The New York Times, Asahi
Shimbun, Yediot Aharonot, El Mundo etc.), traduits en interne, aux plus locaux (Weesa,
quotidien afghan, Forum, journal macédonien tiré à 10 000 exemplaires, Dongxiang-the
Trend, journal imprimé à 15 000 exemplaires à Hong Kong), traduits en externe. Ces notules
sont étudiées plus loin.
Cette page-annuaire pourrait être modifiée. Au lieu d’avoir la liste complète des sources,
une ou deux seraient choisies chaque semaine pour être présenté de manière plus détaillée.
La fonction d’évaluation du métamédia Courrier International serait alors encore plus
évidente.
L’iconographie est aussi l’occasion de varier les plaisirs. D’un côté les photos sont
généralement celles des plus grosses agences (Corbis, MaxPPP, Gamma, AP) mais l’on
trouve aussi des photos de reportages (en général dans les portfolios, les pages voyages et
portraits), des captures d’écran ainsi que des photographies d’artistes dans les portfolios.
Les poses relativement calibrées, les retouches et le côté esthétiquement léché des photos
d’agence sont en concurrence avec certains clichés plus amateurs reproduits dans l’hebdo.
Il n’est pas rare non plus d’avoir des captures d’écrans de site web ou de vidéo.
Les dessins de presse viennent quant à eux d’un peu partout : on en retrouve
certains fréquemment (l’excellent Kopelnitsky, Ares, Mix&Remix de l’Hebdo, Ajubel, NoRio au Japon, Glez pour l’Afrique). D’autres ne sont pas signés (cas des dessins de The
Economist), et si certains peuvent paraître moins subtils que d’autres, ils n’en expriment
pas moins une voix qui existe, à un moment donné et dans une communauté (de lecteurs)
donnée.
Une sélection critique dès les sources
Courrier International ne se contente pas d’opérer une sélection qui se veut équilibrée
(trouver des sources locales, éviter l’omniprésence des journaux anglosaxons de qualité
comme Financial Times ou The Economist, varier les tons). La sélection est aussi l’occasion
d’apercevoir la voix de Courrier International, son empreinte sur les médias du monde.
L’évaluation des sources est alors l’une des fonctions les plus évidentes du métamédia
qu’est Courrier International.
15
Cette critique (positive ou négative) des médias utilisés est visible dès la page des
sources. Les sources de la semaine sont systématiquement accompagnées d’une notule les
décrivant rapidement. Ainsi dans le numéro 835 de novembre 2006, on trouve le quotidien
espagnol ABC, « monarchiste et conservateur, à l’aspect un peu désuet », le quotidien
japonais Asahi Shimbun, « une véritable institution », ou encore El Diario, quotidien bolivien
La page d’accueil de courrierinternational.com annonce en titre de la fenêtre de navigation « l’actualité mondiale vue à travers
la presse ».
PASQUIER Martin_2007
23
Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
« au point de vue conservateur, nationaliste et catholique ». Dans le numéro 868 de juin
2007, les sources ne sont plus les mêmes (elles changent forcément à chaque numéro),
le Daily News sri-lankais est décrit comme « se démarquant par la pertinence de ses
analyses »… par rapport évidemment aux autres journaux sri-lankais ! Toujours dans le
même numéro, Al-Quds Al-Arabi, l’un des trois grands journaux pan-arabes installé à
Londres, « n’est pas détenu par des capitaux saoudiens, contrairement à ses confrères ».
On voit ici clairement la fonction d’évaluation de la presse, non seulement de
manière générale (The Economist est « une institution ») mais aussi de manière relative
(« contrairement à ses confrères », « le plus vendu », « cinquième quotidien coréen
derrière… »). Les sources ne sont pas prises au hasard, le lectorat est informé de la position
de Courrier International par rapport à ses sources.
Les pays dans lesquels la liberté de la presse est bafouée sont souvent vus à travers
les médias les plus audacieux. Ainsi pour la Chine, on trouve dans la page des sources de
ce même numéro 835 le Dongxian-The Trend, qui publie « des articles très critiques vis à
vis du gouvernement central de Pékin », ou encore les Novyié Izvestia russes, créées par
« des indésirables » et « sérieux et critiques vis à vis du Kremlin ». La notule précise encore
que ce quotidien a du suspendre sa parution courant 2003 faute de financement.
Les chapeaux
Dans les pages d’articles, on retrouve cette volonté de Courrier International d’être plus
qu’un agrégateur, qu’une revue de presse. La critique des journaux utilisés est souvent
palpable dans les chapeaux, l’un des principaux travaux de rédaction des journalistes du
Courrier et l’un des blocs les plus caractéristiques en journalisme : ces quelques lignes en
dessous du titre doivent donner la teneur de l’article. Courrier International en profite pour
poursuivre son travail d’évaluation de la presse mondiale.
Nous apprenons ainsi dans un filet page 13 du numéro 835 que le Kyiv Post
« s’inquiète » du problème du gaz avec la Russie, ou encore qu’en Arabie Saoudite, « un
célèbre éditorialiste saoudien critique avec virulence cette attitude [de la classe religieuse] ».
Plus loin dans un autre numéro (836 du mois de novembre), le chapeau de l’article consacré
à l’influence de la Chine en Afrique analyse la posture de l’article qu’il « chapeaute »,
justement, en estimant que « Le Messager [journal dont est issu l’article qui suit] de Douala
[lieu de parution] se demande si le continent noir ne devrait pas se méfier des ambitions
chinoises ».
Les chapeaux n’hésitent donc pas à nous présenter l’article tel qu’il est, un article n’étant
pas une source objective, Courrier assume l’engagement des points de vue et nous en
avertit. C’est aussi évidemment une prise de position, mettant en avant tel auteur, telle
attitude (Les verbes utilisés pour qualifier la prose du journaliste sélectionné renvoient
principalement à l’interrogation, au doute, et à l’inquiétude).
Les dossiers de couverture
Les dossiers de couvertures sont aussi l’occasion de montrer à son lectorat que Courrier
International propose une sélection critique. Le dossier principal du numéro 836 est
justement le parfait exemple de cette nouvelle pratique journalistique que Courrier
International entend développer, puisqu’il s’intéresse à la situation en Afghanistan, pays
24
PASQUIER Martin_2007
Seconde partie : Courrier International, un “métamédia”
peu connu pour sa liberté d’expression, l’angle du dossier étant « La presse [afghane]
témoigne ».
Ce dossier, quintessence de l’esprit Courrier International (défense des petites voix
discordantes, ‘prêt’ de la structure de Courrier etc.) est introduit comme tous les autres
dossiers hebdomadaires par un chapeau de style télégraphique (une phrase courte
décrivant chaque axe) dans lequel sont présentés brièvement les principaux articles du
dossier. Dans ce chapeau général, nous apprenons que « le quotidien afghan Weesa
constate que le pays n’est pas en mesure de se reconstruire », et que « l’insécurité, la
corruption, les difficultés d’approvisionnement : tels sont les maux principaux que mettent
en évidence les journaux locaux ». Courrier International présente donc dans ses chapeaux
non pas l’affaire dont il est question, le réel dont il faut discuter, mais bien la voix locale qui
parle de ce réel, les deux journaux ne se situent pas au même étage ! Courrier International
prend ici clairement une position de surplomb, de regard évaluatif sur ce qu’écrivent les
journalistes étrangers, peu importe à la limite le réel auquel ces derniers se rapportent.
Dans le numéro 839 de décembre 2006, le dossier sur « le phénomène Chavez » est
encore l’occasion de proposer une sélection critique de la presse. Le premier article du
dossier est titré « Ce que j’ai vu à Caracas », suivi d’un chapeau nous précisant que « le
journaliste américain Jeff Cohen s’est rendu au Venezuela pour montrer à ses lecteurs ce
qui se passe. Son objectif : balayer les idées reçues sur la nature de la révolution en cours ».
Difficile de ne pas voir la main de Courrier dans le choix du titre et du chapeau, qui sont ici
quasiment la justification de la sélection, un peu comme si Courrier répondait à la question
« pourquoi avons-nous choisi cet article ? ».
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Discussion entre Claude Leblanc, rédacteur en chef adjoint responsable de la page
Médias (il n’y en a malheureusement pas dans tous les numéros !), Bernard Kapp, rédacteur
en chef (de dos) et Pascal Philippe, chef de service Iconographie
3. Le conflit
Une représentation du conflit
Certes, comme tout journal, Courrier International est obligé de forcer un peu la main au réel
pour proposer des médiations symboliques aisément compréhensibles par son lectorat.
En reprenant son ouvrage « Du journalisme en démocratie », on comprend que l’espace
public est imparfait dans le sens où il est soumis au règne du voir, du visible. Le public est
supposé alors inapte à toucher la « vérité du social ». Cet aspect de la structure du public
est encore à corriger dans le cas de Courrier International. Si Bourdieu se plaint du vide
brassé par les journaux et leurs publics, c’est qu’on ne lui propose que du consensuel, le
minimum de l’échange social. Or avec Courrier, justement, le conflit est représenté, et il est
représenté par l’agrégation de médiations symboliques différentes et souvent entrecroisées.
Ainsi dans le dossier du numéro 836 du mois de novembre 2006 consacré au Québec
et à son (ou ses) identité(s), on peut voir :
PASQUIER Martin_2007
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
un article d’une institution de la presse, The Economist,
un « Vu d’Espagne » tiré d’El Correo, quotidien basque imprimé à Bilbao,
un « Vu de Beyrouth »
un filet composé d’infos
siropderable.blogspot.com),
trouvés
dans
des
blogs
(mauditfrancais.com,
une interview réalisée par Courrier International d’un immigré rwandais.
Autant dire que le mélange des symboliques est riche, très riche. On trouve donc ici,
concentré en trois pages de dossier, la voix du plus prestigieux des newsmagazines anglosaxons, des paroles d’acteurs du Web 2.0 (les blogs) et des réactions venus des antipodes
du sujet en question, le Québec. Si ces articles, par leurs symboliques, expliquent le réel de
la situation identitaire au Québec, Courrier International, par le mélange de ces différentes
formes, permet une appréhension plus forte du réel. On ne se contente pas d’un seul point
de vue que rien ne reviendrait remettre en cause. Un équilibre entre ces textes très différents
se produit, et permet d’observer le phénomène « Québec » sous plusieurs angles, et ainsi
de pouvoir repérer les éventuelles déformations d’une plume par rapport à une autre. La
complexité quasi-infinie du réel n’est pas niée au profit d’un ‘angle’ qui ne retiendrait qu’un
aspect de la réalité québecoise, ces différentes symboliques permettent d’avoir plusieurs
prises sur ce réel.
N’oublions pas non plus l’iconographie, qui joue ici le même rôle. Le dossier comporte :
une carte, soit une représentation scientifique d’un réel, la localisation du territoire
« Québec » dans l’Amérique du Nord,
3 dessins de presse (parus dans des journaux québécois),
une caricature du Premier ministre québecois Jean Charest,
une planche de bande dessinée issue de l’un des blogs repris dans le filet qui démonte
les mythes traditionnellement accrochés au terme Québec (sécurité, progressisme,
pacifisme).
Nous avons là encore plusieurs approches différentes du phénomène Québec via
différentes représentations graphiques, symboliques. Le dossier, par sa structure, donne
l’impression de mettre en scène le conflit qui existe quant à l’identité du Québec.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Gianpaolo Accardo, responsable de la page Italie et chroniqueur pour Courrier d’une
émission consacrée à l’Europe diffusée sur France Inter
La mise en page du conflit
On voit donc que Courrier International ne se contente pas d’une seule approche du réel,
chaque article est très souvent contrebalancé par un point de vue autre (un point de vue
qui permet de relativiser la voix de l’article principal). En général, on trouve ces contrepoids
dans les chandelles, les encadrés. Ces rubriques portent d’ailleurs des noms qui laissent
peu de place au doute : Vu d’ailleurs, Contrepoint, Réaction.
Mais cet ensemble aurait l’air d’un véritable capharnaüm sans la contribution technique
de Courrier International. Il ne suffit pas de trouver de bons articles ainsi que leurs
26
PASQUIER Martin_2007
Seconde partie : Courrier International, un “métamédia”
contrepoids, il faut aussi les agréger solidement à une maquette qui elle, est LE symbole
de Courrier, le sien, celui qu’elle n’a pas été piocher dans la presse étrangère.
La maquette de Courrier est en effet l’un de ses points forts depuis sa création. Malgré
les quelques changements de formule, c’est le point de repère qui, depuis 15 ans, est à
mon avis la meilleure clé pour comprendre la façon de travailler de Courrier International.
Graphiquement parlant, la direction artistique a su conserver une charte graphique
(couleurs, typographies, têtières) cohérente. Les dossiers sont entourés d’une bande de
couleur qui symbolise le thème d’une manière ou d’une autre (Bleu clair pour le cas de
notre dossier sur les identités du Québec, en référence à la couleur du drapeau, souvent
vert pour les sujets touchant au Hezbollah, couleur classique dans les représentations
iconographiques du monde musulman), les titres sont différents selon qu’il s’agit du titre du
dossier (en très gros) ou d’une colonne de contrepoint (dans laquelle la police est en bâton,
sans empattement, pour casser avec le rythme de lecture plus fluide des grands articles).
L’organisation même des boîtes de textes permet de mettre en scène les tensions,
une page Pologne peut fort bien comporter un article principal (qui prendra donc une place
imposante, avec un titre en gros) ainsi qu’une ou plusieurs réactions dans de petites boîtes
de textes, on pourrait presque les entendre crier de leur petite voix « je suis quand même
là ! ». Le réel est appréhendé grâce à ces sélections dans toutes ses tensions, dans toute
sa « réalité », et non plus dans une approche consensuelle, molle, ou à sens unique.
Conclusion
Nous avons donc vu dans cette seconde partie en quoi Courrier International était un
métamédia. Depuis son principe même de compilation de la presse mondiale, jusqu’à sa
volonté d’évaluer sa matière première journalistique, Courrier se place nettement sur un
autre plan que les journaux traditionnels, et tout dans sa structure tend à le placer à un
second degré. Nous proposons maintenant d’étudier les effets de cette ‘méta-médiation’,
notamment celui de distanciation identitaire
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Philippe Mischkowsky, responsable des pays du Golfe
PASQUIER Martin_2007
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Troisième partie : La distanciation
identitaire
Introduction
Cette troisième et dernière partie s’intéressera aux conséquences politiques de la
métamédiation qu’est Courrier International. Nous effectuerons d’abord un bref retour sur
l’internationalisation des relations politiques. Nous verrons ensuite comment l’élargissement
de l’espace public, grâce aux efforts de la rédaction pour faire entendre d’autres voix, va
permettre au lecteur de se distancier. Ce recul, qui fait de lui un spectateur de ses propres
représentations, est aussi le signe d’un changement du statut du journaliste, qui devient un
relais de regards. La distanciation change complètement les repères politiques et culturels
du lecteur.
1. Un espace public en mutation
La mondialisation, deuxième principe fondateur de Courrier
International
Si Courrier est « International », on peut remonter dans le temps pour mieux comprendre
pourquoi. L’histoire de l’internationalisation des relations politiques contemporaines
commence en 1914 avec la Première Guerre Mondiale, premier événement politique qui
s’explique par des contradictions et des dynamiques internationales (jeu des alliances,
théorie des dominos). D’autre part, l’intervention (tardive) du président Wilson fait que les
Etats-Unis internationalisent ce conflit.
A la suite de la guerre, c’est l’espace public qui va être internationalisé, avec la création
16
de la Société des Nations , et l’idée qu’un espace public international peut exister se
répand. Courrier International s’inscrit dans cette même problématique, en nous faisant lire
et en confrontant les journaux de l’étranger. Notons au passage qu’encore une fois, dans
une vision du temps long, le développement de cet espace public se fait en parallèle avec
la maturation des sciences de l’information et de la communication.
Cette internationalisation de l’espace public fait qu’avec la guerre froide, ce sont les
conflits politiques qui seront mondialisés, d’où une mondialisation des médias, ne serait-ce
que par la mondialisation des agences de presse. La position de Courrier International est
exactement celle des journaux à l’égard des agences : lecture et appropriation d’un matériel
16
28
Introduite par le traité de Versailles de 1919 dans le but de conserver la paix en Europe après la Première Guerre Mondiale.
PASQUIER Martin_2007
Troisième partie : La distanciation identitaire
brut (même si celui-ci est évidemment déjà structuré par les agences elles-mêmes !). Les
journaux classiques se font à partir de pratiques symboliques (les coupures de presse
achetées aux agences, la prise de notes d’un journaliste présent à une interview). Courrier
International s’inscrit dans une perspective radicalement différente, car ce journalisme,
si c’en est un, pioche de quoi paraître dans du symbolique déjà structuré, « sensé ».
La différence est donc dans le réel de référence : la traduction de Courrier International
porte sur un Réel qui est déjà langage. Nous aurons l’occasion de discuter du statut des
« journalistes » de Courrier International à la fin de cette troisième partie.
L’élargissement de l’espace public
L’un des effets de cette sélection métamédiatique est un élargissement de l’espace public,
par l’utilisation de sources minoritaires ou sans portée. Les petites voix de ces journaux
afghans ou macédoniens créent de l’espace public, ou plus précisément, l’élargissent en
étirant ses frontières physiques.
Dans le livre de Muhlmann, on comprend que la critique bourdieusienne du journalisme
s’articule autour du fait que les journalistes, en non-spécialistes, vulgarisent illégitimement
des connaissances réservées aux spécialistes. Dit autrement, il m’a semblé que la critique
de Bourdieu était peu disposé à voir rentrer dans l’espace public n’importe qui.
Si Courrier International permet d’élargir l’espace public, ce n’est pas seulement en
sélectionnant le « meilleur » de la presse étrangère, c’est aussi en sélectionnant les voix
discordantes, les petites voix, les voix non officielles. Courrier International aurait pu se
satisfaire de reprendre les ténors de chaque pays, de limiter les sujets américains à leur
traitement par le New York Times ou le Los Angeles Times, mais l’on y voit de nombreuses
sources tierces et alternatives, comme Salon, webzine du monde des idées tendance et
un peu bobo, Science, réputé mais souvent technique (et pour le coup « spécialisé »), ou
encore Mother Jones
17
, excellent journalisme d’investigation au ton toujours acerbe.
Courrier avait ainsi fait paraître des témoignages d’écrivains tchétchènes (dossier
« Ecrire à Grozny ») en plein salon du livre consacré à la Russie ! Récemment, le dossier sur
la situation de la presse an Afghanistan a été l’occasion de publier des articles de journaux
à tirage très limité.
Le public, le lectorat de Courrier, voit alors l’espace public, cet espace dans lequel
circulent les médiations symboliques de l’identité que sont les journaux, s’agrandir. Ses
frontières se dilatent pour laisser passer des voix moins légitimes, moins soutenues, mais
des voix qui disent quelque chose de différent sur l’identité de la communauté dont elle
font partie ou dont elles parlent. Ce ne sont plus des spécialistes de politique étrangère qui
parlent, mais des locaux, l’écrivain tchétchène qui travaille à Grozny, l’étudiant afghan qui
voit son école bombardée, le bloggeur chinois tout juste revenu de prison.
Les non-spécialistes, en trouvant une place dans l’espace public qu’offre Courrier
International (et ce d’autant plus avec l’ouverture de l’espace blog du site web de Courrier),
agrandissent cet espace, et n’en font plus une entité réservé à un public averti. C’est encore
une manière de multiplier les angles, les points de repères, les points d’accroches à la
compréhension d’un phénomène, d’un réel toujours plus complexe que ce qu’il peut paraître.
17
Le journaliste et réalisateur américain Michael Moore (Bowling for Columbine, Farenheit 9/11…) a été rédacteur en chef
de Mother Jones dans les années 1980.
PASQUIER Martin_2007
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Cette pluralité des points de vue est ici riche et vertueuse au sens où Muhlmann l’utilise
dans son attachement au principe de publicité tel que Kant l’a défini.
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Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Regards croisés entre Phillipe Thureau-Dangin et Nathalie Pingaud
L’expérience de la « rationalité élargie » (Kant)
La pluralité des points de vue proposés à l’intérieur de l’hebdo ou de ses suppléments et
hors séries permet d’atteindre une forme d’impartialité, comme le souligne Muhlmann dans
« Du journalisme en démocratie ».
L’impartialité, loin d’être une position supérieure, qui, de par sa distance, permettrait de
trancher, est une élaboration collective, fruit de la présence des ces points de vue différents,
contradictoires (mini encadrés « contrepoint » dans une même page, sur un même thème
que l’article principal mais sur une position pas forcément opposée mais divergente).
Nous arrivons alors à une expérience de « mentalité élargie », qui peut aussi être
décrite comme un étirement presque physique de la membrane souple de cet espace public
dans lequel agit Courrier International. Le lecteur de Courrier, grâce à cette variété (parfois
complémentarité) de points de vue, peut se mettre à la place de l’autre sans s’extraire
totalement de son espace public.
Un article sur l’homophobie en Pologne mettra le lecteur de Courrier International, ce
Français diplômé, jeune, actif et lié à l’international, dans la peau du destinateur originel de
l’article : un lecteur polonais. Gandhi disait que les trois quarts des problèmes de l’humanité
seraient réglés si les hommes se mettaient à la place des autres, et c’est bien ce que
Muhlmann nous dit aussi en se référant à Kant. On approche bien d’une expérience de la
rationalité élargie, d’une rationalité plurielle qui autorise le lecteur de Courrier à se défier luimême à chaque instant en prenant le pari, sur une ou plusieurs pages, de se mettre à la
place du lecteur originel, tout en conservant ses références, sa structure propre.
Ce jeu de rôles, car il s’agit un peu de cela, permet alors d’éviter de s’enfermer dans
un seul point de vue, de n’avoir qu’une seule paire de lunettes pour voir le monde. L’espace
public du lecteur de Courrier est donc ouvert à toutes les modifications, c’est un lieu de
perpétuelle réforme. On pourrait craindre alors une désintégration de l’espace public, mais
celui-ci conserve quand même un caractère « commun » qui le garde soudé : ce qui est
commun aux lecteurs de Courrier International, c’est la curiosité et l’ouverture sur l’autre.
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Pierrick Van-Thé, webmestre du site courrierinternational.com
Une communauté de lecteurs curieux
Si Courrier International, en tant que média, produit du commun à un moment ou à un autre,
c’est une communauté de lecteurs curieux et ouverts (ouverts au distanciation). Il y a bien
ici un rassemblement, mais un rassemblement paradoxal autour de l’idée de se décentrer.
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PASQUIER Martin_2007
Troisième partie : La distanciation identitaire
Car son rassemblement est loin d’être consensuel, Courrier ne lisse pas les conflits.
On peut prendre pour exemple un numéro de l’hebdo paru peu avant les élections
présidentielles de 2004 aux Etats-Unis où l’on voyait Bush en couverture, entouré d’un
cadre, avec le titre : « Plaidoyer pour Bush », le dossier recensait les analyses en faveur de
Bush dans la presse américaine, à un moment où le débat sur Bush semblait asphyxié par la
voix commune des médias qui, en France, le passait à tabac. Ce numéro a vraiment détonné
dans le paysage journalistique du moment où le ton était plutôt au « Tout sauf Bush ». Cette
couverture courageuse n’était pas pour signifier la tendance pro Bush qui aurait animé la
rédaction de Courrier. C’était une manière de rassembler des lecteurs curieux, car Bush était
tout de même populaire à domicile (quoi qu’on en dise, il a été réélu), et la presse américaine
qui l’a soutenu a argumenté de manière honnête son soutien au président sortant. Courrier
International a donc permis de briser les limites de l’espace public français, alors saturé des
discours anti-Bush des autres journaux, ouvrant cet espace à la possibilité de comprendre
les arguments de ceux qui le soutenaient.
Cette injection de diversité dans l’espace public contribue alors à la formation d’un
jugement plus juste car pluriel, un jugement capable de transcender, au moins un peu, les
murs des idéologies relayés par les médias traditionnels. Courrier International, et en ce
sens nous reprenons les propos de Muhlmann sur Kant, permet de faire exister le principe
de base de la démocratie, la possibilité du conflit dans un espace imparfaitement pluriel.
Cette ouverture permet au regard commun de cet espace public de se tester, de se
défier, de se faire voir ses propres imperfections. Cette forme de la publicité place sans
cesse le commun sous les feux des regards venus d’ailleurs, elle l’empêche de se figer, de
se fixer, son renouvellement est systématique. Essayons maintenant d’approfondir l’aspect
distanciateur de Courrier International. Pour ce faire, nous nous baserons sur les ouvrages
de Muhlmann.
Anthony Bellanger, responsable des pages France et Espagne, est aussi chroniqueur
pour Courrier sur la TNT. Sophie-Anne Delhomme est la directrice artistique, le ‘style’
Courrier, c’est elle !
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2. Aspects techniques
Définition du concept de distanciation chez Géraldine Muhlmann
Dans ses ouvrages, Géraldine Muhlmann propose une approche du journalisme en
termes de rassembleurs et de distanciation. Courrier International est à ce titre un journal
extrêmement intéressant, tout journal étant, il me semble, foncièrement rassembleur (ne
serait-ce que par l'existence de son lectorat et des caractéristiques communes de ce
lectorat).
Cependant, par la sélection d'articles, de points de vue de tous les pays (et,
au maximum, de toutes les presses possibles), la rédaction de Courrier International
propose une distanciation. Les choix journalistiques, en principe fonction des intérêts de
PASQUIER Martin_2007
31
Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
18
la communauté dans laquelle le journal paraît , sont ici certes effectués en gardant à
l'esprit la composition du lectorat de Courrier (un lectorat très diplômé, actif ou étudiant
dans l’enseignement supérieur, urbain, et ayant eu à un moment ou à un autre un lien fort
avec l'étranger), mais la mosaïque de points de vue permet à la fois de créer une identité
commune et de montrer celle des pays abordés. Nous atteignons grâce à cette multiplicité
des points de vue une sorte d'objectivité journalistique.
Avant de voir comment Courrier International agit comme distanciateur, voyons
comment Muhlmann définit la distanciation. Le journalisme distanciateur (l’auteur utilise le
terme de ‘décentreur’ que nous avons préféré remplacer pas ‘distanciateur’) vise à "installer
dans le public qui reçoit son regard une chose tout autre, profondément dérangeante pour le
nous", ce “nous” que constitue la communauté des lecteurs. Contrairement au journalisme
rassembleur qui va, par le fond (révélation d'un "eux" contre lequel pourra se bâtir le "nous")
et la forme (sensationnalisme permettant une identification quasi-physique avec le reporter,
"je" du journaliste interchangeable) des articles, donner des bases solides à l'identité du
"nous", le journalisme distanciateur va tenter de montrer ce qu'est ce "nous" au "nous"
précisement.
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Philippe Czerepak rend les articles qu’il a révisés au rédacteur ou à la maquette.
La page “France”
19
C’est ce que fait Courrier International dans les pages France de l'hebdo. Cette page est
réservée chaque semaine à des articles de la presse internationale concernant la France,
nous avons alors le point de vue d'un correspondant anglais sur la rentrée des classes en
France, l'analyse du paysage intellectuel français par un espagnol etc.
Ce point de vue d'un étranger sur un phénomène français a une fonction de
distanciation : en lisant l'article traduit, le lecteur français se voit décrit, se voit symbolisé
par une personne étrangère à sa communauté. On se trouve alors dans un jeu de miroirs
réfléchissant notre propre identité dans le discours de l'autre, ce qui agit comme une
réfléxivité, le "nous" peut prendre la distance offerte par l'autre pour mieux se voir, mieux
voir quelles sont ses articulations, ses réactions. Si les pages géographiques (comme la
page Russie, la page Amérique du Sud etc.) nous permettent de saisir l'altérité de l'autre,
ici, nous voyons notre propre altérité. Le lectorat se voit renvoyer sa propre particularité
culturelle, relative, interrogée dans ses stéréotypes (la rentrée littéraire fait ainsi souvent
l'objet d'un dossier de couverture, de même que les élections présidentielles de 2007 vues
par la presse étrangère etc.).
La place de la page “France”
La position des pages France dans l'hebdo est évidemment significative du rôle que Courrier
International veut jouer dans la détermination de l'identité de son lectorat, c'est, après
18
Nous n’oublions pas que le produit « journal » se trouve sur un double-marché : celui des lecteurs et celui des annonceurs.
Nous n’avons pas étudié dans ce mémoire ce second marché.
19
32
J’emploie le terme de ‘page France’ de manière générique. Il y a en réalité de une à trois pages France selon les éditions.
PASQUIER Martin_2007
Troisième partie : La distanciation identitaire
les pages "hors d'oeuvre" de l'invité et de l'affiche, la première section d'importance de
l'hebdomadaire.
Avant même d'aller voir ce qu'il se passe chez l'autre, avant même d'essayer de saisir
l'identité de l'autre telle qu’il la dit, on est vu, montré, dit par cet autre. Cette section varie
en taille, il y au moins une page entière chaque semaine, parfois plus en cas d'évènements
touchant la France, autrement dit en cas d'évènements susceptibles d'affecter la constitution
de la communauté des lecteurs, c'est le cas lors des élections, ou encore lors des grandes
crises sociales (banlieues, CPE).
Et la place accordée aux pages étrangères laisse penser que Courrier lutte contre la
tentative du rassemblement. On se voit d'abord regardé, puis l'on regarde l'autre se débattre
dans sa (ou ses) propre(s) identité(s), aussi en lisant Courrier régulièrement, la dialectique
"nous"/"eux" semble t-elle moins pertinente, le lecteur est constamment mu de points de vue
en points de vue, aucun n'ayant apparemment de supériorité, le lecteur sait que son "nous"
tel qu'il est présenté dans une presse plus traditionnelle (PQN, PQR), peut être démonté ou
modifié en un instant selon le point de vue qui le traitera.
Plutôt que de rassembler à l’aveugle ou de décentrer vainement, Courrier me semble
20
réussir une modification de la perception profonde du "nous" par nous-mêmes, le concept
de "vérité" souvent chère aux journalistes est ici fortement affecté par ces échanges de
regards, ce jeu de miroir capable de déformer à l'envi les identités, qui n'existent alors que
de manière relative (à l'autre).
Une déconstruction qui rend possible l’action politique
La page France opère ainsi une déconstruction d'un objet donné de notre communauté, le
regard de l'autre nous fait comprendre qu'il y a pour un sujet (en l'occurrence le journaliste
étranger) de l'étrange, de l'incompréhensible sur nos terres. Leurs articles s'étonnent,
s'indignent, questionnent nos pratiques, les observations y sont détaillées, ce sont des
choses vues par l'autre que nous ne voyons pas, car nous sommes trop “dans” ces
phénomènes pour s’en extirper.
Le regard de l'étranger nous atteint, et ici la page France joue aussi le rôle d'un
rassemblement : le regard de l'autre pointe nos contradictions qui nous apparaissent alors et
qui structurent ce "nous", justement. Une communauté est instituée par ce regard étranger
dans nos affaires. Ce regard à distance fait d'autant plus d'effet qu'il est extérieur, et cette
extériorité est généralement entendue comme étant une garantie de lumière, une condition
pour voir, la distance est ici féconde.
C'est que notre centre, le centre de notre communauté, est toujours en devenir, sujet à
des variations opérées justement par le jeu des regards de l'autre. Il s'agit dans le cas des
pages France d'avoir le centre de l’identité du “nous” montré, décrit par l'autre qui le voit
mieux de par sa distance culturelle, linguistique et géographique.
Au lecteur par la suite de réagir : cette représentation de son centre, de la structure de
son "nous" collectif lui convient-il ? Par le simple fait de symboliser cette structure collective,
l'article de l'autre le fait exister, le pérennise, libre au lecteur de se sentir conforté, ou au
contraire de réagir face à une caractéristique supposée sienne qu'il n'accepte pas, qu'il ne
reconnaît pas comme faisant partie de son "nous".
20
Ne serait-ce qu’au regard de la progression des ventes et des abonnements, ainsi que des nombreux partenariats médias
liés avec France Inter, BFMTV, Direct8, TV5 Monde.
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
En ce sens, les pages France de Courrier International ont une portée éminemment
politique, cet étalage de notre identité collective doit nous faire réagir, nous faire réfléchir
non sur ce que nous somme vraiment, ce qui reste une énigme, mais sur ce que nous
paraissons aux yeux de l'autre, de l'étranger avec qui nous tissons des liens toujours plus
étroits dans un monde globalisé.
Ces articles invitent le "nous" à une vigilance qui ne doit pas s'éteindre, les modifications
ou les projets des politiques portant sur le "nous", vus à travers le prisme de l'autre, nous
deviennent plus clairs, la distance fait son effet, et c'est alors, avec cet appui externe, que
nous pouvons saisir ces projets sous des angles différents, avec des repères qui ne sont
pas habituellement les nôtres.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Discussion sur les affiches publicitaires entre les ‘techniciens’ du journal
3. Rôle du journaliste
Résolution du problème de la désappartenance du journaliste
La distanciation opéré par Courrier est le fait de sa rédaction, il est alors intéressant de
s’attarder sur les changements que cela implique quant au rôle du journaliste, et avant tout
du journaliste étranger.
Si le distanciateur traditionnel, dans les ouvrages de Géraldine Muhlmann, est un
journaliste qui s'écarte du nous, il y a souvent des complications, le distanciateur en question
ne pouvant se "désappartenir" que dans une certaine mesure, lui-même faisant partie de
ce “nous” qu’il compte faire bouger.
C'est le problème qu'a rencontré George Orwell dans "Dans la dèche à Paris et à
Londres", un ouvrage étudié par Muhlmann. Orwell, qui erre dans un univers de petits
employés tyrannisés, de clochards et d'hospices, le dit, il y a impossibilité de se mettre
totalement à la place de l'autre, les constructions idélogiques (une éducation bourgeoise
dans un contexte colonial pour Orwell) ne peuvent être totalement déconstruites.
Or justement, Courrier International surmonte cette tension insoluble en empruntant
le regard d'un autre, et non en tentant de se désappartenir. Les articles sont ceux de
journalistes étrangers, c'est le discours de l'autre. Il y aurait sûrement matière à s'interroger
sur les effets de la traduction, sur les traces que laisse l'identité linguistique du traducteur
sur le discours de l'autre, mais ce n'est pas l'objet de ce dossier.
Le regard proposé dans les articles est donc à peu de chose près celui d'un autre, et non
pas une tentative d'un journaliste français de se décentrer au maximum. C'est là l'une des
clés du succès de Courrier, le "nous" est fait "vous" grâce à un regard de l'autre conservé
intact au maximum (excepté, comme nous l'avons dit, au moment délicat de la traduction).
Courrier réussit donc à surmonter cette aporie que Mulhmann considère comme inhérente
à la distanciation.
34
PASQUIER Martin_2007
Troisième partie : La distanciation identitaire
Le journaliste de Courrier International
La position du journaliste de Courrier est aussi des plus intéressantes. On sait avec
Muhlmann que le journaliste distanciateur vit dans un espace isolé, ne souhaitant pas
représenter son public (refus de s'intégrer au "nous") mais ne devant pas non plus fusionner
avec ses objets d'étude, car sinon comment pourraient-ils conserver la pureté d’un regard
qui doit permettre de voir jusqu'où le questionnement identitaire est possible.
A Courrier International, le journaliste se retrouve dans une sorte d'entre-deux, il ne
représente pas vraiment son public. Certes, il sélectionne ses articles en gardant à l’esprit
ce qui pourrait intéresser le lecteur, mais on ne peut pas dire qu'il est prisonnier des intérêts
de sa communauté, de son lectorat. Un papier hors-norme repéré dans la presse étrangère,
un témoignage inédit, une enquête fouillée, un format journalistique sortant de l'ordinaire,
sont autant d'occasions, justement, de montrer au lecteur ce qui se passe ailleurs.
De l'autre côté de l’article, le journaliste de Courrier International est en quelque
sorte l'ambassadeur de la presse du pays don’t il s’occupe au sein de la rédaction.
C'est à lui de présenter les sources utilisées, de savoir varier les journaux d'origine, de
repérer les évolutions journalistiques du pays (rapprochements de titres de presse, articles
d’éditorialistes connus, évolution du contexte juridique et politique etc.). En ce sens, c'est
presque un ambassadeur non pas des journaux de son pays de travail, mais du ou des
"nous" de ces pays, des identités structurées de ces pays. A lui de composer avec ces
identités, de les mettre en avant ou non, de les faire connaître.
Ainsi, l'un des projets en cours serait de réserver une page en début d'hebdomadaire
pour présenter les grandes plumes de ce monde, des éditorialistes du New York Times
aux critiques du pouvoir au Moyen-Orient jusqu'aux dessinateurs de presse, Courrier
International étant très attaché à la présence de nombreux dessins de presse et caricatures.
Ces personnalités qui façonnent et modifient les "nous" de leurs pays seraient ainsi
présentés au lecteur de Courrier, qui aurait ainsi des noms, des styles associés à chaque
pays ou à chaque zone. Cela pourrait réinstaurer une norme ou un schéma de perception de
la zone, mais la variété existante au sein d’une même entité (pays, région) permet d’éviter
de retomber dans une image unique qui cacherait les autres.
C'est aussi une manière subtile de montrer ce qu’il se passe dans le journalisme
en France. Ces portraits, qu'on trouve déjà en début d'hebdo actuellement (l'invité), nous
donnent une approche des journalismes étrangers. Mais l'on ne peut s’en faire une idée que
relativement à ce que l'on connaît, c’est à dire en ayant en tête le journalisme en France, si
la comparaison n'est pas directe, elle n’en est pas moins réelle. En proposant un aperçu de
ce qu'est le journalisme à l'étranger, et c'est là un joli travail de distanciation, on voit mieux
ce qu’il se passe ici, le "nous", l'identité des journalistes français est mieux perceptible.
Le statut du journaliste de Courrier est alors celui d'un relais des regards, comme
une tour de contrôle qui choisirait qui aurait le droit de venir se poser sur les pages de
l'hebdomadaire. Le journaliste n'est pas seul détenteur du pouvoir de montrer, d'éprouver le
"nous" auquel il appartient d'une manière ou d'une autre (révélations, soutien d'un politique),
puisqu'il est dépendant de ses sélections, donc de l'autre.
Il y a la quelque chose de tout à fait nouveau dans le statut du journaliste. Ce qu'il
perd en autonomie, il le gagne en richesse de points de vue. Quelles que soient la structure
idéologique du journaliste, ses influences, son éducation, qui lui feront certainement
sélectionner un article plutôt qu'un autre, par le simple fait de devoir sélectionner parmi un
ensemble constitué uniquement d'autres, son travail se désenclave du carcan idéologique
PASQUIER Martin_2007
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
qu'il aurait pu avoir, ces fameuses "lunettes" dont Bourdieu parlait à propos des médias.
Ces sélections vont inviter le lecteur à reconnaître ce qu'il hésite à voir, et à écouter des
sources qu'il n'entend pas spontanément.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Le bureau de Philippe Thureau-Dangin, directeur de la publication
4. Implication de la distanciation
Le monde comme référent principal
Le journalisme peut être défini comme une médiation entre l’individu et le groupe. Qu’en estil pour Courrier International ? C’est là encore une originalité de ce journal, et un autre effet
de la distanciation. Grâce à la sélection qu’opèrent les rédacteurs dans la presse mondiale,
le référent des lecteurs n’est plus limité au territoire national, mais s’étend au monde.
En réussissant (par un lectorat toujours plus nombreux) à attirer les lecteurs, Courrier
International les introduit dans une matrice beaucoup plus large que celles des journaux
classiques (PQN, PQR), on peut même dire que les lecteurs de Courrier sont « mondialisés »
de fait. Du coup, les événements qui intéressent le lecteur ne sont plus uniquement ceux
de son lieu de vie, mais les événements mondiaux, et il en résulte que l’identité du lectorat
est bien plus large, elle a plus d’assise qu’une identité réduite à sa dimension nationale.
Courrier International sait aller à mon avis encore plus loin dans la distanciation lorsqu’il
propose, en général sur 4 ou 5 semaines, des suppléments Version Originale. Il s’agit en
fait de proposer au lecteur sur une certaine période la version originale des articles qu’il
trouvera traduits dans l’hebdo. Courrier a ainsi réalisé un Courrier in English et un Courrier
en espanol. L’intérêt est évidemment de court-circuiter un temps la traduction, un service
qui ne traduit pas au hasard et qui, inconsciemment, donne une coloration française (au
sens linguistique) au texte traduit.
Le lectorat de Courrier étant très diplômé, jeune et intéressé par l’international, on
pouvait se douter que ce genre de pratique, proposer les deux versions d’un article,
rencontrerait un grand succès. L’idée étant d’attacher un peu plus le lecteur à une matrice
mondiale et non plus nationale. Si le lecteur peut lire l’article en V.O, il pourra être confronté
aux problèmes de traduction, et si son niveau de langue étrangère le lui permet, la lecture
du texte en V.O doit lui faire ressentir des tournures idiomatiques fortes et porteuses de plus
de sens que leur traduction « francisée ».
L’équipe de la traduction est contrainte, à un moment ou à un autre, de choisir des
teintes françaises, des tournures de langue française qui traduisent des structures de langue
étrangère similaires mais qui en V.O portent plus de sens, de sens étranger pour être précis.
C’est donc l’appartenance politique et culturelle même du lectorat qui est en jeu, et là
nous ne sommes plus dans une dimension nationale. L’appartenance du lecteur se situe à
l’échelle de la planète, éventuellement d’une zone plus particulière mais globalement, les
choix politiques du lecteur de Courrier seront bien plus influencés par ce qu’il se passe dans
le monde, par le simple fait que ce lecteur a une pratique culturelle mondiale et non plus
nationale.
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PASQUIER Martin_2007
Troisième partie : La distanciation identitaire
Il lit les journaux du monde entier dans Courrier International, et de ce fait le lecteur est
comme branché sur les matrices de tous ces pays à la fois. Ses intérêts ne sont pas bornés
par des frontières qui, malgré la « mondialisation », restent des lieux de tensions. La charge
même du terme de « communauté » varie : le lecteur du Courrier est proche du citoyen du
monde, de l’habitant du village global grâce à cette médiation, grâce à ces médiations qu’il
a avec des espaces symboliques venus des quatre coins du globe. Dans cette approche,
le statut du journaliste de Courrier est tout à fait spécial : il agrège les regards étrangers, il
est devenu une sorte de guide des regards mondiaux pour une période donnée.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
A gauche, Marie (chef de service maquette) travaille sur la page Etats-Unis de Jacques
Froment. A droite, le directeur de la publication et les deux rédacteurs en chefs réfléchissent
à la Une du numéro à paraître, des couleurs utilisées au ‘titre’ principal
Le spectateur devient acteur
Si l’on suit le raisonnement de Géraldine Muhlmann lorsqu’elle se réfère à Kant, nous avons
ici un dédoublement acteur-spectateur, le lectorat peut agir politiquement en commençant
par se regarder, par se faire spectateur de lui-même. Le journalisme permet de se confronter
aux idéologies, à les voir de haut (plus précisément de plus « loin »). Avec les articles
de Courrier International, l’aperçu qu’ils nous donnent des pratiques politiques et des
imaginaires auxquels elles sont reliées, on peut se construire un point de vue critique,
critique en premier lieu de l’imaginaire politique qui peut régner en France à un moment
donné.
C’est bien le but des pages France de l’hebdo, situés en tout début de journal, avec une
visibilité optimale. Ces articles peuvent être des critiques ouvertes de journaux étrangers sur
un aspect de la politique française, c’est le cas par exemple avec les différents dossiers que
Courrier International à sortir au moment du CPE ou de la crise des banlieues de novembre
2005. L’attaque est directe.
D’autres articles sont moins connectés à l’actualité « chaude », et permettent d’avoir un
point de vue engagé, le point de vue d’un journaliste étranger. La description de la rentrée
des classes des enfants du correspondant anglais du Guardian ou l’installation provisoire
des journalistes suisses de l’Hebdo dans un appartement en HLM au moment de la crise
des banlieues ne parlent pas de la même chose. Le politique n’est pas ici directement
mis en cause, il s’agit plutôt de tenter, pour ces journalistes étrangers, de décrire avec
leurs repères, leurs cultures, et même leurs langues (lorsque l’article est aussi disponible
en version originale lors de cahiers spéciaux), nos repères, nos pratiques culturelles ou
sociales. Ces articles ont, c’est en tout cas comme cela que je le ressens, un impact plus
fort, en tant que lecteur français, on se sent touché dans son identité.
Ces photos sont à consulter sur place au Centre de Documentation
Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
Hidénobu Suzuki, chef de service Asie et responsable de la page Japon (qui est
accompagnée chaque semaine d’une calligraphie d’un idéogramme japonais expliquée)
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Courrier International Réflexions sur le concept de distanciation identitaire
Conclusion
La démocratie moderne s’est construit en dégageant, à côté de la scène des actions,
un lieu d’observation du peuple par lui-même, un lieu où le peuple se fait « public ».
Cette exigence démocratique de se déployer dans un espace commun est approfondie par
l’aspect métamédiatique de Courrier International.
En piochant dans les journaux du monde entier et en tentant de donner la parole aux
voix les plus ténues (mais non les moins importantes), Courrier International parvient à étirer
les limites de l’espace public, à y injecter les espaces publics des autres pays et aussi les
recoins de ces espaces.
Ce faisant, le lectorat de Courrier International peut connaître une expérience de
rationalité élargie qui lui permet de saisir de manière plus complète et plus juste les
problèmes auxquels il est confronté.
Ce faisant, Courrier International ne devient-il pas du coup la voix des citoyens du
village global, qui n’avaient pas encore d’organe symbolique commun ? N’y a t-il pas un
rassemblement de lecteurs pour lesquels des normes communes nationales (ou locales)
de représentation politique ne suffisent plus ? En ce sens, Courrier crée de la conversation
là où il n’y en avait pas, l’espace médiatique français compose désormais avec ces voix
lointaines, étranges mais qui disent quelque chose de nous, et c’est ce qui peut expliquer
une partie de son succès.
Il y a une unité culturelle du lectorat (et de la rédaction). La communication est ici facteur
d’accroissement de la compréhension mutuelle, et de sa propre compréhension.
Courrier International me semble avoir réussi à moderniser la pratique du journalisme
en s’installant, d’une certaine façon, au-dessus de la mêlée. Nous espérons que ce mémoire
de fin d’études aura permis d’éclairer certains des processus en action.
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Bibliographie
Bibliographie
Écrits des journalistes « décentreurs »
Albert LONDRES, Au bagne, Editions du Serpent à plumes ;
Albert LONDRES, Chez les fous, Editions du Serpent à plumes ;
Jean HATZFELD, Dans le nu de la vie, Seuil
Jean HATZFELD, Une saison de machettes
Marc KRAVETZ, Irano Nox, Grasset
George ORWELL, Dans la dèche à Paris et à Londres, Payot
Cadre théorique
Géraldine MUHLMANN, Une histoire politique du journalisme, XIX-XXè siècles, Puf
Géraldine MUHLMANN, Du journalisme en démocratie, Payot
Emmanuel KANT,
e
Bernard LAMIZET, Cours « la médiation », 2 année
Jean-Noël JEANNENEY, Une histoire des médias, Seuil
Ferdinand de SAUSSURE, Cours de linguisitique générale, Payot
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