Investissements et Développement : Approche Systémique
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Investissements et Développement : Approche Systémique
Investissements et Développement : Approche Systémique Dr. Aoumeur AKKI ALOUANI Maître de conférences catégorie A Université de Sétif I evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI Résumé : Les programmes d’investissement publics ont formé en Algérie l’ossature de la politique du développement du pays depuis son accession à l’indépendance en 1962. Malgré de gros sacrifices dans l’industrialisation, souvent au dépend des autres secteurs, l’Algérie, à l’instar de beaucoup d’autres pays du tiers monde, n’arrive pas à sortir du cercle vicieux du sous-développement. L’échec de la politique de développement est, à notre avis, due à l'importation de modèles développés pour des pays historiquement différents et à des politiques sectorielles de développement dans un contexte national et international qui se caractérise par une extrême complexité. L’objet de cette communication est d’attirer l’attention des décideurs sur l’apport de l’approche systémique pour mettre en œuvre une vision et une stratégie de développement cohérente qui tient compte des relations d’interdépendance et des interactions existants entre les différents sous-ensembles de l’entité nationale et avec son environnement. Les politiques de développement poursuivies sont rappelées rapidement dans une première partie soulignant la cause de leur échec. Dans la deuxième partie, l’approche systémique comme technique de modélisation est expliquée. Enfin, il est fait appel à l’expérience algérienne pour montrer, à travers les écrits, les limites de l’approche cartésienne et réductionniste pour gérer des entités de plus en plus complexes. : امللخص شكلت برامج االستثامر العمومي يف اجلزائر العمود الفقري لسياسة التنمية الوطنية منذ استقالهلا يف عام ، اجلزائر، وغالبا عىل حساب القطاعات األخرى، عىل الرغم من تضحيات كبرية يف التصنيع. 2691 . مل تتمكن من اخلروج من احللقة املفرغة للتخلف،شأهنا وشأن الكثري من دول العامل الثالث إىل استرياد نامذج تم تطويرها لبلدان ختتلف تارخييا عن اجلزائر واىل، يف رأينا،فشل سياسة التنمية يعود .سياسات نمو قطاعية يف بيئة وطنية ودولية تتسم بمستوى كبري من التعقيد اهلدف من هذه املداخلة هو لفت انتباه صانعي القرار بشأن مسامهة منهج النظم لوضع رؤية وإسرتاتيجية إنامئية متامسكة تأخذ يف االعتبار العالقات املتبادلة والتفاعالت بني املجموعات الفرعية املختلفة للكيان .الوطني وحميطها اخلارجي يتم االشارة برسعة يف اجلزء األول من هذه املداخلة اىل سياسات التنمية املتبعة منذ االستقالل مع تسليط يتم، وأخريا. يف اجلزء الثاين يتم التطرق إىل منهج نظم كأسلوب للنمذجة.الضوء عىل أسباب فشلها إلظهار أسباب فشل النهج الديكاريت واالختزايل، من خالل ما كتب عنها،الرجوع إىل التجر بة اجلزائرية .إلدارة الكيانات التي تزداد تعقيدا 2 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI I – Introduction : «Si nous ne changeons pas notre façon de penser, nous ne serons pas capables de résoudre les problèmes que nous créons avec nos modes actuels de pensée.»1 C’est avec cette phrase d’Albert Einstein que je propose de commencer cette communication. En effet, l’efficacité de toute action ne dépend pas uniquement des moyens matériels et humains nécessaires pour sa mise en œuvre, mais aussi et surtout de l’approche dans sa préparation, son exécution et son évaluation. Cette communication propose une perspective différente de celle longtemps retenue par les recherches sur les investissements publics. Plutôt que d’étudier les obstacles selon une approche partielle et sectorielle, je propose l’analyse de l’approche suivie dans la planification, exécution et évaluation des politiques de développement, et sa responsabilité dans le niveau plutôt décevant de la performance de l’intervention publique et de l’économie en général. L’investissement public est un domaine très complexe. Il implique la considération de différentes disciplines (économie, sociologie, politiques, culture, histoire…) et plusieurs niveaux d’analyse (nation, région, secteur…) sans perdre de vue leurs interrelations et la présence de variables externes dépendant de l’environnement, de plus en plus vaste, dans lequel il se produit. Son succès dépend de l’efficacité de l’instrument utilisé pour l’approcher. C’est justement l’approche systémique qui permet de capter et de prendre en compte l’ensemble des variables de succès d’une telle démarche. La systémique considère tout objet comme faisant partie d’un tout. Sa compréhension est reliée à la compréhension de l’ensemble dans son environnement. Un grand nombre de recherches sur les investissements publics ont concentré leur attention sur les obstacles selon une approche partielle, chacun selon ses objectifs et son domaine de formation. Or, agir uniquement sur une variable, que ce soit dans la phase de planification, de l’exécution ou de l’évaluation, ne fait qu’exaspérer les déséquilibres, et cacher les vrais enjeux. En effet, « la crise à travers laquelle s'exprime le sous-développement n'est pas exclusivement économique, elle est globale, c'est-à-dire que c'est une crise qui affecte les fondements de la société ; la crise y est idéologique, culturelle, économique et, par conséquent, politique.» (Addi) Seule une approche qui tienne compte de l’ensemble des facteurs d’influence et de leurs interactions et interdépendances est à même de produire les résultats recherchés. De plus, les entités sont de plus en plus complexes, ces différentes dimensions sont en interactions continues et denses. Tout investissement 3 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI dans l’une d’elle, sans qu’il soit tenu compte de ses effets sur le reste, non seulement il est contre performant, mais, il approfondi les déséquilibres, donc le sous-développement, de l’entité dans son ensemble. Seule une approche cohérente, qui prend en compte l’ensemble des variables d’influence, est à même d'améliorer la formulation des politiques, leur suivi et leur évaluation. Dans une première partie est exposée l’économie du développement et les outils proposés pour sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Dans une seconde partie, l’approche systémique est proposée comme solution aux problèmes du sous développement que l’approche analytique et cartésienne n’arrive pas à elle seule à régler, en soulignant la place des systèmes d’information, dans la société de la connaissance pour le succès de l’approche systémique. Enfin, il est fait appel à l’expérience algérienne pour montrer les limites de l’approche cartésienne et réductionniste pour gérer des entités de plus en plus complexes. II – théories du développement : cause d’un échec : L’objectif de cette partie n’est pas de comparer ni de disserter sur les différentes théories économiques, mais de rappeler les principales théories qui ont influencé les politiques de développement depuis la grande crise de 1929 ; pour montrer par la suite qu’elles partaient toutes d’une vision partielle et en réaction à des phénomènes qui ont marqué cette période, comme l’incapacité des marchés à réguler les économies ou l’idée que le rôle principal des gouvernements est celui de réguler les cycles économiques … En faisant, par la suite, appel à la théorie systémique et au rôle des systèmes d’information, mon objectif est de démontrer que ces théories, influencées par la théorie cartésienne et réductionniste, sont en partie responsables de la persistance du sous développement de beaucoup de pays, dont l’Algérie. 1 – Développement et développement économique : recherche d’une définition Pour François Perroux (1961), le développement est «la combinaison des changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître cumulativement et durablement son produit réel et global ».2 Pour le dictionnaire français Larousse, c’est une amélioration qualitative et durable d'une économie et de son fonctionnement. Alors que la croissance est un phénomène quantitatif d’accumulation de richesses, qui ne doit pas être confondue avec le développement, phénomène qualitatif à la recherche d’un "mieux-être". « Il doit dans tous les cas, reposer sur des méthodes (dimension méthodologique) permettant aux individus et collectivités de définir eux-mêmes leurs priorités, et d’agir 4 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI en fonction de celles-ci tout en pesant/en s’adaptant aux changements de l’environnement».3 Pour le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), le développement c’est le fait d’«élargir l’éventail des possibilités offertes aux hommes ».4 Une croissance économique durable est le résultat d’un développement économique. Ce dernier est associé au progrès ; mais, il n'est qu'une des composantes du développement. La croissance peut contribuer au développement, mais tel n’est pas toujours le cas et on parle de croissance sans développement quand la production de richesse ne s’accompagne pas de l’amélioration des conditions de vie. Avec les nouveaux paradigmes liés au développement durable, même le concept traditionnel du développement est remis en cause pour faire ressortir une multi dimensionnalité plus large du développement. Une vision globale et systémique du développement est défendue par l’abondante littérature produite dans le contexte du développement durable. L’économie du développement a ses origines aux alentours de la deuxième guerre mondiale. Son objectif est de définir les moyens qui permettront aux économies des pays pauvres de produire de la richesse pour assurer leur développement. Or, le non développement n’est pas lié uniquement à l’absence de ressources matérielles. Pour l’économiste R. Barre (p.114), « dans les pays sous-développés, les problèmes de développement ne sont pas seulement économiques ; ils sont encore et surtout humains». Ces pays sont sous-développés économiquement et socialement. Se sont à la fois des économies et des sociétés sousdéveloppées (Barre, p.114). Elles «… n’imprime pas à l’ensemble du pays les impulsions créatrices de développement» (Barre, p.112). La complexité du monde moderne n’a pas permis aux politiques sectorielles de réussir le développement des pays du tiers monde. Les idées introduites dans la première moitié du XXème siècle par les initiateurs de l’économie du développement n’ont pas donné, pour ces pays, les résultats attendus. Leur mise en œuvre n’a pas permis aux pays sous-développés de sortir du piège de la pauvreté (Poverty Trap). « Le piège de la pauvreté est une condition auto-entretenue où l'économie, prise dans un cercle vicieux, souffre d’un sous-développement persistant (Kiminori Matsuyama)5 ». Les fondateurs de l’économie du développement, comme Rosenstein-Rodan (1943) et Hirschman (1958), considéraient le ‘développement’ comme l’équivalent de la croissance de la production par l’industrialisation (Bass), négligeant ainsi les autres facteurs du développement. Parlant de l’Europe de l’Est et du Sud-est, 5 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI Rosenstein-Rodan a appelé à la nécessité d’obtenir un financement extérieur à grande échelle pour financer l’industrialisation de ces pays que le secteur privé est incapable d’assurer. Ses idées son proposées pour le développement des pays du tiers monde, connues comme le ‘big push’ (Easterly). Parmi les actions préconisées à ses débuts pour sortir du ‘poverty gap’ est une politique du ‘big push’. Pour certains, seules de gros investissements publiques ; et pour d’autres privés, sont capable d’obtenir ce ‘big push’. L’échec des thérapies proposées sont dues à un manque de vision systémique du développement, qui caractérisait l’après guerre. Pour certains, le développement peut être obtenu par une focalisation sur une dimension ou un secteur fort, qui entrainera le reste. Pour d’autres, la solution au sous développement est une question de dichotomie entre secteur privé et secteur public. Les défenseurs du capitalisme pensent que le secteur privé est le seul capable d’apporter la croissance nécessaire au développement. Pour le reste, l’intervention publique est nécessaire pour favoriser la croissance du secteur privé, par les externalités qu’il produit et assurer l’environnement social, institutionnel et politique favorable pour le passage de la croissance économique au progrès et à un cadre de vie meilleur. 2 – Echec des politiques sectorielles du développement : La première cause d’échec des théories du développement du XXème siècle est de croire que le développement industriel peut assurer à lui seul le développement ou servir de moteur à d’autres secteurs (notion de secteurs d’entraînements), comme le pense les tenants du concept de l’industrie industrialisante, introduit par Destanne de Bernis et testé en Algérie au lendemain de l’indépendance. Le rôle moteur de l’industrie lourde pour le développement d'une économie défendu par De Bernis est inspiré du concept ‘des pôles de croissance’ de François Perroux. Ces théories du développement, non seulement elles préconisent le développement d’un secteur qui servira de moteur aux autres secteurs, mais évacue les autres dimensions (politique, sociologique, historique…). Pour Addi, «la vision néo-classique de l'économie politique, dont procède la démarche de R. Nurkse, évacue la dimension sociologique pour ne retenir que la dimension quantitative». Les gains obtenus au niveau d’un secteur de l’économie sont peu susceptibles de connaître des effets durables et sont même à l’origine d’une dégradation systémique d’une entité dans sa totalité. Le succès des interventions dans un secteur donné dépend davantage de la qualité de l'environnement que forme les autres secteurs et dimensions (social, politique, culturel et 6 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI institutionnel) que le montant total dépensé en investissements. Pour obtenir des effets durables d’une action, il est nécessaire de tenir compte de son environnement (immédiat et large) dans la formulation, suivi et évaluation de la stratégie. C’est une question de gouvernance qui est indissociable de celle du développement durable. «Différentes stratégies de développement se fondant initialement sur les théories des étapes de la croissance de Rostow se sont succédé, reflétant leur incapacité à induire le développement recherché. Dans les boîtes à outils des organisations dédiées au développement, il a été successivement industriel, rural, endogène, autocentré, pour devenir, dans quelques boîtes plus marginales écodéveloppement dans les années 70. Chaque qualificatif venait faire ressortir une nouvelle caractéristique, identifiée pour pallier les limites de l'approche précédente. (p.115, GENDRON et REVERET) ». Les politiques de développement qui se sont succédé sont des paradigmes construits à la suite de recherches empiriques sur des situations réelles dans un espace temporel et géographique donné. Les paradigmes ne sont pas des théories, ils évoluent avec l’évolution de l’environnement (contexte) dans la recherche de solutions à de crises spécifiques. Leur adoption, sans adaptation, à un contexte différent, comme c’est le cas des politiques de développements imposées aux pays sous-développés, risque d’approfondir encore plus la pauvreté et les déséquilibres. 3 – dichotomie secteur privé/secteur public et développement : La deuxième cause d’échec des politiques économiques sont celles qui préconisent le tout Etat ou le tout privé (laisser faire, laisser aller). C’est une question d’équilibre entre les deux. Autant de marché que possible, autant d’Etat que nécessaire. Pour Abdelmadjid Bouzidi6, « …ce sont les pays qui réussiront ce dosage dans leurs économies qui maximiseront leurs chances d’accéder au statut de pays émergents. L’exercice n’est assurément pas simple». Bien sûr, pour réussir cet équilibre, il faut le précéder d’une vision et d’une stratégie qui tient compte de l’entité dans son ensemble et de son environnement géographique, politique, économique ; passé, présent et futur. Pour Waterston (1965, p.28 cité par Mitchell, p. 50) “aujourd’hui (parlant des années soixante), le plan national a rejoint l’hymne et le drapeau national comme symbole de souveraineté et de modernité». En effet, pour James Warner et Kenneth Jameson, (2004, p.71 cités par Mitchell, p. 51), l’appel de la plupart des analystes du développement à l’intervention de l’Etat pour résoudre les problèmes du développement 7 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI est dû principalement au succès de l’Union Soviétique et au modèle macroéconomique de Keynes. Mitchell reconnait que la faillite du marché est la cause de ce succès, faisant allusion à la grande crise de 1929. C’est dans les années soixante que la plupart des pays du sud, dont l’Algérie, ont accédé à leur indépendance. C’est principalement pour cette raison que les décideurs de ces pays aurait été, dans leur majorité, favorable à la planification comme système économique (Easterly, p.5). Hayek a été le principal critique de la planification centrale comme système économique, pour la simple raison que les planificateurs ne détiennent pas suffisamment d’informations sur les réalités de la base, et que le succès de toute action dépend de faits particuliers, et non pas d’une gestion centralisée top-down. Pour beaucoup d’économistes qui ont animé les débats sur les mérites du secteur public ou privé pour sortir les pays sous développés du cercle vicieux de la pauvreté, on trouve ceux qui défendent le secteur public, qualifiant le secteur privé de tous les mots ; et ceux qui croient fermement le contraire. Mais, la plupart des analystes, et particulièrement les deux dernières décennies, ont appelé pour un équilibre entre le secteur public et le secteur public. Les économistes des années soixante préconisaient une intervention très large de l’Etat, et dans tous les secteurs, pour sortir du sous développement. Alors que les défenseurs actuels du modèle du ‘big push’ sont plutôt favorables à l’économie du marché, tout en reconnaissant le mérite d’une action publique très large pour sortir de la trappe de la pauvreté (Easterly, p.5). Pour Bouzidi, « l’histoire économique des pays, aujourd’hui développés, confirme la nécessité d’une longue période d’interventionnisme étatique» (Abdelmadjid Bouzidi). Pour Bivens (2012), le résultat de plusieurs recherches empiriques ont démontré que l’investissement public est un important inducteur à long terme de la productivité, et donc la croissance du niveau de vie moyen. Même de grands adeptes de l’économie du marché, ont appelé pour cet équilibre. Dans son livre ‘The Affluent Society’ (1958), John Kenneth Galbraith, a avancé sa théorie de la ‘balance sociale’. Pour Galbraith, il devrait y avoir un équilibre entre les dépenses publiques et privées, qu’il a qualifié de ‘balance sociale’. Selon cette théorie, une relation acceptable devrait exister entre dépenses privées et publiques. En observant l’Amérique d’après guerre, il a constaté une abondance de biens de consommation pour satisfaire la consommation de masse fait essentiellement de besoins triviaux, mais absence d’infrastructures publiques et sociales. Il a exprimé dans le paragraphe suivant de son livre 8 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI l’état de l’économie américaine d’après guerre, qui a motivé la publication de son livre ‘The Affluent Society’ : « Dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les journaux de n'importe quelle grande ville. . . écrivent tous les jours sur les pénuries et les lacunes dans les services élémentaires municipaux et métropolitains. Les écoles étaient vieilles et surpeuplées. La police était en sous-effectif et sous-payée. Les parcs et terrains de jeux étaient insuffisants. Les rues et les terrains vagues étaient sales et le personnel de l'assainissement était souséquipé et en sous effectifs. . . . Le transport urbain était surpeuplé, insalubre et sale. . . . En face de cette misère publique sont rapportés des histoires sur la luxuriance de la production du secteur privé» ( J. K. Galbraith (1958), p. 253 rapporté par Cullison) . Pour sortir du sous développement, malgré l’abondance des biens de consommation et la richesse privée, Galbraith a recommandé à son pays de «transférer des ressources du secteur privé vers la sphère du gouvernement en vue d'accroître la mobilité et améliorer les écoles, les infrastructures, les ressources récréatives et les services sociaux comme un moyen de fournir une meilleure qualité de vie au lieu de créer une abondance de biens de consommation pour satisfaire la consommation de masse». Cet ajustement demandé par Galbraith concerne un pays développé, des actions spécifiques suffisent pour corriger les déséquilibres. Par contre, le cas des pays sous développés est plus délicat. Tout est à construire et en profondeur, tout en tenant compte de l’impact de chaque action dans un domaine déterminé sur le reste. Seule une vision claire et une stratégie bien formulée, selon une approche systémique, est susceptible d’engager le pays fermement dans la voie du développement. L’idée d’un équilibre entre l’intervention publique et l’intervention privée est défendue, avant Galbraith, par l’économiste Ragnar Nurkse(1907–1959), pionnier, avec Paul Rosenstein-Rodan, de la ‘théorie de la croissance équilibrée’. Pour cette théorie, les pays sousdéveloppés ont besoins d’investissements publics importants dans un certains nombre de secteurs, effectués simultanément pour agrandir la taille des marchés, augmenter la productivité et inciter le secteur privé à investir7. Nurse a cité l’investissement public dans le secteur industriel et le secteur agricole pour obtenir une croissance équilibrée, pensant que ces deux secteurs vont créer un marché pour les produits et les matières premières nécessaires au développement et à la croissance des autres 9 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI secteurs8. Hirschman, en rejetant la ‘théorie de la croissance équilibrée’, pense que les pays sont sous développés par absence de ressources. Même si certains possèdent d’énormes ressources naturelles, ils manquent de toutes les autres ressources, particulièrement humaines et technologiques… L’hypothèse du ‘big push’, ou investissements publics à grande échelle, dans ces pays n’est pas réaliste. « Si un pays était prêt à appliquer la doctrine de la croissance équilibrée, il ne serait pas sousdéveloppé en premier lieu »9. 4 – Economie du développement : le troisième millénaire : En testant les différentes théories du développement, et en constatant l’échec de beaucoup d’entre elles, les théories du développement de ce troisième millénaire sont de plus en plus réalistes. Au lieu de proposer des solutions importées, clé en mains, les pays sous développés cherchent, de plus en plus, à tenir compte de la réalité du terrain, et de la qualité de leur environnement. Chaque pays cherche des voies adaptées à la réalité du moment, en tenant compte de son expérience passée et celle des autres pays. L’idée du ‘big push’ est toujours d’actualité pour sortir du sous développement, mais, l’intervention public est nécessaire pour soutenir la croissance du secteur privé. Dans son livre ‘The End of Poverty’10 (2006), Jeffrey Sachs «estime que le secteur public devrait se concentrer principalement sur les investissements dans le capital humain (santé, éducation, nutrition), les infrastructures (routes, électricité, eau et assainissement, protection de l'environnement), le capital naturel (conservation de la biodiversité et des écosystèmes), le capital public institutionnel (une bonne gestion de l'administration publique, du système judiciaire et de la police), et le capital connaissance (recherche scientifique pour la santé, l'énergie, l'agriculture, le climat, l'écologie)»11. Selon Sachs, l’investissement dans le capital productif doit être laissé au secteur privé, les biens privés sont plus efficacement produits et distribués par les entreprises privées. Devant l’échec des politiques économiques du XXème siècle, de nouveaux concepts et paradigmes sont apparus pour orienter l’effort du développement de ce troisième millénaire. Il y a surtout celui de la gouvernance, du développement global et développement durable et de l’approche systémique. En effet, l’approche cartésienne et réductionniste, qui cherche à gérer des situations de cause à effet linéaires a montré ses limites dans un environnement de plus en plus complexe où les relations de causalité sont plutôt circulaires. Le rapport Brundtland ainsi qu’une abondante littérature vont dans le sens de la nécessité de développer un 10 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI nouveau paradigme qui fait ressortir la multi dimensionnalité des anomalies qui caractérise les entités actuelles (GENDRON et REVERET, p.116). Les politiques du développement ne peuvent pas être obtenues par le seul progrès économique. Ce dernier, ne doit pas être recherché au dépend du progrès social et de la préservation de l’environnement et de l’écosystème. L’Etat en tant que système évolue dans un environnement complexe et instable. Cet environnement est de plusieurs types (économique, politique, social, culturel, historique, géographique….). Il est interne et externe. Proche (régional) et lointain (international). La bonne gouvernance, concept de plus en plus utilisé, avec celui de systémique et de développement durable, pour orienter la formulation des politiques, est celle qui met en œuvre des mécanismes qui tiennent compte de l’ensemble des variables d’influence se trouvant dans chacun de ces environnements. Les mécanismes d’une bonne gouvernance tiennent compte de l’environnement de plus en plus large allant jusqu’à une approche systémique. Ce glissement d’une vision locale vers une vision mondiale de la gestion est imposé par la complexité de l’environnement actuel et par la densité des interactions et des interdépendances. Ardjoune (2009) a exprimé la complexité des entités actuelles, et la nécessité d’avoir une vision systémique pour réussir toute politique de développement, en écrivant que « les gouvernements sont désormais dans l’impossibilité ou du moins, dans une réelle difficulté, de remplir leur mission, du fait de la complexification des sociétés modernes, de l’apparition de sous systèmes fragmentés, de l’incertitude liée à l’avenir, de la crise de la représentation politique et de la légitimité des instances politiques. Ils seraient, pour certains auteurs, dans l’obligation de s’intégrer davantage dans un ensemble plus vaste pour pouvoir répondre aux nouvelles préoccupation » (Ardjoune, 2009). Tout projet de développement doit se faire dans le cadre d’un projet global, en adéquation avec une vision et une stratégie, clairement définis, largement communiqués à tous les niveaux pour obtenir un alignement stratégique de l’ensemble des parties prenantes. Le choix des investissements ne doit pas être de simples projets soutenus par des affectations budgétaires, imposés top-down, sans qu’il soit tenu compte des interactions et des synergies entre les différents projets et les différents niveaux dans leur mise en œuvre. Malheureusement, pour le cas de l’Algérie, tous les efforts d’investissements publics donnent l’impression de précipitation en réponse davantage à des préoccupations politiques, formulés en dehors 11 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI de toute stratégie, clairement formulée et largement expliquée. Les dimensions économiques et sociales sont souvent absentes. Pour transformer le ‘cercle vicieux de la pauvreté’ en ‘cycle vertueux de développement’, il est nécessaire de définir une stratégie de développement qui permet d’obtenir la convergence de facteurs économiques, politiques, et humains qui se renforcent mutuellement. Le mode de prise de décisions, de gestion et d’évaluation des investissements publics ainsi que ceux des ressources productives qu’elles soient matérielles ou humaines est une étape importante pour remplacer ‘la trappe de la pauvreté’ par le ‘cercle vertueux’ du progrès et du mieux être. Le développement n’est pas uniquement une question de ressources (financières, humaines ou technologiques), mais du mode de prise de décision et de gestion qui permet de mettre en valeur ‘les forces motrices’ (J. Akerman) qui stimulent le développement. De tenir compte des ‘propensions à la croissance’ de la société (Rostow) et de s’appuyer sur certains ‘dynamismes humains fondamentaux’ (François Perroux) (Barre, 1969, p.115). III – Approche systémique et politiques de développement : Les entités actuelles, et particulièrement les systèmes sociaux, sont de plus en plus complexes. Elles se caractérisent par des comportements dynamiques rendant leur compréhension et la prise de décision, guidées par le jugement humain, difficiles ; avec, souvent, des effets secondaires inattendus, voire pervers. C’est le cas des politiques de développement qui ne tiennent pas compte de tous les déterminants de leur dynamisme. Ces derniers sont nombreux. Ils sont dans toutes les composantes, et dans l’environnement, des entités et à tous les niveaux. Le raisonnement cartésien, ou atomistique, qui consiste à découper les difficultés afin de les étudier séparément, ne suffit plus à gérer ces entités. La construction de l'approche systémique provient de la nature multifactorielle de toute problématique. Elle est indispensable pour appréhender la complexité organisationnelle. Elle étudie le système dans sa globalité, comme un tout, baignant dans son environnement. Elle s’intéresse aux interactions et aux interdépendances utilisant plusieurs disciplines. C’est une vision dynamique d’un environnement en mouvement. Elle est à la fois dynamique et globale. Elle est globale et prend en compte la totalité des composantes d’une même situation. Elle met l’accent sur l’interdépendance des éléments du système. « L’approche systémique, du point de vue épistémologique, vise non pas à rejeter en bloc l’approche scientifique traditionnelle mais plutôt à la révolutionner et à l’ouvrir sur 12 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI un plus grand réalisme, sur la finalité et sur la dynamique complexe des systèmes. » (Desthieux, p.32) La méthode cartésienne, vision statique, est à l’origine des grands progrès des deux derniers siècles. Elle part du principe d’une relation de cause à effet linéaire, et se caractérise par la tentative de réduction de la complexité à ses composants élémentaires pour comprendre les objets complexes. Pour Ackoff (1972), "aujourd'hui ... les objets à expliquer sont considérés comme parties de plus grands touts, plutôt que comme des touts qu'il faut décomposer en parties". La méthode cartésienne est adaptée à l’étude, par l’utilisation des lois mathématiques, des systèmes stables et simples avec des interactions linéaires entre ses différents éléments. Leurs interactions avec l’environnement ne sont pas prises en compte. Les entités, c'est-à-dire la réalité est indépendante de l'observateur et du milieu naturel. Elle s’est avérée incapable, à elle seule, à gérer les entités modernes. C’est pour cette raison que les études effectuées au début du siècle dernier aux Etats Unis d’ Amérique sur la complexité ont donné naissance à la théorie des systèmes. «La naissance de la pensée systémique est intrinsèquement liée à l'émergence, au cours du XXème siècle, d'une réflexion approfondie autour de la notion de complexité» (Certu 2007). A ne pas confondre ‘complexe’ et ‘complexité’. Un objet est complexe par le nombre important de relations entre les éléments qui le constituent, alors qu'un objet est compliqué par le nombre élevé d'éléments qui le compose. L'analyse cartésienne s'applique bien aux objets compliqués, mais reste insuffisante pour les objets complexes. La complexité, c’est l’«incapacité que l’on a de décrire tout le système et de discerner son comportement à partir de la connaissance des comportements de ses parties» (Mélèze, 1972). Selon De Rosnay (1974, p.104), « elle est attribuable aux facteurs suivants: (i) grande variété des éléments d’un système, (ii) organisation de ces éléments en niveaux hiérarchiques et (iii) interactions non-linéaires et nombre de liaisons possibles. La complexité renvoie donc au degré d’organisation générale du système, aussi bien structurelle et fonctionnelle» (Desthieux). 1 – Qu’est-ce qu’un système ? La notion de système peut être définie de plusieurs manières en faisant ressortir une ou plusieurs de ses caractéristiques. Prenons quelques définitions de ceux qui ont contribué à l’évolution de cette théorie. Pour Von Bertalanffy, fondateur de la ‘théorie générale des systèmes’, c’est un «ensemble d’unités en interrelations mutuelles», ou pour le même auteur (1972), c’est un «complexe d’éléments en interaction, donc en 13 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI mouvement, ce qui suppose forces et énergie». Pour De Rosnay (1975), c’est un «ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but». Pour E. Morin (1977-79), un système constitue une «unité globale, organisée d’interrelations entre éléments, actions, individus». Enfin, pour le Moigne, un système est "un objet qui, dans un environnement, doté de finalités, exerce une activité et voit sa structure interne évoluer au fil du temps, sans qu'il perde pourtant son identité unique". La définition de Le Gallou (1993), reprend les principales caractéristiques d’un système. Il défini le système comme étant «un ensemble, formant une unité cohérente et autonome, d'objets réels ou conceptuels (éléments matériels, individus, actions, etc.) organisés en fonction d'un but (ou d'un ensemble de buts, objectifs, finalités, projets, etc.) au moyen d'un jeu de relations (interrelations mutuelles, interactions dynamiques, etc.), le tout immergé dans un environnement». Selon Lapointe (1998), l’interaction fait ressortir des liens de dépendances entre les éléments. Le Moigne (1990) met en évidence l’interaction comme support essentiel de la complexité. Selon lui, le système complexe est vu comme « un enchevêtrement intelligible et finalisé d’actions interdépendantes » (Desthieux). Ces définitions mettent en relief certaines des caractéristiques des systèmes ouverts. Pour Durand (1979) les quatre concepts fondamentaux d’un système sont : interaction, globalité, organisation, complexité. D’autres on cité d’autres propriétés comme l'émergence, l'interaction, l'interdépendance, la finalité, l'identité, l'évolution, la structure, l’activité, la téléologie ou «l’étude des finalités d’un objet» (Le Moigne, 1977, p. 32) Ouverture à l’environnement,… auto-organisation. Pour cette dernière, et selon Schwarz [1994], les perturbations extérieurs que connaissent les systèmes ouverts peuvent les faire évoluer de trois manières : « (i) la perturbation est infime et le système retourne vers son état initial ; (ii) la perturbation est trop importante et le système évolue vers la régression ou la destruction ; (iii) le système évolue vers un nouveau stade d’organisation et une nouvelle stabilité. Puis le cycle recommence » (Desthieux, p.38). « Le système constitue donc un tout cohérent et indivisible c’est-à-dire qu’une modification de l’un de ses éléments produit la modification des autres éléments et du système tout entier» (Massa, p.12). Tout changement dans un des sous-systèmes (économie, culture, politique, social…) implique des conséquences pour les autres. Pour Ackoff, un 14 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI système se compose de deux ou plusieurs éléments possédant les propriétés suivantes (Ackoff, 1981, pp. 15-16.): 1. Chaque élément affecte le fonctionnement des autres éléments ; 2. Chaque élément est affecté par au moins un autre élément ; 3. Tout sous groupe du même système possède les deux premières propriétés. les systèmes n'existent pas dans la réalité. C'est un "construit" théorique, une hypothèse, une façon parmi d'autres de concevoir les ensembles. C’est une construction intellectuelle d’une réalité selon l’interprétation de l’observateur. «La systémique conçue à la fois comme un courant de pensée, un paradigme scientifique et comme une méthode, une démarche intellectuelle» (Certu, 2007). L’homme est incapable d’avoir une vision globale et détaillée du monde qui l’entoure. C’est en modélisant la réalité que la notion de système s’efforce de relier les ensembles, en considérant les interactions et les interdépendances au lieu de chercher à comprendre les détails. C’est une vision axée sur les aspects dynamiques et interactifs des ensembles qui composent la réalité. Pour B. Walliser (1977) le concept de système est inséparable du concept de modèle. Cette représentation par la modélisation concerne autant la phase initiale de planification, que celle de l’exécution et de l’évaluation. Elle touche autant la formulation de la stratégie que la façon dont les actions envisagées vont la transformer en résultats. « Modéliser est d'abord un processus technique qui permet de représenter, dans un but de connaissance et d’action, un objet ou une situation voire un événement réputés complexes » (Lemire, 2005). La systémique qui nous concerne ici est celle dite de troisième génération de la pensée systémique, apparue les années 1970, elle concerne les systèmes sociaux ouverts sur leur environnement. Se sont des systèmes qui vivent par et pour leur environnement, comme l’entreprise, l’administration… La première génération orientée ‘objets’ existe depuis le siècle des lumières ; alors que la deuxième génération de la pensée systémique axée sur le vivant est apparue au XXème siècle, elle s’intéresse à la biologie. La troisième génération est de portée stratégique. Elle est conçue pour facilité le pilotage d’organisations issues d’un environnement complexes. C’est une méthode d’analyse et d’action sur des entités ouvertes sur leur environnement liées par de fortes interdépendances. Les interactions existantes ne sont pas linéaires, mais plutôt circulaires, sous forme de 15 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI réseaux. Elle a pour ambition de rendre compréhensible une réalité complexe. Le développement de l’approche systémique est liée à la notion de système (Certu, 2007) ; elle-même liée à la prise de conscience par la communauté scientifique de la complexité du monde moderne. « A l'infiniment petit et à l'infiniment grand de Pascal, il faudrait ajouter un infiniment complexe comme axe d'évolution du cosmos» (Certu, 2007). Le cadre le plus adéquat pour étudier et piloter les organisations actuelles, qu’elles soient économiques, politiques ou sociales ; qu’elles soient locales, régionales, nationales ou internationales, est l’approche systémique. Pour l’encyclopédie universalis, « la théorie des systèmes s'efforce d'établir le cadre le plus général à l'intérieur duquel on peut étudier le comportement d'une entité complexe analysable, c'est-à-dire son évolution au cours du temps. »12 2 - Approche systémique : Pour Lapointe (1998), « l’approche systémique est l’application du concept de système à la définition et à la résolution de problèmes, ainsi qu’à la mise en œuvre de décisions et d’actions» (Desthieux). Elle représente pour T. Kühn, (1977) une révolution scientifique. Pour de Rosnay (1991), la systémique est un paradigme différent mais complémentaire du paradigme analytique (Massa, p.11). L'approche systémique est fondée sur le postulat de l'interdépendance. Avec ses outils de modélisation, elle facilite la compréhension des mécanismes sous-jacents des systèmes complexes, en particuliers à travers les flux informationnels exprimant les interdépendances qui existent à l’intérieur et entre les systèmes. D’où l’importance des systèmes d’information. L’approche systémique lie l’objet à son milieu ambiant. "Un phénomène demeure incompréhensible tant que le champ d'observation n'est pas suffisamment large pour qu'y soit inclus le contexte dans lequel ledit phénomène se produit" (Watzlawick et al., 1972). Elle est donc une nouvelle façon de voir la réalité du monde. Elle fait éclater la vision statique des organisations et des structures. En intégrant le temps, elle fait apparaître le relationnel et le devenir L’approche systémique tient compte de propriétés émergentes caractérisant les systèmes. Elle considère que «le système possède un degré de complexité plus grand que ses parties, autrement dit qu'il possède des propriétés irréductibles à celles de ses composants» (l’encyclopédie universalis). Un système est une totalité dont les 16 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI éléments, en interaction dynamique, constituent des ensembles ne pouvant être réduits à la somme de leurs parties. Enfin, la systémique est un « instrument efficace pour essayer de comprendre comment fonctionne la cellule vivante, le corps humain, l'entreprise, l'économie, la société, l'approche systémique est de ce fait particulièrement apte à éclairer et orienter l'action des décideurs, quels qu'ils soient : responsables politiques, dirigeants d'entreprises, syndicalistes, experts, responsables associatifs, etc…» (Lemire, 2005). 3 – Approche systémique et développement : L’approche systémique est un mode de gestion qui met l'accent sur l'interdépendance et la nature interactive des éléments à l'intérieur et à l'extérieur de l'organisation. Le développement, quant à lui, est le résultat d’actions multidimensionnelles et multisectorielles effectuées sur les comportements, l’environnement et les facteurs sociaux pour améliorer la qualité de la vie. L’approche systémique, selon la théorie des systèmes dite de troisième génération est la méthode la plus adéquate pour sortir du cercle vicieux du sous-développement. En effet, la théorie des systèmes est la réponse intellectuelle et pratique aux problèmes des sociétés modernes. L’activité économique «ne regroupe pas un ensemble d'agents inertes, mais relie un réseau hiérarchisé de sujets interdépendants, entretenant des relations inégales, donc de pouvoir, de domination et d'influence» (Addi). L’activité économique est au centre de l’effort de développement, elle ne doit pas rechercher le quantitatif au dépend du qualitatif ; car la qualité de la vie n'est pas une question de combien on a, mais de combien on peut faire avec ce que l'on a. (Ackoff, p.439). La croissance n'est ni nécessaire ni suffisante pour le développement (Ackoff, p.438). L’approche systémique a comme outil principal d’analyse la modélisation des systèmes complexe (Repetti, 2004). La modélisation est un acte qui peut avoir différentes finalités (Allain, 2001). Elle permet de : mieux formuler, identifier et comprendre un problème complexe, étudier le fonctionnement dynamique d’un système pour le faire évoluer, simuler une stratégie d’action. La modélisation rend donc intelligible une réalité, un phénomène perçu complexe (Le Moigne, 1990, cité par Desthieux) L’interaction entre les éléments d’un même système ou entre plusieurs systèmes et sous-systèmes est de l’énergie mise en forme par l’information. «L’action réciproque des systèmes implique donc 17 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI l’émission, l’envoi et la réception de l’information» (Massa). D’où l’importance de la production et la diffusion de l’information pour réussir une politique de développement. Pour Rosenstein-Rodan (1943) et Hirschman (1958) et d’autre qui les ont suivi, l’économie du développement peut être un grand echec de coordination. (Debraj Ray) 4 - L’information et l’approche systémique : ”…any system is held together by the possession of means for the acquisition, use, retention and transmission of information.” WIENER Norbert, Cybernetics, N.Y., 1948, p187 C’est par l’information que la coordination des différentes parties et sous-ensembles d’un système est obtenus. Dans toute approche systémique, l'information et les réseaux d'informations jouent un rôle privilégié. C’est par la production et la transmission de l’information que le feedback des actions du développement est rendu possible ; sans laquelle, l’action ne peut être efficace, et les objectifs ne peuvent être atteints. Le concept de feedback ou rétroaction utilisé par l’approche systémique est le concept central de la cybernétique développé par N. Wiener (1962). La cybernétique est définie par L. Couffignal (1972) comme l’art de rendre l’action efficace. Elle prend en compte la communication, la transmission de l’information, et différents mécanismes de commande, de guidage et de contrôle de l’action (Massa ; p.14). Les systèmes d’information sont donc d’une importance stratégique pour les organisations. « La multiplicité des facteurs d’influence, la rapidité de leur modification dans le temps, etc., amène une contingence des phénomènes indéterminables a priori» (Meissonier). L’information permet de visualiser et comprendre les différentes interactions entre les principaux composants du système et l'environnement. Un projet de développement est composé d’un nombre important de décisions sur plusieurs dimensions et niveaux d’activités. In y a décision quand il y a choix entre plusieurs opportunités d’actions. Les décisions concernent l’avenir, qui se caractérise par des degrés d’incertitudes dont l’importance dépend du niveau de complexité et de l’espace géographique et temporel. L’incertitude dans la plupart des projets d'investissement est créée par le manque d’informations précises sur les événements futurs concernant des situations nouvelles et non familières (Shahriari, 2011, cité par Ebrahim Pourzarandi & Shahriari). L’Algérie vit une transformation radicale de son environnement économique, social et politique, mais les autorités n’arrivent pas, malgré les défis posés par la mondialisation, à mettre en place un système 18 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI d’information économique national capable d’orienter l’action des différents acteurs du projet de développement du pays. IV – Expérience algérienne de développement : obstacles à son efficacité : L’Algérie en tant que système est fait d’interdépendances très complexes. Ces interdépendances sont dues aux interactions entre sous-systèmes et à l’intérieur de chaque sous-système entre ses différents sous-systèmes. Les interactions qui caractérisent tout système social sont danses et circulaires, en forme de réseaux. L’approche sectorielle dans la mise en œuvre, suivi et évaluation des politiques de développement depuis cinquante années, a produit des incidences négatives de certains secteurs sur l’ensemble des autres secteurs de l’économie et sur son environnement. Par contre, l’approche systémique permet de développer des synergies entre les différents soussystèmes d’un même pays et avec son environnement régional et international. 1 – Efforts de développement de l’indépendance à début 1990 : Après l’indépendance, l’Algérie s’est engagée dans une industrialisation accélérée, privilégiant l’industrie lourde au dépens de tous les autres secteurs (Benissad, 1997, p.107). L’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie) est considérée comme seule capable de propulser rapidement le pays dans la modernité (Talahite). L’objectif déclaré de cette stratégie étant l’édification d’un système productif national intégré, pour entamer un processus de transformation accélérée de l’économie et de la société algérienne (Talahite). Cette stratégie construite sur le modèle du ‘big push’ avec un taux d'investissement très élevé, a stimulé une croissance économique soutenue (7% l'an, en moyenne, en 1967-79), épongeant quasiment le sous-emploi urbain (Benissad, 1997, p.107). Elle s’est accompagnée d’un large mouvement d’exode rural (Benachenhou, 1979), au dépens de la production agricole et de l’industrie légère. En fournissant de l’emploi, cette stratégie a permis d’améliorer le pouvoir d’achat du citoyen, mais, les taux d’investissement très élevés n’ont pas permis d’approvisionner le marché en produits de consommation courante pour satisfaire la demande induite par l’emploi industriel. «Ces changements, recherchés comme vecteurs de la modernité, sont de plus en plus vécus comme source de tensions sociales, d’acculturation, de besoins insatisfaits» (Guerid, 2007, cité par Talahite). La stratégie du développement par les industries industrialisantes, dans un pays sous-développé économiquement, socialement et politiquement, a plongé le pays, déjà déstabilisé par une colonisation de peuplement, dans une grave crise structurelle et identitaire. Les choix et les stratégies d’investissement faits durant cette période ont été influencés par les 19 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI paradigmes en vogue à ce moment là. Le problème réside dans l’importation de ces thérapies destinées à des pays développés, comme l’Europe de l’Est et du Sud ou proposées pour des pays comme celle de Gailbraith pour les USA, pour mettre fin à certains déséquilibres. Deuxièmement, l’Algérie de 1962, n’avait ni les compétences humaines ni les moyens organisationnels nécessaires à la réussite d’une politique agressive de développement. Les choix et les stratégies d’investissements découlaient exclusivement de calculs politiques à faible corrélation avec les critères économiques admis à cette époque. Les effets pervers d’une politique de développement basée exclusivement sur l’accélération du rythme des investissements dans un secteur au dépens des autres, a donné pour le cas de l’Algérie, un double effet (Benachenchou, 1980, p.215) : Un affaiblissement de la maitrise de l’orientation des investissements, une aptitude décroissante à mettre en place, faire fonctionner et reproduire les équipements. Ajouté à cela une crise identitaire et une crise d’éthique. Même la planification centralisée choisie comme moyen de mise en œuvre, suivi et contrôle de la stratégie du développement du pays est, dans la pratique, remise en cause. Devant l’augmentation des prix du pétrole, les décideurs, particulièrement le pouvoir politique, favorables à la thèse de l’industrialisation, ont transformé le plan en simples programmes d’investissement et d’allocation de ressources budgétaires issues de la rente pétrolière. Selon Bourenane (1987, p.180) : « Le Plan s'est surtout limité à l'enregistrement des opérations d'investissements à réaliser et des actions à initier. Au même moment on a assisté à de graves déviations, les tutelles administratives des entreprises se sont érigées en véritable carcan, à la fois pesantes et stérilisantes au niveau des différents secteurs d'activité économiques, au lieu de se poser en tant que structures de soutien et de dynamisation. S'ajoutent encore à cela une répartition irrationnelle de l'effort d'investissement entre les différentes branches et secteurs, un élargissement du champ d'intervention économique et sociale des entreprises bien au-delà de celui découlant de leurs prérogatives, une recours massif et quasi-systématique au marché mondial, à l'approvisionnement et aux financements extérieurs.» Toutes les tentatives pour faire aboutir les choix stratégiques de développement ont échouées. A l’origine de cet échec est l’importation de modèles destinées à des pays dont l’histoire et la réalité du moment sont complètement différentes de celles de l’Algérie. L’enchainement de 20 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI crises et l’échec des différentes restructurations ne sont que la conséquence des choix initiaux. En 1979, les politiques en matière d'allocation de ressources diffèrent sensiblement de ceux qui ont précédé, «l'investissement industriel est freiné afin d'encourager une meilleure gestion des capacités de production installées, l'agriculture et les infrastructures économiques et sociales sont l'objet d'une plus grande attention» (Benissad, 1997, p.107). Des sommes importantes sont engagées début 1980 dans des investissements de rattrapage dans les secteurs sociaux (éducation, habitat, santé…) (Benachenchou, 1980, p.216) ; mais, la chute des prix du pétrole, l’étendu des déséquilibres et la poursuite de l’approche sectorielle ont été un obstacle à la réussite de ces choix. 2 – Efforts de développement de 2000 à ce jour : Les réformes engagées depuis la fin de la décennie noire revêtent de nouvelles formes, mais, comme les stratégies d’après l’indépendance, elle s’inspirent des paradigmes de développement généralement admis les deux dernières décennies du XXème siècle. Le modèle du ‘big push’ est toujours d’actualité, mais les efforts d’investissements publics se concentrent sur les infrastructures de base pour permettre au secteur privé d’assurer la croissance économique. Elargissement de l’interventionnisme de l’Etat régulateur par la création d’autorités de régulation dans certains secteurs d’activités stratégiques (Télécommunications, appuis et soutien à l’investissement privé et à l’emploi, etc.). Malgré cela, l’intervention publique ne relève pas d’une vision et d’une stratégie qui tient compte de l’ensemble des déterminants du développement. Des actions sont menées dans un grands nombre de secteurs (mise à niveau du secteur privé, aides apportées au secteur agricole…) sans qu’elles soient intégrées dans une stratégie d’ensemble qui tient compte de l’interdépendance et de l’interaction de ces secteurs entre eux et avec l’environnement international. La qualité de l’enseignement est toujours médiocre malgré d’importants investissements publics dans les ressources matérielles. Le pays est classé en queue de liste en ce qui concerne l’indice du climat des affaires, la corruption touche du haut au bas de l’échelle tous les secteurs ; des lacunes existent à tous les niveaux, dans les services publics, terrains et parcs défoncés et insalubres et sales… V – Conclusion : En 1962, L’Algérie manquait de tout. Malgré cela, elle a opté pour une stratégie de développement ambitieuse, basée sur le développement de certains secteurs prioritaires avec l’idée qu’ils serviront de locomotive aux autres secteurs. Or, l’Algérie est un pays sous-développé dans tous 21 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI les domaines et seule une vision et une stratégie qui tient compte de l’ensemble des déterminants du développement est à même d’engager le pays dans le cycle vertu du développement. L’approche systémique dans la mise en œuvre, l’exécution et le contrôle de la stratégie de développement aurait pu créer les synergies nécessaires pour engager le pays dans la voie du développement. La mise en place d’un système d’information et de communication efficace aurait développé l’alignement stratégique des ressources humaines et matérielles avec la vision et les choix stratégiques de développement. Malheureusement, la poursuite de projets de développement basés sur des actions partielles sans qu’il soit tenu compte des capacités humaines existante, n’ont fait qu’approfondir la dépendance et exacerbé les déséquilibres à tous les niveaux. La stratégie de développement cohérente doit tenir compte des conditions particulières et des spécificités propres du pays et ne doit pas être de simples transplantations de modèles développés ailleurs pour des situations différentes (Mouhoubi). L’approche systémique de modélisation des projets de développement est étroitement liée aux concepts de gouvernance, des entreprises, des pays ou mondiale (Pérez, 2003, cité par Ardjoune) et de développement durable. Des liens étroits existent entre ces différents concepts et l’approche systémique pour maitriser des entités de plus en plus complexes. 22 evaluation des effets des programmes d’investissements publics … Aoumeur AKKI ALOUANI VI - Références : - - ACKOFF, R.L. (1981) : “Creating the Corporate Future”, John Wiley & Sons, New York. ACKOFF Russell L.(1990) : “The Management of Change and the Changes It Requires of Management”, Systems Practice, Vol. 3, No. 5, pp.427-440 DONNADIEU Gérard et Al. 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( ‘a situation in which an increase in income results in a loss of benefits so that you are no better off’ in http://www.thefreedictionary.com/poverty+trap) 6 BOUZIDI Abdelmadjid « Dans nos économies, l’Etat a encore un rôle déterminant à jouer », Le soir panorama, Le Soir d'Algérie, http://www.lesoirdalgerie.com 7 http://en.wikipedia.org/wiki/Ragnar_Nurkse%27s_Balanced_Growth_Theory Nurkse, Ragnar (1961). Problems of Capital Formation in Underdeveloped Countries. New York: Oxford University Press. pp. 163. Cite par http://en.wikipedia.org/wiki/Ragnar_Nurkse%27s_Balanced_Growth_Theory 9 "If a country were ready to apply the doctrine of balanced growth, then it would not be underdeveloped in the first place.", Hirschman, Albert O. (1969). Strategy of Economic Development. Yale University Press (New Haven, London). pp. 53–4. 10 Sachs, Jeffrey D. 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