introduction Paysans et seigneurs en Europe

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introduction Paysans et seigneurs en Europe
[« Paysans et seigneurs en Europe », Guy Lemarchand]
[ISBN 978-2-7535-1701-1 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
Introduction
Rappel d’histoire de l’histoire
L’historiographie ne s’élabore pas dans des tours d’ivoire soigneusement
closes, et, d’une certaine manière c’est heureux car il y a ainsi un frein à
la tendance inévitable qui guette le chercheur : une fois la réussite scientifique obtenue, le discours répétitif et la sclérose le guettent. Lorsque le
vent idéologique libéral – et derrière lui l’idéalisme historique – s’est élevé
dans les sociétés occidentales, à partir des années 1975-1980 et particulièrement en France où l’historiographie après la deuxième guerre mondiale
s’était profondément transformée sous l’influence de l’école des Annales
née antérieurement, nombre d’historiens ont délaissé l’étude des économies et des structures sociales et se sont tournés vers d’autres champs
d’investigation. On a visé les spécificités, le particulier et moins le général ;
les sociétés ont été alors pensées moins comme des totalités animées par
une dynamique d’ensemble et traversées de contradictions génératrices de
mouvements collectifs que comme des agrégats hasardeux de singularités,
le vécu individuel des acteurs focalisant l’observation. Du même coup sont
passés au second plan les données matérielles et les conflits d’intérêts entre
les groupes. Si la démographie a conservé un poids certain, elle a parfois
été vue comme déterminée davantage par le mental que par les conditionnements créés par le niveau et la répartition des revenus. La capacité
explicative de l’économie a été minorée et on a mis en doute la justesse de
l’application de la quantification à la société et sa stratification.
Même excessif, ce moment critique peut avoir été salutaire car il est
vrai que, influencée – mais non dominée – par le marxisme, l’« histoire
économique et sociale » française dans l’inspiration de E. Labrousse et
F. Braudel n’avait laissé qu’assez peu de place à l’individuel et au subjectif.
À partir de cette carence, elle pouvait donner l’impression de réduire la
dynamique historique à un économisme étroit, ce que d’ailleurs en réalité
elle ne faisait pas car aucun des grands historiens de l’époque ne s’était
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prononcé formellement en ce sens et même refusait – on peut leur reprocher aujourd’hui – toute formulation théorique. Et si le quantitativisme
dans un premier temps de l’analyse figeait la réalité sociale, il pouvait dans
un second temps de l’étude exprimer le mouvement par la prise en compte
du temps et des différences de temporalité – au fil des décennies ou des
siècles et pas seulement des années – selon les instances du tout social. Il
n’excluait pas non plus l’utilisation de l’étude de cas où l’individu redevenait important. Quand l’idée de loi de l’histoire a été abordée – ce qui a été
rare – les formulations dogmatiques inspirées plus par Staline que par Marx
et Engels ont été évitées en France et ces lois ont été présentées comme
tendancielles et non absolues. Le défaut de cette historiographie était probablement de ne pas avoir été assez loin et de s’être contentée d’empiler les
niveaux d’analyse sans chercher à définir les combinaisons dans lesquelles
ces instances du tout social entraient, ni à préciser les interactions entre
elles. Néanmoins le virage de 1975-1980 a permis incontestablement de
donner plus de chair à la discipline et d’approcher des domaines jusqu’ici
peu abordés. En reprenant en fait la notion de longue durée mise en avant
par F. Braudel, bien que situant leur observation dans l’instantané et le
temps court, par l’utilisation de la biographie et de la micro-histoire et en
privilégiant l’observation des comportements, les nouveaux historiens ont
mis en valeur le rôle des croyances à l’échelle collective et de leur diffusion
et transformations à travers les appareils institutionnels d’information et
d’enseignement et les églises. Dépassant la vieille histoire des idées, à travers
les représentations et la culture, le poids de l’idéologie dans les équilibres
sociaux est mieux apparu.
Mais parfois, avec les effets de mode, on est allé jusqu’au point de négliger, voire de décrier, les acquis de 1960 en arguant de leurs insuffisances et
en fustigeant une apparence de scientisme dans la démarche de ces années.
Et pourtant, depuis les environs de 2000 le vent dominant de la recherche
a commencé à nouveau à changer. L’éclatement de l’histoire en branches
spécialisées sans lien entre elles ainsi que le primat du qualitatif et de l’individuel ont montré à la longue une certaine impuissance, ce qui était presque
inévitable dès lors qu’on avait renoncé comme ce fut proclamé, au projet
d’« histoire totale » des Annales et de E. Labrousse. De plus, avec l’intensification des contacts intellectuels internationaux liés à la révolution des transports et de la communication, les limites et carences d’une histoire seulement nationale se sont révélées et donc la nécessité d’une histoire comparée
internationale, quelquefois planétaire, et qui n’oubliait pas pour autant les
histoires nationales, s’est manifestée plus nettement. Cette dimension n’avait
pas été ignorée par l’historiographie française comme en témoignent les
œuvres de M. Bloch et L. Febvre et plus récemment celles de F. Braudel, de
P. Chaunu ou sur le climat de E. Le Roy Ladurie, ou bien encore nombre
de pages de collections d’histoire universelle, telles l’Histoire générale des
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civilisations (dirigée par M. Crouzet, PUF, 1953-1957) et Les grandes civilisations (dirigée par R. Bloch, Arthaud, 1964-1982). Toutefois, en dehors
des grandes synthèses d’envergure mondiale, elle demeurait peu pratiquée
dans notre pays. Enfin, ce qui est apparu vite d’ampleur systémique, la crise
du capitalisme éclatée en 2007-2008 a conduit à reconsidérer le poids de
l’économie et du cadre des structures sociales en place.
Ainsi un des problèmes de large étendue spatiale est celui de la persistance pendant plusieurs siècles après le Moyen Âge du système féodal, tout
en se différenciant et se transformant suivant les régions, de l’Europe de
l’Angleterre à l’Oural. Ici il s’est accommodé de la libération des paysans,
ailleurs il a créé une nouvelle servitude, ailleurs encore il a laissé les rustres
libres mais a confisqué la possession de la terre. La question mérite d’autant
plus une comparaison internationale qu’elle concerne la masse humaine,
c’est-à-dire jusqu’au XVIIIe siècle même dans les États les plus avancés,
Provinces Unies ou Grande-Bretagne, la paysannerie qui a constitué
longtemps la grande majorité de la population et dont le travail faisait vivre
aussi les citadins, y compris dans les villes portuaires, grandes places du
commerce mondial.
Les concepts indispensables
Or, au XIXe siècle, trois siècles après l’ouverture aux larges échanges
en Europe représentée par les grandes Découvertes et l’expansion de la
colonisation par les mêmes Européens, avec les progrès notables de la
construction navale pour le transport lointain de marchandises volumineuses, avec l’explosion de la fabrication de monnaie ainsi que, grâce à la
lettre de change, d’une quasi-monnaie et le développement de la production pour la vente, le système féodal a à peu près partout disparu. Par
conséquent se posent deux séries de questions : pourquoi et comment une
structure affaiblie, au moins dans la partie occidentale du Vieux-Continent
dès le XVe siècle a-t-elle résisté pendant tant de temps, comment cependant
a-t-elle pu être abolie d’autant plus qu’elle était diverse à travers l’Europe,
et par quoi a-t-elle été remplacée ? Employée couramment par les historiens
actuels, l’expression « système féodal » recouvre au moins quatre institutions
et pratiques : la seigneurie, en face d’elle la communauté paysanne, à la tête
de la société la noblesse et les liens et réseaux féodo-vassaliques. La première
fut considérée par les spécialistes des Temps Modernes de la première moitié
du XXe siècle comme moribonde après la fin du Moyen Âge, ne donnant
plus aux seigneurs que des revenus très faibles et une autorité minime,
le pouvoir monarchique accaparant par l’impôt l’essentiel du surproduit
rural et ruinant les justices privées. La seconde, elle, aurait été également
très amoindrie – si jamais elle avait été forte – par l’emprise croissante de
l’administration royale sur les provinces et par la montée de l’inégalité entre
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les habitants. Le deuxième ordre à la fois se serait appauvri par ses dépenses
de luxe et la baisse de ses ressources et il aurait perdu nombre de terres
au profit de la bourgeoisie marchande et officière, l’État en se renforçant
offrant aux parvenus de la fortune des postes dans le gouvernement et dans
l’administration locale. Quant aux liens d’homme à homme, ils s’évanouiraient dès le XVIe siècle, devenus sans intérêt à cause de la multiplication des
relations sociales liée à l’urbanisation, et surtout de la puissance de l’État
central absolutiste.
Mis à part l’accroissement de l’autorité des monarchies entre le XVIe et le
XVIIIe siècles – et encore dans certaines limites – ces conceptions paraissent
aujourd’hui trop simples et rendent mal compte à la fois des ressemblances
et des différences que l’on constate entre les divers pays. Il est nécessaire
de revenir sur les définitions pourtant bien connues de ces cadres de la vie
sociale et on s’aperçoit qu’elles sont plus complexes qu’il n’y paraît de prime
abord et présentent une extension et une plasticité qui leur permettent
de résister à l’usure des siècles. Selon l’un des maîtres de l’histoire agraire
du Moyen Âge, R. Boutruche 1, la seigneurie « réunit deux aspects : l’un
foncier, l’autre politique (ce dernier quelquefois désigné sous le nom de
seigneurie justiciaire… afin de mettre l’accent sur l’origine publique des
droits exercés)… Ce n’est pas seulement une unité d’exploitation partagée
entre une réserve et des tenures, mais un groupe social dépendant d’un
maître, un organisme de commandement ou seigneurie ». Elle constitue
donc un territoire bien délimité formé d’une exploitation que son propriétaire travaille ou fait travailler, généralement d’une taille respectable, et
d’autres plutôt plus petites sur lesquelles les manants n’ont qu’un droit
de possession plus ou moins étendu, de l’occupation précaire à la quasipropriété, mais pas la pleine propriété, d’autant qu’ils doivent pour ladite
possession des redevances et/ou des services au maître. Elle est également
un pouvoir exercé par le seigneur sur les tenanciers au titre de la juridiction
qu’il détient, fonction déléguée théoriquement par le prince et dont l’étendue varie également selon les lieux et l’époque.
La communauté de village, elle, pour un autre médiéviste important
R. Fossier 2 est « la cellule de base de la société médiévale ». Structure de
travail agricole, elle est un finage aux frontières reconnues, qu’elle exploite
partie individuellement, partie collectivement avec des règles communes
et des biens communs, ses membres échangeant entre eux des services.
Groupement humain dans ces siècles d’omniprésence de la religion dans
la représentation du monde et des relations sociales, elle est, quoique
– rarement – communauté et paroisse puissent ne pas coïncider, un rassemblement autour de l’église ou du temple paroissial qui n’est pas seulement
un bâtiment de prière, mais aussi un lieu de réunion, d’asile et de sépulture
1. Seigneurie et féodalité I, Paris, 1959, p. 114.
2. Histoire sociale de l’Occident médiéval, Paris, 1970, p. 183.
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dans le cimetière qui lui est attaché. Par exemple dans l’une des provinces
de France où les communautés et les paroisses coïncident le moins, en
Languedoc, dans le diocèse civil de Lodève, il y a à la fin du XVIIe siècle
62 circonscriptions religieuses et seulement 53 communautés et donc
2 communautés ont 4 paroisses, 2 autres en ont 2, tandis qu’une paroisse
a 3 communautés et 3 paroisses ont 2 communautés. Il y a tout de même
coïncidence parfaite pour la grande majorité des communautés.
La paroisse forme donc une vraie communauté par la proximité de
résidence qui donne à ses habitants des droits de participation à son autogestion administrature à travers l’assemblée des villageois et, quand il y en a,
les magistratures municipales. La jouissance des biens communs quand ils
existent, terres vaines et instruments de vie courante (fours, moulins) est
également liée au moins en partie à la résidence. Aux yeux des autorités,
seigneur, église, monarchie, la communauté est une entité solidaire dont
l’autonomie réelle varie beaucoup dans le temps et l’espace.
Autre définition indispensable : celle de la noblesse. Elle se compose
d’un groupe minoritaire de familles qui se veulent et s’affirment comme
supérieures et dominent effectivement le reste de la société. Elle s’en distingue par la préférence pour le métier des armes, bien que tous les nobles
ne soient pas nécessairement des guerriers professionnels, par les privilèges
dont elle bénéficie officiellement et par la prétention du sang ainsi que
l’ancienneté glorieuse de la race, qui justifierait son exigence d’être proche
du prince et de son gouvernement. Tous les nobles ne sont pas riches, mais,
comme le remarque J. Dewald 3, ils demeurent sensibles à la fortune et à la
largesse dispendieuse qui sont facteurs d’estime. En fait, dès que les sources
notariales et fiscales permettent de saisir les patrimoines et les revenus, on
s’aperçoit partout sur le continent que la noblesse est avant tout une classe
de propriétaires fonciers dominant, car si toutes les seigneuries ne sont
pas forcément entre leurs mains, ils en tiennent le plus grand nombre,
quelquefois même exclusivement bien que souvent on puisse être seigneur
sans être noble. La terre leur procure également la plus grande partie de leur
revenu. Au total, le haut de l’échelle locale des fortunes, leur appartient, ce
qui n’empêche pas qu’on puisse rencontrer suivant les provinces des nobles
aux ressources médiocres en proportion importante. Afin de maintenir sa
situation prééminente, son « rang », la noblesse cherche fréquemment à
obtenir de la puissance qui a le pouvoir de prononcer l’anoblissement,
l’État, la fixation juridique de la procédure et la restriction de l’entrée dans
l’ordre, et elle tend à l’homogamie et à l’adoption de règles strictes de
succession des biens afin d’éviter leur dispersion et l’appauvrissement des
héritiers mal dotés.
3. The European nobility 1400-1800, Cambridge, 1996.
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Enfin les liens féodaux-vassaliques dans leur forme spectaculaire
médiévale s’évanouissent peu à peu après le XVe siècle. Mais, plutôt que de
disparaître totalement, ne se transforment-ils pas avec la croissance d’une
noblesse liée au service civil du prince plus qu’à son service militaire ? Issu
d’ailleurs du vieux devoir du vassal de conseil, le noble se doit d’exercer une
influence personnelle, d’avoir un pouvoir moral qui le distingue du roturier.
Pour ce faire, si les cérémoniaux de la chevalerie et de la « manumissio »
perdent leur raison d’être, les liens de suzeraineté sur les fiefs mouvants
peuvent subsister avec la levée de droits en argent qui peut éventuellement
entraîner un rapprochement entre les personnes. Se distingue aussi une
forme larvée de domination qui rappelle la suzeraineté : la constitution
d’une clientèle de fidèles composée de parents éloignés et d’amis de fortune
inférieure, de villageois dépendants de la seigneurie, de domestiques hiérarchisés selon la nature de leur activité, de fournisseurs de biens courants fixés
par la capacité de paiement de l’acheteur.
On ne peut cependant se limiter à ces énoncés insuffisants pour appréhender à travers le chaos des événements et la diversité des structures
concrètes, le sens de l’évolution historique. Penser à la fois l’ensemble et les
différences nécessite de recourir à des concepts de plus grande extension,
tout en essayant de ne pas tomber dans le verbalisme car si les définitions
précédentes permettent de comprendre que les entités en question ont pu
résister longtemps en dépit des bouleversements de l’Europe moderne, on
ne saisit pas pour autant pourquoi elles ont au moins en partie disparue, ni
pourquoi ce cheminement a été semé d’obstacles. Il convient donc de les
réinsérer dans un contexte qui les dépasse et peut indiquer une dynamique
d’ensemble valable pour tous les pays quelle que soit leur diversité. N’y
a-t-il pas même entre l’Angleterre et la France et d’autre part la Pologne ou
la Russie quelques traits communs importants malgré les apparences qui
soulignent les différences, traits qui contribuent à donner un même sens
à l’évolution sociale à long terme à travers toute l’Europe ? Précisément, la
notion venue du marxisme de mode de production peut être le concept
opératoire en la matière, pour peu qu’on ne le conçoive pas de façon étroite.
Faut-il donc le limiter aux structures agraires comme le propose G. Bois
pour le féodalisme (Crise du féodalisme, Paris, 1976) : la seigneurie rurale et
les petites exploitations paysannes couvrant la majeure partie du terroir et
où la possession d’une charrue et de quelques animaux de trait distingue
les habitants les plus aisés. Si elle convient à la France au XIIIe siècle, voire
à l’Europe du Nord-Ouest, une telle définition n’apporte guère de lumière
sur l’évolution de ce modèle après la grande crise des XIVe-XVe siècles et, ainsi
que le remarque M. Aymard (« l’Europe moderne : féodalité ou féodalités ? »
Annales ESC, 1981, 3), encore moins sur l’Europe orientale ou l’Europe
méditerranéenne pour lesquelles cependant les historiens actuels décèlent
des institutions et pratiques qu’ils appellent féodales par comparaison avec
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l’Occident. De plus on ne peut discerner avec une telle définition les raisons
de la crise et de la disparition du système, c’est-à-dire à la fois sa cohérence
interne et ses contradictions. Pour importants qu’ils soient, ni la technique
de production, ni les rapports sociaux ne suffisent pour dessiner les contours
majeurs des sociétés. S’offre à nous précisément l’élargissement du concept
de mode de production dans l’inspiration de l’œuvre de P. Vilar 4 qui y
incorpore les superstructures, la nature de l’État et la représentation du
monde et de la société, que la vulgate marxiste a longtemps été tentée de voir
comme de simples reflets passifs des rapports sociaux plutôt que des facteurs
actifs. Pour reprendre la formule connue de M. Weber, il y a un esprit de
l’époque féodale comme il y a un esprit du capitalisme et il contribue au
fonctionnement de l’ensemble. C’est pourquoi le terme féodalisme paraît
plus approprié que féodalité pour désigner le mode de production : le second
mot ne signifie qu’une réalité limitée, les liens d’homme à homme et les fiefs
qui concernent et ne concernent que, à peu près, la noblesse, soit une petite
minorité certes dominante, mais assez peu nombreuse, de la population.
Ainsi, six traits fondamentaux peuvent caractériser le féodalisme :
− une économie marquée par la primauté dans l’ensemble des ressources
d’une agriculture à main à bas rendement ;
− une évolution technique lente à partir d’une faible productivité qui
conduit à la mobilisation de la plus grande partie des actifs dans le travail
de la terre ;
− la prépondérance de la production pour l’usage qui laisse peu de
surproduit par rapport à la consommation de reproduction simple ;
− l’accaparement de tout ou partie de ce surproduit par contrainte extraéconomique ou politique au bénéfice d’une étroite minorité définie
juridiquement : les ordres venus du Moyen Âge et dont en France les
travaux de R. Mousnier ont montré la réalité, même s’il en a majoré
l’importance ;
− l’équilibre social étant assuré par un appareil d’administration tenu
pour l’essentiel par les mêmes bénéficiaires du surproduit et qui, ayant
ses propres besoins matériels, prélève aussi sur le surproduit ;
− un consensus social fourni par une idéologie à référence religieuse et
culte hiérarchisé.
Le point terminal de féodalisme c’est la construction du capitalisme
qu’on ne peut pas réduire non plus à deux ou trois traits, l’extraction de la
plus-value au profit des détenteurs des capitaux et le travail salarié. Terme
à terme on peut opposer au féodalisme plusieurs caractères systémiques du
capitalisme :
4. « Développement historique et progrès social. Les étapes et les critères », La Pensée, juillet-août 1961 ;
Une histoire en construction. Approche marxiste et problématiques conjoncturelles, Paris, 1982 ; éd. Cohen,
R. Congost, P. F. Luna, Pierre Vilar. Une histoire totale, une histoire en construction, Paris, 2006.
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− un bond des forces productives avec l’invention et l’utilisation de la
machine-outil et d’une source d’énergie indépendante des éléments naturels
et des animaux, ce qui conduit à l’accroissement de l’activité industrielle ;
− la prépondérance dans l’économie du capital fixe dans le capital total
avec la lourdeur physique et financière des équipements productifs, alors
que l’atelier artisanal antérieur et l’exploitation agricole ne mobilisaient
que des montants d’argent minimes ;
− la généralisation des rapports marchands et monétaires, ce qui
développe la division du travail et la spécialisation ;
− la séparation entre le capital et le travail productif avec l’appropriation
privée des moyens de production et d’échanges, et par conséquent, face
au salariat, la confiscation par les détenteurs du capital de tout ou partie
de la plus-value réalisée lors du processus de production ;
− l’affirmation d’un État central régulateur proclamé neutre au-dessus
des divisions sociales et non plus paternel, pénétré par les intérêts des
détenteurs de capitaux ;
− une idéologie dominante laïcisante et individualiste prônant la concurrence dans la vie sociale.
Le mérite de ces énoncés sommaires est qu’ils appréhendent à la fois le
fonctionnement et les sources du déclin de chaque système, soit pour le
féodalisme les trois contradictions essentielles : celle souvent décrite entre
l’évolution des forces productives plus rapide que celle des rapports sociaux
dont les principaux bénéficiaires n’ont pas intérêt au changement, celle
entre la production pour la vente et l’autoconsommation, celle entre les
accapareurs directs ou indirects (par l’impôt d’État) du prélèvement du
surproduit et ceux qui le subissent sans contrepartie sensible. La lutte de
classes est intégrée dans l’explication mais, déterminante et déterminée, elle
n’est plus le deus ex machina de la dogmatique stalinienne.
Pourtant ces instruments intellectuels sont encore nettement insuffisants.
En effet, à côté des ressemblances entre les sociétés des Temps Modernes,
d’ailleurs qu’on ne saisit pas toujours sans une analyse en profondeur, les
différences entre elles sont importantes. Nul ne songerait par exemple à
soutenir que le Royaume de Naples au XVIIe siècle est identique à la France
ou plutôt à la Provence ou à la Russie. En fait, les modes de production sont
des abstraits réels. Abstraits, ils ne se rencontrent pas immédiatement dans
la réalité vécue subjective instantanée comme on apercevrait à la suite de
fouilles les restes d’une cité disparue. Réels, néanmoins ils systématisent et
rendent compréhensibles le concret empirique. Celui-ci se manifeste sous
la forme de ce que les discussions des années 1970 menées par la revue La
Pensée 5 appellent la « formation sociale », expression plus englobante. Il s’agit
5. Références dans G. LEMARCHAND, « La question de la transition en Europe du féodalisme au capitalisme et l’apport d’A. Soboul », Bulletin d’histoire de la Révolution française, 1992-1993.
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d’un espace délimité où à un moment dans le temps long s’exerce l’influence
d’un mode de production dominant mais non nécessairement exclusif,
d’autres facteurs tendant à faciliter ou freiner sa réalisation complète. Par
exemple, pendant la première moitié du XVIIe siècle, l’Angleterre demeure
très marquée par le féodalisme, mais elle est très différente de la Pologne où
ce même féodalisme se consolide et montre des caractéristiques particulières
liées aux circonstances locales. Ces dernières sont multiples et complexes,
elles contribuent à former et déformer le schéma du mode de production.
Ainsi agissent :
− le milieu naturel, les ressources, les sols, le climat, la position et les
facilités et difficultés de communication extérieure, tout en sachant que
la géographie est ce que l’homme en fait ;
− les phénomènes migratoires qui peuvent d’ailleurs être un genre de vie ;
− les invasions et occupations du territoire venues de l’extérieur et on sait
le poids de la guerre sur la vie des masses humaines et des institutions ;
− l’intensité de l’urbanisation résultant des facteurs précédents en une
combinaison spécifique et créatrice de dynamismes particuliers ;
− les formes et intensités particulières des tensions sociales qui, par
exemple, ont conduit à parler pour les Balkans ottomans de banditisme
endémique ;
− le degré de développement de l’État central et la force ou la faiblesse
de son emprise sur les habitants. Ainsi la France et la Russie sont, au
XVIIe siècle, des monarchies de droit divin mais l’efficacité du pouvoir
d’État y est différente ;
− l’unité et les scissions religieuses qui sont des foyers de solidarité ou
de division et on sait combien d’oppositions sociales ou politiques sont
transposées et amplifiées sur ce plan.
Constat banal : chaque formation sociale est le résultat d’une histoire
particulière qu’une vision très abstraite et globalisante – qui a du reste des
avantages – risquerait de faire oublier. Même l’événement peut devenir avec
la mémoire collective un fait quasi structurel déterminant des comportements dans la longue durée.
L’état de l’histoire agraire comparée
Malgré les appels de M. Bloch, les historiens français se sont assez peu
intéressés à l’histoire agraire comparée et même à l’histoire comparée en
général, probablement par une certaine frilosité due à une longue influence
du positivisme qui a provoqué une méfiance contre toute généralisation qui
paraîtrait donner dans la philosophie de l’histoire plutôt que dans l’histoire
elle-même. De plus, la recherche de concepts d’interprétation à l’échelle
continentale ou mondiale semblait teintée de marxisme ou même venir
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directement de Marx et subissait le feu d’une critique qui distinguait mal
Marx et la dérive stalinienne. Pourtant jusqu’aux années 2000 sont tout
de même parues quelques synthèses importantes consacrées en totalité ou
partie au thème en question. C’est d’abord, l’œuvre pionnière 6, d’H. Sée,
très fortement documentée sur l’Europe centrale et orientale mais qui
n’embrasse pas la zone méditerranéenne. Puis est venu, organisé en 1968
par J. Godechot, un grand colloque international centré sur la totalité du
Vieux Continent 7 et qui pousse plus loin la méthode comparative. Centrant
son propos sur la construction du capitalisme avec l’extension des échanges,
la centralisation des marchés et les mécanismes de la monnaie et du crédit,
F. Braudel 8 dans sa grande synthèse planétaire ne traite pas totalement les
structures agraires mais en évoque incidemment quelques aspects, que ce
soit au sujet des plantes cultivées ou des revenus de la noblesse, surtout il
offre un rare exemple d’une pensée historienne rassemblant, comparant et
insérant dans une dynamique d’envergure continentale et même planétaire
des phénomènes dispersés dans l’espace et le temps. En 1985, un colloque
international réuni à Stuttgart publié par A. Fauve-Chamoun 9, reprend la
problématique d’un livre antérieur (1965) d’E. Boserup sur les rapports
entre population et subsistances dans l’Ancien Régime et, pour divers pays
européens, en esquissant des comparaisons, il vise à appréhender les relations
entre démographie, répartition de la propriété et de l’exploration et modalités de location de la terre. Enfin, dans une synthèse centrée sur la France
et l’Europe occidentale du XIIIe siècle à nos jours, mais avec des coups de
projecteur et des explications à l’échelle du globe, liant agriculture et climat,
E. Le Roy Ladurie retrace les variations longues et courtes du climat et leurs
conséquences. Il rappelle fortement combien le sort des masses humaines,
à commencer par les paysans, a dépendu des récoltes et de la santé des
troupeaux et comment cette variable exogène agissait même sur l’organisation des sociétés concernées 10.
À l’étranger, non seulement dans les ex-démocraties populaires mais
également aux États-Unis, l’utilisation du concept de féodalisme et l’étude
comparée des systèmes agraires ont été plus courantes. Les Britanniques
et surtout les Américains ont fourni une contribution particulièrement
substantielle avec deux séries d’ouvrages. Les uns sont avant tout des
descriptions qui présentent chronologiquement les institutions et pratiques
sociales pour déboucher sur la politique à partir de travaux souvent peu
connus ou peu abordables en raison des barrières linguistiques. Ils envisagent de vastes espaces et des périodes pluriséculaires et les régimes agraires
6. L’Esquisse d’une histoire du régime agraire en Europe aux XVIIIe et XIXe siècles, Paris, 1921.
7. L’abolition de la féodalité dans le monde occidental, Paris, 1971, 2 vol.
8. Civilisation matérielle, économie, capitalisme XVe-XVIIIe siècles, Paris, 1979, 3 vol.
9. Évolution agraire et croissance démographique, Liège, 1987.
10. Histoire humaine et comparée du climat, Paris, 3 vol., 2004-2009.
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[« Paysans et seigneurs en Europe », Guy Lemarchand]
[ISBN 978-2-7535-1701-1 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
INTRODUCTION
y tiennent une place forcément limitée. Tels sont par W. Mc Neill, Europe’s
steppe from 1500 to 1800 (Chicago-Londres 1964) sur l’Europe Centrale,
Balkanique et Orientale et qui est un des rares livres à couvrir aussi le
XVIe siècle. Centrée sur les campagnes et portant sur une grande partie du
Vieux-Continent sauf la Méditerranée est l’œuvre de J. Blum 11, très étendue
sur notre sujet, un livre auquel il faut joindre ses deux articles 12. Réduit sur
les questions rurales est Les révolutions européennes 1492-1992 (trad. Paris,
1993) par C. Tilly. Tourné plutôt vers la montée de l’économie marchande
et ne couvrant pas l’Europe orientale est Transitions to capitalism in early
modern Europe (Cambridge, 1997) par R. S. Duplessis. La seconde série
de synthèses développe avant tout une réflexion théorique et les ouvrages y
ont des perspectives plus larges tout en s’attachant aux réalités concrètes ; les
régimes agraires y sont traités avec plus de précision que dans les livres précédents. Engagée sur plusieurs années est la discussion à plusieurs voix sur des
articles de 1977-1978 de R. Brenner opposant l’évolution de l’Europe du
deuxième servage à celle de l’Europe occidentale 13. Comparable à l’œuvre de
F. Braudel et impressionnante par l’étendue de son champ et la profondeur
de l’analyse est The modern world system 1978-1980 de I. Wallerstein 14.
Enfin, dans un livre paru en 1983 15, R. J. Holton, lui aussi, consacre plus
de pages d’ailleurs approfondies au second terme qu’au premier. Dans cette
lignée, il faut ajouter le livre plus étendu que son titre ne l’indique du
Polonais J. Topolski 16, ainsi que celui de W. Kula 17 plus connu des Français,
plus restreint sans pour autant se limiter toujours à la Pologne 18.
En revanche, on sait que les Français se sont particulièrement illustrés
depuis la deuxième guerre mondiale dans le domaine de l’histoire agraire
de la France. Ce sont surtout des monographies régionales conçues à partir
de 1950 dans le cadre de thèses d’État qui renouvellent la problématique.
Entre autres quelques unes apparaissent presque fondatrices. Ainsi, la
seigneurie prend une nouvelle importance au XVIIe siècle alors qu’on avait
antérieurement cru à son quasi évanouissement, avec P. Goubert en 1960 19,
la communauté rurale redevient un partenaire actif avec P. de Saint-Jacob 20,
11. The end of the old order in rural Europe, Princeton, 1978.
12. The rise of serfdom in Eastern Europe, American Historical Review, juillet 1975 ; The internal
structure and polity of the European village community from the 15th to the 19th century, The
Journal of Modern History, 1971, 4.
13. T. ASTON, C. PHILPIN (ed.), The Brenner debate : agrarianclass structure and economic development
in precapitalism, Londres, 1985.
14. Trad. Le système économique du monde du XVe siècle à nos jours, 1450-1750, 2 vol., Paris, 1978-1985.
15. A Transition from feudalism to capitalism, Londres, 1985.
16. The manorial economy in early modern East-Central Europe, Cambridge, 1994.
17. Théorie économique du système féodal. Pour un modèle de l’économie polonaise XVIe-XVIIIe siècles, Paris,
1970.
18. Pour mémoire on rappellera la synthèse comparative importante de P. ANDERSON, L’État absolutiste
(1976), Paris, 1978, 2 vol., mais comme le titre l’indique, il est centré sur les structures politiques.
19. Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730 de P. GOUBERT, 2 vol., Paris, 1960.
20. Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Paris, 1960.
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[« Paysans et seigneurs en Europe », Guy Lemarchand]
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PAYSANS ET SEIGNEURS EN EUROPE
et le mouvement des structures sociales de la paysannerie est mis en valeur
pour les XVIe-XVIIe siècles par E. Le Roy Ladurie 21, tandis que J. Meyer
montre que la noblesse était encore bien vivante au siècle des Lumières 22
couvrant aussi le règne de Louis XIV. Puis, après le déplacement de l’intérêt
des chercheurs pendant une vingtaine d’années vers une autre thématique,
d’ailleurs pas nécessairement incompatible avec la précédente, les travaux
sur le chantier de la société rurale reprennent à partir de 1995 et, sans
abandonner le quantitativisme, cernent mieux les groupes, les subjectivités,
les contraintes de l’environnement et les contradictions matérielles entre les
acteurs. Ce renouveau s’esquisse avec la fondation en 1993 d’une Association
d’histoire des sociétés rurales qui témoigne de la prise de conscience d’un
manque relatif, et avec la parution d’une nouvelle série de recherches consacrées aux campagnes où vivaient le plus grand nombre des hommes dans
l’Ancien Régime, avec dès 1994 J.-M. Boelher, La paysannerie de la plaine
d’Alsace 1648-1789 (3 vol., Paris) ou de J.-M. Moriceau, Les fermiers de l’Île
de France XVe-XVIIIe siècles (Paris). Et depuis la fin du XXe siècle, l’activité des
historiens français sur ces questions ne s’est pas démentie.
Par conséquent une enquête synthétique sur les régimes agraires en
Europe où en gros le mode de production féodal paraît avoir été dominant,
déclinant à partir du XVIe siècle ici, renforcé là, pendant plusieurs siècles
jusqu’à sa disparition aux XVIIIe-XIXe siècles, ne part pas de rien ni en France
ni à l’étranger, tant s’en faut ! Évidemment, un chercheur seul ne peut avoir
compétence pour traiter également des pays ayant chacun leur langue et
leur histoire, aussi différents que par exemple l’Italie et la Russie. Une autre
difficulté, bien connue de tous ceux qui pratiquent l’histoire comparée, est
le flou et le manque de rigueur dans la terminologie de base chez beaucoup
d’historiens dont on utilise les travaux, imprécision qui d’ailleurs souvent
reflète celle des sources elles-mêmes. Ainsi, les mots paysannerie, village,
communauté rurale ou bien ville, bourg, cité, commune ne sont pas définis
et sont employés l’un pour l’autre. Il s’agit donc non pas d’étudier tous
les États et plutôt, plus complexes, toutes les régions du Vieux-Continent,
mais seulement, à partir de quelques cas importants et relativement représentatifs, d’essayer de saisir les ressemblances et différences entre eux, et
de dégager les raisons les plus notables de la diversité constatée. En même
temps, on examinera si, au-delà des particularités de chacun de ces cas, une
dynamique d’ensemble avec avances et retards a entraîné ces terres vers
l’avènement d’une autre organisation sociale. Histoire globale ou histoires
de cantons comme le laissait penser le terme féodalité ? Dans le cadre de
cette comparaison internationale à l’échelle continentale, le cas de la France,
relativement bien connu par des synthèses systématiques récentes fondées
sur de multiples recherches de terrain, sera étudié moins pour lui-même que
21. Les paysans de Languedoc, 2 vol., Paris, 1966.
22. La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, 2 vol., Paris, 1966.
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INTRODUCTION
comme base de référence pour une telle comparaison, ce qui implique de lui
donner une place importante. Une autre raison pousse dans le même sens : à
cause de son étendue et de sa puissance, le royaume des Bourbon a souvent
été vu comme un modèle par l’étranger – « le siècle de Louis XIV » à côté
de l’anglomanie –, et plus encore la République révolutionnant l’Europe
après 1792.
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Quelques États seront laissés dans l’ombre parce que marginaux par
rapport à la masse du continent : l’Irlande et l’Écosse royale marquées par le
particularisme celte, la Norvège et la Suède-Finlande où le régime seigneurial
ne s’étend que sur une fraction très limitée du territoire. D’autres ne seront
évoqués qu’épisodiquement : les Pays-Bas du Nord et du Sud, l’Allemagne
Rhénane, la Suisse. Mais du point de vue des structures féodales, surtout
au XVIe siècle et c’est beaucoup moins vrai aux XVIIIe-XIXe siècles, les limites
et la réalité des provinces comptent nettement davantage que celles des
formations politiques centrales. Un État comme les Provinces Unies telles
qu’elles résultent de l’Union d’Utrecht de 1579 constituée de six provinces et
de la Généralité, malgré sa petite taille, 31 000 km2, n’en présente pas moins
une grande diversification du régime agraire. Tout y oppose le comté de
Hollande dominé par ses 18 villes et où la seigneurie est faible et fréquemment inexistante, et le duché de Gueldre avec une noblesse seigneuriale
militaire puissante tenant encore forteresse et bandes armées et avec une
seule ville, Deventer. En outre, ces trois régions du Nord-Ouest européen
présentent beaucoup de ressemblances en ce qui concerne les institutions
rurales avec diverses provinces françaises.
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