La régulation des avancées technologiques

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La régulation des avancées technologiques
La régulation des avancées technologiques
Pierre Bourguet, Lilian Fontanet, Natalja Kulagina
Master 2 BFP 2013-2014
Si nos aïeux étaient amenés à observer le monde d'aujourd'hui, par quoi seraient-ils immédiatement
frappés ? Les smartphones, internet, les automates ou l'architecture des villes ? Une chose est sûre
: nos sociétés sont transfigurées par la science et la technologie. Les progrès prodigieux du XXe
siècle ont bouleversé la physionomie des sociétés industrielles. Les fantasmes des auteurs de
science-fiction les plus imaginatifs semblent à notre portée, eux qui pointent du doigt les dangers
d'une société où rien ne freine le progrès. Doit-on s'en inquiéter ? Comment la recherche
scientifique est-elle contrôlée ? Des questions légitimes auxquelles nous allons essayer de
répondre.
Pourquoi les avancées technologiques doivent-elles être régulées ?
La capacité de la science à bouleverser la condition humaine est incontestable. La révolution
industrielle n'aurait pas été possible sans les avancées scientifiques qui l'ont jalonné1, notamment
celles du secteur de l'énergie (vapeur puis électricité). La densification démographique associée à
cette période a également été permise par le contrôle des épidémies issu des avancées de la
médecine. Ces bouleversements sont trop vastes pour être sommairement jugés comme utiles ou
dommageables. Il existe cependant d'autres exemples d'avancées scientifiques dont les
conséquences sont plus simples à appréhender.
A l'aube du XXe siècle, l’avènement de la théorie de l'évolution conduit Francis Galton, cousin de
Charles Darwin, à développer une idée de sélection appliquée à l'homme, calquée sur la
domestication des animaux d'élevage, qu'il nomme eugénisme2. L'idéologie s'internationalise
rapidement et se concrétise dans de nombreux pays industrialisés sous la forme de programmes de
stérilisation contrainte des criminels, malades et toxicomanes. Elle connaitra son apogée en
Allemagne nazie et chutera avec elle. Le succès de la doctrine eugéniste s'explique avant tout par
son caractère scientifique, l'autorité de la science faisant office de démonstration. Qu'elle que soit
l'exactitude des arguments scientifiques avancés, cet exemple montre que, au-delà de la science, la
question morale de l'apport d'une technologie doit être posée. Charles Darwin en avait bien
conscience. Reconnaissant la thèse scientifique des eugénistes, il en dit toutefois : « nous ne
saurions restreindre notre sympathie, en admettant même que l’inflexible raison nous en fît une loi,
sans porter préjudice à la plus noble partie de notre nature » 3.
Il est difficile de parler de régulation technologique sans aborder le sujet complexe de l'armement
militaire. Les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki en sont les exemples les plus parlants. J. Robert
Oppenheimer, physicien et tête pensante du projet Manhattan, déclara au magazine Life : « Nous
avons créé quelque chose, l'arme la plus terrible, qui a brusquement et profondément altéré la
nature du monde... une création qui, par tous les critères moraux connus sur Terre, est malfaisante.
Et ce faisant... nous avons posé la question du bien de la science pour l'Homme » 4. La moralité de
l'usage d'une telle technologie, soutenue par l'idée qu'elle mit fin à une guerre sanglante, continue
de faire débat aujourd'hui. Alfred Nobel, qui maitrisa la nitroglycérine, justifiait déjà le
développement d'une technologie militaire par son effet dissuasif5. Si ce point de vue est
défendable pour l'arme nucléaire, l'histoire a prouvé que celui d'A. Nobel était moins pertinent.
Les scientifiques sont parfois dépassés par leurs technologies, l'absence de contrôle autorisant
ainsi les applications les plus obscures des connaissances scientifiques.
Comment la technologie est-elle régulée ?
La science ouvre sans cesse de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines comme
l’énergie, l’espace, la génétique, l’informatique… Chacun est à même, dans sa vie quotidienne, d’en
mesurer les progrès. Les découvertes scientifiques et les avancés dépassent souvent leurs
objectifs initiaux, les perspectives sont immenses et donnent l’espoir d’une vie meilleure. Mais
qu’est-ce qui contrôle la science ? Les progrès techniques sans fin ne risquent-t-ils pas de rendre
au final notre monde plus indépendant encore de ces avancées technologiques ? La recherche du
progrès sans prise de recul peut nous amener à certaines dérives où tenir compte de l’Homme ne
sera plus une priorité. Des limites sont à prendre, des précautions à poser, une éthique est à
construire.
Pour l’heure, le développement de la robotique n’a elle aucune limite. Les robots et les machines
remplacent les êtres humains dans tous les domaines. Les stations essences sont robotisées, les
jolies blondes des caisses de supermarchés disparaissent, nous avons même rendu l’argent fictif.
Le constat est simple : nous dépendons des machines. Ces avancées techniques visant à surveiller
et remplacer l’homme sont partout, dans la vie quotidienne, la communication, la santé, l’armée…
L’auteur du film Clones, Jonathan Mostow, décrit une société futuriste où la population pilote une
version robotisée d’elle-même, actionnée mentalement. Le but ? Eviter les désagréments de la vie.
Barjavel dans son roman Ravage nous entraine dans une société mécanisée à l’extrême.
Brusquement privée d’électricité, le monde sombre dans la violence. Bien évidement nous sommes
encore loin de tel scénarios mais nous déléguons sans aucun scrupule notre capacité de réflexion à
des circuits imprimés. Le Japon investit sans cesse des sommes astronomiques dans la recherche
robotique, les pilotes de drones américains peuvent décider à des milliers de kilomètres du sort de
vies humaines. Le journaliste Matthew Perget a parfaitement résumé la situation en déclarant : « la
technologie n’est plus un support mais un moyen, elle n’aide plus, elle permet ».
La médecine évolue également très vite avec pour conséquence un allongement de la durée de vie
considérable mais également… des problèmes de surpopulation. Pierre Pelot, dans Fœtus-Party,
décrit un monde où la population atteint les 15 milliards d’individus, le monde est quasiment mort, la
terre entière est recouverte de béton. Le Saint Office Dirigent encourage au suicide et recycle les
morts pour nourrir les vivants. Une œuvre qui au final correspond parfaitement à notre recherche de
la vie. Quelles limites peut-on alors dépasser? La réflexion éthique est devenue essentielle,
modifiant radicalement la manière dont les questions scientifiques sont abordées. Cette réflexion
peut être faite par tous mais il est évident que seuls les hauts dirigeants peuvent poser des limites à
notre soif de connaissances. L’Etat en tant qu’institution tente de contrôler ces avancées, comme
par exemple en adoptant la loi de Bioéthique en 2004 interdisant la recherche sur les
embryons. Mais en assortissant cette interdiction de dérogations exceptionnelles, les dérives ne
sont-elles pas un risque réel ? Les enjeux véritable de ces recherches, portées par les entreprises
du médicament sont d’abord commerciaux et ils sont considérables. Un article publié dans Le
monde (25 mai 2011) rapporte qu’en moyenne, le développement d'un nouveau médicament par
les grandes entreprises pharmaceutiques prend 15 ans et coûte environ 650 millions de dollars.
L’utilisation de cellules souches embryonnaires pour tester de nouvelles molécules permettrait de
supprimer des étapes coûteuses, notamment celles sur le modèle animal.
Les avancées concernant l’étude du génome ont explosé en 20 ans et sont devenues illimitées
grâce aux nouvelles techniques de séquençage de l’ADN. En avril 2003 s’achevait le premier projet
de séquençage complet du génome humain, pour environ 3 milliards $ et près de 15 ans de travail.
Séquencer son génome aujourd’hui pour obtenir un profil personnalisé est estimé à 100 $ et
quelques jours de travail. Cela se démocratise et est désormais accessible à tous. Le projet 1000
génomes, démarré en 2008, a pour le but de cataloguer les variations génétiques et d’améliorer la
carte du génome humain. Certes, l’application est sans appel : le fait de connaitre avec précision
ses prédispositions aux maladies ainsi que les dépister peut permettre d’adapter son hygiène de vie
afin de les minimiser les risques au maximum. Au sens d’application plus large, le séquençage
permet l’identification des victimes et des coupables dans la criminalistique et de confirmer les liens
de parenté dans la jurisprudence. La thérapie génique, qui est encore au stade de développement
et d’essais cliniques, a un potentiel inestimable dans le traitement des maladies génétiques,
incurables la plupart du temps. La difficulté cependant est considérable concernant les maladies
multifactorielles (plusieurs gènes impliqués, multiples facteurs environnementaux), qui sont
d’ailleurs les plus répandues.
Vers quelles dérives technologiques la société se dirige-t-elle ?
Mais comment gérer psychologiquement au niveau de l’individu cette connaissance ? Peut-on
l’accepter à défaut de pouvoir prévenir et guérir ? De plus, le risque de la discrimination génétique
est bien réel : les assurances sont demandeuses de tests génétiques (calcul du prix de l’assurance
en fonction des risques de développement de certaines maladies comme cancer et maladies
dégénératives), sélection des employés en fonction de leur profil génétique et la corrélation avec le
QI. Face à ces considérations économiques et sociales, la bioéthique doit permettre de ne pas
sombrer dans un mauvais roman de science-fiction.
Le roman d’anticipation dystopique « Le meilleur des mondes » de A. Huxley, publié en 1932, décrit
une société futuriste divisée en sous-groupes en fonction de leurs capacités physiques et
intellectuelles, prédéfinies par les traitements chimiques des embryons conditionnés et obtenus
artificiellement. Une perte totale de liberté, de personnalité et d’humanité tout simplement sont mis
en évidence. Dans le même esprit « Bienvenue à Gattaca », un film américain d’anticipation (réalisé
en 1997 par Andrew Niccol), une sorte de thriller eugénique qui montre une société future dans
laquelle on peut choisir le génotype des enfants. Les entreprises utilisent les tests génétiques pour
les recrutements en privilégiant les individus aux profils génétiques impeccables. Ou encore « The
Island » (réalisé en 2005 par Michael Bay) qui raconte une histoire des clones des personnalités
riches et célèbres en élevage pour un éventuel don d’organes ou autre en fonction des besoins de
leur « propriétaire ». Ici, les 2 parties : client et clone sont ignorantes de la réelle situation pour le
profit des plus aisés. La recherche de la perfection, de la longévité et de la performance n’est-elle
pas le chemin vers la perte de la nature humaine ? Quelles doivent être les limites ?
Les principes de base de l’éthique sont bien établis aujourd’hui concernant la valeur scientifique,
sociale, risques et bénéfices, confidentialité etc... (manuel d’éthique médicale, 2005, actualisé
régulièrement) Les lois essayent de suivre le progrès, cependant il est important d’anticiper les
avancées scientifiques et la responsabilisation des chercheurs et futurs chercheurs est un point
crucial. Il s’agit de prendre la mesure des perspectives positives et des dangers réels ou potentiels
liés aux avancées scientifiques et techniques qui envisagent de transformer la nature même de
l’être humain.
Le fondement même de la science est d’explorer, et ce sans a priori de quelque ordre que ce soit, a
fortiori moral. C’est à l’étape du développement technologique que la société doit intervenir. De nos
jours, le progrès est une valeur tellement sacralisée dans les sociétés industrialisées que les
contre-pouvoirs sont considérés comme immobilistes. Mais ne faisons-nous pas un amalgame entre
progrès technologique et progrès humain ? Est-ce la technologie la menace ou l’humain ?
Références :
1. Eric Bond, Sheena Gingerich, Oliver Archer-Antonsen, Liam Purcell, Elizabeth Macklem (2003). The
Industrial Revolution – Innovations, Industrialrevolution.sea.ca
2. Daniel Kevles (1995) Au nom de l’eugénisme, Presses Universitaires de France, Paris, p. 9
3. Charles Darwin (1881) La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Paris, p. 145.
4. Algis Valiunas, (2006) The Agony of Atomic Genius, The New Atlantis, Number 14, pp. 85-104.
5. Sven Tägil (2013) Alfred Nobel's Thoughts about War and Peace, Nobelprize.org. Nobel Media AB
2013.

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